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L'intervention internationale au nom des droits de l'homme : l'autorité de l'approche finaliste

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L'intervention internationale au nom des droits de l'homme : l'autorité de l'approche finaliste

HERREN, Pascal

HERREN, Pascal. L'intervention internationale au nom des droits de l'homme : l'autorité de l'approche finaliste . Genève : Schulthess, 2016, 592 p.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:95595

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Nous assistons, particulièrement depuis la chute du mur de Berlin en 1989, à une certaine surenchère du discours ainsi que d’actes plus concrets, se réclamant de l’intervention internationale menée au nom des droits de l’homme. Il en a été question, par exemple, à la suite des crises humanitaires ayant eu lieu en Libye, en Irak ou en ex-Yougoslavie. Mais ce type d’intervention, impliquant l’emploi unilatéral de la force d’un État dans la juridiction d’un autre État, peut-il être admis au regard du droit international ?

La présente thèse propose de répondre à cette question en s’in- téressant à un dénominateur commun devant relier tout à la fois l’intention de l’intervenant, la Charte de l’ONU et la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Ce dénominateur se trouve dans une norme primordiale qu’il convient d’appeler fina- liste parce qu’elle postule que l’accomplissement des finalités du droit international, y compris la réalisation universelle des droits de l’homme, sont non seulement souhaitables mais également possibles.

Cette recherche vérifie par une démarche historique et épi- stémologique, l’origine, la pertinence et la portée de la norme finaliste ainsi que de son antithèse, la norme primordiale fataliste.

Le jeu qu’entretiennent entre elles ces deux normes fait ressortir les intentions réelles de l’intervenant et découvrir un ensemble d’obligations implicites à la charge de ce dernier. Il permet, in fine, de déterminer l’autorité juridique de l’intervenant.

www.schulthess.com

Pascal Herren

L’intervention inter nationale

au nom des droits de l’homme

L’autorité de l’approche finaliste

Droit international

C G

Collection Genevoise

Pascal Her ren L’in ter ven tion in ter na tionale au nom des dr oits de l ’homme L’aut or ité de l ’appr oche finalist e

C G

Collection Genevoise

ISBN 978-3-7255-8604-2

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L’intervention internationale au nom des droits de l’homme

L’autorité de l’approche finaliste

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C G

Collection Genevoise

Droit international

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Pascal Herren

L’intervention inter nationale

au nom des droits de l’homme

L’autorité de l’approche finaliste

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Thèse n° 907 de la Faculté de droit de l’Université de Genève

La Faculté de droit autorise l’impression de la présente dissertation sans entendre émettre par là une opinion sur les propositions qui s’y trouvent énoncées.

ISBN 978-3-7255-8604-2

© Schulthess Médias Juridiques SA, Genève · Zurich · Bâle 2016 www.schulthess.com

Diffusion en France : Lextenso Éditions, 70, rue du Gouverneur Général Éboué, 92131 Issy-les-Moulineaux Cedex

www.lextenso-editions.com

Diffusion et distribution en Belgique et au Luxembourg : Patrimoine SPRL, Avenue Milcamps 119, B-1030 Bruxelles ; téléphone et télécopieur : +32 (0)2 736 68 47 ; courriel : patrimoine@

telenet.be

Tous droits réservés. Toute traduction, reproduction, représentation ou adaptation intégrale ou partielle de cette publication, par quelque procédé que ce soit (graphique, électronique ou mécanique, y compris photocopie et microfilm), et toutes formes d’enregistrement sont strictement interdites sans l’autorisation expresse et écrite de l’éditeur.

Information bibliographique de la Deutsche Nationalbibliothek : La Deutsche Nationalbi- bliothek a répertorié cette publication dans la Deutsche Nationalbibliografie ; les données bi- l’homme – L’autorité de l’approche finaliste, Collection Genevoise, Genève / Zurich / Bâle / Paris 2016, Schulthess Éditions Romandes / LGDJ

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Sommaire ... V

Table des matières ... 579

Abréviations ... VII Remerciements ... XI Préface ... XIII Introduction générale... 1

Titre premier : ... 17

La responsabilité de l’intervenant ou le point mort de la doctrine ... 17

Introduction ... 19

Chapitre premier : Une doctrine polarisée ... 23

Chapitre second : Chercher l’intention de l’intervenant ... 66

Conclusion ... 106

Titre deuxième :... 107

Le droit applicable est nécessairement finaliste ... 107

Introduction ... 109

Chapitre premier : Le choix épistémologique de la violence sans la justice ... 110

Chapitre deuxième : Le débat décisif entre finalisme et fatalisme ... 155

Chapitre troisième : La dictature dans l’état de nécessité ... 202

Conclusion ... 245

Titre troisième : ... 247

L’interventionnisme européen détrôné ... 247

Introduction ... 249

Chapitre premier : Filiation entre la première guerre mondiale et l’interventionnisme ... 250

Chapitre deuxième : La paix de Versailles ou le maintien de l’interventionnisme européen ... 283

Chapitre troisième : Le finalisme américain... 323

Chapitre quatrième : L’intervention modèle et la deuxième guerre mondiale ... 374

Conclusion ... 418

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Titre quatrième : ... 421

Le respect du finalisme par les intervenants contemporains ... 421

Introduction ... 423

Chapitre premier : La difficile affirmation du finalisme juridique... 424

Chapitre deuxième : L’interventionnisme fataliste contemporain ... 454

Conclusion ... 484

Conclusion générale ... 485

Bibliographie ... 489

Arrêts et décisions cités ... 571

Table des matières ... 579

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AG Assemblée générale des Nations Unies

AIEP Autorité indépendante d’examen des plaintes en matière de radio-télévision (Suisse)

AJIL The American Journal of International Law

ATF Recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral suisse BVergGe Entscheidungen des Bundesverfassungsgerichts CCEE Conférence de coopération économique européenne CDI Commission de droit international

CEDH Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950

CIISE Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des Etats

CIJ Cour Internationale de Justice Col. avec la collaboration de

ComIADH Commission interaméricaine des droits de l’homme CommissionEDH Commission européenne des droits de l’homme Cong. Rec. The Congressional Record

Consid. Considérant

CourEDH Cour européenne des droits de l’homme CPJI Cour Permanente de Justice Internationale CS Conseil de sécurité des Nations Unies CSIS Center for Strategic and International Studies

Cst Constitution

D.C. Cir. District of Columbia Circuit

DESC droits économiques, sociaux et culturels DIH droit international humanitaire

Doc. Document

DUDH Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948

ECDC European Centre for Disease Prevention and Control

éd. édité par

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ELAS Armée populaire de libération nationale (Grèce)

FDR Franklin Delano Roosevelt

FMI Fonds monétaire international

G77 le Groupe des 77

GDP Gross Domestic Product

ICESCR International Covenant on Economic Social and Cultural Rights, 16 December 1966

IDI Institut de droit international ISIL Islamic State of Iraq and the Levant JCE Joint Criminal Enterprise

L. livre

LRTV Loi fédérale sur la radio et la télévision du 24 mars 2006 Mem. Ed. Memorial Edition

MLN Mouvement(s) de libération nationale

MOU Memorandum of Understanding

Nat. Ed. National Edition

NDAA National Defense Authorization Act

NSDAP Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei OAS Organization of American States

OECE Organisation européenne de coopération économique OIT Organisation Internationale du Travail

ONG organisation non gouvernementale ONU Organisation des Nations Unies

OSCE Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe OTAN Organisation du Traité de l’Atlantique Nord

Pacte I de 1966 Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966

Pacte II de 1966 Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966

PIB Produit intérieur brut

PNUD Programme des Nations Unies pour le Développement

Prolég. prolégomènes

Pub. L. Public Law (Recueil des sessions du Congrès des Etats- Unis)

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RDI Revue de droit international et de législation comparée R.S.A. Recueil des Sentences Arbitrales

RdP Responsabilité de protéger RFA République fédérale d’Allemagne

RS Recueil systématique du droit fédéral suisse

SdN Société des Nations

Ser. Series (anglais)

TMI Tribunal militaire international de Nuremberg

Trad. traduit par

UA Union Africaine

U.N.T.S United Nations Treaty Series

UE Union européenne

UNCIO United Nations Conference on International Organization 1944-1945

WHO World Health Organization

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La réalisation du présent ouvrage a été facilitée par le soutien moral et matériel de nombreuses personnes. Chacune à sa manière m’a aidé à suivre le précepte du chercheur : Ose savoir. La publication des fruits de cette recherche me donne l’occasion de leur témoigner ma reconnaissance.

