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Le musée dans la communication transfrontalière : un projet politique

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Academic year: 2022

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Le musée dans la communication transfrontalière : un projet politique

Stefan BRATOSIN

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* Maître de conférences – HDR, IUT de Tarbes – Université Paul Sabatier, Toulouse, LERASS, stefan.bratosin@iut-tarbes.fr

Résumé : L’étude met en évidence les enjeux politiques de l’exposition organisée au Musée du

« Bas Danube » de Călăraşi (Roumanie) et au Musée d’histoire de Silistra (Bulgarie) dans le cadre du projet européen « Héritage culturel historique sans frontière ». Elle dégage le rôle du musée en tant qu’organisation culturelle dans le processus de coopération transfrontalière en examinant trois

questions essentielles : a) le sens politique des objectifs culturels du projet, b) les dimensions locale, nationale et européenne des enjeux politiques et c) les incidences de l’instrumentation du musée local de culture et histoire.

Mots clés : musée, coopération transfrontalière, exposition, héritage culturel, intégration européenne

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The museum in the cross-border communication: a political project

Abstract: The study highlights the political stakes in the exposition organized to the Museum of the

« Down Danube » in Călăraşi (Rumania) and to the Museum of History in Silistra (Bulgaria) within the framework of the European

project « Cultural - Historical Inheritance Without Boundaries ». It puts in evidence the role of the museum as cultural organization in the process of transborder co- operation by examining three essential questions : a) the political

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sense of the cultural objectives of the project, b) the local, national and European dimensions of the political stakes and c) the incidences of the instrumentation of the local museum

of culture and history.

Key-words: museum, cross- border cooperation, cultural inheritance, European integration

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Dans le cadre du processus de coopération transfrontalière initié et développé par l’UE1 en Roumanie et en Bulgarie au moment où ces pays étaient candidats à l’adhésion, le projet « Héritage culturel historique sans frontière » – impliquant le Musée du « Bas Danube » de Călăraşi (Roumanie) et le Musée d’histoire de Silistra (Bulgarie) – a été finalisé, au mois d’octobre 2003, par une exposition commune2 qui illustre remarquablement le rôle politique du musée dans la médiation culturelle.

Figure 1. Affiche de l’exposition

1 Union Européenne.

2 Affiche fig.1.

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Cette exposition conjointe a été l’aboutissement d’un projet financé par l’UE dans le cadre du programme PHARE3, le principal instrument de la coopération financière et technique de l’UE avec les pays candidats d'Europe centrale et orientale. Il s’agit d’un projet dont l’objectif était de mobiliser, au travers des deux musées, les élèves et les étudiants des deux villes – Călăraşi (Roumanie) et Silistra (Bulgarie), villes situées sur les deux rives du Danube4 – dans un travail ayant deux objectifs majeurs : a) la découverte de l’héritage culturel commun et b) le développement de la connaissance mutuelle des deux communautés.

L’analyse suivante vise à mettre en évidence les enjeux politiques de l’exposition organisée au Musée du « Bas Danube » (Călăraşi) et au Musée d’histoire (Silistra) dans le cadre de ce projet et à dégager le rôle du musée en tant qu’organisation culturelle dans le processus de coopération transfrontalière en examinant trois questions essentielles : a) le sens politique des objectifs culturels du projet, b) les dimensions locale, nationale et européenne des enjeux politiques et c) les incidences de l’instrumentation du musée local de culture et histoire.

Figure 2. Position géographique de Călăraşi (Roumanie) et Silistra (Bulgarie)

Le sens politique des objectifs culturels du projet

Par son origine et par son contenu le projet « Héritage culturel historique sans frontière » relève du politique. Par son origine, parce qu’il participe d’un

3 Poland and Hongary Assistance for the Restructuring of the Economy.

4 Voir fig.2.

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programme de politique européenne5. Par son contenu, parce qu’il se propose de développer et de promouvoir, sous différentes formes, une communication qui est fondamentalement politique, car elle est produite « en réactivant les territorialités anciennes ou en créant des nouveaux principes d’identification » (Chevallier, 1991, p. 200). Ainsi, même si les trois principaux objectifs – développement du réseau de communication et de la coopération, connaissance mutuelle des communautés des deux rives, promotion de la culture commune – du projet « Héritage culturel historique sans frontière » portent sur des problématiques culturelles, leur sens est inextricablement politique. Dans l’Europe médiane, la culture est un enjeu politique (cf. Nowicki, 2000, p. 141-144).

