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Le Sacré Graal de la transe dans les musiques underground

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Academic year: 2021

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HAL Id: hal-03014974

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Submitted on 26 Nov 2020

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underground

Jean-Marie Seca

To cite this version:

Jean-Marie Seca. Le Sacré Graal de la transe dans les musiques underground. Le Journal des psycho- logues, Martin Media. 2003, Numéro spécial consacré aux musiques, n° 223 (juillet-août), pp. 32-36.

�hal-03014974�

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Le Sacré Graal de la transe

Psychosociologie des musiques underground Jean-Marie SECA

Divers spécialistes en sciences sociales, surtout dans les pays anglo-saxons

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, ont dirigé, depuis longtemps, leur regard sur les inventions sonores, plastiques ou vestimentaires associées aux courants blues, jazz, puis, rock, rap ou techno, en en rendant compte essentiellement de façon théorique, sémiologique ou, parfois, journalistique ou apologétique. Tentons de visionner, au-delà des contingences, liées aux effets de mode et à leurs industries, les points communs de ces styles. Quelles sont leurs composantes, leurs objectifs et qu’est-ce qui crée leur actualité et leur propension au renouvellement permanent ? Les formes technos récentes, comme les autres styles « jeunes » du passé, remportent une grande partie de leur succès, du fait de leur capacité à se rendre immédiatement signifiantes, en étant directement perçues comme « actuelles » par ceux qui les consomment et dansent sur leurs rythmes. D’où le paradoxe, maintes fois entrevu depuis un siècle et, spécifiquement, par les observateurs de ces comportements, de la cooccurrence, en leur sein, de l’archaïque et du moderne, du même, dans la reproduction de schémas déjà éprouvés et diffusés à d’autres périodes historiques, et du différent, par l’aptitude de ces cultures émergentes de faire apparaître de façon saisissante et acide, l’impensée d’une société ou d’une époque. Cependant, il y a inévitablement un aspect ressassé et kitch dans ces courants : il suffit de se transposer dans une discothèque vaguement branchée de n’importe quel pays d’Europe ou d’Amérique, de faire un petit tour dans une soirée parisienne, pour apercevoir clairement la continuité des modes d’être et des formes de ressentir d’un bout à l’autre la Terre. Rien ne change, même si le tournoiement des platines donne le vertige et procure ce sentiment éculé de saisir l’ineffable de l’avenir et le frisson du présent dans la combinaison rythmique et mélodique « qui vient de sortir ».

Si l’on fait un bref retour en arrière et que l’on se place du point de vue de ceux qui participaient au happening punk des années 1976-79, on repère, dans la succession des nouveautés de 1980 à aujourd’hui, en même temps que diverses inventions, des bégaiements, des répétitions, voire du déjà- vu. Ces expériences ont été cristallisées, à Paris par exemple, par des formations underground dans un parking sous-terrain, où les enquêtes de l’auteur de cet article ont été effectuées durant les années

1 Des travaux pionniers de Howard Becker (1985, Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Paris, Métailié (1re éd.

américaine : 1963) jusqu’aux approches classées sous le label « Cultural studies » (Iain Chambers, Simon Frith, Stuart Hall, Dick Hebdige, Tony Jefferson, Paul Willis ou plus récemment Roy Shuker). Pour la France, on signalera l’émergence, depuis 2002, d’une revue de sciences sociales, consacrée aux musiques actuelles : Copyright Volume.

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1980. L’ambiance de cette époque, la volonté d’expérimentation, l’esprit de rébellion, la recherche de bricolages techniques, harmoniques et rythmiques, « pour se faire une place dans la société », etc., ressemblent, à quelques variations

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, à des formes plus récemment analysées comme

« incomparables ». Les mouvements technos ne sont qu’un prolongement de ces entreprises autoproductives, débutées avant les punks ou les rappers, durant les années trente, par les héritiers des ménestrels américains

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. Et c’est déjà beaucoup.

Nous interrogerons, plus spécifiquement dans ce texte, les rapports entre la recherche d’états spéciaux de la conscience

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et les représentations émergentes des punks, des rappers ou des tribes techno.