Je tiens à adresser toute ma gratitude à mes directeurs de thèse, le Professeur Michel Hottelier, qui m’a suivi dès le départ, ainsi que le Professeur Paola Gaeta. Je leur suis reconnaissant de m’avoir aidé à accomplir mon projet tout en me laissant la liberté nécessaire à cette fin.

Je voudrais également remercier le jury de soutenance, les Professeurs Maya Hertig Randall, Barbara Wilson et Bénédict Winiger, devant lesquels ont pu être éprouvés les résultats de ma recherche, ainsi que la Doyenne Christine Chappuis qui a présidé cette disputatio.

Plus largement, j’ai été imprégné par les nombreuses rencontres faites au sein ou en marge de plusieurs institutions universitaires, entre autres durant mon engagement dans l’équipe des assistants de la faculté de droit de l’Université de Genève. J’ai bénéficié de l’appui, de discussions ou tout simplement d’échanges amicaux avec notamment Frédéric Bernard, Gregor Chatton, Giselle Toledo, Emile Ouedraogo, Maria Rodriguez Ellwanger, Karin Byland, Arun Bolkensteyn, Véronique Dubosson, Fransesca Magistro, Julien Marquis, Etienne Henry, Mallory Schaub, Bita Bertossa, Olivier Clerc, Bernard Wicht, Tristan Zimmermann, disparu trop tôt, ainsi qu’avec les Professeurs Alexandre Flückiger, Julia Xoudis, Abdoulaye Soma, Marco Sassòli, Robert Kolb, Giovanni Distefano, Pierre Allan et Samantha Besson. J’ai également pu compter sur l’accessibilité de la Bibliothèque cantonale universitaire de Fribourg et l’appui logistique et amical de Matthias Müller et de son épouse Thérèse.

L’avancement d’un tel projet dépend bien évidemment de travaux antérieurs dont certains se révèlent particulièrement déterminants. J’ai eu le bonheur d’entrer en relation avec le Professeur William Ossipow et Dominic Gerber et de bénéficier de leurs recherches sur la réception de l’œuvre d’Emer de Vattel aux Etats-Unis, lesquelles constituent un chaînon important dans l’élaboration de ma thèse.

Je tiens particulièrement à mentionner l’impulsion cruciale qu’a joué dans ma décision d’entreprendre cette quête académique le regretté Professeur Joël- Pascal Biays, en m’engageant au sein de l’Institut de droit des affaires internationales du Caire durant mes années égyptiennes et en m’offrant son amitié.

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L’influence orientale sur ma recherche doit également beaucoup à Dima de Clerck, à son amitié ainsi qu’à celle de son époux Gilles. Cette relation privilégiée m’a donné l’opportunité de participer aux contributions du Colloque 1860-Histoires et mémoires d’un conflit, tenu à Beyrouth en octobre 2011, qu’elle a initié et qui a grandement enrichi mes résultats finaux. Je remercie par la même occasion le Professeur Carla Eddé et le comité scientifique dudit colloque, composé d’historiens, d’avoir accueilli le juriste que je suis avec grande bienveillance.

La relecture de mes manuscrits a bénéficié des précieux apports de Valérie Broillet, de ma sœur Mireille Herren, de mon ami Wisler Frederic, qui nous a quitté trop tôt, et de mon ami Olivier Duffau dont la rencontre il y a 24 ans a, par ailleurs, scellé mon attrait pour les relations internationales, pour l’enquête de terrain au Timor oriental et ailleurs.

Avec raison, l’usage veut que l’on remercie ses parents. Les miens méritent de l’être à plusieurs titres dont celui de m’avoir transmis une soif inextinguible pour l’explication historique du monde.

Cependant, la personne qui a plus que toute autre contribué à l’achèvement de ma thèse est mon épouse Jolanda Pfister Herren. Elle a été ma première lectrice et celle qui m’a aidé, à plus d’une reprise, à dissiper les doutes qui menaçaient de paralyser mon avancement. Par l’exemple de son esprit optimiste et créatif, par son sens de l’organisation, elle a été une source d’inspiration inestimable. Enfin ma fille et mon fils, Camille et Thibaut, ont bien grandi durant ces années de recherches. Qu’ils sachent qu’ils m’ont nourri de la plus belle énergie qui soit, faite à partir de leur amour et de leur joie de vivre.

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Depuis qu’ils ont connu leur consécration en droit international, à la suite de l’adoption de la Déclaration universelle du 10 décembre 1948, les droits de l’homme n’ont cessé de se développer et d’évoluer. Investissant progressivement, parfois de manière subite et inattendue, des pans entiers du droit national, ils ont aussi, en parallèle, profondément marqué de leur empreinte le système propre au droit international. Leur contenu, les restrictions susceptibles de leur être opposées, les effets qu’ils déploient (soit, comme on dit aujourd’hui, les obligations cumulatives de respecter, de protéger et de mettre en oeuvre), de même que les mécanismes nationaux et internationaux chargés de veiller à leur respect : voici autant de domaines qui, depuis une soixantaine d’années, ont continuellement gagné en importance.

Pour être assurément aussi étonnante que réjouissante, cette évolution ne saurait dispenser les chercheurs de la nécessité de s’interroger sur les sources et les racines de la protection de la dignité humaine telle qu’elle découle du droit international contemporain. La belle thèse de doctorat que présente Monsieur Pascal Herren au sujet de l’intervention internationale au nom des droits de l’homme s’inscrit dans ce contexte.

S’il existe, pour l’heure, peu d’études consacrées au devoir d’ingérence des Etats au nom des droits de l’homme, le mérite des travaux de M. Herren consiste à revenir aux fondements de ces garanties, à la place qu’elles occupent au sein du droit international général, ainsi qu’aux conséquences que leur invocation est de nature à exercer sur la souveraineté des Etats, en particulier dans le cas d’interventions armées. Comme l’indique l’auteur en introduction, la notion recouvre l’intervention qui s’opère par un acte de contrainte matérielle armée, effectué unilatéralement par un Etat ou un groupe d’Etats, à l’encontre d’un autre Etat dans la perspective de venir en aide à des individus qui subissent ou sont menacés de subir de graves violations des droits de l’homme.

