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Du monde celtique à la Mozarabie. Traces d un itinéraire dans le Pénitentiel de Cordoue

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Culture et histoire dans l'espace roman

 

9 | 2012

Empreintes / emprunts dans le monde hispanique

Du monde celtique à la Mozarabie. Traces d’un itinéraire dans le Pénitentiel de Cordoue

Francis Bezler

Édition électronique

URL : https://journals.openedition.org/cher/11736 DOI : 10.4000/cher.11736

ISSN : 2803-5992 Éditeur

Presses universitaires de Strasbourg Édition imprimée

Date de publication : 1 décembre 2012 Pagination : 215-226

ISBN : 978-2-35410-049-0 ISSN : 1968-035X Référence électronique

Francis Bezler, « Du monde celtique à la Mozarabie. Traces d’un itinéraire dans le Pénitentiel de Cordoue », reCHERches [En ligne], 9 | 2012, mis en ligne le 14 février 2022, consulté le 16 février 2022.

URL : http://journals.openedition.org/cher/11736 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cher.11736

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n°9 / 2012 Culture et Histoire dans l’Espace Roman

Traces d’un itinéraire dans le Pénitentiel de Cordoue

FRANCIS BEZLER Université de Strasbourg

I. Qu’est-ce qu’un pénitentiel ? Définition

Un pénitentiel, ou liber paenitentialis, est un écrit de dimensions variables contenant des listes de péchés affectés d’une taxe ou tarif d’expiation. Ce tarif consiste presque toujours en un nombre déterminé de jours, de mois ou d’années de jeûne, ou d’autres œuvres de piété ou de charité. Parce qu’à chaque péché de ces listes est associé un tarif expiatoire précis, la pratique pénitentielle que ces livrets documentent est appelée « pénitence tarifée ».

Origine

Les moines irlandais et anglo-saxons, tels saint Colomban (540-616) et ses disciples, ont été à l’origine d’une nouvelle évangélisation de l’Europe, à partir du vie siècle. Ils apportent avec eux une discipline pénitentielle inconnue de la tradition romaine, élaborée dans les monastères celtes, qui se répandit sur le continent et supplanta l’ancien usage de la pénitence antique. Cette dernière n’accordait au fidèle l’absolution de ses péchés qu’une seule fois au cours de sa vie, et lui imposait des expiations si contraignantes, généralement de caractère public, que bien peu de chrétiens y avaient recours, sauf à l’article de la mort. L’usage celtique, par contre, privilégiait la pénitence privée et réitérait l’absolution. De là, sans doute, son succès ainsi que celui de ces livrets qui servaient à l’administration de cette

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nouvelle forme de contrition : les pénitentiels. À partir de ce moment, des masses de plus en plus importantes d’ouailles plus ou moins christianisées furent touchées par une évangélisation qui leur proposait une discipline pénitentielle plus accessible, en favorisait une pratique fréquente, et diffusait parmi elles un idéal de vie ascétique d’origine monastique.

Géographie

Cette pénitence celtique (ou insulaire), et avec elle les livrets pénitentiels, se répandent d’abord dans le nord du royaume des Francs, puis en Bourgogne et dans le nord de l’Italie (Colomban fonde Luxeuil en 590 et meurt à Bobbio en 615). Bientôt le succès de la pénitence tarifée entraîne une prolifération de pénitentiels.

Extinction de la pénitence tarifée

Vers 1150, apparemment, on cesse dans les monastères de recopier des pénitentiels : ceux-ci disparaissent brusquement des manuscrits vers cette date. C’est le début d’une nouvelle époque dans l’histoire de l’institution pénitentielle : celle des Summae confessorum.

II.- En Espagne

Permanence de la pénitence antique

La Péninsule Ibérique, pendant toute la période romano-wisigothique, c’est-à-dire des origines jusqu’à la catastrophe de 711 où le destin du pays au sein de la Chrétienté occidentale fut brutalement remis en question par la conquête arabo-musulmane, ne connut qu’un seul régime pénitentiel : celui de la pénitence antique. Aux vie et viie siècles, les conciles de Tolède ont légiféré à plusieurs reprises sur le sujet, et cette législation manifeste clairement la ferme résolution de la hiérarchie ecclésiastique de maintenir l’institution traditionnelle de la pénitence canonique. Cette institution, donc, reste debout à la veille de l’effondrement de l’État wisigothique, alors que dans les pays du nord de l’Europe, visités par les missionnaires irlandais et anglo-saxons, le nouveau système pénitentiel, celui de la pénitence tarifée, est déjà largement répandu.

