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Questions posées par les pratiques parallèles dans le domaine du travail social

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Questions posées par les pratiques parallèles dans le domaine du travail social

SAUVIN, Alain

SAUVIN, Alain. Questions posées par les pratiques parallèles dans le domaine du travail social . Genève : Université de Genève, Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation, 1981, 128 p.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:33394

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

(2)

UNIVERSITÉ DE GENÈVE - FACULTÉ DE PSYCHOLOGIE ET DES SCIENCES DE L'ÉDUCATION

Cahiers de la Section des Sciences de I' Education

PRATIQUES ET THÉORIE

ALAIN SAUVIN

QUES TIONS POSÉES PAR LES PRATIQUES PARALLÈLES DANS LE DOMAINE DU TRAVAIL SOCIAL

Série Mémoires de licence N° Il Cahier N° 23

UNIVERSITE DE GENEVE

FACULTE DE PSYCHOLOGIE ET DES SCIENCES DE L'EDUCATION

QUESTIONS POSEES PAR LES PRATIQUES PARALLELES DANS LE DOMAINE DU TRAVAIL SOCIAL

Alain Sauvin

Série Mémoires de licence No Il Cahier No 23

Pour toute correspondance :

Section des Sciences de l'éducation UNI Il

1211 -Genève 4 (Suisse)

(3)

TABLE DES MATIERES

PREFACE 1 NTRODUCTI ON

Chapitre t LES PAUVRES ET L'ASSISTANCE EN OCCIDENT

l'Antiquité. les premiers siècles chrétiens et le moyen âge. Lo réforme à Genève, l'Eglise et l'Etat,

!'Assistance ou lieu de domicile. Lo Révolution industrielle et Io misère ou XIXe siècle. l'organi­

sation de Io dosse ouvrière. les premiers travailleurs sociaux, une réponse de Io bourgeoisie. Lo période technicienne. Une travailleuse sociale-type, ('assistante sociale.

Chapitre Il L'INSTITUTIONNALISATION DU TRAVAIL SOCIAL

Institutionnalisation et institution. Lo professionnali­

sation. Lo croissance de l'Etat. l'Etat : ses appareils répressifs, idéologiques et économiques. la concentra­

tion urbaine. Lo sacralisation. Lo bureaucratisation.

Lo technocratisation. la spécialisation.

Chapitre Ill CRISE DE L'ETAT ET PERTE DU SENS DANS LES INSTITUTIONS

Prévention et décentralisation. l'émergence des

pratiques parallèles, leur place dans (a politique sociale.

les caractéristiques des pratiques parai lèles. · les stra­

tégies. la problématique du centre et de la périphérie.

Questions posées par les pratiques rapallèles.

3

7

33

61

(4)

Chapitre IV PERSPECTIVES ET ACTIONS CONCRETES Un bilan globalement négatif. L'utopie, passage obligé. Agir à court et à long terme simultanément.

Le projet au quotidien : élargir les zones de liberté en utilisant sa position charnière. Passer de l'indi­

viduel au collectif. Deux exemples.

EN GUISE DE CONCLUSION NOTES

BIBLIOGRAPHIE

Au lecteur,

97

111 113 121

Nous avons choisi de publier ce texte dans la mesure où il nous est apparu dépasser le cadre habituel d'un mémoire de licence, et ceci dans deux directions : d'une part, il représente les éléments de base d'un séminaire animé par l'auteur dans le cadre de l'Institut d'Etudes Sociales de Genève - ce qui explique le caractère didac­

tique qu'il revêt parfois; d'autre part, il s'agit surtout d'une tenta­

tive de conceptualisation du travail social en le resituant dans son contexte historique, économique et socio-politique et dépassant les approches trop ponctuel les proposées jusqu'ici.

Le groupe publications.

PREFACE

Ce travail est celui d'un pessimiste et d'un sceptique qui, plus enclin au doute qu'aux certitudes, garde néanmoins quelque part, tout au fond, quelques miettes d'espoir.

En effet vingt ans d'action sociale usent et grandissent à la fois. On découvre, ayant roulé sa basse dans toute la République de

Genève, et même au-delà, qu'on ne maîtrise rien du tout, que tout vous échappe insidieusement. Pour résoudre tout cela i 1 est de bon ton de dire qu'à mi-carrière il faut faire le point, que la quarantai­

ne marque un virage à ne pas manquer ...

La tentation existe effectivement de faire un bilan, de parler de soi en quelque sorte, de s'aimer encore un peu plus soi-même, de se justifier. Si c'est peut-être utile pour l'intéressé, c'est en tout cas proprement insupportable pour les autres. De toute manière il est pos­

sible et même inévitable d'exister entre les lignes.

Ce travail se voudrait tout à la fois démystificateur sans être démobilisateur, utopiste sans nier les étapes de réalisation des projets et proche de tous ceux qui se sentent concernés par la pauvreté, par toutes 1 es pauvretés.

Il est le résultat d'une confrontation entre un cheminement person­

nel, des références et des apprentissages théoriques et livresques et quelques collègues et amis qui partagent à peu près les mêmes préoccupa­

tions. 11 ne rentre probablement dans aucune catégorie scientifique hatibuelle. Je crois que c'est une "réflexion sur" plus qu'une réelle démonstration. L'ambition toutefois est de montrer notre condition du moment en terme de processus, d'où la place importante réservée à l'histoire et à la dynamique des institutions, et non sous forme d'ana­

lyse ponctuel le. Ainsi, la problématique et les questions posées dans les pages qui suivent ne trouveront pas de réponses fonnelles à telle ou telle page mais plutôt leur dimension effective à travers tout le développement du travail.

J'avais décidé d'avoir un entretien de type ouvert avec quelques personnes engagées professionnellement ou concernées personne li ement par les pratiques parallèles. Ce fut fait, durant l'été 1980, avec : Verena Clausen, Jean-Marc Dénervaud, Daniel Dind, Jean-Gabriel Favre, Michel Glardon, deux travailleuses et une usagère du Dispen­

saire des femmes de Genève.

(5)

J'ai rencontré des hommes et des femmes confrootés à ce que notre société sécrète de plus détestable et qu'elle tente de maintenir et de cacher en même temps. Je les ai cho.isis en fonction de ce que je savais d'eux et en fonction aussi des relations amicales et profes­

sionnel les qui me liaient à eux. Il s'agit donc d'un choix volontaire­

ment subjectif lié à ma perception de la précarité de notre condition et des limites qui sont les nôtres pour y faire face. Mais la seule objectivité n'est-elle pas de reconnaître l'objectivité de cette subjec­

tivité. Elle est en tout cas le reflet d'une réalité qui se montre re­

belle à tout cadre d�.analyse rationnel, mais qu'importe.

J'ai choisi des gens assez mûrs et assez solides pour avoir su et pu durer dans ces conditions instables et désécurisantes que représente Io frontière des institutions qu'ils ont choisi d'investir et en même temps assez jeunes pour savoir encore être habités par l'espoir et l'utopie.

J'ai rencontré des gens lucides et passionnés que tenaillaient I' in­

quiétude fondamentale de ceux qui réfléchissent et Io révolte essen­

tielle de ceux qui agissent. En quelque sorte des gens presque parfaits et néanmoins presque sons moyens.

Pour l'instant .je n'ai pu retenir que quelques éléments, fort utiles, de la richesse .qu'ils ont dévoilée pour étayer et .illustrer l'exposé: Il n'eût pas été décent dans le cadre limité de ce travail d'en faire autre chose

(1):

A. S., octobre 1980

1. Dans le texte chacune de leurs citations est suivie du signe

(*).

