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Mon mari ayant occupé le poste de ministre de Belgique en

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DE LA CAMPAGNE D U LEVANT

d'après les témoignages allemands (i 940-1941)

par J E A N N E D E S C H O U T H E E T E

Très fréquemment parviennent à la Revue des documents et témoignages dont certains sont si originaux et si intéres- sants que nous avons décidé de les publier.

Nos lecteurs ne manqueront pas de constater que, très souvent, ces documents et témoignages sont, dans l'exposé des faits et les conclusions contradictoires.

C'est précisément pour cette raison et dans le but d'aider les curieux et les chercheurs, que nous versons ces textes aux dossiers de l'histoire.

L . R .

M

on mari ayant occupé le poste de ministre de Belgique en Egypte de janvier 1938 jusqu'en mai 1942, je me suis trouvée en 1940 dans une situation assez privilégiée quant aux facilités de déplacement. E n effet, grâce à mon mariage, j'étais munie d'un passe- port diplomatique belge et, par ma naissance, j'étais Française et sœur d'officiers dont l'Un avait été en garnison à Beyrouth, où je connaissais nombre de ses amis.

D'autre part, l'ambassadeur de Belgique en France fut le seul représentant allié à ne pas suivre son gouvernement à Londres après l'armistice. Je le connaissais fort bien et savais qu'il souffrait d'un cancer au foie qui devait l'emporter à l'automne, mais les Allemands, ignorant ce fait, clamaient sur tous les toits que cet homme sensé se ralliait à 1' « Ordre Nouveau » en restant à son poste. L a consé- quence fut que ni les autorités françaises de Beyrouth, ni plus tard les commissions d'armistice ne pouvaient refuser à un ressortissant belge l'entrée et la sortie des territoires qu'ils contrôlaient. J'en ai abondamment profité.

Dès le mois de juin 1940, l'entrée imminente en guerre de l'Italie rendait périlleux le séjour estival habituel d'Alexandrie où mouillaient les flottes anglo-françaises. Mais la chaleur du Caire présentant un danger réel pour de jeunes enfants européens, je décidai d'emmener les miens au Liban et j ' y fis plusieurs voyages jusqu'en avril 1941.

Je me suis donc trouvée assez bien placée pour recueillir des opinions et pour respirer l'atmosphère politique du Proche-Orient à cette triste époque.

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La douloureuse campagne du Levant qui, en 1941, fit combattre les uns contre les autres des Français d'un égal courage et d'une égale loyauté, n'a pas fini de faire couler de l'encre. Si certains pensent qu'elle était indispensable pour sauvegarder la présence alliée en Egypte et sans doute en Méditerranée, d'autres estiment que c'était

« une nouvelle gaffe de de Gaulle ».

Il m'a semblé intéressant de faire connaître les points j l e vue des principaux acteurs allemands de ce triste épidose, qui confirment les rapports que le général de Gaulle recevait alors de M . Henri Seyrig, directeur de l'Institut français de Beyrouth, et que je résumerai en fin de cet article.

e premier Allemand arrivé à Beyrouth durant l'hiver 1940-1941 J —' fut le baron von Hentig. E n 1938, peu après Munich, i l avait été envoyé comme conseiller de la légation d'Allemagne en Egypte non, comme le disait son ministre, le baron O'Wachendorf, pour

« mesurer la longueur du nez de son chef » qui était correcte, mais pour observer sa conduite jugée par Berlin extrêmement tiède, ce qui était exact.

En mars 1939, dès l'entrée des Allemands à Prague, le baron O'Wa- chendorf donna sa démission, m'envoya serrer la main de son collègue tchécoslovaque, lui dire son refus d'obéir aux ordres reçus et son départ imminent pour Java. I l partit le surlendemain après avoir ostensiblement présidé le concert annuel donné par l'orchestre de Palestine. Le baron von Hentig devint donc chargé d'affaires d'Alle- magne en Egypte jusqu'à la déclaration de guerre.

En 1963, i l publia ses mémoires (1) et relate ce qui suit :

« Au début de mai 1941, le ministère m'envoya à Paris afin d'expo- ser personnellement à l'ambassadeur Abetz mon opinion sur la Syrie et les expériences que j'y avais faites.