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Des pénitentiels en Espagne

Cependant, le nouvel usage pénitentiel a quand même fini par pénétrer – mais en petit nombre – dans la péninsule Ibérique, en y laissant les mêmes traces qu’ailleurs, à savoir : des livrets pénitentiels. En effet, on n’a découvert jusqu’à aujourd’hui que trois pénitentiels espagnols, parmi lesquels celui dont nous allons nous occuper : le Liber paenitentialis cordubensis, ou pénitentiel de Cordoue.

III.- Le pénitentiel de Cordoue Description

Le Cordubense (autre façon de l’appeler) figure aux folios 178r – 196r de l’unique manuscrit des œuvres d’Alvare de Cordoue († 861), conservé dans la bibliothèque de la cathédrale de cette ville. D’où le nom du pénitentiel. Le texte est d’un seul tenant, en latin. À la lecture on y distingue :

Un prologue

introduit par la formule « Incipit indicium penitentie excerpta canonum.

A beato Gregorio pape rommensis edita. De diversis criminibus. » Nombre de pénitentiels sont pourvus d’un tel prologue et, dans le cas présent, il s’agit d’une préface souvent reproduite (« Diversitas culparum diversitatem facit paenitentiarum… ») qui remonte à un texte (le Pénitentiel B) dont le noyau originel est attribué à saint Colomban (Vogel 1978 : 66).

Le catalogue des canons

Après le prologue vient le catalogue des canons. Celui-ci est cependant annoncé par une nouvelle formule d’introduction, accompagnée d’une Capitulatio : « Incipit indicius penitentie. De gula et ebrietate. De vomitum et fornicatione. De furtum et periurium. De conversationes. Et de diversis criminibus. » Cette façon d’ouvrir et d’annoncer les canons du livret ressemble à celle de beaucoup d’autres pénitentiels.

Le catalogue de canons qui suit est lui aussi d’un seul tenant. Pour les besoins de l’édition, et pour y voir clair, on y a introduit une numérotation, en attribuant un numéro à chaque canon, un canon étant essentiellement constitué d’un péché et du tarif expiatoire qui l’accompagne. Exemple : « Si quis episcopus aut aliquis ordinatus ebrietatis uitium <h>abuerit, aut desinat

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aut deponatur. » (Cord. 1)1 Ainsi, le pénitentiel de Cordoue est composé de 177 canons.

Une formule finale

Le catalogue des canons s’achève sur une citation d’Isidore de Séville, rappelant aux prêtres leur grande responsabilité dans la cure des âmes (Sent. III, 46, 1), suivie d’une phrase de saint Paul (1 Cor. 6, 16-17) très infidèlement citée, renvoyant chacun à ses responsabilités dans le choix qu’il fait de suivre la voie du péché ou celle de l’esprit. Le tout couronné par la formule de clôture : « Per eum qui vivit et regnat in secula seculorum ».

Du point de vue de la forme, donc, le Cordubense se présente comme un pénitentiel achevé, avec un début et une fin bien marqués. Du point de vue du contenu, par contre, la lecture révèle qu’il est le résultat d’un assemblage chaotique d’emprunts de provenance diverse, puisés çà et là et accolés les uns aux autres, dont l’analyse permet de tracer l’itinéraire au cours duquel le texte tel que nous le possédons s’est constitué.

Analyse des sources

Pénitentiel B de saint Colomban

Le prologue, comme nous l’avons déjà dit, remonte à un texte attribué à saint Colomban, et nous renvoie donc au monde celtique du début du viie siècle. Autre marque de l’origine celtique du Cordubense, la façon d’ouvrir la série des canons pénitentiels. En effet, le premier titre se rapporte à l’ivrognerie (Cord.1-10, Incipiunt indicius penitentie de gula et ebrietate), et ce début est celui d’un grand nombre de pénitentiels. Les compilateurs de tous ces pénitentiels ne font que se soumettre à un ordre consacré, « un ordre celtique, conçu en pays de grands buveurs », comme l’a souligné un spécialiste bien connu de l’histoire des collections canoniques (Le Bras 1931 : 117). Le compilateur du Cordubense n’a fait que suivre cette vénérable tradition.

