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Chronique Les origines du nom de Dubosville, arrondissement de Tunis Jean-Claude DUBOS

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Chronique

Les origines du nom de Dubosville, arrondissement de Tunis Jean-Claude DUBOS

En 1877, la Compagnie du Chemin de Fer de Bône à Guelma qui venait d’être créée, filiale de la Société de construction des Batignol- les, obtint du gouvernement beylical la concession de la construction du chemin de fer de Tunis à la frontière algérienne. Habituellement, la direction de ces travaux était confiée à un ingénieur, polytechni- cien et centralien, mais on ne sait pour quelle raison le choix de la Compagnie se porta sur un conducteur de travaux, Ismaël Dubos, dont toute la carrière s’était déroulée, non dans les chemins de fer, mais au service de navigation de la Basse Seine où, depuis 1848, il avait été en poste successivement en Seine inférieure (maintenant maritime) à Duclair, Rouen et Saint-Pierre-les-Elbeuf, puis, à partir de 1866, à Freneuse (Yvelines). C’est de là qu’il partit en juin 1877 pour rejoindre Tunis.

Ismaël Dubos était né le 1er juillet 1830 à Abbeville où sa fa- mille était fixée depuis plusieurs générations. Une de ses grand- mères, Catherine-Julie Dumoulin était petite-cousine du poète Char- les-Hubert Millevoye, né aussi à Abbeville (1782-1816). Les Mille- voye étaient apparentés à Pierre Cordier (1777-1861), un des savants qui accompagnèrent Bonaparte en Égypte en 1798 et qui fut aussi membre de l’Institut et des conseils d’administration des grandes compagnies ferroviaires. Peut-être y avait-il fait entrer des compa- triotes abbevillois qui auraient pu favoriser la carrière d’Ismaël ? Ou simplement le chantier était-il trop peu important (191 km de Tunis à Ghardimaou) pour être confié à un ingénieur ? Il était d’ailleurs su- pervisé par M. Duportal, ancien élève de l’École des ponts et chaus- sées, ingénieur de la Compagnie Bône-Guelma, en poste à Bône.

Pendant le siège de Paris, en 1870, Ismaël Dubos s’était engagé dans les compagnies auxiliaires du Génie, fondées par l’architecte Viollet-le-Duc et y avait obtenu le grade de capitaine. Sa promotion au grade de chevalier de la Légion d’honneur, le 7 février 1871, indi- que qu’il avait été chargé de la fortification de plusieurs bastions de la ceinture nord de Paris et qu’il avait pris part aux combats de Champigny et du Bourget, en novembre et décembre 1870.

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On aimerait connaître les premières impressions d’Ismaël Dubos lors de son arrivée à Tunis en 1877. Malheureusement, il n’a laissé ni lettres, ni souvenirs, mais on peut supposer qu’elles ne furent guère différentes de celles des voyageurs débarqués à La Goulette et arri- vant à Tunis par la Compagnie Rubattino, le chemin de fer italien ; comme en 1885 Charles Contejean, professeur à la faculté de Poi- tiers, qui écrit dans ses carnets de voyage :

« La population est extrêmement mêlée. En quelques instants, on peut observer toutes les nuances de la coloration humaine, depuis le blanc pâle et chlorotique de certains enfants d’Israël à la chevelure rousse, jusqu’au noir de cirage des nègres du Soudan. Les mendiants pullulent, ainsi que les portefaix et les pauvres diables dont la nudité est à peine couverte par les haillons ou par une grosse toile d’emballage. Contrastant vivement avec ces misères, circulent des élégants à la mode du jour, c’est-à-dire chaussés trop court et super- bement drapés dans des vêtements blancs ou multicolores en fine étoffe lustrée. Ainsi que la plupart des étrangers, ils tiennent à la main l’éventail mauresque, lequel ressemble à une girouette.

