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Géographie Économie Société: Article pp.121-140 of Vol.9 n°2 (2007)

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Géographie, économie, Société 9 (2007) 121-140

GÏOGRAPHIE ÏCONOMIE SOCIÏTÏ GÏOGRAPHIE ÏCONOMIE SOCIÏTÏ

Les conflits d’environnement : entre sites et réserves

Anthropological Nature of Environnemental Conflicts

Lucie Dupré

INRA-SAE2 (mona)

65, avenue de Brandebourg 94205 Ivry sur Seine Cedex

Résumé

Cet article s’interroge sur les conflits liés à la mise en œuvre des politiques d’environnement dans les espaces ruraux. Il traite de deux formes contrastées de protection de l’environnement.

La première (Réserve Biologique Forestière Intégrale) est de type sanctuariste, donc incompa- tible avec des activités humaines ordinaires, tandis que l’autre (issue de la directive Habitats) procède d’une démarche de concertation et n’exclut pas la présence humaine. L’intérêt de ces deux situations est qu’aucune espèce de faune ou de flore emblématique n’est réellement mise en cause, ce qui invite à chercher ailleurs les raisons des conflits qui s’y déploient, à la base de dynamiques particulièrement structurantes pour les territoires ruraux. Fondée sur une démarche et une documentation ethnographiques, la réflexion montre que ces conflits d’environnement amènent autant les collectifs à redéfinir leurs relations aux ressources et aux espaces naturels qu’à ajuster les rapports sociaux faits d’autorité, de concurrence, et/ou de complémentarité, qu’ils entretiennent les uns avec les autres. On montre en quoi la nature anthropologique des conflits d’environnement tient avant tout à la façon dont ces groupes veillent à assurer leur pérennité dans l’espace et dans le temps.

© 2007 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

*Adresse email : dupre@ivry.inra.fr

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Summary

This article deals with conflicts related to the implementation of the policies of environment in the rural areas. It concerns two contrasted forms of environmental protection. The first one (Integral Forest Biological Reserve) is of sanctuarist type, therefore incompatible with human activities, while the second one (resulting from the Habitats directive) proceeds of a step of dialogue and does not exclude the human presence. These two situations are interesting because no emblematic species of fauna or of flora is really pointed out, which invites to seek elsewhere the reasons of the conflicts which are spread there, at the base of dynamic particularly structuring for the rural territories. Based on an ethnographic step, the reflexion shows that these conflicts of environment lead the collectives to redefine their relations with the resources and natural spaces and so doing, to adjust the social relationships (made of authority, competition, and/or association) that they maintain the ones with the others. It is shown there that the anthropological nature of the conflicts of environment is due above all to the way in which the collectives take care to ensure their perenniality in space and time.

© 2007 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Mots clés : environnement, politiques publiques, espace naturel, conflits, directive Habitats, Réserve biologique forestière intégrale, Réserve biologique forestière dirigée, Monts du Pilat, Vosges du Nord, friches, maîtrise foncière.

Keywords: Environment, public policies, natural area, conflict, directing Habitats, integral forest biological Reserve, Mounts of Pilat, the Vosges of North, waste lands, territory, land control.

1. Introduction

« Le service environnement, c’est le service politique où l’on gère les conflits », résumait sans détour le chargé de mission du service environnement d’une Direction Départementale de l’Agriculture et de la Forêt (DDAF), que je venais rencontrer dans le cadre d’une enquête consacrée à la mise en œuvre de la directive Habitats (Dupré 2004a). Et de préciser la carte de visite de son service logé – c’est bien ce qui est intéressant ici – au sein d’une administration dédiée avant tout aux affaires agricoles, en énumérant les causes et objets de conflits que son service était amené à trancher : « Etangs : conflits ! Gestion de l’eau : conflits ; Natura 2000 : conflits ; Chasse : conflits ; Cormorans : conflits » … Environnement semble donc rimer avec conflits et les exemples ne manquent pas qui viennent le confirmer. On pense bien sûr aux débats autour des décharges, dépôts d’ordures, tracés d’autoroute et autres implantations d’usines ou de stockage de déchets assortis d’effets NYMBY. Mais d’autres sortes de conflits peuvent prendre corps notamment dans la mise en oeuvre des politiques publiques visant par exemple la protection d’une espèce floristique ou faunistique ou d’un espace naturel, à l’instar des situations qu’on va examiner. En prenant appui sur deux études de cas visant des types de protection contrastés liés à deux formes de protection de la nature, on cherche ici à comprendre la nature de ces conflits et leur place dans les dynamiques structurant les territoires ruraux, que la mise en œuvre des politiques d’environnement contribue largement à réorienter.

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La première étude de cas est située dans le Parc Naturel Régional des Vosges du Nord 1. Il s’agit d’une aulnaie marécageuse domaniale de treize hectares, gérée par l’Office National des Forêts (ONF), labellisée Réserve Biologique Forestière Intégrale (RBFI). De telles réserves ont vocation à « laisser libre cours à la dynamique spontanée des habitats [natu- rels], aux fins d’études et de connaissance des processus impliqués, ainsi que de conserva- tion ou développement de la biodiversité associée ». De fait, les seules actions autorisées sont la sécurisation du site, et notamment celle du public lorsque celui-ci est possible. La seconde étude de cas est liée à la mise en œuvre de la directive Habitats 2dans la Loire.

Loin de procéder de façon sanctuariste, la directive Habitats vise à constituer un réseau de sites, dits « site Natura 2000 », en s’appuyant sur une démarche participative impliquant la concertation avec des acteurs locaux. Le site Natura 2000 en question est situé dans un autre PNR, celui du Pilat. Il s’agit d’un ancien plateau d’estive de 350 hectares engagé dans une dynamique simultanée de reconquête agricole et de protection de l’environne- ment. Alors que le premier cas illustre en tous points une situation de concurrence entre protection de la nature et activités humaines, le second, au contraire, relève d’un travail de coordination et d’ajustement entre plusieurs collectifs engagés dans la pratique d’un même espace. Dans les deux cas, des conflits existent, bien que leur manifestation et leurs caractéristiques soient très différentes. C’est de ce contraste qu’a procédé un certain étonnement à l’origine de cet article. En effet, avec l’aulnaie marécageuse, le conflit était attendu et clairement identifié – jusqu’à devenir même pour le PNR des Vosges du Nord, l’un des mobiles du recours à l’ethnologue 3. Dans l’autre cas au contraire, tout paraissait calme et sans remous et ce n’était d’ailleurs pas autour des conflits que la recherche devait s’engager. Rapidement, il s’est avéré que cette tranquillité n’était que d’apparence et que les conflits y étaient bien réels, mais de toute autre nature. Après avoir documenté ethno- graphiquement ces situations, je reviendrai sur deux enjeux anthropologiques cristallisés dans ces conflits d’environnement.

2. Mettre une friche en réserve : une double exclusion de l’homme

La vallée de la Zinsel du Nord coule entre Moselle et Bas-Rhin, entre Lorraine et Alsace.

