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L implantation de la Troisième République dans un espace périphérique. Le comté de Nice de 1870 à 1879

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L’implantation de la Troisième République dans un espace périphérique. Le comté de Nice de 1870 à 1879

Henri Courrière, docteur en histoire, professeur certifié d’histoire-géographie, chercheur associé au Centre de la Méditerranée moderne et contemporaine (EA 1193, Université de Nice Sophia-Antipolis).

Plusieurs études ont, depuis une vingtaine d’années, souligné la nécessité de mieux connaître les débuts de la Troisième République1. C’est en effet au cours de cette période, et notamment durant les années 1870, que le suffrage universel devient le seul fondement légitime de la vie politique, que les forces partisanes, surtout républicaines, s’efforcent de se structurer davantage, que les nouvelles élites républicaines commencent à remplacer les anciens notables conservateurs, tandis que la pratique répétée du suffrage universel participe à renforcer progressivement le sentiment d’unité nationale2. Moment de conquête de la République par les républicains, les années 1870 apparaissent ainsi comme une décennie fondatrice où sont posées, pour une large part, les bases de la culture démocratique française.

Le comté de Nice représente un terrain d’étude susceptible d’appréhender au plus près les ressorts et les logiques de cette période. Détaché du royaume du Piémont-Sardaigne en 1860 pour former, avec l’arrondissement de Grasse, le département des Alpes-Maritimes, ce territoire se caractérise en effet par de fortes spécificités3. En raison de son passé, il abrite un certain nombre d’acteurs nostalgiques de l’Italie, qui revendiquent plus ou moins clairement le respect de cette part d’héritage, voire envisagent un retour à la « patrie d’origine ».

L’afflux, après 1860, de nouveaux habitants et de fonctionnaires venus du reste de la France a par ailleurs provoqué des tensions entre « Niçois » et « Français », tensions perceptibles avant même la chute de l’Empire et qui se traduisent par un rejet des seconds par les premiers. Les partis politiques, enfin, demeurent influencés par leur genèse sous le royaume de Piémont- Sardaigne : si la droite s’est ralliée par pragmatisme au Second Empire, la gauche et les libéraux, comme les républicains garibaldiens, sont demeurés opposés au régime de Napoléon III. En 1870, l’ancien comté de Nice se trouve ainsi dans une situation politique paradoxale : annexé par le Second Empire dix ans auparavant, il a peu de liens historiques ou politiques avec la République française, malgré sa précédente annexion en 1792-1814. Dès 1879, pourtant, il apparaît comme un territoire majoritairement gagné au nouveau régime.

Il convient dès lors de mieux comprendre par quels biais et selon quelles modalités le comté de Nice s’est aussi rapidement rallié au régime instauré en France en 1870. À travers une étude des partis et des discours, des scrutins et des pratiques électorales, de l’action des préfets, de la presse et des comités, il s’agira ici de déterminer comment, en définitive, la République parvient à se diffuser et à s’implanter dans un espace périphérique, le comté de Nice, qui ne possède pas de tradition politique républicaine française et qui se caractérise par un fort particularisme teinté d’influences italiennes. Nous adopterons pour ce faire une démarche diachronique en trois temps : l’instauration de la République (1870-1871), la République de Thiers (1871-1873), la conquête de la République par les républicains (1873- 1879).

1 Jean-Marie Mayeur, Léon Gambetta. La Patrie et la République, Paris, Fayard, 2008, p. 10-11.

2 Serge Berstein, Michel Winock (dir.), L’invention de la démocratie, 1789-1914, Paris, Seuil, 2002, p. 170-200 ; Jean-Marie Mayeur, La vie politique sous la Troisième République, 1870-1940, Paris, Seuil, 1984, p. 13-69.

3 Alain Ruggiero (dir.), Nouvelle histoire de Nice, Toulouse, Privat, 2006 ; Jacques Basso, Les élections législatives dans le département des Alpes-Maritimes de 1860 à 1939. Éléments de sociologie électorale, Paris, LGDJ, 1968 ; Henri Courrière, L’État, la nation et la petite patrie. La vie politique à Nice et dans les Alpes- Maritimes de 1860 à 1898 : genèse d’un département français, thèse de doctorat en histoire, Université de Nice Sophia-Antipolis, 2008.

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La proclamation et l’instauration de la République (1870-1871) La proclamation de la République et la recomposition des partis

La proclamation de la chute de l’Empire est bien accueillie à Nice. Le 4 septembre, une manifestation républicaine envahit la salle du conseil municipal et, dès le lendemain, la municipalité se rallie au nouveau régime4. Le 6 septembre, le préfet bonapartiste Denis Gavini, révoqué, confie l’administration de la ville au conseil général, qui nomme une commission de cinq membres5.

Le nouveau préfet, Pierre Baragnon, arrive à Nice le 8 septembre. Républicain modéré, proche de Gambetta6, il procède à l’épuration de l’administration et nomme des commissions municipales dans une vingtaine de communes7. Le conseiller municipal Louis Piccon est nommé maire le 11 septembre, mais le reste du conseil municipal est maintenu. Le préfet fait publier dans la presse locale une lettre de Garibaldi, en français et en italien, appelant à soutenir la République française8. Le 13 septembre, dans une proclamation aux habitants, le maire appelle à son tour à soutenir la République9. Le soutien des élites et de la population au nouveau régime paraît, dans un premier temps, massif.

À l’approche des élections municipales, initialement prévues pour le 25 septembre, plusieurs signes montrent cependant la fragilité de cet apparent unanimisme. Les bonapartistes, dirigés par l’ancien maire François Malausséna, entreprennent tout d’abord d’entraver l’action du préfet10 tandis que, le 17 septembre, des officier niçois « séparatistes » sont élus dans plusieurs compagnies de la garde nationale de Nice11. Le 22 septembre, enfin, le préfet s’inquiète de « menées italiennes sourdes »12. Les tensions politiques au cours de cette période ne sont pas spécifiques à Nice : elles s’inscrivent dans l’atmosphère très tendue qui règne alors dans les villes du Sud et que matérialise la formation de la Ligue du Midi13. Elles prennent cependant ici une importance particulière, en raison de la guerre et de leur dimension étrangère puisqu’italienne.

La création du Comité niçois, en vue des élections municipales entretient les inquiétudes du préfet et souligne la particularité de la vie politique locale. Regroupant des libéraux, d’anciens bonapartistes et des garibaldiens, tous « niçois »14, cette structure tient en effet un discours particulariste, favorable aux « libertés municipales », tout en affichant ses sympathies pour l’unité italienne. La chute de l’Empire, responsable de l’annexion, ainsi que le climat d’incertitude lié à la guerre rendent en effet envisageable la possibilité d’un

« retour » à l’Italie. Le 22 septembre, un des membres du Comité niçois se prononce ainsi pour le retour de Nice à son « ancienne patrie »15. Le parti républicain, pour sa part, se

4 Arch. dép. des Alpes-Maritimes, 1M352, extrait du procès-verbal de la séance du Conseil municipal de Nice du 4 septembre 1870 ; Mark Ivan, Le séparatisme à Nice (1860-1874), Nice, Verani, s. d. [1875], p. 72. Mark Ivan est un journaliste républicain installé à Nice.

