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Développement durable et autres développements : solutions miracles ou comportements durables?

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Michel Sebillotte

To cite this version:

Michel Sebillotte. Développement durable et autres développements : solutions miracles ou comporte- ments durables?. Matières à (re)penser le développement durable et autres développements, Edition INRA, 157 p., 2003, Bilan et Prospectives - INRA, 2-7380-1107-1. �hal-02829866�

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Bilan et ProslJectives

ET D'AUTRES DÉVELOPPEMENTS Pierre F. Gonod

PRÉFACE DE MICHEL SEBILLOTTE

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LE DEVELOPPEMENT DURABLE ET

D'AUTRES DEVELOPPEMENTS·

Pierre F. GONOD

Préface

Michel SEBILLOTTE

Juillet 2003

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REMERCIEMENTS

Je veux sortir des banales formules toutes faites en remerciant Michel Sebillotte. D'abord pour avoir pris le risque, en tant que responsable de la Délégation permanente à l'Agriculture, au Développement et à la Prospective (DADP), de me contracter pour me lancer dans l'aventure des « Matières à (re) penser le développement durable et d'autres (s) développement (s) ». Ensuite et surtout, pour la contribution qu'il m'a apportée. Mon étude a conduit à des dossiers successifs qui s'épaississaient au fur et à mesure des recherches. Il fallait y remettre de l'ordre. Les propositions et critiques de Michel Sebillotte sur le fond m'ont permis de restructurer l'ouvrage et m'ont poussé à aller plus loin dans les thèses. Ses observations pointilleuses sur la forme lui ont pris beaucoup de temps. Je lui en sais gré. Michel Sebillotte et moi avons de fortes références culturelles sans avoir pour autant de maître à penser. Au terme d'activités prospectives où nous avons collaboré, je souhaite que nous continuions entre « amis à penser ».

Je n'oublie pas non plus dans ces remerciements le Secrétariat, et en particulier Françoise Olivès, que j'ai mise à rude épreuve.

Pierre F. Gonod Juillet 2003

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DEVELOPPEMENT DURABLE ET AUTRES DEVELOPPEMENTS:

SOLUTIONS MIRACLES OU COMPORTEMENTS DURABLES?

Michel SEBILLOTTE

[2J

UNE COMMANDE •••

Le travail que signe P.F. Gonod arrive à un moment! où la notion de développement durable devient, en France, une préoccupation générale: citoyens, gouvernement2, organismes de recherche3,4.

C'est pour répondre à une commande de la délégation à l'Agriculture, au Développement et à la Prospective (DADP) que P.F. Gonod a entrepris cet ouvrage. Collaborant avec la DADP depuis de nombreuses années, il avait, de plus, une solide expérience des questions de développement, quand il collaborait avec F. Perroux, travaillait au Commissariat au Plan, ou lorsqu'il était à l'Organisation des Etats Américains à Washington, à l'ONUDI à Vienne, au Bureau International du Travail à Genève. Ce parcours professionnel unit dans un profil interdisciplinaire le politique, l'économique, le social, la technologie, et aboutit aux questions de prospective, aujourd'hui son activité principale.

« Matières à (re)penser le développement durable et d'autres développements» de P.F.

Gonod, est une brique novatrice à l'édifice en cours de construction collective. Mais,

1 Ce travail est une version totalement refondue d'une première mouture Uuillet 2002), ayant eu une diffusion limitée (principalement les membres INRA qui se sont rendus à Johannesburg).

2 Discours de Jacques Chirac, président de la République Française, à Johannesburg (2 septembre 2002).

Conseil interministériel pour le Développement durable, réuni autour de 1.P. Raffarin, premier ministre, le 3 juin 2003 ; projet d'une Charte Environnement.

3Legrand P., 2002. L'INRA face au développement durable. Repères pour le sommet de Johannesburg.

Courrier de l'Environnement. nO 22, INRA, Paris.

4 Par exemple: Godard O., Hubert B., 2002. Le développement durable et la recherche scientifique à l'INRA.

Coll. Bilan et Perspectives, Editions INRA, Paris.

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_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Ma\\ères à \re)penser \e dé\le\oppemen\ durab\e et d'autre (8) développement (8)

avant d'en esquisser brièvement les grands traits, quelles en furent les origines? L'idée de ce travail s'est progressivement imposée à nous. D'une part, nous étions insatisfaits des approches courantes en matière de développement durable. Cette notion, trop vague, nécessitait approfondissement et révision des méthodes à mettre en œuvre. D'autre part, comme nous allons l'évoquer, nos activités à la DADP nous conduisaient, nécessairement, à aborder la question des modes de développement.

~ LES ORIGINES DU TRAVAIL •••

2.1. L'agronomie

Agronome, le thème de la durabilité est présent dans toutes nos activités. C'est principalement à travers la question des systèmes de cultures que nous l'avons abordé5.

