• Aucun résultat trouvé

Ni État, ni marché Martine Antona et François Bousquet

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Ni État, ni marché Martine Antona et François Bousquet"

Copied!
15
0
0

Texte intégral

(1)

Échanges avec Elinor Ostrom Éditions Quæ

Ni État, ni marché

Martine Antona et François Bousquet

Éditeur : Éditions Quæ Lieu d'édition : Éditions Quæ Année d'édition : 2017

Date de mise en ligne : 30 janvier 2020 Collection : Nature et société

ISBN électronique : Nature et société

http://books.openedition.org Édition imprimée

Date de publication : 24 août 2017 Référence électronique

Ni État, ni marché In : Une troisième voie entre l’État et le marché : Échanges avec Elinor Ostrom [en ligne].

Versailles : Éditions Quæ, 2017 (généré le 31 janvier 2020). Disponible sur Internet : <http://

books.openedition.org/quae/20088>.

(2)

Dans cette conférence ouverte aux non-scientifiques, Elinor  Ostrom présente ce qu’elle entend par cette «  organisation en commun des ressources », ces communs, ce « ni État, ni marché », titre de sa conférence.

Elle introduit donc ses travaux dans leur diversité et souligne leur sens  : on peut expliquer pourquoi des acteurs s’organisent et collaborent pour gérer des ressources en commun, ce que l’on observe dans la réalité. Elle montre comment, avec des recherches empiriques qui mobilisent de nom- breuses méthodes, elle a contribué à identifier de nombreuses variables, de nombreux facteurs qui expliquent cette coopération.

Les théories conventionnelles, qu’elle a contestées, décrivaient des individus isolés qui, en fonction de leur intérêt propre et égoïste, ne pouvaient ni trouver des règles qu’ils s’imposeront à eux-mêmes, ni contri- buer à un résultat collectif satisfaisant pour la société. Les solutions propo- sées à ce problème par ces théories sont la privatisation ou l’intervention de l’État.

De ces travaux, on peut retenir une double conclusion. D’une part, il n’y a pas de relation entre une règle spécifique et le succès d’un système de gouvernance. C’est le respect d’un ensemble de principes directeurs qui permet la robustesse des systèmes de gouvernance. D’autre part, on peut montrer que la diversité et l’emboîtement des unités de gouvernance ne sont pas un handicap mais un atout pour une gestion durable.

Elinor ostrom

Merciàtousdem’avoirinvitée.C’estmerveilleuxd’êtrederetourici après tant d’années. Vincent, mon mari, va vouloir que je lui fasse un rapporttrèsdétailléetminutieuxetsavoirtoutcequisepasseicimain- tenant car il a gardé de très bons souvenirs de son séjour intellectuel et de sa visite de la ville. Je vais vous parler d’une problématique qui n’a pas toujours été une partie clé de la recherche universitaire ou politique. Je ne vais donc vous parler ni de l’État, ni du marché. Quand j’ai commencé mon travailacadémique,onm’aapprisqu’ilexistaitdeuxtypesd’organisationet que le monde n’était constitué que du marché ou de l’État. On considérait comme quelque peu archaïques des communautés organisant collectivement

(3)

l’utilisation des ressources, ces communautés n’avaient pas saisi le fait qu’ellesdevaientêtresoitprivéesetmarchandes,soitgouvernementales!

Nous avons donc fait des progrès.

J’aimerais maintenant vous parler de la théorie conventionnelle de l’action collective que l’on trouve dans nombre de nos manuels, certes pas dans tous mais dans un grand nombre, et qui est fondée sur le travail nova- teur et important de Mancur Olson et Garret Hardin. Ces auteurs supposent que tous les individus sont de simples optimisateurs, à la recherche de gains matériels, et que ce gain est ce qui nous motive tous. Le dilemme dans une ressource,parexempleunepêcherie(etFikretBerkesψ nous a beaucoup apprissurcesujetaucoursdesannées),c’estqu’ilesttrèsdifficilede ladéfiniretdelalimiterentantqu’ensemble.Donc,simoijepêcheles poissons d’un lac ou d’une pêcherie côtière dans un océan, ces poissons ne sont plus disponibles pour quelqu’un d’autre. Une partie du problème des ressourcescommunesestqu’ilesttrès,trèsdifficiled’exclurequelqu’un desonexploitation.C’estpossiblemaisc’estcoûteux.Quiconqueenretire unepartiepoursaconsommationl’enlèveauxautres.Celapeutcréerun vrai dilemme car chacun veut être la personne qui n’a pas à limiter son exploitationtoutensouhaitantquelesautreslefassent.Cettethéorieest largement acceptée, elle se trouve dans un grand nombre de nos manuels et sous-tend l’intervention du gouvernement et l’imposition de règles. Dans de nombreuses facultés en sciences de l’environnement, dans la plupart en fait, toutaumoinsauxÉtats-Unis,lesétudiantsdoiventétudierl’articledeGarrett Hardin quelque trois ou quatre fois avant d’avoir terminé leurs études.