« Plusieurs de nos envois d'armes au Moyen-Orient (destinés à l'Irak en révolte) ayant été capturés, on avait repris une de mes suggestions précédemment rejetée, celle de transmettre aux rebelles irakiens, impossibles à joindre par terre ou par mer, l'artillerie et les blindés de l'armée Weygand...

« A Paris, Abetz me demanda d'accompagner le Premier ministre Darlan à l'Obersalzberg et là, de me présenter comme spécialiste des questions de Syrie et des dispositions qu'il conviendrait d'y pren- dre. La rencontre de Darlan et du Fuhrer aurait pour lui, Abetz, une importance décisive sur la conduite à tenir avec les Français.

« Darlan était entièrement acquis à l'idée d'une coopération, même militaire, avec le gouvernement allemand, en échange de quoi il espérait la libération des prisonniers français. Il n'était pas un ami de l'Angleterre.

(1) Mein Leben, eine Dienstreise, Vandenhoek und Rupprecht, Gottingen und Rupprecht, 1963, page 339 et suivantes.

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« Pendant et après Dunkerque, il s'était senti délié de toute obli- gation envers son alliée. Nous voyagions donc pleins d'espoir en train spécial vers la Bavière.

« Avec Darlan se trouvaient son chef de cabinet, M. Benoist Méchin, et un capitaine de corvette que Darlan avait spécialement choisi pour montrer à Hitler que tous les Français n'étaient pas des « dégénérés ».

C'était un grand officier de marine blond, extrêmement beau garçon, etc.

« Benoist Méchin, avec qui je m'entendis de mieux en mieux au fur et à mesure du voyage, me montra le texte d'une allocution de Darlan à Hitler préparée par Abetz. Quand j'en eus terminé la lec- ture, il me montra celle que Darlan avait composée lui-même. Le texte d'Abetz était uniquement destiné à flatter la vanité de Hitler.

Darlan lui, avait, de façon fort peu française, effectué une volte- face et parlait simplement comme un marin qui, durant vingt-trois changements de ministères (je crois que le nombre est exact), avait non seulement été à la tête de la flotte, mais l'avait aussi sauvegardée de nombreux dangers. Son texte me sembla préférable à celui d'Abetz.

« Une journée entière avait été réservée à l'Obersalzberg pour les négociations, mais la décision finale incomberait à Hitler.

« Comme test de coopération, une livraison partielle du matériel de guerre de l'armée Weygand nous serait faite en Syrie et je m'ex- pliquerais alors sur la façon dont nous devrions agir ensemble.

J'étais dans la remarquable position d'être écouté aussi bien du côté français que du côté allemand. Je ne pouvais cependant pas me permettre un jugement sur l'attitude du général Dentz et de l'amiral commandant la flotte de Beyrouth en cette éventualité.

« ... Les conversations durèrent cinq heures. Jusqu'à la fin, Hitler se montra distrait, parfois absent et, contrairement à son habitude, il ne se laissa entraîner à aucune décision...

« Sur le chemin du retour, Benoist Méchin, comme Darlan, me firent part de leur profonde déception.

« Je les quittai à Karlsruhe et c'est dans un journal acheté à la gare que j'appris qu'en ce 11 mai, Rudolf Hess, dans un moment d'aberration, s'était envolé pour l'Ecosse. Les pensées de Hitler le suivaient dans cette équipée et je puis comprendre son incapacité à se concentrer ce jour-là sur la politique franco-allemande (1).

Un autre agent allemand, fonctionnaire de la Wilhelmstrasse et spécialiste également du Moyen-Orient, fut peut-être plus efficace

(1) Dans la p r é f a c e qu'il fit au livre de M . Raymond Henry : Hitler parle à ses généraux, A l b i n Michel, 1964, page 23, et plus tard dans la revue Historama, M . Benoist M é c h i n d é c r i t cette visite à l'Obersalzberg d'une f a ç o n un peu d i f f é r e n t e : « Devant la baie (du salon de Hitler) se trouvait une table de plus de six mètres de long, dont le plateau était formé d'une seule dalle de porphyre. J'y déployai mes cartes et mes documents. Hitler se plaça à ma droite. L'amiral M . de Ribbentrop, l'ambassadeur Abetz et Schmidt étaient groupés derrière nous. Un homme mince et distingué que je n'avais pas remarqué était venu se joindre à eux. C'était Otto Wernher von Hentig, spécialiste des questions d'Orient à la Wilhelmstrasse qui devait, après la guerre, devenir chargé d'affaires de la République fédérale à Djakarta. »

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encore grâce à sa connaissance parfaite de la France et des Français.

