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Entre la Fée Clochette et le Lt-Cl Tejero, José María Aznar sous le crayon des caricaturistes de El Jueves (1989-2003)

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Entre la Fée Clochette et le Lt-Cl Tejero, José María Aznar sous le crayon des caricaturistes de El Jueves

(1989-2003)

François Malveille

To cite this version:

François Malveille. Entre la Fée Clochette et le Lt-Cl Tejero, José María Aznar sous le crayon des

caricaturistes de El Jueves (1989-2003). Image et pouvoir. 4e Congrès International du GRIMH, Nov

2004, Lyon, France. pp.339-350. �hal-01997594�

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François MALVEILLE

Entre la fée Clochette et le Lt-CI Tejero, José Maria Aznar sous le crayon des caricaturistes de El .Jueves (1989-2003)

Après les années de censure du reg1me franquiste, de nombreuses publications sont apparues. Parmi elles, figure l'hebdomadaire El Jueves, fondé en 1977. De l'époque du « destape » est resté un ton fondamentalement irrévérencieux : El Jueves caricature impitoyablement les hommes politiques, le roi, les vedettes des médias ... Par définition, la caricature est critique, mais quand il s'agit de politique, de pouvoir, l'image devient vite un enjeu. Au cours des dernières années, l'un des hommes politiques les plus caricaturés par El Jueves a été José Maria Aznar. Il a été représenté successivement en Tejero d'opérette, en femme de ménage, en hercule de foire, en soldat de différents bords, en supporter du Barça, en torero, en Quasimodo, en cow-boy, en enfant, en vampire, en Zorro, en Fée Clochette ... La liste semble infinie. De la tension entre l'image de cet homme et les différents éléments de la mémoire des Espagnols naît cette ribambelle d'hybrides qui nous donne du pouvoir politique une image bigarrée, affranchie des conventions de représentation qui régissent les autres espaces. Cette image caricaturée, brinquebalée par l'actualité, nous offre une grille de lecture des événements marquants de la vie politique espagnole de la fin du

xxe

siècle. On trouve dans les pages de El Jueves, deux catégories d'images : les photomontages et les caricatures. C'est cette dernière catégorie que nous allons étudier, sans pouvoir prétendre être exhaustif tant les représentations de José Maria Aznar sont nombreuses et variées.

La question du genre est particulièrement importante pour aborder la caricature politique. Derrière ce qui peut apparaître comme de simples bouffonneries, se cache en réalité un sujet plus complexe. Ainsi, en 1999, l'équipe CREATHIS de l'Université de Lille III, lors d'un colloque consacré à la satire politique et à la dérision, se proposait « d'examiner en quelles circonstances, avec quels instruments, et pour quelles finalités, les productions culturelles peuvent traiter des matières graves, qui engagent le devenir collectif, avec une attitude frondeuse, voire parfois sarcastique jusqu'au nihilis,me1. » Il est vrai que le paradoxe de la caricature politique tient au décalage entre l'enjeu et le ton, entre les motivations et le traitement. Avant d'aborder les dessins eux- mêmes, il convient donc de s'intéresser au support, aux auteurs, au public, afin de bien appréhender l'ensemble des paramètres.

La satire politique et la dérision sont des composants essentiels du dessin d'humour tel qu'il apparaît aujourd'hui dans la presse. Laurent Gervereau, spécialiste de l'image, commente le développement de ce dessin en Europe en

1 Mercedes BLANCO (Ed.), Satire politique et dérision (Espagne, Italie, Amérique latine), p.9.

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soulignant le « tour plus politique » pris en France par des revues telles que Hara-Kiri suivi d'Hara-Kiri Hebdo et de Charlie Hebdo après mai 1968. Les dessinateurs deviennent ainsi de « véritables éditorialistes » qui expriment des opinions politiques sur des sujets de société et nous sommes dès lors bien loin du pur divertissement.