On s’intéresse à la partie située entre Mouterhouse et Zinwiller, village en amont duquel s’étend l’aulnaie marécageuse (voir carte en annexe). Avant de revenir sur la situation induite par le classement, on présentera quelques éléments de l’histoire économique de cette vallée afin de mieux comprendre de quoi est fait aujourd’hui ce que j’ai appelé « le scandale anthropologique » de l’aulnaie marécageuse. De la conquête industrielle et agricole à la déprise, à partir des années 1960, de ce territoire aujourd’hui confronté au développement de friches, c’est un rapport historique de domination de la nature et des ressources naturelles qui s’est imposé dans la culture locale (Dupré, 2004a). L’histoire économique et sociale de

1 Le PNR des Vosges du Nord est situé non pas dans le département des Vosges comme son nom pourrait le laisser penser, mais à cheval entre le département de la Moselle et celui du Bas-Rhin. Il se situe au nord de Metz et à l’ouest de Strasbourg et s’étend jusqu’à la frontière allemande (cf carte en annexe).

2 La directive Habitats faune flore sauvages est mise en place à partir de 1992. Pour connaître plus en détails la mise en œuvre de cette procédure, on se reportera à Pinton (coord) et al. 2006.

3 Les éléments mobilisés ici sont issus d’une étude commanditée par le PNR des Vosges du Nord effectuée en 2000-2001.

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ce territoire repose en effet sur une continuité d’efforts accomplis sur plusieurs siècles pour maîtriser et exploiter les ressources naturelles et combattre ainsi son caractère inhospitalier, voire hostile. L’eau y occupe une place importante et ambivalente : ressource capitale au service de l’économie industrielle locale, elle est aussi redoutée.

Le petit méandre historique proposé maintenant est destiné à éclairer avec plus d’acuité le rapport contemporain à l’aulnaie marécageuse, zone humide remarquable par excel- lence qui fédère l’intérêt de toute la communauté naturaliste. Une aulnaie marécageuse se développe dans les fonds d’une vallée engorgée en permanence ou en queue d’étang.

C’est un habitat naturel intéressant non seulement du point de vue de sa faune (oiseaux) et de sa flore (calla des marais, fougère des marais), mais également du point de vue de sa dynamique écologique résultant d’un enfrichement naturel qui aurait atteint un état clima- cique 4. En tant que zone humide produit exemplaire de la déprise agricole du territoire, sa valorisation et plus encore, sa mise en réserve apparaissent, comme on le verra, notam- ment pour les pêcheurs qui la pratiquaient, comme un véritable scandale anthropologique.

Car reconnaître une valeur écologique à l’aunaie est une chose, lui accorder une mesure de protection – qui plus est lorsqu’elle passe par l’exclusion de ses usagers ordinaires et (ou devenus) légitimes – devient alors pour les pêcheurs une façon pour le moins brutale de dénier le travail que les générations passées ont accompli pour rendre cette vallée salu- bre et habitable. C’est dans ce sens qu’on parle de scandale anthropologique, lequel reste vif même s’il ne concerne qu’une communauté restreinte.

2.1. Un rapport historique de domination des ressources naturelles

La co-présence de grès très ferrugineux, d’un réseau hydraulique dense et de ressour- ces forestières abondantes a constitué un attrait majeur pour les industriels métallurgistes venus s’installer dans la vallée de la Zinsel du Nord, dans la première moitié du 17e siècle, particulièrement à Mouterhouse. L’invasion suédoise qui a transformé le pays de Bitche en un « vaste désert où l’on rencontre plus de bêtes fauves que d’hommes » (Marquis de Rombelle, cité par l’Abbé Waldock, 1907, p. 348) interrompt brutalement ce premier élan, repris par la suite sous Louis XIV. Celui-ci met en place une politique très incitative pour repeupler le pays de Bitche, dans lequel se situe la vallée, et faciliter l’installation humaine nécessaire à la maîtrise du milieu naturel comme à l’industrie renaissante. Le rétablisse- ment des forges de Mouterhouse, qui avaient été détruites par les Suédois, a semble-t-il été la solution à la revitalisation de ce territoire dont l’essor a été largement soutenu de façon continue jusqu’au XIXe siècle. Tout au long de la Zinsel, scieries, moulins, ponts et écluses témoignent de l’importance stratégique de la rivière et de son rôle structurant dans la vie économique de cet étroit territoire pris entre ses versants boisés. L’extension des villages suite à l’expansion des activités sidérurgiques s’est accompagnée d’un travail considérable qui caractérise le milieu du XIXe siècle, visant à assainir le milieu pour le rendre plus salubre et maintenir sur place la main d’œuvre des usines. L’objectif principal

4 Le climax est le dernier stade de l’évolution d’un milieu. Il fait suite à la colonisation d’un habitat par des espèces pionnières, qui évolue vers un état où certaines espèces dominent successivement avant d’entrer dans cette période d’équilibre relatif. Le climax est caractérisé par l’existence d’espèces susceptibles de se reproduire et de prospérer indéfiniment dans le même écosystème tant que celui-ci ne subit pas d’importantes transforma- tions (d’après le lexique de l’ IFREMER).

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était bien celui du siècle, ici comme ailleurs : la lutte contre « l’atmosphère chargée de toutes sortes de substances inquiétantes exhalées par la terre, les combustions, les eaux croupissantes, les corps malades et les matières en décomposition » (Delort, Walter, 2001, p. 283). La « Fièvre des marais », probablement une sorte de paludisme, est attestée dans la vallée en 1833 où elle provoque plusieurs décès (Waldock, op. cit.). L’assèchement des marécages et des étangs combiné aux éclaircies dans le massif forestier, qui tenaient lieu de véritables « tranchées sanitaires » laissant circuler l’air et permettant l’évacuation des miasmes, sont les grands travaux de ce siècle entrepris par certains industriels locaux.

L’un d’eux, Jean-Guillaume Goldenberg dont la pierre tombale est conservée au village de Baerenthal, est encore célébré aujourd’hui (Dupré, 2005).

Cette économie locale a consacré le statut d’ouvrier-paysan. Le système des prairies à ados, permettant par des canaux d’amenée d’eau, l’irrigation et le drainage des terrains riverains, a été jusque dans les années 1950 le seul moyen de mettre en valeur ces terres humides et de procurer des ressources fourragères pour la vache ou la chèvre, « vache du pauvre » que chacun entretenait. Travaux d’irrigation, entretien annuel des rigoles et des prises d’eau sur la Zinsel, fenaison deux, voire trois fois l’an, arrachage des chardons et des plantes indésirables permettaient d’assurer chaque année, au prix d’un labeur certain, la nourriture des bêtes. La Guerre de 1870, puis la Seconde Guerre Mondiale portent atteinte violemment à la vitalité de ce territoire qui connaît un dernier sursaut dans la période de l’Après-guerre – reconstruction oblige car ici les dégâts de prairies et de bâti- ments ont été grands. Les années 1970 voient ensuite la vallée s’ouvrir à une période de déprise marquée notamment par la vente progressive des grands domaines industriels.

L’évolution de l’économie agricole mais aussi des techniques forestières y ont contribué : les chevaux de débardage sont mis à la retraite, ce qui a amoindri encore davantage le cheptel de la vallée. L’entretien minutieux des parcelles humides, qu’il s’agisse des pâtura- ges et des prés de fauche, est devenu de moins en moins nécessaire. Les quelques terrains constructibles se vendent à des Strasbourgeois qui construisent à la hâte des résidences secondaires jamais réellement habitées. D’autres, rachetés par la mairie de Baerenthal, accueillent des bovins rustiques de race Highland cattle chargés de contenir la végétation dans le cadre d’une politique de Gestion Ecologique des Friches (GEF), mise en place par le PNR des Vosges du Nord. D’autres parcelles encore sont laissées à la friche. Parmi ces dernières, près de Zinswiller, en bout de vallée, une propriété domaniale sise en bordure de rivière : un pré de service destiné au milieu du siècle dernier à l’entretien des chevaux de débardage de l’ONF. Ce pré, sous l’effet conjugué de l’ensablement du cours d’eau 5 et de l’ensemencement d’aulnes glutineux, est devenu l’aulnaie marécageuse dont il va maintenant être question.