Depuis 1975-76, l’essor d’un underground, d’abord minoritaire, puis de plus en plus propagé dans les différentes strates sociales, y compris dans les classes moyennes, pose aux psychosociologues une interrogation sur les modalités de diffusion (majoritaires et / ou contestataires, marketing et / ou rebelles) des façons d’être et des états affectifs, distillés dans les programmations musicales de plus en plus prisées par les nouvelles jeunes générations. La nature des phénomènes de transe n’est pas identique à celle déployées dans d’autres contextes culturels. Pourtant, beaucoup d’écrits qui se prétendent savants, désirant justifier l’essence de ces phénomènes, s’appuient sur des références, essentiellement ethnographiques, éloignées des situations des sociétés urbaines occidentales. Plus particulièrement, l’analyse des raisons de la recherche d’états spéciaux de la conscience dans certains

2 Il y a certes une transformation, liée à celle des sociétés et de leur histoire, dans l’avènement de nouveaux styles mais on a aussi l’étrange impression, en se de dessaisissant leur impact séducteur et hypnotique, d’observer la répétition de schémas de conduite et de modèles d’expression de type générationnel, finalisés vers la distinction stricte par rapport aux anciens jeunes. La vogue du remix (collage musical réaménagé à partir d’un standard plus ancien, en fonction de l’esprit du temps hip hop ou techno notamment) depuis quelques années confirment indirectement un tel point de vue.

3 Ces héritiers étaient, par exemple, les blackfaces, c’est-à-dire des musiciens et des chanteurs blancs, mais aussi parfois afro-américains, qui se teignaient le visage en noir pendant leurs spectacles. Nick Tosches, dans son livre publié en 2003, Blackface. Au confluent des voix mortes, à Paris aux éditions Allia (1re éd. américaine : 2001) rappelle que les ménestrels sont, aux États-Unis, les précurseurs avec les medicine-shows, entre 1840 et 1880, des chanteurs de blues, country, ragtime et jazz, qui allaient apparaître au début des années 1900. Ils animaient des soirées cabarets et étaient membres d’orchestres très célèbres et influents, surtout dans les régions du Sud. Certains standards du blues ou du folklore country sont issus de ces pratiques « underground » mais surtout populaires. Celles-ci ont modelé les sensibilités des groupes de musiciens noirs tout autant que celles des artistes blancs.

4 Il est difficile de donner une définition succincte et pertinente des états spéciaux de la conscience dans le cadre d’un article aussi court. On peut tenter d’approcher le phénomène en le décrivant par des synonymes tels qu’« état hypnoïde », « rêve éveillé », utilisés par les freudiens et les psychanalystes. On peut invoquer le terme « transe », usité en anthropologie par divers auteurs dont Lapassade. On y ajoutera l’idée de « techniques du corps », mise en avant par Marcel Mauss dans certains de ses écrits. La recherche de ces formes émotionnelles et mentales se traduira, dans le cadre de cette présentation, par l’activation d’une représentation du soi spécifiquement connectée à l’état acide (voir sa définition, ci- dessous dans le corps du texte), traversé par une minorité ambivalente et en recherche de reconnaissance sociale.

L’atteinte de ces moments corporels et psychoaffectifs d’exaltation plus ou moins ritualisée suppose alors le réinvestissement d’une représentation rêvée ou idéalisée du soi chez l’artiste en progression. On doit distinguer la transe, auto-induite par des musiciens, de la possession, « subie », dont le vécu est plus proche de celui des spectateurs dans les foules de concert. Ces nuances se réfèrent à des degrés assez différents de contrôle de l’émotion et de maîtrise des rituels collectifs.

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courants électroniques a largement été l’objet d’un tel traitement

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. Comment interpréter, psychosocialement et anthropologiquement, cette quête du Sacré Graal qu’est la transe chez les artisans de l’underground (musiciens, producteurs, diffuseurs, propagandistes, fanzines, réseaux, etc.) ?