L’approche d’une thématique aussi ambitieuse ne saurait certainement se confiner au seul monde du droit. Aussi, la recherche menée par M. Herren s’emploie-t-elle à visiter le monde des idées philosophiques, celui des théories de l’Etat, des institutions et de la société internationale, sans oublier les nombreuses références que l’auteur emprunte à l’histoire. Cette vision théorique, panoramique et éclectique, encyclopédique même, fondée sur une documentation riche et variée, ne laisse pas de bousculer et même de déstabiliser quelque peu le lecteur, l’affranchissant en particulier de certitudes et d’idées reçues qu’il pouvait, à l’entame de l’ouvrage, nourrir sur la vocation et le rôle du droit international.

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Au terme de l’étude, le « débat décisif » qui porte sur la question de la légalité de l’intervention internationale au nom des droits de l’homme doit, selon l’auteur, se résoudre à l’aide de présomptions qui ressortissent à l’approche finaliste du droit. Cette notion s’oppose à une autre perspective, qualifiée de fataliste, laquelle repose sur les inévitables sacrifices qu’impliquent l’état de nécessité et l’emploi de la violence, qui débouchent invariablement, in fine, sur la primauté de la force.

Le constat peut certes laisser songeur, à travers le diagnostic apparemment désabusé qu’il véhicule : l’intervention est compatible avec le droit international ou elle ne l’est pas. Fondé sur une vision simplement réaliste, qui met à nu l’instrumentalisation du sujet par les Etats sous couvert d’altruisme, il ne faut pas y voir un constat d’échec mais, au contraire, l’amorce d’un vaste champ d’interrogation et d’investigation sur le rôle, la vocation et les contingences propres aux droits de la personne humaine, lus en lien avec les dispositions de la Charte des Nations Unies et, plus généralement, avec la mission impartie au droit international.

Paola Gaeta

Professeur, The Graduate Institute Geneva Michel Hottelier

Professeur, Université de Genève

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La raison d’être de la présente thèse est de contribuer à préciser la responsabilité juridique de la partie intervenant internationalement au nom des droits de l’homme. Cette contribution devrait nous aider à mieux comprendre si l’intervention internationale dont nous traitons est compatible avec le droit international et les droits de l’homme eux-mêmes, et le cas échéant dans quelle mesure. Pour y parvenir, nous nous intéressons tout particulièrement au rôle que l’intention de cette partie intervenante peut jouer en la matière. Afin de faire ressortir les signes extérieurs et la nature de l’intention en cause, ainsi que son impact sur la satisfaction des obligations à la charge dudit intervenant, nous nous appuyons sur une dualité heuristique1 qui oppose ce que nous pouvons appeler la norme primordiale finaliste à la norme primordiale fataliste2.

La norme primordiale finaliste dont nous allons vérifier l’origine, la pertinence et la portée, peut être énoncée ainsi : si les sujets de droit respectent les obligations qui leur incombent, alors la promesse des droits de l’homme est réalisable universellement. Cette norme repose sur une hypothèse en vertu de laquelle la réalisation universelle des droits de l’homme est non seulement souhaitable mais relève aussi du domaine du possible, y compris en ce qui concerne les droits économiques, sociaux et culturels. A l’inverse, la norme primordiale fataliste part de l’hypothèse selon laquelle ladite promesse universelle est impossible à réaliser3. Dans ce cas, nous nous trouvons devant l’objection suivante : si la promesse universelle des droits de l’homme est

1 La dualité en question est heuristique en cela qu’elle a comme fonction d’aider à effectuer les avancées cognitives recherchées et à lever les obstacles qui s’y interposent. F. Ost parle depouvoir heuristique entendu comme ce qui permet « d’élargir les horizons, de faire surgir de nouvelles réalités porteuses d’autres vérités ». Ost (2005), 48. Et selon G. Tuzet certaines prédictions, qu’il qualifie d’« heuristic devices », peuvent être indispensables « if we want to get a full knowledge of the law in force ». Tuzet (2013), 54.

2 Barbara Wilson souligne ainsi que l’universalité et l’indivisibilité des droits de l’homme forment un

« postulat » contenu dans la DUDH de 1948 et « réitéré à maintes reprises depuis cette époque au sein des Nations Unies ». B. Wilson (2010), 1504. Voir notamment la Déclaration de Vienne de 1993 adoptée par la Conférence mondiale sur les droits de l’homme, A/CONF.157/23, §1 : « Le caractère universel de ces droits et libertés estincontestable ». Souligné par nous. Mais L. Henkin nous avertit que l’« acceptance » universelle des droits de l’homme par les Etats, y compris les droits sociaux et économiques, n’empêche pas que certains des sujets principaux du droit international ne respectent pas les obligations que lesdits droits impliquent parce qu’ils nourrissent en leur for intérieur une défiance à leur égard : « Many will see such acceptance as rhetoric or even hypocrisy ». Henkin (1989), 13.

3 S. Besson identifie la condition primordiale liée à lafaisabilité des droits de l’homme comme suit :

« (L)’existence des droits de l’homme en tant que droits moraux et légaux dépend de la possibilité de leur pleine réalisation juridique et institutionnelle et donc de lapossibilité de leur effectivité » et de rappeler qu’il ne peut pas « exister d’obligations qu’il n’est pas possible de respecter en pratique ». Souligné par l’auteur. S. Besson (2011), 69-70.

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impossible à réaliser, alors les obligations y afférant doivent être relativisées en conséquence4.

Cette dualité heuristique mise au service de l’interprétation du droit international contemporain, comprenant les droits de l’homme5, implique une lecture historique des institutions juridiques actuelles, mais également un rappel de certains principes intemporels, qui se superposent aux constatations tirées de l’expérience passée et interagissent avec ces dernières6. Le fil rouge des pages qui vont suivre se trouve dans la reconstitution de l’antagonisme irréductible entre l’approche finaliste et l’approche fataliste du droit, lequel antagonisme détermine in fine l’autorité juridique de l’intervenant.

Par ce cheminement nous montrerons pourquoi et comment le droit international contemporain, tel que manifesté par la Charte de l’ONU de 1945 et la DUDH de 1948, a été énoncé à partir de la norme finaliste tout en rejetant la norme fataliste7. Il en ressort que pour résoudre les cas disputés relatifs à l’interprétation du droit international, ceux dans lesquels un état d’exception est invoqué et où il existe un risque d’abus de pouvoir, nous pouvons nous servir de la dualité féconde entre la norme finaliste et la norme fataliste. Elle nous servira d’outil pour identifier les mesures requises juridiquement8 face à

4 Le relativisme à prétention scientifique touchant aux droits de l’homme sera au centre de notre attention. Lire à ce propos l’évolution de la pensée du théoricien allemand du droit Gustav Radbruch (1878-1949) sur la nécessité d’un fondement de type scientifique à la proposition des droits de l’homme, dans A. Brecht (1967), 359-361. Pour savoir ce qui nous a amené à considérer ces deux hypothèses, finaliste respectivement fataliste, voirInfra 7 et 11.

5 Nous aurons l’occasion de revenir sur l’idée selon laquelle « the relationship between international law and its human rights sub-sytem is an integrated and complementary one ». M. Addo (2010), 21.

Voir notammentInfra 34 et suiv. Notons toutefois que la désignation contemporaine des droits de l’homme en tant que partie du droit international n’efface pas le fait que le concept des droits de l’homme s’est aussi progressivement affirmé avec la naissance de l’Etat moderne, par le truchement d’une théorie du contrat social, puis au sein du mouvement constitutionnaliste. VoirInfra 90 et suiv.

et 168-169.

6 J.-L. Halpérin souligne l’utilité de faire « dialoguer » l’histoire du droit avec l’étude du droit international positif, tout en contribuant, ce faisant, à mieux comprendre la théorie générale du droit. Halpérin (2014), 365.

