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Les services d’enregistrement numérique, entre le droit de communication au public et l’exception de copie privée

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Academic year: 2021

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Philippe Mouron

To cite this version:

Philippe Mouron. Les services d’enregistrement numérique, entre le droit de communication au public et l’exception de copie privée. Revue Lamy Droit de l’immatériel, Lamy (imprimé) / Wolters Kluwer édition életronique 2018, pp.9-13. �hal-01797500v2�

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Les services d’enregistrement numérique, entre le droit de communication au public et l’exception de copie privée

Note sous CJUE, 3ème Ch., 29 novembre 2017, Vcast c./ RTI SpA, n° C-265/16 -

Revue Lamy Droit de l’Immatériel, n° 148, mai 2018, pp. 9-13

Philippe MOURON

Maître de conférences HDR en droit privé LID2MS – Aix-Marseille Université

Le Cloud Computing, ou informatique « dans les nuages », présente d’incontestables qualités pour la conservation et le partage de fichiers numériques.

Ses grandes capacités de stockage et son accessibilité à partir de différents terminaux ouvrent de nouvelles perspectives pour les utilisateurs tant pour des finalités personnelles que professionnelles. Cette technique garantit aussi une certaine flexibilité d’utilisation de par la rapidité avec laquelle les fichiers peuvent être téléchargés et partagés. Surtout, elle a affranchi les utilisateurs du recours aux supports physiques. Ceux-ci peuvent être relativement encombrants en fonction du volume de données à conserver. Or le stockage dans les nuages ne nécessite, physiquement parlant, que l’accès à un terminal connecté. La capacité de stockage peut bien sûr être étendue en fonction des besoins de l’utilisateur, sans que cela affecte l’usage du terminal. De plus, alors que les supports physiques sont périssables, le Cloud Computing garantit une conservation pérenne des fichiers. Ceux-ci restent accessibles en différents points, sans déperdition de valeur. Aussi, cette technique intéresse naturellement le marché des produits culturels, et notamment des œuvres musicales, littéraires ou encore audiovisuelles et cinématographiques. Les consommateurs ont en effet de multiples intérêts à conserver celles- ci dans les nuages. Outre le stockage et le gain de place, elle garantit une certaine portabilité du répertoire d’œuvres, ce qui est devenu un élément essentiel des pratiques contemporaines de consommation. A ce titre, le Cloud Computing est une nouvelle étape dans la dématérialisation du support des œuvres de l’esprit. On peut même davantage parler d’un

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« accès » dématérialisé au fichier original, qui sera ensuite copié et conservé dans les nuages.

L’utilisateur peut, dans certaines hypothèses, enregistrer lui-même les fichiers à conserver.

Mais certains services ont désormais investi ce créneau et proposent d’effectuer ces opérations à la demande de l’utilisateur, les fichiers pouvant être conservés sur des serveurs dont ils n’ont pas forcément la maîtrise. Plusieurs catégories de services en Cloud peuvent ainsi être distinguées, selon que l’utilisateur dispose lui-même des fichiers à conserver ou qu’il enregistre ceux-ci à partir d’un catalogue qui lui est proposé par un éditeur1. Cette possibilité a notamment investi le secteur audiovisuel avec les services dits Npvr (Network Private Video Recorder), qui permettent d’enregistrer les programmes télévisuels. Toutefois, dès lors que ceux-ci peuvent faire l’objet de droits exclusifs d’exploitation, il importe de savoir quel peut être le statut des fichiers ainsi copiés et sauvegardés. Ce questionnement intéresse tant la portée de ces droits, dont notamment le droit de reproduction, que celle de leurs exceptions, et plus précisément celle de « copie privée ».

Tel était l’objet des questions préjudicielles posées à la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt du 29 novembre 2017. Le litige impliquait un service d’enregistrement vidéo des programmes télévisuels, proposé aux téléspectateurs via un site web, et reposant sur des espaces de stockage dans le nuage. Ce service, dénommé Vcast, se charge de capter par ses propres moyens les émissions demandées par les utilisateurs, puis de les sauvegarder dans un espace de Cloud indiqué par ceux-ci. La société RTI, éditrice d’un service de télévision italien, a demandé devant le Tribunal de Turin à ce que Vcast cesse ses activités, cette dernière demandant au contraire à ce qu’elles soient reconnues légales. C’est ainsi que le Tribunal saisit la Cour de justice de deux questions préjudicielles : une disposition nationale interdisant de tels services est-elle conforme au droit de l’Union ? Qu’en est-il si elle assujettit ces mêmes services au paiement d’une compensation forfaitaire destinée à rémunérer le titulaire de droits ? On remarquera que le service en cause présente deux particularités : la fourniture à distance de copies privées d’œuvres protégées au moyen d’un système informatique dans le nuage ; une intervention active dans l’enregistrement sans l’autorisation des titulaires de droits sur lesdites œuvres.

