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En médecine, en faire moins peut rimer avec efficience et élégance

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Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 21 novembre 2012 2239

«Less can be more». Est-ce la crise écono- mique actuelle qui vous a poussé à choi- sir ce thème pour le huitième symposium Platin de la SSMI ?

En quelque sorte. Mais c’est d’abord le rap­

port de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui compare les performances des différents systèmes de santé en Europe qui nous a convaincus que ce thème était devenu es­

sentiel. Cette étude montre que les Suisses sont ceux qui dépensent le plus de leur propre poche pour se faire soigner. La part du PIB dévolue aux coûts de la santé est certes importante dans notre pays, mais elle n’est pas étouffante comme aux Etats­

Unis. Par contre, que 30,5% des dépenses de santé soient directement assumés par les ménages constitue un véritable pro­

blème. La charge économique est lourde, voire même insur­

montable pour les familles modestes et pauvres. Comme l’a montré une étude gene­

voise que j’ai signée avec les Drs Hans Wolff et Idris Guessous, près de 15% de la population renoncent à des soins pour des questions d’argent. C’est franchement in­

quiétant et cela doit pousser les médecins à prendre en compte l’aspect économique de leur pratique.

Faut-il une couverture universelle «à la française» pour remédier à ce problème ? Pas forcément. Cela dit, l’opacité actuelle qui entoure la gestion de l’assurance obli­

gatoire de soins n’est plus tenable. Aujour­

d’hui, ni le Conseil fédéral, ni l’Office fédé­

ral de la santé publique ne peuvent forcer les assureurs à baisser leurs primes. Même si celles­ci ne correspondent pas aux coûts

réels de la santé. C’est ce qui s’est passé cette année dans le canton du Jura. Alain Berset et les autorités fédérales ont remar­

qué que les primes étaient trop élevées dans cette région. Ils n’ont pu que constater qu’aucune base légale n’existait pour faire pression sur les caisses maladie et les contraindre à revoir les primes à la baisse.

Dans un pays où l’assurance­maladie de base est obligatoire, cette situation est ab­

surde.

Des considérations plus médicales vous ont-elles aussi poussé vers la probléma- tique du «less can be more» ?

Oui, bien entendu. Avec ce concept du

«moins peut être plus», je pense avant tout aux médecins de famille, qui sont aujour­

d’hui dans la tourmente. Il faut promou­

voir leur profession, dit­on, car ils sont au cœur du système. Mais ils sont mal rému­

nérés et il devient très difficile d’attirer une relève. Le discours officiel nous dit qu’il est difficile de payer plus ces médecins sans augmenter globalement les coûts de la santé. C’est peut­être là où les médecins eux­mêmes peuvent faire des efforts pour que l’ensemble du système revienne moins cher. C’est exactement la réflexion qu’a me­

née l’éthicien Howard Brody dans un édi­

torial paru en 2010 dans le New England Journal of Medicine. Aux Etats­Unis, il s’agis­

sait de donner à 30 millions d’Américains une couverture de santé. Un point essen­

tiel. Tous les acteurs du monde de la santé, des assureurs aux entreprises pharmaceu­

tiques, ont publié un catalogue de mesures pour économiser et permettre à l’Obamacare de voir le jour. Tout le monde, sauf les méde­

cins, qui ont dit ne pas pouvoir faire d’efforts supplémentaires en termes d’hono raires.

Cette position était­elle vraiment tenable pour un corps de métier qui a fait serment d’aider les patients autant qu’il le peut ? Non, a répondu Brody, qui a alors proposé que chaque spécialité médicale liste cinq pratiques coûteuses, fréquentes et inutiles, susceptibles d’être abandonnées pour di­

minuer les coûts de la santé (les top five lists). Chez nous aussi, il doit être possi ble de cibler et d’abandonner certaines pra­

tiques pour réduire les coûts de la santé.

Les cinq points listés par les Américains pour limiter les coûts et améliorer la pra- tique en médecine de famille peuvent-ils être repris tels quels en Suisse ?

Pas complètement. Le numéro cinq propose par exemple de ne pas faire de minéralo­

métrie pour tester l’ostéoporose chez des femmes de moins de 65 ans et chez des hommes de moins de 70 ans qui n’ont pas de facteurs de risque. De quoi faire certai­

nement sourire nos praticiens. Idem pour l’avant­dernier point des Américains qui recommande de ne pas dépister le papillo­

mavirus humain après une hystérectomie.

Allons plutôt dans l’autre sens : lesquels des cinq points peuvent être appliqués en Suisse ?