7 Nous proposons d’exposer en quoi la victoire du paradigme finaliste en 1945 est le résultat d’un processus historique, philosophique et institutionnel continu mais chahuté. L’adoption de la Charte de l’ONU en 1945 marque la victoire d’une idée optimiste développée par une longue série de savants, de juristes et d’hommes d’Etat dont nous allons analyser les principaux raisonnements et actes. Mais 1945 ne marque pas la fin de l’histoire dès lors que la réalisation progressive des finalités du droit dépend du développement continu et de l’accessibilité des connaissances nécessaires pour y parvenir et de la prédominance d’une volonté tendue vers l’accomplissement de ce processus.

8 C’est-à-dire les mesures correspondant à des obligations implicites à la charge de la partie potentiellement intervenante. Sur la notion d’obligations implicites contenues dans les principes de la Charte de l’ONU s’appliquant aux droits de l’homme, lire Capotorti (1995), 96. V. Chetail note ainsi que les organes de contrôle des instruments relatifs aux droits de l’homme « have inferred from general prohibition of torture (…) animplicite duty of non-refoulement ». Soulignés par nous, Chetail (2015), Ch. 58, §68. N. Michel examine la notion d’obligations « sous-jacentes » relatives au concept de responsabilité de protéger en s’appuyant particulièrement sur l’arrêt de la CIJ concernant l’Affaire Bosnie-Herzégovine c. Serbie du 26 février 2007 relatif à l’application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Michel (2012), 66 et 71 et suiv.

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une crise humanitaire prévisible ou déclarée, et pour juger, par comparaison, les mesures qui ont été prises par la partie intervenant internationalement au nom des droits de l’homme9.

I. La problématique de l’autorité

L'intervention à la base de nos réflexions est celle qui s'opère par un acte de contrainte matérielle armée, effectué unilatéralement par un Etat ou un groupe d'Etats à l'encontre d'un autre Etat10. Le but de cette action est de venir en aide à des individus et des groupes qui subissent, ou sont menacés de subir, de graves violations de leurs droits de l'homme11. Le problème juridique le plus

9 Cette approche permet incidemment aux juristes mais aussi aux décideurs, au sens large du terme, de mieux discerner les tenants et aboutissants des deux alternatives qui se disputent la place suprême dans l’influence de leurs actes législatifs, décisionnels ou factuels. Nous nous écartons ainsi de la démarche consistant à réduire la contribution juridique à un rôle d’exécution subalterne, accomplissant aveuglément les desseins d’un pouvoir en place. Les desseins notamment que peuvent concevoir les dirigeants d’une puissance intervenante en s’appuyant sur une rhétorique juridique interchangeable à souhait. Lire à ce sujet le compte rendu d’un entretien qu’avait eu Kofi Annan, l’ancien Secrétaire général de l’ONU (1997-2006), avec la Secrétaire d’Etat américaine de l’époque, Madeleine Albright, laquelle souhaitait imposer sa volonté d’intervenir unilatéralement en Yougoslavie à l’occasion de la crise du Kosovo en 1999 : « Je me disais que les juristes du Département d’Etat avaient sans doute un avis différent sur la question mais je me souvenais aussi de sa réponse (celle de M. Albright) à un argument juridique similaire avancé par Robin Cook, le secrétaire britannique aux affaires étrangères : "Trouvez-vous de nouveaux juristes", voilà ce qu’elle avait rétorqué ». K. Annan (2013), 111.

10 Une définition de l’intervention souvent mentionnée est celle de L. Oppenheim: « Intervention is dictatorial interference by a State in the affairs of another State for the purpose of maintaining or altering the actual condition of things. Such intervention can take place by right or without a right, but it always concerns the external independence or the territorial or personal supremacy of the State concerned (...) », Oppenheim (1948), 272. Citée dans Bennouna (1974), 11, ou dans Tomuschat (1999), 231.

11 Nous utiliserons par la suite, et à des fins pratiques, l’expression d’intervention « altruiste » pour désigner l’intervention au nom des droits de l’homme. La mise entre guillemet du mot altruiste indique la réserve qu’il y a lieu de maintenir à l’égard d’une qualité énoncée nominalement sans être démontrée. L’intervention au nom des droits de l’homme fait écho au concept d’intervention humanitaire et à celui d’intervention prévue par la responsabilité de protéger. L’intervention humanitaire implique l’idée d’une menace concrète grave portant sur les droits de l’homme. Tesón nous le fait comprendre dans sa définition de l’intervention humanitaire qui est une « proportionate help, including forcible help, provided by governments (individually or in alliances) to individuals in another state who are vicims of severe tyranny (denial of human rights by their own government) or anarchy (denial of human rights by collapse of the social order) ». Tesón (2005a), 6. Pour le Professeur Cassese, qui préfère parler de « Forcible Humanitarian Countermeasures », il s'agirait d'une « general rule of international law authorizing armed countermeasures for the exclusive purpose of putting an end to large-scale atrocities amounting to crimes against humanity and constituting a threat to the peace ». Cassese (1999a), 29. Cet auteur précise que, dans les conditions nécessaires pour admettre « éventuellement » une nouvelle exception à l'interdiction de l'usage de la force, les « atrocités » en question relèvent bien d'une violation grave des droits de l'homme s'apparentant à un crime contre l'humanité. Ibid., 27. Le concept de responsabilité de protéger a également comme fondement moral, et éventuellement juridique, les droits de l’homme.

Lire CIISE, §1.1, §1.2, §1.6. La « force d’intervention a pour mission de protéger les populations contre de nouvelles violations des droits de l’homme ».Ibid., §5.13. Lesquelles violations doivent être jugées « suffisamment graves » pour justifier l’intervention militaire. Ibid., §4.25. Et pour la

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immédiat auquel fait face l’intervenant consiste à expliquer en quoi son action peut être justifiée face à la prohibition de l’emploi de la force dans les relations internationales et sur quel fondement il peut s’appuyer pour se passer du consentement de l’Etat visé ou de l’autorisation du Conseil de sécurité de l’ONU12. La question sous-jacente porte donc sur l’autorité de l’intervenant.

Nous devons chercher les principes qui peuvent fonder l’autorité de jure de l’intervenant altruiste, celle qui doit encadrer l’autorité de facto dont il jouit par définition13.

L'intervention au nom des droits de l'homme ne relève, effectivement, pas de la situation judiciaire classique où un tiers arbitre intervient dans un différend qui oppose deux parties. Le juge, qui se trouve « au dessus des parties », doit habituellement respecter des principes d'indépendance et d'impartialité14, de manière à ce qu'il puisse rendre ses décisions sereinement et favoriser le maintien de la paix publique. Nous ne nous trouvons pas non plus dans la situation d'un acteur humanitaire comme le CICR qui, en cas de conflit armé, est habilité à officier tant qu'il respecte les principes de neutralité, d'impartialité et d'indépendance évalués de manière discrétionnaire par les belligérants15. Dans le cas qui nous intéresse, l'intervenant est à la fois partie à un différend, juge en sa cause et exécuteur de sa propre sentence. L'enjeu tout à fait singulier de l’intervention altruiste contemporaine recoupe celui de l’ancien concept de la guerre juste ; il a été clairement décrit par Fransisco de

CIISE : « La Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) incarne le code moral, le consensus politique et la synthèse juridique des droits de l’homme ».Ibid., §2.16. La Distinction est parfois difficile à faire entre l’intervention « altruiste » et celle qui a lieu en faveur de ses propres ressortissants mis en péril à l’étranger. Ronzitti constate que les deux actions sont souvent justifiées, par les auteurs qui y sont favorables, par l’argument de la protection des droits de l’homme. Ronzitti, 6. R. Kolb sépare nettement ces deux catégories d’emploi de la force. Kolb (2009), 304.

