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L’AFRIQUE ET LE PROBLEME DE LA BONNE GOUVERNANCE: LE REGNE DE MANSA SOULEYMANE DANS L’EMPIRE DU MALI, UN CAS DE BONNE GOUVERNANCE EN AFRIQUE OCCIDENTALE MEDIEVALE.pp. 66-75.

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Référence de cet article : Souleymane SANGARE (2013), L’Afrique et le problème de la bonne gouver- nance: le règne de Mansa Souleymane dans l’empire du Mali, un cas de bonne gouvernance en Afrique occidentale medievale, Rev iv hist,22,66-75.

L’AFRIQUE ET LE PROBLEME DE LA BONNE GOUVERNANCE:

LE REGNE DE MANSA SOULEYMANE DANS L’EMPIRE DU MALI, UN CAS DE BONNE GOUVERNANCE EN AFRIQUE

OCCIDENTALE MEDIEVALE.

Souleymane SANGARE

Maître-Assistant au département d’histoire (Université de Bouaké, Côte d’Ivoire) 01 BP 1899 ABIDJAN 01(Côte d’Ivoire)

sanga_soul@yahoo.fr

RESUMÉ

Dans cet article, nous étudions un cas de bonne gouvernance à travers le règne de Mansa Souleymane, empereur du Mali, entre 1341 et 1360. Nous montrons que durant son règne, ce souverain rechercha constamment la satisfaction de son peuple en menant une triple poli- tique : une politique militaire pour renforcer les forces de défense et de sécurité de son pays ; une politique judiciaire pour consolider les instances judiciaires de son pays et pour consacrer l’égalité de tous ses sujets devant la justice; enfin, une politique extérieure pour entretenir des relations amicales avec les Etats voisins. L’impact de cette politique va être considérable. Par son action, Mansa Souleymane parvint à faire de l’empire du Mali, un Etat de droit. Grâce à lui, l’empire du Mali demeura encore le pays le plus puissant de l’Afrique occidentale au XIVè siècle.

Mots-Clés : Bonne gouvernance, Mali, Mansa Souleymane, Armée, Justice, Diplomatie.

ABSTRACT

In this paper, we study an example of good governance over the reign of Mansa Souley- mane, emperor of Mali between 1341 and 1360. We show that during his reign, Mansa Sou- leymane leads a military policy to strengthen the forces of defense and security of his country, a policy of social justice to consolidate his country’s judiciary and to devote equality of all his subjects to justice and finally, an external relations policy to maintain friendly relations with neighboring states.

The impact of this policy will be considerable. Acting in the public interest, the empire of Mali became a safe and legal country. Thanks to him, the empire of Mali was still the most powerful country in West Africa in the fourteenth century.

Keywords: Good governance, Kingdom of Mali, Mansa Souleymane, Kingdom, Army, Justice, Diplomacy.

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INTRODUCTION

Au cours des années 1990, l’imposition des plans d’ajustement structurel dans les Etats africains par les institutions de Bretton Woods avait consacré l’échec des méthodes de développement socioéconomique mises en place depuis les indépen- dances. Dans l’explication des causes de cet échec, l’accent fut mis sur l’opacité de la gestion et la généralisation du détournement des deniers publics, donc sur l’absence de bonne gouvernance. Vingt ans plus tard, un facteur interne, le soulèvement des populations africaines contre leurs dirigeants, au Maghreb surtout, vient encore poin- ter du doigt cette absence totale de bonne gouvernance en Afrique, chose que l’on croyait acquise pourtant. Les pouvoirs publics africains seraient-ils réfractaires à la bonne gouvernance ? Pourtant, celle-ci n’est que la saine gestion par des pouvoirs publics des ressources économiques et sociales pour le bien être général dans le respect des principes comme la transparence et le droit1.

En réalité, la pratique de la bonne gouvernance n’est pas une recette inconnue des pouvoirs publics en Afrique comme nous le montre l’histoire des anciens Etats africains comme l’empire du Mali. L’empire du Mali, Etat né en Afrique occidentale, précisément dans le Sahel, entre le Sahara, la savane, l’Océan atlantique et le lac tchad, occupe une place de choix dans l’étude de l’histoire africaine2. Entre 1341 et 1360, Souleymane, appelé aussi Mansa Souleymane, fut le souverain du Mali.