INTRODUCTION

�ssai de compréhension du processus qui a abouti à l'apparition de pratiques parallèles dans le domaine du travail social, étude de leurs caractéristiques et identification des principaux problèmes qu'elles posent

Nous assistons depuis quelques années à l'apparition d'une nou vel le pratique du travai 1 social en dehors des institutions, des organi­

sations et des administrations habituellement habilitées à cela.

Ces pratiques existent dans les domaines psycho-social, socio- 6ducatif, médico-social et socio-politique. Elles ont d'autres structu­

res institutionnelles et entendent donner une place prépondérante aux usagers et aux professionnels oyant été, pour Io plupart, créées d'un commun accord par ces deux catégories d'acteurs ou de partenaires le plus souvent en dehors de toute relation avec les institutions tradi- 1 ionnel les. De ce fait elles questionnent ces institutions comme ceux tiui les financent ou qui les légitiment légalement et politiquement, comme ceux qui y travaillent, comme un certain nombre d'usagers 6galement qui trouvent là réponse à leurs besoins.

Pour comprendre ce phénomène il convient de le situer dans son contexte historique et économico-politique par rapport à l'évolution clu travail social, particulièrement depuis la seconde guerre mondiale.

Dès lors la question de ces pratiques telle qu'elle sera traitée ici

se pose selon les thèses et les axes suivants :

- Le travail social, quelles que soient ses ambitions et ses fina­

lités théoriques, et tel qu'il a été pratiqué jusqu'ici n'arrive pas à résoudre durablement les problèmes sociaux; il continue à ne s'atta­

lfuer, le plus souvent, qu'aux conséquences. Il fonctionne plus en larmes d'adaptation ou d'intégration de la personne qu'en terme de changement de structures. C'est évidemment plus facile et c'est tout ce que les autorités et les organes porteurs lui demandent, à de rares exceptions près.

- Face à cela, des stratégies spécifiques furent développées dans Io but de pallier à ces carences et même prônées par certains comme aolution devant dépasser l'impuissance des approches individuelles à

(6)

prendre en compte fa totalité de fa personne. Il s'agit du développe­

ment communautaire et du travail social de collectivité. Mais l'ex­

périence a montré que ces stratégies n'étaient pas de nature différen­

te, pas plus aptes que d'autres à s'attaquer aux causes ou que, lors­

qu'elles étaient susceptibles de l'être, elles étaient rapidement inter­

dites ou contrées par le pouvoir administratif ou politique.

- Le blocage bureaucratique progressif des institutions ou la crise généralisée de l'Etat et des grandes instances ou organisations

{secteur para-public, Eglises, syndicats, partis politiques ... ), par leur forme d'organisation et leurs objectifs actuels, éloignent de plus en plus les citoyens, les membres ou les usagers des décisions qui les concernent.

- la primauté des références scientifiques, techniques et écono­

miques o relégué l'homme au second plan. Ses difficultés personnel­

les ou sociales ne sont -reconnues et traitées que dons fa mesure où leur disparition permet d'améliorer Io rationalité, le rendement, le profit, le progrès quantitatif et l'image de marque du système écono­

mico-palitique.

- La prise de conscience politique et sociale, ces quinze derniè­

res années, des travailleurs sociaux, qui appartenaient à des profes­

sions traditionnellement neutres politiquement et axées sur Io relation professionnelle individuelle exclusivement, suscite de profonds chan­

gements dans l'organisation professionnelle. Habitués à se taire à l'instar des sans-voix dont ils devaient s'occuper, ils se mettent dé­

sormais à parler, à proposer, à contester, à pratiquer autrement, notamment parallèlement.

- Depuis une dizaine d'années, la prise de conscience de leur aliénation et Io prise de parole - qui en est la conséquence - par une minorité d'usagers débouchent sur l'organisation de groupes de défense ou d'action (femmes, chômeurs, habitants ... ).

- Depuis quelques années Io conjugaison de ces deux prises de conscience aboutit parfois à Io désinstitutionnolisation et à la création de pratiques para-institutionnelles par des travailleurs sociaux et par des usagers conjointement. Si nous parlons de désinstitutionnal isotion, c'est qu'un travail qui se faisait dans les institutions se fait désormais hors d'elles, les nouveaux lieux de pratique agissant comme les sup­

pléants des institutions défaillantes. Et si nous parlons de pratiques para-institutionnelles et non de pratiques onti-, contre- ou a-institu­

tionnelles c'est que ces deux pratiques, à plus d'un titre, paraissent complémentaires plus qu'antogonistes, qu'elles procèdent et se nour-

rissent l'une l'outre, qu'elles ont, officiellement ou moins, les mêmes objectifs, qu'elles font appel parfois aux mêmes professionnels et que, c'est une hypothèse, les premières sécrètent ou laissent sécréter les secondes afin de survivre dans leurs structures rigides sans trop être mises en danger. Les pratiques para-institutionnelles auraient alors une fonction d'exutoire.

- La désinstitutionnalisation est le nœud de cette problématique.

Pour comprendre ce mécanisme nous devons établir quelles sont les caractéristiques des pratiques parallèles et quelles sont les valeurs qu'elles véhiculent. Nous devons tenter d'identifier la différence entre le discours alternatif et les pratiques traditionnelles, puis la dif­

férence entre la pratique et le discours alternatifs. L'hypothèse posée ici est que les pratiques parallèles véhiculent, au moins potentielle­

ment, les mêmes normes et les mêmes valeurs que les pratiques tradi­

tionnelles partant du constat qu'usagers et professionnels continuent à être déterminés par les valeurs et les structures ambiantes, les valeurs de la sous-culture dominante, les consignes éducatives qu'ils ont reçues ... La distance qu'ils souhaitent prendre à leur égard n'est qu'un leurre ou tout au plus un exercice de simulation ou une réalité trop minoritaire pour engendrer le changement qu'ils prétendent dis­

cerner en germe dans leur projet. Cette hypothèse, si elle se vérifie, amènera à constater que ces pratiques parallèles ont tendance à se ré­

institutionnaliser et à comprendre quel rapport il y a, si rapport il y

n, entre cette tendance et la permanence des valeurs. En d'autres termes cela questionne quant au caractère minoritaire de ces pratiques ot quant à la globalisation et à la généralisation, impossible en l'état, mais indispensable si nous comprenons ces pratiques comme un projet de changement, c'est-à-dire un changement du rapport de l'homme au pouvoir et au savoir, qui est l'enjeu central de ces pratiques.

- Enfin, et ce sera le second point capital de cette étude, il faudra déterminer quel est ou quels sont les problèmes principaux sou­

levés par ces pratiques parallèles, qu'il s'agisse des usagers, des pro­

fossionnels ou des institutions traditionnelles.

(7)

CHAPITRE 1

LES PAUVRES ET L'ASSISTANCE EN OCCIDENT

Vouloir traiter du travail social, fût-ce d'un aspect très limité de celui-ci, c'est inévitablement entrer dans la longue histoire des pauvres, des exclus, des dominés. Histoire non seulement longue, qui

remonte probablement aux sources de l'humanité, mais histoire tron­

quée, vilipendée, violée. Histoire parfois simplement ignorée ou déli­

b6rément dissimulée pour cause de mauvaise conscience, de privilège de classe ou de raison d'Etat. A l'image des "assistés" de tous les temps et de tous 1 es pays.