Dans le cadre européen, le cas du Royaume-Uni est particulièrement intéressant. Ainsi, l'angliciste Gilbert Millat analysait le fonctionnement de ces images dans la société britannique et soulignait notamment qu'un point qui peut surprendre est que « nombre de dessins politiques ne présentent aucun caractère humoristique2 », l'humour étant parfois remplacé par la « diffamation grotesque ». Un autre point intéressant signalé par Gilbert Millat est le style de dessin du XVIIIe siècle : « Un grand nombre [d'] œuvres étaient des charges contre des hommes politiques célèbres, surtout les premiers ministres. Leur style reflétait la violence et le goût de la sexualité explicites caractéristiques du

XVIIIe siècle. On y représentait souvent des personnages qui déféquaient, qui urinaient et des scènes de fornication ». Il indique ensuite que cet esprit de la fin du XVIIIe siècle ne persista qu'exceptionnellement, précisant que « jusqu'en 1914, la morale bourgeoise contraignit les dessinateurs de presse à respecter les hommes politiques : on critiquait leurs programmes et leurs jugements mais on leur épargnait le ridicule. » Cette alternance de phases plus ou moins irrévérencieuses montre que le ton est lié à l'époque. Ces charges violentes, ces scènes suggestives, cette irrévérence sont aussi des traits que l'on retrouve dans les pages de El Jueves, comme nous allons le voir.

Pour ce qui est de l'Espagne, sous Franco, après les années de censure féroce, l'assouplissement que signifiait pour la presse la loi Fraga de 1966 était très relatif. Cette loi affirmait la liberté d'expression dans son article 1, tandis que l'article 2 précisait les limites de cette liberté. La notion de limite a pour corollaire celle de transgression, c'est pourquoi, en 1975, la revue satirique Hermano labo avait pour sous-titre « Semanario de humor dentro de lo que cabe ». Les notions de respect et de morale structuraient le texte de la loi Fraga.

Dans un certain sens, ces notions ont aussi contribué à configurer la presse qui, quelques années plus tard, se construira en s'opposant à l'esprit de cette loi. En effet, la presse satirique politique semble connaître un renouveau en Espagne dans les années 1970. À la gravité compassée officielle s'oppose ce que

!'écrivain et chroniqueur Francisco Umbral a appelé « un curieux mélange de politique et frivolité3» C'est ainsi qu'il analysait en 1970 le contenu de la revue Sâbado Grâfico alors censurée. Quelques années plus tard, en décembre 1976, le même Francisco Umbral faisait le bilan de l'année écoulée et affirmait dans une chronique : « Han salido muchas revistas durante este ano y todas estan entre el erotismo y la politica, porque las sei'\oras y la cosa publica son las dos grandes pasiones del espanol ». Cette analyse correspond assez bien à El Jueves. Erotisme et politique semblent faire bon ménage dans cette publication.

En fait, ce sont les sujets censurés sous Franco qui font le succès de la revue.

C'est la logique du « destape >> qui s'exprime. Toujours en 1976, Antonio Lara soulignait dans El Pafs l'apparition de cette nouvelle forme de satire qu'il

2 Gilbert MILLAT, « Traits persistants - Temps et espace du dessin de presse politique britannique», G. LEYDIER (Dir.), La Civilisation : objet, enjeux, méthodes, Université du Sud -Toulon-Var, Babel, n°9, 2004, p 227-247

3 El Norte de Castilla, 2 septembre 1970.

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rattachait à I'« école » Charlie Hebdo.4

Comme ailleurs en Europe, l'élégance et la finesse ne constituent pas précisément la ligne éditoriale de El Jueves. Débarrassés de cette contrainte, les dessinateurs se vautrent souvent avec délectation dans la grossièreté, la scatologie... Mais, si cette provocation facile apparaît fréquemment, elle ne résume pas à elle seule la ligne de El Jueves. Un engagement sincère côtoie souvent un humour potache et ce sont peut-être ces deux caractéristiques qui ont sauvé cette revue. Plus d'un quart de siècle après la mort de Franco, El Jueves est toujours publié. C'est le titre le plus important de la presse satirique espagnole, comme le soulignaient en 2000 Jean-Pierre Castellani et Miguel Urabayen, qui notaient aussi que « curieusement, l'humour et la satire [étaient]

assez peu représentés [alors] en Espagne5»

Cependant, les fluctuations de tirage de El Jueves sont importantes puisque en quelques années, cette revue est passée de moins de 50 000 exemplaires en 1985, à près de 140 000 en 1991, pour tirer à un peu plus de 80 000 depuis 19966. Qui sont donc les lecteurs auxquels s'adressent les images de El Jueves ? À l'évidence, il s'agit d'un public plutôt jeune et masculin, ce que confirme une étude menée par EGM (Estudio General de Medios) sur l'année 2002. Le lectorat de El Jueves se compose à 74,5% d'hommes. L'âge des lecteurs se situe entre 14 et 44 ans à 90%, avec respectivement, 38,6% de 14 et 24 ans et 51,4% de 25-44 ans. Entre 45 et 65 ans, ce taux tombe à 9,6%