L’attachement de ce souverain à l’esprit de justice et de l’épargne, son souci de la défense nationale et des relations diplomatiques lui permirent de gouverner son empire à la satisfaction de tous ses sujets. Mais comment Mansa Souleymane exerça-t-il le pouvoir ? Quel impact son règne eut-t-il sur le fonctionnement du Mali? Dans cette étude, nous voulons montrer que le règne de Mansa Souleymane fut un cas de bonne gouvernance, c’est-à-dire de bonne administration.

Pour notre étude, nous avons eu recours aux sources d’origine arabo-berbère fournies par les historiens al Umari et Ibn Khaldun et par le géographe Ibn Battuta3. Quant à notre démonstration, elle est axée sur trois parties. Chaque partie est fon- dée sur la présentation et l’analyse de chacune des politiques (militaire, judiciaire et diplomatique) de Mansa Souleymane.

1 A. Osmont, « L’Etat efficace selon la banque mondiale. Les villes et l’ajustement structurel », GEMDEV, Les avatars de l’Etat en Afrique, Paris, Karthala, 1997, p.96 ; Ph. Marchesin, «Les contradictions de la politique africaine de la France et leurs conséquences sur la construction de l’Etat en Afrique », GEMDEV, Les avatars de l’Etat en Afrique, Paris, Karthala, 1997, p.117 ; M. Gervais, « La bonne gouvernance et l’Etat africain : la position de l’aide canadienne », GEMDEV, Les avatars de l’Etat en Afrique, Paris, Karthala, 1997, p.125.

2 M. Delafosse, Haut-sénégal-niger, T. 2 : Histoire, Paris, Maisonneuve et Larose, 1972, 428 p ; S. M.

Cissoko, Histoire de l’Afrique occidentale : Moyen âge et Temps modernes, Paris, Présence africaine, 1966, 334 p ; N. Levtzion, Ancient Ghana and Mali, New-York – London, APC, 1980, 289 p ; M. Ly-Tall, L’empire du Mali, Abidjan, NEA, 1977, 220 p.

3 Ibn Battuta dans J. Cuoq, Recueil des sources arabes concernant l’Afrique occidentale du VIIIè au XVIè siècle (Bilad al Sudan), Paris, CNRS, 1975, p. 289-323 ;Ibn Khaldun dans J. Cuoq, op. cit. p. 328-363 :al Umari dans J. Cuoq, op. cit. p.254-288.

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I. LA CONSOLIDATION DE L’ARMÉE ET LE RENFORCEMENT DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

Au Mali, l’armée était le principal soutien des autres institutions et le garant de l’ordre public. Arrivé sur le trône du Mali, Mansa Souleymane met-il l’armée rapidement au centre de ses attentions, car celle-ci présentait d’énormes signes de faiblesses.

En effet, sous ses prédécesseurs, Moussa et Maghan 1er, des armées comme celles des Etats mossi pillaient régulièrement le Mali à cause de ses richesses en or, cuivre et fer que le pèlerinage de Mansa Moussa en 1324-1325 avait montré avec éclat.

Le Mali était entouré d’ennemis tels que les Mossi et les Touareg. Ces derniers, aux aguets, cherchaient des failles pour opérer des razzias fructueuses comme cela se vit sous les souverains précédents, Mansa Moussa et Maghan 1er : par exemple, les épouses de Mansa Moussa ainsi que quatre familles mecquoises invitées par l’empereur à s’installer au Mali à ses côtés furent attaquées en route par des bri- gands de la région de Djenné, dans la Boucle du Niger. Si les hôtes et les épouses de Mansa Moussa n’étaient pas à l’abri du banditisme, que dire des simples sujets ? Sous Maghan 1er, il n’y eut aucune amélioration de l’indice sécuritaire: trois ans après sa prise du pouvoir, les Mossi traversèrent le Mali du Sud au Nord pour aller razzier la ville de Tombouctou4. Certes, à l’intronisation de Souleymane, la capitale du Mali, Niani, n’était pas menacée. Mais ceci ne fut pas une raison suffisante pour que le souverain se soit désintéressé de la sécurité du reste de son Empire.