D’énormes juives aux genoux cagneux se débattent avec leur mar- maille. De loin en loin, une femme arabe traverse timidement la chaussée, empaquetée dans une sorte de linceul blanc tout d’une ve- nue et gracieuse comme un sac ambulant. Le petit voile noir trans- versal qui couvre le visage ne laisse apercevoir que les yeux. Ajouter pour compléter le tableau, les employés et soldats du bey dans leur sombre et disgracieux uniforme européen, les officiers et les soldats français, les Juifs et les Maltais au costume hybride, mi-arabe, mi- européen, enfin les Français et les Françaises, les Italiens et les Ita- liennes. »

Telle est la vision, que dut avoir Ismaël Dubos à son arrivée à Tunis. Il n’est pas possible de savoir si, comme Contejean, il remar- quait « le contraste entre nos vêtements étriqués et la tenue orientale si ample et élégante et que tous ces hommes drapés à la manière antique avaient une allure infiniment plus fière et plus noble que nous autres, malheureux civilisés. »1

1 AVELANGE (Noëlle), VALENCE (Françoise) & MALVEZY (Thierry), Les carnets de voyage de Charles Contejean (1882-1888), Montbéliard, So- ciété d’émulation, 2008.

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Les archives de la Compagnie de Bône-Guelma ne contiennent malheureusement pas de relation de la construction du chemin de fer de Tunis à la frontière algérienne. Nous savons seulement que la première section Tunis-Tébourba (35 kilomètres) fut inaugurée par le bey en mars 1878, qu’en 1879 la ligne atteignait Oued Zarga et que c’est en mars 1880 qu’elle arriva à Ghardimaou à la frontière algé- rienne, après avoir traversé Béja et Souk el-Arba. En cette même année, la Compagnie de Bône-Guelma obtint la concession de la construction de la ligne de Tunis à Sousse.

En juillet 1880, eut lieu un événement qui put avoir une in- fluence heureuse sur la carrière d’Ismaël Dubos : le mariage de sa fille Lucy, née à Rouen en 1860, avec une jeune Italien, Rodolfo de Matteis, né à Tunis en 1856 d’une famille originaire de Livourne. Il est possible que, en plus de ses qualités personnelles, ce mariage franco-italien ait pesé dans la balance lors du choix fait par le rési- dent général Paul Cambon d’Ismaël Dubos, le 22 novembre 1883, comme premier vice-président de la municipalité (on disait maire en français) de Tunis. Il représentait un pont entre les communautés française où, nouvel arrivant, il était sans doute peu intégré, et ita- lienne, entre lesquelles les tensions étaient vives.

C’est donc à Ismaël Dubos que revint la responsabilité de prési- der à la construction du nouveau Tunis. « À cette époque, écrira son petit-fils Henri Dubos, (mon père), la ville européenne, si étendue aujourd’hui, n’existait pour ainsi dire pas et les territoires maréca- geux du lac el-Bahira baignaient le pied des remparts de la médina de part et d’autre de Bab el-Bahr, appelée par la suite Porte de France.

Un travail urgent d’assainissement s’imposait : l’assèchement des marécages malodorants et pestilentiels, foyers des moustiques géné- rateurs de paludisme. C’est à cette tâche que, pour commencer, se consacra mon grand-père. Ensuite il dirigea les travaux de voirie pour la construction de longues artères en ligne droite comme l’avenue de Carthage et l’avenue de Paris, tandis que des immeubles de style européen s’édifiaient de part et d’autre. En couronnement de ces travaux, Ismaël Dubos tint à ce qu’une sorte d’esplanade plus large, avec, en son axe, un immense terre-plein planté de ficus qui, en été, dispenserait leur ombre, joignit en ligne droite Bab el-Bahr au lac el-Bahira, dessinant une véritable croix avec l’avenue de Car-

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thage et l’avenue de Paris. C’était le boulevard de la Marine, devenu ensuite avenue Jules Ferry, et depuis 1956 avenue Bourguiba.