puis à 0,4% après 65 ans. Ces lecteurs appartiennent majoritairement à la classe moyenne et sont plutôt actifs (60%). Il est intéressant de noter que nombre de ces lecteurs sont plus jeunes que la revue elle-même, ce qui indique que les vétérans de El Jueves n'ont pas coupé le lien avec les générations montantes. Ce n'est pas la revue d'une génération, c'est plus la revue d'une tranche d'âge. Ainsi, les Catalans José Luis Martin et Oscar Nebreda qui font partie des fondateurs de El Jueves, sont-ils nés respectivement en 1953 et 1945. Ils ne font donc pas partie des générations de leurs lecteurs actuels.

La rédaction de El Jueves se caractérise par son ton critique et son indépendance. En 2002, dans un livre publié par la revue intitulé 25 afios saliendo los miércoles, en guise d'introduction, un bilan était dressé de ce quart de siècle de dérision. Après avoir souligné que la revue au-delà de ses

« historietas » était aussi une revue d'actualité, notamment politique, l'auteur indiquait qu'elle s'était penchée sur les changements ayant affecté l'Espagne et le monde et il énumérait ensuite ces sujets, mêlant le grave et le léger, le terrorisme et le « topless », par exemple.

Depuis 1982 les employés sont les propriétaires du titre suite au retrait du groupe Zeta8, ce qui contribue à leur indépendance. Comme ailleurs, en France ou en Grande-Bretagne notamment, ces individus donnent l'impression d'être, selon l'expression de l'angliciste Gilbert Millat « une bande de canailles peu recommandables9 ... » Il est vrai que pour la presse satirique, on remarque l'effet bande, on pourrait aussi parler d'un groupuscule dont l'arme serait la dérision

4 El Pais, 21 septembre 1976.

5 Jean-Pierre CASTELLANI, et Miguel URABAYEN, Décrypter la presse écrite espagnole, Paris, PUF, 2000, p. 124.

6 Anuario El Pais 2004, p.237.

8 El Munda, 29 juin 2003.

9 Gilbert MILLAT, op. cit., p 227-247

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graphique. Ce sont donc des individus qui transgressent sinon des lois, en tous cas des codes sociaux, la bienséance, le bon goût... et plongent avec délice dans son contraire, la provocation étant l'un des ressorts de cette presse. Dans les premières pages de El Jueves, on note la présence d'un éditorial qui explicite l'opinion de la rédaction par rapport aux événements, à l'actualité de la semaine.

Ces opinions apparaissent aussi, bien sûr, sous la forme de dessins, car si la seconde partie de la revue est tournée vers un divertissement souvent teinté d'érotisme, la première partie est nettement politique.

La représentation joue un rôle clé en politique. Dans les médias classiques, l'image des hommes politiques tend à être lisse, convenue et uniforme, mais on constate aussi, à l'inverse, que l'avènement d'un nouveau leader coïncide avec son entrée dans le club très fermé des personnes caricaturées. En démocratie, les politiques n'ont d'autre choix que d'accepter cette forme d'opposition. Si certains humoristes rechignent à attaquer les hommes publics sur leur physique, ce n'est pas le cas des caricaturistes, qui s'emparent sans vergogne de ces corps et ces visages et qui mettent au monde un clone contrefait qui accompagnera ensuite les actions et les déclarations de l'original. Les dessinateurs guettent les faux pas, les bons mots et les moins bons, bref la matière qui leur permettra d'alimenter leur créature. Au final, à la communication visuelle corsetée du pouvoir, qui doit affirmer son autorité et conserver un certain prestige, répond une communication visuelle affranchie, qui sape cette autorité en ridiculisant les politiques. Dans ces dessins, l'excès et la distorsion jouent un rôle majeur. La tête du personnage a souvent droit à un traitement privilégié, car elle porte l'identité de la personne. Les dessinateurs utilisent l'hypertrophie et l'atrophie pour rendre comique un visage, les traits sont souvent déformés de façon grotesque. L'expression du visage est aussi utilisée pour transmettre un message, il porte les émotions du protagoniste, la peur, la colère, la joie ... Certains éléments de ce visage peuvent aussi devenir symboliques et prendre un sens particulier. Le reste du corps, lui aussi, est fréquemment l'objet de transformations et de distorsions. Les vêtements portent également le sens, c'est pourquoi le travestissement est une pratique courante. Les objets et divers attributs sont rarement innocents. Tous ces éléments s'unissent dans un dessin, s'ajoutent à des références à l'actualité, à un message linguistique, sous la forme d'un titre, d'un surtitre, d'une bulle qui place dans la bouche du personnage un commentaire. Ces images composites sont ensuite présentées au lecteur qui notera les rapports entre les traits et les mots, les objets et les expressions... Les coprésences sont particulièrement signifiantes car elles établissent des liens.