2.2. Le scandale anthropologique de l’aulnaie marécageuse

La zone de l’aulnaie s’étend sur 13 hectares, en bout de vallée de la Zinsel, de part et d’autre du cours d’eau, juste avant le village de Zinswiller. Elle apparaît comme « l’en- vers » d’un paysage culturellement valorisé qui s’étend de l’autre côté du village : le piémont alsacien ouvert et ponctué de vergers. Territoire délaissé, l’aulnaie a même, dans

5 L’érosion des pentes est forte car le grés est très friable.

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ses marges, servi de décharge sauvage dans les années 1960. Aujourd’hui, elle est essen- tiellement fréquentée par quelques promeneurs arpentant la piste forestière qui la longe, des naturalistes et il y a peu encore, des pêcheurs. En tant que zone humide, elle supporte en les rendant encore plus acérées, toutes les critiques formulées à l’encontre des parcel- les enfrichées de la vallée, lesquelles suscitent sans équivoque les mêmes craintes qu’au XiXe siècle. Sensation d’étouffement, manque de clarté, mauvaise circulation de l’air, menace des eaux mortes, voire malsaines, cycle végétal ininterrompu accentuent le carac- tère inhospitalier de ce milieu, pour les hommes et les bêtes. Car ici, la valorisation éco- logique du site est reçue comme une sorte d’éloge de la déprise. Le maire de Zinswiller conteste, et met avant d’autres arguments, économiques :

« Une vallée, il faut qu’elle respire. Elle a besoin de soleil. Ici, c’est tout inondé. La Zinsel est ensablée, ça fait remonter le cours de l’eau. Et puis, c’est pas vif en poisson. Depuis 6, 7 ans, les truites et les truitelles, il n’y en a plus. Les truites naturelles ont disparu. On ne trouve que quelques brochets et des poissons blancs. Moi, j’ai vu les prés de service entrete- nus. Il y avait des sauterelles, des poissons, de la fraye. On voyait jour dans cet endroit. On allait parfois s’y baigner. Qui veut se baigner sans un peu de soleil pour sécher ? Il faudrait faire comme à Baerenthal : tout ouvrir avec les Highland pour dégager la vallée. »

Et d’ajouter : « le naturel voudrait que les eaux ne soient pas bloquées, qu’elles puis- sent s’écouler », avant de lâcher, entre scandale et résignation : « si l’écologie, c’est de ne rien faire ! ». Autrement dit, la requalification écologique du site apparaît localement comme une forme d’anachronisme portant affront à des siècles d’histoire. Ce qui choque, c’est le choix imposé par « les écolos » de valoriser la perte de ce rapport de souverai- neté sur la nature et à la nature que l’histoire locale a contribué à ériger en norme. La politique de gestion des friches mise en place par le Parc ne concerne que les endroits les plus sensibles des fonds de vallée. Il s’agit d’une action de longue durée mais ponctuelle dans l’espace et que le Parc n’entend pas systématiser. Ne pas combattre la friche est une chose, certes contestée, débattue et réprouvée. Mais la célébrer et la magnifier en la met- tant en réserve, en est une autre qui accentue, pour les pêcheurs, le caractère difficilement acceptable de la mesure conservatoire. L’écologie apparaît ici comme un véritable geste d’exclusion de l’homme, au sens fort du terme (Larrère, 1991).

Les conflits autour de l’aulnaie n’expriment pas seulement le décalage incommen- surable entre, d’un côté, un point de vue local, historiquement constitué et lié à une culture d’intervention sur les ressources naturelles, et de l’autre, un point de vue consi- déré à la fois comme étranger à la vallée et bien trop contemporain pour se fondre dans cette culture locale en tant qu’il est interprété comme une sorte de provocation. Cette première cause de divergence est renforcée par une seconde qui tient, quant à elle, au sentiment de dépossession dont s’estiment particulièrement victimes les pêcheurs de Zinswiller. On l’a dit, ce sont les principaux usagers de ce site qui constituait la partie la plus intéressante des neuf kilomètres de linéaire que gère l’association. C’est donc sans surprise que les réactions sont vives :

« Là-derrière, c’est le coin du pêcheur naturaliste 6 qui va chercher le calme. Celui qui va se réfugier dans la nature pour se relaxer, pour se détresser, pour éviter la ville et tout ça. Il est bien, il est au frais, au milieu des oiseaux. C’est le plus bel endroit. Aller dans la

6 C’est moi qui souligne.

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nature, être tranquille. C’est pas le principe d’attraper des poissons. Là-bas, ça ne mord pas. Il faut les chercher les poissons dans la rivière. […] C’est un endroit magnifique, surtout pour les jeunes. Ils apprennent, ils se font la main. Le poisson, ils peuvent le voir.

Et puis, ils sont tranquilles. Un coup de vélo et ils y sont. »

Le discours est probablement poussé à l’extrême et la rhétorique de la perte et de la dépossession exacerbe les qualités du lieu. La « nature naturelle » (mais gérée par la société de pêche qui la domestique et la pacifie, ne serait-ce que symboliquement) est magnifiée. Sa perte – c’est-à-dire l’interdiction de pêche – n’en est que plus cruellement ressentie. Notons qu’elle est du reste explicitement liée à la non reproduction d’un collectif : faute de lieu d’apprentissage, les jeunes pêcheurs abandonneront la pratique et les générations ne seront pas renouvelées. Au-delà de ces conséquences à long terme, quelles sont les répercussions sociales immédiates de ce qui apparaît comme une dépossession ? Pour le responsable de l’association de pêche, le danger est clair :

« Je vais vous dire quelque chose : avec cette histoire, le braconnage va commencer.

Si plus personne n’est là pour surveiller… Si moi, je ne peux plus intervenir, si je perds mon rôle, la zone ne sera plus surveillée. Et là, les problèmes vont arriver. Il ne faut pas oublier que nous, les pêcheurs, on forme comme une chaîne. Même si je ne suis pas là tout de suite, si quelqu’un fait quelque chose qui n’est pas autorisé, je vais le savoir très vite. Et je vais intervenir. Les braconniers, ils savent qu’il n’y a plus personne qui passe.

Et puis là-bas, avec les arbres, on est bien protégé… »

De fait, l’endroit est vide d’hommes et le couvert végétal, faisant écran avec la route pourtant toute proche, peut très bien encourager les tentatives de braconnage. Mais l’homme semble aller encore plus loin : il insiste sur le fait que les pêcheurs, par l’auto-contrôle qu’ils exercent les uns sur les autres, garantissent le respect du règlement de pêche, et par-là celui de la « nature proche », prévu d’ailleurs dans les textes de l’association. C’est-à-dire que, selon eux, leur seule présence permettrait de désamorcer, d’une façon plus générale, les éventuelles dégradations du milieu. Exerçant leur surveillance sur cette portion de la rivière, ils estiment contribuer à une certaine forme implicite mais néanmoins efficace de contrôle social sur les pratiques qui s’y déploient. De fait, ayant été privés de l’exercice de ce contrôle – ainsi dévolu au seul Office et à ses gardes assermentés – les pêcheurs et leurs représentants se voient retirer non seulement leur droit de pêche mais également ce qu’ils considèrent comme leur devoir de respecter et faire respecter l’environnement.