5 Arch. dép. des Alpes-Maritimes, 1M352, dépêche télégraphique adressée aux sous-préfets du département, 6 septembre 1870.

6 Vincent Wright, Les préfets de Gambetta, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2007, p. 84-88.

7 Journal de Nice, 19-20 septembre 1870.

8 Journal de Nice, 12 septembre 1870.

9 Journal de Nice, 15 septembre 1870.

10 Mark Ivan, Le séparatisme à Nice, op. cit., p. 76-77.

11 Idem, p. 88.

12 Éric Bonhomme, L’exercice du pouvoir sous la Défense nationale : 4 septembre 1870 – 8 février 1871, thèse de doctorat en histoire, Université Paris IV, 1996, p. 441.

13 François Roth, La guerre de 70, Paris, Fayard, 1990, p. 213.

14 Mark Ivan, op. cit., p. 87.

15 Journal de Nice, 24 et 27 septembre 1870 ; Mark Ivan, op. cit., p. 88.

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structure au sein du Comité républicain de Nice, le 19 septembre16 et établit une liste de candidats pour les élections municipales. Il réunit essentiellement des « Français » installés à Nice. Le paysage politique se structure ainsi en deux partis : « niçois » d’un côté et

« républicain français » de l’autre.

Face à cette situation, le préfet s’efforce d’apaiser les tensions, appelle à l’union des citoyens et rappelle l’appartenance de Nice à la République française. L’échec des négociations avec Bismarck, le 24 septembre, produit cependant une aggravation des tensions.

Comme dans l’ensemble du territoire national, les élections municipales sont annulées mais, à Nice, le préfet prend des mesures supplémentaires : il rétablit l’état de siège dans toute sa rigueur, interdit toute réunion et destitue les officiers « italiens » de la garde nationale17. Il obtient également la démission de Louis Piccon, tandis que plusieurs membres du Comité niçois quittent la ville18. Une nouvelle commission municipale, nommée le 25 septembre, est présidée par le préfet, avec pour vice-président le docteur Pacifique Clérissy19.

La situation s’est donc fortement dégradée en trois semaines et, sans doute pour cette raison, le préfet Baragnon est mandé à Tours le 8 octobre. Il est remplacé par un jeune avocat radical, proche de Clément Laurier, Noël Blache20, puis par un proche de Léon Gambetta, Marc Dufraisse, nommé le 14 octobre, qui arrive à Nice le 2221.

L’essor du parti « niçois »

Le préfet Dufraisse se plaint rapidement, et à plusieurs reprises, de l’activité du « parti italien » dans l’ancien comté22. Différents éléments semblent lui donner raison. La presse italienne, tout d’abord, réclame le retour de Nice à l’Italie23, tandis que d’autres comités niçois, situés en Italie24, affirment que la chute de l’Empire rend caduc le plébiscite de 186025. Un nouveau quotidien rédigé en langue italienne, Il Diritto di Nizza, commence par ailleurs à paraître à partir du 6 novembre26. Le nouveau journal, qui se dit libéral et progressiste tout en déclarant représenter les natifs de Nice, proteste contre les mesures prises par l’administration républicaine et réclame un nouveau plébiscite. Il ne se déclare pas anti-républicain et se revendique des idées de 1789, mais il se dit aussi « italianiste » et « particulariste »27. Le 6 novembre, enfin, le Comité niçois demande, au cours d’une manifestation, le rétablissement du conseil municipal et le réarmement de la garde nationale28. Ce sont donc les mesures d’urgence prises par l’administration républicaine qui sont fortement contestées, car considérées comme arbitraires.

Face à cette situation, le préfet fait d’abord des compromis. Il nomme une nouvelle commission municipale, modérée, le 15 novembre29. Présidée par le baron Joseph Elisi de

16 Journal de Nice, 19-20 septembre 1870.

17 Journal de Nice, 25 septembre 1870.

18 Mark Ivan, op. cit., p. 81-82.

19 Journal de Nice, 28 septembre 1870.

20 Éric Bonhomme, op. cit., p. 450 ; Vincent Wright, op. cit., p. 102-104.

21 Vincent Wright, op. cit., p. 179.

22 Arch. nat., F/7/12674, télégramme du préfet au ministre de l’Intérieur, 30 octobre 1870.

23 Le Phare du Littoral, 4 novembre 1870.

24 Arch. dép. des Bouches-du-Rhône, rapport du secrétaire général de la préfecture des Alpes-Maritimes, 21 février 1871.

25 Le Phare du Littoral, 24 novembre 1870.

26 Arch. dép. des Alpes-Maritimes, 2T10, rapport au préfet, 15 octobre 1870.

27 Il Diritto di Nizza, 13 novembre 1870.

28 Journal de Nice, 7-8 novembre 1870 et 13 novembre 1870 ; Le Phare du Littoral, 7-8 novembre 1870 ; Il Diritto di Nizza, 7-8 novembre 1870.

29 Journal de Nice, 16 novembre 1870 ; Le Phare du Littoral, 16 novembre 1870.

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Saint-Albert, elle est dominée par « le petit commerce et l’élément niçois »30 et compte plusieurs anciens conseillers municipaux, signe que le préfet cherche l’apaisement et le ralliement des anciens bonapartistes. En même temps, la préfecture fait expulser plusieurs Niçois de nationalité italienne, soupçonnés de séparatisme31.

La presse républicaine « française », pour sa part, se montre divisée. Si le Journal de Nice, modéré, nie l’existence d’un véritable parti italien32, Le Phare du Littoral, proche de Gambetta, se montre plus compréhensif avant de radicaliser sa position en raison de la poursuite de la guerre33. Le Phare reconnaît par ailleurs la légitimité du mécontentement des Niçois « de souche », mais en attribue l’origine aux fonctionnaires du Second Empire34. Le Journal de Nice, pour sa part, entreprend de démontrer par une série d’articles historiques que la ville est bien française35. À la veille des élections législatives de février 1871, la situation politique est donc toujours marquée par la dichotomie entre le « parti français », républicain, et le « parti niçois », extrêmement composite.