Au cours des dernières années en Espagne, une des cibles favorites des caricaturistes de El Jueves a été logiquement José Marfa Aznar. Dans la lignée des leaders de la droite espagnole, il est le successeur de Manuel Fraga. Né en 1953 à Madrid, il est le petit-fils de Manuel Aznar, journaliste et diplomate espagnol, qui a joué un rôle important en tant que propagandiste pendant la guerre civile, et qui fut directeur de différents journaux, de l'agence EFE. José Marfa Aznar obtient sa licence de droit en 1975 et devient inspecteur des finances. En 1978 il adhère à Alianza Popular, le parti de Manuel Fraga, fondé en 1976 par six ex-ministres de Franco. José Marfa Aznar devient député en 1982, puis président du gouvernement autonome de Castilla y Le6n en 1987. Certains dessinateurs font référence à Valladolid, la capitale de Castilla y Le6n, qui garde

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une image très conservatrice10 . Alianza Popular va mettre vingt ans pour accéder à la présidence du gouvernement. Les échecs se succèdent, ce qui conduit le parti à adopter de nouveaux discours et à amorcer un mouvement vers le centre.

On observe que le personnage d'Aznar a tardé à s'imposer sur le plan graphique. En février 1987, Antonio Hernandez Mancha était devenu le nouveau président de Alianza Popular en remplacement de Manuel Fraga, le leader historique. Son arrivée avait alors été saluée immédiatement en première page par El Jueves, qui l'avait représenté en torero interpellant : « Hé, Felipe », prêt à mettre les banderilles au taureau socialiste (n°508). Dès le début de l'année 1989, Manuel Fraga redevient président et José Maria Aznar est nommé vice- président avant de devenir président réellement en mars 1990. Celui qui fait la une de El Jueves, en janvier 1989 n'est donc pas Aznar, mais bien Fraga (n0610), le revenant. Représenté en Frankenstein avec cicatrices et boulons sur le crâne, un titre indique : « Vuelve el monstruo de la derecha ».

Pour ce qui est de José Maria Aznar, au cours de la période étudiée, on peut distinguer deux phases : celle du candidat de 1989 à 1996, et celle du président de 1996 à 2004. La phase de conquête du pouvoir est aussi la phase du discours centriste de José Maria Aznar. Pendant cette période, il se montre de plus en plus agressif vis-à-vis de Felipe Gonzalez, son discours en vient à se résumer à une seule petite phrase répétée à satiété « Vayase Senor Gonzalez ».

La deuxième phase, celle dè l'exercice du pouvoir, se divise en deux : la première législature et la soumission à Jordi Pujol, qui lui permet d'atteindre la majorité absolue, et la seconde, à partir de 2000, lorsque le Parti Populaire est majoritaire sans nécessité d'appuis extérieurs. Une autre petite phrase marque la période : « Espana va bien ». On note que dans les deux cas, ce sont des phrases de trois mots qui sont restées pour représenter un discours politique.

Quelques thèmes dominent ces années, la corruption, le combat politique contre Felipe Gonzalez, comme nous venons de le voir, et le recentrage d'un parti marqué à droite.

José Maria Aznar reste dans l'ombre, même lorsqu'il prend la présidence, pas de titre, pas de dessin à la une. On l'entrevoit une fois (n°730) mais il n'apparaît réellement, c'est-à-dire, de façon bien visible, qu'au début de l'année 1992 (n°766). L'auteur de ce premier dessin est Gin, (Jordi Gines Soteras (1930-1996)) qui était alors l'un des vétérans de El Jueves. A cette époque, la communication du PP, selon l'historien Javier Tusell, visait à remplacer le slogan