Il s'agit de M . Otto Rahn qui, lui aussi, laissa des mémoires dont voici des extraits (1) :

« En avril 1941, on parlait d'une croissante influence gaulliste au Levant. La révolte que nous avions fomentée en Irak avait éclaté trop tôt et il fut .décidé que j'irais à Beyrouth accompagné d'un collaborateur français du journal la Gerbe, nommé Guérard.

« Nous prîmes donc un Junker et fîmes escale à Rhodes.

« Etait-il prudent d'atterrir au Liban dans un avion aux couleurs allemandes ? Il nous sembla que non et un peintre amateur italien recou- vrit les croix gammées d'une cocarde tricolore. Il fit de son mieux, mais il ne fallait pas regarder de trop près.

« Au-dessus de Chypre, nous fûmes soudain entourés d'avions an- glais et nous ne nous sentions pas très fiers ; bientôt ils repartaient et Guérard me tendit une fiole d'excellent whisky dont nous avions grand besoin...

« ... Le général Dentz, une tète de poulet sur un corps d'athlète, m'accueillit par ces mots : « Mon père a quitté l'Alsace en 1870 afin que son fils ne devint pas Allemand ; vous devinez combien je suis content de vous recevoir. »

« Je le remerciai de sa franchise et lui rappelai la phrase de Talley- rand : « Un diplomate qui a besoin de mentir n'est pas un bon diplo- mate. »

« — Que voulez-vous de moi ? me demanda Dentz.

« — Des armes pour l'armée irakienne : 21000 fusils, 200 pièces d'artillerie lourde, 400 d'artillerie légère, 5 millions de cartouches, une batterie au moins de 75, 100 000 grenades à main, enfin de quoi armer deux divisions irakiennes. Et le tout livré à la frontière turque.

« Le général Dentz leva les bras au ciel.

« — Vous voulez armer tous les régiments anglais ? Il me faudra trois semaines pour réunir tout cela.

« Je me mis à rire.

« — Général, notre armée a battu la vôtre par sa rapidité. Je vous donne dix heures.

« — Voulez-vous expliquer à un vieil officier de carrière comment vous feriez à sa place ?

« — C'est très simple : je ferais venir un officier subalterne en qui j'ai toute confiance et lui ferais jurer le secret, puis je lui donnerais l'ordre en question.

« Dix-sept heures plus tard, le matériel était stocké à la frontière turque, accompagné d'une garde de 200 soldats français armés pour traverser le passage inévitable d'une langue de territoire turc. Le motif officiel était la crainte de voir des troubles éclater à la fron- tière syrienne.

(1) Ruheloses Leben, Diedrichverlag D ü s s e l d o r f , 1949 : pages 149 à 206.

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« J'avais fait jurer au chef de la tribu des Fawzi de ne pas causer de troubles aux Français jusqu'à la fin de la guerre qui leur appor- terait la liberté. Je fus donc accueilli comme le grand chef allemand qui apportait la victoire.

« Le général Dentz était inquiet des réactions italiennes devant un tel mouvement ferroviaire.

« — Je m'en charge, lui répondis-je, les Italiens sont des gens ex- trêmement raisonnables.

« ... C'est en Turquie que j'eus le plus d'ennuis. Notre ambassadeur, von Papen, était chargé de nous procurer de l'essence car la pénurie en était grande au Levant.

« Etant arrivé à Ankara, je demandai à être reçu immédiatement par lui. Il me fit répondre qu'étant très occupé par des tournois de tennis, il ne pourrait pas me recevoir le jour même.

« Quand je le vis arriver, élégant et distingué, affectant l'allure d'un gentleman anglais, je ne fus pas surpris de m'entendre dire que trois ou quatre wagons d'essence seraient peut-être livrés mais pas avant trois semaines et c'est ce qui arriva...

« ... De retour à Beyrouth, Dentz me félicita pour mon « exploit sportif ». Mais la situation se détériorait. Les Anglo-gaullistes avaient attaqué et avançaient. Devant Damas de sanglants combats avaient lieu...