Les élections du 8 février 1871

Comme dans le reste de la France, les élections du 8 février 1871 se déroulent dans un climat confus36. Le parti républicain se divise à Nice en trois tendances, représentée chacune par un journal. Le Réveil des Alpes-Maritimes incarne la tendance radicale37. Le Phare du Littoral, plus modéré, est proche de la tendance gambettiste. Le Journal de Nice, enfin, représente le centre-gauche. Les trois journaux ne parviennent pas à s’entendre et appellent à voter pour différents candidats. Hormis Giuseppe Garibaldi, aucun n’est originaire du comté de Nice et presque tous appellent à la poursuite de la guerre. La candidature du préfet Dufraisse divise en outre les républicains38. Le préfet se prononce en effet violemment contre Garibaldi et pour la paix, afin de garder « Nice à la France ». Sa candidature est soutenue par le Journal de Nice, mais combattue par Le Phare du Littoral et le Réveil. Un des candidats, Henri Lefèvre est chargé de représenter les « républicains français de Nice »39.

Le parti « italo-niçois », pour sa part, se montre très actif. Il Diritto di Nizza continue de dénoncer l’action de l’administration républicaine tout en se déclarant pour la paix40. Le 1er février 1871, il fait imprimer avec le Comité niçois une adresse à Garibaldi demandant au général de transmettre à la Chambre « les vœux de Nice pour la paix et la revendication de son droit sacré de nationalité ». L’adresse recueille un nombre élevé de signatures41. En vue des élections, le Comité niçois désigne comme candidats Giuseppe Garibaldi, Louis Piccon, Constantin Bergondi et Alfred Borriglione42. Le comité mêle revendications particularistes et

30 Le Phare du Littoral, 17 novembre 1870.

31 Le Phare du Littoral, 16 novembre 1870 ; Il Diritto di Nizza, 18 novembre 1870.

32 Journal de Nice, 23 novembre 1870.

33 Le Phare du Littoral, 1er novembre 1870 et 11 novembre 1870.

34 Le Phare du Littoral, 27 novembre 1870.

35 Journal de Nice, 30 novembre 1870.

36 Stéphane Audoin-Rouzeau, 1870. La France dans la guerre, Paris, Armand Colin, 1989, p. 303-304 ; Serge Berstein, Michel Winock (dir.), L’invention de la démocratie, 1789-1914, op. cit., p. 258-259.

37 Journal de Nice, 26 octobre 1870 ; Le Phare du Littoral, 21 décembre 1870.

38 Journal de Nice, 4 février 1871 ; Le Phare du Littoral, 6 février 1871.

39 Le Phare du Littoral, 16 février 1871.

40 Il Diritto di Nizza, 2-3 gennajo 1871, 19 gennajo 1871.

41 Arch. dép. des Bouches-du-Rhône, 2U1/190, rapport de l’avocat général au procureur général, 19 février 1871 ; 2U1/213, affiche datée du 1er février 1871.

42 Il Diritto di Nizza, 3 febbrajo 1871.

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aspirations « italiennes »43 mais, dans leurs professions de foi, Piccon, Bergondi et Borriglione se prononcent très clairement pour la République44. Ils sont néanmoins considérés par l’administration comme « séparatistes ».

Les résultats montrent le décalage politique existant entre l’ancien comté de Nice et le reste du département. Dans l’ensemble des Alpes-Maritimes, ce sont en effet Garibaldi, Bergondi, Piccon et Dufraisse qui arrivent en tête et sont élus mais, dans l’ancien comté de Nice, la majorité des suffrages se portent sur Garibaldi, Bergondi, Piccon et Borriglione. Ces résultats s’expliquent très vraisemblablement par le fait que les candidats du Comité niçois étaient les seuls à être à la fois originaires du comté et partisans déclarés de la paix tandis que Dufraisse, en rejetant violemment Garibaldi, s’est privé du soutien de la gauche niçoise45. Le Diritto considère pour sa part cette victoire comme étant purement « niçoise » et rejette l’accusation de séparatisme, tout en demandant à nouveau la remise en cause du plébiscite de 186046. Piccon et Bergondi, partisans de Thiers, siègent avec le centre-gauche.

La situation s’aggrave sensiblement après le scrutin. Le 9 février, en raison de cris favorables à l’Italie poussées lors d’une manifestation la veille au soir, le préfet décide d’interdire la publication du Diritto, ce qui déclenche des troubles assez graves. Le 10 février l’arrestation de plusieurs meneurs provoque de nouveaux incidents et, le même jour, le préfet nomme un nouveau président à la tête de la commission municipale, Jean Draghi47.

Les élections comme les troubles éloignent les notables libéraux de la République.

L’historien Jean-Baptiste Toselli compare ainsi le préfet Dufraisse à un « gouverneur » et à un

« dictateur »48. À l’Assemblée nationale, le 11 mars 1871, le député Piccon réaffirme son attachement à la République, mais accuse le préfet d’être responsable des troubles et de l’essor du séparatisme49. Ce discours ne convient cependant pas à la presse « républicaine française » qui reproche au député d’avoir été soutenu par le Comité niçois et par le Diritto di Nizza.

La République de Thiers

La conquête de la municipalité par le Comité niçois

Après les troubles de février, la situation tend à s’apaiser. Thiers est élu chef du pouvoir exécutif le 17 février et les préliminaires de paix sont signés le 26. Le 23 mars 1871, Oscar Salvetat remplace Marc Dufraisse à la tête de la préfecture. Le nouveau préfet, républicain modéré, condamne implicitement l’attitude de son prédécesseur et privilégie une politique de « conciliation » avec le « parti niçois ».

Les comités niçois d’Italie demeurent actifs et dénoncent toujours le plébiscite de 1860, mais la fin de la guerre rend ce problème moins sensible50. Il Pensiero di Nizza, pour sa

43 Il Diritto di Nizza, 4 febbrajo 1871 ; Arch. dép. des Bouches-du-Rhône, 2U1/190, rapport de l’avocat général au procureur général, 19 février 1871 ; 2U1/191, rapport du secrétaire général de la préfecture des Alpes- Maritimes, 21 février 1871.

44 Journal de Nice, 2 mars 1871.

45 Le Phare du Littoral, 11 mars 1871.

46 Il Diritto di Nizza, 10 febbrajo 1871.

47 Le Phare du Littoral, 11 février 1871 ; Journal de Nice, 12 février 1871. Cf. également Henri Courrière, « Les troubles de février 1871 à Nice. Entre particularisme, séparatisme et République », Cahiers de la Méditerranée, n° 74, juin 2007, p. 179-208.

48 Jean-Baptiste Toselli, Trois journées belliqueuses à Nice ou les intrigues d’une candidature governo- républicaine. Conte historico-fantastique du XVIIIe siècle, Nice, Cauvin, 1871, 128 p., ici p. 101-103.