« Socialismo es libertad » par le slogan « Socialismo es corrupci6n »11 C'est dans de contexte que s'inscrit ce premier dessin, publié à la une. José Maria Aznar donne une conférence de presse et lance : « i El tema es muy grave ! Todo lo que chupan los socialistas lo tendriamos que chupar nosostros. » La dérision est accentuée par un surtitre faussement nostalgique : « Con Franco se disimulaba mas ». On note la coprésence de la référence à Franco (linguistique dans le cas présent) et de la référence à Aznar. C'est naturellement que le lecteur fait le lien entre les deux personnages. Aznar apparaît en costume, sans yeux ni lèvre supérieure. Le visage se compose de quatre masses sombres, les cheveux, les sourcils et surtout la moustache, ses incisives supérieures sont exagérément grossies alors que le nez et les yeux subissent un traitement

lO Berceau des JONS (Juntas Ofensivas Nacionales Sindicalistas), patrie de Onésimo Redonda .. , d'où le surnom de Fachadolid.

11 Javier TusELL, El Gobierno de Aznar, Balance de una gestion, 1996-2000, p.191.

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inverse. C'est un trait que l'on retrouvera fréquemment : les yeux sont atrophiés et disparaissent du visage. Une certaine sévérité se dégage de ce visage qui est marqué par un rictus, une sorte de sourire crispé.

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Au final, le visage fermé, le doigt levé, qui fait la leçon, et le costume strict donnent une image plutôt austère du personnage. C'est l'ex opositor (candidat à un concours), l'inspecteur des impôts qui ressort. Le personnage manque encore de consistance. Il faut noter également le dépouillement de cette image. Seules la chemise à rayures bleues et la cravate évoquent des images précédentes de Manuel Fraga. Le texte sert de base et l'idée est simple, se moquer d'Aznar qui attaque Felipe Gonzalez sur le terrain de la corruption en lui rappelant que la corruption n'a pas été inventée par les socialistes. Le raccourci montre que le journal n'accorde aucun crédit aux discours d'Aznar et que le donneur de leçon au doigt levé, n'apportera rien sur ce plan-là.

Les moustaches d'Aznar ont aussi fait couler beaucoup d'encre. Cet attribut pileux peut sembler archaïque à la fin du xxe siècle, au début du xxre. Rares sont les leaders politiques à continuer à les porter. Si on pense aux moustachus de l'histoire politique, on pense à Staline, à Hitler, plus récemment à Sadam Hussein, et pour l'Espagne à Franco voire à Tejero, des militaires ou des dirigeants autoritaires. La barbe symbolise traditionnellement la virilité, le courage, la sagesse ... La moustache, quant à elle, peut apparaître comme une forme de vestige de cette tradition. Pour ce qui est d'Aznar, les dessinateurs de El Jueves ont beaucoup joué avec cette particularité. Au point de donner pour titre au numéro spécial faisant le bilan des années Aznar : « Ocho anos de bigotes ». Un autre moustachu célèbre est parfois évoqué dans El Jueves. Il s'agit de Charlie Chaplin. Hormis une certaine ressemblance physique, on peut

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se poser la question du lien entre les deux personnages. Peut-être cette association tient-elle au film, Le dictateur. On peut trouver d'ailleurs un dessin saisissant où l'on retrouve le personnage d'Aznar, dansant en uniforme orné de deux croix juxtaposées et faisant tourner sur son doigt une sphère représentant le globe terrestre (n°1231). Il s'agit bien d'une évocation de la fameuse scène du film de Chaplin et le lien évident avec Hitler n'échappera

à

personne. Il y a donc indéniablement dans la mise en valeur de cet attribut un renvoi à l'autoritarisme. La moustache peut aussi apparaître comme un masque, elle cache partiellement le visage. Aznar est peut-être aussi celui qui avance masqué, qui cache sa véritable nature, son véritable visage.

On verra par la suite de nombreux dessins faisant référence à la corruption en général, et au Parti Populaire en particulier, par exemple, à l'affaire Gescartera. Parfois, ce thème sera traité de façon nettement humoristique, avec un José Marfa Aznar impatient en 1993 sous les traits de Dracula, qui déclare: « Ahora me toca chupar a mf » (n°819). Parfois, ce thème est traité de façon scatologique. Ainsi, par exemple, peut-on voir à la une un essaim de mouches dont certaines ressemblent étrangement aux leaders de l'époque, survolant d'un air gourmand un énorme étron, sous le titre « Mierda de pafs » (n°923). Il est à noter que sur ce terrain, les dessinateurs de El Jueves semblent renvoyer dos à dos les socialistes et les membres du PP. Au-delà de la régression infantile, l'utilisation de la référence scatologique révèle également, de façon quelque peu paradoxale, la dimension moralisatrice de ces dessinateurs.