Pour arrêter la dérive de ses forces armées et faire face à l’insécurité qui menaçait ses sujets, Mansa Souleymane décida d’en prendre soin. En effet, la bonne gouver- nance inclut forcément la bonne administration des armées et des militaires. Car, c’est de la mal gouvernance que découlait le plus souvent la faiblesse des forces armées. Par exemple, si les forces armées furent utilisées à des fins politiques de prise et de maintien au pouvoir, elles furent détournées de leurs missions de défense et de sécurité. Dans ces conditions, elles finirent par perdre leurs compétences5. Une bonne gouvernance cherche donc à améliorer les conditions de vie et de travail des militaires. C’est ce que fit Mansa Souleymane. Dans un premier temps, il renforça l’équipement de la cavalerie par l’introduction d’excellents chevaux importés du Maghreb. Ces chevaux coûtaient chers. Mais Mansa Souleymane ne lésina pas sur les moyens pour les acheter. D’après al Umari, « d’importantes sommes d’argent sont dépensées à cet effet. »6 Certes, Mansa Souleymane n’était pas le premier souverain du Mali à avoir acheté des chevaux de qualité pour l’armée. L’empereur Soundjata (1230-1255) l’avait fait avant lui7. Mais le premier souverain du Mali à avoir fait importer des pur-sang du Maghreb, ces chevaux réputés pour leur puissance et leur rapidité, semble avoir été Souleymane. En renforçant la cavalerie, le roi donnait aux soldats les moyens de se battre avec de fortes chances de gagner la bataille car il améliorait ainsi l’efficacité de toute l’armée.

4 M. Kati, Tarikh El Fettach, Paris, Maisonneuve, 1964, p.64.

5 D. Bangoura, « Etat et sécurité en Afrique » in GEMDEV, Les avatars de l’Etat en Afrique, Paris, Karthala, 1997, p.223-224.

6 al Umari, op. cit. p.270.

7 Y. T. Cissé et W. Kamissoko, La grande geste du Mali, T.2, T. 2 : Soundjata, la gloire du Mali, Paris, Karthala et ARSAN, 1990, p.87, 269.

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Outre l’achat de puissants et coûteux chevaux, Mansa Souleymane s’attela à relever le moral de ses soldats en améliorant leur motivation. Pour ce faire, il initia dans l’armée une politique de récompenses pour acte de bravoure. En effet, il est possible que la faiblesse antérieure des soldats du Mali face à leurs ennemis soit due à une démoralisation totale. Ces récompenses étaient formées de colliers d’or, d’anneaux d’or, de bracelets, de pantalons: c’est ainsi que «les cavaliers les plus braves portent des bracelets. Ceux qui ont excellé en bravoure portent, en plus, des colliers d’or et ceux qui ont surclassé (ces derniers) portent, en plus, des anneaux d’or aux chevilles. Chaque fois que la bravoure de l’un d’eux s’élève chez eux (à un nouveau degré), le roi revêt le héros d’un large pantalon. »8 Mansa Souleymane vit juste. En effet, les agents de l’Etat, civils ou militaires, avaient besoin que l’on reconnût leurs mérites. Sans cette bonne gouvernance, le découragement allait s’installer en leur sein. Désormais rassurés que leur bravoure ne passait pas inaperçue et qu’ils pouvaient être distingués et promus au rang de chefs par le souverain, les soldats du Mali se battaient pour se surpasser afin d’entrer dans le cercle des braves.