L’état acide : une grille d’interprétation de la recherche d’états de transe

Diverses enquêtes, dans les studios d’enregistrement, garages et sous-sols de la Capitale, sur les groupements musicaux pop électroniques et underground

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ont permis de construire une interprétation des discours et des conduites des acteurs interrogés. Ce modèle interprétatif et descriptif a été qualifié d’« état acide ». Cette dénomination aux relents psychédéliques renvoie aux modes de socialisation, de représentation et d’atteinte de buts (éthiques et économiques) de reconnaissance publique de ces formations culturelles qui se disent souvent en opposition avec la « société » ou la « majorité ». L’état acide exprime théoriquement une forme d’errance psychologique, une situation exacerbée, émotionnellement et cognitivement parlant, de transition professionnelle et de recherche d’orientation dans un contexte anomique et de déviance. Il renvoie à l’état mental et social, actif et mélancolique, de minorités qui se cherchent un code et un rituel conformes à ce qu’elles considèrent être leur « nature » et leur propre « authenticité ». Cette grille est applicable à d’autres types d’activités, analogues du point de vue professionnel, politique ou identitaire

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. On peut décrire cet état mental et social traversé par ces acteurs de la vie underground en évoquant, à leur propos, diverses dimensions.

Ces groupes expriment d’abord une ambivalence vis-à-vis des systèmes industriels de production du charisme. En effet, les discours recueillis, auprès des musiciens amateurs, laissent entrevoir une haine ou un rejet du show business et une recherche, plus ou moins explicitée, de réussite, par l’argent, le succès et la visibilité mass-médiatique. Ils font montre d’une sorte de mimétisme dénégateur par rapport aux vedettes : dans ce cas, les musiciens observés sont obsédés par l’idée d’être à l’origine d’une influence qui demeure éminemment collective. Le culte narcissique du don, des capacités

« personnelles » et la célébration de la créativité contribuent à la propagation d’une certaine

5 Pour illustrer cette volonté d’ « exotiser » ces pratiques, on peut, par exemple, citer, sans mettre en cause la qualité des analyses des auteurs, le livre d’Astrid Fontaine et Caroline Fontana, 1996, Raver, Paris, Anthropos.

6 Seca Jean--Marie, 1987a, L'état acide : Analyse psychosociale des minorités rock (2 tomes : 532 p. -thèse- et 405 p. - annexes-), Thèse pour le doctorat de psychologie sociale, Nanterre, Université Paris-X-Nanterre.

Seca Jean-Marie, 2001a, Les musiciens underground, Paris, PUF, collection « Psychologie sociale ».

7 Seca Jean-Marie, 1998, « Pour une psychologie sociale de la vocation minoritaire » (trad. en roumain : « Pentru o psihologie socialà a vocatiei minoritari »), in Neculau A. et Ferréol G. (Éd.), Psihosociologia schimbârii, Iasi, Polirom, pp. 68- 76.

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représentation sociale du soi. Il s’agit là de deux exemples de cette tendance à la dénégation de l’influence ressentie en tant qu’ex-membre d’une foule de concert.

On observe aussi, chez ces acteurs musicaux, une volonté exacerbée de visibilité. Corrélativement à l’expression d’une forte ambiguïté, ils recherchent, soit explicitement (le succès, le concert), soit implicitement (le travail de répétition, l’artisanat du « son ») ou de manière dissimulée (l’activation altruiste de la fête et de la fusion communautaire), l’accès à une situation publique, source de reconnaissance et d’aboutissement de leur production.

On peut aussi concevoir ces pratiques comme renvoyant à une transition professionnelle. La musique

« rend des services identitaires », dans la mesure où sa nature malléable et projective facilite les expérimentations (apprentissages, lutte contre l’ennui, appréhension « pour voir » d’une orientation), la satisfaction d’un besoin de communication et une socialisation de l’expression entre intimes. Elle est ainsi un espace de professionnalisation intermédiaire, entre l’adolescence et la vie adulte, du moins si l’on se base sur les données concernant l’âge des individus contactés (les plus de trente ans ne constituant que 3 % des populations d’enquête).