49 Le Phare du Littoral, 14 mars 1871.

50 Le Phare du Littoral, 8 mars 1871 ; 10 mars 1871.

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part, continue de réclamer un nouveau plébiscite51 mais il réoriente son discours, en renonçant au séparatisme pour prôner le « révisionnisme » : le quotidien ne demande plus la séparation d’avec la France, mais simplement la révision du plébiscite de 186052. De son côté, Le Phare du Littoral entreprend de démontrer que, par son histoire, le comté de Nice est provençal, donc français. La nationalité du territoire fait donc encore débat.

À l’occasion des élections municipales du 30 avril et du 7 mai 1871, le parti républicain demeure divisé entre radicaux et modérés et plusieurs listes, soutenues par différents journaux, sont en concurrence53. Les républicains hésitent également sur la stratégie à suivre. Les modérés souhaitent en effet s’allier aux anciens bonapartistes et aux libéraux, ce que refusent les radicaux. La proportion entre « Niçois » et « Français » pose également problème54. Le Journal de Nice et Le Phare du Littoral parviennent néanmoins à s’entendre sur une liste comportant une majorité de « Niçois » mais aussi des « républicains français ».

La liste du Comité niçois et du Pensiero se veut, pour sa part, essentiellement

« locale »55 et réunit d’anciens bonapartistes, des libéraux et des garibaldiens. Son programme est particulariste, favorable aux « franchises municipales » et opposé à « l’élément hétérogène »56. La liste du Comité niçois l’emporte à l’issue du second tour, mais l’abstention atteint un niveau très élevée (71%), les journaux républicains ayant retiré leurs listes le lendemain du premier tour.

Peu de temps après le scrutin, le préfet indique que le « parti niçois » accepte la situation actuelle tant qu’elle « satisfait les intérêts niçois »57. Le mouvement particulariste accepte donc la République, tant que les non-Niçois demeurent exclus de la vie politique locale. Le représentant de l’État estime par ailleurs que l’administration préfectorale peut s’entendre avec ce parti s’il lui confie la gestion de la ville tout en se montrant tolérant « au point de vue des libertés municipales »58. Sur ses conseils, le gouvernement nomme comme maire, le 10 mai 1871, un libéral conservateur indépendant, Auguste Raynaud, choix que Le Phare du Littoral approuve59. Le nouveau magistrat se déclare partisan des « franchises communales » et des principes libéraux, tout en rejetant les « doctrines socialistes et subversives »60. La mairie de Nice est donc à présent dirigée par un libéral conservateur particulariste.

Les efforts d’unité du parti républicain

Les élections législatives partielles du 2 juillet 1871, rendues nécessaires par les démissions de Garibaldi et de Dufraisse, montrent un début de recompositions des tendances politiques. Le parti républicain, conscient de la nécessité de présenter un candidat républicain modéré et issu du comté de Nice, parvient en effet à se structurer au sein de l’Union républicaine de Nice, de tendance gambettiste, afin de réunir les « républicains français » de la ville61. Les deux candidats qu’il désigne, Fortuné Maure et Henri Lefèvre, sont soutenus par

51 Il Pensiero di Nizza, 2 aprile 1871. Ce quotidien a succédé au Diritto di Nizza après son interdiction.

52 Il Pensiero di Nizza, 29 marzo 1871 et 30 marzo 1871.

53 Journal de Nice, 20 avril 1871, 21 avril 1871 et 23 avril 1871 ; Le Phare du Littoral, 19 avril 1871, 20 avril 1871 et 26 avril 1871.

54 Le Phare du Littoral, 29 avril 1871.

55 Il Pensiero di Nizza, 28 aprile 1871.

56 Il Pensiero di Nizza, 30 aprile 1871.

57 Arch. nat., F/1bII/Alpes-Maritimes/3, dépêche télégraphique du préfet au ministre de l’Intérieur, 9 mai 1871.

58 Arch. nat., F/1bII/Alpes-Maritimes/3, rapport du préfet au ministre de l’Intérieur, 8 mai 1871.

59 Le Phare du Littoral, 11 mai 1871.

60 Le Phare du Littoral, 18 mai 1871.

61 Le Phare du Littoral, 14 juin 1871.

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tous les journaux républicains locaux et par certains journalistes niçois, comme Jules Bessi. Si Maure doit représenter l’arrondissement de Grasse et Lefèvre l’ancien comté de Nice, ils sont tous deux proches du centre gauche et des idées de Thiers. L’Union républicaine met également en place un comité électoral et organise des réunions, dont l’une se sépare aux cris de « Vive la République » et « Vive Garibaldi ». Les républicains s’efforcent enfin de répondre à certaines attentes des partisans du Comité niçois. Henri Lefèvre se prononce ainsi pour la décentralisation, tandis que Le Phare du Littoral affirme que les Niçois ont intérêt à soutenir la République car elle respectera les « libertés municipales »62.

Certains sympathisants du Comité niçois s’en éloignent par ailleurs pour se rapprocher des républicains « français ». Le Comité démocratique niçois, de tendance garibaldienne, publie ainsi un manifeste en français et en italien, dans lequel il proclame la légitimité des sympathies des Niçois envers l’Italie, tout en soulignant que la République doit prévaloir sur toutes les autres considérations de nationalité. Il apporte son soutien à Lefèvre63.

Les deux candidats soutenus par le Comité niçois et le Pensiero, Alfred Borriglione et Alexandre Milon, se prononcent pour leur part clairement en faveur de la République, mais ils demandent également la révision du plébiscite et publient leur profession de foi en langue italienne64. Borriglione se prononce en outre pour le maintien de la République dans la mesure où elle est la seule forme de gouvernement capable d’éviter à la France de nouvelles révolutions tout en assurant la liberté, l’ordre, le repos et la sécurité. Il s’agit donc d’un soutien par défaut.

Les résultats montrent à nouveau la dichotomie du département. Maure et Lefèvre sont en effet élus, mais Borriglione et Milon arrivent en tête dans l’ancien comté de Nice65. Les candidats « républicains français », moins nombreux qu’en février, ont néanmoins progressés dans l’ancien comté : Lefèvre passe de 1 919 à 6 365 voix, tandis que Maure en obtient 6 920, contre 5 218 pour Dufraisse lors du scrutin précédent. Les candidats du Comité niçois, en revanche, reculent : Borriglione passe ainsi de 11 132 voix en février à 10 087 suffrages en juillet et Milon recueille 7 943 voix tandis que Bergondi et Piccon en avaient obtenu 12 930 et 12 16266. Le parti « républicain français » progresse donc au détriment du Comité niçois. Des incidents, au lendemain des élections, montrent par ailleurs la persistance des tensions : dans la nuit du 4 au 5 juillet, cent à cent-cinquante personnes fêtent l’anniversaire de la naissance de Garibaldi autour d’un buste du général, puis parcourent la ville avec un drapeau italien67. Le 10 juillet 1871, Bergondi proteste à la Chambre contre les accusations de séparatisme portées à son égard68. Il accuse également les « proscrits de la dictature », c’est-à-dire les républicains radicaux et gambettistes, d’être responsables du développement du parti

« italien » à Nice.