Mais Mansa Souleymane ne s’arrêta pas là dans sa politique militaire. En effet, il augmenta la rémunération des officiers. Chacun d’eux reçut par an des vêtements somptueux, des chevaux de monte, des vastes terres de culture et de grands salaires comme le révéla al Umari en ces termes : «les amirs de ce roi, ainsi que son armée reçoivent des concessions (foncières) et des gratifications. Parmi les plus élevés d’entre eux, certains arrivent (à percevoir), chaque année, une somme totale de 50 000 mithkal d’or. Le roi leur fournit des chevaux et des vêtements. »9 Par cette revalorisation de la rémunération de ses officiers, le roi visait à les mettre dans de bonnes conditions matérielles et psychologiques. Désormais, ces officiers allaient s’enrichir des produits de leurs terres (récoltes, bétail…). Ils pouvaient désormais se concentrer sur leurs missions de défense et de sécurisation du pays car la sécurité était l’une des conditions de la croissance économique.

Cette politique impériale d’amélioration systématique des conditions de vie et de travail des militaires, a eu des conséquences bénéfiques pour la population du Mali.

Désormais motivés, les forces de défense et de sécurité devinrent plus vigilantes et plus laborieuses. C’est ainsi qu’elles parvinrent à déjouer un complot dont le but était de renverser le roi. En effet, les services de sécurité réussirent à mettre la main sur une esclave faisant office d’agent de liaison entre les déstabilisateurs. Interpellée et soumise à un interrogatoire, l’esclave avoua et dénonça ses envoyés10. Ainsi, au Mali sous Mansa Souleymane, la sécurité redevint totale car, comme le constata Ibn Battuta, « ni le voyageur ni celui qui séjourne n’ont à craindre des voleurs ou des agresseurs »11. L’étonnement d’Ibn Battuta se justifie : le Mali était si vaste au XIVè siècle que parvenir à assurer sa sécurité totale était un véritable défi. L’impact de cette politique de défense et de sécurité était donc immense. Mansa Souleymane a compris que la sécurité était le préalable à tout développement économique et social. Ainsi, durant son règne, toutes les activités économiques et sociales poursuivirent leur essor dans un climat de paix. Par exemple, le commerce transsaharien qui était l’une des parties les plus visibles de ces activités économiques, ne se détourna pas des villes

8 Al Umari, op. cit. p 270 9 Ibn Battuta, op. cit. p. 310 10 Ibn Battuta, op. cit. p. 310 11 Ibn Battuta, op. cit. p. 310

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et marchés de la vallée du niger. Les valeurs universelles d’ordre, de protection des biens et des personnes, et la sauvegarde de l’intégrité physique du territoire de son empire, ne furent donc pas perdues de vue par le roi du Mali. Tels furent les résultats de la politique militaire et de sécurité de Mansa Souleymane.

Mais comme il ne saurait y avoir d’ordre sans justice, Mansa Souleymane consa- cra son règne à renforcer les instances judiciaires de son pays et à faire du Mali, un Etat de droit.

II. LA CONSOLIDATION ET LE RENFORCEMENT DE L’INSTITUTION JUDICIAIRE

Au Mali, l’appareil judiciaire dépendait des empereurs dont l’intégrité déterminait le bon usage des lois12. Ainsi, le système judiciaire était loin d’être exclusivement au service de Mansa Souleymane, bien qu’il fût un monarque craint et puissant Il n’était pas non plus au service des nobles ou des hauts fonctionnaires. En effet, dans l’intérêt de tous les peuples vivant dans son empire, Mansa Souleymane avait pratiquement fait de la justice un pouvoir à part entière devant laquelle ses fonctionnaires et lui-même répondaient de leurs actes. Aucun fonctionnaire n’était protégé contre les rigueurs de la loi pour un délit prouvé.

Par exemple, un certain Dju, haut fonctionnaire de l’Etat en fonction à Walata, ville située dans le Nord-Mali, avait fait l’objet d’une plainte de la part d’un commerçant, pour abus de confiance. S’étant fait livrer des marchandises pour une valeur de 600 Mithkals, Dju n’accepta de payer que 100 Mithkals. Cette attitude était une faute grave. Tout indiquait que Dju avait profité de sa fonction pour intimider le marchand afin de faire main basse sur ses biens. Sans doute, n’en était-il pas à son premier fait et s’était-il enrichi de la sorte à Walata. Toutefois, croyant certainement que c’était l’empereur Souleymane lui-même qui favorisait ce genre d’indélicatesse de la part de ses fonctionnaires, le commerçant décida de le mettre en accusation13. Mis publi- quement sur la sellette, l’empereur ne menaça point le marchand de lèse-majesté.