1 Rapport de la commission spécialisée « Informatique dans les nuages », Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, 23 octobre 2012, pp. 7-9

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Liant les deux questions, la Cour va considérer que le droit de l’Union s’oppose à la mise en œuvre de services tels que celui en cause dans cette affaire. Si celui-ci réalise bien des copies destinées à l’usage privé des utilisateurs, il s’avère qu’elles sont réalisées par ses propres moyens, soit sur la base d’une mise à disposition des œuvres distincte de celle des services de médias audiovisuels. Or si l’exception de copie privée constitue normalement une limite au droit de reproduction, elle ne saurait pour autant justifier des atteintes au droit de communication au public. La solution démontre à quel point la distinction entre les droits patrimoniaux devient de plus en plus mince dans l’environnement numérique.

Si la réalisation de copies privées par un enregistreur numérique peut donc faire l’objet d’une prestation de service en tant que telle (I), c’est bien sous la condition d’avoir été préalablement autorisée par les titulaires de droits, au titre de leur droit de communication au public (II).

I. L’APPLICATION POTENTIELLE DE L’EXCEPTION DE COPIE PRIVEE AUX SERVICES D’ENREGISTREMENT NUMERIQUE

Le développement des enregistreurs numériques recourant à des espaces de stockage en Cloud garantit le maintien d’un usage ancien, à savoir l’enregistrement de programmes audiovisuels à des fins d’usage privé par les téléspectateurs (A). Les opérations matérielles pouvant être assurées par une autre personne que le bénéficiaire, un enregistreur numérique pourrait a priori se prévaloir de l’exception de copie privée (B).

A. Les enregistreurs numériques, nouveaux procédés techniques permettant de réaliser des copies privées

Les services Npvr permettent aux téléspectateurs de sauvegarder, dans un espace de stockage numérique, des parties de programmes diffusés par des services de médias audiovisuels linéaires (télévision, radio).

Leur activité intéresse par nature l’exception de copie privée. Les programmes sauvegardés après diffusion le sont en effet dans un but d’usage privé par l’abonné. Ils remplacent en cela les traditionnels magnétoscopes, qui permettaient historiquement de conserver des œuvres entières sur un support physique après leur diffusion par une chaîne de télévision. Cette nouvelle technologie offre ainsi de nouveaux moyens pour perpétuer une pratique ancienne, dont les programmes audiovisuels constituent l’objet privilégié. « Si les modes de stockage évoluent, les pratiques de la copie privée des consommateurs, quant à elles, restent les

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mêmes »2. Ces services s’ajoutent à ceux proposant l’enregistrement sur un décodeur ou un disque dur de salon. La plupart de ces services sont actuellement offerts par les éditeurs ou les distributeurs des services de télévision ou de radio à leurs abonnés. Certains sont toutefois indépendants, tel celui en cause dans le cas d’espèce. Ils utilisent dès lors des moyens autonomes de captation et d’enregistrement des programmes à la demande des utilisateurs, via des services de communication en ligne.

Compte-tenu de la continuité des usages de la copie privée, l’idée d’assujettir les espaces numériques de stockage à la rémunération équitable a pu donner lieu à des réflexions nourries ces dernières années3. On doit pour autant garder à l’esprit que ces copies relèvent normalement d’un exercice non contrôlé du droit de reproduction, la distinction entre l’exception et le principe se faisant de plus en plus mince dans l’environnement numérique. La copie privée était à l’origine distinguée du support original d’une œuvre. L’utilisateur pouvait jouir de cet exemplaire de moins bonne qualité pour un usage privé4, sachant que la réalisation de ces copies n’avait à l’origine qu’un faible impact sur le monopole d’exploitation5. Cette distinction entre les supports originaux et les copies est maintenant abolie dans l’environnement numérique. L’idée même de support de l’œuvre disparaît peu à peu, celle de « fichier » lui prenant le pas. Aussi, la Cour de justice n’a pas manqué de rappeler, dans son arrêt Padawan, que la réalisation de copies privées entraînait un préjudice pour l’auteur de l’œuvre en cause6.