Sinousréfléchissonsàlafaçondereprésentercettethéorieschématique- ment,nousavonsdesindividusquimaximisentleursintérêtsàcourtterme, ce qui, face à ce genre de dilemme, conduit à des résultats collectifs sous- optimaux.C’estdoncunethéorietrèssimplesivousn’utilisezquedeux variablescommececi,lesbénéficesindividuelsàcourttermedesindividus et les résultats du collectif. Si nous utilisons cette théorie conventionnelle pouraméliorerlesrésultatsdel’exploitationdecesressources,denouvelles règlesdoiventêtreimposéesdel’extérieuretcelanousdonneunrôletrès important,ànouslesscientifiques.Lesscientifiquesquenoussommessont censéscréerdesmodèles,trouverdenouvellesvoiesderéflexionetrecher- cher dans nos modèles et nos théories la solution optimale, pour ensuite recommander que la propriété revienne soit au secteur privé, soit au gouver- nement. Nous pouvons supposer que les usagers ne vont pas résoudre ce dilemme de second ordre, c’est-à-dire trouver de nouvelles règles qu’ils s’imposeraientàeux-mêmes.Ilsneparviennentdéjàpasàrésoudreun dilemme de premier ordre, celui de réduire chacun individuellement leur exploitation…Notrerôleànousestdoncdedévelopperdesmodèlesqui peuventêtreutiliséspourrésoudreleproblème,etdenombreuxscientifiques sontainsidevenustrès,trèsfiersdecerôle.Leurraisonnementétaitbasé surlefaitquelesindividusallaientcontinueràmaximiserleursbénéficesà

(4)

courttermemaisquelesautoritésexternesallaientleurimposerdenouvelles règles sur la base de nos modèles ; avec ces nouvelles règles, même en recherchantlamaximisationdesbénéficesindividuels,desrésultatsopti- mauxseraientatteintspourlasociété.Trèsbien,sanséquivoque,magni- fique,maisillusoire.

Nosrecherchesempiriquessurl’actioncollectiveliéeauxressources communes montrent que, dans des circonstances bien particulières, des personnes–ensituationexpérimentale,enlaboratoire,neseconnaissant pas, n’ayant aucun moyen d’établir qui fait quoi, dans l’anonymat le plus complet – ont un comportement en adéquation avec la théorie. Mais nous avonstrouvédansdesétudesdecaspubliéespardenombreuxauteursdes degrés élevés de coopération* sur le terrain. Nous avons fait de nouvelles recherches et trouvé de l’action collective, certes pas partout, mais lorsqu’on nous soutient qu’une telle action est impossible, la retrouver dans n’importe quelcadredéfiecettethéoriedel’impossibilité.Lesfacteursquiinfluent surlacoopérationdesusagerssesontavérésêtretrèsnombreux.Cen’est passimplementuneoudeuxchosesquisontdéterminantes,etilnousfaut doncpasserparuncertainnombred’étapes.Nousn’avonspasfinimais nous progressons.

DES COMPORTEMENTS ET DES MICRO-SITUATIONS

Notre première étape, et le résultat de nombreuses années de recherches menées ensemble, indique que nous devons changer la théorie convention- nelled’individusoptimisateurs,bornésetégoïstes,recherchantunprofit privé immédiat. Nous ne pensons pas que tous les êtres humains soient des anges, ce n’est pas vrai, mais nous devons maintenant intégrer dans nos réflexionsennousbasantsurletravaild’HerbertSimon(Simon,1976) que, si les individus veulent prospérer, l’information dont ils disposent est incomplète.Ilsnecomprennentpasparfaitementcommentmaximiser,mais ils apprennent et, avec une rationalité limitée, améliorent leur situation avec le temps. Ils sont particulièrement réceptifs à l’apprentissage des normes socialesetuntravailphénoménalréaliséparlespsychologuessociaux montre la vitesse à laquelle les êtres humains apprennent ces normes etl’importancequ’ellesontàleursyeux.Ainsiavecletemps,lesgens apprennent les normes sociales et les préférences other-regarding (diri- gées vers autrui). Tout dépend de qui est impliqué dans une situation et de sa structure. Si nous nous trouvons en présence d’un groupe d’individus égoïstesetbornés,quinerecherchentqueleursbénéficespersonnels,c’est cequetousfinissentparfaire.Mais,dansdenombreusessituations,ce n’estpascequefontlesautresmaislastructuredelasituationquiinfluence leur comportement, leur apprentissage mutuel et leur cheminement vers la réciprocité. Il y a ainsi une relation de dualité entre un modèle différent de

(5)

comportementhumainetlesmodèlescomplexesobservéssurleterrain.