Au contraire, il décida de faire instruire l’affaire pour prouver son innocence. Pour ce faire, il fit convoquer son fonctionnaire indélicat: en effet, selon Ibn Battuta, Dju « se présenta quelques jours plus tard»14. Toutefois, au lieu de trancher le différend comme l’aurait fait un autre souverain avec le risque d’être accusé de vouloir protéger son agent, Souleymane renvoya le marchand et Dju devant le tribunal. Là, on reconnut au commerçant son dû, qu’il récupéra. Quant au fonctionnaire indélicat, il fut destitué par le roi15. La destitution de Dju se présentait ici comme une sanction disciplinaire et administrative pour abus de confiance. L’exemple de Dju n’était pourtant pas un cas isolé. Avant lui, de nombreux officiers civils et militaires avaient été châtiés pour corruption par la justice sous Mansa Souleymane. De fait, les actes demeurés impunis sont ceux qui étaient ignorés du souverain et de l’appareil judiciaire. Le roi, en effet,

« ne tolère pas le moindre manquement à la justice. »16

12 Ibn Battuta, op. cit. p. 310

13 D.Diakité, « Universalité des valeurs et idéal d’humanité en Afrique : témoignages d’explorateurs », Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du président Sarkozy (sous la dir. Adame Ba Konaré), Paris, La Découverte, 2008, p.73

14 Ibn Battuta, op. cit. p. 310 15 Ibid. p. 309

16 Ibn Battuta, op. cit. p.310.

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Les conséquences de cette consolidation de la justice furent considérables. L’action de Mansa Souleymane aboutit à concrétiser l’égalité de tous ses sujets devant la justice. Il n’y avait pas de sujets qui étaient justiciables et d’autres qui ne l’étaient pas. Egalement, il n’y avait pas une justice réservée aux nobles et une autre pour les roturiers. Le juge qui appliquait le droit, recevait tout le monde devant son tribunal. Les sanctions aussi n’étaient pas à double vitesse: il n’y avait pas de sanctions adoucies ou symboliques (exil sur sa terre, interdiction de paraître à la cour, par exemple) pour les nobles et des sanctions sévères (la pendaison, la prison ou la réduction en servage) pour les roturiers. Les sanctions étaient à la mesure de la faute commise.

Mais elles étaient aussi lourdes et plus sévères pour les agents de l’Etat et les hauts fonctionnaires, en particulier. C’est ainsi que Dju de Walata ne fut pas seulement condamné à rendre à son marchand le reste de la somme qu’il lui devait ; il fut des- titué, c’est-à-dire démis de ses fonctions. De plus, il n’eut même pas la consolation d’être appelé à d’autres fonctions. Ceci était une sanction administrative lourde. Aux yeux de Mansa Souleymane, en abusant de sa fonction pour poser des actes de malversation, son représentant discréditait l’administration impériale et, chose plus grave, compromettait en personne l’empereur, le vrai chef de l’administration.