La République conservatrice et le Comité niçois

Signe de la mise en place de la République conservatrice de Thiers, le préfet Salvetat est nommé dans les Bouches-du-Rhône dès le 5 juillet 1871 pour être remplacé par un conservateur, légitimiste rallié à l’Empire, le marquis Raymond de Villeneuve-Bargemon69.

62 Le Phare du Littoral, 23 juin 1871.

63 Le Phare du Littoral, 30 juin 1871.

64 Il Pensiero di Nizza, 22 giugno 1871.

65 Arch. dép. des Alpes-Maritimes, 3M179, tableau récapitulatif des votes.

66 Le nombre d’inscrits est à peu près stable : 34 137 en février, 34 865 en juillet. En revanche, le nombre de votants a progressé : 16 798 en février, 18 195 en juillet.

67 Journal de Nice, 8 juillet 1871.

68 Journal de Nice, 11 juillet 1871 ; Le Phare du Littoral, 13 juillet 1871.

69 Le Phare du Littoral, 9 juillet 1871.

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Sous son égide, un rapprochement se produit entre le représentant de l’État et la municipalité. Le nouveau préfet adopte en effet une stratégie d’ouverture et se montre moins sourcilleux que ses prédécesseurs sur les tendances « italiennes » ou « niçoises » de certains conseillers municipaux70. La municipalité, de son côté, prend conscience qu’elle ne peut pas indéfiniment s’opposer au préfet. Elle est en outre divisée, peu expérimentée et peu légitime à cause de la forte abstention lors des élections municipales. Les élections législatives de juillet, enfin, ont montré les progrès à Nice des candidats républicains « français ». Les deux instances, mairie et préfecture, ont donc intérêt à se rapprocher pour contrer cette avance.

Elles partagent, en outre, une même sensibilité politique pour « l’ordre et la liberté ». Signe de ce rapprochement, la municipalité se rend en corps auprès du nouveau préfet, hommage qu’elle avait refusé à son prédécesseur71. Cette stratégie s’avère payante pour la préfecture comme pour le Comité niçois. Lors des élections cantonales du 8 octobre 1871, les candidats de ce dernier l’emportent ainsi, à Nice, sur ceux du parti « républicain français »72.

Le rapprochement entre le préfet conservateur et le parti « niçois » accentue le glissement à droite de ce dernier. Lors d’un procès à Aix-en-Provence, en août 1871, l’avocat du Pensiero di Nizza déclare ainsi que le « parti séparatiste » est essentiellement un parti conservateur73. Par ailleurs, la gauche du parti niçois ne peut plus compter sur le soutien de Garibaldi. En décembre 1871, la presse publie en effet une lettre dans laquelle le général regrette que Nice soit devenue française (« Nier l’italianité de Nice, c’est nier la lumière du soleil »), tout en estimant cette situation irréversible74. En octobre 1872, un rapport indique que Garibaldi ne souhaite pas diriger un mouvement séparatiste niçois, tant que la France demeure républicaine75.

Face à leurs échecs électoraux et au rapprochement entre la mairie et la préfecture, les républicains « français » s’efforcent de discréditer ces deux instances en les présentant comme anti-françaises. Ils affirment ainsi que la municipalité aurait privilégié le recrutement de fonctionnaires municipaux « séparatistes », au détriment des Niçois d’opinion française et des Français installés à Nice. La mairie aurait également recruté un ecclésiastique de nationalité italienne, pour enseigner la langue de Dante aux enfants de l’école municipale. Elle aurait fait voter, enfin, l’exécution de portraits de Garibaldi et de Catherine Ségurane pour être placés dans la salle du Conseil76. La politique culturelle de la marie est également remise en cause.

En 1872, alors que la municipalité vient d’accorder une subvention au Théâtre italien au détriment du Théâtre français, le Journal de Nice dénonce ainsi « l’hostilité » de la mairie envers les « Français résidant à Nice »77. Non sans raison, l’administration préfectorale s’inquiète de cette attitude de la presse républicaine, qui tend à exacerber les tensions et à radicaliser le « parti niçois »78. Dans le même temps, elle réprouve également le discours du Pensiero trop favorable aux tendances italiennes mais prend rarement de sanctions à son égard afin de ne pas en faire un martyr79. Malgré les attaques de la presse républicaine, un certain équilibre parvient ainsi à s’instaurer et les tensions, dans l’ensemble, s’apaisent.

70 Arch. nat., F/1bII/Alpes-Maritimes/3, rapport du préfet au ministre de l’Intérieur, 23 juillet 1871.

71 Le Phare du Littoral, 19 juillet 1871.

72 Le Phare du Littoral, 11 octobre 1871.

73 Le Phare du Littoral, 21-22 août 1871.

74 Le Phare du Littoral, 6 décembre 1871 ; Il Pensiero di Nizza, 6 dicembre 1871.

75 Archives de la préfecture de police, B/A 1090, rapport du 20 octobre 1872.

76 Mark Ivan, Le séparatisme à Nice, op. cit., p. 243-244, 236 et 268. Catherine Ségurane est une figure mythique qui se serait illustrée lors du siège de Nice par les Français et les Ottomans en 1543. Elle symbolise, selon les circonstances, la fidélité de la ville à la maison de Savoie ou le patriotisme local.

77 Journal de Nice, 16 septembre 1872.

78 Arch. nat., F/2/12243, rapport du 17 septembre 1872 et du 19 décembre 1872.

79 Arch. dép. des Alpes-Maritimes, 2T17, rapport du préfet au ministre de l’Intérieur en réponse à la lettre du 28 février 1873, s. d.

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De l’Ordre moral à la République des républicains Les partis sous l’Ordre moral

L’élection du maréchal Mac-Mahon est plutôt bien accueillie dans le département et conforte la position de la préfecture, comme celle de la municipalité. Les accusations de séparatisme lancées par la presse républicaine sont néanmoins récurrentes et, en mai 1874, le député Piccon est contraint de démissionner après avoir prononcé un discours dans lequel il envisageait l’éventualité d’un retour de Nice à l’Italie80. Au même moment, son homologue Bergondi met fin à ses jours pour des raisons familiales81. Les élections législatives complémentaires, rendues nécessaires par ces deux événements, se déroulent le 18 octobre 1874.