La valorisation d’une néoritualité, d’un conventionnalisme marqué dans la conception des formes esthétiques (le fétichisme des adorateurs de styles rock, rap ou techno) peut impliquer aussi une inclination au « groupisme »

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et à la construction d’une cohérence stylistique totalisante, obsessionnelle. Une intention prosélyte, parfois activiste conduit ces musiciens et leurs fans vers la production de comportements identiques aux supporters de football ou à des membres de « sectes » artistiques ou religieuses.

Plus spécifiquement, la recherche d’une plus large audience, à la fois commercialement efficace et esthétiquement consistante, implique l’inclusion de ces conduites dans la sphère des activités mercatiques et illustre l’éthique « entrepreneuriale » de ces puritains

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de la culture pop. Ces « micro- entreprises » conduisent à la création d’un « milieu » actif culturellement et économiquement, sources de contacts en réseaux. En effet, le maintien d’une tactique de reconnaissance par « petits pas » et de construction de réseaux d’entraide et de professionnalisation forment des ressources potentielles pour les acteurs de ces circuits de socialisation fondés d’abord sur les affinités et le goût. Les très petites entreprises que sont les labels rock, rap ou techno, forment un maillage d’initiatives fondées sur la logique de l’économie sociale et de l’auto-insertion.

8 Cette expression, proposée par Jean Maisonneuve pour qualifier le comportement fusionnel des groupes de formation et des communautés semble fort pertinente pour ce que l’on cherche à décrire ici (voir Seca Jean-Marie2003a, « Entretien avec Jean Maisonneuve », in Bulletin de psychologie, tome 56 (1), n° 463, janvier – février, pp. 121-131.

9 Seca Jean-Marie, 1991, « Les purificateurs du rock », Cahiers internationaux de Sociologie, vol. 90, juillet, pp. 121-130.

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Les stratégies comparatives de ces producteurs musicaux, donnent lieu à des attitudes de différenciations spécifiques, visant à se mettre « hors norme ». Leurs conduites de comparaison sociale servent ainsi à explorer les dimensions sur lesquelles un jeu d’innovation ou de distinction est encore possible, en dépit de l’offre concurrentielle dense de produits pop électroniques. Ce type de calcul a été illustré par l’approche de Gérard Lemaine

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lorsqu’il théorise la recherche d’une incomparabilité sociale chez les groupes temporairement infériorisés : ceux-ci se placent sur un autre terrain d’évaluation en rejetant ce qui est imposé comme une norme par les « dominants » ou par les juges.

Les groupes underground s’illustrent aussi par une vocation fréquente pour la fonction de porte-parole, alliée à un désir velléitaire de convertir les masses, cette conversion pouvant consister dans la volonté de faire parvenir une foule à l’extase ou à l’achat de disques. La fonction de porte-parole est à comprendre comme « place » potentielle et symbolique, à occuper pour tout individu appartenant à une foule d’adorateurs d’un style ou d’un courant. Une transgression prisée, source de violences régulières des fans, consiste dans le fait de sortir du public, voire monter sur la scène et de devenir un représentant temporaire de la fusion mentale éprouvée collectivement. Cette volonté de devenir un porte-parole est d’ailleurs commercialisée sous la forme de soirées karaoké, depuis de longues années.

Ces pratiques sont enfin et surtout des structures d’accueil et de mise en œuvre de techniques du corps, d’effets de transe et de recherche de moments publics de concerts. Il s’agit de l’objectif central des musiciens, pour leur propre plaisir et dans un but de partage effervescent de leur émotion. C’est dans ce domaine que les excès (prises de drogue, conduites de possession) sont les plus notables et c’est par eux que les spectateurs (« musiqués ») et les acteurs de la musique (« musiquants ») se distinguent tendanciellement en deux types : ceux qui subissent et ceux qui engendrent et contrôlent les états modifiés de conscience. Une représentation spécifique de l’art « authentique » mais « sale »,

« brut », « dépouillé » et décrit comme « maîtrisé »

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vient à l’appui de cette apologie du sens musical

« corporéisé », centré sur la production d’une transe. Le bruit, en tant que matière sonore esthétisée est, depuis quelques décennies, une expérience de masse largement vulgarisée et académiquement plébiscitée

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. Il constitue, d’une certaine manière, une sorte de prêt-à-penser de l’invention musicale contemporaine, qu’elle soit d’ « avant-garde » ou qu’elle émane de groupes rebelles et populaires. Plus

10 Lemaine Gérard, 1966, « Inégalité, comparaison et incomparabilité : esquisse d’une théorie de l’originalité sociale », Bulletin de psychologie, 20, pp. 24-32.

