• Aucun résultat trouvé

Affirmer la légitimité des femmes dans l’espace public

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Affirmer la légitimité des femmes dans l’espace public"

Copied!
5
0
0

Texte intégral

(1)

P

ARTIE

II

Affirmer la légitimité des femmes dans l’espace public

Les luttes féministes pour l’égalité politique et l’égalité économique

« Malgré ces quelques droits acquis,

la presque totalité des femmes n’en reste pas moins cette moitié sans importance

qui est assujettie à des lois qu’elle ne fait pas, soumise à une justice qu’elle ne rend pas,

et qui paie l’impôt qu’elle ne vote pas »

(De Craene,L., « Le Féminisme », La Patrie belge, Bruxelles, 1930, p. 102)

(2)

Avant-propos

L’acquisition de droits égaux pour les deux sexes, au plan économique et civil, puis politique, constitue les deux pans majeurs des luttes féministes de l’entre-deux-guerres aux années 1960. Les revendications sont intimement liées et la manière dont les différents groupes féministes en ont perçu l’urgence détermine la forme et l’organisation de leur champ revendicatif.

Qu’est-ce qu’une citoyenne ?

Le terme de citoyen ne recouvre pas la même notion selon les époques. Pour Jean Bodin,

« le citoyen est un chef de famille qui prend part aux affaires publiques, il n’est pas encore question de son appartenance au corps politique »

1

. Thomas Hobbes (1588-1679) le conçoit déjà « dans sa fusion avec le corps politique et dans le cadre d’un calcul rationnel, à savoir l’obéissance du citoyen à la loi qu’il a contribué à former en échange de la garantie de sa sûreté personnelle»

2

. Par la suite les nombreux penseurs du XVIII

e

siècle, précurseurs et protagonistes de la révolution française, y ajoutent l’idée de la limitation des droits du souverain par rapport à ceux du citoyen. Condorcet est « le premier à réclamer l’admission des femmes au droit de cité lors de la Révolution française »

3

.

Le discours féministe sur la citoyenneté féminine se modifie tout autant et la citoyenneté féminine revêt donc, au même titre que celle des hommes, une signification différente selon les époques. Les féministes, pleinement inscrites dans leur temps, ont également une conception évolutive de cette citoyenneté et justifient l’accès des femmes aux droits politiques par des éléments variables, qui se juxtaposent ou se contredisent au fil du temps, au risque de paraître parfois paradoxaux.

Dans le premier XX

e

siècle, les relations avec les féministes étrangères, les bouleversements de la politique internationale, les changements de la situation intérieure se conjuguent pour amener les féministes belges à revoir leur concept de la citoyenneté. Le

1 MARQUES-PEREIRA, B., La citoyenneté politique des femmes, Armand Colin, Paris, 2003, p. 18.

2Ibidem.

3 MARQUES-PEREIRA, B, « Citoyenneté », HIRATA, H., LABORIE, Fr., LE DOARE, H., SENOTIER D. (dir.), Dictionnaire critique du féminisme, Paris, 2e édition, 2004, p. 16.

(3)

cadre d’analyse est donc mouvant et les croisements possibles sont multiples, ce qui en fait toute la complexité.

Plusieurs interrogations sont cependant privilégiées dans les chapitres qui suivent: le parcours qui mène à l’égalité politique s’impose comme première analyse, incluant la manière dont les féministes conçoivent le suffrage féminin. Un deuxième chapitre est consacré aux mobilisations féministes en faveur de la démocratie, dans le cadre de l’antifascisme puis de la guerre froide. Le troisième pose la question des relations des femmes à la nation, à la patrie et à l’Etat et aux variations observables selon qu’elles disposent ou non de droits politiques. Cet aspect est illustré notamment par le biais de la nationalité de la femme mariée, de l’accès au service militaire, du patriotisme mais aussi de l’engagement féministe dans l’internationalisme et le pacifisme. Ces angles d’approche multiples permettent de nuancer et d’éclairer les relations souvent très paradoxales (au sens utilisé par Joan W. Scott)

4

entretenues par les féministes avec le politique. Ils offrent aussi l’avantage d’englober une citoyenneté élargie, qui annonce la conception contemporaine, recouvrant « habituellement trois sens : la citoyenneté est un statut (un ensemble de droits et devoirs) ; elle est aussi une identité (un sentiment d’appartenance à la communauté politique définie par la nationalité et un territoire déterminé) ; elle est enfin une pratique qui s’exerce à travers la représentation et la participation politiques : celles-ci traduisent la capacité de l’individu à peser sur l’espace public en émettant un jugement critique sur les choix de société et en réclamant le droit à avoir des droits »

5

.