À l’occasion de ce scrutin, et peut-être grâce à l’intervention de Léon Gambetta82, les républicains parviennent à s’entendre sur deux candidats : Léon Chiris, qui doit représenter l’arrondissement de Grasse et Gaspard Médecin, originaire de Menton, qui doit représenter la rive gauche du Var. Un Comité central républicain des Alpes-Maritimes est en outre créé pour patronner leurs candidatures et les principaux journaux républicains (le Journal de Nice, Le Phare du Littoral et L’Ordre Social, qui a succédé au Réveil) les soutiennent activement83. Chiris comme Médecin adoptent un discours républicain modéré : ils s’engagent à siéger au centre-gauche et à soutenir Mac-Mahon84. Les républicains s’efforcent donc d’attirer les voix des conservateurs modérés. Médecin souligne, en outre, son attachement à la France.

Les candidats du Comité niçois et du Pensiero, Joseph Durandy et Eugène Roissard de Bellet, sont soutenus par le maire de Nice, les conseillers généraux bonapartistes, la préfecture et la presse légitimiste. Publiant leur profession de foi en français, ils adoptent un discours particulariste modéré, en soulignant qu’ils ont accepté l’annexion de 1860, mais réclament le droit de conserver des « sympathies » pour leur ancienne patrie85. Conservateurs modérés, proches du centre droit, ils ne prononcent pas le mot de « République » mais s’engagent, comme leurs adversaires, à soutenir Mac-Mahon. En raison de leur alliance avec l’administration, les candidats du Comité niçois modèrent donc leur discours « italiens » pour se recentrer sur le seul particularisme.

Après une campagne particulièrement violente, au cours de laquelle la presse républicaine accuse la préfecture de soutenir des candidats « séparatistes », le scrutin est remporté par Chiris et Médecin, mais l’ancien comté de Nice vote à nouveau en faveur des candidats « locaux » Durandy et Roissard de Bellet86. Malgré une hausse sensible de la participation, Chiris et Médecin réalisent même de moins bons résultats que Maure et Lefèvre en juillet 1871, tandis que Durandy et Roissard de Bellet obtiennent davantage de suffrages que Borriglione et Milon. Le glissement du Comité niçois vers la droite lui a donc profité, même s’il ne lui a pas permis de remporter le scrutin.

La situation à l’issue du vote est si tendue que le préfet demande au conseil général d’intervenir afin d’éviter que des troubles ne se produisent et, le lendemain, l’assemblée départementale vote un texte condamnant toute distinction entre « Français d’origine » et

80 Le Phare du Littoral, 22 avril 1874 et 15 mai 1874.

81 Le Phare du Littoral, 7 mai 1874.

82 Jérôme Grévy, La République des opportunistes, 1870-1885, Paris, Perrin, 1998, p. 199.

83 Le Phare du Littoral, 9 octobre 1874.

84 Archives de la préfecture de police, B/A 1011, profession de foi de Léon Chiris, 30 septembre 1874 ; Journal de Nice, 4 octobre 1874.

85 Il Pensiero di Nizza, 11 ottobre 1871.

86 Arch. dép. des Alpes-Maritimes, 3M179, tableau récapitulatif des votes.

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« Français annexés »87. Signe tangible que le gouvernement n’est pas satisfait de la situation, le préfet Villeneuve-Bargemon est convoqué au ministère de l’Intérieur puis remplacé par un orléaniste, Albert Decrais, le 11 novembre 187488. Les accusations de manque de patriotisme portées par la presse républicaines contre la préfecture ont donc manifestement portées leurs fruits.

Le parti républicain demeure néanmoins dans un état de faiblesse certain. Lors des élections municipales du 22 novembre 1874, les journaux républicains ne donnent pas de consigne de vote, faute de liste républicaine89 et la municipalité sortante, soutenue par le Comité niçois et le Pensiero, est réélue malgré un taux de participation particulièrement faible (38%)90. Le maire et le nouveau préfet entretiennent de bonnes relations. Raynaud proteste ainsi de son dévouement pour la France et récuse les accusations de séparatisme tandis que le préfet, de son côté, l’encourage à se détacher du Pensiero et à retirer le portrait de Garibaldi situé dans la salle du conseil municipal91. Decrais se montre cependant plus ferme que son prédécesseur, concernant notamment l’emploi de personnes de nationalité italienne par la mairie, attitude qui porte ses fruits puisque la municipalité infléchit sa politique dans ce domaine92. La nomination d’un nouveau préfet, Henri Darcy, en mars 1876, change peu la situation93.

Les débuts de la conquête républicaine

Comme dans le reste de la France, le vote des lois constitutionnelles de 1875 provoque un net apaisement des tensions et les élections sénatoriales du 30 janvier 1876 marquent, dans les Alpes-Maritimes, un tournant important. Pour la première fois, en effet, chacun des deux partis en présence, conservateur « niçois » et républicain « français », soutient un candidat originaire de l’ancien comté de Nice : Charles Dieudé-Defly pour les conservateurs et, surtout, Joseph Garnier pour les républicains. Ce dernier développe un discours républicain modéré et s’efforce d’apaiser la question du particularisme94. Soutenu par les quatre députés républicains du département (Lefèvre, Maure, Chiris et Médecin), Garnier parvient à séduire à la fois les républicains « français » et les particularistes niçois. Il est, d’ailleurs, soutenu par Le Phare du Littoral et par Il Pensiero di Nizza95. Si la victoire de Dieudé-Defly montre la persistance de l’alliance entre la préfecture et la tendance conservatrice du « parti niçois », la victoire de Garnier indique quant à elle un net rapprochement entre le parti « républicain français » et les particularistes niçois de gauche. Il convient de souligner que, pour la première fois, le parti républicain « français » parvient à faire élire un candidat originaire de l’ancien comté de Nice, même s’il a fait ses études et sa carrière en France.

Les élections législatives du 20 février 1876 confortent l’impression d’un certain apaisement. Elles se déroulent en outre au scrutin uninominal, ce qui met fin aux rivalités entre l’arrondissement de Grasse et l’ancien comté de Nice96. Dans chaque circonscription, hormis celle de Puget-Théniers, un seul candidat se présente, signe que les différentes tendances sont parvenues à s’entendre pour éviter de se faire concurrence. Dans la

