« Vous sentez moins ici, davantage là » (Henri MICHAux 1).
Quelle place occupe la musique savante de notre temps dans notre pay- sage culturel ? C’est un hasard bien mince qui, dans notre vie quotidienne, peut présider à la rencontre de nos oreilles avec la création contemporaine.
1. Connaissance par les gouffres ; cité par RoMItELLI (Fausto), Professeur Bad Trip, 1998-2000, en exergue.
espaces de diffusion et de sensibilisation stéphane Bigot
Résumé
l’article analyse les politiques de médiation et de diffusion de la musique contemporaine depuis la création du ministère des affaires cultu relles en 1959. S’il est sûr que l’état a privilégié — non sans variations notables — la création, il est égale- ment avéré que ses choix en faveur d’une véritable démocratisation ont été trop inconstants pour faire connaître à la musique d’aujourd’hui le sort actuel de l’art contem porain. alors que depuis plusieurs années l’état se replie progressivement sur son soutien à des structures de prestige, émerge une nouvelle figure du compo siteur, ayant médité l’histoire de la musique contemporaine de Darmstadt à l’ institut de recherche et coordination acoustique/musique (ircam), ouvert aux expéri- ences aux marges des musiques populaires — le rock expérimental, le free-jazz — et aux langages extra-européens, soucieux de rencontrer les oreilles, la sensibilité et l’intelligence de l’auditeur et non le seul chavirement ébahi du commanditaire.
Mots-clés : enseignement, ministère de la Culture, politique culturelle, pratiques musicales, compositeur-médiateur, audition active, Institut de recherche et coordination acoustique/musique (Ircam).
Abstract
This article analyzes the politics of mediation and distribution of contemporary music since the creation of the Ministry of Culture in 1959.
While the government has favored creation — not without some remarkable variations — it is also reco gnized that its choices in favor of real demo- cratization have been too irregular to improve the fate of contemporary music as it has that of contem- porary art. While the government has steadily turned to supporting prestigious groups over the last several years, a new kind of composer is emer- ging — one who is impregnated with the history of contemporary music from Darmstadt to the institute for research and Coordination in acous- tics and Music (ircam), who is open to experiences on the margins of folk music (experimental rock, free-jazz) as well as to musical languages from out- side europe, and who is concerned with listeners’
faculties, sensitivity and intelligence and not just the sponsor’s glowing praise.
Keywords: teaching, Ministry of Culture, cultu- ral policy, musical practices, composer, media- tor, active listening, Institute for Research and Coordination in Acoustics and Music (Ircam).
La muzak a envahi depuis plus d’un demi-siècle les parkings souterrains et les aires d’autoroutes, les élevages industriels et les galeries commer- ciales, les ondes et les réseaux. Les œuvres du passé peuplent de leurs titres les programmes des concerts et de leurs esthétiques les bandes- son de la publicité et du cinéma. Les industries culturelles — les grands éditeurs phonographiques, mais aussi les producteurs du 7e art, les four- nisseurs d’accès internet et multimédia — exploitent les productions de la sphère commerciale — qu’elles soient issues des musiques populaires ou du patrimoine savant — en usant des recettes du marketing et en investissant tous les canaux de la communication. Ce constat — qui nour- rit toute « l’interprétation écologique 2 » du marché — établit que la créa- tion musicale d’aujourd’hui est loin de connaître la relative banalisation de l’art contemporain.
L’antienne sur le divorce depuis longtemps consommé entre la musique contemporaine et le public est toujours d’actualité, souvent pour déplorer ou accuser la marginalité de la première et l’indifférence du second. Les propos de Pierre-Michel Menger tenus au début des années 1980 dans le Paradoxe du musicien 3, de Michel Schneider dans la Comédie de la culture 4, de Bruno Letort dans Musiques plurielles 5 et de Stéphane Lelong dans Musique nouvelle 6 une décennie plus tard, ont trouvé des échos dans Pour la musique contemporaine 7 de Richard Millet au début de ce siècle et tout récemment chez Philippe Manoury dans la musique du temps réel 8. Alors que leurs approches et leurs démarches
2. MENGER (Pierre-Michel), « Le Public de la musique contemporaine », dans NAttIEz (Jean-Jacques) (dir.), Musiques : une encyclopédie pour le xxie siècle, vol. I, Musiques du xxe siècle, Le Méjan, Actes Sud/
Paris, Cité de la musique, 2003, p. 1180.
3. P.-M. Menger met en évidence la « relation paradoxale » entre l’isolement social des compositeurs de musique sérieuse auxquels le public témoigne une grande indifférence et la « consécration institu- tionnelle » dont ils bénéficient, MENGER (Pierre-Michel), le Paradoxe du musicien : le compositeur, le mélomane et l’état dans la société contemporaine, Paris, Flammarion, 1983.
4. « Que le public, non pas pris en masse, mais le public cultivé, ami et familier de la musique, rejette à ce point et aussi constamment une certaine musique “vivante” est peut-être un fait regrettable, mais c’est un fait » (SCHNEIDER [Michel], la Comédie de la culture, Paris, Le Seuil, 1993, p. 95).
5. « La musique contemporaine souffre depuis de nombreuses années d’une réelle difficulté à s’adapter au monde d’aujourd’hui. Son rôle avant-gardiste s’est érodé au fil du temps. Sa fonction sociale s’est dissipée. Les pouvoirs politiques, en voulant manipuler l’art musical, ont élargi ce gouffre entre société et compositeur » (LEtoRt [Bruno], Musiques plurielles : essai, Paris, Balland, 1998, p. 9).
6. « Beaucoup de gens s’intéressent à l’art cinématographique, à la littérature, à la peinture de leur époque, mais sont malheureusement un peu déroutés par la musique de leur temps, la rejettent et gardent très souvent un a priori péjoratif de ce qu’ils ont eu l’occasion d’enten dre comme étant “académique” » (LELoNG [Stéphane], nouvelle musique : à la découverte de 24 compositeurs, Paris, Balland, 1996, p. 9).
7. Richard Millet considère son livre comme une « sorte de défi : celui d’écrire sur la musique contem- poraine […], réputée difficile, élitiste, voire inaudible, par les bien-pensants » (MILLEt [Richard], Pour la musique contemporaine : chroniques discographiques, Paris, Fayard, 2004, p. 9).