L’indépendance économique avant le droit de vote

Toutefois, les féministes développent précocement une conception protéiforme de la citoyenneté, qui, à leurs yeux, ne se résume pas aux seuls aspects politiques. Dans la société belge ultra-libérale de la fin du XIX

e

siècle, en proie aux clivages sociaux et où les hommes ne disposent pas encore du suffrage universel, il n’est pas étonnant qu’elles aient d’abord assimilé l’autonomie féminine dans l’espace public à l’émancipation financière et économique. La Ligue du droit des femmes (1892) voit même dans le suffrage une sorte de

« droit dérivé », à obtenir en fin de course, et dont l’efficacité est illusoire tant que la femme demeure aliénée au mari ou au patron

6

.

Dans son sillage, la Société belge pour l’amélioration du sort de la femme (ASF, 1897) met l’accent sur le statut économique des femmes et les discriminations dont elles souffrent dans le monde du travail. Cette recherche de l’égalité économique entraîne nécessairement les féministes sur d’autres terrains : enseignement, législation du travail. Elles ne se heurtent pas seulement aux justifications théoriques de la division du travail et de l’inégalité salariale, mais aussi aux lacunes concrètes de l’enseignement des filles, à leur absence de formation, aux restrictions imposées par le code civil. Soumises à la puissance maritale, les femmes ne peuvent décider elles-mêmes si elles engagent ou non leur force de travail. Elles ne peuvent pas gérer les bénéfices qu’elles en retirent. La recherche de l’égalité économique va donc de

4 SCOTT, W. J., La citoyenne paradoxale. Les féministes françaises et les droits de l’homme, (traduction française), Albin Michel, Paris, 1998.

5 MARQUES-PEREIRA B, « Citoyenneté », Dictionnaire critique…, p. 17.

6 GUBIN, E., « Genre et citoyenneté en Belgique. 1885-1921 », H.-U. JOST, M. PAVILLON et VALLOTTON F. (dir.), La politique des droits. Citoyenneté et construction des genres aux 19ème et 20ème siècles, Paris, Kimé, 1994, p. 56-57.

(4)

pair avec l’exigence de réforme du code civil. Lors de sa première assemblée générale en novembre 1892, la Ligue belge du droit des femmes affirme « qu’avant de vouloir faire de la femme l’égale de l’homme au point de vue politique… (il) faut obtenir la reconnaissance de ses droits civils »

7

. Comme pour d’autres questions, la revendication féministe relative au travail des femmes revient donc en boucle sur le statut d’infériorité légale des femmes

8

.

Mais la résistance opiniâtre manifestée par une fraction majoritaire de la société à l’égard du travail salarié des femmes oblige toutefois les féministes à revoir leurs priorités et à opter pour de nouvelles stratégies. Progressivement, la revendication politique prend le pas et apparaît même, peu avant la Grande Guerre, comme un préalable indispensable aux autres réformes. Cette alternance dans les priorités s’observe encore jusqu’en 1948.

Enfin, ces féministes de la première vague, issues en majorité des classes moyennes, sont très sensibles à l’enseignement comme moyen d’ascension sociale. Elles lient étroitement travail et qualification, d’autant plus que leur propre expérience leur a permis de pénétrer, grâce à leur instruction, dans des sphères jusque-là exclusivement réservées aux hommes.

Elles ont parfaitement assimilé le discours libéral méritocratique et l’ont adapté à leurs propres objectifs

9

. Pour certaines, restées célibataires, comme Marie et Louise Popelin, Isala Van Diest ou Isabelle Gatti de Gamond, l’instruction leur permet d’exercer un métier digne de leur « rang social », capable de leur fournir des moyens d’existence décents.

Une demi-citoyenneté et un droit au travail contesté

La sortie de la Première Guerre bouleverse le contexte général. Après un bref moment de solidarité, sous la bannière du civisme, la ségrégation sexuée revient en force, au plan politique comme au plan économique. Citoyennes-ménagères, reléguées au niveau communal, les femmes sont aussi renvoyées au foyer pour repeupler le pays. Dès les années 1920, le souci économique redevient pourtant prioritaire, en raison du changement profond dans la politique sociale de l’État belge. Celui-ci ne disposait que d’un embryon de législation du travail avant 1914. Après quatre années d’occupation, où le Comité national de Secours et d’Alimentation a dû se substituer aux pouvoirs publics pour assurer la survie de la population, l’État s’engage dans un interventionnisme affirmé à partir de 1918. Le salariat se généralise : ouvrant sur de nouveaux droits sociaux, il est clairement identifié comme un des facteurs majeurs d’émancipation pour les classes laborieuses. En toute logique, les féministes égalitaires y puisent la confirmation de son importance pour l’émancipation féminine. Mais l’inquiétude ne se fait pas attendre : la reconstruction économique s’effectue largement au profit du travail masculin ; ce sont les secteurs de la grande industrie (métallurgie, mines) ou de la construction qui se rétablissent en premier lieu, au détriment des métiers féminins. Le travail des femmes est un souci d’arrière-plan, sauf à veiller qu’il n’entre pas en concurrence avec celui des hommes. À mesure que la crise économique s’approfondit au début des années 1930, le travail des femmes est suspecté et jugé

7 La Ligue, 1892, p. 6-9 et 1893, p. II.

8 NANDRIN, J.-P., « Het juridisch statuut van de vouwelijke zelfstandige : de erfenis van Napoléon », VAN MOLLE, L. et HEYRMAN, P. (dir.), Vrouwen zaken, zakenvrouwen. Facetten van vrouwelijk zelfstandig ondernemerschap in Vlaanderen 1800-2000, Gand, 2001, p. 40.