2 ROGEMONT M., Réunion de la commission des affaires culturelles et de l’Education de l’Assemblée Nationale, séances des 15 et 16 mars 2016

3 Voir not. : Rapport de la commission spécialisée « Informatique dans les nuages », Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, 23 octobre 2012, pp. 13-19 ; CASTEX F., Rapport sur les redevances pour copie privée (2013/2114(INI)), Parlement Européen – Document de séance, 17 février 2014, p. 9, pt 29 ; ROGEMONT M., Rapport d’information en conclusion des travaux de la mission sur le bilan et les perspectives de trente ans de copie privée, Assemblée Nationale, 15 juillet 2015, pp. 81-83 ; Acte II de l’exception culturelle à l’ère du numérique, rapport de Pierre Lescure, 13 mai 2013, pp. 22-23

4 LAUVAUX E., « Le cloud et la copie privée », LP, n° 301, janvier 2013, p. 52

5 Trib. Seine, 24 juin 1846, in BLANC E., Traité de la contrefaçon en tous genres et de sa poursuite en justice, 4ème éd., Henri Plon, Paris, 1855, p. 160 ; RENOUARD A.-C., Traité des droits d’auteurs, dans la littérature, les sciences et les beaux-arts, T. II, Jules Renouard et Cie, Libraires, Paris, 1838, p. 48

6 CJUE, 3ème Ch., 21 octobre 2010, Padawan, n° C-467/08, RTD-Com., octobre 2010, pp. 710-715, obs. F.

POLLAUD-DULIAN, CCE, janvier 2011, pp. 25-26, obs. C. CARON, Gaz. Pal., 23 février 2011, pp. 13-14, obs.

L. MARINO, LP, n° 280, février 2011, pp. 95-100, note V.-L. BENABOU

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Elle a de plus subordonné la validité de l’exception à un accès licite aux contenus copiés dans l’arrêt ACI Adams7.

Un certain degré de contrôle doit donc être garanti au profit des ayants droits, y compris sur les copies à usage privé, afin d’éviter la prolifération de copies illicites.

B. La dissociation entre le service d’enregistrement numérique et le bénéficiaire de la copie privée

La continuité des usages ne signifie pas que les services de Npvr seront automatiquement couverts par l’exception de copie privée. Les procédés techniques employés sont en effet bien différents, ne serait-ce que parce qu’un tiers au bénéficiaire de la copie intervient dans le processus d’enregistrement.

Ce point ne pose plus de difficultés. La Cour de justice estime en effet, toujours depuis l’arrêt Padawan précité, que l’utilisateur de la copie puisse l’obtenir auprès d’un service de reproduction qui dispose des moyens nécessaires à sa réalisation. L’éditeur et l’utilisateur de la copie peuvent ainsi être distingués. La solution a remis en cause le principe, notamment admis en droit français, selon lequel le copiste doit également être bénéficiaire de la copie pour pouvoir se prévaloir de l’exception8. C’est sur ce fondement qu’avait pu être interdit en France le service d’enregistrement numérique Wizzgo, qui permettait de sauvegarder des programmes télévisuels diffusés par voie hertzienne sans l’autorisation de leurs éditeurs9. Cette dissociation nouvelle entre le copiste et l’usager a depuis été reprise spécifiquement pour les services Npvr par la loi du 7 juillet 2016 (cf. infra.). Elle est conforme aux évolutions technologiques dont les dispositifs de copies ont pu faire l’objet. Quand bien même les usagers disposent toujours de moyens propres pour réaliser leurs copies, on ne voit pas pourquoi celles qui sont conçues par des tiers seraient traitées différemment, dès lors qu’elles sont destinées au même usage. Mais cela explique aussi un rapprochement inévitable avec l’exercice même du droit de reproduction, et les services dont la fonction principale consiste à distribuer des exemplaires

7 CJUE, 4ème Ch., 10 avril 2014, ACI Adams, n° C-435/12, CCE, juin 2014, pp. 27-28, obs. C. CARON, Gaz. Pal., 13 juillet 2014, pp. 13-14, obs. L. MARINO, PI, n° 52, pp. 276-279, obs. A. LUCAS, RTD-Com., juillet 2014, pp. 603-606, obs. F. POLLAUD-DULIAN