« A la demande des Français, notre aviation avait mouillé des mines le long de la côte, mais à la suite d'une inexcusable négligence, beaucoup d'entre elles n'avaient pas été amorcées. De ma fenêtre de l'hôtel Saint-Georges, je pouvais voir patrouiller les petites vedettes ; elles semblaient bien inefficaces en comparaison de la flotte anglaise.

« Cette campagne était un échec ; nous avions manqué notre objectif qui était de tourner les Anglais par le canal de Suez et ce n'était que provisoirement que nos troupes de Libye avaient été soulagées...

« ... Pour la première fois, en retournant à Vichy, j'étais incertain sur l'issue de cette guerre.

« Le général Dentz avait eu une dernière gentillesse pour moi en me donnant 500 passeports pour les Fawzi qui s'étaient montrés fidèles envers nous. Les Français s'étaient courageusement battus et avaient misé à fond sur la politique de collaboration sans en retirer aucun profit. Le sang français avait coulé des deux côtés, aucun prisonnier de guerre n'avait été libéré, si ce n'est ceux qui avaient manifesté le désir de se battre avec l'armée du Levant.

« Je me demandais quel accueil je recevrais à Vichy, car en somme j'étais un peu responsable de cette aventure.

« Je fus donc très surpris, à la fin de juillet, de trouver une invi- tation à déjeuner de l'amiral Darlan et d'y trouver presque tous les membres de son cabinet.

« A peine étions-nous à table que l'amiral prit la parole :

« — Vous avez eu de loyales intentions envers la France, me dit-il,

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vous avez essayé de créer, pour la première fois dans l'histoire, une fraternité d'armes franco-allemande et si cela n'a pas pu se faire, ce n'est pas de votre faute. Mais vous avez permis à l'armée du Levant de retrouver l'honneur. Nous ne l'oublierons pas.

« Puis il leva son verre à ma santé tandis qu'un orchestre dans le jardin jouait des marches militaires de mon pays.

« Après le déjeuner, le président Laval, que je n'avais jamais beaucoup aimé, vint me dire :

« — Votre Führer devrait comprendre qu'une paix généreuse envers la France serait de son intérêt. Nous pourrions bloquer Gibral- tar avec notre flotte et les 150 000 hommes de l'Afrique du Nord pourraient marcher sur Suez.

« J'étais stupéfait. C'était inattendu après l'affaire du Levant.

« Puis Laval continua :

« — Dites à votre Führer d'en terminer avec la Russie. Ne croyez pas que même moi, je puisse faire marcher les Français contre les Américains ; non, même moi je ne le pourrais pas.

« Je pense que les Français croyaient encore à l'avenir de l'Europe dans la collaboration franco-allemande, les Allemands n'y croyaient plus. Hitler ne se souciait guère du maréchal Pétain ; le seul Français qui lui en imposait était de Gaulle. »

Il est intéressant de comparer les témoignages des diplomates allemands avec les rapports que M . Henri Seyrig, directeur de l'Ins- titut français de Beyrouth, fit passer au général de Gaulle durant les années 1940 et 1941 (1) :

« L'intervention des puissances de l'Axe au Levant fut d'abord discrète par crainte des mouvements qu'elle pouvait provoquer. On ne vit d'abord paraître à Beyrouth qu'une commission d'armistice italienne qui, après les aventures de Grèce et de Libye, excita plus d'ironie que de colère.

L'influence allemande s'exerça toujours au moyen d'une organisa- tion plus souple et infiniment plus efficace.

Aussitôt après l'armistice du 22 juin 1940, les Allemands sortirent de leurs camps de concentration et se mêlèrent de nouveau à la vie du pays. Leur action s'organisa surtout sous la direction du plus notable d'entre eux, M. Roland Eilender, né à Beyrouth et allié à des familles libanaises. C'est en septembre que le gouvernement alle- mand jugea le moment venu d'envoyer au Levant un agent attitré, M. Rudolf Roser.

... Peu à peu, l'on vit apparaître des militaires; un major, van Prat, se rendit avec trois autres officiers à Abou Kemal et se livra à une étude de la frontière irakienne...

(1) Les Allemands en Syrie sous le gouvernement de Vichy (Carlton G a r - dens, Londres 1942 ; brochure actuellement à peu p r è s introuvable).