Développement du réseau de communication et de la coopération

Si l’on considère que le développement du réseau de communication et de la coopération répond à une problématique culturelle dans l’espace transfrontalier concerné par le projet, alors le sens de cet objectif du projet est frappé par une absence manifeste de raison d’être. Les échanges entre les populations des deux rives ont ici un caractère historique et s’inscrivent dans une tradition millénaire dont la continuité à été brisée d’une manière significative uniquement pendant le totalitarisme communiste instauré en Roumanie et en Bulgarie après la deuxième guerre. Mais après la chute de ces régimes, les échanges culturels ont repris tout naturellement : expositions de peinture, festivals de musique, etc. Par conséquent, le projet ne contribue pas à combler un manque réel dans les relations culturelles, mais marquer une situation déjà existante.

Dès lors, le sens du développement du réseau de communication et de la coopération dans le projet « Héritage culturel historique sans frontière » est symbolique. Il s’agit, plus exactement, d’un sens symbolique opérant dans une perspective qui est « spécifiquement affaire de légitimité, c’est-à-dire de croyances et de mémoires validées » (Sfez, 1996, p. 3). Or cette perspective l’inscrit résolument dans la sphère du politique. L’incidence culturelle de cet objectif est concrètement assujettie à la nécessité de donner une visibilité au pouvoir politique (cf. Miège, 1989, p. 115). Ainsi cet objectif sert au pouvoir politique, d’une part, pour afficher localement un visage démocratique en contraste avec l’ombre du totalitarisme passé et d’autre part, pour internationaliser ce visage, via l’UE.

5 PHARE, programme mis en place en 1989 pour assister les pays de l’Europe centrale et orientale dans leur transition vers le régime démocratique et l’économie de marché, ainsi que dans la préparation, depuis 1998, des pays candidats pour l’adhésion à l’UE, dans le respect des critères de Copenhague, c’est-à-dire la stabilité des institutions démocratiques, le respect des droits de l’Homme, la protection des minorités, etc.

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Connaissance mutuelle des communautés de deux rives

Le deuxième objectif affiché par le projet « Héritage culturel historique sans frontière » ne relève lui non plus d’un but à atteindre. Il souligne seulement une réalité quasi quotidienne perpétuée sur les deux rives danubiens depuis le développement des communautés humaines dans cet espace géographique, c’est-à- dire, selon les attestations archéologiques, depuis 3100-2400 avant JC, car le Danube n’a jamais été perçu par ses riverains comme une frontière, mais plutôt comme l’axe central d’une région économique, géographique et historique. De plus, les migrations répétées – au gré des événements – des populations d’une rive à l’autre ont réunit culturellement les habitants des deux rives dans une seule communauté (cf. Boiagiev, 1995, p. 135-140). Cette communauté culturelle à été même mise en évidence par l’exposition organisée conjointement par le Musée du

« Bas Danube » de Călăraşi (Roumanie) et le Musée d’histoire de Silistra (Bulgarie).

La similitudes des objets exposés en témoigne :

Figure 3. Objets provenant de la rive droite du Danube

Ainsi, lorsque le projet se donne comme objectif la connaissance mutuelle des communautés des deux rives, il vise à mettre en exergue des lieux et des objets pouvant permettre dans une continuité culturelle l’expression de l’autorité d’un discours réactivant la frontière. Ce discours, légitimé politiquement par l’UE, sert à éviter la question délicate ici de la territorialité : une communauté, sans doute, mais, certainement, deux rives.

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Figure 4. Objets provenant de la rive gauche du Danube

Promotion de la culture commune

Le troisième objectif principal du projet « Héritage culturel historique sans frontière » s’oppose à l’objectif précédent : il postule la communauté de la culture des deux rives dont il convient de faire la promotion. Cette promotion ne vise pas cependant un aboutissement culturel, mais politique. La promotion de la culture commune par l’exposition conjointe de Călăraşi et de Silistra est orientée. Elle est principalement orientée par les fondements romain et chrétien de cette culture commune. Les objets exposés sont des traces sur les deux rives d’une culture romaine et chrétienne :

Figure 5. Vestige de culture romaine provenant respectivement de la rive gauche et de la rive droite du Danube

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Figure 6. Vestige de culture chrétienne provenant respectivement de la rive gauche et de la rive droite du Danube

Le sens de la promotion de la culture commune est la fixation de cet espace sur la scène politique européenne. Il s’agit de montrer l’appartenance de cette communauté culturelle à un autre communauté culturelle, celle de l’Europe (cf.