Le Remense

Mais le pénitentiel de Colomban n’a pas servi de source immédiate, il s’était déjà répandu sur le continent, en pays franc, à travers de nombreux autres pénitentiels qui l’avaient intégré. L’un de ceux-ci est la source principale de notre pénitentiel de Cordoue : le Poenitentiale Remense, lui-

1 Nous citons d’après l’édition BEZLER, Francis, 1998 : Paenitentialia Hispaniae, Turnhout, Brepols (Corpus Christianorum, Series Latina, CLVI A)

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même élaboré à partir d’un autre pénitentiel, vers 850, en pays franc (Vogel 1978 : 76). Plus de 60 % des canons du Cordubense procèdent du Remense.

Hispana

Un des compilateurs du Cordubense est aussi allé chercher son bien dans la collection canonique espagnole appelée Hispana. Environ 13 % des canons procèdent de cette source (vingt-trois canons exactement : Cord. 130-137, 155-157, 159-162, 165-167, 171, 173-176). C’est là manifestement l’œuvre d’un clerc espagnol, après l’arrivée de ce pénitentiel en terres hispaniques.

Origine mozarabe

Un certain nombre de canons présentent des particularités qui permettent de faire l’hypothèse qu’ils ont été élaborés en milieu mozarabe. Ils font partie d’une série de textes (Cord.159-176) regroupés à la fin du pénitentiel sous le titre « Alia», ce qui prouve que le compilateur les a puisés ailleurs que dans la source franque (Remense) dont dépendent les canons immédiatement antérieurs. Et de fait, presque tous ont une source connue, qui est l’Hispana.

La plupart des textes de cette série finale (12 sur 17) présentent la particularité frappante de désigner le pécheur ou le fidèle par le mot

« christianus », ce qui est une formulation extrêmement rare dans les Libri paenitentiales, où l’on trouve généralement « Si quis… » ou « qui… », ou « Si qua mulier… ». On songe aussitôt au terme « christiani / cristianos » utilisé dès le ixe siècle par les chrétiens d’Espagne pour se désigner par opposition à l’envahisseur musulman (Castro 1966 : 28 sq). Cinq de ces textes traitent de délits contre l’orthodoxie (Cord. 159-161, 174, 175). Leur casuistique tourne autour de l’apostasie et de l’hérésie.

Apostasie

Ainsi, Cord. 174 condamne le renégat repenti à la pénitence publique pour le reste de sa vie (Si christianus fidem Christi negaberit et iterum conuersus fuerit ad fidem Christi, similem agat penitentiam omnibus diebus uite sue…). Si l’on tient compte de l’environnement textuel immédiat de ce canon, la formule utilisée pour l’énonciation du péché nous suggère fortement qu’il s’agit d’un retour au christianisme après une conversion à l’islam. Le reniement de la foi chrétienne, le passage de chrétiens à l’islam, fut un phénomène constant en Espagne / al-Andalus pendant des siècles à partir de 711, et le renégat finit par devenir un personnage littéraire, comme en témoigne tel romance viejo(Por las sierras de Moncayo/vi venir un renegado. / Bovalías ha por nombre / Bovalías el pagano. / Siete veces fuera

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moro / y otras tantas mal cristiano etc.), ou tel passage du Quichotte, où le renégat revient à la foi chrétienne et réintègre l’Église par la pénitence, comme dans notre canon (Cervantes 1998 : 1165 : « Reincorporóse y redújose el renegado con la Iglesia, y de miembro podrido volvió limpio y sano con la penitencia y el arrepentimiento. »).

Complaisance pour l’hérésie

Trois textes (Cord. 159-161) dénoncent des attitudes complaisantes envers l’hérésie, ce dernier terme pouvant désigner l’islam, puisqu’il fut constamment appliqué à la religion de Mahomet, le grand « hérésiarque »2. a) Passage des enfants d’un chrétien à l’hérésie :

Le canon Cord. 159 traite du passage des enfants d’un chrétien à l’hérésie, et est inspiré du canon 13 du concile de Lérida (546), qui visait les fidèles qui avaient fait rebaptiser leurs enfants dans l’arianisme. Mais là où le texte conciliaire dit : « Catholicus qui filios suos in haeresi baptizandos obtulerit… », celui du pénitentiel dit : « Si christianus filios suos <in> heresi tradiderit… ». Comme on voit, il n’est plus question de baptême, et le fidèle n’est plus appelé catholicus mais christianus. Ces changements s’éclairent si on rapporte le texte non plus à des chrétiens catholiques en milieu arien (comme c’était le cas à l’époque du concile de Lérida) mais à des chrétiens vivant en milieu musulman.

