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Médias, socialisation et formation des dispositions individuelles

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Academic year: 2022

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Appel à articles pour la revue Politiques de communication http://www.revuepolitiquesdecom.uvsq.fr

« Médias, socialisation et formation des dispositions individuelles »

La question des « effets des médias » a été interrogée par de nombreuses enquêtes et a fait l’objet de débats théoriques considérables, de Lasswell à Lazarsfeld, en passant par les théories de la mise à l’agenda et celles du cadrage. D’autres enquêtes ont marqué durablement les études sur la réception, notamment dans le sillage des travaux pionniers du Centre for Contemporary Cultural Studies (CCCS) de Birmingham dans les années 60. Ces traditions de recherche ont engendré un nombre important d’enquêtes se situant « du côté du public » (Le Grignou, 2003) et analysant la réception des produits culturels par la prise au sérieux des ancrages sociaux de la réception (Balland, Berjaud & Vera Zambrano, 2015). Malgré sa densité, cette littérature laisse, au moins en France, dans l’ombre tout un champ de recherche : celui de la socialisation par « les médias » ou, pour le dire autrement, celui

« des médias » comme instance de socialisation, qui, s’il est souvent évoqué dans les manuels, a donné lieu à très peu de recherches spécifiques. Ce dossier se propose de faire un pas de côté en contribuant à la constitution de cet objet de recherche. Si celui-ci s’appuie en partie sur les acquis des recherches relatives à la réception, il met au cœur de la construction de l’objet la spécificité des processus de socialisation, notamment leurs modalités et leurs temporalités.

La socialisation peut être comprise comme l’ensemble de processus par lesquels un individu acquiert des dispositions qui sont tout autant de façons d’être, de (perce)voir, d’(inter)agir, de penser, de sentir.

C’est au travers de ces processus, d’inégale importance, que se façonnent les goûts et les dégoûts, le sens du possible et de l’impossible. Comme l’écrit Bernard Lahire, « l’enfant, l’adolescent puis l’adulte n’incorporent pas à proprement parler des ‘structures sociales’, mais des habitudes corporelles, cognitives, évaluatrices, appréciatives, etc., c’est-à-dire des schèmes d’action, des manières de faire, de penser, de sentir et de dire adaptées (et parfois limitées) à des contextes sociaux spécifiques » (1998, p.

301). Ce dossier interroge la capacité des « médias » à forger ces habitudes et donc à fonctionner comme un cadre socialisateur.

La socialisation par les « médias » apparaît comme un objet délaissé dans la littérature francophone.

Dans leur état des lieux de la recherche française contemporaine sur le journalisme, Benjamin Ferron, Jean-Baptiste Comby, Karim Souanef et Jérôme Berthaut (2018) consacrent un court paragraphe au fait que « les médias peuvent en effet être pensés comme une instance de socialisation des individus, aux côtés toutefois d’autres instances génératrices de dispositions plus consistantes comme la famille, l’école ou la sphère professionnelle ». Cette remarque pertinente est restée jusqu’à présent programmatique, et il faut désormais mettre à l’épreuve ce postulat théorique. Du côté de la sociologie de la socialisation, les « médias » souffrent d’un relatif désintérêt : souvent mentionnés, les processus de socialisation aux/par les « médias » restent des dimensions rarement étudiées. De manière symptomatique, dans le manuel désormais classique de Muriel Darmon sur la socialisation, rares sont les références mentionnées pour la socialisation par les médias.

Une exception notable demeure toutefois : les travaux relatifs à la socialisation politique. En science politique, des travaux – notamment anglophones mais aussi francophones – se sont intéressés depuis longtemps au lien existant entre médias et politisation, permettant de dresser un bilan modeste mais

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stimulant (Darras, Vera Zambrano, 2016). On peut aussi mentionner les nombreux travaux sur le rôle des produits culturels dans la socialisation de genre, par exemple dans la façon dont le corps est

« prescrit » (Court, 2010) ou dans le rôle des « médias » dans l’exploration des identités de sexe (Pasquier, 2002). Ces travaux nous permettent de réfléchir, par analogie, à d’autres domaines de la pratique et d’élargir la focale.