8. MANouRy (Philippe), la Musique du temps réel, entretiens recueillis par omer Corlaix et Jean- Guillaume Lebrun, Paris, éditions MF, 2012 ; le livre s’ouvre sur la question du public.
n’ont guère de points communs, ces auteurs, à des périodes très diffé- rentes, produisent un même constat : la musique sérieuse ne touche guère le grand public. Pourtant la situation de la musique contempo- raine a évolué depuis la grande enquête de P.-M. Menger. Les orienta- tions des politiques publiques, les initiatives parallèles, l’accès du grand nombre aux nouvelles technologies, les positions des acteurs du monde musical et notamment des créateurs, les esthétiques des œuvres elles- mêmes ont dessiné un paysage très différent de celui des années 1980.
Le concert
Lieu toujours fertile, le concert propose un contact direct avec l’œuvre.
Sur la saison 2009-2010, les orchestres financés par le ministère de la Culture ont interprété 2 919 œuvres dont 19 % postérieures à 1950 9. Les formations membres de l’Association française des orchestres (AFo) proposent en moyenne quatre-vingts créations chaque année.
Entièrement consacré à la création actuelle, le concert s’adresse, sans exclusive, au cercle des mélomanes déjà initiés à l’univers de la création d’aujourd’hui. Assuré par un ensemble spécialisé en musique contemporaine, il joue résolument la carte de la nouveauté. C’est notam- ment la vocation de l’Ensemble intercontemporain (EIC) qui, passant commande auprès de compositeurs, crée leurs œuvres — par exemple érotique de l’allumette de Colin Roche en 2009 — ou révèle au public français des créations étrangères — comme Secret Forest de Dai Fujikura la même année au festival Musica. Dans une optique voisine, le concert prend du champ et panache créations et reprises d’œuvres récentes, dans un jeu d’éclairages mutuels, tissant des liens, des parentés et des oppo- sitions. Pour ses trente ans d’existence à Caen, le festival Aspects de la musique d’aujourd’hui a proposé dans sa programmation très riche un concert de musique de chambre où xenakis précédait Hersant, Eotvos, Penderecki, Fedele, ohana 10.
Dans des formules ouvertes à un plus large public, le concert peut par- courir le temps et mettre en perspective œuvres nouvelles et jalons majeurs de la musique de la seconde moitié du xxe siècle désormais entrés dans le patrimoine. En 2011, le Festival d’automne a braqué les projecteurs
9. LACRoIx (Chantal), Statistiques de la culture : les chiffres clés 2012, Département des études de la pros- pective et des statistiques (DEPS), Ministère de la Culture et de la Communication, La Documentation française, 2012.
10. Concert du vendredi 23 mars 2012 au Grand Auditorium de Caen.
sur les créations d’olga Neuwirth tout en proposant des interprétations de Pli selon pli de Boulez, des études australes de Cage, mais aussi d’Hindemith, de Schoenberg, de Stravinsky… Le concert peut aussi exposer le présent à la lumière du passé à l’instar de l’ensemble Accentus de Laurence Equilbey qui a investi l’abbaye du Mont-Saint-Michel le 15 juillet 2012 avec Bach, Ligeti, Mendelssohn ; ou élargir le compas à l’occident et aux autres cultures comme Momo kodama qui a placé son récital du 6 août 2012 dans le cadre du Festival international de piano de La Roque-d’Anthéron sous le signe des correspondances entre Debussy, Hosokawa et takemitsu 11.
Cette sensibilisation par le contenu du programme peut être relayée par des formes moins traditionnelles du concert qui, sans être récentes
— les dispositifs de Pierre Henry et de Michel Redolfi sont restés dans les mémoires —, ne sont pas encore banalisées 12. Le concert/installation du Groupe de musique expérimentale de Marseille (Gmem), trans’élec- tro acoustique, créé en 2002, fait découvrir les plages sonores de la création électroacoustique aux auditeurs allongés dans des transats.
Formidable vecteur de la création de notre temps, même s’il touche un auditoire restreint, le concert, avec ses formes variées, demeure un lieu incontournable de découverte et de familiarisation 13.
De la mise en espace à la mise en scène, l’on franchit les frontières ténues entre le concert et le spectacle. Pour bien des spectateurs, la musique trouve dans les autres dimensions de l’opéra — dont le moindre n’est pas la narration, même chahutée ou déconstruite — des soutiens et des prolongements. Ce genre, qui est aussi un lieu et que l’on avait dit condamné par l’histoire, peut être un espace d’écoute de nouvelles écri- tures musicales 14. Le décret fondateur de l’opéra national de Paris impose cette mission à l’opéra Bastille qu’à chaque saison il doit respecter 15. Ainsi en 2011, akhmatova de Bruno Mantovani, après Faust de Philippe Fénelon
11. Le programme entrelace trois pièces ou recueils de DEBuSSy (Claude), Deux arabesques, Suite bergamasque, estampes, l’isle joyeuse avec deux œuvres de HoSokAwA (toshio), étude 1-2 lines for piano, Haïku pour piano solo et une de tAkEMItSu (tōru), rain Tree Sketch.
12. Les formations qui développent de nouvelles formes de concerts et de relations avec le public peuvent bénéficier d’une aide de l’état définie dans la circulaire n° 2003/024 du 22 décembre 2003.
13. Voir NICoLAS (François) (dir.), les enjeux du concert de musique contemporaine, Paris, Centre de documentation de la musique contemporaine (CDMC)/Montpellier, Entretemps, 1997 et avec ESCAL (Françoise), le Concert : enjeux, fonctions, modalités, Paris, L’Harmattan, 2000 ; en prolonge- ment, le compte rendu de ce dernier titre, voir DoNIN (Nicolas), « Le concert, objet musicologique ? », Circuit, musiques contemporaines, vol. 12, n° 1, 2001, p. 87-95.
14. Lire notamment le dossier « L’opéra, création contemporaine », lettre de l’académie des beaux-arts, n° 48, printemps 2007.
15. « L’opéra national de Paris a pour mission de rendre accessibles au plus grand nombre les œuvres du patrimoine lyrique et chorégraphique et de favoriser la création et la représentation d’œuvres contemporaines » (décret n° 94-111 du 5 février 1994).
l’année précédente, aura figuré aux côtés des œuvres de wagner, Mozart, Puccini. Les opéras en région suivent les obligations similaires de leur cahier des charges 16. La programmation des commandes passées auprès de créateurs 17 est impérative pour les cinq opéras nationaux. En 2012-2013 l’opéra de Bordeaux présentera l’œuvre d’oscar Strasnoy, Slutchaï, faits divers sous la direction du compositeur, Montpellier un couplage inédit entre What next ? d’Eliott Carter et Jetzt, une création de Mathias Nitchke.