D’après notre texte, donc, il y aurait eu dans cette chrétienté des fidèles qui laissaient grandir leurs enfants dans la religion musulmane tout en restant eux-mêmes chrétiens. Cela n’a rien d’impossible pour la chrétienté d’al-Andalus, dont la plupart des membres se sont progressivement arabisés, et ont même fini par passer à l’islam au fil des siècles (Vicens Vives 1970 : 61-62, « Tres siglos después de la conquista (…) el Islam había logrado un triunfo sensacional : la conversión a la doctrina de Mahoma de los campesinos peninsulares al sur del Duero y de los Pirineos. »). L’auteur de notre texte a voulu, nous semble-t-il, lutter contre cette infidélité en rappelant (conformément à la vénérable tradition canonique de l’Hispana) qu’il fallait refuser l’offrande d’un tel chrétien et l’interdire de communion.

2 « seminator di scandalo e di scisma », dit à son propos Dante, Inferno XXVIII, 35. Voir encore, par exemple, les titres de deux ouvrages de Pierre le Vénérable, Summa totius haeresis Saracenorum, et Liber contra sectam sive haeresim Saracenorum.

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b) Mariages mixtes :

Dans deux autres textes du Cordubense ce sont les mariages mixtes entre chrétiens et « hérétiques » qui font l’objet d’une condamnation. Le premier (Cord. 160 : Si puella christiana in coniugium <h>ereticum copulauerit, excomunicetur et parentes eius V annos peniteant et sic comunicent) traite, plus précisément, de l’union d’une jeune chrétienne avec un hérétique. La jeune fille est frappée d’excommunication, et ses parents doivent se soumettre à cinq ans de pénitence avant de pouvoir être réadmis à la communion. Seul le cas de la jeune fille est évoqué, et cela s’explique sans doute du fait que c’était la religion du mari qui primait dans la future famille (sans oublier que le cas d’un chrétien épousant une musulmane était tout à fait impossible en terre d’Islam).

Comme on voit, les parents étaient tenus responsables de la fidélité religieuse de leurs enfants nubiles, et ils étaient passibles de sanctions en cas de défection d’un des jeunes. Si un presbytre, par exemple, laissait ses enfants épouser des « hérétiques » – cas de figure envisagé par notre deuxième texte (Cord. 161 : Si presbiter filios suos <in> heresi tradiderit in coniugium, auferatur ab eo sacerdotium, et cunctis diebus uite sue non comunicet, quia se ipsum <in> diabolum tradidit, et eglesiam dei condemnabit.) – il était déposé et excommunié à titre définitif.

On trouve des précédents à ces deux textes dans l’Hispana : le canon 16 du concile d’ Elvire (env.305/306) pour Cord. 160, et le canon 12 du troisième concile de Carthage (397) pour Cord. 161. Mais la lettre de nos deux textes ne coïncide pas du tout avec celle des deux textes canoniques. Seule la sanction prescrite par le concile d’Elvire (cinq ans d’excommunication pour les parents) se retrouve en Cord. 160.

c) Commensalité hétérodoxe :

Enfin, un autre texte du Cordubense interdit aux chrétiens de se rendre aux banquets des « gentils », toute infraction étant sanctionnée de quarante jours de pénitence (Cord. 175 : Si christianus ad prandium gentilium fuerit, XLa dies peniteat, et si<c> comunicet. ). Ici encore des précédents peuvent être trouvés dans l’Hispana, sans que la lettre de notre texte coïncide en rien avec celle de ces modèles possibles.

Il apparaît donc clairement que les délits contre l’orthodoxie recensés dans le Cordubense renvoient à une situation bien précise : celle d’une autorité ecclésiastique qui lutte contre l’effritement d’une communauté chrétienne vivant en contact étroit avec une communauté « hérétique »,

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et menacée par l’assimilation des jeunes générations. Tout porte à croire que ces textes du Cordubense ont été élaborés au sein d’une communauté mozarabe en terre d’Islam.