Ce terme

d•

"assisté" donne une des clés principales pour la c.:ompréhension du travail social. D'une part il recouvre assez bien la totalité des personnes, des fami lies, des groupes et des collectivi­

t6s "prises en charge" d'une des multiples façons existantes. D'autre part il montre bien l'ambiguiM essentielle du travail social par sa double et contradictoire signification : "être auprès de" et "mettre on état de dépendance". L'histoire entière du travail social est habi­

tôe par cette contradiction et par l'hypocrisie qui consiste à se dé-

�i ntéresser des "pauvres" sous prétexte de ne pas les mettre en état de dépendance, car rejeter ou ignorer est aussi une façon de ne pas donner les conditions qui permettent d'accéder à un statut égal et c1utonome.

Ainsi pour comprendre l'objet de cette étude il faut le restituer dans le temps, saisir les déterminants et le processus qui condition­

nent la situation actuelle du travail social et l'émergence des prati­

ques parallèles. La tâche n'est pas aisée car rares sont les textes qui 1ééquilibrent la vision bourgeoise de l'histoire et rares sont les au­

teurs qui échappent à la "parcellisation, faussement scientifique car le tout social ne se divise qu'artificiellement des questions traitées"

(1).

En conséquence on arrive à une vision faussée des phénomènes

un les isolant des faits et du milieu dont ils sont solidaires. En tout 6tat de cause il parait plus utile d'être un peu moins ambitieux quant à fa rigueur et à fa neutralité, de toute manière inexistantes dans ce domaine, au profit d'un petit pas en direction d'une appré­

hension plus globale.

(8)

1. L'Antiquité

L'entraide spontanée a existé de tout temps. Elle se manifeste d'autant plus facilement que le groupe est restreint. Lorsque la fa­

mi lie s'élargit ou que le groupe grandit, qu'il devient clan, tribu, smala, horde, peuplade, il revient en général au chef de décider et de faire respecter un certain nombre de règles concernant les misé­

reux et les malades. C'est un droit et souvent un devoir pour le chef (cette notion est encore ancrée au plus profond des sociétés mo­

dernes}. Les règles sont parfois sévères, il arrive qu'on expluse, qu'on réduise en esclavage, qu'on exerce le droit de vie ou de mort à l'endroit de ceux qui ne peuvent pas subvenir à leurs besoins. Les conditions économiques, démographiques ou religieuses dictent ou jus­

tifient le plus souvent ces mesures drastiques. "Les prophètes juifs (loi de Moïse au XIIe s . av. J.-C., Esaïe au VIIe s. av. J.-C.), des philosophes grecs (Solon au VIIe s. av. J.-C., Socrate au IVe s. av. J.-C.) - et on retrouve ces idées aussi dans les religions orientales - exhortent au soin des pauvres, à la solidarité entre les membres de la famille élargie aux serviteurs, à l'accueil des malheu­

reux sans asi Je et sans vêtements, ce qui inciterait à penser que ces actes ne vont pas "de soi" même dans la société antique

�" (2)

2.

Les premiers siècles chrétiens et le moyen âge

L'irruption du christianisme dans l'histoire, le message évangéli­

que, la notion d'amour du prochain vont marquer profondément le monde occidental et ses pratiques sociales et charitables jusqu'à nos jours en créant des institutions, en imposant des devoirs moraux et spirituels, en provoquant des réflexes conditionnés, en fixant des ré­

férences religieuses aux actes quotidiens, enfin en mêlant subtilement le spirituel et le temporel.

Si,

initialement, l'idée du don gratuit, en reconnaissance du don du Christ que Dieu a fait aux hommes pé­

cheurs pour les racheter, est essentielle, la charité devient rapide­

ment un moyen de se laver de ses péchés, puis de se donner bonne conscience à bon compte. Le pauvre, de don du ciel qu'il était, devient un moyen de se déculpabiliser personnellement, économique­

ment et socialement.

La hiérarchie ecclésiastique prend le relais du chef de clan ou

de tribu :

"Dès les premiers siècles chrétiens, c'est l'évêque qui, en tant que chef de son diocèse, est le chef de la charité. C'est lui que regarde le soin des pauvres. Les indigents sont admis tout d'abord à sa table. Puis ils deviennent si nombreux qu'on est contraint de leur bâtir une maison près de celle de l'évêque, afin qu'ils y. soient reçus avec plus de commodité et plus d'or­

dre. Ainsi furent créés les premiers hôpitaux de pauvres : et les conciles ne tarderont pas à prescrire comme une règle d'établir auprès de chaque cathédrale un hôpital"

(3).

Ainsi nai

sse

nt

les premières institutions

charitables. Pendant tout le moyen âge et même jusqu'au XVIe siècle, ces hôpitaux réuniront toutes les fonctions de l'assistance et disposeront de tous les biens matériels de l'Eglise qui sont considérés comme le patrimoine des pauvres. Ces fonctions sont importantes car rapidement le devoir in­

dividuel d'hospitalité et d'assistance n'est plus rempli à satisfaction et il faut y suppléer. Les causes de la misère sont en effet nombreu­

ses : guerres, famines, incendies, mortalité, épidémies, maladies, in­

firmités. En plus il faut accueillir et nourrir les pèlerins, les gueux, les vagabonds, les rôdeurs, les bohémiens, les orphelins, les enfants trouvés. Les hôpitaux ne suffisant plus à la tâche, d'autres institutions assument progressivement tel ou tel aspect de l'assistance. Il s'agit des abbayes, des prieurés, des couvents, des hospices, des léproseries, des asiles et des confréries à but charitable qui seront parfois eux­

même débordés par l'ampleur de la misère :

"En réalité, la charge était lourde, même pour une puissante abboye comme Cluny qui consacrait à l'assistance environ le tiers de ses revenus. Lors des calamités générales, par exemple à la fin du XIIe siècle, beaucoup d'aumôneries monastiques furent débordées, on l'a vu, par l'affluence des mendiants. Cer­

taines ne purent faire face à leur tâche qu'au prix de sacrifices nuisibles à leur équilibre financier"

(4).

3.

La Réforme à Genève, l'Eglise et l'Etat, !'Assistance au lieu de domicile

A Genève comme ai lieurs, ces institutions sont tenues par des religieux. Mais au moment de la Réforme ceux-ci doivent fuir la ville qui connait alors une situation catastrophique due principale-

(9)

ment à une mauvaise gestion publique et à l'afflux de réfugiés hu­

guenots.

Calvin réorganise totalement la vie spirituelle, économique, so­

ciale, politique et administrative de la ville. Il en devient l'inspi­

rateur et le véritable chef. Il fait appliquer les fameuses lois somp­

tuaires, édicte et fait ratifier en

1541

les ordonnances qui permettent de réalimenter les caisses de l'Etat. Il décrète l'école publique, gra­

tuite et obligatoire, institue le droit des pauvres et donne de nouvel­

les bases à I' Hôpital général qui deviendra en

1868 I'

Hospice général que nous connaissons. Du haut de la chaire de Saint-Pierre il fulmi­

ne contre l'avarice et l'égoïsme des Genevois

et

les

exhorte à

s'oc­

cuper un peu mieux de leurs frères dans l'adversité. Il stigmatise la vie débauchée .et corrompue des riches qui est une insulte à l'endroit des pauvres. Il développe sa conception, originale et moderne pour l'époque, de l'aide sociale :

"L'action sociale réformée ne se borne pas à l'assistance. Elle envisage l'homme dans sa totalité, être spirituel et matériel.