12 VoirInfra, 23 et suiv., et 36 et suiv.

13 L’autorité au sens fonctionnel c’est le « pouvoir légitime d’exiger, sans recours à la contrainte physique, un certain comportement de la part de celui qui lui est soumis ». Dictionnaire de sociologie du droit (1993), 51. Notons qu’il existe une conception particulière de l’autorité, basée non pas sur la raison mais sur la terreur. Kojève a défendu cette conception : « Si je jette quelqu'un par la fenêtre, le fait qu'il tombe n'a rien à voir avec mon autorité ; mais j'exerce une autorité manifeste sur lui s'il se jette lui-même par la fenêtre sur un ordre que je lui donne et qu'il aurait matériellement pu ne pas exécuter ». Kojève (2004), 57-58. Cette dernière sorte d’autorité se heurte, toutefois, au sens profond de ce mot que vient nous rappeler son étymologie. L’autorité nous vient du terme latin auctoritas « lui-même dérivé du verbe augere, "augmenter", "faire croître", et, dans ses emplois plus anciens, créer, donner existence, fonder, promouvoir ».

Dictionnaire de sociologie du droit (1993), 51. L’autorité est donc créative et favorable à la vie. Sa légitimité tient à la présence de ces facultés-là plutôt que de la volonté arbitraire d’un sujet dominant qui sait obtenir d’un sujet dominé son autodestruction.

14 Voir l'Arrêt de la CourEDH Piersack c. Belgique, 1er octobre 1982, §30. « L'impartialité se définit d'ordinaire par l'absence de préjugé ou de parti pris (...). On peut distinguer sous ce rapport une démarche subjective, essayant de déterminer ce que tel juge pensait dans son for intérieur et telle circonstance, et une démarche objective, amenant à rechercher s'il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime ».

15 Voir J. Pictet (1955), 50. « Avec l'impartialité, nous abordons une série de trois principes (impartialité, indépendance et neutralité) ayant pour fin d'assurer à la Croix-Rouge la confiance de tous ».

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Vitoria: « S'il y avait un juge légitime agréé par les deux parties belligérantes, il devrait condamner les agresseurs injustes et les auteurs d'injustice non seulement à restituer les choses prises mais encore à supporter les dépenses de la guerre et à réparer tous les dommages. Or, nous le dirons bientôt, le prince qui entreprend une guerre juste se trouve juge dans cette cause. Il peut donc également exiger tout cela de ses ennemis »16. Le risque d'abus lié à l'absence d'indépendance et d'impartialité de l'intervenant ou à son manque de sincérité est le premier défaut de cette

« justice » décisionniste17. La sagesse de Platon nous enseigne de nous méfier des discours et de la justice apparente18. Elle nous indique également qu'il existe une justice « abstraite » qu'il est de notre intérêt de rechercher.

Une guerre menée « au nom des droits de l'homme » peut entraîner une situation chaotique de longue durée, elle peut aussi servir à s'approprier des ressources ou imposer une position dominante économique ou politique au détriment de certaines populations. Lorsque l'intention de l'intervenant est viciée, la vie, l'intégrité physique et les moyens de subsistance de nombreuses personnes sont relégués au second plan ou même délibérément visés par les opérations de coercition. Une intervention faite au nom des droits de l’homme peut donc comporter une sérieuse menace à l’égard de ces derniers19. Ce risque de duplicité dans les motivations de l'intervenant a été identifié de longue date et a donné naissance au concept de la recta intentio20, qui est censé garantir une action réellement bénéfique à autrui. Cet élément primordial de la justice par l’action directe est probablement l'un des plus difficiles à circonscrire. Dans son analyse de la pensée grotienne en matière de guerre juste, le Professeur Haggenmacher s'interrogeait déjà à ce propos: « Le iustus animus serait-il la clé qui nous ferait accéder à certaines implications concernant l'institution de la guerre juste et sa finalité? »21. Le dilemme de l’intervention

« altruiste » qui implique la mise en danger des droits de l’homme pour répondre à une obligation issue des droits de l’homme est le plus à même de

16 F. de Vitoria (1966), 124.

17 Cette justice estdécisionniste par le fait qu’elle est mise en œuvre par l’intervenant qui en décide seul,i.e. sans se référer à la décision d’un organe compétent qui lui serait supérieur. Cet acte est, en outre, asymétrique par le fait que la partie intervenante dispose, par définition, de moyens de contraintes supérieures à ceux de l’Etat visé. Pour une définition du décisionnisme lire Schmitt (1988), 16 : « Est souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle » (Souverän ist, wer über den Ausnahmezustand entscheidet). Le juriste allemand dérive cette idée de celle de T. Hobbes, selon laquelle c’est l’autorité, non la vérité, qui fait loi (auctoritas non veritas facit legem). Hobbes (1966), 202. Cité dans Schmitt. Les trois pensées juridiques, 83.

18 Platon, la République (1966), 114. Selon Adimante qui fait l'avocat du diable devant Socrate:

« (d)'après ce qu'on rapporte, si je suis juste sans le paraître je n'en tirerais aucun profit, mais des ennuis et des dommages évidents; injuste, mais pourvu d'une réputation de justice, on dit que je mènerai une vie divine ».

19 Voir R. Roth (2004), 436. « (L)es droits de l'homme sont au moins partiellement en train de changer de nature ». Ceci du fait qu'ils sont de plus en plus associés à une conceptionprotectrice : « (L)es droits de l'homme de bouclier deviendraient épée ».

20 Termes employés par Thomas d'Aquin, voirInfra, 83 et suiv.

21 P. Haggenmacher (1983), 400.

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confondre la duplicité de l’intervenant, puisque l’effet réellement recherché peut ruiner l’objectif proclamé. Nous favoriserons donc les contradictions touchant aux droits de l’homme, susceptibles de nous éclairer sur la réelle autorité de l’intervenant « altruiste ».

II. Un plan ascendant

La question de l’autorité reviendra, par conséquent, tout au long du déroulement de notre thèse. Deux questions peuvent se poser à ce sujet : « qui dit le droit » d’une part, et de l’autre, « que dit le droit ». Notre propre cheminement n’exclut ni l’une ni l’autre, mais leur reconnaît un ordre.

L’interrogation quant à ce « que dit le droit », posée en priorité, nous permet de déterminer dans un deuxième temps « qui le dit »22. Celui qui dit le droit en vertu des déterminations trouvées en réponse à la première question, est la véritable autorité en droit. Cet acteur peut revendiquer le statut de « bon » intervenant, attribué à celui qui est en mesure de mener une intervention

« véritablement » altruiste23.

- Nous commencerons donc par confronter les principaux arguments de la doctrine internationaliste contemporaine favorables à la reconnaissance d’un droit d’intervention altruiste, à ceux qui y sont défavorables. Cette étape permettra de faire ressortir les impasses quant à la détermination du droit en la matière et de poser les premiers linéaments de notre proposition visant à les surmonter. La littérature traitant de la légalité de l’intervention « altruiste » passe à côté de la question de la responsabilité de l’intervenant « altruiste » dans la causalité des violations des droits de l’homme24. Nous revaloriserons le

22 Nous suivons ainsi l’ordre tiré de l’expression latine : Auctoritate rationis sed non ratione auctoritatis, selon laquelle il convient de distinguer l’autorité de la raison, de la raison de l’autorité.