Ismaël Dubos ne s’en tint pas là. Les ruines de l’aqueduc qui amenait l’eau du Jebel Zaghouan à la Carthage romaine lui donnèrent l’idée de puiser aux mêmes sources pour alimenter Tunis de cette eau bénéfique. »

Deux mois après la démission d’Ismaël Dubos, en décembre 1888, Tunis reçut la visite d’un illustre voyageur, Guy de Maupas- sant, et les quelques lignes que nous extrayons de son ouvrage La vie errante constituent le plus bel hommage que l’on ait rendu à Ismaël Dubos :

« Tunis est une ville saine, très saine… Après le département des Landes, le plus sain de France, Tunis est l’endroit où sévissent le moins les maladies ordinaires de nos pays. La salubrité indiscutable de Tunis ne peut être attribuée qu’à la pureté parfaite de l’eau que l’on boit dans cette ville, ce qui donne raison aux théories modernes sur la propagation des germes morbides. L’eau du Zaghouan, en ef- fet, captée sous terre à quatre-vingt kilomètres environ de Tunis, parvient dans les maisons sans avoir eu avec l’air le moindre contact et sans avoir pu recueillir par conséquent la moindre trace de conta- gion. »

L’histoire de la ville de Tunis, publiée en 1926 sous la direction de Roger Dessort, s’étend peu sur l’administration d’Ismaël Dubos et ne cite qu’un acte, qui pourrait lui être reproché si nous ne nous re- placions pas dans le contexte de l’époque, où l’hygiène tenait dans les esprits, particulièrement ceux des dirigeants, la même place qu’actuellement pour nous l’écologie. Ce sont des préoccupations hygiénistes qui ont amené Ismaël Dubos et le second vice-président de la municipalité, M. Valensi, à prendre un décret selon lequel le service municipal des Pompes funèbres avait le monopole de l’inhumation de tous les Tunisois, y compris juifs et musulmans. S’il ne semble pas y avoir eu de réaction de la part de ces derniers, celle de la population juive fut extrêmement violente. Une manifestation eut lieu contre la municipalité dont les vitres furent brisées à coups de pierre. Un des manifestants, un clerc de notaire, fut blessé par balle par un agent de police, et Ismaël Dubos fut obligé de se réfugier chez sa femme de ménage. Naturellement, le décret fut rapporté.

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C’est quelques mois plus tard, le 25 octobre 1888, qu’Ismaël Dubos donna sa démission, à la suite d’un différend avec les mem- bres du conseil au sujet, semble-t-il, de la plantation d’arbres. À cette occasion, le quotidien Tunis-Journal publia un article qui lui était entièrement favorable, et même en tous points élogieux :

« Fatigué, surmené par le travail absorbant qu’il a accompli seul pendant quatre années, M. Dubos a donné sa démission et rien n’a pu le faire revenir sur sa décision. La police, la voirie, le service des eaux, la constatation des décès, l’alimentation publique, tout a été créé de toute pièce, réglé, mis en mouvement à peu de frais, avec des ressources minuscules… La Marine, ce magnifique boulevard, n’était en 1883 qu’un cloaque, surtout en temps de pluie. Actuelle- ment, de larges allées, deux routes parallèles bien entretenues, des arbres superbes font de cette belle avenue une des plus belles prome- nades de la Méditerranée. » Caractère droit et juste, ne jugeant les choses qu’après un mûr examen, mais ne démordant pas une fois ses convictions établies, M. Dubos cache sous des aspérités qu’il ne cherche pas à masquer, un cœur excellent et bien de ceux qui, tout bas médisent de lui, n’ont eu qu’à se louer de ses bons offices. Il avait le grand défaut, paraît-il, d’être un « homme technique » et de battre en brèche, de démolir d’une chiquenaude les projets que des jeunes gens inexpérimentés avaient formés pour la transformation de la ville. »

Ce que ne dit pas Tunis-Journal, c’est que, pendant qu’il préparait les plans du nouveau Tunis, sa porte était assiégée - et leur restait obstinément fermée - par des solliciteurs qui auraient voulu connaître l’emplacement des nouvelles avenues afin de s’enrichir en spéculant sur les terrains.En même temps qu’il était le premier maire français de Tunis, Ismaël Dubos était aussi le premier di- recteur des Chemins de fer tunisiens et c’est la raison pour la- quelle le quartier qui porte son nom à Tunis est celui de la gare où devaient loger les ouvriers et les employés de la Compagnie Bône-Guelma. Notons, pour la petite histoire, que son successeur fut un ingénieur centralien, Philippe Néel, qui épousa Alexandra David, et finança les premiers voyages de sa femme qui, par re- connaissance envers son ex-mari (leur séparation eut lieu en 1911), a signé ses ouvrages du nom d’Alexandra David-Néel.