Aussi les réfonnateurs sont-ils constamment préoccupés de la for­

mation professionnelle de la population en général et des jeunes gens, des sinistrés et des réfugiés en particulier. Dès le

29

dé­

cembre

1544,

Calvin intervient auprès

du

Petit Conseil pour que celui-ci développe l'industrie du tissage afin de contribuer à la richesse et au bien-être de la population"

(5).

Il considère que le chômage est une calamité, car priver un homme de son travail c'est lui ôter la vie :

"... Bien donc que nous prenions notre nourriture de la main de Dieu, il a ordonné que nous travaillions. Or le travail est-il ôté? Voilà la vie de l'homme qui est mise bas"

(6).

Il met en garde les autorités contre les tentations du pouvoir et leur indique la voie à suivre :

"Calvin constate en effet, que, sou·Jent, ceux qui se disent les défenseurs

de l'ordre, en

s

o

nt en réalité, par leurs injustices et leur comportement les plus avisés et les plus sûrs destructeurs ...

que ... le désordre social, c'est d'abord ce mépris du pauvre et cette oppression du faible .•. qui pervertit l'ordre de Dieu ... , qu'en conséquence... le critère pour juger d'un régime politique, c'est donc son comportement à l'égard des pauvres"

(7).

Il affinne qu'il y a deux ministères sacrés, celui de la parole et celui du diaconat, que l'un n'est rien sans l'autre. Il redonne un

�ens spirituel profond à l'acte charitable et prêche qu'il n'y a pas de hiérarchie entre les hommes. li entend ainsi retourner aux sour­

ces et lutter contre les privilèges. Il rappelle que le pauvre n'est que la victime des péchés de la société, qu'il est le représentant de Dieu auprès des riches, que sa part est un dû et que l'en priver revient à commettre un vol :

"Selon les besoins de la société et les moments, ce qui est dû au pauvre n'est pas seulement l'excédent de l'ordinaire; il peut être nécessaire d'entamer le capital et d'accepter des privations"

(8).

Bien que cette doctrine et ces pratiques sociales aient marqué l'esprit des Genevois pour des siècles, ces règles de conduite à l'é­

gard des pauvres sont évidemment très exigeantes et par là-même difficiles à tenir. Elles sont suivies pendant environ un siècle, puis reviennent d'anciennes habitudes qui consistaient notamment à chas­

ser, voire à faire donner le fusil sur les groupes de vagabonds et de mendiants qui sillonnaient l'Europe. Il faut dire que les temps sont durs mais que les fléaux {guerres, mauvaises récoltes, inflation) sont attribués à la vindicte divine contre le lucre des riches et la fainéantise des pauvres.

" 11 est frappant de constater que dans toute I' Europe on eut

recours aux mêmes mesures pour mettre un frein à la mendicité et aux désordres sans nombre qui en résultaient. Les raisonne­

ments sur lesquels se basaient les mandats et ordonnances qui visaient les pauvres étaient au fond logiques. Les mendiants, disait-on, couvrent le pays et sont une charge pour la popula­

tion. li faut à tout prix s'en débarrasser. Interdisons la mendi­

cité. Mais que faut-il faire de pauvres gens qui doivent vivre tout de même? L'Etat a le devoir d'y songer. Parmi ces men­

diants, nombreux sont ceux qui viennent de l'étranger. 1 ls ne regardent donc pas l'Etat. Qu'on les renvoie chez eux. Quant à ceux du pays, il en est qui sont valides : qu'ils travaillent.

Il en est d'autres qui ne peuvent se suffire, soit en raison de leur âge, soit en raison de leurs infirmités. L'Etat n'est pas or­

ganisé de façon à pouvoir en supporter directement la charge.

Puisque l'on admet que chaque pays doit nourrir ses pauvres, chaque ville et choque village doivent en faire autant"

(9).

Commencent alors à se poser au XVIe siècle deux problèmes qui resteront au centre du débat sur l'assistance, c'est celui de l'assistance au lieu de domicile - qui vient tout juste d'être réglé

(10)

en Suisse (mois pas encore ou pion international) - et celui du por­

tage des responsabilités entre l'Etat, l'Eglise et le secteur privé d'une façon générale. Il y a là les prémisses de Io problématique de l'ac­

tion sociale dons l'institution et hors de l'institution puisque l'Eglise agit officiellement par le canal de sa propre administration mais que par ailleurs elle exhorte les fidèles à faire de même à titre personnel.

De surcron, à cette époque Io commune et Io paroisse ne font souvent qu'une seule entité administrative. ·

Il fout noter encore que l'inflation est due pour une bonne part aux grondes découvertes qui déplacent une partie de Io vie économi­

que vers le Nouveau Monde et plonge l'Europe dans une longue pé­

riode de récession. A l'augmentation importante des mendiants qui en résulte il y a deux types de réactions. le premier, dû à la crain­

te, amène à enfermer les pauvres. Il se répand systémotiquEl!llent par­

tout si bien que :

"l'on a parfois défini la politique d'assistance du XVIIe siècle et d'une partie du siècle suivant comme celle du 'grand renfer­

mement'"

(10).

le second amène à se débarrasser des pauvres en les renvoyant chez eux, c'est-à-dire en fait, à multiplier ces hordes de gueux qui déambulaient, rendant les. chemins peu sûrs - d'où la crainte des pau­

vres et

1

'enfermement.

4. la Révolution industrielle et la misère au XIXe siècle

Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle la situation reste sensiblement Io même mais la Révolution française, notamment la Déclaration des Droits de l'homme, et la Révolution industrielle modifient considéra­

blement les rapports économiques et sociaux, singulièrement les rap­

ports de classes. la bourgeoisie, avec une dextérité jamais prise en défaut, va s'adapter à une situation nouvelle créée par l'exode rural vers les vil les industrielles et les manufactures, par les conditions de vie désastreuses engendrées par l'urbanisation et par l'extension de Io division du travail, par la classe ouvrière naissante et par la montée du socialisme. On passe de l'ère charitable à l'ère paterna­

liste. C'est une réponse du pouvoir économique, politique et social aux nouvelles conditions de vie dans les villes et les banlieues in­

dustrielles et aux nouvelles conditions de travail. Ces dernières se dégradent brusquement.

le passage de la société précapitaliste au capitalisme introduit

11n intermédiaire (le capitaliste) entre le producteur et le consomma­

lour :

"la division capitaliste du travail - typifiée par l'exemple célè- bre de la manufacture d'épingles, analysée par Adam Smith - a été adoptée non pas à cause de sa supériorité technologique, mais parce qu'elle garantissait à l'entrepreneur un rôle essentiel dons le processus de production : celui du coordinateur qui, en combinant les efforts 'séparés' de ses ouvriers, obtient 'un' pro­

duit marchand"

(11).

Le producteur est donc totalement dépossédé de son travail, c'est l 'oliénotion que nous retrouverons à tous les échelons et dans tous fc�s secteurs de la société et qui aboutira aux conditions générales de vie parmi les pires que nous oyons connues dans l'histoire. l'état de la classe ouvrière ne cesse en effet de se détériorer durant tout le XIXe siècle et les témoignages sont heureusement nombreux, notam- 111ent dons la littérature de l'époque. Il est bon d'en citer quelques­

uns car les mémoires sont courtes alors même qu'il s'agit d'une pério­

de tout à fait récente.