Au-delà du lieu opératique et des genres qui lui sont associés, de nom- breuses productions font appel à des formes spectaculaires. L’ensemble Linea a consacré à la Corée l’édition 2010 de son festival Champs libres à travers un programme éclectique mêlant musiques populaires coréennes (traditionnelle, rock, pop, électro), musique de création, spectacles multi- médias et chorégraphiques. Les deux parcours Corps sonores sur les compo- sitions de kaspar t. toeplitz et les chorégraphies de Nina Santes et Jonathan Schatz données cette saison à la Fondation Royaumont marient pratiques musicales, plasticiennes et chorégraphiques.
Mais, si le concert est le lieu de l’écoute qui vient spontanément à l’esprit, ce n’est plus l’espace unique de la découverte et de la sensibili- sation à la musique contemporaine 18. Il bénéficie de la complémentarité d’autres lieux.
Le domicile
Dans ce lieu essentiel fixe ou nomade 19, cohabitent les supports et les médias : le disque, la radio, l’Internet 20.
16. Le réseau national des opéras en région comprend treize maisons auxquelles l’état apporte son concours financier. Elles s’engagent à « faire vivre, par leur interprétation au contact du public, les œuvres lyriques du baroque au xxIe siècle », Cahier des missions et des charges pour le réseau national des opéras en région, 2010.
17. Les cinq pôles lyriques de référence (Bordeaux, Lyon, Montpellier, Lorraine, Rhin), ainsi que Angers-Nantes opéra, doivent « proposer une programmation abordant l’ensemble du répertoire, de la période baroque à nos jours, incluant régulièrement des commandes à des créateurs et une politique structurée d’accueil d’ensembles spécialisés », ibid.
18. Seuls 15 % des Français déclarant écouter fréquemment ou de temps en temps de la musique clas- sique (soit 56 % de l’échantillon) vont au concert (sondage BVA pour Classica et Pianiste, août 2006).
19. Selon la dernière enquête de la Sacem, 90 % des Français qui écoutent de la musique (soit 96 % des Français) le font à la maison, Sondage : les Français et la musique, 23 janvier 2011.
20. ibid. : l’auditoire de la musique classique (34 %) — dans son sens le plus large — reste davantage fidèle aux supports physiques (CD et DVD) que l’ensemble des Français qui privilégient la radio et la télévision. L’enquête sur les pratiques culturelles des Français (1997-2008) dirigée par olivier Donnat indique que seuls 8 % des Français déclarent spontanément la musique classique comme leur genre préféré ; voir DoNNAt (olivier), les pratiques culturelles des Français à l’ère numérique, enquête 2008, Paris, La Découverte/Ministère de la Culture et de la Communication, 2009.
Sous les effets de la crise du support 21, le disque de musique contempo- raine n’encombre pas les bacs des distributeurs ou des disquaires indépen- dants — en voie de disparition. une grande part de la vente de disques de musique contemporaine s’est toujours réalisée à l’issue des concerts ou par correspondance avec les labels ou les artistes (ou les institutions qui les ont accueillis). toujours limités à quelques centaines d’exemplaires, ces achats sont le plus souvent le fait de mélomanes passionnés 22. L’édition discogra- phique d’œuvres de musique contemporaine bénéficie de soutiens publics au titre de la diversité musicale : celui du ministère de la Culture, mais aussi de divers organismes : la Société des auteurs, compo siteurs et éditeurs de musique (Sacem), Musique française d’aujour d’hui (MFA) 23, le Fonds pour la création musicale (FCM) 24. D’autres acteurs publics peuvent conjuguer leurs actions en faveur du disque autour d’un événement fédérateur : le concours international de piano d’orléans consacré au répertoire pianis- tique après 1900 et qui impose aux finalistes la création d’une commande donne l’occasion aux différents partenaires de la manifestation (la Région Centre, le conseil général du Loiret, la Ville d’orléans, le ministère de la Culture) de produire les disques des lauréats du concours : wilhem Latchoumia 25, Florence Cioccolani 26… Des acteurs de la filière musicale contribuent également à l’offre discographique : l’Institut de recherche et de coordination acoustique/musique (Ircam) et ses collections
« Compositeurs d’aujourd’hui » chez Accord, et « Sirènes », l’Institut national de l’audiovisuel-Groupe de recherches musicales (Ina-GRM), les centres nationaux de création musicale (CNCM) 27, Radio France avec ses collec- tions Signature et Musique française d’aujourd’hui (en partenariat avec MFA) et sa collaboration avec Naïve pour Densité 21. L’aide publique est relayée ou renforcée par le mécénat de grandes entreprises ou de fondations 28.
21. Lire NICoLAS (André), l’évolution des marchés de la musique en France, 2003-2010, Paris, observatoire de la musique, 2011. Les disquaires indépendants bénéficient du soutien du ministère de la Culture depuis leur regroupement en 2002 dans le Club action des labels indépendants français (Calif).
22. Lire les témoignages recueillis par tISSIER (éric), Être compositeur, être compositrice en France au xxie siècle, Paris, L’Harmattan, 2010.
23. Le catalogue classique contemporain de MFA comporte actuellement 251 références (sur 556).
24. En 2012, les enregistrements de Pascal Dusapin par Vanessa wagner, ceux réalisés par les ensembles 2E2M et Variances ont bénéficié de l’aide du FCM.
25. Lauréat du 1er prix en 2006, il enregistre en 2007 chez Sisyphe Piano & electronics sounds.
26. Lauréate du concours en 2008, elle enregistre en 2010 chez Sisyphe le Temps recréé.
27. Le Groupe de recherches appliquées à la musique électroacoustique (Grame) à Lyon, le Groupe de musique expérimentale de Marseille (GMEM), le Centre international de recherches musicales de Nice (CIRM), La Muse en circuit à Alfortville, Césaré à Bétheny et le Groupe de musique expérimentale d’Albi (GMEA).