L’argument décisif n’est pas déterminé par le statut de celui qui le prononce. Il ne dépend pas du respect du principe hiérarchique ni du précédent judiciaire, mais de la qualité des motifs sur lesquels la jurisprudence est éventuellement fondée. Roland (2006), 28-29. Il faut donc d’abord vérifier la qualité de l’argument avant de suivre le titulaire du pouvoir qui s’y conforme. Roland (2006).

23 Les notions de « true », « purerly humanitarian » ou de « genuine humanitarian intervention » reviennent de manière lancinante dans la littérature consacrée à la question. Murphy (2009), 343.

B. Ferencz exige que l’objectif de l’intervention soit purement humanitaire pour qu’elle soit distinguée d’un acte d’agression criminel. Cité dans Murphy (2009), 360-361, note 51. I. Brownlie cherche l’intervention humanitaire menée au 19ème siècle qui pourra être qualifiée de « genuine ».

Brownlie (1974), 221. C. Kress en admet volontiers la qualité en ce qui concerne les bombardements de l’OTAN sur la Yougoslavie en 1999. Kress (2009), 1140. Très restrictif, O.

Schachter n’en trouvait pas d’autre à citer qu’éventuellement l’intervention de 1979 contre le régime de Bokassa au pouvoir en Centrafrique. Schachter (1991b), 429.

24 Ce critère de droit renvoie à l'examen dufor intérieur de l'intervenant. Selon les expressions que nous avons retrouvées dans la littérature l'intervenant doit montrer une intention droite (recta intentio) ou une bonne intention. Nous l'appellerons encore l'élément subjectif de l'intervention.

Nous pouvons rapprocher cette notion de la définition donnée par R. Kolb de labonne foi au sens objectif négatif qui « assure la protection de certaines finalités ancrées dans l'intérêt collectif (ou bilatéral) contre des prétentions individualistes excessives: Il s'agit notamment de la théorie de

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critère de l’intention de l’intervenant qui permet de révéler sa véritable responsabilité en la matière, et donc son autorité pour intervenir (Titre premier)25.

- Nous serons ensuite amenés à établir ce que dit le droit au sujet de l’intervention altruiste. Nous aurons l’occasion de dire qu’il est finaliste, et plus précisément, projectif et optimiste. Nous préciserons les conceptions erronées du droit qui s’y opposent. Fatalistes, elles placent la violence au- dessus de la justice et montrent en cela leur incompatibilité avec la finalité altruiste de l’intervention qui nous intéresse (Titre deuxième).

- Nous confirmerons cette lecture du droit dans l’histoire des institutions. Le moment clé se situe autour de la deuxième guerre mondiale. De cette période ont été tirées les leçons des déficiences du système interventionniste caractérisant les relations internationales de l’époque. Ces leçons ont été proclamées avec l’adoption de la Charte de l’ONU et de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, lesquelles doivent être relus à la lumière de ce contexte (Titre troisième).

- La quatrième partie nous permettra de vérifier la place que ce droit, projectif et optimiste, occupe dans le fonctionnement actuel des institutions et singulièrement chez l’intervenant de référence, soit les Etats-Unis (Titre quatrième).

III. L’impulsion de l’hypothèse finaliste

L’idée que le droit applicable à l’intervention altruiste doit être finaliste et que la dimension projective et optimiste du droit doit être développée, nous est venue d’une hypothèse portant sur l’essence de la DUDH. Qu’est-ce qui pourrait le plus synthétiquement qualifier cet instrument ? Et, à l’inverse, quel raisonnement pourrait être considéré comme étant le plus irréconciliable avec l’essence de la Déclaration ainsi trouvée ?

Pour reprendre une expression leibnizienne, le chemin par lequel passe la solution à ce problème est en fait « assez connu » mais il n’a pas été « assez envisagé »26. La DUDH exprime en fait une promesse totale. Celle que tous les droits de l’homme soient accessibles à tous les individus de toutes les parties du

l'abus de droit et de l'objet et du but d'une transaction. Cette acception de la bonne foi est visée par le terme distinct de "Treu und Glauben" (...) ». R. Kolb (2001), 6.

25 Ne pas intervenir dans des situations où sont commises des atrocités sur des populations dans un Etat indépendant est insatisfaisant du point de vue de la protection des droits de l'homme. À l'inverse, intervenir dans ces situations avec l'usage de la force constitue également une menace pour le respect des droits de l'homme.

26 Carraud (2002), 13.

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monde, comme en témoigne l’utilisation systématique dans le texte de la Déclaration d’expressions telles que : « chacun a droit », « tout individu »,

« toute personne » ou « quiconque »27. L’usage de notions telles que « plein effet », « plein développement » ou « plein épanouissement » montrent l’ambition maximaliste de la DUDH en termes de résultats à poursuivre28. Aucune exception motivée par un prétendu défaut de qualité prêté à individu n’est donc admissible pour ne pas exécuter les prescriptions de la Déclaration à son égard29. Aucune excuse pour ne pas mettre en œuvre les droits énoncés ne peut être tirée de la méconnaissance des obligations bien réelles qu’ils comportent, quelles que soient les catégories dans lesquelles ils peuvent être classés30.

La DUDH manifeste donc, d’abord, une approche idéaliste de la destinée de l’homme et des sociétés humaines. Et cet idéalisme est enraciné dans une croyance irréductible en la possibilité de réaliser complètement la promesse formulée en 1948. C’est ce qu’affirme le préambule de la Déclaration pour lequel « les peuples des Nations Unies ont proclamé à nouveau leur foi dans les droits fondamentaux de l’homme (…) »31.

27 L’art. 2(1) DUDH stipule que «(c)hacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune (…) » ; pour l’art. 3 «(t)out individu à le droit à la vie (…) » ; l’art. 23(1) préscrit que « (t)oute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail, et à la protection contre le chômage » ; l’art. 23(3) stipule que «(q)uiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu’à sa famille une existence conforme à la dignité humaine et complétée, s’il y a lieu, par tout autres moyens de protection sociale » ; pour l’art. 25

«(t)oute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation (…) ». Soulignés par nous. La « famille humaine » est une et indivisible en ce qui concerne l’égalité et l’inaliénabilité des droits de chaque être humain.

DUDH, Préambule, §1.

28 Selon l’art. 28 DUDH « (t)oute personne a droit à ce que règne, sur le plan social et sur le plan international, un ordre tel que les droits et libertés énoncés dans la présente Déclaration puissent y trouverplein effet » ; l’art. 29(1) prévoit le « libre et plein développement » de la personnalité de l’individu ; l’art. 26(2) DUDH stipule que « (l)’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine (…) ». Soulignés par nous.

29 Ce principe qui repousse l’exception en question avait été formulée par Kant et son impératif catégorique selon lequel « l'homme ne peut être utilisé par aucun homme (...) simplement comme un moyen, maisil faut toujours qu’il le soit en même temps comme fin (...) ». Soulignés par nous.

Kant (1994b), 333.

30 La division opérée, par exemple, entre les droits civils et politique et les DESC – séparés entre le Pacte I et le Pacte II de 1966 – a été relativisée notamment dans la Déclaration et programme d’action de Vienne de la Conférence mondiale sur les droits de l’homme de 1993 (A/CONF.157/23).