En

1851

Victor Hugo, dont nous connaissons bien la verve poéti­

que mais en général mal le rôle politique, prend tout d'un coup conscience que la misère humaine qu'il a si bien dépeinte a des c;auses sociales et économiques. Il est alors député conservateur à la Chambre, sous la Deuxième République, et décide de se rendre compte de visu des conditions de vie des prolétaires de Lilles. Il fait ce qu'il appellera sa "descente aux enfers" et griffonne sur. place quelques notes sur un calepin qu'un chercheur, Bernard leuillot, a retrouvé à la Bibliothèque Nationale à Paris. Il découvre une popu­

lation vivant dans des caves humides, sans air, "de cinq pieds à Io partie la plus haute", des enfants malades, phtisiques, nus, .des gens couchant "à quatre sur un lit-coffre-paillasse, sons draps n1 couver­

tures", et ainsi de suite. Ecœuré il essaye de rollier quelques amis à sa cause, mais sons succès.

"De retour, Hugo compose son appel à l.o Chambre; il ne pour­

ra jamais le prononcer; le gouvernement veillera à ce qu_e la parole ne lui soit jamais

onnée sur ce sujet. Il conv

:

n

1t que

le mensonge officiel gordat sa valeur de dogme. le ministre Vaisse, ancien préfet du Nord (et par conséquent renseigné), avait déclaré à la tribune, le

31

janvier

1851 :

'A Lille, Mes­

sieurs , toute la population est charitable, animée des sentiments

(11)

les plus phi !anthropiques ( ..• ) . A Li lie, le patron est vraiment le père des ouvriers' " (12).

En une autre occasion, Victor Hugo s'adressant aux bourgeoises qui devisent en mangeant des petits fours dans leurs salons du XVIe arrondissement leur lancera : "C'est Io chair même des enfants que vous mangez". A cette même époque le socialiste libertaire Proudhon parlera d'une société anthropophage et affirmera que "la propriété, c'est le vol".

Les enfants sont les victimes les pilus tragiques de cette époque barbare. Au placement chez. les paysans a succédé au début du XIXe siècle le placement dans les colonies agricoles qui deviendront les bagnes d'enfants, puis dans les colonies industrielles de tous les enfants qui pour une raison ou une autre tombaient à la charge pu­

blique. Puis cè seront les pénitenciers, les maisons de correction et de redressement.

".:. il avait dix-sept ans. Jeté en cellule pour une tentativ.e d'évasion, l'enfant tomba sous la coupe d·'un gardien qui l'avait en haine. Ce gardien, ce fonctionnaire, ce tortionnaire nommé Périal, poussa l'ignominie au point de priver sa victime de la portion de nourriture accordée aux enfants punis : une soupe tous les quatre jours. Périol vida dans les latrines la gamelle du petit martyr. Pendant trois semaines, le malheureux vécut au régime d'une mince tartine de pain que, chaque jour, on lui lançait. Et, des cellules voisines, ses petits camarades l'entendi­

rent, de longues nuits, sangloter en demandant à manger : 'par pitié! par pitié! j'ai faim ... ' Le matin du vingt et unième jour, on le trouva mort dans sa cellule - avec, aux dents, des débris de plâtre que l'enfant avait mâchonné ... " (13).

Et ces régimes ne se termineront réellement qu'avec la seconde guerre mondiale. En France :

" ... en 192 6 la mortalité des enfants de 0 à 1 an est encore de 9,75%. Mais celle des enfants assistés du même âge est de 23 ,08%. A ce sujet, les spécialistes parlent de véritable 'massa­

cre des innocents'. Dans quinze départements, la mortalité des assistés va de 30 à 40 o/o; dans dix, elle est égale ou supérieure à 40 %. De tels taux font songer à ceux antérieurs à la Révolu­

t ion" (14).

En Suisse les conditions ne sont �ère plus enviables, bien que ce soient le plus souvent des exemples étrangers qui viennent à l'es­

prit pour illustrer la condition ouvrière au XIXe siècle :

"L'entreprise fonctionne jour et nuit, sans interruption. Pour chacun des ouvriers, la journée de travail est de 19 heures, dont 2 à 2 heures et demie de pause; i 1 ne reste que 5 heures à consacrer au sommeil" (15),' (Fabrique des Frères Labhart à Steckhorn.)

Le sort des ouvriers travaillant au percement du tunnel du Gothard est déplorable, les cadences sont infernales et l'hygiène dé­

sastreuse car seul le rendement compte. Lorsque les ouvriers se ré­

voltent, l'ingénieur genevois Louis Favre, chef des travaux, fait don­

ner la troupe :

" ... quand, pour des causes quelconques, l'air ne donne pas bien et qu'il est à peine suffisant pour faire marcher les perforatrices, l'entreprise, qui aime sans doute mieux voir périr des ouvr.iers que de perdre un mètre d'avancement, leur refuse cet air, ce qui équivaut à refuser la vie; et cette fumée, plus ou moins mauvaise selon la quantité et la qualité des drogues dont la dy­

namite est composée, est parfois un poison si violent, qu'elle donne la mort presque instantanément. Cinq ou six fois déjà il est arrivé que des hommes entrés au tunnel bien portants, en sont sortis une heure après avec la poitrine gonflée et mouraient une ou deux heures après leur sortie ... l'un de nos correspondants, ouvrier lui-même, insiste sur le manque de ventilation comme l'un des motifs essentiels de la grève ... notre second correspon­

dant affirme que la troupe a fait feu sur les grévistes sans aucu­

ne sommation préalable ... La troupe a fait treize prisonniers, qui ont été conduits à Altdorf, liés deux à deux, et enfermés dans la maison de force. Le peuple du canton d'Uri donne raison aux grévistes, ajoute le correspondant; et on craint que la façon d'agir de Monsieur Favre ne fasse naitre bientôt des conflits plus sérieux encore ... le nombre des ouvriers assassinés par les sicaires à la solde de M. Favre est de quatre" {1 6).

A Genève, au printemps 1868, les ouvriers maçons et terrassiers se mettent également en grève et obtiennent une bonne partie de ce qu'ils revendiquaient, diminution de la journée de travail à 11 heures et augnentation de salaires de 10 % (17).

(12)

5. L'organisation de la classe ouvrière

Le

15

avril

1871,

pendant Io "Commune", des travailleurs gene­

vois affirment leur solidarité avec la première Internationale et les Parisiens en lutte. 1 ls disent entre outres :

. 11 Dons la révolution communale du

18

mors, nous avons salué l'avènement politique de Io classe ouvrière, et nous l'avons considérée comme le commencement de l'ère de fa réorganisa­

tion sociale"

(18).

C'est justement cette· réorganisation sociale dont la bourgeoisie ne veut pas car elle en mesure bien les enjeux pour ses privilèges.

Et elle utilisera

à

nouveau tous les moyens qui lui semblent bons pour réagir contre l'organisation naissante de la classe ouvrière. A Genève, Gustave Moynier, l'un des fondateurs de la Croix-Rouge, impressionné par la Commune de Paris, suggère la formation d'une

"association nationale des Amis de l'ordre social" pour la défense de la patrie, de fa famille, de la propriété et de Io liberté du travail

(19).

On ne peut être plus clair. En réalité cette association ne verra i.amais le jour, en tout cos sous cette forme.

Malgré les oppositions et les réactions bourgeoises la classe ou­

vrière se constitue progressivement et institue ses propres opparei ls de lutte :

- les syndicats, dont les pionniers en Suisse sont les typographes en

1845,

- les coopératives, vers

1850,

qui dans un premier temps sont conçues comme instrument de lutte anticapitaliste mais qui s'ouvriront par la suite

à

la totalité de la population,

- la première association internationale des travailleurs (dite Premiè­

re Internationale), fondée

à

Londres en 1864.