Ainsi, sous Mansa Souleymane, la justice était égale pour tous et nul n’était au dessus de la loi. Ni des préoccupations personnelles, ni des intérêts familiaux n’avaient altéré son sens de l’équité17. Même les membres de la famille impériale, y compris l’épouse royale, était une justiciable comme les autres sujets comme nous le montra « l’affaire Kassa». En effet, à l’issue de l’échec d’un coup d’Etat contre Mansa Souleymane, l’impératrice en personne, Kassa, fut citée comme l’un des commanditaires18. Démasquée, l’empereur Souleymane décida de mettre aux arrêts son épouse et de la mettre à la disposition de la justice. Mais Kassa ne dut son salut (immédiat) qu’en se réfugiant dans la maison d’un chef religieux, le prédicateur musulman. Symboliquement, elle se mettait ainsi sous la protection des religieux et de Dieu. Cette affaire n’était ni civile, ni commerciale pour accepter d’attendre que le coupable sortit de son refuge pour le mettre aux arrêts. L’acte subversif posé par la reine Kassa était criminel pour avoir porté atteinte à la sûreté de l’Empire. Mais pro- fondément croyant, l’empereur ordonna de ne pas violer son refuge. Car au Soudan occidental, la résidence du prédicateur comme celle des autres chefs musulmans, était un lieu inviolable19. Si l’impératrice réussit à se soustraire à la justice publique, toutefois, elle ne resta pas impunie. En effet, Mansa Souleymane prit une seconde épouse dont il attribua une partie des charges de Kassa. La réduction des charges était une réduction des responsabilités, donc une diminution des pouvoirs. Tel fut l’acte de bonne gouvernance que Mansa Souleymane posa vis-à-vis de son épouse pour montrer qu’elle n’était point au dessus des lois.

Ce fonctionnement de l’appareil judiciaire accrut la confiance de la population en la justice et l’amena à respecter davantage les lois. Ibn Battuta qui visita le Mali sous Mansa Souleymane, nota le peu d’injustice de la part des sujets du roi. Par exemple, ils étaient très réservés au sujet des biens d’autrui : les ayants-droits d’un étranger décédé sur le territoire du Mali retrouvaient intacts ses biens et affaires20. Ainsi, les

17 D. Diakité, op. cit. p. 74.

18 Ibn Battuta, op. cit. p.310.

19 Ibn Battuta, p.310.

20 Ibid. p.310-311

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investissements privés directs de la part des étrangers étaient en conséquence, nombreux. Souleymane réussit donc durant son règne à faire de la justice un corps indépendant au Mali. Loin d’être aux ordres du pouvoir, les cadis ou juges disaient le droit dans l’intérêt de tous et à la satisfaction de tous comme le recommandent les préceptes de la bonne gouvernance.

Toutefois, les efforts de Souleymane auraient été vains s’il s’était lui-même révélé un piètre gestionnaire des deniers publics, et si le Mali était constamment agressé du fait de mauvaises relations avec les Etats voisins. Le souverain du Mali s’attacha donc à gérer sainement les finances publiques et à bâtir les conditions de paix durable en tissant des relations amicales avec ses voisins.

III. LA SAINE GESTION DES FINANCES PUBLIQUES ET LA CONSOLIDATION DES RELATIONS DIPLOMATIQUES

Mansa Souleymane abhorrait le gaspillage des ressources financières sous pré- texte qu’un souverain se devait de donner sans compter. Dans les annales de l’empire du Mali, on opposa assez souvent Mansa Souleymane à son frère et devancier sur le trône, Mansa Moussa. Pour les uns ce dernier était l’archétype achevé de la générosité et de la prodigalité car il avait la main facile. Pour aller en pèlerinage, par exemple, Mansa Moussa (1312-1337) avait quitté le Mali avec cent charges d’or prises dans le trésor impérial. En chemin, cet or était répandu dans les tribus qu’il rencontrait21. Ce fut au Caire, la capitale égyptienne que les dépenses du roi du Mali furent les plus énormes. Là, il « a inondé le Caire des flots de sa générosité : il n’a laissé amir, proche du sultan ou titulaire d’une charge sultanienne, sans lui faire remettre une somme d’or. »22 Le trésor égyptien ne fut pas oublié car de nombreuses charges d’or y furent déposées en cadeau. Les dépenses du souverain furent telles que le cours du mithkal, pièce d’or utilisée comme monnaie dans l’ensemble du monde arabe, s’effondra pendant des années23.

Certes, Mansa Moussa fut un souverain très généreux. Mais cette générosité se manifesta au détriment de ses sujets et des finances du Mali. En réalité, il fut un mauvais gestionnaire. La preuve en était qu’au retour de son fastueux pèlerinage, il manqua d’argent et fut obligé d’en emprunter auprès de particuliers pour assurer les frais de son retour au pays. S’il avait fait attention à ses dépenses, Mansa Moussa ne se serait pas endetté comme le font de nombreux chefs d’Etats actuels. C’est dire aussi que l’insouciance dans la gestion ou l’ostentation inutile fut souvent à l’origine de l’endettement.