Dans le combat de José Marfa Aznar contre Felipe Gonzalez pour la conquête du pouvoir entre 1992 et 1996 on verra dans les pages de El Jueves de nombreux dessins exprimant la violence. On remarque ainsi notamment la coprésence fréquente d'armes dans les dessins où apparaît José Marfa Aznar. La virulence, l'agressivité du leader du PP par rapport à Felipe Gonzalez avant les élections de 1993 et 1996 peuvent expliquer cela, mais on peut y voir aussi un rappel du lien existant avec les putschistes. Le détournement de la célèbre

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petite phrase « Vayase seifor Gonzalez » placée dans la bouche d'un Tejero/Aznar l'associe de fait au putschiste et cet impératif rejoint celui employé le 23 février 1981 par Tejero, qui ordonnait aux députés de s'asseoir, ajoutant le même juron ( « cofïo » ). Aznar est alors le candidat aux élections législatives et il est douteux que cette association renforce son image de démocrate centriste.

C'est donc bien une attaque contre lui. L'attitude d'Aznar réclamant le départ de Gonzalez est présentée comme pseudo-putschiste, et l'atténuation qu'apporte l'arme inoffensive (un pistolet à bouchon) souligne peut-être l'impuissance du protagoniste, équipé d'une arme d'enfant. Curieusement, Aznar apparaîtra souvent représenté dans des attitudes agressives, plus ou moins contredites par des détails ridicules qui en minimisent la portée.

Figure 74 Pasaremos, El Jueves, no 831, 24 avril 1993

En 1996, sentant la défaite proche, Felipe Gonzalez réactualise le slogan

« No pasaran »12. Cette formule joue sur la peur et l'histoire : voter pour le PSOE devient ainsi un acte assimilable à la défense de Madrid contre les troupes franquistes pendant la guerre civile. C'est le même ressort qui est utilisé par Kim dans le poster « Pasaremos » du mois de juin 1993, sur le plan humoristique. Le dessinateur met en relief par une série d'attributs le lien existant entre ce passé et le leader du PP. Kim (Joaquim Aubert) fait partie des anciens de El Jueves.

C'est le créateur du personnage de Martfnez el facha. En spécialiste, il multiplie les attributs associés à José Marfa Aznar. Il surcharge son dessin de références à Franco, la Phalange, Manuel Fraga, (une photo dédicacée « Para mi cachorro, Manuel Fraga » ), la censure (les ciseaux ... ), au nazisme (croix gammée sur le casque allemand de la seconde guerre mondiale). Difficile d'apparaître comme centriste avec un tel équipement. On remarque, par ailleurs, plusieurs

12 Victor PÉREZ-DiAZ, Espaiia puesta a prueba, 1976-1996, p.173-174.

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anachronismes, différentes époques se mêlent. Le lieu semble être une tranchée, avec sacs de sable, un abri avant l'assaut. Dans ce contexte, la télévision peut aussi apparaître comme une arme. Le symbole socialiste (le poing et la rose) servant de cible pour jouer aux fléchettes, rappelle qui est l'ennemi. L'équipement militaire du personnage est un peu disparate mais il apparaît clairement que José Marfa Aznar est représenté en simple soldat. C'est un combattant, mais pas vraiment un chef. On note également l'utilisation récurrente de la phraséologie franquiste en marge des dessins, qui peut, elle aussi, servir de marqueur et permettre de dénoncer le pseudo-centrisme de José Marfa Aznar. Par exemple, lors de l'anniversaire de l'arrivée au pouvoir du PP, El Jueves, à la manière des journaux sous Franco, glisse un bandeau : « 2° Ano triunfal ». Cette coprésence du discours et de l'image évoque la presse des années 1940-1950 et la propagande omniprésente. Le leader du PP est clairement pointé du doigt et le slogan « Pasaremos » ainsi que la kyrielle de symboles présents dans l'image ne laissent aucune ambiguïté sur l'origine de sa formation.

Figure 75. Aznar Travesti, El Jueves, n°981, 13 mars 1996

Quand José Marfa Aznar gagne enfin les élections en 1996, sa victoire est une victoire tronquée. Pour pouvoir gouverner, il se voit obligé de composer avec les nationalistes, notamment avec Jordi Pujol, le leader de CiU. L'écrivain' Manuel Vazquez Montalban s'amuse de ce qu'il appelle « los tradicicionales lazos de enemistad13 » en soulignant tout ce qui sépare les deux hommes. La situation amuse visiblement beaucoup également la rédaction de El Jueves, installée à Barcelone. Le leader du PP, après les commentaires peu amènes qu'il avait formulés sur la personne de Jordi Pujol, déclare qu'il parle le catalan dans l'intimité ... À la une de El Jueves, on le voit en tenue de supporter du Barça ou

l3 El Pafs semanal, 28 avril 1996.