Éléments de construction de l’objet

L’étude de la socialisation par les « médias » diffère des études de la réception par la temporalité du processus. Bernard Lahire insiste bien sur le fait que « c’est sur la base d’une expérience répétée qu’une disposition ou qu’un schème s’est, par accoutumance, peu à peu formé » (2018, p. 169). Si des « médias » ont un effet socialisateur, c’est donc dans la récurrence des pratiques et expériences de réception. Plus encore, la socialisation est un processus continu. Comme le précise Muriel Darmon, la position que nous suivons est celle « d’une socialisation continue qui maintient le caractère surdéterminant par rétrécissement des possibles, des expériences antérieures par rapport aux expériences postérieures » (2016, p. 62). Si tout n’est certes pas « joué d’avance », la socialisation n’est pas pour autant constamment remise en cause, ce qui permet de penser l’hystérèse des dispositions. D’un point de vue méthodologique, les enquêtes de réception, par entretiens ou focus group, ne s’inscrivent généralement pas dans le temps long et peinent alors à rendre compte de l’intériorisation des normes qui s’opère par la « répétition d’expériences relativement similaires » (Lahire, 2002, p. 20). A fortiori, il s’agit, à l’encontre d’une certaine tendance en sciences sociales, de refuser à inférer la socialisation à partir d’analyses de contenus.

Prendre pour objet les processus de socialisation implique de rompre avec le média-centrisme.

D’une part, cela exige dé-réifier les « médias », par exemple en s’interdisant d’utiliser les métonymies telles que « les écrans ». Pour comprendre ce qui se joue dans les processus de socialisation, il est utile de raisonner en termes de champ médiatique : derrière le mot « média » se cachent des dispositifs différents (télévision, réseaux sociaux, presse, radio, etc.), des contenus différents mais aussi des (contextes d’)usages différenciés (Lull, 1980) qu’il faut restituer minutieusement par l’enquête empirique. D’autre part, étudier la socialisation par les « médias » ne se limite pas à mesurer les effets socialisateurs des contenus médiatiques : cela nécessite de le penser en interaction avec d’autres instances de socialisation (Paus-Hasebrink, 2019). Les médias viennent concurrencer ou prolonger, selon les domaines de la pratique, les autres instances de socialisation que sont, notamment, la famille, l’école, le travail ou les groupes de pairs. Ainsi, la consommation médiatique est en partie déterminée par la socialisation familiale, ne serait-ce que par l’exposition sélective à laquelle contribuent les parents.

C’est le cas, par exemple, de la télévision qui donne lieu à des « styles télévisuels » (Masclet, 2018, p.

47-67) et à des pratiques éducatives socialement différenciées selon les classes et fractions de classes considérées (Notten, Kraaykamp, 2009 ; Lahire et al., 2019). L’étude de la socialisation par les

« médias » n’est donc pas dissociable d’une compréhension plus générale des styles de vie, et notamment des habitudes de consommation liées à la position sociale (Pierru, 2004 ; Le Hay, Vedel &

Chanvril, 2011), tant « les goûts individuels se forgent à partir des probabilités statistiques plus ou moins fortes que déterminent les parcours de socialisation » (Robette, Roueff, 2017, p. 393). Envisager la socialisation par les « médias » de façon relationnelle nécessite, au contraire, un travail empirique rigoureux seul à même de pouvoir « comprendre les médiations à travers lesquelles les déterminations opèrent » (Gaxie, 2002, p. 148).

Les contributions attendues pour ce dossier pourront s’inscrire dans l’un des deux axes suivants (sans que ces axes ne soient exhaustifs) :

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1° Les « médias », une instance de socialisation mineure ?

La première piste, peut-être la plus évidente, consiste à interroger la place qu’occupent les « médias » comme agent socialisateur pendant la socialisation primaire. La littérature sur la sociologie de la socialisation a démontré l’importance de la famille, et notamment le rôle de « filtre » que joue cette instance de socialisation. On peut s’interroger : les « médias » sont-ils une instance de socialisation subordonnée à la famille et, plus généralement, aux autres cadres socialisateurs ?