Rigaud, 1999, p. 171) et par conséquent de l’UE.

Les dimensions locale, nationale et européenne des enjeux politiques

Ainsi, aux trois objectifs du projet « Héritage culturel historique sans frontière » dont l’exposition conjointe prend en charge la médiation, correspondent principalement trois enjeux politiques : a) la visibilité politique d’un lieu stratégique, b) la légitimité politique d’un discours réactivant les frontières et c) la fixation de cet espace sur la scène politique européenne. Ces enjeux participent, par conséquent, d’une symbolique qui superpose trois niveaux politiques : le développement local, la démotivation des frontières nationales et l’intégration européenne.

Développement local

Historiquement, le développement de Călăraşi et de Silistra s’est fait en synergie.

Les villes se tenaient l’une face à l’autre. Après la deuxième guerre, pendant la période du régime communiste, le développement de ces deux villes a été assujetti au pouvoir central de leur pays respectif. En quelque sorte elles se sont tournées le dos. Au moment du projet, puisque la Roumanie et la Bulgarie étaient engagées dans le processus d’intégration européenne, les deux villes se retournaient de

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nouveau pour leur développement l’une vers l’autre, mais uniquement dans la mesure où elles se retournaient, en même temps, vers Bruxelles. Cette nouvelle orientation en termes de développement local est d’autant plus significative que les villes de Călăraşi et de Silistra se trouvent géographiquement au centre de l’eurorégion « Bas Danube », constituée de trois départements roumains et deux départements bulgares.

Figure 7. Carte de l’eurorégion « Bas Danube »

Dès lors le pouvoir politique de ces deux villes entend utiliser cette position géographique privilégiée pour le développement local en lui donnant une visibilité.

Pour parvenir à cela l’exposition conjointe de Călăraşi et de Silistra mettant en exergue l’héritage culturel et historique commun apparaît comme un vecteur médiatique idéal. Elle répond à un besoin de développement local et en même temps, elle satisfait aux engagements européens de ces deux villes, notamment à l’accord fondateur de cette eurorégion signé le 15 novembre 2001 à Călăraşi qui prône la coopération transfrontalière, entre autres, dans les domaines de la culture, de la science et de l’éducation.

Démotivation des frontières nationales sans leur mise en cause

Un second enjeu du projet « Héritage culturel historique sans frontière » est la démotivation des frontières nationales sans les mettre en cause. Cet enjeu vise un point sensible dans ces pays où le nationalisme orthodoxe majoritaire est influent dans la sphère politique. De plus, la frontière actuelle entre la Roumanie et la Bulgarie, notamment dans cette eurorégion est une discontinuité spatiale plutôt administrative que naturelle dont la production rappelle une histoire douloureuse,

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confuse, embarrassante. Or, la politique européenne d’intégration et de rapprochement des deux peuples grâce à la coopération culturelle transfrontalière au moyen du projet « Héritage culturel historique sans frontière » est dans le cas de Călăraşi et Silistra une tentative pour renouer avec le passé. Ceci dit, ce souci national de ne pas mettre en cause les frontières du pays par de tels projets rejoint une politique européenne favorable en ce sens. L’UE est une addition d’Etats- nations qui n’ont aucun intérêt à favoriser le renforcement de régions pouvant ensuite porter atteinte à leur souveraineté. Les Etats européens sont réticents quant à l’élaboration d’une législation à propos des régions, « les initiatives régionales sont tributaires, à tous les niveaux de leurs Etats-nations et (…) tous les projets patiemment élaborés peuvent être à tout moment remis en cause » (Pradeau, 1994, p.

316). Cette volonté d’effacer les frontières n’est pas accompagnée d’une harmonisation en matière juridique rendant nécessaire la mise au point d’accords spécifiques lors de chaque projet de coopération transfrontalière, puisque le

« mouvement d’unification a davantage été un mouvement de partage et d’unification qu’un mouvement d’uniformité car la diversité des droits nationaux n’a pas été atteinte pour autant » (Labayle, 1997, p. 505). En somme, le « sans frontières » dans l’intitulé de ce projet ne désigne pas l’effacement des frontières. Il désigne, au contraire le maintien des frontières, mais il indique en même temps une volonté conjointe pour leur démotivation.

