Vol 53: april • aVril 2007 Canadian Family Physician•Le Médecin de famille canadien
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Commentaire
Une once de prévention
Prescription pour un système de santé en difficulté
Stephen J. Genuis
MD FRCSC DABOGMieux vaut prévenir que guérir.
Desiderius Erasmus (1466-1536)
D
ans les pays industrialisés où règne l’abondance, tout comme dans les pays en développement qui luttent pour progresser, la création et le maintien de services de santé acceptables comptent parmi les pri- orités des autorités publiques, des travailleurs médicaux et des citoyens. Quand les tendances épidémiologiques, notamment l’escalade des taux de maladies chroniques1,2, les populations rapidement vieillissantes et l’utilisation plus grande que jamais des services de santé se juxta- posent à un financement et à des ressources limités, la viabilité des systèmes de santé publicsdevient une préoccupation. Les effectifs médicaux en nombre insuffisant pour soi- gner des nombres à la hausse de patients ont donné lieu à l’avènement de «con- sultations-minutes», dans lesquelles la prestation des soins vise parfois plus à régler les signes et les symptômes plutôt qu’à découvrir et à prendre en charge les causes de l’affection. Compte tenu des coûts grandissants des services de santé,
du désarroi relatif de certains systèmes de santé pub- lics et des recherches qui délimitent sans équivoque les déterminants spécifiques des afflictions contemporaines, il est temps que le milieu médical réexamine le concept de la pratique clinique actuelle, dans lequel il y aurait lieu d’inclure la médecine préventive.
Soulagement des symptômes
Avec la prolifération des cliniques sans rendez-vous et le recours accru aux départements d’urgence pour des problèmes non urgents, beaucoup s’attendent à con- sommer les services médicaux comme ils consomment les repas-minutes: service rapide, brèves rencontres, bonne valeur et satisfaction immédiate. En cette époque de publicité pharmaceutique directe aux consomma- teurs, beaucoup de patients pensent à la gratification instantanée et au soulagement immédiat plutôt qu’à la santé et au bien-être à long terme. Ils sont très satisfaits d’aller voir le médecin et de ressortir du cabinet avec un morceau de papier, de prendre un médicament et de se sentir mieux. Les médicaments efficaces procurent un
soulagement rapide des symptômes, ce qui contente le patient et donne une rétroaction positive aux méde- cins. Les ordonnances sont rapides et faciles à rédiger et n’exigent pas d’investigations prolongées des causes de l’affection. Par contre, une étude des données épidé- miologiques récentes fait ressortir des renseignements plutôt inquiétants.
Autant chez les adultes que chez les enfants, les taux à la hausse des maladies iatrogènes deviennent de plus en plus évidents3,4; des taux alarmants de morbidité et de mortalité5,6 sont actuellement attribuables aux erreurs médicales et aux réactions médicamenteuses indésirables. L’impression des gens que certains traite- ments médicaux contribuent au fardeau de la maladie a donné lieu à une recru- descence sans précédent de l’attention portée aux thérapies complémen- taires et alternatives. L’escalade vertigi- neuse de la consommation de produits homéopathiques, d’herbes médicinales, de naturothérapies et d’autres traite- ments non pharmaceutiques témoigne de l’insatisfaction grandissante à pro- pos du résultat de certaines interven- tions médicales.
Les données épidémiologiques confirment aussi que la médecine de soulagement des symptômes pourrait faci- liter les réponses camouflages. Le mot symptôme peut être défini comme un «signe d’avertissement». En sou- lageant rapidement les symptômes avec des thérapies puissantes, les origines sous-jacentes peuvent demeurer ignorées, permettant aux processus pathologiques de persister insidieusement, entraînant des résultats potenti- ellement désastreux à long terme. Les séquelles latentes de l’omission de trouver l’étiologie de divers problèmes de santé deviennent de plus en plus évidentes.
La médecine contemporaine est témoin de la juxta- position d’une espérance de vie accrue, d’une baisse de la mortalité due à des maladies aiguës et, simul- tanément, de taux galopants de maladies dégénéra- tives chroniques et d’incapacité, tant chez les jeunes que chez les plus âgés1,2. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a publié un important document intitulé Prévention des maladies chroniques: un investissement vital,1 qui porte sur la pandémie globale d’affections chroniques. Selon les estimations, on attribue présente- ment aux maladies chroniques 72% du fardeau mondial This article is also in English on page 597.
Beaucoup…
pensent que la santé s’achète en bouteille de
médicaments.