8 C. Cass., 1ère Ch. Civ., 7 mars 1984, n° 82-17.016, RTD-Com., 1984, p. 677, obs. A. FRANCON (Rannou- Graphie)

9 TGI Paris, 3ème Ch., 25 novembre 2008, RLDI, n° 45, janvier 2009, pp. 6-9, note A. SINGH et D. CALMES, et CA Paris, P. 5, 1ère Ch., 14 décembre 2011, RLDI, n° 80, mars 2012, pp. 10-13, note A. SINGH et B. CHAREY

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d’œuvres sous un format numérique. De là en découle la nécessité d’encadrer strictement la mise en œuvre des enregistreurs numériques.

En l’espèce, le service Vcast ne pouvait être inquiété sur ce terrain, ce que la Cour rappelle fort justement (§ 35). Les copies d’œuvres et de programmes audiovisuels sont bien destinées à un usage privé des internautes. Il importe peu à cet égard qu’elles soient stockées sur leurs propres espaces de Cloud. Le service Vcast se distingue à ce niveau de ceux qui proposent également des espaces de stockage à leurs utilisateurs. Seule la fonction de reproduction et la destination des copies sont ici en cause. La Cour constate néanmoins que le service met en œuvre des moyens propres pour accéder aux œuvres copiées et mettre à disposition les copies à leurs bénéficiaires (§ 37). Par conséquent, il se distingue aussi des enregistreurs numériques qui sont mis en œuvre par les éditeurs et les distributeurs des services de médias audiovisuels et proposés à leurs seuls abonnés. Les usagers de Vcast ont seulement à choisir les programmes à enregistrer, indépendamment du fait qu’ils y aient ou non accès par un autre moyen (télévision numérique terrestre, câble, satellite,…). Il ne semble pas qu’ils aient à justifier d’un accès propre aux programmes audiovisuels, ce qui serait de toute façon sans incidence, puisque le service Vcast constitue une offre autonome. Or on sait que la copie privée ne peut être réalisée que par référence à un « exemplaire » original, auquel l’utilisateur a licitement accès (arrêt ACI Adams précité).

Dès lors, se posait la question de savoir si cette exigence est remplie lorsque la copie est réalisée par un tiers ayant accès aux œuvres copiées au profit de bénéficiaires qui n’y ont pas nécessairement accès.

II. L’EXERCICE DU DROIT DE COMMUNICATION AU PUBLIC OPPOSABLE AUX ENREGISTREURS NUMERIQUES

La réalisation des copies par le service d’enregistrement numérique suppose que celui-ci ait préalablement accès aux œuvres protégées. Cela revient donc à effectuer une nouvelle mise à disposition de celles-ci au public, ce qui met en cause le droit de communication au public (A).

Le bénéfice de l’exception de copie privée suppose dès lors que cette mise à disposition ait été autorisée par les titulaires de droits (B).

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A. L’existence d’une communication au public préalable à la reproduction des œuvres faisant l’objet de copies privées

Le service Vcast ayant accès aux programmes audiovisuels par des moyens autonomes, la Cour constate qu’il remplit en vérité deux fonctions différentes : la reproduction mais aussi la mise à disposition des œuvres demandées par les utilisateurs (§ 38).

Même si les utilisateurs ne disposent au final que d’une copie de l’œuvre, celle-ci repose sur une communication au public préalable à l’acte de reproduction. L’article 3 §1 de la directive n° 2001/29/CE, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, définit le droit de communication au public comme étant celui « d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement ». Aussi, la Cour prend appui sur son arrêt Reha Training, dans lequel elle avait pu éclairer la portée de cet article10. Elle rappelle ainsi qu’une communication au public peut être effectuée par tous moyens techniques, la notion devant être entendue au sens le plus large (§ 42). Cela implique que toute communication utilisant un procédé spécifique de transmission doit être individuellement autorisée par les titulaires de droits. Il en va également ainsi lorsqu’elle vise un public nouveau par rapport à une autre communication. Tel était le cas dans l’affaire Reha Training, s’agissant de la diffusion d’œuvres par des téléviseurs installés dans un lieu accessible au public, laquelle se distingue de la télédiffusion initiale de ces mêmes œuvres11. Un raisonnement similaire a pu être dégagé à l’égard de la reprise de liens hypertextes12. Enfin,