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en fiancé de Pujol. .. On trouve même un pastiche du Kamasutra montrant les relations des deux hommes. Parmi les nombreuses images possibles illustrant cet aspect, c'est l'image de José Maria Aznar en supporter du Barça que nous avons choisi de commenter (ce dessin n'est pas signé). Le personnage se trouve dans ce qui semble être un bureau esquissé en fond, il porte un costume cravate, sur lequel il a passé un maillot de football. Ici le raccourci visuel est saisissant. Le célèbre maillot rouge et bleu sur les épaules du leader du PP semble saugrenu. Le contentieux « footballistique » entre le Real Madrid et le Barça est bien connu. Manuel Vazquez Montalban y faisait d'ailleurs référence dans l'article mentionné. Il y a eu dans le passé l'affaire Di Stefano, plus récemment l'affaire Figo ... Le football fait partie de l'identité nationale et c'est aussi un marqueur politique fort. Le titre, « Aznar se hace travesti », souligne le caractère factice de sa tenue. Même affublé de la sorte, il reste José Maria Aznar, le leader du PP. C'est aussi une façon de pointer du doigt un mensonge évident. Notre homme porte aussi le « gorro » catalan et on voit à ses pieds un

« porr6n ». L'accumulation de symboles catalans s'explique par les bulles : il attend Jordi Pujol, et se catalanise pour l'occasion. L'heure n'est plus aux slogans agressifs du type « Pujol, enano, habla castellano », bien au contraire.

Le vent a tourné, ce qui explique les gouttes de sueur sur le visage de José Maria Aznar, obligé de s'entendre avec celui qu'il vilipendait quelques jours plus tôt. Le thème de la soumission reviendra plusieurs fois. Quand en 2000 il obtiendra enfin la majorité absolue, il sera représenté, braguette ouverte, prêt à uriner, chantonnant « Jordi ... », comme s'il s'apprêtait à compisser le pacte, voire Jordi Pujol lui-même ... C'est donc la fin d'une relation pesante qui est représentée. Ce dessin est le pendant de la série de ceux qui illustraient le mariage de la carpe et du lapin que semblait être l'union de MM. Aznar et Pujol.

Figure 76. Aznarlandia, El Jueves 1138, 17 mars 1999

Une fois aux commandes de l'État, José Maria Aznar se plait à affirmer :

« Espana va bien ». Au cours de l'année 1998, cette petite phrase apparaît quatre fois à la une de El Jueves, dont une fois dans la bouche d'un Aznar

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euphorique, en érection, affirmant « Espana va de puta madre », alors que le sous-titre vante un médicament miracle contre l'impuissance. Sur le même thème, on le voit aussi sous les traits d'un enfant moustachu, associé visuellement à trois personnages ravis représentant la bourgeoisie, l'armée et l'église (n°1086). Courant 1999, il apparaît à la une en fée clochette, sur fond bleu représentant un château qui sert de présentation aux films de Walt Disney depuis quelques années. Ce dessin est signé Maikel, (Miguel Ângel Garda Laparra, né en 1961), auteur notamment de la série Seguridasosia. Le titre indique « Amigos, esto es Aznarlandia », c'est la fin de la troisième année de gouvernement du PP. Aznarlandia, c'est la version espagnole de Disneyland, de Wonderland, un monde merveilleux ... Le personnage d'Aznar apparaît avec un sourire qui se veut engageant et il ajoute : « Un mundo magico de luz y de color ». La baguette magique de la fée semble transformer la réalité. La tête hypertrophiée d'Aznar et son corps, bien peu compatibles avec le rôle de la fée évoquée, apportent un démenti et indiquent que tout ceci n'est que tromperie.

Sous des dehors innocents, cette image évoque bel et bien la propagande telle qu'elle existait du temps de Franco. Niant la réalité des faits elle assénait sans vergogne les plus énormes contrevérités. Manuel Vazquez Montalban parle lui de

« no-verdad ». L'affirmation « Espana va bien >> masque en fait des réalités peu reluisantes. Le mensonge sera, lui aussi, un thème récurent, avec pour derniers exemples, les armes de destruction massive en Irak et la responsabilité d'ETA dans l'attentat du 11 mars.