11 Seca Jean-Marie, 2001g, « De la tristesse à la trépidation », Colloque Délectations moroses. Musiques et sociétés, Université Libre de Bruxelles, Département d’Histoire de l’Art, Journalisme et Musicologie, Bruxelles, 29-31 mars 2001.

Seca Jean-Marie, 2002, « L’obsession de la vocation chez les musicien(ne)s underground » in Revue internationale de psychosociologie, vol. VIII, n° 18 (numéro spécial Autour de l’Art et des Arts), pp. 177-188.

12 Castanet Pierre-Albert, 1999, Tout est bruit pour qui a peur. Pour une histoire sociale du son sale, Paris, TUM, Michel de Maule.

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essentiellement, il correspond à une représentation du fluide musical

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dont l’un des constituants est la volonté d’effraction du corps et de l’attention de la cible de la communication (exemple : il faut

« déchirer » l’auditeur).

Les acteurs dont nous parlons ici sont minoritaires : ils se vivent comme tels. Ils sont aussi, tendanciellement anomiques

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du fait de leur ambivalence / attirance vis-à-vis des buts de réussite et des honneurs (argent, admiration, renommée) qu’elle suppose. Ils sont dépendants du regard des majorités parce qu’ils n’ont pas encore énoncé leur style propre et leur devise musicale

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. De ce fait, ils n’ont pas suffisamment affirmé et matérialisé sémiotiquement parlant leur propre originalité (leur devise). Ils sont tiraillés entre des visées symboliques et des valeurs peu conciliables : la réalisation d’un soi idéalisé, le goût pour le travail bien fait, quasi artisanal, le culte de l’authenticité, de la rébellion et un certain corporéisme un peu éculé (symbolisé par la valorisation parfois parodique du sexe, de la jouissance, de la danse, de l’argent, de la vie facile, du scandale, de la réussite rapide ou de la célébrité). Ces minorités musicales sont aimantées par des contenus discursifs et politiques hétérodoxes et se constituent comme des espaces de réchauffement de la croyance dans le « soi » très opportunément « communautarisé ». L’état acide formalise la structure des représentations et des conduites d’acteurs expérimentant par essais et erreur la recréation d’un style qui se veut original, représentatif d’une expérience relationnelle « présentéiste » et investi dans son unicité d’utopie esthétique accessible au plus grand nombre.

Une industrialisation du charisme dans les musiques dites « actuelles » ?

On se trouve, en ce début de 21

e

siècle, dans une situation historique où la mise en mythe des vedettes protestataires conduit à une renaissance d’un nouveau culte des « saints » modernes et à une diffusion massive des icônes et des modes d’expression dit « contre-culturels », considérés, encore aujourd’hui, comme minoritaires alors qu’ils émanent des grandes multinationales de la communication et des industries distractives. On pourra presque parler, dans ces cas à la limite du marketing et de la rébellion, de « minoritarisme » comme « image de marque », dans la mesure où les groupes et les individus prônant une contestation accèdent au panthéon et à la reconnaissance générale, tout en

13 Seca Jean-Marie, 2003b, « La "carte mentale" des musiques underground », Actes de la Cinquième conférence internationale sur les représentations sociales, Montréal, 30 août au 2 septembre 2000, UQUAM / LEPS-MSH-Paris (Ouvrage électronique diffusé sur le site internet du GEIRSO < http : // www.unites.uqam.ca/geirso/>).