28. Quelques exemples : la Fondation France télécom a participé à la production du disque Capitolo novo des Cris de Paris sous la direction de Geoffroy Jourdain chez L’empreinte digitale en 2005 ; l’association Mécénat musical Société Générale soutient l’ensemble tM+…
Le soutien des pouvoirs publics est loin d’être négligeable, il accompa- gne l’investissement du mécénat privé et des labels et éditeurs discogra- phiques. L’amateur trouve également des ressources dans les catalogues des labels étrangers : wergo, kaïros, Cyprès, Hat Hut, etc. étroite mais diverse, sans être profuse, l’offre discographique de musique contempo- raine résiste aux bouleversements du marché du disque en raison de l’atta- chement des amateurs au support physique, de la politique des pouvoirs publics et des institutions et… de l’absence de téléchargement illégal.
Encore faut-il que l’offre soit connue de l’acheteur potentiel. La musique contemporaine a toujours bénéficié de l’implication de l’office de radiodiffusion-télévision française (oRtF) puis de Radio France
— avec des intensités variables, selon les orientations de leur prési- dence. À l’heure actuelle, les émissions de France Musique — il est inu- tile de chercher sur d’autres fréquences nationales une quelconque programmation de ce type — couvrent des esthétiques multiples : tout le spectre de la création musicale s’étend au fil des lundis de la contem- poraine dans le cadre du studio ou de retransmissions de concerts, les musiques électroacoustique, électronique et acousmatique trouvent leur place dans electromania et electrain de nuit, restant ainsi fidèle à l’héritage du studio d’essai où Pierre Schaeffer et Pierre Henry ont créé la musique concrète. Les commandes de Radio France 29 sont diffusées à l’antenne dans alla Breve.
Le concert, le disque et la radio élargissent leur audience au domicile des auditeurs/spectateurs en s’offrant sur Internet. Progressivement la toile a été investie par les divers acteurs de la création musicale d’aujour- d’hui : les compositeurs avec leurs sites personnels, les CNCM, les édi- teurs spécialisés, les réseaux comme Futurs composés, les institutions comme le Centre de documentation sur la musique contemporaine (CDMC) ou l’Ircam, les acteurs généralistes, les pouvoirs publics, les plateformes d’écoute comme Archipel de la médiathèque de la commu- nauté française de Belgique, jusqu’aux amateurs. Désormais tous les acteurs de la musique contemporaine participent à la diffusion multi- supports de la création musicale. Radio France est à la fois une fré- quence radio, un éditeur phonographique, un programmateur de concerts et de festivals (son festival Présences), un portail en faveur de la création musicale de notre temps où les émissions dédiées sont dis- ponibles à la réécoute. Les nouvelles technologies — dont l’apparition
29. En 2012 : de Jacques LENot, Floris music; de Daniel tERuGGI, images symphoniques, de Javier ALVAREz FuENtES, Jardines con Palmera…
aurait pu menacer le concert de musique savante — offrent de nouvelles opportunités d’écoute.
Sans occuper les mêmes espaces, la musique contemporaine emprunte les mêmes voies technologiques de diffusion que les musiques commer- ciales. Il faut souligner une exception majeure : la télévision ignore la création musicale d’aujourd’hui et la presse écrite généraliste lui consacre peu d’attention (même la presse musicale grand public la met rarement en avant).
Cette diffusion stimulée par l’usage des nouveaux médias a indénia- blement accru la consommation culturelle d’un public déjà assidu et elle semble élargir l’audience de la musique de création. Plus exactement, elle permet d’accentuer la porosité entre les deux cercles de diffusion distingués par Alain Surrans : le premier, constitué de professionnels et de passionnés ; le second, plus large 30, comprenant curieux, mélomanes, amateurs de musiques expérimentales et improvisées et qui a vocation à être élargi à tout auditeur 31.
L’indispensable médiation
La diffusion — même appuyée sur de nouveaux outils — a toutefois ses limites et doit être relayée par la médiation et l’action culturelles.
tous les acteurs collectifs ou institutionnels de la diffusion articulent désor- mais offre de musique et sensibilisation en ciblant les publics. Le concert et le spectacle connaissent des prolongements multiples dans des actions de sensibilisation : conférences, master class, expositions, répétitions publiques, rencontres, collaborations avec l’école, résidences de compo- siteurs. L’ensemble tM+ dirigé par Laurent Cuniot en résidence à la Maison de la musique de Nanterre s’est engagé dans une politique de ren- contre des publics sur la ville et dans le département des Hauts-de-Seine avec des concerts rencontres, des actions en milieu scolaire, des partena- riats avec le conservatoire. L’association Rhizome à Rennes intervient
30. « Existe un premier cercle dans lequel les œuvres se font entendre, connaître, par un petit nombre d’aficionados qui porteront vers d’autres cercles la réputation des musiques qu’ils ont élues. Ce pre- mier cercle est moins une élite qu’un petit monde de professionnels et de passionnés, au même titre que les galeristes pour les arts plastiques ou que le milieu de l’édition pour la littérature » (SuRRANS
[Alain], la politique du ministère de la Culture et de la Communication dans le domaine de la création musicale et de la musique contemporaine : analyse et propositions, Ministère de la Culture et de la Communication, La Documentation française, 2004.
31. Ces deux cercles paraissent appartenir au même profil de préférences distingué par CouLANGEoN
(Philippe), « La Stratification sociale des goûts musicaux », « Scènes et musiques », revue française de sociologie, vol. 44, n° 1, janvier-mars 2003, p. 3-33.
dans les classes à projet artistique et culturel (PAC) et mêle, dans son fes- tival ébruitez-vous ! dirigé par yves krier, concerts, rencontres et conférences.
Ces différentes actions de sensibilisation s’effectuent dans l’espace contigu des lieux d’écoute du concert et du spectacle. Il peut paraître toutefois étonnant qu’elles négligent ou ne touchent guère ceux dédiés à la formation et à l’éducation.
L’école
La puissance publique dans le sillage du plan Landowski a privilégié l’enseignement spécialisé 32 et son public restreint. Le répertoire contem- porain est présent dans la scolarité des élèves 33. Pour ceux qui souhai- tent prolonger leur apprentissage, le concours d’entrée au Conservatoire national supérieur de musique (CNSM) de Paris ou de Lyon comporte obligatoirement l’exécution d’une œuvre publiée après 1950. Hors les murs de l’enseignement spécialisé, les autres foyers de diffusion pro- posent des actions de formation et de sensibilisation de publics profes- sionnels. Les CNCM forment ainsi des médiateurs et engagent des actions auprès du public spécialisé tel qu’il est spécifié dans leur cahier des charges 34. Le Groupe de musique expérimentale d’Albi (GMEA) en corrélation avec ses activités de création et de recherche assure ainsi une mission de formation et d’accompagnement pédagogique auprès de jeunes compositeurs, d’étudiants du conservatoire du tarn.