Intégration européenne

La réalisation même du projet « Héritage culturel historique sans frontière » et implicitement de cette exposition est un acte d’intégration européenne. Cette exposition est l’indice d’une volonté politique dans un sens d’accepter cet espace culturel du bas Danube en Europe et dans l’autre sens de participer de l’Europe. La mise en évidence du caractère chrétien et romain des vestiges historiques retrouvés sur les deux rives est la manière de cette exposition de traiter la question de l’identité européenne de la culture de cet espace, c’est-à-dire de son appartenance au patrimoine culturel et spirituel européen. Néanmoins, cette manière demeure problématique, car la romanité des deux rives ouvre, d’une part, la discussion sur l’implantation slave dans un espace latin et, d’autre part, celle de l’opposition historique, toujours inachevée entre le christianisme oriental et le christianisme occidental.

Les incidences de l’instrumentation du musée local de culture et histoire Dans un contexte socio-économique où les besoins de la culture ne sont pas une préoccupation de premier ordre, un projet comme celui de l’« Héritage culturel historique sans frontière » devient pour un musée départemental d’histoire et de

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culture une opportunité extrêmement précieuse aussi bien pour faire valoir sa présence dans le paysage culturel local que pour rappeler son potentiel médiatique dans une société conquise par les nouvelles technologies. L’instrumentation politique du musée dans ces conditions est ainsi non seulement facile, mais aussi discrète. En réalité, cette instrumentation passe inaperçue, car elle s’inscrit ici dans l’ordre des choses. Depuis un passé pas très lointain, les acteurs gardent les réflexes d’une institution totalement asservie au pouvoir politique. Cela dit, l’orientation idéologique actuelle est différente et par conséquent, les effets de l’instrumentation sont également différents. Ils peuvent être qualifiés à la fois de positifs et de négatifs.

Effets positifs

Les principaux effets positifs de l’instrumentation politique du musée dans le cadre du projet « Héritage culturel historique sans frontière » sont a) la réitération symbolique d’une continuation culturelle et b) l’inscription du fonctionnement européen dans l’identité locale.

Réitération symbolique d’une continuité culturelle

L’exposition sur la communauté de culture de Călăraşi et de Silistra est avant tout un symbole. Elle n’apporte pas de nouvelles connaissances et elle n’est pas non plus le discours d’un programme éducatif (cf. Allard et Lefèvre, 2000). Elle rassemble et organise, certes, dans un contexte nouveau, différents référentiels (cf.

Davallon, 1999, p. 300-301), mais uniquement pour souligner sous une autre forme et avec des objets qui ne sont pas nécessairement inédits, des connaissances bien anciennes. Cependant, marquer d’une manière symbolique une réalité – celle de la culture commune – vécu par les populations des deux rives du Danube n’est pas sans effets sur la scène politique. Ainsi, la mise en cohérence du vécu des citoyens avec le discours du pouvoir local, toujours expression du pouvoir central, induit, au delà de toutes critiques et divergences politiques l’idée d’une unité et d’un « dire » vrai. Egalement, il faut remarquer ici les bases d’un passage parfois difficile à vivre pour toute une société et une forme d’éducation de cette société à son propre vécu.

D’où l’importance de se donner une symbolique nouvelle pouvant perpétrer le lien entre les deux rives, mais aussi de produire les outils politiques capables de maîtriser ce lien en quelque sorte naturel. Enfin la production d’une symbolique de la continuité à travers l’exposition de Călăraşi et de Silistra est une forme d’apprentissage à la démocratie, apprentissage dont les premiers bénéficiaires sont sans doute les représentants politiques locaux.

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Inscription des valeurs européennes dans l’identité locale

Un second effet positif de l’instrumentation politique de l’exposition de Călăraşi et de Silistra est l’inscription du fonctionnement européen dans l’identité locale en introduisant et développant pour les deux rives danubiennes la notion de « travail en commun ». Ainsi, même si l’instrumentation politique du musée n’est pas ici une nouveauté en soi, l’instrumentation afin de promouvoir une nouvelle forme de travail est inédite. Travailler selon les règles de l’UE, institution qui finance le projet, devient un élément d’identification, car il exprime manifestement l’adhésion à la politique européenne de coopération transfrontalière. Il s’agit plutôt d’une

« identité du même » que d’une « identité de soi » (cf. Cardy, 1997, p. 44).