10 CJUE, GC, 31 mai 2016, Reha Training Gesellschaft für Sport und Unfallrehabilitation mbH c./ GEMA, n° C- 117/15, Dalloz IP/IT, septembre 2016, pp. 420-425, note V.-L. BENABOU ; PI, n° 61, octobre 2016, pp. 433- 435, obs. J.-M. BRUGUIERE ; RLDI, n° 130, octobre 2016, pp. 18-23, note P. MOURON

11 Voir également : CJUE, 4ème Ch., 7 mars 2013, ITV Broadcasting c./ TVCatchup TV, n° C-607/11 (pt. 39), PI, n° 47, avril 2013, pp. 208-212, obs. V.-L. BENABOU ; CJUE, 9ème Ch., 19 novembre 2015, SBS Belgium c./

SABAM, n° C-325/14, CCE, mars 2016, p. 27, obs. C. CARON

12 CJUE, 4ème Ch., 13 février 2014, Svensson c./ Retriever Sverige, n° C-466/12, CCE, avril 2014, pp. 30-31, obs. C. CARON ; PI, n° 51, avril 2014, pp. 165-168, obs. A. LUCAS ; CJUE, 9ème Ch., 21 octobre 2014, BestWater International GmbH c./ M. Mebes et S. Potsch, n° C-348/13, RTD-Com., octobre 2014, pp. 808-809, obs. F. POLLAUD-DULIAN

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la Cour rappelle que la notion de « public » vise un nombre indéterminé de destinataires réels ou potentiels, qui doit être suffisamment important (§ 45)13.

En l’espèce, il est incontestable que le service Vcast s’adresse à des internautes qui peuvent être assez nombreux et qui constituent donc un « public » au sens de la directive (§ 47). Hormis la fonction de reproduction, il n’effectue pas de communication des programmes audiovisuels sur son service en ligne. Le flux des chaînes de télévision n’y est pas repris en streaming, comme cela aurait pu être le cas. Le service Vcast n’est à ce titre ni distributeur ni éditeur de services de médias audiovisuels, et semble n’avoir aucun accord avec ceux qui éditent les chaînes de télévision. Pour autant, la reproduction des programmes suppose nécessairement un accès préalable à ces derniers. A cette fin, le service Vcast capte les programmes par ses propres moyens, dans le seul but de réaliser les enregistrements demandés par les utilisateurs. Mais puisque ceux-ci constituent un « public » potentiellement important, le service procède bien d’une communication au public d’œuvres de l’esprit. Quand bien même l’accès préalable aux programmes serait éphémère et limité aux nécessités d’un enregistrement, l’opération peut potentiellement se répéter un grand nombre de fois selon les souhaits des usagers. Le « public » est en effet constitué des personnes qui accèdent simultanément ou successivement aux œuvres14. L’existence de cet accès préalable constitue donc bien un procédé spécifique nécessaire à la mise à disposition du public d’œuvres de l’esprit. Sans cette intervention, le public ne pourrait accéder matériellement aux œuvres copiées15. Il importe donc peu que le service joue techniquement un rôle d’intermédiaire entre la télédiffusion et la confection de copies. Il devrait normalement être autorisé par les titulaires de droits pour que celles-ci soient considérées comme des copies privées.

La Cour confirme donc que ce service d’enregistrement à distance ne saurait bénéficier de l’exception au sens de l’article 5 de la directive 2001/29.

13 CJCE, 3ème Ch., 7 décembre 2006, SGAE c./ Rafael Hoteles, n° C-306/05 (pt. 38), RTD-Com., janvier 2007, pp.

85-88, obs. F. POLLAUD-DULIAN ; PI, n° 22, janvier 2007, pp. 87-90, obs. A. LUCAS

14 Outre les arrêts précités, voir not. CJUE, 2ème Ch., 14 juin 2017, Stichting Brein c./ Ziggo BV, XS4ALL Internet BV, n° C-610/15, CCE, septembre 2017, pp. 30-31, obs. C. CARON ; RTD-Com., octobre 2017, pp. 900-903, obs.