Noussommeslàsurunequestiontrèsdifficileoùnousessayonsd’expliquer lacoopérationdansdessituationscomplexes,cen’estpasfacilemaisnous devons le faire.

Malheureusement,iln’existepasuneseulevariablepouvantexpliquerde meilleursniveauxdecoopération.Certainsanalystespensentquetousles groupes de petite taille devraient être capables de résoudre le problème de la coopération. Non, nous constatons que des groupes importants parviennent à le résoudre alors que des petits groupes échouent. On observe réguliè- rement, quel que soit le secteur ou la méthode, que les participants ont tendance à coopérer s’ils croient que les autres personnes se trouvant dans la mêmesituationvontfairedemême.Maiscelan’estpasunevariableexterne évidente. On ne peut pas toujours savoir quand et en qui ou en quoi les gens vontaccorderleurconfiance;maisgagnercetteconfianceestunevariable très importante. Si vous croyez vraiment que les autres vont coopérer et sont dignesdeconfiance,vousavezmoinspeurdedevenirla«bonnepoire»car c’est une des grandes craintes dans ce genre de situation. En effet, les gens pensent « je vais coopérer et les autres non et je vais être la bonne poire ».

Ilscherchentdoncàaugmenterlaréciprocitéetlaconfiancedediverses manières(figure1.1).S’ilsyparviennent,lecomportementquienrésulte mèneàdesrésultatsdeplusenpluscomplexeset,aulieudenouscontenter d’un nouveau modèle basé sur l’individu ou d’un modèle unique de la situa- tion, nous devons prendre en compte la façon dont les individus interagissent dansdifférentessituations.C’estpourcelaquec’estdifficile.Aulieudonc de ce petit modèle bien simple, nous devons penser à des individus qui apprennent et mettent en pratique : ils peuvent apprendre les normes de comportement et utiliser les normes d’interaction mais, dans une situation donnée,ilssontaussisousl’influencedesvariablesmicro-situationnelles.

Unexempledemicro-situationpeutêtrelafamille.Certainesfamillesont une façon bien à elles de s’assurer que la vaisselle et les différentes tâches ménagères sont faites : chacun compte sur la contribution de l’autre. Mais ce n’est pas le cas dans d’autres familles et pourtant ils communiquent entre euxtouslesjours;ainsil’évierpeutêtreconsidérécommeuneressource commune qui peut être gérée de diverses façons par les membres de la famille. Dans les micro-situations de la famille, d’une équipe de pêcheurs, d’ungrouped’exploitantsdelaforêtoud’usagersdel’eau,cesfacteurs micro-situationnels sont très importants. Mais ils sont enchâssés dans un contextepluslargeet,danscecontexteélargi,nousdevonstenircomptede l’histoiredugroupedansletemps,detoutcequiconstituelesinfluences externesetdeleurimportance,decequefontlesagentspublics,etc.Ces facteurs mènent certains individus à choisir une situation, où ils entrent, ils interagissentetsesoutiennentmutuellement,cequiaugmentelesniveaux decoopérationetlesbénéficesnets;larétroactionestpositive.L’interaction incite donc à poursuivre la coopération et les résultats s’améliorent avec le

(6)

temps.Ilsepeutaussiquecertainscommencentàtricheretlesniveauxde coopération diminuent légèrement, que d’autres aient peur et ne coopèrent plus et puis d’autres et d’autres ; la rétroaction est négative et la situation va en empirant.

DE MULTIPLES MÉTHODES

Nousessayonsdoncdecomprendrecettesituationtrèscomplexeetnous progressons,enpartieparcequenousexpérimentonsensituationdelabo- ratoire. L’avantage du laboratoire, c’est que nous créons la structure et que nous pouvons changer cette structure, une variable à la fois, et observer ce qui se passe dans cette situation. Nous avons constaté une plus forte coopé- rationdanscertainessituationsexpérimentalesquedansd’autres,certaines expériencesontétéfaitesenlaboratoire,d’autressurleterrain.

Danslecasd’uneexpériencesurlesressourcescommunessansaucune communication,ainsiquejel’aidéjàmentionné,lesindividusvontsurex- ploiter la ressource de façon croissante et ce constat peut être utilisé comme point de départ. Nous leur donnons ensuite la possibilité de communiquer et, habituellement, c’est une première étape importante car elle mène àdesniveauxaccrusdecoopération.Sinousleurdonnonslapossibilité de contrôler et de se sanctionner mutuellement, en laboratoire, ils le font.