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Ismaël Dubos est mort à 64 ans, le 1er décembre 1894, dans la villa qu’il s’était fait construire près de Tunis à Maxula-Radès. Il avait fait venir en Tunisie et entrer dans les services de la Compagnie Bône-Guelma, ses deux fils Jules et Ismaël. Jules, mort jeune à moins de cinquante ans avait épousé en 1892 Emma Saccoman, d’une famille provençale réfugiée en Tunisie pendant la Révolution, remariée par la suite à un M. Chabert. Ismaël, mon grand-père, né en 1866 à Saint-Pierre-les-Elbeuf, avait perdu sa mère à sa naissance.

Son père (mon arrière-grand-père, notre Ismaël Dubos), à trente-six ans, était deux fois veuf : de Louise Chion, mère de Jules, décédée à 28 ans en 1855, et d’Emma Bertault, mère de Lucy et d’Ismaël, dé- cédée à 30 ans en 1866. Emma Bertault était poétesse et avait publié, en 1858, dans un journal d’Elbeuf, un long poème, intitulé Ismaël, inspiré, non pas par son mari, mais par l’histoire d’Agar et d’Ismaël dans le désert.

Ismaël Dubos fils a fait toute sa carrière dans les chemins de fer tunisiens, comme chef de section de la ligne Sousse-M’saken. Ce fut l’un des membres fondateurs de la Société archéologique de Sousse en 1903 et, en 1905, il épousa sa cousine germaine Léontine Bertault, institutrice en Normandie, qu’il fit venir en Tunisie. Elle enseigna à Sousse, à l’école de la rue Khérédine, où est né mon père, en 1907, puis à l’école de la gare dont elle fut la première directrice. Dans les années 1920, elle fut nommée directrice de l’école de la rue Hoche (actuelle rue de l’Inde) à Tunis et, lorsque elle prit sa retraite en 1930, elle se retira avec son mari en Normandie. Mon père les rejoi- gnit un an plus tard, à l’issue de son service militaire. Après 1945, il ne restait en Tunisie qu’un seul petit-fils d’Ismaël Dubos, Henry de Matteis, propriétaire d’un magasin d’électricité et aussi du poste Radio-Tunis, qui fut confisqué par les Allemands en 1943. À la libé- ration, Henry de Matteis fut arrêté, emprisonné à Alger et jugé (mais acquitté) sous l’inculpation de n’avoir pas saboté ses installations (ce qui lui aurait probablement coûté la vie…).

Après la mort d’Ismaël Dubos, la ville de Tunis avait donné son nom à une de ses avenues aboutissant à la place Pasteur. Depuis l’indépendance, elle porte le nom d’Alain Savary, le ministre qui signa les accords avec Habib Bourguiba lors de l’indépendance de la Tunisie en 1956. Lors de la fermeture du cimetière de Bab el Khadra c’est la municipalité de Tunis qui prit en charge le transfert de son

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monument dans le nouveau cimetière européen. Dubosville a conser- vé son nom, ce dont sa famille peut être légitimement fière.

C’est son petit-fils, mon père, Henri Dubos, qui a fondé la sec- tion bisontine de l’Association France-Tunisie. Avec elle, il a orga- nisé plusieurs voyages en Tunisie. Il a aussi publié ses souvenirs d’enfance et de jeunesse à Sousse et à Tunis dans Diaspora sfaxienne, revue fondée et dirigée par Marcel Reggui, ancien profes- seur au collège de Sfax, établi à Orléans, avec qui mon père avait une autre amie commune, Huguette Berthier, fille de l’adjointe de ma grand-mère à l’école de la gare à Sousse, et elle aussi professeur à Sfax.

Jean-Claude Dubos Ancien élève de l’École des chartes Bibliothécaire (e.r.) à la médiathèque de Besançon

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