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Canadian Family Physician•Le Médecin de famille canadien Vol 53: april • aVril 2007de la maladie chez les adultes de 30 ans et plus7. De récentes statistiques américaines font valoir que, dans le domaine pédiatrique, environ 3% des enfants sont nés avec des anomalies congénitales8, environ 17%
des enfants ont eu des problèmes de développement9, l’incidence du cancer durant l’enfance s’est accrue de 27,1% entre 1975 et 200210 et un chiffre record de 1 enfant sur 12 vit avec une incapacité intellectuelle ou physique11. Chez les adultes, les maladies chroniques, dont les maladies cardiovasculaires, le diabète, les pro- blèmes d’arthrite et de santé mentale, ainsi que les taux rapidement croissants de cancer12, dominent la pra- tique médicale. Compte tenu de l’escalade des coûts, du nombre à la hausse de personnes malades, de la pandémie de maladies reliées aux ordonnances13 et des ressources limitées, il faudrait envisager l’intégration de programmes de santé préventifs.
Médecine préventive
L’éducation médicale et la pratique clinique contempo- raines accordent une attention constante au soulage- ment de la souffrance, aux soins continus à la personne handicapée, au maintien des fonctions vitales et à la réponse aux besoins de la personne en fin de vie. Les professions de la santé se préparent à la maladie avec ressources, diligence et créativité. La prévention de la maladie et le maintien de la santé, par ailleurs, ne sont souvent pas des priorités de premier plan.
De nombreuses maladies sont causées par des modes de vie qu’il est possible de modifier; la façon dont les personnes choisissent de vivre détermine souvent la façon dont elles mourront, leur santé et leur bien-être durant leur vie. L’escalade du cancer chez l’enfant et des maladies neurologiques dues à l’exposition prénatale à des substances toxiques14,15, les omniprésentes maladies cardiovasculaires et respiratoires reliées aux habitudes choisies16, l’explosion des taux de diabète attribuable aux modes de vie sédentaires et à la mauvaise alimenta- tion et les graves anomalies congénitales subséquentes à des carences alimentaires maternelles17 et à des expo- sitions néfastes18 démontrent que la santé est souvent une question de décisions et non pas le fait du hasard ou d’un destin génomique prédéterminé. Compte tenu des forts taux de maladies possibles à prévenir, de nom- breux promoteurs de la santé exigent des interventions axées sur la prévention et la promotion de la santé dans des domaines comme le mode de vie, l’environnement et l’alimentation, de sorte que, face à la maladie, les médecins devront acquérir des compétences pour favo- riser une santé optimale. Par ailleurs, une insistance accrue sur des soins de santé préventifs pose des défis de taille, parce qu’il n’est pas certain que dans notre cul- ture contemporaine, les personnes puissent être influ- encées à adopter des modes de vie sains.
Si les patients qui souffrent sont peut-être motivés à agir pour se sentir mieux, les personnes qui ne souffrent
pas ne le seront peut-être pas. Beaucoup croient que la santé et la maladie sont complètement indépendantes du comportement et, sans égard aux habitudes mal- saines, ils pensent que la santé s’achète en bouteille de médicaments. Les bienfaits à long terme de l’éducation en santé ne sont habituellement pas une priorité dans une culture où les recommandations sur l’alimentation et le mode de vie sont considérées comme des théra- pies primitives et où la réussite est célébrée par un non- événement. Même aux patients affligés, la promotion de la santé par des interventions liées au mode de vie peut être difficile à vendre. Parce que les récompenses des bonnes habitudes sont souvent intangibles à court terme et parce que les effets d’un comportement nui- sible pour la santé ne se font pas sentir dans l’immédiat, il n’y a habituellement pas de soulagement instantané.
Il peut sembler étrange aux médecins de remettre en question des personnes apparemment en bonne santé avec des intrusions non souhaitées dans leur vie, sur- tout si on ne leur a pas demandé d’aide. Les patients ne sont généralement pas enclins à révolutionner leur mode de vie s’ils n’en voient pas la nécessité. Les dis- pensateurs de soins de santé sont frustrés parce que les patients ne se conforment pas aux interventions reliées au mode de vie. De plus, l’éducation en profon- deur demande du travail et du temps et les patients qui s’attendent à des pilules magiques remettent en ques- tion la compétence des médecins qui prescrivent avec prudence les produits pharmaceutiques. L’action théra- peutique sous ordonnance procure l’espoir d’un règle- ment rapide du problème et elle est récompensée par de la gratitude; l’absence d’intercession pharmaceutique peut être accueillie avec déception et insatisfaction à l’endroit du dispensateur de soins.