L’effet net de la sanction dépend du niveau de communication que l’on permet.Certainsontréagiexcessivementànosrésultatssurlanotionde

Figure 1.1. Degré de confiance et niveau de coopération affectés par le contexte et la micro-situation des dilemmes sociaux.

L’individu, influencé par un contexte rapproché (caractéristique de la situation en  cours) et un contexte plus général (normes, références…), est capable d’apprendre et d’adopter ou de suivre des normes de comportement. En fonction de ses caractéristiques individuelles et du contexte, l’individu déterminera son niveau de coopération, qui le conduira à agir, et il appréciera les résultats de son action qui nourriront son apprentissage. Source : Poteete et al., 2010.

(7)

sanction pensant que celle-ci était la panacée, mais cela n’est pas le cas ; la sanction combinée à la communication peut aider les gens à créer une situation beaucoup plus solide que lorsqu’ils n’ont pas la possibilité de sanc- tionner. La revue Science a récemment publié un article, coécrit par Marco Janssenetplusieursauteurs,surdesexpériencesenlaboratoireréalisées danslecadredel’étudesurlessystèmessocio-écologiques,confirmantce constatdansunenvironnementencorepluscomplexequeceluiquenous évoquons (Janssen et al., 2010).

Il faut développer et cumuler tout ce que nous comprenons des attributs structurels d’une micro-situation. Nous sommes revenus sur une centaine d’expériencesdifférentesennousconcentrantsurcesaspectsetnousavons essayéd’identifierquelsétaientlesfacteursmicro-situationnelsquipouvaient augmenterlacoopérationdansunesituationexpérimentale(figure1.2).

Figure 1.2. Variables micro-situationnelles affectant la confiance et la coopération dans les dilemmes sociaux.

Source : Poteete et al., 2010.

Reprenons certains de ces facteurs :

–l’und’entreeuxestuntauxderendementmarginalplusélevé:sinous investissonsdutempsetdeseffortsàrésoudreunproblème,parexemple ànepasexploiteruneforêtmaisàlapréparerenvued’uneexploitation durable, notre contribution personnelle augmente le rendement de la forêt, sa productivité ;

–lorsque la communication est possible, elle joue un rôle déterminant dans nos micro-situations, comme je l’ai déjà dit et comme nous l’avons constaté à maintes reprises ;

–la réputation : si les gens ne connaissent pas vraiment les détails d’une histoire mais savent que Joe ou Susie a la réputation d’être responsable et fiable,celafaitunegrandedifférencepoureuxetinfluesurleurvolontéde coopérer à long terme.

(8)

Dans les variables micro-situationnelles qui ont des effets positifs, on peut citer :

–lacapacitédesgensàs’investiràlongterme.Danslecontextedulabora- toire, nous ne pouvons pas travailler sur la même durée que sur le terrain.

Mais quelquefois, en faisant des expériences sur une heure, nous avons pu recréer des situations expérimentales dans lesquelles les gens inter- agissent sur une période de deux ou trois mois. À plus long terme, ils peuventcommuniquerentreeuxetconstaterqu’encoopérantlesbénéfices s’améliorent ;

–encore plus intéressant, la capacité de pouvoir « sortir », de « quitter », est très importante. Toute personne, qui pense que le groupe n’est pas en train de résoudre le problème ou de bien faire le travail, peut s’en aller.

Cette option, liée au fait que certains s’en vont vraiment, montre clairement auxautresqueleurcomportementnepermetpasderésoudreleproblème à long terme ;

–la sécurité de votre contribution. Cela peut se tester en laboratoire un peu plusfacilementquesurleterrain.Vousdemandezparexempleauxgens decontribuerfinancièrement;vousleurexpliquezquelorsquevousaurez rassemblé un montant X vous l’investirez, mais que, si ce montant n’est pasatteint,leurcontributionseraremboursée.Tousceuxquiontcontribué se trouvent ainsi protégés contre les « passagers clandestins » (free riders) quieuxnevonttireraucunbénéficedeleurattitudedenon-contribution.

Des variables micro-situationnelles peuvent avoir des effets mitigés : –la taille du groupe. Les résultats ne sont pas uniformes pour ce facteur.