Si l’éducation nationale s’est ouverte à des partenariats depuis plu- sieurs années et permet l’intervention de compétences extérieures, elle demeure bien timide dans la diffusion de la musique de notre temps. Sans brosser ici l’histoire des tentatives de rapprochement avec
32. on compte aujourd’hui 441 conservatoires dont 290 à rayonnement communal ou intercommunal (CRC ou CRI), 109 à rayonnement départemental (CRD), 42 à rayonnement régional (CRR).
33. La Charte de l’enseignement artistique spécialisé en danse, musique et théâtre du 2 novembre 2011 définit les missions des établissements : « Les établissements dispensent des enseignements riches et diversifiés, proposant, sur un territoire donné, l’ensemble des expressions artistiques d’aujour d’hui. […]
une attention et une place constante sont accordées tant à la création contemporaine et aux cultures émergentes, qu’aux patrimoines artistiques, témoignant à la fois de l’histoire, de la vitalité et du renou- vellement de chaque discipline. » Les programmes de l’enseignement spécialisé sont consultables dans le Bulletin officiel du ministère de la Culture et de la Communication, hors-série, n° 2, 2007.
34. Le cahier des charges formule notamment deux enjeux professionnels : « favoriser l’insertion et l’accueil de jeunes musiciens (stages pour des étudiants, notamment ceux qui préparent un diplôme national supérieur professionnel, contrats de professionnalisation, formation en alternance…) ; avoir la capa- cité à assurer des actions de formation professionnelle et continue dans le domaine de la création musicale et des nouvelles technologies qui y sont associées », Cahier des missions et des charges des centres nationaux de création musicale, 2010.
la création musicale 35, remarquons simplement que les programmes de l’éducation musicale s’adressent à tous les élèves de la maternelle à la 3e, mais que les horaires réduits ne permettent pas de mener avec efficacité un véritable éveil à la musique et la constitution d’une culture.
Ils compor tent assez peu de références à la musique de notre temps hormis quelques œuvres à caractère didactique. Quant aux dispositifs présents au lycée (classes à horaires aménagés, enseignement de spé- cialité musique en série L, option facultative arts du son en série profes- sionnelle), ils sont destinés à des effectifs limités et n’illustrent en rien un quelconque objectif de démocratisation culturelle. Dans le cadre étroit de l’année de terminale, la musique contemporaine peut appa- raître : Dalbavie et Varèse en option facultative, John Cage en histoire des arts. En dépit des proclamations ministérielles, voire des publica- tions de circulaires, l’éducation nationale n’offre pas, à l’heure actuelle, une véritable sensibilisation à la musique.
Ce paysage de la diffusion témoigne d’une grande vitalité des acteurs, menacée par les lois hégémoniques du marché musical, contrainte de s’adapter aux évolutions des supports et des réseaux, soutenue — selon des lignes de force aux directions parfois changeantes — par les politi- ques culturelles des puissances publiques. Il montre aussi que son dyna- misme ne s’exerce qu’autour du concert et au domicile et qu’il ne touche pas, ou fort peu, l’espace de l’école — creuset du public de demain.
L’état de la médiation est le fruit de l’histoire des politiques culturelles, des relations parfois complexes entre les créateurs, les politiques et les réseaux de l’éducation populaire, du monde de l’enseignement, du par- tage souvent mouvant des rôles entre les tutelles et leurs soutiens.
Les intermittences de la diffusion et de la sensibilisation
Bien qu’inscrite dans le décret fondateur du ministère des Affaires culturelles en 1959, la mission de diffusion de la musique — et notam- ment de la musique contemporaine — est apparue tardivement dans le champ des actions de l’état 36. Sous la pression des milieux profession- nels, André Malraux — qui avait peu d’appétence pour cet art — finit
35. CoMBES (Malika), « La musique contemporaine et l’école », « Séductions musicales », Transposition.
Musique et sciences sociales, 2012, n° 2.
36. La politique musicale de l’état a été étudiée notamment par MENGER (Pierre-Michel), le Paradoxe du musicien, op. cit., et aussi par VEItL (Anne), Politiques de la musique contemporaine : le compo- siteur, la « recherche musicale » et l’état en France de 1958 à 1991, Paris, L’Harmattan, 1997, et encore par SuRRANS (Alain), la Politique du ministère de la Culture, op. cit.
par créer en 1966, au sein de son administration, un service de la musique dont il confie la direction à Marcel Landowski. Le choix d’un composi- teur plus soucieux de l’enseignement spécialisé que de l’action cultu- relle souhaitée par Pierre Boulez a exclu la diffusion de la musique contemporaine du projet des maisons de la culture qui mobilisait alors les forces vives du cabinet ministériel. La transformation de ce service en Direction de la musique, de l’art lyrique et de la danse (DMALD) en 1970 37 avec à sa tête Marcel Landowski n’a modifié en rien cette orien- tation initiale. Le Plan de dix ans pour l’organisation des structures musi- cales françaises publié en 1969 par M. Landowski vise, outre la création d’établissements d’enseignement spécialisé, « la rénovation et la création des orchestres et des théâtres lyriques régionaux ainsi que leur insertion dans la vie véritable de la région » et « le développement de la vie cho- rale » comme seuls vecteurs de diffusion 38. La question de la réception de la création musicale contemporaine est globalement négligée à cette époque et n’obtient qu’une attention ponctuelle lors de la création des commandes faites aux compositeurs.
La création de l’Ircam en 1974 et le rôle désormais majeur de son directeur, Pierre Boulez, la nomination de Jean Maheu comme directeur de la DMALD en 1975, les encouragements aux activités des CNCM 39, la fondation de l’Ensemble intercontemporain l’année suivante redéfi- nissent la politique de l’état en faveur de la création musicale. Ce sont surtout Radio France et la Sacem qui assurent l’essentiel de l’effort de diffusion de la musique contemporaine auprès du grand public.