14 La notion de « minorité anomique », proposée par Serge Moscovici, en 1979, dans Psychologie des minorités actives, Paris, PUF, est définie comme n’ayant pas de style original, de code intériorisé et de volonté affirmée et consistante de les défendre publiquement.

15 Rouget Gilbert, 1980, La musique et la transe. Esquisse d'une théorie générale de la musique et de la possession, Paris, Gallimard. Cf. Seca, 2001, op.cit.

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restant « impurs » et « infréquentables » dans le cadre d’une culture qui revendique un héritage humaniste, des traditions, des hérauts et des experts. Comment se soutient cette idéologie de l’hétérodoxie, illustrée par le résurgent esprit « rock » ou « pop » du temps ? Quelles sont ses ressorts ? Suffit-il de parler de néopaganisme ou de néotribalisme, comme le font certains sociologues, pour atteindre l’essence de ces formes symboliques ? Il s’agit d’autant de questions auxquelles on ne peut répondre dans un tel texte. Si l’on considère les exigences diffuses de transe ou d’auto-excitation corporelle, les modes affectivistes de relations interindividuelles, les formes territorialisées de mobilisation des masses ainsi que les effets psychiques des médias et des technologies de la communication sur les représentations du corps, on se trouve devant une multiplicité phénoménale où le plus petit dénominateur commun est l’activation d’un état spécial de déviance ou de décalage léger par rapport à une certaine représentation de la réalité ou de la « normalité ». On le qualifiera par la formule « état hétérodoxe de base ».

On peut établir un certain lien entre les pratiques décrites ci-dessus et d’autres types de conduites (religieuses, culturelles, politiques ou esthétiques) visant, explicitement ou non, sérieusement ou non, à remettre en cause l’existant. On peut qualifier cette approche des musiques électroniques de

« psychosociologie des formes dissidentes » (qui ne se limite pas seulement aux performances des rappers ou des bricoleurs de sons techno) et des représentations qui les structurent et les rendent actives. Des complexions (légèreté, rébellion, rage, retrait) plus globales y sont présentes. Les colorations sentimentales (moroses, gaies, maniaques ou agressives…) y sont diffusées, en même temps qu’une alternance plus ou moins rapide et incohérente des états émotionnels. On y détecte l’existence de véritables modalités d’appropriation de la musique par la « revendication émotionnelle » ou « sensitive ». Ce type expressif renvoie à l’existence de porte-parole et de « porte-son » pop électroniques ou de « créateurs d’états émotionnels », traversés par des sentiments successifs, souvent opposés et ambivalents. Leurs modes de socialisation et d’identification est fondée sur l’idéologie de l’authenticité, incarnée dans leurs discours, leurs musiques et leurs conduites et renforcé par le comportement adulateur des consommateurs. Il y a un réel intérêt psychosocial à l’étude des formes esthétiques industrialisées et musicales et de leurs enjeux socio-économico-politiques. Les facteurs de l’usure de l’emprise charismatique, de sa reconstruction dans (ou hors de) l’action politique et de l’avènement ou de la généralisation d’une culture underground de masse, peuvent être mis en relation. Si l’on considère la psychologie politique de ces minorités expressives, on assisterait à un processus de « dissémination du sentiment de particularisme identitaire ».

Il s’agit alors d’élaborer une théorisation des leaders organiques des foules et des banlieues, en

reprenant les grandes orientations de la psychologie des influences sociales et du leadership et en

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l’illustrant par la prise en considération des pratiques existant dans les grandes agglomérations

françaises (médiation, entreprises d’insertion, réseaux divers) ou européennes. On doit pouvoir

catégoriser les dimensions les plus représentatives de ces conduites d’auto-insertion et de recherche

de reconnaissance sociale, afin d’en évaluer la part spécifiquement irrédentiste, violente et

autolégitimante. Plus généralement, on peut se demander quelle est la diffusion et l’emprise réelle de

ces formes esthétiques, même si elles sont autres que musicales, sur les masses et sur les jeunes

générations afin d’en comprendre la nature et les conséquences sur le fonctionnement et l’évolution au

quotidien des démocraties.

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