Onobserve,danslecasd’expériencesconcernantunbienpublic,quela probabilité que les sujets contribuent est plus forte dans les groupes de grande taille que dans les petits groupes, mais le contraire est vrai dans le cas de ressources communes ;

–l’information sur les actions des autres. Le fait de rendre publiques les actions de chacun peut également avoir un double effet. Dans certaines expériences,onobservequelacoopérations’accroîtalorsqu’ellediminue dans d’autres. Quand il s’agit des ressources communes, une fois que les gens voient que la coopération baisse, elle diminue ensuite très rapidement ; –lacapacitédepouvoirsanctionnerpeutapporterauxgensdesbénéfices considérables, comme je l’ai déjà mentionné plus haut. Mais s’ils ne peuvent passetransmettrel’information,l’efficacitédelasanctiondiminue;

–l’hétérogénéité des participants mène à une grande variété de résultats, quelquefois positifs, quelquefois négatifs. Nous n’avons pas encore de résultat théorique clair dans ce cas.

Nous pensons donc en termes de petite micro-situation emboîtée dans laquelle les individus qui adoptent et apprennent les normes essaient de se décider. Vont-ils coopérer ou pas ? S’ils décident de coopérer, la coopéra- tion va s’accroître, etc.

(9)

Toutescesvariablesstructurellesontunimpactetellessontnombreuses!

On nous demande constamment quelle est la variable qui compte. Notre problèmec’estqu’iln’yenapasune,maisunecombinaisonquireflèteà la fois l’écologie locale, et les normes et croyances des participants, c’est- à-dire notre micro-situation.

DE LA SITUATION D’ACTION AU CADRE

ÉLARGI DES SYSTÈMES SOCIO-ÉCOLOGIQUES

Certainsd’entrenoustravaillentdepuisuncertaintempsdansuncontexte plus large, pour des recherches sur la police, la forêt ou l’irrigation… Les forêts dans le monde font partie intégrante d’écologies et de sociétés parti- culières. Ce que nous essayons donc de faire est d’intégrer les résultats que nous obtenons au niveau micro dans les systèmes socio-écologiques plus largesquenousétudions.Jevaisvousmontrercecadremodifiéquipourrait représenterparexempleunlac,unocéan,uneforêtouunétang,c’est-à-dire un système socio-écologique que nous considérons comme constitué de quatreélémentsinternesimportants(figure1.3).

Figure 1.3. Contexte de système socio-écologique élargi affectant des micro-situations.

Source : Poteete et al., 2010.

Nouspourrionsréfléchirauxsystèmesderessources(RS)quirassem- bleraient les caractéristiques d’une forêt, d’un système aquatique, d’une pêcherie ou de tout autre système qui nous intéresse, et à cette micro- situation que nous appelons une situation d’action. Celle-ci peut être

(10)

modélisée mathématiquement en termes de jeu formel* ou en termes de situation d’action comme nous le faisons depuis 25 ans dans le cadre de l’Institutional Analysis and Development (IAD) que nous avons développé.

La structure de la situation d’action dépend également du système de gouvernance (GS) qui s’applique à cette zone, à ce problème particulier etàdesacteurs(A).Lorsquelesacteurssontformésàcoopérerentreeux, la situation est entièrement différente que lorsqu’ils sont en situation de compétition très forte et que l’interaction est alors très, très concurrentielle.

Imaginez les interactions au sein d’une équipe de sport et la façon dont les membres ont été formés à interagir lorsqu’ils jouent au basket, au football, qu’ils font une course automobile, etc. C’est toute autre chose que lorsque les gens essaient de résoudre un problème ensemble et qu’ils essaient de coopérerplutôtquederivaliserentreeux,maislaconcurrencepeutappa- raître. L’être humain n’est donc pas que coopératif ou compétitif.

Noussommesentraind’élaborerdesdéfinitionsgénéralesdetousles termesclésetdevoircommentilssontreliésentreeux.

Lecontexteélargiinfluesurlamicro-situationet,dansletravailquiest en cours, nous tentons de réviser le cadre du système socio-écologique que nousavonsdéveloppéafind’inclurelesrésultatsobtenussurleterrain.

Les recherches menées sur les forêts et les ressources forestières, étudiées de façon approfondie, illustrent ces évolutions. Dans un programme de recherche de l’International Forestry Resources and Institutions (Ifri), nous avons mis en évidence un résultat très intéressant, à savoir que la nature du système de gouvernance formel n’est pas étroitement liée à sa performance sur le terrain (voir encadré Recherches de l’International Forestry Resources and Institutions). Nous avons trouvé une relation statistique très forte entre le contrôle par les usagers et l’augmentation de la densité des forêts. Dans cecas,unevariableinattendue(lecontrôleparlesusagerseux-mêmes), que nous avons commencé à mesurer très tôt sur le terrain, s’est avérée importante à chaque fois.