Symboliquement, dans la sphère culturelle, la coopération bilatérale marquée par l’exposition conjointe de Călăraşi et de Silistra n’est pas uniquement le fruit naturel d’une communauté culturelle, mais aussi d’une façon de faire européenne. Elle est l’expression de la marque européenne posée sur l’identité locale en termes de production et médiation de la culture transfrontalière commune. Elle rappelle et par la même occasion réitère dans une certaine mesure la tradition locale de coopération culturelle entre les deux villes mais elle exprime un sens sensiblement estompé par rapport à celle d’entre les deux guerres où, par exemple la plupart des journaux de Silistra était imprimé à Călăraşi, où les lycéens de Silistra entamaient leurs études sur la rive droite pour les achever sur la rive gauche, où le courrier mettait seulement quelques heures pour traverser le Danube en barque d’une ville à l’autre, etc.

Effets négatifs

Les principaux effets négatifs de l’instrumentation politique des musées de Călăraşi et de Silistra sont a) la remise en scène du christianisme oriental et b) le rappel d’une continuité spatiale brisée artificiellement jadis par des accords étatiques.

Remise en scène de la symphonie byzantine

Si dans un sens la culture chrétienne commune mise en exergue par l’exposition de Călăraşi et de Silistra est une manière de marquer l’appartenance de cet espace à l’héritage culturel et spirituel européen, dans un autre sens l’importance donnée à la dimension chrétienne dans ce projet politique renvoie au rapport entretenu ici par l’orthodoxie avec le pouvoir politique. Apparaît ainsi, dans l’assemblage politique du projet « Héritage culturel historique sans frontière » une certaine ambiguïté aux limites du paradoxe : la volonté politique d’intégrer une Europe dont les valeurs démocratiques sont issues de sa culture judéo-chrétienne, tout en remettant en scène la symphonie byzantine du christianisme oriental qui politiquement ne voit aucune raison ni pour adhérer ni pour se fondre dans le processus de construction

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européenne. Dès lors, l’instrumentation politique du musée en comptant sur la dimension chrétienne pour marquer l’appartenance à une culture européenne rend service à une tendance hantée par la dimension nationale du christianisme oriental.

En d’autres termes, le paradoxe vient du fait que la symbolique de l’exposition dans son ensemble s’inscrit dans une démarche d’ouverture vers l’Europe alors que la symbolique des objets religieux renvoie vers un renfermement culturel entre les limites du national, voire même ethnique.

Rappel d’une continuité d’espace

En employant le musée pour montrer la continuité culturelle les acteurs politiques ne peuvent pas ne pas rappeler d’une manière indirecte la continuité d’un espace géographique découpé administrativement à un moment donné, découpage engageant le déplacement des populations qui revendiquent toujours le dédommagement prévu dans les accords entérinant ce partage. C’est ainsi qu’une autre symbolique apparaît qui est de l’ordre du paradoxe également : construire la mémoire sur l’oubli. Politiquement, une telle démarche est un échec si l’on considère les ambitions d’intégration européenne des deux pays. Elle entretient également des analogies qui induisent la question de la transparence, du respect des droits de l’homme, etc., c’est-à-dire des valeurs et des principes démocratiques propres à la démarche politique sur lequel repose un projet européen comme celui de l’« Héritage culturel historique sans frontière » dont participe l’exposition organisée par les musées de Călăraşi et de Silistra.

Conclusions

Montrer que le musée de culture et d’histoire participe dans la communication transfrontalière d’un projet politique n’est ici qu’une manière de se mettre en situation pour saisir le problème et soulever la question fondamentale du sens du musée local à l’heure des programmes européens de coopération et d’intégration. En effet, à travers l’analyse de ce cas, apparaissent deux grands pôles autour desquels se regroupent essentiellement l’ensemble des interrogations dont l’intérêt porte sur le sens du musée considéré en rapport avec les conditions de production de sa communication. Le premier pôle est celui du rôle du musée dans cette production.

S’agit-il toujours d’un rôle culturel ? D’éducation ? De partage de connaissances ? S’agit-il d’un rôle social ? Politique ? Economique ? S’agit-il d’un rôle fonctionnel, normatif ou uniquement matériel ? S’agit-il d’un rôle d’agent ? Ou bien, s’agit-il d’une conséquence politique ? Le deuxième pôle est celui de la portée symbolique de la communication produite. Comment la symbolique du musée est mise à l’œuvre dans la symbolique politique ? Comment le musée prend en compte la symbolique politique ? En quoi consiste l’efficacité symbolique du musée ? Il y a, certes, dans cette analyse des éléments de réponse, mais ce n’est pas son objectif. Montrer ici que le musée de culture et d’histoire participe dans la communication

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transfrontalière d’un projet politique, c’est simplement tenter de légitimer une façon de regarder dans un lieu précis, celui du musée, les rapports entre la communication politique et la communication culturelle.

Bibliographie

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Références

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