Cette divergence de points de vue est le produit de la confrontation entre deux défi- nitions contradictoires de l’environnement dont découlent des pratiques et des usages différenciés du lieu. Or les modalités de pratique du lieu sont directement liées à la dési- gnation des collectifs dotés d’une légitimité à agir (en l’occurrence, à ne pas agir) sur ce site. Il ne s’agit pas ici d’effectuer des arbitrages et des ajustements entre ses différents utilisateurs légitimes du site – comme ce sera le cas dans le second exemple. Le conflit réside au contraire dans le fait qu’un seul et unique collectif (l’ONF donc) a été désigné à l’exclusion d’un autre, l’association de pêche. Le scandale anthropologique vient de cette décision qui, dans l’interprétation qui en est faite localement, va au-delà de la confiscation et du transfert de compétence : il s’agit en effet d’inverser complètement ce rapport à la nature, et de valoriser désormais l’abandon du site, là où les pêcheurs en revendiquaient

« l’entretien ». De plus, l’ONF détient le monopole de cette légitimité en tant que gestion- naire et propriétaire de l’aulnaie. Or « l’Office » est une institution locale très présente

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et depuis longtemps, dans ces territoires où lorsqu’on n’était pas ouvrier-paysan, on était bûcheron-paysan. La crise de légitimité que l’ONF traverse, notamment dans les départe- ments alsaciens, peut expliquer en partie sa réorientation vers des missions et des compé- tences liées à la conservation de la nature. Cette évolution récente mais significative – on en verra une autre illustration dans le second exemple – nourrit, auprès des communautés locales, un sentiment croissant d’étrangeté. L’Office devient étranger d’un autre point de vue également mis en avant, et qui tient à ses nouveaux modes de recrutement, lesquels conduisent à délaisser la main-d’œuvre locale, à laquelle la priorité était jusqu’il y a peu, accordée. De fait, privés de ces relations d’interconnaissance (Maget, 1955), les pêcheurs estiment qu’il n’est « plus possible de discuter ». Pour preuve, souligne-t-on, c’est par

« voie de courrier », c’est-à-dire par la voie administrative classique, que la nouvelle a été notifiée à l’association de pêche dont « les étangs sont à quelques mètres de la maison forestière », fait-on remarquer en substance.

Venons-en à notre seconde étude de cas dans le Parc Naturel Régional du Pilat cette fois-ci. Il s’agit d’un plateau d’estive de quelques 350 hectares culminant à 1200 mètres qui constitue le cœur d’un site Natura 2000 (composé par ailleurs de quelques satellites dont il n’est pas question ici), dominant l’agglomération de Saint-Étienne.

3. La directive Habitats ou la recombinaison de l’interface hommes / ressources naturelles

Dans ce second exemple, la configuration entre acteurs et ressources naturelles est tout à fait différente puisque elle voit converger un faisceau d’intérêts portés par les deux blocs qu’on oppose – peut-être de façon un peu rapide – classiquement : d’un côté, les « natura- listes » et de l’autre, les « autres acteurs » de ce territoire relativement petit 7. Le « dossier » environnemental de ce site ne met en cause aucune espèce notoirement emblématique, rare ou menacée : ni ours, ni loup, ni vipère d’Orsini pour susciter empoignades, polémiques et controverses. Tout au plus quelques pieds de drosera, paisiblement installés dans cette solitude ventée – et on l’a découvert par la suite, un captage d’eau potable. Ici donc, aucune sanctuarisation de la nature, bien au contraire. Et c’est même la difficulté, peut-être inat- tendue, puisque l’enjeu de ce site est bien avant tout lié à la réappropriation par différents collectifs d’un lieu dont les apparences laissaient penser, à tort, qu’il avait été déserté.

Chaussitre est un plateau composé de pelouses sub-montagnardes à myrtille et callune (habitat naturel prioritaire qui a contribué à justifier le classement), des landes monta- gnardes à genêt purgatif, des landes à genévrier commun, des pelouses à nard raide, des prairies à molinie et des prairies de fauche (voir carte en annexe). Six oiseaux mentionnés dans l’annexe I de la Directive “ Oiseaux ” ont été signalés : l’alouette lulu, la bondrée apivore, le busard Saint-Martin, le circaète Jean-le-blanc, l’engoulevent d’Europe et la pie grièche écorcheur. Ce site est un dossier bien connu du Parc naturel régional du Pilat, qui en est l’opérateur local dans le cadre de Natura 2000 depuis 1998. Mais le périple agri-environnemental n’a ici, comme en beaucoup d’autres lieux, pas commencé avec la directive Habitats. Ce projet est plutôt venu « naturellement » s’inscrire dans une histoire ouverte à l’orée des années 1990 sur l’initiative du PNR du Pilat.

7 Certains sites Natura 2000 peuvent atteindre plusieurs milliers d’hectares.

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3.1. Une succession de mesures de gestion : du paysage à la biodiversité

L’intérêt du PNR du Pilat pour Chaussitre est ancien puisque le site est déjà men- tionné dans sa toute première charte en 1974, bien avant toute montée en puissance des questions d’environnement en agriculture. Il n’est du reste pas explicitement question d’environnement mais d’un « site à préserver ». Un inventaire des ressources naturelles est effectué en 1982 à la demande du PNR. En 1989, la labellisation Zone Naturelle d’Intérêt Ecologique, Floristique, Faunistique (ZNIEFF) s’y appuie largement et pointe pour la première fois le caractère remarquable du site, labellisé peu de temps après Espaces Naturels Sensibles (ENS) par le Conseil général de la Loire. ENS et ZNIEFF ne valent pas protection réglementaire – le seul élément réglementaire tient à son clas- sement NDa au Plan d’Occupation des Sols 8. Au premier inventaire naturaliste en 1982, le plateau avait encore une vocation pastorale, réduite certes mais réelle 9 : un berger y faisait pâturer ses brebis. L’homme meurt quelques années plus tard et le plateau ne reverra plus de bêtes avant 1992, soit trois ans après le classement en ZNIEFF. A ce stade, le site accumule certes les distinctions écologiques mais aucune action de gestion n’a véritablement été entreprise. C’est en 1992, presque dix ans après la mort du dernier berger, que le projet de reconquête commence véritablement. Sa grande originalité est de mêler étroitement, sous la houlette du PNR, reconquête agricole et préservation de l’environnement. Comme on va le voir à présent, il est avant tout motivé par la ferme- ture paysagère qui se fait déjà sentir.

L’évolution de la végétation spontanée (envahissement par les fougères, colonisation ligneuse) menace les perspectives paysagères qui font l’intérêt de ce plateau. L’alerte est donnée et portée par les habitants de trois communes, appuyés et relayés par leurs élus.