Ce texte rappelle que « (t)ous les droits de l’homme sont universels, indissociables, interdépendants et intimement liés».Ibid., point 5. G. Chatton a bien mis en lumière les liens nécessaires entre chacun des droits appartenant à ces deux catégories par le « continuum » d’obligations sur lequel tous reposent. Chatton (2013), 313. Ce lien est également mis en évidence dans l’utilisation par le Comité du Pacte I de 1966 des trois strates d’obligations qui s’appliquent à tous les droits de l’homme : Les obligations de respecter, les obligations de protéger, les obligations de mettre en œuvre.Ibid., 277.

31 Souligné par nous. DUDH, Préambule, §5. Aux termes de la Charte de l’ONU les peuples des Nations Unies proclament « à nouveauleur foi dans les droits fondamentaux de l’homme (…) ». Soulignés par nous. Charte, Préambule, §2.

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L’assurance de pouvoir parvenir à un résultat aussi complet n’empêche pas de comprendre le principe de réalité. Les nécessités du monde actuel, les déficits et les inégalités de départ en termes de ressources, sont dûment pris en compte32. La réussite de la titanesque entreprise énoncée en 1948 est entièrement soumise à la condition que les parties prenantes fassent preuve de bonne volonté et agissent de bonne foi. Elle dépend de l’« ordre » international qui sera instauré33 et des « efforts » qui seront déployés sous forme « de mesures progressives d’ordre national et international »34. Le progrès constitue la notion charnière qui relie le réalisme et l’idéalisme de la DUDH35. L’exécution de ce plan passe par la bonne coopération entre les nations et par les fruits qui doivent en retomber36. Elle s’appuie, en parallèle, sur le progrès de la science, qui se nourrit des contributions que chacun est habilité à lui apporter, et qui rend à son tour les « bienfaits », dont l’humanité a besoin pour passer du monde insatisfaisant d’aujourd’hui au monde de demain, toujours plus proche de la plénitude effective des droits de l’homme37.

Pour toutes ces raisons, nous pouvons dire que la DUDH est optimiste. Elle est optimiste dans le sens ordinaire et premier de ce terme, qui exprime une espérance à l’égard d’un bien à obtenir. Elle est optimiste, dans un deuxième sens, parce qu’il s’agit d’optimiser une situation de fait, pour parvenir à la fin souhaitée. Le terme optimisme allie à la foi l’idéalisme et le réalisme de la DUDH. La Déclaration est, ensuite, projective parce que la situation actuelle, non satisfaisante, est faite pour être réformée dans la direction voulue38. La DUDH est un projet parce qu’elle contient essentiellement une promesse « à réaliser ». Respecter et protéger l’acquis ne suffit pas, il faut encore réaliser les conditions intermédiaires nécessaires à ce que tous les droits de l’homme soient accessibles à tous les hommes. Le droit positif est soumis à ce projet

32 Les contraintes réalistes sont prévues par l’art. 22 DUDH selon lequel il faut tenir compte « de l’organisation et des ressources de chaque pays ».

33 Art. 28 DUDH.

34 L’Assemblée générale « (p)roclame la présente Déclaration universelle des droits de l’homme comme l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations afin que tous les individus et tous les organes de la société (…) s’efforcent (…) de développer le respect de ces droits et libertés et d’en assurer, par des mesures progressives d’ordre national et international, la reconnaissance et l’application universelles et effectives (…) ». DUDH, Préambule, §8.

35 Les peuples « se sont déclarés résolus à favoriser le progrès social et à instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande ». Soulignés par nous, DUDH Préambule, §5. Lire aussi l’art. 22 qui vise au « développement » de la personnalité par la satisfaction des DESC.

36 Selon le Préambule, §4 de la DUDH « il est essentiel d’encourager le développement de relations amicales entre nations ». Et pour l’art. 22 DUDH : « Toute personne (…) est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa digité et au libre développement de sa personnalité,grâce à l’effort national et à la coopération internationale (…) ».

Soulignés par nous.

37 L’art. 27(1) DUDH stipule que « (t)oute personne a droit (…) de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent ».

38 Et comme l’écrit G. Bachelard : « On ne veut bien que ce qu’on imagine vivement, ce qu’on couvre de beautés projetées ». Bachelard (1992), 8. Cité dans Roger Aïm, Filippo Brunelleschi, Le dôme de Florence, paradigme du projet, Paris 2010, 13.

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tourné vers l’avenir. L’arbitrage des controverses et des contentieux doit se faire en vertu de la finalité des droits de l’homme, soit « l’avènement d’un monde où les êtres humains seront libérés de la terreur et de la misère »39. Tous les actes ayant une influence sur le cours des événements doivent être rapportés à cette finalité. A fortiori, toute intervention faite au nom des droits de l’homme doit rendre raison de sa compatibilité avec cette finalité. C’est ce que nous appelons l’approche finaliste du droit.

Si, sous l’angle positif, tout ce qui contribue à ladite finalité doit être consacré par les institutions, alors, du point de vue négatif, ce qui y fait obstacle doit être mis hors jeu40. Or, l’incompatibilité avec les droits de l’homme est une affaire de volonté et de science, comme l’indique la DUDH qui pourfend le « mépris » mais également la « méconnaissance » à leur égard41. Le premier terme renvoie à l’existence d’une mauvaise volonté, le second renvoie à une ignorance coupable. Ceux qui ne renoncent pas à leurs mauvaises volontés initiales pour servir celle qui est « bonne », de même que ceux qui refusent le passage de l’ignorance à la connaissance, conduisent l’humanité vers la « barbarie ». Ceci, dans la mesure des pouvoirs dont ils disposent42. La DUDH reconnait donc bien l’existence d’une vision fataliste de l’homme et du monde, qui est incompatible avec ses finalités.

Pour cerner le problème du rapport entre cette vision fataliste et celle des droits de l’homme nous employons la notion d’incompatibilité entre les deux, plus volontiers que celle de la contradiction qui peut prêter à confusion43. La violence est ainsi contradictoire avec la justice, mais ces deux notions ne sont pas nécessairement incompatibles44. Il n’est pas impossible que l’usage de la force serve la raison des droits de l’homme. Nous suivons en cela Pascal pour

39 DUDH, Préambule §2.

40 DUDH, art. 30 : « Aucune disposition de la présente Déclaration ne peut être interprétée comme impliquant pour un Etat, un groupement ou un individu un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à ladestruction des droits et libertés qui y sont énoncés ».

Souligné par nous.

41 Non seulement le « mépris », mais également la « méconnaissance » des droits de l’homme a conduit à des actes de barbarie. DUDH, Préambule §1.

42 La DUDH dans son Préambule §8 parle des « organes de la société » pour indiquer qu’ils ont une responsabilité particulière dans la mise en œuvre des droits de l’homme. Le régime de la

« tyrannie » est également mis à l’index dans le Préambule §3 DUDH qui souligne la nécessité de mettre en place un « régime de droit ».

43 Nicolas de Cues a mis en lumière le concept de « coïncidence des opposés ». Par exemple, la ligne droite et le cercle que la géométrie euclidienne oppose absolument coïncident selon N. de Cues qui observe qu’une ligne infinie n’existe jamais et que la circonférence d’un cercle infini coïncide avec la ligne infinie. Flasch, 19. Le principe aristotélicien de contradiction qui pose que « rien ne peut à la fois et sous le même rapport être et ne pas être » reste valable, par contre, dans le domaine de la rationalité discursive. Flasch, 15. Pour le principe de contradiction du Stagirite, lire Aristote (1879), Livre IV, Chapitre III, 1005b, §8. Aristote énonce ce principe ainsi : « (I)l est impossible qu’une seule et même chose soit, et tout à la fois ne soit pas, à une même autre chose, sous le même rapport ».