87 Le Phare du Littoral, 23 octobre 1874 et 24 octobre 1874.

88 Journal de Nice, 2-3 novembre 1874 et 13 novembre 1874 ; Le Phare du Littoral, 13 novembre 1874.

89 Le Phare du Littoral, 16 novembre 1874.

90 Journal de Nice, 23-24 novembre 1874.

91 Arch. nat., F/1bII/Alpes-Maritimes/3, rapport du préfet au ministre de l’Intérieur, 28 janvier 1875.

92 Arch. nat., F/1bII/Alpes-Maritimes/3,rapport du préfet au ministre de l’Intérieur, 19 octobre 1875.

93 Arch. nat., F/1bII/Alpes-Maritimes/3, rapport du préfet au ministre de l’Intérieur, 9 juin 1876.

94 Le Phare du Littoral, 12 janvier 1876.

95 Il Pensiero di Nizza, 30 gennaio 1876.

96 Arch. nat., F/1bII/Alpes-Maritimes/3,rapport du préfet au ministre de l’Intérieur, 19 octobre 1875.

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circonscription de Nice-ville, Alfred Borriglione est ainsi élu comme « candidat républicain » avec le soutien du Pensiero et l’abstention bienveillante du Phare en réunissant les suffrages des républicains et ceux des libéraux, niçois et non-niçois97. Les deux partis, républicains français et libéraux niçois, sont donc parvenus à s’entendre sur son nom. Dans sa profession de foi, le candidat ne fait aucune allusion à la révision du traité de 1860, ni à l’italianité de la ville. Dans la circonscription de Nice-campagne, Eugène Roissard de Bellet, cousin de Borriglione, est élu avec le soutien du Pensiero et de la presse conservatrice98. Il a, lui aussi, abandonné tout discours révisionniste ou particulariste. Dans la circonscription de Puget- Théniers, enfin, Henri Lefèvre est élu contre le conservateur Tancrède de Hauteville avec le seul soutien du Phare du Littoral99. Ce scrutin révèle donc plusieurs inflexions importantes : les deux anciens candidats du Comité niçois, Borriglione et Roissard, ont abandonné leur discours particulariste trop marqué, tout en conservant le soutien du Pensiero. Les partis

« français », conservateur comme républicain, ont pour leur part compris la nécessité de soutenir des candidats locaux pour pouvoir remporter le scrutin. Selon une source tardive, une alliance aurait été conclue lors de ce scrutin entre les « libéraux italiens » et les « républicains français », Borriglione étant reconnu chef du parti républicain à Nice100. On sait, par ailleurs, que Léon Gambetta est intervenu à nouveau pour discipliner les républicains des Alpes- Maritimes en 1876101.

La crise du 16 mai et la victoire des républicains

La crise du 16 mai et les élections législatives du 14 octobre 1877 mettent fin à l’atmosphère de conciliation établie en 1876. Elles poussent tout d’abord les députés du comté à prendre plus clairement position par rapport à l’avenir de la République : Lefèvre et Borriglione votent ainsi le manifeste des gauches, contrairement à Roissard de Bellet102. Les élections révèlent ensuite la fragilité de la position du parti niçois. Dans la circonscription de Nice-ville, Borriglione, seul candidat, est élu avec le soutien du Pensiero et celui du Phare du Littoral, en réunissant les voix des « républicains français » et celles des « libéraux niçois »103. Dans la circonscription de Nice-campagne, en revanche, Roissard de Bellet, soutenu par les journaux conservateurs et le Pensiero, doit affronter deux candidats républicains : Alfred Lacour et Edmond Magnier, « ami politique » de Borriglione104. Dans l’arrondissement de Puget-Théniers, enfin, le décès d’Henri Lefèvre laisse le champ libre au duc Louis Decazes qui, soutenu par le maire de Nice et la préfecture, est élu grâce à de fortes pressions administratives contre le candidat républicain Charles de Saint-Cyr105.

Le Pensiero adopte donc une attitude contradictoire, puisqu’il soutient à la fois Borriglione et Roissard de Bellet, tout en se prononçant pour la République par libéralisme106. Il s’inquiète également de la division du parti niçois puisque, dans la circonscription de Nice- campagne, certains de ses sympathisants ont préféré voter pour Magnier plutôt que pour

97 Il Pensiero di Nizza, 6 febbraio 1876 ; Le Phare du Littoral, 6 février 1876.

98 Il Pensiero di Nizza, 7-8 febbraio 1876 ; Le Phare du Littoral, 11 février 1876 ; Journal de Nice, 11 février 1876.

99 Le Phare du Littoral, 3 février 1876.

100 Le Patriote Niçois, 21-22 juillet 1879 et 25 juillet 1879.

101 Jérôme Grévy, La République des opportunistes, 1870-1885, Paris, Perrin, 1998, p. 199.

102 Le Phare du Littoral, 20 mai 1877.

103 Archives de la préfecture de police, rapport du 15 juillet 1877.

104 Arch. dép. des Alpes-Maritimes, 4M101, rapport du commissaire spécial de Menton au préfet, 28 août 1877.

105 Le Phare du Littoral, 18 août 1877 et 21 septembre 1877 ; Archives de la préfecture de police, B/A 1027, rapports du 3 août 1877 et du 26 septembre 1877.

106 Il Pensiero di Nizza, 20 settembre 1877.

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Roissard de Bellet, au risque de faire élire un « étranger » au comté de Nice107. Les élections de 1877 dans la circonscription de Nice-campagne montrent donc que l’aile gauche et l’aile droite du parti « niçois » s’éloignent l’une de l’autre, tandis que le rapprochement entre libéraux « niçois » et républicains « français » se confirme dans la circonscription de Nice- ville. Le soutien du maire de Nice Auguste Raynaud à la candidature du duc Decazes dans la circonscription de Puget-Théniers, enfin, place clairement le magistrat municipal du côté des conservateurs, ce qui éloigne de lui les libéraux.

Le « parti niçois » peine, ensuite, à enrayer son déclin. Lors des élections cantonales des 4 et 11 novembre 1877, le candidat du Pensiero et du maire de Nice est battu par celui du Phare, également patronné par un Comité républicain proche de Borriglione108. Pour la première fois, les républicains sont majoritaires au Conseil général109. La nomination du préfet républicain Henri Doniol, le 18 décembre 1877, prive la mairie du soutien de l’administration110. Le nouveau représentant de l’État rend hommage à l’Italie et tient un discours d’apaisement.

Les élections municipales du 6 janvier 1878, enfin, provoquent l’éclatement du Comité niçois. Lors d’une réunion électorale, Borriglione déclare en effet qu’il ne peut pas, en tant que député républicain, se présenter contre les candidats du Comité républicain de Nice111 et, le 2 janvier, son nom apparaît sur la liste de ce comité, mais pas sur celle du Comité niçois.

Dans un appel aux électeurs, le Comité républicain souligne en outre que « l’élément purement local » est largement majoritaire au sein de la liste et, le soir du vote, sa liste obtient 61% des suffrages, contre 39% pour celle du Comité niçois, qui n’a aucun élu. La branche la plus libérale du parti niçois a donc fait alliance avec le parti républicain « français », contre la tendance conservatrice112. En échange, le parti « français » a accepté que les natifs de Nice dominent largement l’assemblée municipale.

La victoire de Borriglione et des républicains provoque l’apparition d’un nouveau discours identitaire, caractérisé par un net effacement des sympathies envers l’Italie, mais aussi par une proclamation réitérée d’attachement envers la France, la République et le

« petite patrie ». Le 1er août 1878, les dirigeants d’un nouveau quotidien partisan de Borriglione, Le Patriote Niçois, se définissent ainsi comme étant animés « d’une égale passion pour la France et la République », tout en soulignant que « les intérêts de Nice [leur]

seront chers avant tout »113. Le journal parvient ainsi à concilier républicanisme, francité et particularisme.