Mansa Souleymane fut plus regardant dans ses dépenses. Ce fut ainsi que son pèlerinage à lui passa inaperçu car il a dû dépenser en fonction de ses besoins et de ceux de sa suite. Aux étrangers de passage dans sa capitale et dont la présence lui était rapportée, il donnait non pas de l’argent mais le gîte et le couvert. Il a fallu que le voyageur Ibn Battuta sollicita Souleymane en personne afin qu’il consentit à lui remettre 133 Mithkals d’or24. Ce fut la raison pour laquelle ce dernier traita de « roi

21 Al Umari, p. 275-278.

22 Al Umarin op. cit. p. 278 23 Ibid. p. 278.

24 Ibn Battuta, op. cit. p.303.

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avare dont on ne peut espérer un don important. »25 Mais peut-on raisonnablement parler d’avarice ? Si le roi devait se montrer généreux envers tous les étrangers qui fréquentaient son pays, son trésor ne se viderait-il pas ? Comment dans ces condi- tions assurer la sécurité du pays et payer les fonctionnaires ? Mansa Souleymane avait assurément une si haute idée de sa charge qu’il fut économe dans sa gestion.

Ces principes de bonne gouvernance furent encore appliqués en matière diploma- tique. Riche et puissant, le Mali ne pouvait pas rester en dehors des relations inter- nationales, ou refuser d’en tenir compte dans la conduite de ses affaires intérieures.

Les motivations économiques suscitaient principalement les agressions militaires au Soudan occidental. Les griots du Mali avaient en mémoire qu’au XIè siècle, pour s’emparer de ses richesses, les Berbères sahariens lancèrent des opérations de razzias contre l’empire du Ghana, avant de le conquérir. Egalement, ce besoin de richesses expliqua en partie l’agression du Sosso contre le pays mandé au début du XIIIè siècle. Une diplomatie offensive fut donc menée par Mansa Souleymane envers le royaume mérinide de Fès par l’envoi d’ambassades. Le royaume mérinide de Fès était le plus puissant au Maghreb au XIVè siècle. Avec son armée considérable, le roi de Fès avait réussi à réunifier le Maghreb par la conquête des royaumes hafside de Tunis et Abdelwadide de Tlemcen26.

Les relations amicales entre le Mali et les Etats musulmans du Maghreb et l’Egypte, n’étaient pas nées avec Mansa Souleymane. En effet, avant lui, ses prédécesseurs avaient tissé des liens solides avec les puissances étrangères. Par exemple, Mansa Moussa et Abou el Hassan, roi du royaume mérinide de Fès, échangeaient ambas- sades et présents de grande valeur27. C’était au nom de cette solide amitié que Mansa Moussa avait fait cadeau au sultan d’Egypte d’une importante quantité d’or et d’un traité de bienséance28. Ainsi, l’établissement de relations amicales entre le Mali et les Etats musulmans en général fut une constance de la diplomatie du Mali.

Mais le mérite de Mansa Souleymane était d’avoir préservé ses liens amicaux. Loin de les remettre en question par des actes d’ingérence ou des agressions militaires, il posait au contraire des actions qui attiraient sur le Mali, la bienveillance du Maghreb.

Chronologiquement, ce fut au début de son règne, en 1341, que Souleymane reçut une importante ambassade marocaine conduite par le secrétaire du Conseil, Abou Talib, et un affranchi du nom de Anbar. Ces ambassadeurs étaient chargés de remettre non pas à Mansa Souleymane, mais à Mansa Moussa d’importants présents du roi,