Tout en gardant une attention à la position sociale occupée par la famille, les propositions pourront enquêter sur la place accordée aux « médias » dans le cadre familial. Par exemple, les articles pourront porter une attention à la place de la télévision et aux contenus regardés, que ce soit le suivi individuel ou collectif d’un feuilleton, de la télé-réalité ou des journaux télévisés (le « 20h » ou « l’info en continu »). Loin de s’attacher au seul contenu, les enquêtes devront mettre en avant ce qui se joue en famille et les modalités de la socialisation : est-elle « silencieuse » ou accompagnée de commentaires ? Est-elle partagée par l’ensemble des membres de la famille ? Les enfants et adolescents sont-ils « libres » des contenus qu’ils regardent ou existe-t-il des interdits, voire des mises en gardes préalables ? En outre, on pourra analyser le lien entre la socialisation par les « médias » et les pratiques (politiques, culturelles, etc.) qui en découleraient, c’est-à-dire de penser l’actualisation des dispositions acquises et/ou confortées par les « médias ». Plus généralement, cet axe est l’occasion d’interroger finement le rôle de « filtre » que jouent les autres cadres socialisateurs par rapport aux « médias » et les modalités par lesquelles ce rôle opère : y’a-t-il des incitations à (ne pas) regarder ou à (ne pas) écouter tel

« média » ? Existe-t-il des contradictions entre les différents agents socialisateurs à propos de ce qu’il faut ou ne faut pas « voir » ? En somme, il est important de s’interroger sur les limites de ce rôle de

« filtre », qu’elles soient liées aux incitations des groupes de pairs ou aux contradictions internes à la configuration familiale, et ce que cette socialisation aux « médias » permet comme socialisation par les « médias ». Une autre piste serait d’interroger la socialisation par le numérique et notamment les réseaux sociaux (Balleys, 2017), mais pas seulement, dans différents domaines de la pratique : par exemple, la politique (e.g. la formation des opinions et les vidéos Youtube), l’image de soi, le rapport au temps, le rapport au corps (vêtements, santé et alimentation), ou encore à l’esprit critique. Enfin, on pourra évoquer le rôle des professionnels de l’enfance et les divers dispositifs mis en place pour sensibiliser les enfants et adolescents aux « médias » que ce soit dans un cadre scolaire comme les classes d’éducation aux médias ou, en dehors, dans le cadre de dispositifs d’éducation populaire.

2° La socialisation par les « médias » : une socialisation de renforcement, de conversion ou de transformation ?

Dimension plus rarement enquêtée, la socialisation secondaire gagne pourtant à être prise en considération pour mieux comprendre comment les « médias » opèrent comme instance de socialisation. Reprenant le triptyque identifié par Muriel Darmon (2016) – socialisation de renforcement, de conversion et de transformation –, nous invitons les propositions à aller au-delà de la socialisation primaire.

Les articles pourront questionner des pratiques médiatiques qui ne sont pas complètement dans la lignée de la famille en interrogeant, par exemple, le rôle des « médias » dans les biographies amoureuses et sexuelles (on peut examiner, ici, les potentiels effets socialisateurs de la pornographie). Plus généralement, les articles interrogeant un ensemble de domaines de la pratique qui sont plus ou moins en décalage avec les normes familiales seront les bienvenus. Dans le domaine du travail, on pourra

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approfondir la façon dont les journaux d’entreprises, ou les newsletters internes, contribuent à la socialisation professionnelle tant par l’apprentissage du métier que de la façon de le concevoir. La presse spécialisée, sportive ou culturelle (e.g. musique, jeux-vidéos, cinéma), peut également être un terrain d’exploration : invitant à prendre de la distance avec la pratique par un discours sur la pratique, ce type de presse peut-elle contribuer à la formation de dispositions spécifiques ? La presse syndicale, ou plus largement militante, permet-elle aux individus de se doter, avec d’autres pratiques, d’une autre grille de lecture du monde social ? Les « médias » étudiés renforcent-ils le rapport au politique et au monde social acquis durant l’enfance ou contribuent-ils à les transformer ? Par exemple, dans le cas des médias locaux, le rapport au monde que ce type de « médias » produit ou entretient chez ses publics pourra être interrogé.