Le PNR met en place un suivi photographique lequel, en 1990, confirme rapidement ces craintes. Cette veille offre des premiers éléments pour justifier l’intervention du Parc qui trouve l’occasion d’inscrire le dossier « Chaussitre » dans ses missions générales : pro- téger et valoriser le patrimoine naturel et culturel. Le PNR met en place un petit groupe de pilotage réunissant les agriculteurs, les élus des communes limitrophes ou/et concer- nées, le Conseil général et la DDAF. C’est finalement l’idée d’une reconquête pastorale du site qui est retenue 10, appuyée par le fait que les agriculteurs manquent de foncier dans cette zone devenue une extension résidentielle de Saint-Étienne. Or, l’un des critè- res d’éligibilité à la Prime au Maintien des Systèmes d’Elevage Extensif (PMSEE) dite

« prime à l’herbe » 11 est la charge animale à l’hectare. A défaut de réduire son cheptel, il faut gagner en foncier… et les nouveaux horizons promis par la reconquête du plateau viennent à point. A moins que ce ne soit l’inverse : la PMSEE qui vienne à point dans ce projet de réouverture paysagère du plateau. En 1996, elle est suivie, d’une Opération

8 Le POS n’existe plus, c’est aujourd’hui le Plan Local d’Urbanisme (PLU) qui s’y est substitué. En secteur Nda, toute nouvelle construction est interdite et les terrains sont protégés en raison du site, de l’intérêt représenté par la faune et la flore, ou de l’intérêt du paysage.

9 Une étude du Centre Permanent d’Initiatives pour l’Environnement (CPIE) des Monts du Pilat montre en effet que le pastoralisme décline dès la fin du XIXe siècle.

10 De façon étonnante, les premiers projets s’orientaient vers la mise en place d’un parc à bisons à vocation touristique.

11 La PMSEE est devenue en 2003 la Prime Herbagère Agri-Environnementale (PHAE).

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Locale Agri-Environnementale (OLAE) axée sur la valeur paysagère du site. Rappelons qu’aucune bataille d’espèce n’est notable dans ce site, chacun s’accommodant fort bien de la présence de l’alouette lulu et de la bondrée apivore, et réciproquement. Toutefois, la mise en place de la Directive Habitats et le retour des agriculteurs grâce à (ou en raison de) la PMSEE, évoquée localement comme « l’outil financier » de la première étape de la reconquête, ont fait de ce plateau endormi et déserté, un territoire convoité.

Aux prémisses de l’opération de reconquête, le plateau était un bien sectional, c’est-à- dire qu’il appartenait à une portion de territoire communal sur laquelle les habitants d’un hameau disposent d’une jouissance collective et dont ils sont propriétaires. Ce terrain sectional a été racheté au franc symbolique par la commune aux ayant-droits, laquelle commune en a confié la gestion à l’ONF peu de temps après que le PNR a été désigné opérateur local du site Natura 2000. Très rapidement, l’ONF décide de créer une Réserve Biologique Dirigée (RBD) qui se superpose à quelques ares près au site Natura 2000.

Contrairement à une Réserve biologique intégrale, la RBD n’est pas un geste d’exclu- sion : tous les actes de gestion y sont en revanche subordonnés à l’objectif de conserva- tion des habitats et des espèces ayant motivé sa création – en l’occurrence ceux-là même à l’origine du classement en site Natura 2000. L’intitulé exact est Réserve Biologique Forestière Dirigée, mais à la demande du PNR et étant donné l’absence de forêts sur le site, le terme « forestière » a été enlevé. La dynamique de reconquête a rendu visible, en les précipitant au sens chimique du terme, les jeux d’acteurs qui structuraient silen- cieusement le plateau. Et pour autant que l’objectif initial d’ouverture du paysage ait fait consensus, l’entreprise n’en a pas moins été exempte de difficultés.

3.2. Quand le lieu devient espace sous l’effet des pratiques

Le ressaisissement de Chaussitre est l’histoire de la transformation d’un lieu (bio)géographique en un espace, pour reprendre la distinction opérée par Michel de Certeau (Certeau, 1980). A la stabilité du lieu, succède l’instabilité de l’espace dès lors pratiqué, convoité, investi par une palette d’acteurs potentiellement en concurrence dans l’accès au site et à ses ressources comme dans ses modalités d’occupation du sol. Trois exemples permettent de rendre compte de ces jeux d’acteurs que l’objectif global du projet doit s’efforcer de coordonner. On commencera par la Direction Départementale d’Action Sanitaire et Sociale (DDASS) puis, dans un autre registre plus convenu sans doute, celui des chasseurs 12 et enfin le cas des cavaliers.

Un captage d’eau potable est situé au milieu du site. En 1967, un rapport d’hydrogéolo- gie définit un périmètre de protection immédiat. Aucune présence animale n’y est tolérée et la zone est alors clôturée. Convoquée lors des comités de pilotage, la DDASS rappelle cette mesure et commandite une nouvelle expertise confiée à un hydrogéologue lyonnais présenté par les agriculteurs comme « l’expert ». En 2003, ce dernier rend ses conclusions et préco- nise l’extension du périmètre initial au regard de la présence effective de bétail. En plus de la zone de protection initiale, dite “ immédiate ”, un périmètre de “ protection rapprochée ”

12 . Une dizaine de collectifs se présentant comme les « acteurs du monde rural » se sont rassemblés au début de la procédure Natura 2000 pour constituer le « Groupe des 9 » et revendiquer un certain nombre de principes dans la mise en œuvre de la Directive Habitats, parmi lesquels la consultation préalable des acteurs locaux et l’adoption de mesures contractuelles plutôt que réglementaires.

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est donc défini. Le pacage y est interdit et seul le fumier composté est autorisé. Plusieurs agriculteurs sont concernés par cette décision qu’ils jugent aussi brutale qu’indiscutable :

« l’expert » est lyonnais, il n’a jamais consulté ni cherché à rencontrer les agriculteurs et donc la DDASS se rendra à ses conclusions, résument-ils. Quelles sont les conséquences pratiques d’une telle décision ? L’un voit sa parcelle de pâturage fortement amputée, deux autres leur pré de fauche partagé en deux secteurs avec l’obligation de n’épandre que du fumier composté sur la partie située dans le périmètre rapproché. Cet épisode pointe deux manières conflictuelles de découper l’espace et de sélectionner ce qui y fait ressource : à la vision hydrogéologique qui ne prend en compte que les risques de pollution de la nappe phréatique, s’oppose celle des agriculteurs qui raisonnent selon un autre découpage de l’espace et des ressources, en terme de parcelles. Cette situation ne laissant pas de place à la négociation, aucune confrontation n’a été organisée : c’est le rapport de l’expert – et essentiellement la nouvelle carte des périmètres – qui a circulé entre les parties, mettant un terme à la discussion. En revanche, avec les chasseurs, le conflit était tout autant attendu ; le dialogue s’est instauré et a débouché sur un accord.

Les agriculteurs ont été rapidement confrontés à une autre catégorie d’acteurs, locaux cette fois-ci, puisqu’il s’agit des chasseurs de l’Association communale de chasse agréée (ACCA). Il ne s’agit pas véritablement d’un “ nouvel acteur ” puisque Chaussitre est le territoire de chasse de cette ACCA depuis 1972. En revanche, jusqu’au début de l’opé- ration, la chasse n’interférait pas avec les espaces agricoles, situés dans la seule vallée.

On ne peut donc pas à proprement parler de l’irruption d’un nouveau collectif – ou alors ce serait, du point de vue des chasseurs, les agriculteurs qui seraient venus entraver leurs habitudes – mais plutôt de prise de conscience du nécessaire partage de ce territoire.