44 Nous parlons ici de la contrainte exercée sur autrui par l’usage ou la menace de l’usage de la force.

L’intervention « altruiste » est l’un des cas d’application de cette contrainte.

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lequel : « La justice sans la force est impuissante : la force sans la justice est tyrannique »45. Mais si la justice est toujours nécessaire, comme le sont les accomplissements vers la réalisation des droits de l’homme, la violence ne l’est pas toujours ; elle est même censée l’être de moins en moins si le progrès fait son office. La justice et les droits de l’homme ne sont pas des concepts de même nature que celui de la violence. Le système qui l’ignore et inverse cette hiérarchie est incompatible avec les droits de l’homme et la justice.

IV. Le point de départ de l’hypothèse fataliste

Dans son allégorie du banquet, Thomas Malthus a exprimé le plus clairement la doxa fataliste selon laquelle la réalisation de la promesse universaliste des droits de l’homme est impossible et qu’elle est même indésirable:

« Tout homme qui naît dans un monde déjà occupé, si sa famille ne peut pas le nourrir, ou si la société n’a pas besoin de son travail, n’a pas le moindre droit à réclamer une portion quelconque de nourriture, et il est réellement de trop sur la terre. Au grand banquet de la nature, il n’y a point de couvert mis pour lui. La nature lui commande de s’en aller, et elle ne tarde pas à mettre elle-même cet ordre à exécution »46.

Cette puissante réflexion hante la science depuis plus de deux siècles47. Elle lance un défi au maintien de l’ordre public : comment croire que les nécessiteux, qui ne reçoivent aucun secours, iront discrètement mourir, sans se

45 Blaise Pascal, Pensées (1670), Paris 1957, §298, 157.

46 L’allégorie du banquet n’apparaît que dans la deuxième édition de l’Essai sur le principe de population de Malthus parue en 1803. Elle est citée dans l’avant-propos de J. Dupâquier à la réédition de la première édition de l’Essai, Dupâquier (1980), 10. Selon Pyle, si ce passage a disparu des éditions ultérieures, ce n’est pas parce que l’auteur n’adhère plus à l’idée qui y est manifestée :

« It is more probable that he withdrew it either because the harshness of its language gave unneccessary offence to tender-minded readers, or because it might be read not merely as denying the poor any right to the support of the rich, but as advising the rich even against the promptings of charity ». Pyle (1994), xvvii.

47 La science est interpellée par la question posée par Malthus : « (S)avoir si l’homme va désormais s’élancer, à une allure accélérée, vers un progrès sans limite, encore inimaginable, ou bien s’il est condamné à osciller perpétuellement entre le bien-être et la misère (…) ». Malthus (1980), 21.

L’une des réponses contemporaines les plus connues qui poursuit la ligne tracée par Malthus provient du biologiste P. Ehrlich : « The battle to feed all of humanity is over. In the 1970s and 1980s hundreds of millions of people will starve to death in spite of any crash programs embarked upon now ». Ehrlich (1971), xi. De ce constat naît une injonction normative sans équivoque : «We must have population control at home. Hopefully trough changes in our value system, but by compulsion if voluntary methods fail ». Soulignés par nous. Ibid., xii. Le point de vue inverse vient notablement de l’économiste Julian Simon pour qui la ressource salvatrice se trouve dans les êtres humains lesquels « are not just more mouths to feed, but are productive and inventive minds that help find creative solutions to man’s problems, thus leaving us better off over the long run ». Simon (1999), 36. L’économiste E. Boserup abonde dans ce dernier sens : « I have reached the conclusion (…) that in many cases the output from a given area of land responds far more generously to an additional input of labour than assumed by neo-malthusian authors ». Boserup (2005), 14.

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révolter contre une société qui les abandonne48 ? Elle ne peut qu’interpeller le spécialiste des droits de l’homme : existe-il une raison aussi impérieuse pour justifier que des hommes plongés dans l’indigence ne reçoivent aucun secours de la société ? Elle s’attaque, de manière anticipée, à l’affirmation formulée à notre époque par le Comité du Pacte I de 1966 selon lequel :

« (C)haque fois qu’un individu ou un groupe se trouve, pour des raisons indépendantes de sa volonté, dans l’impossibilité d’exercer son droit à une nourriture suffisante par les moyens dont il dispose, l’Etat a l’obligation de faire le nécessaire pour donner effet directement à ce droit (distribuer des vivres) »49.

C’est bien l’émergence de l’idée des droits de l’homme, qui a lieu à son époque, qui pousse le pasteur anglais à rédiger son Essai sur le principe de population50. Il s’en prend, le plus immédiatement, à un projet de législation britannique visant à renforcer l’assistance publique aux pauvres. Laisser croire aux pauvres qu’ils ont le droit de recevoir de l’aide des nantis est, selon le clergyman, une erreur. Il faut laisser faire la nature et ses verdicts implacables51. Seule la charité, aléatoire et discrétionnaire, de quelques « bienfaiteurs » peut repousser la sentence mortelle que l’indigent mérite52. L’intervention altruiste est, dans l’approche pessimiste, cantonnée à l’aumône des gentilshommes. Ce système de pensée produit donc finalement une forme d’intervenant

« altruiste » ; une forme corrompue pourrait-on dire, puisqu’elle ne s’inscrit pas dans un droit universel.

Si les thèses de Malthus sont exactes, les pouvoirs publics ne peuvent guère que protéger les droits fondamentaux de certains hommes contre les éventuelles menaces venant d’autres hommes, notamment de ceux qui « sont de trop ». Ils doivent préalablement distinguer ceux « qui ont » de « ceux qui n’ont pas » pour déterminer « ceux qui ont droit » et « ceux qui n’ont pas

48 La DUDH nous avertit sur le droit de résistance dont chacun peut recourir en dernière instance, face à la tyrannie et à l’oppression. DUDH, Préambule, §3.

49 Comité du Pacte I de 1966, Observation générale n° 12 (1999), §15.

50 L’idée des droits de l’homme apparaît bruyamment à son époque à l’occasion de la déclaration d’indépendance américaine de 1776 et de la révolution française de 1789 « qui, telle une comète de feu, semble devoir soit insuffler aux habitants prostrés de la Terre une vie et une énergie renouvelées, soit les embraser et les détruire ». Malthus (1980), 21. Malthus nait en 1766 et meurt en 1834.

51 Malthus fit sur la base de ce raisonnement une proposition législative dans laquelle il soutenait l’abolition de l’assistance publique aux pauvres au motif notable suivant : « When Nature will govern and punish for us, it is a very miserable ambition to wish to snatch the rod from her hands, and draw upon ourselves the odium of executioner. To the punishment therefore of Nature he should be left, the punishment of want ». Cité dans Pyle (1994), 184 et suiv.

52 Pour l’économiste anglais « (a)ll parish be left to the uncertain support of private charity. He should be thought to know, that the laws of Nature, which are the laws of God, had dommed him and his family to starve, for disobeying their repeated admonitions; that he had no claim of right on society for the smallest portion of food, beyond that which his labour would fairly purchase; and that if he and his family were saved from felling the natural consequence of his imprudence, he would owe it to the pity of some kind benefactor, to whom, therefore, he ought to be bound by the strongest ties of gratitude ». Cité dans Pyle (1994), 184-185.

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