Nombreux sont les dessinateurs de El Jueves à avoir représenté le leader du PP. Chacun a interprété et développé le personnage à sa façon, parcourant I'« aznaridad » que décrit Manuel Vazquez Montalban. Les charges contre le leader du PP sont fréquentes. On remarque notamment que les caricaturistes ont souligné de façon insistante l'existence d'une certaine continuité entre José Marfa Aznar et Francisco Franco. Dans ce cas, le message est clair, les dessinateurs battent en brèche sa stratégie centriste et le démasquent. Dans les dessins de El Jueves, le mensonge est un des axes qui permettent de comprendre la trajectoire de cet homme. Manuel Vazquez Montalban s'interrogeait ainsi à ce propos : « L Qué sentido tiene la palabra mentira para un estadista que ha comenzado su gobierno asegurando que hablaba catalan en la intimidad y casi la termina pidiéndole al periodista que le interroga que confie en la veracidad de su afirmaci6n de que Irak dispone de armas de destrucci6n masiva ? »

À n'en pas douter, la caricature est beaucoup plus qu'un simple divertissement, c'est un acte politique qui prend une forme particulière, le dessin, pour le cas qui nous intéresse. À l'occasion des élections aux États-Unis, un journaliste du journal Le Monde citait un spécialiste américain de la télévision populaire : « Quand elle est bien faite, la satire peut devenir le contrepoids du journalisme [ ... ], comme le journalisme est le contrepoids du gouvernement14. » Il ajoutait par la suite une perspective intéressante : « Les émissions satiriques ne produisent pas leurs propres informations nouvelles, mais influent sur la façon dont celles des autres sont reçues. » Ces notions de pouvoir, contrepouvoir, contrepoids et réception permettent de comprendre que les caricatures offrent une lecture alternative des événements. En fait, le lecteur cherche une analyse plus décapante, plus crue, une représentation des choses

14 Le Monde, 15 octobre 2004.

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François MALVEILLE

et des gens qui utilise le vecteur de l'humour pour retrouver la verdeur, l'agressivité, la violence parfois, qui ont pratiquement disparu aujourd'hui dans la presse traditionnelle. Dans une société marquée majoritairement par le principe de modération, cette irrévérence apparaît comme un sursaut vital. Ce que l'on appelle le mauvais goût, par opposition au supposé « bon goût », est donc aussi un acte politique, un rejet d'une norme qui repose sur une hiérarchie sociale. Cette verdeur peut donc aussi être analysée sous un angle politique.

Face à la tendance hagiographique qui anime quelques journalistes, qui sacralisent volontiers certains acteurs comme José Marfa Aznar15, El Jueves prend le contrepied et se montre volontiers blasphématoire. Il semble rechercher avec une certaine gourmandise la réprobation de ses détracteurs. En fait, la caricature apparaît comme une figure en tension entre politique et morale. Cependant, la morale n'est pas absente de ces dessins. Lorsqu'ils dénoncent la corruption, le mensonge ... , il y a bien une dimension éthique. La morale rejetée est en réalité la morale bourgeoise, c'est la censure d'autrefois qui n'a plus force de loi, et les dessins de El Jueves sont autant de pieds de nez à cet ordre révolu. Ce qui était sacré devient risible, ce qui imposait le respect devient ridicule, c'est bien une inversion carnavalesque qui se produit dans les pages de El Jueves. Le pouvoir se trouve confronté à un acteur qui contredit par ces facéties les discours officiels. Mais quand le sourire du lecteur a disparu, sa lecture des événements n'est plus tout à fait la même. La proposition de lecture faite par les caricaturistes a pu faire mouche, ce qui modifie parfois profondément l'opinion des lecteurs. Les attaques contre José Marfa Aznar n'ont donc rien d'anodin ou de simplement plaisant. Elles altèrent l'image du pouvoir, elles propose une grille de lecture des événements susceptible de modifier le comportement de citoyens. Représenter le pouvoir par le dessin, c'est lui faire perdre le contrôle d'une image qu'il aimerait maîtriser. Un bon mot, un bon dessin sont, en somme, comme des pavés lancés contre le pouvoir et ses mensonges.

15 Manuel VÂZQUEZ MONTALBÂN, La Aznaridad, p.13-15.

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