Le ministère de la Culture s’engage plus profondément dans cette mission après l’alternance politique de 1981. Suivant le mot d’ordre de Jack Lang aux Assises nationales de la musique en décembre 1981 : « une politique de la musique, c’est d’abord peut-être, dans tous les sens du mot, une politique de la création », le directeur de la musique, Maurice Fleuret, encourage la création et la pratique musicale tant chez les pro- fessionnels que chez les amateurs afin de favoriser le contact direct avec la musique 40. Les missions de soutien à la création, de diffusion et d’ensei gnement sont partagées entre les sept divisions de la Direction
37. Décret n° 70-1228 du 23 décembre 1970 portant création d’une Direction de la musique, de l’art lyrique et de la danse.
38. LANDowSkI (Marcel), Plan de dix ans pour l’organisation des structures musicales françaises, 1969.
39. Notamment au Groupe de musique expérimentale de Bourges (GMEB), fondé en 1970, et au Centre d’études de mathématiques et automatiques musicales (CEMaMu), créé en 1968 par Iannis xenakis.
40. Lire DuCHEMIN (Noémi), VEItL (Anne), Maurice Fleuret : une politique démocratique de la musique, 1981-1986, Paris, La Documentation française, « travaux et documents »,2000.
de la musique 41 dans des proportions diverses. Les structures de la créa- tion musicale 42 se réorganisent et mettent sur pied des activités pédago- giques ou de sensibilisation. Le Collectif & Cie à Annecy, le Groupe de musique vivante de Lyon (GMVL), le Grame de Lyon, le CIRM à Nice, l’Ircam développent selon leurs spécificités des programmes très divers : formations des compositeurs, stages pour des interprètes, animations à destination des scolaires, rencontres avec le public.
En 1989, le nouveau directeur de la musique, Michel Schneider, ré exa- mine l’action de ses services envers la musique contemporaine à la lumière du rapport commandé à P.-M. Menger 43 et se prononce pour un désenga- gement de l’état dans le domaine de la création 44. Il réaffirme toutefois son attachement à la diffusion et à la sensibilisation des publics. À l’ap- proche des années 2000, le débat public incite à un réexamen des poli- tiques engagées : les enquêtes sur les pratiques culturelles des Français pointent l’échec de la démocratisation culturelle, particulièrement patent dans le domaine de la musique contemporaine 45. Depuis, au-delà des alternances politiques et des réformes touchant l’organisation admi- nistrative du ministère de la Culture 46, l’état manifeste une continuité de principe : son soutien à la création est soumis à une clause de diffu- sion. Les différents cahiers des charges qui encadrent les organismes subventionnés associent création, diffusion et sensibilisation. La politique de commande d’œuvres musicales repose ainsi sur des critères croisant les trois termes 47. L’action de l’état ne compartimente plus les missions,
41. « La direction de la musique et de la danse […] est chargée : de la formation musicale spécialisée et, en liaison avec les ministères concernés, de l’aide à l’enseignement musical et à l’initiation à la musique, à l’art lyrique et à la danse ainsi qu’à toutes actions d’ordre pédagogique […]. De toutes actions tendant à la sensibilisation du public et au développement de la pratique amateur de la musique et de la danse ainsi que des actions d’animation » (arrêté du 20 octobre 1982, portant orga- nisation de la Direction de la musique et de la danse, Journal officiel du 3 novembre 1982, p. 9824).
42. En 1983, 23 centres de recherche musicale sont subventionnés par la Direction de la musique.
Le budget consacré par le ministère de la Culture à la musique contemporaine passe de 2,5 millions de francs en 1980 à 19 millions de francs en 1983.
43. MENGER (Pierre-Michel), les laboratoires de la création musicale, Paris, La Documentation française, 1989.
44. « L’état n’a rien à voir avec les enjeux de l’art, ses tendances, ses valeurs. Il a à voir avec l’accès à l’art, sa diffusion, sa conservation. Il faut supprimer le ministère de la Culture, qui, en tant que tel, n’a pas sa place dans une démocratie, et ne garder que les fonctions compatibles avec elle, en les rattachant à celui de l’éducation » (SCHNEIDER [Michel], la Comédie de la culture, op. cit., p. 198).
45. une synthèse du débat dans LE BRuN-CoRDIER (Pascal), « D’une réforme nécessaire de la politique et des institutions culturelles », « Les valeurs de l’art, entre marché et institutions », Mouvements, n° 17, 2001(4), p. 37-47.
46. La dernière réforme en 2009 intègre la délégation à la musique dans le service du spectacle vivant au sein de la Direction générale de la création artistique (DGCA).
47. La commission doit veiller à « l’inclusion de la demande dans un projet de diffusion ou de pratique musi- cale ; la condition préalable au dépôt d’un dossier est de présenter une déclaration écrite de la struc- ture qui s’engage formellement à en réaliser la création » et à « la définition des projets favorisant
et sollicite dorénavant tous les échelons des pouvoirs publics (établisse- ments publics, collectivités territoriales), le mécénat des fondations et délègue par des conventions ou des contrats d’objectifs ses missions de diffusion et de sensibilisation aux associations gérant les ensembles, les festivals et les centres 48. Cette politique de l’état 49 a suscité des interro- gations 50 et continue de soulever des inquiétudes parmi les acteurs comme en témoigne le texte du réseau Futurs composés « Quelle poli- tique culturelle et musicale pour demain 51 ? »
Un nouveau compositeur ?
Alors que depuis plusieurs années l’état se replie progressivement sur son soutien à des structures de prestige, émerge une nouvelle figure du compositeur, ayant médité l’histoire de la musique contemporaine de Darmstadt à l’Ircam, et désormais conscient de son autonomie vis-à-vis de la puissance publique. N’ayant rien cédé de son territoire de créateur, liant selon son désir et ses finalités créatrices les termes de la recherche musicale (acoustique, physique, informatique, traitement du signal, lutherie expérimentale, processus, etc.) et les impératifs de la diffusion, le compositeur d’aujourd’hui investit l’espace public. Désormais média- teur de son art, sollicité ou stimulé par les institutions étatiques ou associatives, il endosse une identité multiple : artiste toujours, institu- tionnel parfois, militant plus que jamais, mais aussi… intervenant, ani- mateur, conférencier, producteur, maître d’atelier, pédagogue 52.
Ce nouveau statut de compositeur devenu ainsi polymorphe n’est pas sans conséquence sur la production musicale elle-même. Sans être oubliés, les axes de la recherche musicale voisinent avec les objectifs de la médiation dans le discours même de la création. Cette dernière n’est plus pensée, conçue, exécutée dans l’ignorance de sa réception,
la présence de la création musicale dans la pédagogie, le chant choral et la chorégraphie » (Aides à la Direction de la musique, de la danse, du théâtre et des spectacles (DMDtS), « La commande musicale », Paris, Ministère de la Culture et de la Communication, <http://www.culture.gouv.fr/>).