Le banquet du 21 septembre 1878, le premier de ce type à Nice, marque la conquête républicaine de la ville114. Les festivités, qui rassemblent 500 personnes, se déroulent au Théâtre Italien, pavoisé pour l’occasion de drapeaux français et d’une inscription lumineuse

« Vive la République ». Les discours mettent en exergue la première annexion de Nice à la République en 1792 et insistent sur son caractère volontaire, pour suppléer au déficit de légitimité démocratique du plébiscite de 1860. Borriglione définit à cette occasion la ville comme étant par essence libérale, et donc républicaine, en invoquant le souvenir de 1848. Un publiciste républicain encourage pour sa part les femmes de Nice, « dignes filles de Catherine Ségurane », à faire de leurs enfants « les dignes fils de Garibaldi ». C’est donc une République respectueuse des spécificités locales, mais néanmoins incontestablement française

107 Il Pensiero di Nizza, 28 ottobre 1877.

108 Il Pensiero di Nizza, 2-3 novembre 1877 ; Le Phare du Littoral, 28 octobre 1877.

109 Le Phare du Littoral, 6 novembre 1877 et 13 novembre 1877.

110 Le Phare du Littoral, 20 décembre 1877 et 22 décembre 1877.

111 Il Pensiero di Nizza, 2-3 gennaio 1877.

112 Arch. nat., F/1bII/Alpes-Maritimes/3, rapport du préfet au ministre de l’Intérieur, 8 février 1878.

113 Le Patriote Niçois, 1er août 1878.

114 Le Patriote Niçois, 22 septembre 1878.

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et patriotique, qui est privilégiée ici, sous le patronage lointain du général italien, symbole de la République universelle.

Conclusion

Le ralliement du comté de Nice à la Troisième République s’est déroulé progressivement. Dans un premier temps, le « parti niçois », au-delà de ses tendances particularistes et italiennes, paraît plutôt proche de la gauche : en septembre 1870, il accueille bien la chute de l’empire et, en février 1871, il présente des candidats républicains modérés (Piccon, Bergondi et Borriglione) aux élections législatives. Les troubles de février 1871 l’éloigne cependant de ce régime : en avril-mai 1871, la liste du Comité niçois aux élections municipales rassemble des libéraux et des conservateurs et, en juillet 1871, le Comité niçois et le Pensiero soutiennent aux élections législatives des candidats qui se prononcent pour la République modérée, mais réclament en même temps la révision du plébiscite de 1860. La nomination en juillet 1871 du préfet conservateur Villeneuve-Bargemon, qui fait alliance avec la municipalité, provoque ensuite un glissement à droite du « parti niçois » et, en 1874, le comité et le Pensiero soutiennent deux conservateurs modérés partisans de Mac-Mahon aux élections législatives partielles, Durandy et Roissard de Bellet. Une troisième phase commence enfin en 1876. L’élection de Joseph Garnier au Sénat montre un premier rapprochement des « républicains français » et de la gauche du « parti niçois », puis les élections législatives de février indiquent un partage du territoire : les « républicains français » font élire Lefèvre à Puget-Théniers, le parti niçois présente Roissard de Bellet à Nice-campagne, et les deux tendances soutiennent Borriglione à Nice-ville. Les élections législatives de 1877 marquent enfin la fin de cette entente : Borriglione est candidat unique à Nice-ville, mais le « parti niçois » se divise à Nice-campagne et à Puget-Théniers. Les élections cantonales de 1877 et municipales de 1878 entérinent dès lors la rupture de Borriglione avec le Comité niçois et la victoire d’un parti républicain réunissant « Français » et « Niçois ».

Les différents scrutins montrent le caractère décisif du ralliement des acteurs locaux de sensibilité libérale et modérée à la Troisième République, pour l’instauration de ce régime.

L’évolution du « parti niçois » correspond en effet à celle de nombre de libéraux : rapidement opposé à la gauche « démocratique », partisane de la guerre et agissant parfois de façon autoritaire, il soutient le centre gauche et les idées de Thiers, puis celles de Mac-Mahon au début de son mandat. Lorsque la gauche et la République, cependant, deviennent à partir de 1875 synonymes de stabilité et que la droite tente de passer en force lors de la crise du 16 mai, devenant alors source de tensions, le Comité niçois se scinde en deux parties dont l’une, en faisant alliance avec les républicains « français », parvient à emporter les scrutins.

L’émergence de notables républicains locaux, à l’image de Borriglione, est ici déterminante.

Elle a en effet permis au régime républicain de ne plus apparaître comme étant imposé de l’extérieur et de dépasser l’opposition entre « républicains français » et « Niçois ». Par ailleurs, l’accession des hommes politiques locaux à des mandats électifs les a conduits à modérer leur discours particulariste et italien et à réaffirmer leur fidélité à la France et à la République, ce qui souligne l’effet intégrateur de l’exercice de responsabilités politiques. En même temps, les membres du parti « républicain français » ont dû accepter la domination politique des « Niçois de souche », au détriment de la notion républicaine d’égalité entre les citoyens.

D’autres facteurs, enfin, doivent être pris en compte. La meilleure organisation électorale du « parti niçois », rassemblé au sein du comité du même nom et appuyé par un quotidien, le Diritto puis le Pensiero di Nizza, lui a permis de remporter plusieurs scrutins,

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tandis que la division des républicains en comités et en journaux rivaux jouait en leur défaveur. La stratégie mise en œuvre par les préfets a également pesé sur les événements.

L’intransigeance du préfet Dufraisse a ainsi éloigné durablement les libéraux de la République tandis que le pragmatisme de Villeneuve-Bargemon a permis au contraire de pacifier les esprits et de stabiliser la situation politique. Le ralliement du comté de Nice à la République est donc passé tout d’abord par un soutien à la tendance conservatrice de ce régime. Les discours tenus par les journaux républicains, enfin, ont eu tendance à exacerber les divisions politiques, en assimilant de façon abusive les particularistes aux séparatistes, mais ils ont également poussé la gauche du Comité niçois à modérer son discours italianophile.

Ce n’est finalement qu’à partir du moment où les républicains parviennent à définir un discours permettant de concilier la grande et la petite patrie, tout en préservant la domination politique des natifs de l’ancien comté, lorsqu’est énoncée une culture républicaine clairement française mais respectueuse des spécificités locales, ne reniant pas le passé italien de la ville sans le mettre en exergue non plus, que les notables niçois adhèrent à ce régime, se le réapproprient et, ainsi, contribuent à son implantation.

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