Peine de mort

Le canon Cord. 172 est tout à fait insolite, car il porte – chose inouïe dans la législation ecclésiastique – condamnation à mort. Le crime ainsi puni est l’adultère de la femme (Cord. 172 : Et christiana habens maritum <si>

fornicauerit cum alieno, rea erit morte). Comme on sait, l’Église n’a jamais admis la peine de mort parmi les sanctions de son droit pénal. On pourrait alléguer de nombreux textes pour illustrer ce fait (Cf. Dictionnaire de droit canonique 1958 : s.v. Sang (effusion de), col. 870 sq.). Qu’il nous suffise, pour nous en tenir à l’Église d’Espagne, de rappeler que le quatrième concile de Tolède (633), au canon 31, avait expressément interdit aux sacerdotes d’accepter la charge de juge d’un tribunal civil si le roi n’avait pas d’abord juré qu’il ne ferait exécuter aucun des condamnés. Le sacerdos qui n’aurait pas pris ses précautions et se serait ainsi rendu complice d’une effusion de sang, devait être déposé (Patrologia latina, t. 84, col. 375 : « Saepe principes contra quoslibet majestatis obnoxios sacerdotibus negotia sua commitunt ; sed quia sacerdotes a Christo ad ministerium salutis electi sunt, ibi consentiant regibus fieri judices, ubi jurejurando supplicii indulgentia promittitur, non ubi discriminis sententia praeparatur. Si quis ergo sacerdotum contra hoc commune consultum discussor in alienis periculis exstiterit, sit reus effusi sanguinis apud Christum, et apud Ecclesiam perdat proprium gradum. » ).

Et ce principe fut rappelé par le onzième concile de Tolède de 675 (Conc.

Tolet. XI, c. 6, ibid. col. 461 : « His, a quibus Domini Sacramenta tractanda sunt, judicium sanguinis agitare non licet… »).

Par ailleurs, on trouve dans le Cordubense des textes contredisant le canon 172. Ainsi, le canon 136 (Si quis adulterium comiserit, VII annos peniteat.

Conpletis <annis> autem <perfectioni> reddatur secundum pristinos gradus.), qui envisage le délit d’adultère sans préciser si le coupable est l’homme ou la femme, sanctionne cette faute de sept ans de pénitence. Le canon 135 (Si qua mulier per adulterium conceperit et occiderit filium in utero aut iam natum,

<nec> in finem accipiat comunionem, quia geminabit scelus.), qui évoque le cas de la femme adultère, coupable, de surcroît, d’avoir tué l’enfant du péché, prescrit une mesure d’excommunication définitive, mais pas la peine de mort. Les canons contradictoires sont monnaie courante dans les libri paenitentiales et le Cordubense est, de ce point de vue, tout à fait conforme

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au genre. Mais ce qui est vraiment exceptionnel en lui, c’est ce canon 172 qui porte condamnation à mort.

Le canon 172 serait-il influencé par la législation civile en vigueur dans l’Espagne chrétienne ? Dans le Liber Judiciorum, ou Forum Judicum, corpus juridique hérité de l’époque wisigothique, que les communautés mozarabes continuèrent toujours d’appliquer, et dont l’autorité fut rétablie dans l’Espagne septentrionale par le roi asturien Alphonse II (791-842), aucun texte ne dit que la femme adultère doit être mise à mort. Si la coupable est mariée, le législateur l’abandonne simplement à la discrétion du mari, qui peut en faire ce qu’il veut, même la tuer (Cf. Zeumer, 1894, p. 104, III. Antiqua : De adulterium uxoris : Si cuiuslibet uxor adulterium fecerit et deprehensa non fuerit, ante iudicem conpetentibus signis vel indiciis maritus accuset. Et si mulieris adulterium manifeste patuerit, adulter et adultera ipsi tradantur, ut quod de eis facere voluerit in eius proprio consistat arbitrio.

IIII. Antiqua : Si adulterum cum adultera maritus occiderit, pro homicidio non teneatur.). Si elle n’est pas mariée, son sort se trouve entre les mains de son père, ou de ses frères (Ibid., V. Antiqua. Si pater vel propinqui in domo adulteram occiderint filiam).

Ne pourrait-on pas, en revanche, attribuer cet extraordinaire canon 172 à l’influence hégémonique de la civilisation islamique sur le milieu mozarabe d’al-Andalus où ce texte peut avoir été élaboré ? Cela n’est pas impossible puisque la loi coranique et les traditions pénales du monde arabo-musulman répriment l’adultère par la mort (Cf. Enzyklopaedie des Islam, s.v. Ziná). Cette impression est renforcée par les deux canons immédiatement antérieurs.