Nous avons ensuite étudié les forêts Ifri dans 14 pays différents et cela nous a permis de faire une analyse multivariée sur la base de variables diverses du cadre des systèmes socio-écologiques avec lequel nous travail- lons.ColemanetSteed(2009)etChhatreetAgrawal(2008)ontmontréque, lorsquelesgroupesd’usagerslocauxontledroitderécolter,toutaumoins certains produits, pas forcément du bois, mais des produits utiles, ils ont tendance à conserver la forêt en bon état. Et cela nous mène fréquemment au contrôle, et le contrôle une fois encore est une variable importante. Les décideurs politiques ont l’impression qu’il faut tenir les gens éloignés de la forêt pour la rendre durable. Ce n’est pas ce que nous constatons, il faut donc aborder certaines de ces questions avec beaucoup de précaution.

Dans une étude récente publiée dans les Proceedings of the National Academy of Science,ChhatreetAgrawal(2008)ontétudiéleschangements de conditions de forêts sur une période de cinq ans, sur la base d’entretiens

(11)

avec les usagers et d’évaluations de spécialistes. Les forêts ayant une proba- bilitéderégénérationélevée–cequisignifiequelaforêtserégénèreavec le temps – étaient souvent de taille petite ou moyenne, avec une valeur commerciale plus modeste, un contrôle et un suivi local important, et une action collective forte pour améliorer la qualité de la forêt.

Nous avons donc ce groupe de variables qui vont ensemble : contrôle et applicationdesrègles,densitéettailledelaforêt(figure1.4).

Figure  1.4. Relation entre la taille du commun forestier et les probabilités estimées de dégradation et de régénération, selon le niveau d’application des règles.

Chaque courbe représente la probabilité de dégradation (gauche) et de régénération (droite) suivant l’évolution de la taille de la forêt (en log) pour un niveau donné d’application des règles (légende), les autres variables dans le modèle étant à leurs valeurs médianes. À gauche, on indique la probabilité de dégradation en ordonnée.

L’axe des abscisses représente la taille de la forêt. La courbe la plus haute correspond à l’absence totale de contrôle, la plus basse correspond à un contrôle strict. La probabilité de dégradation augmente donc avec la taille de la forêt, mais toute application des règles et tout contrôle par la population locale influent de façon très significative sur le niveau de dégradation. À droite, on représente la probabilité de régénération. On devrait observer le contraire et c’est le cas. Lorsque la forêt est bien contrôlée et les règles sont appliquées, la probabilité de régénération augmente à tous les niveaux de taille, mais moins dans les grandes forêts que dans les petites. Nous commençons donc à disposer de suffisamment d’études différentes pour pouvoir faire des analyses multivariées qui sont très importantes dans le temps.

Source : Chhatre et Agrawal, 2008.

Au moment où j’ai écrit Governing the Commons (traduit par Gouvernance des biens communs en français) en 1990, j’avais postulé que les sanctions progressives et le contrôle par les usagers étaient importants pour des systèmesdegouvernancerobustes.Lesdonnéesconfirmentcepostulat encoreetencore,cequifaitplaisir!Lesseptautresprincipesdirecteurs cités dans Governing the Commons ont maintenant été passés en revue

(12)

dansuneétudedeCoxet al. en 2010. Ils ont analysé 90 études différentes ciblant ouvertement les principes directeurs. Et ils ont fait du bon travail.

Mais revenons à cette notion de principes directeurs. Certains se demandentcequeçasignifie.Qu’est-cequec’estqu’unprincipedirecteur?

Et bien les sanctions progressives en sont un ; les systèmes qui deviennent robustes avec le temps sont fondés sur un genre de sanction progressive.

Les règles de délimitation* (de la ressource, de la communauté) en sont unautreexemple.Ilfautsavoirquelesrèglesdedélimitationspécifique peuventvarier;parexemple,unmembredevotrefamilledoitavoirrésidé dans une communauté depuis trois générations ou bien vous devez obtenir une autorisation ou bien vous devez avoir un diplôme universitaire etc.

Nous avons trouvé 128 règles de délimitation différentes sur le terrain. Le principedirecteursignifiequelesusagersontspécifiéetsesontmisd’accord surunerèglededélimitation.Larésistancedessystèmesauxdérèglements s’en trouve accrue avec le temps, mais nous ne savons pas quelle est la meilleurerèglededélimitationspécifiqueetjepensevraimentquenous n’en aurons jamais une car cela dépend énormément du type de ressource et du type de communauté.