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Enfin arriva M. von Hentig, le meilleur spécialiste de l'Orient dont disposât la Wilhelmstrasse. Il se mit aussitôt en rapport avec le général Dentz, auprès duquel il était accrédité, puis commença à travailler l'opinion en s'adressant aux milieux officiels hostiles à

la France. Dans une réunion à l'hôtel Métropole à laquelle il invita, le 25 janvier les principaux chefs politiques, il les séduisit par une grande affabilité et fit projeter le film : Sieg i m Westen (Victoire à l'Ouest), où la défaite de la France était rendue sensible sous la forme la plus frappante. En même temps, M. von Hentig demandait aux musulmans leurs vues sur la constitution d'un empire arabe. Il inci- tait à la formation de groupements de jeunesse sur le modèle allemand ; il encourageait les extrémistes contre les Anglais et leur conseillait de s'entendre avec le mouvement rebelle irakien des Fatouis. Puis il transmit des mots d'ordre qui n'allaient pas tarder à réapparaître dans le pays sous forme d'émeutes, de revendications, de cris. On critique le ravitaillement, puis la valeur et la probité de l'adminis- tration française. Enfin le parallèle s'établissait avec la race élue, la race allemande et la populace d'Alep de Hama, de Damas, se mettait à chanter :

Bala Missiou, Bala Mister Kelloh barra, haidi sikster Bissama Allah, ou alard Hitler (Plus de Monsieur, plus de Mister Tous dehors, f..tez le camp.

Au ciel Allah, sur terre Hitler).

Tout cela fut multiplié par des voyages d'apparat que MM. von Hentig et Roser firent à travers la Syrie pour présenter leur film et prêcher ouvertement l'avènement de l'ère allemande. Un tailleur de Damas se mit à confectionner une multitude de drapeaux à croix gammées pour un prochain usage.

LA COLLABORATION MILITAIRE ET LA MISSION DE M. OTTO RAHN (1)

Les Allemands virent, semble-t-il, très vite combien le succès de la révolte d'Irak était compromis, car elle avait éclaté trop tôt. Ils se décidèrent néanmoins à une action directe en faveur du mouve- ment qu'ils avaient provoqué. Enfin, quelle que fut l'issue de cette révolte, il existait une chance d'obtenir des concessions de Vichy et l'Allemagne était sûre de brouiller alors définitivement l'Angleterre et les autorités françaises du mandat.

C'est le moment que choisit Hitler pour faire venir à Berchtesgaden l'amiral Darlan.

(1) Seyrig, op. cit., page 7.

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Cette entrevue porta ses fruits aussitôt. Peu de jours après, Huntziger, ministre de la Guerre, envoyait au général Dentz un télé- gramme dont voici les termes exacts :

AL' COURS DE SES CONVERSATIONS AVEC LE FUHRER, L'AMIRAL DARLAN A CONCÉDÉ AUX ALLEMANDS L'UTILISATION DES BASES AÉRIENNES DU LEVANT. J E VOUS PRIE DE ME FAIRE CONNAITRE PERSONNELLEMENT PAR TÉLÉGRAMME SI UNE PAREILLE MESURE RISQUE D'AMENER DES TROUBLES DANS L'ARMÉE DU LEVANT. TÉLÉ- GRAPHIEZ VOS SUGGESTIONS. AUCUNE MESURE NE SERA PRISE AVANT QUE VOTRE RÉPONSE N'AIT ÉTÉ COMMUNIQUÉE A LA COMMISSION

D'ARMISTICE.

Le général Dentz répondit sans délai en soulignant l'émotion que susciterait fatalement une telle mesure. Il faisait savoir qu'en atten- dant de nouveaux ordres, il appliquerait la consigne de tirer sur tout avion étranger survolant le Levant.

Aussitôt lui parvint la réponse suivante :

E N CAS DE SURVOL DU LEVANT PAR DES AVIONS ALLEMANDS OU ITALIENS ABSTENEZ-VOUS DE TOUTE RIPOSTE. S i CERTAINS DE CES AVIONS ATTERRISSENT SUR VOS AÉRODROMES, RECEVEZ-LES ET DE- MANDEZ DES INSTRUCTIONS. LES AVIONS ANGLAIS DOIVENT AU CON- TRAIRE ÊTRE ATTAQUÉS PAR TOUS MOYENS.

Puis une pression plus forte dut se faire sentir à Vichy car un second télégramme fut envoyé. Sa première disposition consistait à annuler le précédent et à prescrire au contraire d'accorder aux Alle- mands toute l'aide qu'ils requerraient. Puis il ajoutait qu'une aide favorable aux Anglais entraînerait l'écrasement total de la France.