Polygamie

En effet, le canon 170 sanctionne le « christianus » qui aurait deux épouses (Christianus <h>abens duas uxores non comunicet nec oblatio eius in eglesia recipiatur donec relinquat postera<m>, et VII annos peniteat, et sic comunicet.). Et quand l’auteur de ce texte écrit « duas uxores », il veut très exactement dire cela, puisque dans le canon suivant il distingue nettement le cas du « chrétien » qui, en plus de sa femme légitime, son

« uxor », entretient une concubine (Cord. 171 : Et si christianus <h>abens uxorem et concubina<m>, similem agat penitentiam annos VII, et dimittat concubina<m> et sic comunicet, quia pars <h>omicida est.). Il est donc très clair que l’auteur de ces textes a été confronté, dans son Église, à des cas insolites en milieu chrétien d’hommes ayant plus d’une épouse légale, ou bien une concubine en plus de l’épouse.

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Toute cette série de textes (Cord. 159-176), donc, regroupée à la fin du pénitentiel et caractérisée par la formulation ainsi que par la casuistique que nous avons rapidement exposées, ne peut avoir été élaborée, nous semble-t- il, qu’au sein d’une communauté mozarabe d’al-Andalus.

Conclusion. Itinéraire d’un texte : du monde celtique à la mozarabie

Le pénitentiel de Cordoue, tel qu’il nous est parvenu, est une compilation de textes de provenance diverse, vaguement mis en forme en Espagne par le dernier compilateur. Mais où et quand exactement ?

La critique interne du texte permet d’apporter une réponse relativement précise. En effet, le Cordubense contient d’intéressantes commutations pénitentielles. Que faut-il entendre par commutations pénitentielles ? Pour faire court, rappelons simplement que les tarifs des différents péchés s’additionnaient généralement, et qu’un pécheur ordinaire pouvait donc, après confession, se voir imposer une expiation (presque toujours un jeûne) s’étendant sur de longues années. Mais seules des âmes d’élite pouvaient se soumettre à pareil régime, et le syste risquait de ne pas pouvoir être mis en pratique pour le commun des fidèles. C’est pourquoi il comportait un correctif : les commutations ou rédemptions, qui permettaient au pénitent de « racheter » son jeûne pénitentiel par des prières, des génuflexions, des récitations de psaumes, des flagellations, des amendes en numéraire, etc. Nombreux sont les livrets pénitentiels qui contiennent des tarifs de commutation, parmi eux le Cordubense. L’analyse de ces commutations, qui serait trop longue à exposer ici, permet de conclure que le texte que nous possédons a été compilé au plus tard au cours de la première moitié du xie siècle, quelque part en Galice (Bezler 1994 : 95-99).

Ainsi se dégagent en filigrane une chronologie et un itinéraire au cours desquels notre pénitentiel s’est constitué. L’institution de la pénitence tarifée (encore appelée pénitence celtique ou insulaire) et le genre littéraire du Liber Paenitentialis, ainsi que le noyau le plus ancien du Cordubense (le pénitentiel B de saint Colomban), nous renvoient au monde monastique celtique tel qu’il avait essaimé sur le continent au ve - vie siècle. La source principale du Cordubense, le pénitentiel Remense, nous transporte dans l’Europe franque du ixe siècle, où le genre littéraire en question proliférait. À un moment donné, que l’on ne peut préciser, le Remense a franchi les Pyrénées et est passé en Espagne, probablement par le très fréquenté « Chemin de Saint

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Jacques » dans le bagage de quelque clerc allant faire ses dévotions, voire un pèlerinage pénitentiel, sur la tombe de l’apôtre.

Le genre littéraire du Liber Paenitentialis a manifestement voyagé jusqu’en al-Andalus où il a trouvé accueil au sein d’une communauté mozarabe. De là, le fragment que nous avons brièvement analysé a voyagé vers le nord-ouest de l’Espagne (sans doute pas dans l’état que nous lui connaissons) pour être intégré par un des compilateurs au livret pénitentiel que nous appelons Cordubense. Rien d’étonnant à ce voyage d’al-Andalus vers l’Espagne chrétienne du nord-ouest, car nombre de Mozarabes, parmi eux des communautés monastiques, ont pris ce chemin pour fuir les persécutions auxquelles ils étaient parfois exposés. Une église comme San Miguel de Escalada (fondée en 914, province de León), pour ne mentionner que celle-là, témoigne de cette présence mozarabe dans l’Espagne du nord- ouest, bien connue par ailleurs. Notre texte, donc, fait d’emprunts divers, porte aussi une nette empreinte mozarabe.

Finalement, le pénitentiel de Cordoue et l’itinéraire qu’il présuppose nous disent ce que nous soupçonnions déjà : à savoir que les voyages forment aussi les textes.

Bibliographie

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