9 GUBIN, E., « Genre et citoyenneté en Belgique… », p. 57 ; GUBIN, E., « Libéralisme, féminisme et enseignement des filles en Belgique », Politique, Imaginaire et Éducation. Mélanges en l’honneur de Jacques Lory, Bruxelles, (FUSL), 2000, p. 151-174.

(5)

responsable du chômage grandissant. Déjà tenu pour coupable de la faible natalité, le travail salarié des femmes devient un danger pour l’économie du pays et les femmes sont traitées exactement comme les travailleurs immigrés : des mesures analogues sont prises en 1934 pour que les étrangers soient renvoyés dans leur pays d’origine, les femmes dans leur foyer.

Dans une société en pleine mutation, où, pour la première fois, les femmes accèdent à des emplois mieux qualifiés, cette menace frontale sur l’emploi féminin remet évidemment l’égalité économique au cœur des urgences.

Cette priorité réaffirmée correspond aussi au relatif discrédit du politique. L’instabilité gouvernementale depuis la fin de la guerre, les cabinets qui se succèdent à un rythme accéléré (le plus éphémère dure à peine une vingtaine de jours) accentuent un désintérêt pour la politique dont s’emparent les partis antiparlementaires (VNV et REX). On parle communément de « crise du régime parlementaire » et des institutions, au point qu’une commission officielle est mise sur pied pour étudier la réforme de l’Etat à la fin des années trente. Les féministes, dont les premières expériences politiques n’ont pas été exaltantes, se détournent de la revendication suffragiste pour concentrer leurs efforts sur le souci majeur du moment : l’emploi féminin et son corollaire - la réforme du code civil. Cette attitude s’observe jusqu’à l’émergence brutale d’un nouveau danger politique: la Guerre d’Espagne et sa signification pour la démocratie.

La sortie de guerre en 1945 n’est pas un remake de 1918, même si des arguments et des attitudes identiques s’observent. Tous les milieux politiques encensent la participation des femmes dans la résistance mais celles-ci doivent attendre quatre ans avant d’obtenir la citoyenneté politique complète, et cette victoire est loin de combler leurs attentes. Les féministes découvrent alors que l’égalité formelle – l’égalité des droits – qu’elles ont toujours poursuivie de leurs vœux, reste sans effet sans la volonté d’une égalité de résultat.

La déception est forte. Devenues électrices au même titre que les hommes, dans un système où le vote est obligatoire, les féministes amorcent l’expérience du déni de représentation. De plus, elles sont partie prenante dès la fin des années 1940 de la guerre froide qui les confronte à de nouveaux rapports avec la démocratie.

La déception est analogue dans le domaine économique où de nouvelles discriminations

apparaissent avec le développement de la législation sociale. Les revendications féministes

sur le travail des femmes intègrent toujours des questions aussi diverses que le droit au

travail des femmes, l’accès à toutes les professions, l’amélioration des conditions de travail,

l’égalité salariale. La période qui s’étend de 1945 aux années 1960, caractérisée pourtant par

l’acquisition formelle de tous les droits, est aussi celle de la (re)découverte amère du poids

des discriminations persistantes, indirectes, cachées, et de la puissance des préjugés.

Références

Documents relatifs

formidables opportunités de répondre aux besoins relatifs à la santé des femmes pendant leur vie active, en offrant des solutions intégrées sur le lieu de travail allant au-delà

Par ailleurs, l’habitat y est principalement individuel ; dans cette situation, le plafonnement de la part fixe peut avoir un impact plus important que dans le cas de

On peut alors indexer le prix sur deux parties, l'une relative à l'exploitation du service, et l'autre relative à l'importation d'eau, achetée au prix P Achat Eau ... peut

En décembre 1964, l'Institut national de la Statistique et des Etudes économiques publiait dans sa revue Études et Conjoncture un article sur l'emploi féminin qui rassemblait

Une femme porteuse d’un risque génétique, par exemple de cancer du sein, peut souhaiter révéler certaines informations à des membres de sa famille, mais cela peut aussi lui

Sans trop de surprise, dans cette veille très hétérogène dans ses sources, les salariés agricoles sont associés plus ou moins fortement à deux autres actifs agricoles

Elle n’est pour l’instant pas étudiée pour une raison bien simple : la variable « sexe » ne fait pas partie des variables utilisées couramment par les chercheur.e.s qui

Durant ces années de débats, répétitifs, stéréotypés, sans cesse repris et réaménagés, pour défendre le droit au travail des femmes ou pour le nier, la société est