Pour assurer l'exécution de ces concessions, le gouvernement de Vichy et le gouvernement allemand envoyèrent en Syrie deux per- sonnages qui allaient exercer une influence décisive sur les événements.

Le premier était M. Guérard, l'un des plus acharnés partisans du

« renversement des alliances ». Il venait apporter au général Dentz des instructions impératives sur la conduite qu'il devait tenir. Quels étaient ces ordres ? Quand un peu plus tard, les collaborateurs immé- diats du général Dentz crurent nécessaire de défendre leur chef contre l'indignation qui éclatait de toute part, ils expliquèrent, et leurs allé- gations ne manquent pas de témoins, que M. Guérard avait enjoint au Haut Commissaire d'accorder aux Allemands toute la collaboration dont on était convenu ; au cas où le général y manquerait, il assumait la responsabilité de toutes les misères que le vainqueur imposerait à ta France. Ce chantage ne fut pas balancé dans l'esprit d'un homme peu accoutumé à ce genre de stratagème par un avis plus éclairé : aussi eut-il son plein effet.

Le second arrivant, M. Otto Rahn, était un Allemand connaissant et écrivant notre langue comme l'un de nous. Il devait être rejoint par son adjoint, M. Malhausen, journaliste connaisseur également excellent de la France et fondateur, avec M. Alphonse de Châteaubriant, du journal collaborationniste la Gerbe.

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Ces deux personnages pouvaient passer pour des Français. Pour entretenir cette illusion on ne craignit pas de camoufler leur véritable identité. M. Rahn devint M. Renouard (ou Renoir) et M. Malhausen portait sur sa pièce d'identité, signée de la main du général Dentz, le nom de M. Malaucène, journaliste, né à Marseille en 1912 et

« collaborateur » attaché au Haut Commissariat.

Deux voitures conduites par des chauffeurs de l'Administration française furent affectées à ces messieurs qui ne les quittèrent qu'à la frontière turque d'El Ordou le 12 juillet, juste avant l'armistice de Saint-J ean-d' Acre.

En même temps que M. Rahn-Renoir, apparaissait en Syrie le colonel von Manteuffel, officier d'aviation. Mais les avions allemands étaient arrivés avant lui.

Le 9 mai à 6 heures du soir arrivaient à Nérab, aérodrome de Alep, deux Heinkel III aux couleurs allemandes accompagnés d'un transport de Heinkel aux couleurs françaises. Le 11 mai, trois Mes- serschmidt 110 atterrissaient sur l'aérodrome de Rayak, puis neuf Messerschmidt 110, trois Junker 52 et trois transports Junker. A partir de ce moment, Mezzé, aérodrome de Damas, Nérab et Palmyre servirent d'escale à de nombreux appareils qui se ravitaillaient et repartaient pour l'Irak. Au total quelque 106 avions firent escale en Syrie à l'aller et au retour : 66 avions de combat et 40 avions de transport au moins. Ces derniers firent la navette et le nombre de leurs atterrissages dépasse considérablement leur propre nombre.

Après l'échec de l'intervention en Irak et le retour des Allemands en Europe, les Alliés trouvaient 300 costumes d'aviateurs allemands à l'aérodrome de Nérab.

L'arrivée des avions allemands ne laissait pas de gêner le général Dentz qui avait affirmé de la façon la plus nette et la plus publique qu'il ne tolérerait pas l'immixtion allemande ou italienne dans les affaires du pays. La vérité y est voilée de la façon la plus délicate :

— Des avions étrangers allant de l'ouest vers l'est ont fait escale en Syrie pour continuer leur chemin.

Comme les Allemands l'avaient prévu, on pouvait difficilement attendre des Anglais qu'ils restassent passifs devant ces opérations.

Ils vinrent bombarder et surtout mitrailler les aérodromes mis à la disposition de l'ennemi. Il est important d'ajouter que ces bom-

bardements ne visaient jamais que les aérodromes occupés par l'ennemi. La preuve en est donnée par le sort de Nérab. Les Allemands n'occupaient que le camp sud ; le camp nord ne reçut aucun projectile.