48. Charte des missions de service public pour le spectacle, Paris, Ministère de la Culture, 1998.
49. Circulaire du 31 août 2010 relative aux labels et réseaux nationaux du spectacle vivant, mise en œuvre de la politique partenariale de l’état.
50. Lire les comptes rendus de la Rencontre nationale sur la diffusion des ensembles musicaux orga- nisée par l’office national de la diffusion artistique (onda) et la Sacem en 2008 et du Forum des artistes au Cent quatre en mai 2011 (onda).
51. Voir le texte sur le site de Futurs composés.
52. Lire RAVEt (Hyacinthe), « Les nouvelles frontières du métier de compositeur », dans Composer au xxie siècle : processus et philosophies, actes du colloque de l’observatoire international de la création et des cultures musicales (oICCM), Faculté de musique, université de Montréal, 28 février au 3 mars 2007.
en marge de l’écoute, aux confins de l’espace public de diffusion. En paral- lèle à la recherche musicologique qui, croisant les approches de la socio- logie, de la psychologie cognitive, de l’histoire culturelle, de l’esthétique, de l’économie, a fait de l’écoute, du concert, de la passion musicale des domaines d’étude 53, la production contemporaine fait de la relation avec l’auditeur/spectateur un dénominateur commun à l’ensemble des esthé- tiques. L’oreille de l’auditeur, sa culture et son environnement, son his- toire et sa situation, sont désormais au centre des préoccupations du créateur pour assurer la médiation de son œuvre.
La médiation au cœur de la création
La solution la plus simple et historiquement éprouvée — agréable, séduisante, accessible — est celle offerte par le néo-classicisme. Cette direc tion a pour vertu de renouer les fils de l’histoire et d’installer l’écoute dans une continuité culturelle et esthétique. Ses contempteurs en sou- lignent le risque de platitude. D’indéniables réussites émergent toutefois comme les œuvres de Nicolas Bacri, compositeur conscient d’inscrire son travail créateur dans l’histoire d’un art marqué par les (r)évolutions esthétiques des deux derniers siècles :
Ma musique n’est pas néoclassique, elle est classique car elle retient du classicisme ce qu’il a d’intemporel : la rigueur de l’expression.
Ma musique n’est pas néoromantique, elle est romantique car elle retient du romantisme ce qu’il a d’intemporel : la densité de l’expression.
Ma musique est moderne, car elle retient du modernisme ce qu’il a d’intem- porel : l’élargissement du champ de l’expression.
Ma musique est postmoderne, car elle retient du postmoder nisme ce qu’il a d’intemporel : le mélange des techniques d’expression 54.
Nourri et formé par l’atonalisme de ses aînés Michel Philippot et Claude Ballif, inspiré par l’œuvre d’Elliott Carter, Nicolas Bacri élargit le cadre tonal à toutes les échelles modales. Son Diletto classico, op. 100
— au titre quelque peu ironique — présente une Suite baroque (2006- 2007), une Sonatina classica (2007) et un arioso barocco e fuga monodica (2006), touchant parfois au pastiche parodique, mais témoignant également d’une appropriation profonde des schèmes de la composition classique
53. Voir « Qui écoute », Circuit : musiques contemporaines, vol. 13, n° 2, 2003 et « Qui écoute 2 », vol. 14, n° 1, consacrés à l’écoute. Signalons particulièrement les contributions d’Antoine Hennion et de Jean Lauxerois.
54. BACRI (Nicolas), notes étrangères : considérations paradoxales sur la musique d’aujourd’hui, Anglet, Séguier, 2004, p. 106.
pour assurer une expression moderne. L’auditeur connaît alors le plaisir de la familiarité avec la tradition et le décentrement certain de la sur- prise. Ce néo-classicisme de notre temps installe une relation nouvelle avec les mélomanes effarouchés par les langages de l’avant-garde.
Plus radicale est l’exploration des langages du passé antérieurs à la tonalité et au tempérament pour nourrir une création véritablement actuelle telle que nous la propose l’œuvre de Brice Pauset. Enjambant les siècles, le compositeur noue des relations singulières avec les lan- gages médiéval et baroque, joue avec la polyphonie et l’instrumentation de la basse continue. Les canons de Perspectivae Sintagma (1997) repre- nant les techniques d’écriture médiévale sont traités en temps réel 55. Dans vanités (2000-2002), un théorbe et trois clavecins se joignent à un quintette à cordes pour soutenir les deux voix. Le créateur d’aujourd’hui se nourrit de l’héritage et de la relecture de l’histoire :
J’espère faire écouter une musique qui soit en perspective critique avec elle-même, dans laquelle les figures mises en tension pourraient autant être considérées comme le vocabulaire propre à cette œuvre, que comme les émergences conscientes du lexique légué par l’histoire 56.
Nul doute que l’amateur de musique ancienne et baroque trouvera là un prolongement de sa Passion musicale 57 dans la création de notre temps.
Cette dernière peut également trouver dans une relecture des écri- tures contemporaines un terreau favorable à un dépassement des sys- tèmes — qui parfois, trop expérimentaux, se sont fermés sur eux-mêmes.
La deuxième génération spectrale a ainsi étendu la pensée de Gérard Grisey et de tristan Murail au facteur mélodique et à la métatonalité chère à Marc-André Dalbavie depuis Color (2001).
Ma réintégration de vocabulaires empruntés à des musiques anciennes, voire à la tonalité, n’a […] rien à voir avec je ne sais quelle tentation néo-classique, mais relève bien plutôt d’une volonté d’élargissement, héritière aussi bien de l’ouverture du champ artistique provoquée par la modernité que de l’ouver- ture du champ sonore produite par la musique spectrale 58.
55. « Le sous-titre “canons” indique qu’un certain nombre de techniques compositionnelles du passé
— en particulier médiéval — sont à l’origine de l’œuvre. La relation à ces techniques du passé fait bien sûr l’objet d’une objectivation historique et critique, et s’applique à des domaines de l’activité temporelle jusqu’alors séparés (mesure, métrique, rythmique) » (PAuSEt [Brice], « Programme de la création », 19 octobre 1997, Festival de Donaueschingen [Bade-wurtemberg]).