Chasseurs et agriculteurs n’ont pas tardé à engager un dialogue en raison d’un incident survenu dès la première année d’estive : un moutonnier trouve vingt brebis « abîmées » par un prédateur, sans doute un chien de chasse. Un rapport tendu s’installe alors entre les deux communautés, qui précède l’instauration d’un dialogue entre le PNR, les agri- culteurs et la Fédération des chasseurs de la Loire. Le technicien de l’époque chargé de la gestion des milieux naturels à la Fédération des chasseurs en relate l’évolution :

« Sur le plan du principe, il ne fallait pas céder. Il était hors de question de mettre ce territoire en réserve. C’était accepter le fait que la chasse soit incompatible avec la remise en pâture d’espaces naturels remarquables. Par contre, dans ce genre de cas, il faut toujours faire un petit effort. Ça a été de dire : jusqu’à quand vos moutons ? Jusqu’au 15 octobre. Bon, le problème, c’est quand les moutons sont là, pas quand ils sont pas là. Non, ben non, au 15 octobre, ça fait tard, parce que ça fait perdre un mois de chasse dans une zone de moyenne montagne où la neige peut arriver relativement tôt. Si on coupe la poire en deux, nous on n’y chasse pas avant le 1er octobre mais vous, vous enlevez vos moutons pour le premier octobre. Point, et c’est sur la base de cet accord qu’on est parti. »

La date du 30 septembre, qui marque la fin de l’estive, apparaît officiellement dans le deuxième cahier des charges que le PNR a rédigé à l’occasion de la mise en place de l’Opération locale lancée en 1996 13. Cette décision a résolu, en l’esquivant, la cohabita- tion entre les deux collectifs mais, réduisant la durée de l’estive, elle a par ailleurs offert

13 . Le PNR a établi un cahier des charges dès le début de l’opération pour préciser certains points. Quatre nouvelles versions de ce document ont été par la suite rédigées (cf infra.)

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une réponse au manque de fourrage dont certains agriculteurs se plaignaient en fin de saison. L’arrangement a donc reposé sur l’aménagement de « l’emploi du temps de l’es- pace » pour reprendre une expression de Bertrand Vanier (Vanier, 2002, p. 81). Cependant à relire la relation de l’événement rapportée ci-dessus, on voit bien que la solution va au-delà du compromis : elle reconnaît la possibilité de voir co-exister les deux catégories d’acteurs, qui chacune revendique une implication dans la gestion de ces espaces natu- rels. De fait, la relation de concurrence dans l’accès à et la gestion des ressources naturel- les du plateau ainsi fait place à une relation relativement pacifiée car de complémentarité dans l’espace et le temps.

En réalité, les échanges avec les chasseurs n’ont pas attendu cet épisode délicat puis- que l’ACCA avait mis en culture certains lopins de terre où, durant l’hiver, les compa- gnies de lièvres viennent se restaurer à bon compte. Le partage des terres ayant été fait, ces cultures à gibier (choux et blé noir) se sont trouvées au milieu de parcelles ; à la demande des agriculteurs, elles ont été tout simplement déplacées en bordure de terrain.

Le technicien chargé de la gestion du gibier à la Fédération de chasse de la Loire nuance de fait la portée du contentieux :

« Tout s’est réglé sans que personne ne perde la face. L’opposition entre chasseurs et agriculteurs n’est pas aussi forte qu’on peut se l’imaginer et bien des problèmes trouvent leur solution au bistrot du village. Il faut aussi comprendre que pour les chasseurs, un milieu ouvert est favorable. Il y a une concordance totale sur ce point entre agriculteurs et chasseurs, d’autant que le lièvre ne fait pas de dégâts agricoles et que les agriculteurs aiment bien aussi les manger…. »

Dans les deux situations que l’on vient d’examiner, les acteurs concernés sont équipés d’un représentant clairement identifiable. Ce n’est pas le cas de certains autres collectifs fréquentant à divers titres Chaussitre. Prenons un seul exemple, celui des cavaliers avec lesquels tout projet de cohabitation est rendu délicat précisément faute d’interlocuteur, comme le précise un agriculteur :

« On des problèmes avec les cavaliers. Ils ne supportent pas qu’il y ait des clôtures. Ils avaient l’habitude de passer partout et maintenant, ils les sectionnent. Moi, ça m’oblige à aller vérifier l’état des clôtures avant de monter les brebis. Ce qui est difficile avec eux, c’est qu’ils n’ont pas de représentants. On ne les connaît pas trop et du coup, quand il y a un problème, on ne sait pas avec qui discuter pour le régler. Il n’y a personne en face.

C’est un peu comme si Chaussitre était restée une zone libre ».

La référence à la « zone libre » est particulièrement révélatrice du fait que durant la période de déprise, chacun avait pris possession du plateau sans réel souci des autres tout simplement parce qu’aucune occasion n’avait rendu les rencontres nécessaires : chacun avait donc son désert, son « no man’s land ». Ici, la difficulté ne réside pas dans la nature du différend ou dans sa résolution mais bien dans l’impossibilité même d’en débattre – ce qui créé un troisième cas de figure dans lequel toute action est rendue impossible.

Dans ce périple environnemental, les ressources naturelles – hormis l’eau potable – semblent s’être curieusement éclipsées des débats, tout au moins n’occupent-elles pas le devant de la scène. Contrairement au cas de l’aulnaie marécageuse, cette dynamique fédère une série d’intérêts et d’acteurs : le PNR, les chasseurs, les naturalistes, les ran- donneurs, les habitants militant pour la sauvegarde de ce haut lieu et les agriculteurs qui

« reviennent sur Chaussitre ». On n’est donc pas dans un face à face classique entre d’un

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côté, les « Khmers verts » et de l’autre, les « autres pratiquants de l’espace », mais bien dans une série de réglages et d’ajustements entre différents collectifs. Quels éléments se dégagent de ces deux situations, qui permettraient de comprendre la nature anthropologi- que des conflits d’environnement dans l’espace rural ?

4. La nature anthropologique des conflits d’environnement

Après avoir étudié des tensions liées à un travail de coordination entre les usagers d’un même territoire, on voudrait évoquer une autre source de conflit située en amont de ces dynamiques collectives. On fait l’hypothèse que le tout premier conflit, voire le conflit premier, tient à l’appropriation et la maîtrise, et avant tout, foncière de ces terri- toires ruraux dont la gestion semble être de plus en plus convoitée entre institutions et mondes professionnels. L’appropriation d’un territoire est liée à un geste anthropologique fondamental qui consiste à tracer un périmètre à l’intérieur duquel s’exerce un nouveau pouvoir. On y reviendra dans le second temps de cette section. Pour l’heure, on voudrait insister sur les deux formes de qualification écologique envisagées, le site et la réserve, en insistant sur leurs conséquences respectives du point de vue de l’accès au sol et aux ressources naturelles.

4.1. Deux formes contrastées d’administration des ressources naturelles : le site et la réserve

La plupart des politiques de protection de l’environnement se fondent sur la désigna- tion soit d’espèces, soit d’espaces à protéger au titre de leur rareté, de leur fragilité ou de leur grand intérêt patrimonial. De fait, les zones protégées se multiplient, aux noms variés : réserve naturelle volontaire, réserve de biosphère, réserve biologique forestière dirigée ou intégrale, mais aussi parcs, zones (zones naturelles d’intérêt écologiques et faunistiques, zones tampons), sites, sanctuaires, conservatoires et autres périmètres de protection rapprochés ou immédiats. Ces statuts procèdent d’un zonage de territoire établi selon des critères précis et dont l’affectation s’en trouve plus ou moins fortement réo- rientée ; leur gestion peut également être placée sous la tutelle d’une nouvelle autorité.