F. POLLAUD-DULIAN

15 Voir également : CJUE, 2ème Ch., 26 avril 2017, Stichting Brein c./ Jack Frederik Wullems, n° C-527/15, CCE, juin 2017, pp. 24-25, obs. C. CARON ; Gaz. Pal., 20 juin 2017, pp. 40-41, obs. L. MARINO

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B. La nécessaire autorisation des titulaires de droits préalablement à la mise à disposition des œuvres faisant l’objet de copies privées

La solution rendue par la Cour contribue à circonscrire l’exception de copie privée, qui doit rester d’interprétation stricte tant vis-à-vis du droit de reproduction que du droit de communication au public. Il importe peu, à cet égard, que le premier de ces droits soit le seul visé par les dispositions relatives à cette exception (art. 5 2. b).

Cela est logique, puisque ces droits ont pour objet la diffusion au public d’une œuvre par tous procédés16. On rappellera que le droit d’auteur s’est historiquement développé à mesure que de nouveaux moyens techniques de diffusion sont apparus17. Ceux-ci peuvent être différenciés du point de vue matériel et regroupés sous différentes prérogatives, telles que le droit de reproduction et le droit de communication au public. Mais leur exercice concourt au même objectif de diffusion d’une œuvre, soit en multipliant ses exemplaires, soit en les mettant directement à la disposition du public. L’exercice de ces droits pour chaque nouveau procédé vise en même temps une nouvelle catégorie de public18. La systématisation des droits patrimoniaux implique qu’ils soient applicables de la même façon à tous les types d’œuvres.

Enfin, et surtout, la distinction entre ces deux droits apparaît de plus en plus théorique dans l’environnement numérique. La reproduction d’une œuvre peut en effet procéder d’une mise à disposition, comme cela était le cas en l’espèce, l’inverse étant également vrai. Aussi, l’exception de copie privée doit être considérée strictement à l’égard des deux droits, et ne saurait excessivement impacter leur exercice. Et cela explique pourquoi l’autorisation des titulaires de droits est nécessaire préalablement à la mise à disposition des œuvres, celle-ci faisant office d’accès licite pour le service d’enregistrement numérique. La copie privée ne peut donc être réalisée que comme un « complément » à un autre service reposant sur l’exploitation de l’un de ces droits, tel qu’un service de média audiovisuel.

16 LUCAS A., H.-J. et LUCAS-SCHLOETTER A., Traité de la propriété littéraire et artistique, 4ème éd., Litec, Paris, 2012, pp. 36-37

17 SAVATIER R., Les métamorphoses économiques et sociales du droit privé d’aujourd’hui – 2ème série, Dalloz, Paris, 1959, pp. 295-296 ; voir également : Le droit de l’art et des lettres – Les travaux des muses dans les balances de la justice, LGDJ, Paris, 1953, pp. 14-15

18 VON LEWINSKI S., « Réflexions sur la jurisprudence récente de la Cour de justice de l’Union européenne en droit d’auteur, en particulier sur le droit de communication au public », in Mélanges en l’honneur du Professeur André Lucas, LexisNexis, Paris, 2014, p. 778

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C’est justement là un point essentiel des dispositions de la loi française du 7 juillet 2016 relative à liberté de création, à l’architecture et au patrimoine destinées à encadrer ces services d’enregistrement numérique au titre de l’exception de copie privée19. La substance de l’exception, telle qu’elle est consacrée par l’article L 122-5 du Code de la propriété intellectuelle, n’a pas été modifiée. Cependant, la liste des redevables de la rémunération, visée par l’article L 311-4 du même Code, inclut désormais « l’éditeur d'un service de radio ou de télévision ou son distributeur, au sens de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, qui fournit à une personne physique, par voie d'accès à distance, la reproduction à usage privé d'œuvres à partir d'un programme diffusé de manière linéaire par cet éditeur ou son distributeur, sous réserve que cette reproduction soit demandée par cette personne physique avant la diffusion du programme ou au cours de celle-ci pour la partie restante ». L’idée d’inclure les copies réalisées par le biais d’un service de communication au public en ligne fut envisagée par un amendement pendant le vote de la loi, avant d’être finalement abandonnée. Seuls les enregistreurs et espaces de stockage numériques relevant d’un service de média audiovisuel, titulaire ou cessionnaire des droits d’exploitation des œuvres copiées, sont donc concernés et assujettis au paiement de la rémunération. Le texte respecte ainsi la condition posée par la Cour de justice. Les services de médias audiovisuels à la demande qui proposent un catalogue de programmes, avec une durée d’accès limitée et sans possibilité de copie, sont également exclus du dispositif. Seuls les services permettant de réaliser des copies permanentes, réalisées à la demande de l’utilisateur, sont visées, ce qui reste conforme à la logique historique de l’exception. Enfin, la loi LCAP renvoie aux distributeurs et aux éditeurs de services de médias audiovisuels le soin de définir par convention les fonctionnalités des enregistreurs numériques qu’ils mettront à la disposition de leurs abonnés (article L 331-9 du Code). Les copies privées réalisées via ces services restent donc intégrées à un « circuit » de diffusion dont les ayants droits conservent le contrôle. La solution semble logique et préserve efficacement leurs prérogatives20. On peut néanmoins espérer que le recours