La simple dignité aurait consisté de laisser aux Allemands le soin de défendre les aérodromes qui leur étaient livrés, mais une batterie antiaérienne de 75 appartenant à la défense de Beyrouth en fut détachée pour protéger les Allemands au camp sud de Nérab... Ce camp, entièrement livré aux Allemands, continua d'avoir une garde française.

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Mais les Allemands ne se bornaient pas à exiger de la France la disposition des aérodromes sans lesquels ils n'auraient jamais pu agir en Irak. Ils voulurent aussi fournir du matériel de guerre aux ennemis des Anglais. Or la commission d'armistice italienne avait séquestré au Liban, conformément aux conventions, une grande quantité d'armes et de munitions. L'Allemagne pouvait donc songer à employer ce matériel à ses propres fins, à condition que le gou- vernement de Vichy montrât quelque complaisance en levant pour elle certains obstacles. Cette complaisance fut très libéralement ac- cordée.

Une première difficulté venait de ce que ce matériel appartenait encore à la France bien qu'elle n'en eût plus la libre disposition...

Le matériel fut évalué à 120 millions de francs et il fut convenu que le gouvernement de Vichy le vendrait pour cette somme à l'Alle- magne. Le premier versement eut lieu le 3 juin. Cette somme était comptée en billets de la Banque de France emballés par liasses dans leurs cartons d'origine. Mais ces cartons portaient en surcharge l'aigle et la croix gammée.

Une autre difficulté se présentait pour le transport du matériel.

Le seul moyen commode consistait à l'envoyer par voie ferrée d'Alep à Mossoul. Or cette voie ferrée traverse le territoire turc entre Tcho- ban bey et Nissibine sur quelque 400 kilomètres, puis rentre en Syrie jusqu'à Tell Kotchek, où elle passe en Irak. Les conventions franco- turques prévoyaient pour la France le droit de transit à travers la Turquie entre les deux portions de territoire syrien. Mais la Turquie n'aurait jamais accordé cette permission aux Allemands pour un transport destiné à alimenter une guerre en Irak. Il fallait donc, pour satisfaire les Allemands, que la France se substituât à eux et obtint elle-même l'autorisation des Turcs en leur faisant croire que le maté- riel leur appartenait et était destiné à la défense des Etats.

Le gouvernement de Vichy accepta ce rôle inattendu.

Comme il fallait que le transport semblât destiné à la défense du territoire, il importait que ce matériel fût convoyé non par ses pro- priétaires effectifs, les Allemands, mais par l'armée française à laquelle il n'appartenait plus.

Le 12 mai, à 10 heures, le premier train quittait Alep. Il transpor- tait sur 26 wagons, 300 tonnes d'armes et de munitions et une batterie de 75 auxquelles ont avait associé, en vue de l'illusion, une demi- compagnie du 16e Tirailleur tunisien-

Deux heures plus tard, un second train suivait le premier avec

¿60 tonnes d'armes et de munitions. Un officier de l'état-major de Beyrouth... convoyait le tout. Parvenu le 13 mai à la frontière d'Irak, il arriva qu'aucune locomotive irakienne n'était là pour continuer le voyage. Mais la hâte de ces messieurs était grande et le capitaine X...

donna au chef de gare syrien l'ordre formel de réunir les deux trains en un seul et de les envoyer à Mossoul avec une locomotive syrienne. Le convoi partit, emmenant l'agent allemand et laissant à Tell Kotchek les tirailleurs tunisiens.

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La même opération se renouvela encore deux fois. Le 25 mai, le train portait 28 camions chargés d'essence d'avion, 170 tonnes d'armes et de munitions et une batterie de 75 ; le 27 mai le train portait 38 camions d'essence d'avion, une batterie de 155 et 125 tonnes d'armes et de munitions, etc. (1).

Outre l'usage des bases aériennes et l'envoi de matériel à l'Irak, les Allemands auraient voulu obtenir des autorités françaises l'usage de leurs bases navales au Levant.

Le 26 mai, le général Dentz reçut le télégramme suivant :

LES ALLEMANDS EXIGENT L'UTILISATION DES PORTS DE BEYROUTH, DE TRIPOLI ET DE LATTAKIEH. VEUILLEZ FAIRE CONNAÎTRE D'UR-

GENCE VOTRE POINT DE VUE.