Nousavonsdoncclarifiétoutcecietmescollèguesontmodifiémon constat initial de trois façons :

–tout d’abord, ils se sont penchés sur les délimitations et se sont aperçus que je n’avais pas bien séparé l’idée de délimitation entre individus et les délimitations de la ressource physique même. Ils ont donc maintenant une règlededélimitation1aet1bafindelespréciser;

–en ce qui concerne la congruence, ils font maintenant la distinction entre les règles congruentes avec les conditions locales sociales et socio- écologiques, et la distribution des bénéfices et des coûts. Ils ont donc apporté une précision supplémentaire ;

–en ce qui concerne le contrôle, ils ont inclus le contrôle de l’état de la ressource et des autres usagers.

Pendant vingt ans de recherche, un certain nombre de personnes ont soulevé des questions et tenté d’améliorer les réponses. Je suis très, heureuse de voir cette évolution. Leur article est publié dans Ecology and Society (Coxet al., 2010).

Pourquoi ces principes directeurs sont-ils importants ? Ils font référence au problème de l’accroissement de la durabilité. Si les règles de délimita- tion et le contrôle sont précis, les participants peuvent être assurés que les règles opérationnelles* mises en place seront suivies par les autres, car les règles de délimitation sont connues et les usagers effectuent un contrôle.

Ceuxquiconnaissentleseffetsdesrèglessontceuxquilesélaborent,ce qui augmente la durabilité. Le principe directeur concernant la résolution desconflitslocaux–etiln’existepasvraimentdegroupesansconflitocca- sionnel–permetauxgensd’exprimeretderésoudrececonflit.Ladiver- sité des unités de gouvernance, emboîtées telles qu’on les décrit, est très

(13)

importanteentermesd’apprentissage,d’expérimentationetd’amélioration.

Les grandes et les petites unités se renforcent mutuellement.

Je vais maintenant m’arrêter et je vous remercie d’avoir été si attentifs.

Je suis prête à répondre à vos questions.

Merci beaucoup.

Recherches à l’International Forestry Resources and Institutions

Une de nos premières analyses au sein de l’Ifri s’est appuyée sur plusieurs centaines d’études et a porté sur les effets d’un statut formel des forêts protégées. Ce statut était-il associé à une plus grande densité de végétation ?

Il s’est avéré difficile de répondre à cette question en début de recherche quand nous ne disposions pas de données dans le temps.

Heureusement, tout au début de notre travail, des gestionnaires forestiers professionnels ont évalué la densité ainsi que d’autres caractéristiques des forêts étudiées. Nous avons donc pu utiliser ces mesures pour comparer les forêts dans les cas où d’autres données écologiques n’étaient pas disponibles. La densité de la végétation d’une forêt a pu être estimée sur la base de toutes ses parcelles.

Nous avons donc étudié 76 forêts protégées jouissant d’un statut officiel de protection et vérifié soigneusement qu’elles étaient bien la propriété de l’État. Nous avons ensuite analysé les 87 autres forêts, dont certaines étaient la propriété de l’État, d’autres appar- tenaient au privé et d’autres à la communauté. En 2005, nous avons tenté d’expliquer la densité de végétation (de très éparse à très abondante), par diverses autres variables dont le statut de protection des forêts. Les résultats figurent ci-dessous.

Comparaison des évaluations de la densité de végétation dans 76 forêts protégées et 87 forêts hors zone protégée

Densité de végétation Très

éparse Diver- sement

éparse

Moyenne Abon-

dante Très abon- dante Forêts

protégées (N = 76)

13 % 21 % 36 % 26 % 4 %

Forêts hors zones protégées

6 % 22 % 43 % 26 % 3 %

Kolmogorov-Smimov Z score = 0,472, p = 0,979. Pas de différence significative. Source : adapté de Hayes et Ostrom (2005).

(14)

Si un étudiant en statistiques, présent ici aujourd’hui, est capable de trouver une différence statistique dans la densité selon les statuts des forêts, cela m’intéresserait beaucoup ; car tous mes étudiants sont affirmatifs, il n’y a aucune différence, et le Z-score12 est bien une façon de le vérifier.

Et pourtant, la protection de l’État est perçue comme la solu- tion… Les aires protégées, bien que j’en sois partisane lorsqu’elles sont établies dans le respect du citoyen, ne sont pas par essence la solution que l’on croyait. Si le statut officiel de protection n’est pas déterminant, la question se pose alors de ce qui l’est.