Revenons à présent sur les deux formes contrastées d’administration de la nature et des hommes rencontrées dans nos études de cas : la réserve et le site.

la réserve présente une étrange souplesse sémantique : elle désigne un mode d’ad- ministration aussi bien des hommes (Réserve d’Indiens dont on se protège autant qu’on la protège) que de la nature (réserve naturelle que l’on soustrait à la dégradation des hommes, que l’on préserve d’autrui, selon le sens littéral). La réserve, contrairement au site, est un lieu de conservation in situ d’objets naturels (comme les réserves des musées avec lesquels l’établissement d’un parallèle serait fécond) ; elle fait autorité et ses conser- vateurs (naturels) l’administrent sans partage. Elle affiche un caractère expérimental et scientifique, sorte de laboratoire de la nature dont les périmètres sont dessinés sans débat par l’expert géomètre. Le rapport à la nature est ici fondé sur un seul objectif d’observa- tion et de production de connaissances. Avec elle s’instaure une nouvelle autorité dotée d’un certain monopole. Par contraste, le site apparaît comme une forme d’administration dont les responsabilités sont mieux distribuées entre les collectifs, tout simplement parce

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qu’il autorise la co-présence d’une pluralité d’acteurs. Les usages que ces derniers font du territoire et des ressources naturelles n’en demandent pas moins à s’accorder autour d’un objectif qui fédèrent le plus grand nombre. En dépit du fait qu’il soit pareillement logé dans un périmètre très précis, le site serait donc une forme de recombinaison des rapports hommes / ressources naturelles plus souple que la réserve, dans la mesure où il ne repose a priori pas sur l’exclusion de ses usagers mais sur l’aménagement de leurs pratiques respectives en vue d’un objectif partagé.

4.2. Désaffiliation et réaffiliation au territoire : inclusion, exclusion et exercice de nouveaux pouvoirs

Sites et réserves procèdent l’un et l’autre d’un geste anthropologique fondamental par lequel toute communauté prend possession d’un territoire, en se l’appropriant, en en faisant son territoire : tracer un périmètre. Dans le second exemple, lorsque l’ONF créé la Réserve Biologique Dirigée (dont le périmètre, rappelons-le correspond au site Natura 2000), sa toute première action a été de remettre choses et hommes à leur juste place, en bornant ce territoire d’une identité spatiale. Il s’agit d’un geste anthropolo- gique fort. En effet, n’est-ce pas d’un tel geste que l’on trace ainsi les frontières entre nous et les autres, entre notre nature et leur nature, autrement dit le geste fondateur d’une identité collective qui s’inscrit avant tout dans l’espace. De deux choses l’une : un tel geste suppose soit une « désaffiliation » territoriale (en cas de sanctuarisation), soit une (ré-)affiliation mais alors généralement soumise à conditions. Dans le premier cas, la dépossession est généralement vécue comme l’imposition d’un point de vue étranger, en l’occurrence écologique – au sens fort du terme. C’est ce qui s’est passé, on l’a vu, avec l’aulnaie dont la requalification écologique s’est accompagnée de l’exclu- sion de ses usagers habituels pour en confier le monopole à un tiers acteur. La dynami- que autour du site Natura 2000 a davantage concerné un travail de « réaffiliation » à un territoire puisque les objectifs de gestion environnementale passaient précisément par l’ouverture des collectifs en présence. Cette coordination s’est faite par l’intermédiaire d’un cahier des charges dont le PNR a rédigé une première version afin de préciser quelques règles dans l’usage (agricole avant tout) du site : fauche centrifuge et tardive, pas de labour, pas d’ensemencement d’espèces exogènes, durée de pâturage minimale obligatoire, etc. Quatre versions successives ont permis d’affiner les préconisions après les avoir expérimentées, année après année, parfois à la faveur d’incident comme on le verra d’ici peu.

Ici, la médiation, d’ailleurs plus que la tutelle, du PNR ne pose aucunement pro- blème aux éleveurs dans la mesure où le Parc est tout à sa place dans son rôle d’ani- mateur de territoire rural, de porteur de projet et de dynamique. Il entretient avec les agriculteurs des relations de confiance sans lesquelles le projet n’aurait d’ailleurs pro- bablement pas été conduit à terme… En revanche, l’ONF, gestionnaire de la Réserve biologique dirigée a été beaucoup moins bien accueilli par les agriculteurs. L’Office est doté d’un droit de police (contrairement au PNR) et contrôle les pratiques des agricul- teurs, lesquels doivent lui transmettre leurs cahiers de pâturage…. Les exploitants se sentent inféodés à la tutelle d’une institution dont les rapports avec les communautés

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agricoles ont été violents 14. S’agit-il d’un cas isolé ? C’est possible. Mais quand bien même, cette configuration d’acteurs invite à prolonger l’analyse en termes d’enjeux de légitimité alimentant aussi des rapports de concurrence inter-institutionnelle dans la gestion des territoires ruraux. L’émergence de l’ONF, plutôt inattendue dans le paysage politique agricole, serait dès lors, pour reprendre la formule de Christine Sainte Marie et Jean-Paul Chabert, à mettre au compte « des surprises sociales » de l’écologisation de l’agriculture (de Sainte-Marie, Chabert, 2003).

Tracer un périmètre ne se traduit donc pas uniquement par des jeux d’inclusion et d’ex- clusion de telle communauté au détriment d’une autre. Il apparaît clairement que ce geste anthropologique implique et repose aussi sur des questions de maîtrise ou d’appropriation foncières. Ces dernières constituent aujourd’hui l’un des premiers « outils » de la poli- tique de protection de l’environnement, qui réoriente de façon décisive la façon dont les collectifs se redéploient dans l’espace. Elle en a du reste constitué les prémisses au début du XXe siècle, notamment avec la constitution des premières réserves ornithologiques (Lefeuvre, 1990). A titre d’exemple, la maîtrise foncière demeure aujourd’hui l’une des conditions requises par les Conservatoires régionaux des espaces naturels (CREN) pour mettre en œuvre leur programme de gestion conservatoire.