« des objets de fabrication du Maroc et des pièces de son trésor privé »29. Mansa Moussa étant venu à mourir de même que son successeur immédiat, Maghan 1er, il revint à Souleymane de recevoir les envoyés du roi du Maroc. Devant cette marque d’amitié ainsi exprimée, un autre souverain moins soucieux de paix et de relations de bon voisinage, aurait pu ne pas répondre. Mais Mansa Souleymane était pleinement conscient de l’importance des relations amicales dans la sauvegarde des intérêts (commerciaux) de son pays. Ainsi, il déploya la grande artillerie pour l’accueil des plénipotentiaires mérinides : ses sujets et lui-même sortirent massivement pour les

25 Ibn Battuta, op. cit. p.303

26 Ch-A. Julien, Histoire de l’Afrique du Nord, T. 2 : de la conquête arabe à 1830, Paris, Payot, 1978, p.180-181.

27 Ibn Khaldun, op. cit. p.353.

28 Al Umari, op. cit. p.278-279.

29 Al Umari, op. cit. p.278-279.

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recevoir. Et, « on les honora depuis leur arrivée dans le pays jusqu’à leur départ. »30 Toutefois, pour démontrer que son accueil n’était pas seulement un banal acte d’hospitalité, mais une action diplomatique amicale, Mansa Souleymane ne laissa pas l’ambassade retourner seule au Maroc. Décidant d’aller saluer à son tour Abou el Hasan (1331-1351), le souverain marocain, il fit accompagner l’ambassade du Maroc d’une autre ambassade, celle du Mali. Il chargea ses envoyés « de complimenter le souverain sur la conquête de l’Ifrikiya.»31 Mansa Souleymane voulait féliciter Abou el Hassan, souverain du Maroc, pour la victoire qu’il venait de remporter sur le royaume hafside de Tunis en 1347.

Toutefois, lucide et perspicace, Mansa Souleymane ne s’arrêta à l’envoi de présents fastueux. Il chercha à montrer à la forte communauté marocaine établie dans son empire, combien le salut de leur souverain lui était cher. Ainsi, en 1352, il organisa un repas à l’occasion de la commémoration de la mort d’Abou el Hassan. A ce repas, on fit la lecture complète du coran et des invocations pour le repos de son âme32. En 1360-1361, à quelques mois de sa mort, il envoya une autre ambassade munie

« d’objets rares et curieux » à remettre à un autre souverain mérinide, le successeur d’Abou Inan, fils d’Abou el Hassan33.

L’impact de cette politique de bon voisinage fut perceptible sur le terrain. En effet, le Mali resta loin des conflits nord-africains. Il n’eut ni adversaire ni ennemi déclarés.

Bien que immensément riche en or et en esclaves, il ne suscita pas la convoitise des Maghrébins au point de faire l’objet d’une opération militaire de conquête.

CONCLUSION

Si la bonne gouvernance semble être devenue de nos jours une pratique inconnue ou méconnue en Afrique, tel n’a pas toujours été le cas. Par le passé, plusieurs sou- verains soudanais n’avaient de satisfaction que celle de satisfaire les peuples qu’ils gouvernaient. Ainsi fut Mansa Souleymane, empereur du Mali. Quand il accèda au trône en 1341, il inscrit son action dans le sens du développement économique et social de son pays. La paix et la sécurité étant indispensables aux activités quelles qu’elles fussent, Mansa Souleymane renforça les forces armées du Mali. La sécu- rité du pays devint une priorité absolue. L’injustice étant un facteur de désordre et de subversion, Mansa Souleymane consacra l’égalité de tous ses sujets devant les instances judiciaires du Mali. Parallèlement, la saine gestion des ressources financières publiques et une diplomatie active envers les Etats voisins dont ceux du Maghreb, sur des principes d’amitié, éloignèrent le Mali des convoitises des uns et des ingérences des autres. Les peuples africains ne doivent pas désespérer d’avoir un jour ou l’autre à leur tête des dirigeants guidés non plus par des intérêts privés, mais par l’intérêt général, décidés à gérer sainement les ressources de leurs Etats, à pratiquer la bonne gouvernance.

30 Ibn Khaldun, op. cit. p.353.

31 Ibid. p.353.

32 Ibn Battuta, op. cit. p.302.

33 Ibn Khaldun, op. cit. p. 354.

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Références

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