Calendrier et informations pratiques :

Les articles, qui ne doivent pas dépasser 55 000 signes, devront être envoyées le 30 octobre au plus tard à : politiquesdecom.revue@uvsq.fr et en copie à cyriac.gousset@gmail.com.

Pour plus d’informations sur les consignes aux auteurs pour les propositions d’articles, voir : http://www.revuepolitiquesdecom.uvsq.fr/proposer-un-dossier-ou-un-article-

253252.kjsp?RH=1358429661297&RF=1358429539621 Références bibliographiques :

BALLAND L., BERJAUD C., VERA ZAMBRANO S. (dir.), 2015, « Les ancrages sociaux de la réception », Politiques de communication, vol. 4, n°1, 210 p.

BALLEYS C., 2017, « Socialisation adolescente et usages des médias sociaux : la question du genre », Revue des politiques sociales et familiales, 125, pp. 33-44.

COURT M., 2010, « Le corps prescrit. Sport et travail de l'apparence dans la presse pour filles », Cahiers du Genre, vol. 49, no. 2, pp. 117-132.

DARMON M., 2016, La socialisation, Paris, Armand Colin.

DARRAS E., VERA ZAMBRANO S., 2016, « Se politiser avec et contre les médias. Bilan modeste mais perspectives stimulantes » (pp. 373-290) dans BUTON F., LEHINGUE P., MARIOT N. et ROZIER S. (dir.), L’ordinaire du politique. Enquêtes sur les rapports profanes au politique, Paris, Presses Universitaires du Septentrion.

FERRON B., COMBY J-B., SOUANEF K., et BERTHAUT J, 2018, « Réinscrire les études sur le journalisme dans une sociologie générale », Biens Symboliques / Symbolic Goods [En ligne].

GAXIE D., 2002, « Appréhensions du politique et mobilisations des expériences sociales », Revue française de science politique, vol. 52, n°2, pp. 145-178.

LAHIRE B. (dir.), 2019, Enfances de classe. De l’inégalité parmi les enfants, Paris, Seuil.

LAHIRE B., 1998, L’homme pluriel. Les ressorts de l’action, Paris, Nathan.

LAHIRE B., 2002, Portraits sociologiques. Dispositions et variations individuelles, Paris, Nathan.

LAHIRE B., 2018, L’interprétation sociologique des rêves, Paris, La Découverte.

LE GRIGNOU B, 2003, Du côté du public. Usages et réceptions de la télévision, Paris, Éd. Économica.

LE HAY V., VEDEL T., CHANVRIL F., 2011, « Usages des médias et politique : une écologie des pratiques informationnelles », Réseaux, vol. 170, no. 6, 2011, pp. 45-73.

LULL J., 1980, « The social uses of television », Human Communication Research, vol. 6, issue 3, pp. 197- 209.

MASCLET O., 2018, L'invité permanent. La réception de la télévision dans les familles populaires, Paris, Armand Colin.

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NOTTEN N., KRAAYKAMP G., 2009, « Parents and the media. A study of social differenciation in parental media socialization », Poetics, vol. 37, p. 185-200

PASQUIER D., 2002, « Les “savoirs minuscules” Le rôle des médias dans l’exploration des identités de sexe », Éducation et sociétés, vol. no 10, no. 2, pp. 35-44.

PAUS-HASEBRINK I., 2019, « The role of media within young people’s socialization. A Theoritical approach », Communications, vol. 44, n°4, pp. 407-426.

PIERRU E., 2004, « ‘Effets politiques des médias’ et sociologie prophétique. Pour une sociologie des rapports ordinaires à l’information politique », dans LEGAVRE J-B. (dir.), La Presse écrite : un objet délaissé ? Regards sur la presse écrite française, Paris, L’Harmattan.

ROBETTE N., ROUEFF O., 2017, « L’espace contemporain des goûts culturels », Sociologie, vol. 8, n°4, pp. 369-394.

Références

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