4.3. Précision méthodologique

Voilà qui invite à formuler deux remarques que des enquêtes et des réflexions plus poussées devraient venir épauler. L’ethnographie (ou la sociographique, je ne fais ici aucune distinction) présente l’intérêt de donner du relief à des situations qui parais- sent peu remarquables au premier abord, au sens de peu conflictuelles. Un conflit constitue souvent une aubaine pour l’observateur dans la mesure où il indique très précisément vers où porter son regard et facilite en cela l’enquête en l’orientant très rapidement vers des acteurs, des lieux, des objets précis. Car de fait, un conflit donne à voir, mais en les simplifiant peut-être parfois, les dynamiques sociales qui struc- turent les groupes sociaux dans l’espace et dans le temps. L’absence de telles mani- festations réduit les prises immédiates de l’observateur et oblige à entrer d’une autre façon dans l’enquête, notamment par la description minutieuse des situations, des histoires locales, des configurations d’acteurs au moyen de laquelle d’autres conflits peuvent être repérés. C’est tout l’intérêt du second exemple qui invite à penser que les tensions et les conflits ne se déploient pas forcément autour des objets qu’on avait préalablement identifiés. Ainsi, sans même connaître plus en détail leurs exigences écologiques, on pouvait s’attendre à ce que l’alouette lulu ou la bondrée apivore se trouvent au centre de controverses, mais il n’en est rien. Plus encore, l’enquête doit pouvoir s’ajuster aux réalités des situations observées et déplacer son regard vers des espaces non envisagés a priori. Je veux dire par là qu’à se focaliser sur des acteurs et des conflits attendus (le conflit agriculteurs/chasseurs par exemple, dont par ailleurs et contre toute attente cette fois-ci, chacun, sur le terrain, s’efforce de minimiser la

14 . On fait référence à la Restauration des Terrains de Montagne (RTM) qui, à partir de la fin du XIXe siècle, a marqué douloureusement l’histoire des relations entre le monde agricole et le monde forestier. Le projet de restauration des terrains de montagne, par leur boisement, s’appuyait sur un droit d’expropriation des paysans.

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portée), on pourrait en venir à ne pas considérer d’autres acteurs, et donc d’autres conflits, peut-être autrement plus révélateurs des enjeux anthropologiques en travail dans la réorganisation des territoires ruraux. Cela m’amène à ma seconde remarque.

Elle concerne le risque de simplifier les jeux d’acteurs et de réduire leur com- plexité en s’appuyant sur des blocs sociaux ou socio-professionnels dont la stabilité et l’homogénéité seraient faussement déduites du seul fait qu’ils s’affrontent dans telle situation précise : « les agriculteurs » face aux « écolos » ; les « locaux » face aux institutions et à travers elles, à l’Etat et ses services ; « les agriculteurs » face aux chasseurs, etc. Ce serait bien plutôt à l’ensemble de ces tensions, à la spécificité de leur expression, voire de leur apaisement, qu’il faudrait pouvoir prêter attention pour saisir la complexité des dynamiques qui maillent un territoire. C’est un point sur lequel je n’ai peut-être pas suffisamment insisté. Pour l’illustrer, voici quelques exemples. Il est à peu près certain que le classement en Réserve Biologique Forestière Intégrale de l’aulnaie marécageuse serait susceptible de choquer un vieux forestier rompu à la productivité et qu’un conflit de pratiques ou de points de vue pourrait opposer de ce fait l’ONF (et certains de ses représentants, peut-être ceux de la vieille école ?) et les naturalistes qui ont poussé au classement de ce site. Autre exemple : la présentation du site Natura 2000 pourrait laisser penser que les « agriculteurs de Chaussitre » constituent un groupe homogène et soudé par cette affiliation territoriale singulière. L’enquête a montré que ce n’était absolument pas le cas. L’appartenance à ce collectif ne signifie pas que chacun de ses membres partage en tous points les mêmes motivations, ni les mêmes conceptions du métier et par-là de ce projet de reconquête agri-environnementale. Les six agriculteurs se connaissaient tous déjà avant ; l’un d’entre eux, le plus jeune, ne partageant pas tout à fait les convictions de ces collègues. La suite de l’aventure n’a fait qu’illustrer et creuser cet écart, ce qui a contribué à l’isoler encore davantage dans le groupe. Les premières difficultés ont commencé au moment du partage du sol, c’est-à-dire le premier geste d’appropriation du territoire, qui a été cause d’arrangement patiemment conduit par le PNR. Les lots constitués étaient en effet de qualité inégale : déclivité, pierres, broussailles, accès à l’eau ou aux sentiers, variant sensiblement d’un lot à l’autre. Plus tard, ce jeune agri- culteur, moins acquis à la cause environnementale qu’à sa nécessaire quête de foncier, est contrevenu au cahier des charges établi par le PNR, en retournant profondément le sol. Le PNR a choisi de minimiser l’incident en le mettant au compte d’un cahier des charges encore ambigu, et a rédigé un document plus explicite. Prenons un dernier exemple en revenant sur la question des périmètres : leur tracé et leur délimitation ne font pas toujours consensus au sein même de la communauté, naturaliste par exem- ple. La délimitation de périmètres (ou encore la réalisation d’inventaires) y est même plutôt au cœur d’enjeux forts, donnant lieu à des batailles de spécialistes. C’est ainsi que dans tel département, les opérateurs locaux en charge de la directive Habitats ont décidé de refaire tous les inventaires de leurs sites. Ces quelques exemples invitent à tenir compte d’une réalité sociale toujours plus feuilletée que ce qu’elle pourrait donner à voir de prime abord. On observe ici ce que José Gil appelle la « dynamique de la segmentarité », une dynamique par laquelle des collectifs se réorganisent et se recomposent différemment au sein d’une société locale, selon les intérêts qu’ils ont à défendre à un moment donné (Gil, 1991).

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5. Conclusion

Les conflits liés à la mise en œuvre des politiques d’environnement sont portés par des dynamiques fortement structurantes dans la réorganisation des territoires ruraux. L’accès à et l’appropriation des ressources et des espaces naturels entrent généralement en concur- rence avec leur protection, ce qui appelle soit des aménagements dans l’utilisation (ou la non utilisation) des espaces naturels, soit l’exclusion des usagers habituels. Les situations qui en découlent donnent à voir comment différents groupes sociaux (qu’il s’agisse des chasseurs, des pêcheurs, des forestiers ou des ornithologues) s’inscrivent dans l’espace et dans le temps. Les uns cherchant, voire rétablissant, une continuité d’usage qui ne signifie pas pour autant le retour à une situation antérieure dans la mesure où elle suppose des ajus- tements et des réglages (le retour de l’agriculture sur Chaussitre). Les autres, au contraire, s’impliquant dans la gestion de territoires moins familiers et générant des ruptures contes- tées (le scandale anthropologique de l’aulnaie marécageuse). Les conflits qui en résultent permettent à chaque collectif d’affirmer sa place dans une communauté villageoise ou/et dans une communauté professionnelle. Recombinant ainsi d’une part, les liens au territoire et à ses ressources et d’autre part, les liens entre groupes sociaux, jouant sur des échelles variées et des dynamiques d’exclusion ou d’inclusion sociale et territoriale, ces conflits font partie des ressorts ordinaires (au sens de « courants ») de la fabrication et de l’affirmation des identités locales et/ou professionnelles. C’est dans ce sens, que la normalisation des différents rapports professionnels à la nature, sous le fait des politiques d’environnement, contribue fortement à la réorganisation et des espaces ruraux et des relations professionnel- les et sociales qui s’y déploient et en structurent l’évolution.

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Annexe

Bas-Rhin Moselle

Bitche

Oberbronn-

Zinswiller Haguenau

Strasbourg

Limites communales Limites départementales Zinsel du Nord

Réserve biologique forestière intégrale Aulnaie marécageuse de la vallée de la Zinsel du Nord

20 km 0

Baerenthal Mouterhouse

Cartographie Catherine Lefebvre (INRA-SAE2-MONA)

Aulnaie marécageuse

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25 km 0

Roanne

Montbrison

Saint-Etienne

Tourbières du Pilat et landes de Chaussitre Limites communales Limites départementales

Site Natura 2000

Tourbières du Pilat et landes de Chaussitre

Cartographie Catherine Lefebvre (INRA-SAE2-MONA) Lyon Saint- Etienne

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