Pour la classe dominante, utiliser tous les moyens pour contrer l'organisation ouvrière cela veut dire user de la répression et de la force physique après avoir recouru

à

des stratégies plus subtiles -

à

savoir principalement la propagande idéologique, la persuasion bien­

veillante et l'action caritative publique ou privée

Genève, le refuge pour femmes de petite vertu, les soupes économiques, le Bureau des familles, la Croix-Bleue, les classes gardiennes, les cuisines sco­

laires, le Bureau Central de Bienfaisance, la Société genevoise d'uti­

lité publique ... ). C'est

à

ces stratégies "douces" que vont s'employer, au moins jusqu'au milieu du XIXe siècle, les travailleurs sociaux.

On ne parle d'ailleurs pas de travail leurs sociaux avant les années 1890. Ceux-ci, ou plutôt celles-ci car il s'agit presque exclusive- 111ent de femmes, sont soumis

à

une triple allégeance qui n'en forme

flnalement qu'une seule quant aux valeurs défendues (Trovai 1, Famille, Potrie), envers la bourgeoisie, l'Eglise et le patronat.

6. Les premiers travailleurs sociaux, une réponse de la bourgeoisie

C'est

à

la fin de ce XIXe siècle d'obscurantisme social que nais­

sent en Europe et aux Etats-Unis des institutions originales qui boule­

versent parfois la bonne conscience ambiante des classes dirigeantes, les settlements et les "maisons sociales", les ancêtres de nos actuels centres sociaux. Des .femmes et des jeunes filles de bonne famille, parfois désoeuvrées, parfois sincèrement heurtées par les conditions de vie désastreuses de la classe ouvrière, décident de quitter leur vie tranquille, souvent leur famille dont elles sont parfois rejetées (Jeanne Bassot en France par exemple), pour al Ier s' instal Ier (to settle, s'établir) dans les quartiers pauvres des grandes cités industrielles afin de partager les difficultés du prolétariat et d'aider celui-ci

à

les

surmonter. Il faut chercher l'origine de ce mouvement en Angleterre

" ... le premier 'settlement house' fut créé

à

Londres en

1884

par le vicaire Samuel Bamett qui prit conscience de ce que le système paroissial britannique était dépassé par la révolution in­

dustriel le. If vint donc s'établir

à

White-Chape(, le pire taudis de Londres, accompagné par un groupe d'universitaires d'Oxford ...

Ifs y organisèrent toute une série d'activités : des clubs, des classes, des conférences, des concerts. Tout en animant cette oeuvre d'éducation populaire, ils s'identifièrent avec le quartier, en étudiant ses besoins et surtout en participant

à

ses luttes so­

ciales. (Ce premier centre) servit de modèle dans le monde entier, le mouvement des 'settlements' prit une extension internationale : on en créa en Hollande, en Allemagne, en France, en Asie et en particulier aux Etats-Unis"

(20).

Dans les années qui suivirent, aux Etats-Unis, c'est Jane Addams,

"la conscience de l'Amérique", future prix Nobel de la paix, qui est la meneuse du mouvement des settlements. Elle veut "interpréter la démocratie en termes sociaux" et, ce sera une exception pour l'époque, interfère dans les problèmes économiques ou politico-économiques. Elle

(13)

uti 1 ise la souplesse de structure des settlements et la proximité des citoyens pour mener le combat dans tous les domaines à la fois, pre­

nant de vitesse les syndicats dans des domaines tels que le "salaire minimum, l'abolition du travail des enfants, la protecfion de la femme et la sécurité sociale"

(21).

Ces pionniers des settlements sont avant la lettre ce que sont aujourd'hui les travailleurs sociaux du type mi­

litant socio-politique.

"Malgré les limites de cet humanitarisme populiste, on ne peut manquer d'être impressionné par l'idéalisme généreux de person­

nes qui, comme Jane Addams, n'ont pas hésité à abandonner une existence confortable pour partager la vie des immi

g

rants dans leurs taudis et à chercher à briser les barrières de la ségré"gation sociale"

(22).

C'est dans le XIe arrondissement de Paris que la première expé­

rience française a lieu en

1896,

mais sur un ton non seulement mon­

dain et paternaliste mais tout à fait aristocratique qui ne cache pas son objectif de classe :

"L' 'Oeuvre Sociale' ••• se définit .nettement ••. comme ayant pour

but 'la fusion des classes, la régénération morale du ·peuple, la réconciliation du pauvre et du riche et l'apaisement si vainement tenté jusqu'ici'. Le Comité des Dames patronnesses est présidé par la Duchesse de Gramont ..• ; sur la liste des quatre-vingt­

cinq femmes qui en sont m·embres, on relève deux princesses, une duchesse, douze marquises, dix-neuf comtesses et quelques baronnes de moindre importance"

(23).

Ce sont les grands moments des dames patronnesses. Et toutes les velléités d'action plus politisée seront sévèrement réprimées, taxées de dangereuses et cesseront en

1909

à la suite d'un procès retentis­

sant, celui de Jeanne Bassot, une des militantes, accusée par sa pro­

pre mère de mener une vie de vice et de mensonge

(24).

L'exem­

ple des settlements et des maisons sociales est intéressant car i 1 mon­

tre bien les tensions perpétuelles dans lesquelles se sont trouvées plongées toutes les actions liées à l'aide sociale depuis le début de la révolution industrielle. Une tendance majoritaire médiatrice, con­

servatrice, paternaliste, puis technicienne (le bon patron, l'assistante sociale archétype de la bonne mère, selon le slogan de la Belle Epoque "les assistantes sociales apportent aux familles joie et santé") et une tendance minoritaire, militante, combattive, parfois populiste et volontariste mais consciente des rapports de classes. C'est à se demander s'il n'y a pas là un mouvement permanent dans le travail

social car nous retrouvons ce clivage encore à l'heure actuelle. Ce mouvement apparait comme intimement lié aux rapports de classes et découvre le paradoxe et le mythe de la neutralité du travai 1 social. L'entreprise de neutralisation va en effet se poursuivre au XXe siècle avec la même intensité, la même naiveté, la même outre­

cuidance mais avec la même efficacité sur les travailleurs sociaux eux-mêmes, sur la classe dirigeante, mais avec beaucoup moins de succès auprès de la majotiré de ceux à qui s'adresse le travail social, les sous-privilégiés. Ceux-ci en effet, moins crédules qu'il n'y parait au premier abord, savent en général user de leur différence pour ma­

nipuler, le plus souvent à leur insu, les travailleurs sociaux et esqui­

ver l'autorité. C'est de bonne guerre, c'est la seule façon pour eux de se défendre contre la puissance et la séduction de la classe domi­

nante. A cet égard l'histoire de la période technicienne du travail social, de

1900

à nos jours, est particulièrement parlante :

"Avec la fermeture des maisons sociales, voici également le premier - l'unique chapitre - du féminisme catholique, qui a été brutalement interrompu. La voie est libre pour les idéologies 'familiales' - tout pour la famille, tout par la famille - que les travailleurs sociaux s'emploieront activement à véhiculer dans l'entre-deux-guerres et qui triompheront, avec leur concours do­

cile, sous le gouvernement de Vichy"

(25).

7. La période technicien ne

Au début du XXe siècle commence pour le travai

1

social une période qui va être marquée par la technicisation et la professionna­

lisation, par l'institutionnalisation des pratiques et l'étatisation pro­

gressive. Cette tendance se marquera J'larticulièrement après la deuxiè­

me guerre mondiale et ceci dans tous les pays occidentaux.