Nous avons trouvé plusieurs réponses, dont une qui a beaucoup surpris, car elle se rapporte au fait que les usagers se chargent eux- mêmes d’une grande partie du contrôle. Or si, dans un dilemme de premier ordre*, les gens ne restreignent pas leur prélèvement, pourquoi investiraient-ils du temps et des efforts à se surveiller entre eux, ce qui constitue un dilemme de second ordre* ? Et pourtant, c’est bien ce que nous avons commencé à constater très claire- ment en 2005. Nous avions demandé aux personnes interviewées si elles contribuaient au contrôle et avons fait plusieurs visites dans le temps. Nous avons trouvé une relation statistique très forte entre les contrôles réguliers et la densité de la végétation. De nouveau, quand nous avons voulu évaluer l’importance du type de gestion formel, nous avons constaté à l’inverse que la relation statistique n’était pas claire entre les variables relatives au type de régime foncier forestier et les changements de densité forestière.

Lorsque les usagers s’investissent dans le contrôle, la différence observée dans l’état des forêts est énorme.

Dans un article du Proceedings of National Academy of Science en 2006, Harini Nagendra et moi-même (2006) avons publié des analyses temporelles des changements dans le diamètre moyen des arbres à 1,30 m, dans la surface terrière13 et dans le nombre de tiges par unité de surface, qui sont toutes des variables clés prises en compte dans la littérature écologique. Nous avons analysé uniquement le type de régime foncier forestier et encore une fois nous n’avons trouvé aucune relation statistique. Nous avons ensuite vérifié que l’état des forêts étudiées était plus favorable si les usagers

12. Outilstatistiquequipermetdeconclureàlasignificativitéounond’unécartdansunprofil donné.LeZ-score,quiestunegrandeursansunité,exprimel’écartparrapportàlavaleur moyenne en déviation standard (ou encore écart-type). Un signe positif indique que la valeur mesuréeestsupérieureàlavaleurmoyennecible.Ici,unZ-scorede0,472signifiequelavaleur mesurée est distante de 0,47 écarts-type de la valeur cible moyenne. Si Z est inférieur à 2 (avec une probabilité de 0,5 %), on peut conclure de la justesse de la valeur dans le profil considéré.

13. La surface terrière totale ou moyenne d’une aire forestière donnée peut être calculée par la somme des surfaces de la section de tronc mesurée à 1,30 mètre du sol de tous les arbres de cetteaire;elles’exprimehabituellementenm²/hadesurface.

(15)

étaient ouvertement impliqués dans la mesure et le contrôle. Et là les résultats de l’analyse de variance (Anova)14 que nous avons réalisée figurent dans le tableau ci-dessous.

Impact de la tenure officielle et du contrôle forestier sur l’évolution de l’état des forêts (Anova).

Variables

indépendantes Évolution du diamètre

moyen à 1,3 mètre (DBH)

Évolution de la surface

terrière

Évolution du nombre

de tiges

Tenure (a) F = 0,89 F = 2,52 F = 1,00

Engagement dans le contrôle des règles (b)

F = 0,28 F = 10,55 (**) F = 4,66*

(a) Gouvernement, communautaire, privé. (b) Au moins un groupe d’usagers est impliqué dans un contrôle régulier des règles d’usage de la forêt.

(*) significatif à 0,5 ; (**) significatif à 0,0. Source : Ostrom et Nagendra, 2006.

14. Technique statistique permettant de savoir si une ou plusieurs variables dépendantes (appe- léesaussivariablesendogènesouàexpliquer),iciencolonnes,sontenrelationavecuneou plusieursvariablesditesindépendantes(ouvariablesexogènesouexplicatives),icienligne.

On calcule les différentes variances pour chacun des échantillons à comparer, et on fait le rapport de la plus grande sur la plus petite, ce rapport est F. Cette valeur est comparée, dans une table dite de Hartley à une valeur théorique et doit lui être inférieure pour un seuil de risque choisi (ici 99 % et 50 %).

Références

Documents relatifs

Considérons une bobine autour d'un noyau de section S constante et de longueur moyenne l alimentée par une source u (Figure 25) : la circulation du courant i crée dans le noyau

C'est parce que nous ne sommes pas habitués à tirer des plans sur la comète, qu'il nous sera facile de pénétrer pl us avant dans la réalité quotidienne alors que

Nous vous dirons comment, sans rien négliger de tout ce qui peut encourager l'effort, nous nous appliquons à faire de notre classe une grande conmrnnauté de

[r]

[r]

Attention V (X ) = 0 n'entraine pas que la variable aléatoire X soit constante, seulement que, pour la probabilité de l'espace, la partie où elle prend des valeurs diérentes de

On lance une pièce équilibrée, et on dénit la variable aléatoire Z comme valant 0 si la pièce donne face, et 1 sinon.. Il est alors direct que P engendre une probabilité, et que X

Si ce numéro est supérieur ou égal à k alors on note le numéro, sinon on remet le jeton dans l'urne et on retire un jeton dont on note alors le numéro.. Soit Y la variable