Les trois premiers. Ne pas faire de radio­

graphie du dos systématique chez quel­

qu’un qui a des douleurs lombaires récen­

tes, à moins qu’il y ait des signes de gravité.

Tout comme ne pas prescrire d’antibioti­

ques pour des sinusites aiguës, à moins qu’il y ait des signaux d’alarmes spécifi­

ques ; et ne pas faire d’ECG dans le but de détecter une maladie coronarienne chez un patient asymptomatique.

Ces recommandations sont-elles faciles à mettre en place ?

Plus facilement si l’on commence par de

«gros bateaux», ce que les Américains ap­

pellent des quick wins. Il ne faut pas viser des procédures sophistiquées mais rares, mais plutôt se concentrer sur ce qui est fré­

quent et inutile.

interview

… Comme l’a montré une étude genevoise près de 15% de la population renoncent à des soins pour des questions d’argent …

En médecine, en faire moins peut rimer avec efficience et élégance

«Less can be more». La phrase peut paraître contradictoire. Et pourtant, c’est bien ce slogan qui a servi de fil conducteur au huitième symposium Platin de la Société suisse de médecine interne (SSMI). C’est que, par les temps qui courent, chasser les pratiques inutiles et coûteuses devient une priorité pour assurer qualité et accès aux soins sur le long terme. Non pas rationner, mais faire la chasse aux gaspillages devient un devoir éthique du médecin. C’est en tout cas l’avis du Professeur Jean-Michel Gaspoz, directeur du Service de médecine de premier recours des Hôpitaux universitaires de Genève et Président de la SSMI.

Interview du Pr Jean-Michel Gaspoz par Michael Balavoine

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Au-delà de l’exemple américain, comment sélectionner ces pratiques cliniques qui devraient être bannies ?

En Suisse, c’est plus difficile qu’aux Etats­

Unis. Parce que nous n’avons pas de don­

nées centralisées. Voilà qui serait un parte­

nariat intelligent que nous pourrions met­

tre en place avec les assurances : qu’ils nous transmettent des données qui nous permet­

traient de mieux connaître les pratiques médicales.

N’est-ce pas compliqué de faire compren- dre aux patients que «moins» peut signifier

«plus» en médecine ?

Oui, c’est le cas. Nous ne parlons pas ici de rationnement mais d’éviter les gaspillages.

Et cela, c’est particulièrement éthique, sur­

tout en temps de crise économique. C’est ce mes sage que l’on peut faire passer au­

près des patients, de même que celui que

tout examen comporte des ris ques à ne pas encourir si ce n’est pas nécessaire. Cette analyse critique des pratiques inutiles peut rimer avec efficience et élégance.

Des économies structurelles sont-elles aussi possibles pour rendre le médecin plus efficient ?

Oui. Le volet «prise en charge» doit s’accom­

pagner d’efforts au niveau de l’organisation des soins. Avec l’augmentation des mala­

dies chroniques, le médecin ne pourra plus travailler seul. Ces pathologies en appellent à la multidisciplinarité et donc à une redistribution des rôles. Le mé­

decin ne peut plus être à la fois infirmier, assistant social et spécialiste. Il doit être chef d’orchestre et non plus homme d’orchestre.

En d’autres termes, savoir déléguer et répar­

tir les tâches et les responsabilités seront demain des qualités essentielles pour un médecin. Mais cela suppose une organisa­

tion de pratique différente de celle que l’on connaît encore dans certains cabinets.

La Suisse est-elle très loin de ce modèle idéal centré sur un médecin «chef d’or- chestre» ?

C’est une question de génération. Pour les médecins âgés, c’est certainement difficile à concevoir. Beaucoup sont encore seuls en cabinet. Pour les nouveaux médecins qui sortent des services universitaires, les choses sont plus simples et ils y sont favorables.

Ils ont compris que dans une prise en charge multidisciplinaire bien gérée, un plus deux ne fait pas trois mais cinq. L’aug­

mentation de l’efficience est exponentielle et non linéaire dans ce type d’organisation.

C’est ce que la Suisse doit mettre en place aujourd’hui. Rapidement. Car nous avons un système de santé qui est encore très performant et de haut niveau. Mais les in­

efficiences, les redondances et les gaspilla­

ges sont importants. Et cela, on ne pourra pas se le permettre encore très longtemps, sans quoi la qualité des soins, en Suisse, devra être conjuguée au passé.

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… Le médecin ne peut plus être à la fois infirmier, assistant social et spécialiste …

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