A Londres en

1910,

à Bordeaux et à Paris en

1912

apparaissent les premières assistantes d'hygiène scolaire dont le travail consiste principalement à lutter contre Io tuberculose qui fait alors des rava­

ges. En

1914

c'est le tour des infirmières-visiteuses de France qui se constituent immédiatement en association avec comme objectif princi­

pal de participer "à Io lutte contre la tuberculose et Io mortalité infantile et d'une manière générale ou dépistage des maladies et des tores ... tissant un réseau de protection sanitaire et sociale effectif"

(26).

Cette action est historiquement importante car, si elle comporte

(14)

incontestablement des aspects préventifs à ne pas sous-estimer, elle est également la première tentative de diffusion dans les familles populaires du contrôle social par l'intermédiaire de travailleurses sociales. C'est si vrai que l'administration et le pouvoir politique ne s'y trompent pas qui créent le diplôme d'Etat d'infirmière-visiteuse en

1922

déjà alors que celui d'assistante sociale, qui les supplante­

ront par la suite, ne sera créé qu'en

1932.

Il est en effet aisé d'introduire un contrôle - progressivement dons ces professions on parlera d'intervention - sous le couvert de la prévention médicale et sous Io responsabilité dernière du médecin.

Cet astucieux amalgame du médical et du social durera, à travers Io pratique et Io formation des assistantes sociales, jusqu'en

1972

puis­

que ce n'est qu'à cette dote que la première année de formation commune aux infirmières et aux assistantes sociales disparaîtra en Fronce.

"Lo visiteuse, pénétrant dons les foyers, est susceptible de four­

nir un 'classement' des familles ouvrières ••. une opération de repérage et d'étiquetage, visant à la maîtrise de cette popula­

tion. El le permet de foire le partage entre les 'relevables', les irrelevables étant ceux qu'on ne peut espérer intégrer de

façon stable dans la production ••• "

(27).

En Suisse la situation est sensiblement différente car il n'y o jamais eu, à ma connaissance, de formation commune, ce qui n'empê­

che pas les infirmières en santé publique d'être parfois en compéti­

tion sur le terrain avec les assistantes sociales, particulièrement dons l'action à domicile, dons les entreprises et dans les hôpitaux.

Lo première guerre mondiale va accélérer l'encadrement de Io classe ouvrière. Les hommes étant ou front, on fait appel aux femmes, en faisant valoir le sentiment national, pour foire tourner les usines.

Mois Io bourgeoisie veille toujours sur la moralité douteuse qui peut naître de ces faibles femmes (qui remplacent tout de même les hom­

mes ou poste de travail

!)

en raison de proximités dangereuses :

"Faut-il rappeler les risques auxquels ces pauvres créatures se trouvaient exposées dons certains immenses centres industriels, où elles logeaient dons des baraquements en voisinage quelque­

fois immédiat avec les Africains et les Chinois"

(28).

On crée alors en Fronce, à l'instar des Anglais, les surintendantes d'usine chargées de protéger et de contrôler les attitudes et le mode de vie à l'usine des ouvrières :

"Pour assurer aux femmes travaillant dons les usines les bénéfi­

ces de !'Hygiène toute spéciale que leur sexe exige, un agent féminin, intermédiaire entre les cadres masculins des ateliers et les ouvriers, est reconnu indispensable"

(29).

Ce corps se développe rapidement et prend une importance gran­

dissante. Il deviendra bientôt le véritable bras social du patronat.

Lo première école de surintendante est fondée à Paris en

1917.

Ainsi les surintendantes dons l'entreprise, les infirmières-visiteuses dons les familles et les assistantes d'hygiène scolaire à l'école sont les précurseurs des travailleurs sociaux que nous connaissons actuelle­

ment. Elles contrôlent ainsi les trois principales instances de forma­

tion idéologique, le travail, la famille et l'école. Elles recouvrent déjà la majorité des sphères d'activité existant aujourd'hui à l'excep­

tion de l'éducation spécialisée en internat. C'est aussi une première et notable étape de la division du travoi 1 et le début de la spécia- 1 isation. Celle-ci apparaîtra avec l'arrivée des assistantes sociales dès la fin de la guerre mais surtout à partir de

1925.

Les premières écoles sont fondées à New York en

1898

et dans 1 es années

1915-

l

920

en Europe. A Genève, l'Ecole d'Etudes Sociales voit le jour en

1918.

Mais si les mouvements sociaux du XIXe siècle avaient pris naissance en Europe, ce sera désormais des Etats-Unis que viendront les premières expériences et les premières techniques professionnelles.

Des esprits novateurs pour l'époque conçoivent le travail social de cas ("casework" ou service social individualisé, ou aide psycho­

sociale individuelle, ou aide psychologique individualisée, ou interven­

tion sociale personnalisée) qui deviendra la méthode de base du ser­

vice social après avoir été dépouillée de sa dimension politique et sociale par le développement de la psychanalyse dans les années vingt.

Dès lors il ne s'agira plus, dans les faits, que d'adapter la personne r1 son milieu alors qu'il s'agissait initialement d'une approche tenant compte de la dimension économique et sociale et d'une adaptation réciproque du milieu et de Io personne. Mary Richmond, la fondatrice du travail social de cas avec son ouvrage "Social Diagnosis"

(1917)

concevait la relation et l'action professionnelle de cette façon com­

plète et dynamique incluant au même titre la personne et son milieu au sens large :

"Mais son enfant lui échappe bien vite, en se détournant des problèmes du milieu pour s'orienter exclusivement vers ceux de l'individu. On lui prête ces paroles : 'J'ai dépensé vingt-cinq ans de ma vie à essayer de foire accepter le travail social de

(15)

cas comme un processus valable dans le travail social, je dépen­

serai le reste de ma vie à chercher à démontrer qu'il y a plus dans le travai 1 social que le travai 1 social de cas'" (30).

Comme souvent, il faut ici retourner aux origines pour comprendre l'évolution récente. On continue à enseigner le service social comme si ces méthodes offraient une possibilité concrète de promotion sociale.

C'est certainement vrai dans l'esprit des enseignants mais .totalement inopérant sur le terrain. Il y a dès lors une incompréhension culturel­

le entière entre le travailleur social et son "client" issu d'une autre sous-culture. Comment pourrait-il en être autrement puisque l'on sait que l'objectif de la classe dirigeante n'a jamais été d'.émanciper ou de promouvoir la classe prolétarisée mais de I' "éduquer", de lui in­

culquer les bonnes manières en quelque sorte.

En fait, on reproche à la charité chrétienne de n'avoir pas su ou pas pu contrer la lutte des classes naissante avec la Révolution indus­

trielle: On reproche aussi à l'assistance d'avoir mis en avant une po­

litique des droits sociaux. On utilise alors, c'est la réponse de la bourgeoisie, le travail de cas comme un moyen d'endoctriner la clas­

se ouvrière urbaine qu'on distingue maintenant des assistés. Par la m*ne occasion on va s'opposer une fois de plus aux organisations ouvrières :

"Pour s'opposer aux formes collectives des actions de défense (syndicalisme et socialisme, conscience de classe, celle-ci étant reconnue et nommée dans les textes de l'assistance sociale nais­

sante), on préconise une action individuelle entendue comme une assistance éducative, adaptée aux problèmes "personnels", ce qui permet d'en ignorer Io régularité statistique et l'origine •.. Le projet de l'assistance sociale naissante n'est donc pas d' 'aider' des ouvriers ayant des difficultés - ce vocabulaire est moderne - mois a· 'éduquer la classe ouvrière', c'est-à-dire de lui fournir des règles de bon sens et des raisons pratiques de moralité, de rectifier ses préjugés, de -lui apprendre la rationalité, de la 'discipliner' dons sa tenue, dans sa maison, dans son budget, dons

sa tête" (31).