Par ailleurs, la reconnaissance de la nécessité urgente de la promotion de la santé et de la médecine préventive comme éléments essentiels à la viabilité du système de santé ne représente pas une épiphanie; de telles admonitions ont déjà été exprimées auparavant.
Si le bon sens et des recherches exhaustives enjoignent l’établissement médical et les gouvernements à pro- mouvoir les interventions et les politiques en santé con- çues pour substituer des circonstances injurieuses par de saines pratiques, les politiques actuelles sur le plan de l’éducation et de l’économie ne créent pas le milieu propice à l’implantation de telles initiatives. La majorité de la recherche clinique (principalement financée par l’industrie) se concentre sur des thérapies de maintien lucratives plutôt que sur la prévention et la guérison19. L’éducation médicale est surtout centrée sur la maladie plutôt que sur la santé et la plupart des revues médi- cales publient des articles sur la prise en charge de la maladie plutôt que sur des stratégies pour promouvoir la santé et le bien-être20. La plupart des systèmes de santé financés par les fonds publics remboursent les médecins pour traiter les maladies et non pas pour les prévenir.
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En réalité, bon nombre de régimes de rémunération ne considèrent pas la médecine préventive comme étant nécessaire sur le plan médical et, par conséquent, en excluent tout financement, pénalisant ainsi les médecins qui prennent le temps et déploient l’effort voulu pour éduquer les patients au sujet de stratégies visant à éviter la maladie.
Soins de première ligne et
prévention de la maladie: quo vadis?
En réponse à l’incapacité de l’approche de consulta- tion-minute, divers organismes nationaux et interna- tionaux revendiquent des programmes d’éducation et des interventions stratégiques visant la promotion de la santé et la prévention de la maladie21. Le pro- gramme international sur l’alimentation et le mode de vie récemment approuvé par l’OMS22 et la myriade de campagnes portant sur la prévention des blessures sont des pas dans cette direction. Plusieurs autres ini- tiatives sont susceptibles d’aider les praticiens à inté- grer la prévention dans la prestation des soins de santé individuels et publics.
L’examen médical annuel donne la possibilité d’éduquer les parents à propos des questions de santé propres aux enfants. Certains praticiens font de l’éducation proactive en rédigeant des articles sur le maintien de la santé pour des publications commu- nautaires, tandis que d’autres donnent des cours dans des écoles, lors de conférences ou sur des tribunes publiques. Un programme novateur, intitulé en anglais
«Do Bugs Need Drugs?» a été instauré par une province canadienne pour prévenir l’usage abusif des antibio- tiques. Après avoir renseigné des enfants du niveau pri- maire, la consommation d’antibiotiques a fléchi presque immédiatement. Certains médecins se servent d’outils d’évaluation de l’exposition aux substances toxiques du Collège des médecins de famille de l’Ontario23 ou de modules sur la santé environnementale de l’OMS pour diminuer les risques posés aux patients par les substances toxiques pathogènes. Les soins avant la conception peuvent prévenir les problèmes congéni- taux et de nombreux médecins ont commencé à avoir recours à d’autres professionnels de la santé, comme des nutritionnistes, pour éduquer les patientes à propos de diverses préoccupations à cet égard. Il a été éprouvé qu’en assurant un apport suffisant de substances nutri- tives de base, comme la vitamine D et les acides gras oméga-3, on peut prévenir une multitude de problèmes de santé. Les politiques publiques peuvent aussi con- tribuer à éviter les maladies, en atténuant des facteurs de risque et en favorisant des conditions propices à la santé par l'adoption de lois comme le port obligatoire de la ceinture de sécurité, les restrictions imposées à l'amiante ou l'élimination des gras trans.
Dans les nombreuses facettes de la prestation des soins de santé et de l'éducation publique, des efforts
concertés en promotion de la santé sont nécessaires de toute urgence. Pour sortir la médecine préventive du discours purement académique et l'intégrer à la pra- tique médicale systématique, il faudra cependant des efforts soutenus en matière d'éducation médicale, de rémunération des médecins et de politiques publiques.
Dr Genuis est professeur agrégé à l’University of Alberta, à Edmonton.
Correspondance à: Dr Stephen Genuis, 2935—66 St, Edmonton, AB T6K 4C1; téléphone 780 450-3504; téléco- pieur 780 490-1803; courriel sgenius@ualberta.ca les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles sont sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
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