Il répondait le même jour :

L'UTILISATION DE BEYROUTH, TRIPOLI ET LATTAKIEH PAR LES ALLEMANDS ME SEMBLE IMPOSSIBLE SANS RISQUER DES TROUBLES GRAVES. J E PROPOSE COMME ALTERNATIVE LA BAIE DE CHEKKA, OU UN APPONTEMENT EXISTE POUR FAIRE ACCOSTER DES CHALANDS DE 3,5 M DE TIRANT D'EAU ET QUI EST PLUS PROPICE AU SECRET.

Mais les Allemands répondirent en exigeant immédiatement la libre disposition du port de Lattakieh et M. Rahn se rendit aussitôt dans cette ville pour s'y mettre en rapport avec le délégué du Haut Com- missariat.

LA CAMPAGNE DU MOIS DE JUIN

Cependant le commandement anglais avait difficilement toléré que la mainmise des Allemands sur les bases aériennes, le matériel et les stocks du Levant, lui rendit plus difficile la campagne d'Irak (2).

Pendant qu'ils la terminaient, les aviateurs allemands (et italiens, car il y en avait une quinzaine) s'échappaient à tire-d'aile vers l'Europe et le terrain de Nérab, près d'Alep, eut de nouveau des jours de grande animation.

Au moment où ces facilités allaient être accrues par l'octroi de bases maritimes, le risque d'assister un jour à une mainmise complète de l'Axe sur le Levant ne put plus être méconnu. D'un commun accord, les Alliés passèrent à l'attaque...

Une dernière forme de la « collaboration » pour les affaires de Syrie consista en envois d'avions et transports d'effectifs destinés à renforcer les troupes du général Dentz (3).

Les détachements, embarqués sur voie ferrée, quittaient la France par Belfort et l'Alsace, où leur passage en uniforme pour une desti- nation aussi nouvelle ne pouvait être calculé par le vainqueur que pour nous humilier aux yeux de la population.

(1) Seyrig, op. cit., page 12.

(2) L e commandant Rouy m'a é c r i t qu'il n'était rjas d'accord sur ce point.

(3) Seyrig, op. cit., page 22.

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Ces militaires — dont certains s'étaient joints à ces détachements pour pouvoir passer aux Forces françaises libres — ont raconté à leur arrivée les propos méprisants dont ils avaient été l'objet de la part des Belfortains et des Alsaciens et l'humiliation qu'ils avaient ressentie en traversant ces provinces. En Allemagne, au contraire, des prévenances innombrables et des buffets bien garnis les attendaient.

Le hasard cependant y ménageait quelques incidents et de tristes témoignages attestent les sarcasmes cruels des prisonniers fran- çais, si d'aventure le train s'arrêtait dans les champs où ils tra- vaillaient.

Tels sont les faits. Ils sont tellement simples, tellement évidents qu'ils ne demandent aucun autre commentaire que celui qu'en fera le lecteur. »

CONCLUSION

Je ne suis pas historienne et me garderai donc bien de porter un jugement sur des hommes, Français, Anglais, Allemands, qui, dans leur majorité, ont fait ce qu'ils croyaient devoir faire. Certaines con- tradictions dans les témoignages que j ' a i scrupuleusement rapportés me semblent cependant de nature à être relevées. M . Rahn est le seul à prétendre que les Français ont demandé à l'aviation allemande de mouiller des mines le long de la côte et i l est au moins bizarre que l'efficace Luftwaffe ait mouillé des mines non amorcées. I l est d'ailleurs aussi étrange, sinon plus, que l'ambassadeur d'Allemagne à Ankara, en pleine guerre et en pleine crise au Proche-Orient, fasse attendre longtemps son envoyé spécial à Beyrouth pour assister à un tournoi de tennis. Par ailleurs l'affirmation de M . Seyrig, comme quoi les stocks et le matériel français rendirent plus difficile aux Anglais la campagne d'Irak, est contredite par la thèse de doctorat du com- mandant Rouy qui affirme qu'aucun envoi d'armes et de matériel n'a dépassé la frontière.

Quoi qu'il en soit, je ne puis oublier l'angoisse et le chagrin qui m'étreignaient, au Caire, en pensant aux chers amis, mes compatriotes, que j'avais dans les deux camps et qui se battaient entre eux. Je ne souhaite à personne de subir une pareille épreuve. Que Dieu l'épargne à nos enfants !

J E A N N E D E S C H O U T H E E T E

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