La crise économique des années trente puis le Front populaire - en Suisse comme en France - auraient pu être une occasion �our le travail social d'utiliser sa connaissance concrète des réalités de Io vie quotidienne des travailleurs, des chômeurs et des familles en butte aux difficultés matérielles pour jouer un rôle plus engagé économique­

ment et politiquement. Mais il n'en est rien. Au contraire. Les tro-

veilleuses sociales en profitent pour proclamer leur neutralité et affirmer qu'elles :

"vivent en dehors et ou-dessus de toutes querelles, dans la serei­

ne région où ne pénètrent pas les passions partisanes et d'où rien ne peut les faire descendre" et qu' "un service social est en ceci rigoureusement comparable à un service médical (qu') il n'y a pas de nuance politique dons le diagnostic d'une infec­

tion quelconque" (32).

On prêche désormais Io réconciliation des classes et une vision humaniste des problèmes personnels, ce qui se traduit dans la termino­

logie par le passage de l'assistance et de l'éducation (du peuple) à l'aide.

Il faut noter toutefois qu'une petite minorité de travailleurs sociaux de l'entre-deux-guerres ose exprimer sa solidarité avec la classe ouvrière, révéler les objectifs de rendement économique qui justifient de facto le travail social et dénoncer l'hypocrisie des te­

nants des pratiques charitables. En France, Madame Getting, qui n'est pas d'origine catholique et qui refuse de parler de charité, fonde les services sociaux d'hôpitaux :

"c'est un instrument simple et pratique conçu pour améliorer le rendement économique et social du travail hospitalier et pour rendre aussi productives que possible les dépenses que s' impo­

sent les collectivités en vue d'entretenir leurs hôpitaux" (33}.

Aux Etats-Unis, Saül Alinsky, promoteur des stratégies conflictuel­

les dons les années trente dans les taudis noirs des grandes cités in­

dustrielles, déclare :

"Ils se flattent de pouvoir ajuster les gens aux situations difficiles grâce à leurs techniques et à leur talent. Ils viennent aux habi­

tants des taudis sous l'égide de la bienveillance et de Io bonté, non pour organiser les gens, pour les aider à se révolter et à sortir de Io crasse par la lutte. Non ! Ils viennent pour adapter les gens; les adapter de façon à ce qu'ils vivent en enfer et qu'ils aiment ça par-dessus le marché. Une forme plus élevée de trahison sociale est difficile à concevoir et pourtant cette infamie est perpétuée ou nom de Io charité" (34).

Sous l'occupation se développe en France plus que jamais l'idéo­

logie "Travail-Famille-Patrie", véritable devise du régime de Vichy.

Le retour ou pouvoir de Io droite, les "impératifs" démographiques et économiques dus à la guerre, le mythe de la discipline et de l'ordre

(16)

renaissant se traduisent par la glorification de la famille (nombreuse si possible). En cela, ces phénomènes renforcent l'idée-mailresse du service social qui est à ce moment-là celle de la protection de la famille. Et cela n'est pas propre à la France, les mêmes tendances existent en Suisse, elles existent d'ailleurs toujours. Pendant cette sombre période, comme sous le Front populaire, rares seront les tra­

vail leurs sociaux qui s'engageront en donnant à leur action un sens politique.

L'après-guerre est marqué par une institutionnalisation, une étati­

sation et une réglementation progressive du travail social, par une augmentation quantitative sensible des agents, par une professionnali­

sation croissante et par la psychologisation des personnes, des relations et des problèmes. La tendance générale est à la minimisation des aspects matériels qui sont moins importants qu'avant-guerre et à la maximalisation des aspects relationnels, personnels, affectifs, familiaux, etc., ce qui permet encore une fois de maintenir et de développer l'appareil en place sans poser la question des. causes des difficultés rencontrées par les usagers. En clair on "traitera" par exemple les difficultés relationnelles familiales avec un soin considérable sans combler auparavant, parallèlement ou même après, les lacunes maté­

rielles (conditions de travail, revenus, dimension du logement, désarti­

culation de la vie urbaine •.• ). Or, une observation attentive des situations que les travailleurs sociaux ont à affronter montre qu'elles sont dues pour une large part à ces carences matérielles. Néanmoins ils s'évertuent (le terme est adéquat car i 1 ne s'agit en aucune fac;on de faire un procès d'intention aux travailleurs sociaux), souvent con­

tre leur gré, à pratiquer et à améliorer une thérapie des conséquen­

ces, inévitablement inefficace dans l'ensemble. Son seul avantage, non négligeable il est vrai, est de calmer momentanément la souffran­

ce individuelle. C'est ce constat d'impuissance à terme, entre autres, qui provoquera le malaise puis la crise actuelle du travail social.

"La 'psychologisation', à l'œuvre depuis une vingtaine d'années, permet de réintroduire les jugements moraux et les images qui hantaient l'inconscient des dominants sous un travestissement mo­

derne et scientifique qui leur prête des fondements inattaqua­

bles. Au service social, la psychologie et la 'science psychana­

lytique' fournissent une technique, le case-work, particulièrement efficace pour transformer le jugement en fait scientifique, les déterminismes économiques en particularités de comportements"

(35).

"En tant que psychologue, je crois fermement que nous sommes un mauvais modèle de professionnalisation pour les travailleurs sociaux : et ceci pour trois raisons. La première est simplement que du point de vue de l'analyse sociale et du point de vue de l'intervention, la psychologie n'a pas réussi à se donner une définition satisfaisante. Même quand on prétend que le préfixe 'psycho' veut nécessairement dire quelque chose, la profession n'a pas réussi à définir une efficacité au-delà de la thérapie des individus ou des groupes restreints et artificiels (créés par le psychologue lui-même) : au-delà de ce type d'intervention, le psychologue reste un scientiste à la recherche d'une prati­

que" (36).

Les deux autres raisons sont que la psychologie est elle-même en crise et qu'elle est avant tout une pratique privée contrairement au travai 1 social dans son ensemble. Si cette analyse de la psychologie est juste on comprend mieux pourquoi le travail social, soumis pres­

que totalement à la psychologie jusqu'à un passé proche, n'est jamais un mesure de faire éclater les frontières de la dimension individuelle ut familiale.

IL Une travailleuse sociale-type, l'assistante sociale

Une autre façon de comprendre la réalité, le rôle et l'idéologie du travai 1 social est de caractériser celles qui sont, entre 1920 et 1970, les représentantes principales de ce champ d'activité, les assis­

tuntes sociales (ce quasi monopole se subdivise maintenant en une quantité de professions ou de spécialisations). L'assistante-sociale­

type est :

a) une militante chrétienne. En France, 90% ont été élevées dons le catholicisme et la moitié de Io profession a appartenu à des mouvements de jeunesse confessionnels (37). Le peu de statistiques que nous avons en Suisse porte toutefois à croire que les résultats devraient être approximativement les mêmes. En 1974, 89% de la to­

talité des assistants sociaux de Neuchâtel et de Fribourg sont de confession protestante ou catholique (NE 80%, FR 98%). Ils prati­

quent à raison de 70 % (48,2 % à NE et 92,6 % à FR) (38). En 1980 Io personnel pédagogique des trois écoles sociales - animation, édu­

cation spécialisée, service social - et les membres de la direction de

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