19 MOURON P., « Rémunération pour copie privée et services de médias audiovisuels », obs. sous art. 15 de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, au patrimoine et à l’architecture, JurisArt etc., n° 46, mai 2017, pp. 43-47

20 BRAULT N., « L'extension par la loi Création de l'exception de copie privée à l'enregistrement en ligne de programmes de radio ou de télévision », Dalloz IP/IT, avril 2017, pp. 212-218 ; VERCKEN G., « L'incertitude des contrats Cloud sur les contenus : le cas topique de l'enregistreur vidéo en réseau (NPVR) après la loi du 7 juillet 2016 », Dalloz IP/IT, octobre 2016, pp. 467-475

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à une convention n’aura pas pour effet de priver les abonnés d’un service d’enregistrement numérique21.

Les services indépendants, tels que celui du cas d’espèce, ne peuvent donc se prévaloir de l’exception, faute d’être contractuellement liés à ces éditeurs et distributeurs.

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Décision (extrait) […]

46 - En l’espèce, le fournisseur de services en cause au principal enregistre les émissions radiodiffusées et les met à la disposition de ses clients au moyen d’Internet.

47 - En premier lieu, il apparaît évident que l’ensemble des personnes ciblées par ce fournisseur constitue un « public », au sens de la jurisprudence évoquée au point 45 du présent arrêt.

48 - En second lieu, la transmission d’origine effectuée par l’organisme de radiodiffusion, d’une part, et celle réalisée par le fournisseur de services en cause au principal, d’autre part, sont effectuées dans des conditions techniques spécifiques, suivant un mode différent de transmission des œuvres et chacune d’elles est destinée à son public (voir, en ce sens, arrêt du 7 mars 2013, ITV Broadcasting e.a., C‑607/11, EU:C:2013:147, point 39).

49 - Les transmissions évoquées constituent donc des communications au public différentes, et chacune d’elles doit, dès lors, recevoir l’autorisation des titulaires de droits concernés.

50 - Dans ces conditions, il n’y a plus lieu d’examiner, en aval, si les publics ciblés par ces communications sont identiques ou si, le cas échéant, le public ciblé par le fournisseur de services en cause au principal constitue un public nouveau (voir, en ce sens, arrêt du 7 mars 2013, ITV Broadcasting e.a., C‑607/11, EU:C:2013:147, point 39).

51 - Il en résulte que, en l’absence d’une autorisation donnée par le titulaire de droits, la réalisation de copies d’œuvres au moyen d’un service tel que celui en cause au principal risque de porter atteinte aux droits de ce titulaire.

21 BRONZO N., « Copies privées sur des supports de stockage en ligne et rémunération sur le référencement d’œuvres graphiques et photographiques », in MOURON P. [Dir.], Liberté de création, architecture et patrimoine – Regards croisés sur la loi du 7 juillet 2016, PUAM, 2018, à paraître

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52 - Partant, un tel service d’enregistrement à distance ne saurait relever de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29.

53 - Dans ces conditions, il n’y a plus lieu de vérifier le respect des conditions qu’impose l’article 5, paragraphe 5, de ladite directive.

54 - Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que la directive 2001/29, notamment son article 5, paragraphe 2, sous b), s’oppose à une législation nationale qui permet à une entreprise commerciale de fournir à des particuliers un service d’enregistrement à distance dans le nuage de copies privées d’œuvres protégées par le droit d’auteur, au moyen d’un système informatique, en intervenant activement dans l’enregistrement de ces copies, sans l’autorisation du titulaire de droits. […]

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