56. PAuSEt (Brice), « Programme de la création », Festival Voix Nouvelles 2000, abbaye de Royaumont.
57. Pour reprendre le titre de l’ouvrage de HENNIoN (Antoine), la Passion musicale : une sociologie de la médiation, Paris, Métailié, 2007, consacré à la médiation de la musique baroque à notre époque qui a assuré « l’écoute moderne d’une musique ancienne ».
58. DALBAVIE (Marc-André), le son en tout sens, entretiens avec Guy Lelong, Paris, G. Billaudot, p. 40.
La consonance et la pulsion rythmique — paramètres parfois négli- gés de la recherche musicale — partagent le premier rang des préoccupa- tions du compositeur au même titre que le processus, le timbre et l’espace.
Sans rien sacrifier de ses exigences et sans concession avec les recettes de l’académisme néo-tonal, l’œuvre de Dalbavie place l’auditeur dans une situation d’écoute active en proposant à l’éveil de ses sens l’inouï.
une autre perspective esthétique s’ouvre dans l’espace du présent lorsque la création savante tisse des liens avec la diversité des langages musicaux populaires. Dimotika (2002) d’Alexandros Markeas — sur le modèle des Folk songs de Luciano Berio — fait de huit chants populaires grecs arrangés pour mezzo-soprano, chœur d’enfants et septuor une matière propice à l’émergence d’une écriture neuve. une œuvre récente du même compositeur Dionysos, le vin, le sang (2010) 59 visite la poésie du dieu de la fête et du vin en puisant son inspiration musicale dans le chant méditerranéen et les techniques vocales contemporaines. À cette direction esthétique peut correspondre le métissage des cultures musi- cales. La musique du Japon exerce ainsi son influence sur la production de Jérôme Combier. Le shakuhachi rejoint le piano dans ishi (1999) et les modes de jeu des instruments asiatiques sont convoqués dans l’exé- cution de Feux noirs (2001).
Le compositeur médiateur peut également fréquenter les marges des musiques populaires : le rock expérimental, le free-jazz, les musiques improvisées et les musiques dites actuelles 60. Guillaume Connesson fait défiler sa Techno-parade (2002) où « les hurlements de la clarinette et les patterns obsessionnels du piano cherchent à retrouver l’énergie bru- tale des musiques technos 61 ». yan Maresz, élève et arrangeur de John Mc Laughlin, explore dans Metallics (1995) le son de la trompette tel que vivants dans nos mémoires d’auditeurs surgissent pêle-mêle Bubber Miley, Maurice André, Miles Davis, Jon Hassell et apparaissent dans un nouvel éclat alchimique comme l’œuvre du compositeur. Fausto Romitelli fait monter en chaire un Professor bad trip (1998-2000) tra- versé par les stridences distordues du rock psychédélique passées au filtre spectral. Le son sale répandu par les guitar heroes du rock alternatif
59. Œuvre pour douze voix mixtes et dispositif électroacoustique créée le 23 avril 2010 par l’ensemble Musicatreize dirigé par Roland Harabedyan, dans le cadre du festival Les Musiques à Marseille.
Commande du GMEM et de l’état.
60. Lire DENut (éric), Musiques actuelles, musique savante : quelles interactions ?, entretiens réunis par éric Denut, Paris, L’Itinéraire/L’Harmattan, 2001.
61. CoNNESSoN (Guillaume), Techno-parade, pour flûte, clarinette et piano, 5 min., Billaudot, 2002 ; voir « Présentation de l’œuvre », téléchargeable à l’adresse <http://www.guillaumeconnesson.com/>.
et du heavy metal est ainsi exploré de manière savante et se marie avec les timbres d’un orchestre de chambre à l’écriture soigneusement hallu- cinée. La création savante tend ici la main aux amateurs de rock alternatif et jazz expérimental soucieux d’échapper aux récupérations de l’industrie musicale.
De cette évocation rapide de quelques figures et œuvres singulières 62, retenons que la création savante de notre temps est placée désormais sous le signe de la pluralité ou de l’hybridité. Soucieux de rencontrer les oreilles, la sensibilité et l’intelligence de l’auditeur et non le seul chavi- rement ébahi du commanditaire, le compositeur s’attache — afin d’éviter ce que d’aucuns ont appelé l’« échec total de la musique contempo- raine 63 » confinée à l’isolement des laboratoires — à rencontrer son audi- teur en partageant sans compromissions une langue commune, qu’elle relève de la culture de masse, de l’approfondissement d’une écriture savante, de la démarche patrimoniale ou de la contre-culture. Les propos de Fausto Romitelli témoignent bien de cette nouvelle conscience esthé- tique du compositeur désormais engagé dans son époque :
Par rapport à nos prédécesseurs, les compositeurs de ma génération doivent se confronter à différents ordres de problèmes, et notamment, 1) l’impact des technologies ; 2) l’impact du panorama médiatique et des nouvelles stra- tégies de communication ; 3) l’influence des musiques du domaine populaire (pop, rock, techno, ethnie, etc.) ; 4) la survivance à l’extrême périphérie de l’empire culturel 64.
Au-delà des engagements et parfois des atermoiements de la puis- sance publique, la réception de la musique contemporaine se joue dans les lieux de l’écoute, diffusion et sensibilisation mêlées. L’acteur essen- tiel du rayonnement de la musique d’aujourd’hui est le compositeur désormais conscient que l’écoute active de son œuvre dépend de nou- velles formes de concert 65, de la sociologie des publics, de l’économie de la culture, mais aussi de la recherche de nouveaux rapports avec les musiques et de l’invention d’esthétiques musicales tissant de nouveaux liens avec l’auditeur.
62. un choix limité à quelques exemples de compositeurs nés après 1960 représentant des esthétiques diverses et dont les œuvres ont été créées en France depuis 2000.
63. DESJARDINS (Pierre), « échec total de la musique contemporaine », la Presse, 12 mai 1995, repris dans « Ruptures », Circuit : musiques contemporaines, vol. 7, n° 1, 1996, p.51-54.
64. RoMItELLI (Fausto), le Corps électrique, Paris, L’Harmattan, 2005.
65. HERVé (Jean-Luc), « Pourquoi écrire de la musique aujourd’hui », dans CoHEN-LEVINAS (Danielle) (dir.), la création après la musique contemporaine, Paris, L’Itinéraire/L’Harmattan, 1999.