Classiquement, il s'agissait, pour l'agriculteur et l'agronome, d'entretenir la fertilité du milieu et donc d'inventer des pratiques culturales (composées en itinéraires techniques) et des successions de cultures qui aboutissent à cet entretien (voir à une restauration). Il s'agissait donc de gérer durablement dans le temps6. Ceci posait la question des indicateurs de cette gestion. Pendant longtemps, les agronomes ont mis en avant des caractéristiques analytiques et, tout particulièrement, les teneurs en matières organiques des sols. En effet, ces dernières sont reliées à de nombreuses propriétés des sols et il est possible d'apprécier la contribution d'un système de culture au bilan organique des sols, donc de quantifier ses avantages ou inconvénients dans ce domaine. Nous avons donc utilisé ce que nous savions faire!

Mais deux séries de phénomènes se sont produits. D'une part, les évolutions des techniques culturales et des variétés cultivées ont permis une remise en cause des exigences concernant les seuils minimums de teneur en matières organiques classiquement retenus pour juger des pratiques agricoles au regard de la conservation de la fertilité; ce recul des teneurs étant lui-même directement lié à celui de l'élevage dans les régions de grande culture sous l'influence des conditions socio-économiques. D'autre part, les progrès des connaissances agronomiques ont conduit à repenser le concept de fertilité du milieu et, entre autres, à parler de potentialités. On ne pouvait plus se contenter d'un seul indicateur, une analyse multicritères devenait nécessaire. Ces mêmes progrès des connaissances remettaient aussi en cause l'indicateur de fertilité le plus habituel des agriculteurs, à savoir la production à l'hectare, improprement appelé le rendement des cultures. On montrait, de plus en plus, le rôle capital du climat de l'année

5 Sebillotte M. (dir.), 1989. Fertilité et Systèmes de Production. Editions INRA Paris. Voir aussi Sebillotte M., 1993. L'agronome face à la notion de fertilité. Natures, Sciences et Sociétés. l, (2),128-141.

6 Voir nos travaux sur la jachère, par exemple: Sebillotte M., 1985. La jachère. Eléments pour une théorie. In A travers champs. Agronomes et Géographes, ORSTOM, Paris, 175-229.

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et celui des interactions c1imat-sol-plante-êtres vivants du sol - techniques culturales7.

Les agronomes devenaient, par nécessité, des adeptes des démarches systémiques, aussi bien pour émettre leurs diagnostics que pour forger leurs conseils8.

Ainsi, agronomes et agriculteurs, dans leur besoin de pouvoir juger leur aptitude à gérer la fertilité du milieu, et sous la pression des conditions socio-économiques fluctuantes, des évolutions techniques et des progrès des connaissances, ont renouvelé de manière radicale la manière de poser le problème et les outils à mettre en œuvre. Si la préoccupation de la durabilité est permanente, les manières de faire pour l'obtenir sont contingentes aux circonstances et aux connaissances.

2.2. Le développement régional

Une des missions de la DADP visait la mise en place d'actions de recherches « pour et sur» le développement régional, menées en partenariat, d'abord dans trois régions de France, puis dans cinq9. Ces actions, qui supposent de co-construire avec les partenaires les objets sur lesquels, en partenariat, on décidera de conduire des recherches, nécessitent une certaine vision commune de l'avenir. C'est à ce titre que nous posions la question de savoir à quel type de développement contribuent, de fait, nos recherches? En allant plus loin, à quel type de développement nous voudrions participerlO Il n'y a pas de développement pour des territoires sans un minimum de projet commun. Et, de fait, pas de projet sans prospective (cf. note 13).

Mais on butte rapidement sur les difficultés suivantes: sur quelle base se mettre d'accord, à quelle échéance? Non seulement, les idées de futur souhaitable varient selon les acteurs concernés mais, au moins autant, leurs diagnostics sur les situations présentes diffèrent et donc l'importance et la hiérarchie des actions à entreprendre.

On aurait pu croire que la notion de développement durable aiderait les acteurs à trouver des solutions de compromis leur permettant de travailler ensemble. L'expérience montre que cette expression n'est pas opérationnelle, qu'el1e est discutée et sert surtout à renvoyer les acteurs vers le choix de sujets « qui ne fâchent pas, pour plus tard », donc à esquiver les questions de fond. Une difficulté toute particulière est cel1e de l'échéance à laquelle on viserait l'obtention d'un développement durable. Or, selon l'échéance, les chemins pour aboutir seront très différents ainsi que la hiérarchie des problèmes à résoudre. On retrouve, ici, les remarques d'un Ruthenberg qui, économiste, insistait déjà

7 Sebillotte M., 1968. Les rotations culturales. Approche méthodologique d'une politique dynamique.

Journées F.N.C.E.T.A. « Vers l'entreprise agricole de 1975 ». Paris. Etude n° 1381, Il p.

8 Sebillotte M., 1974. Agronomie et Agriculture. Essai d'analyse des tâches de l'agronome. Cah. ORSTOM, Série Biol, 3 (1), 3-25.

9 Sebillotte M., 2000a. Des recherches pour le développement local. Partenariat et transdisciplinarité.

RERU,3,535-556.

10 Sebillotte M., 2000b. Territoires: de l'espace physique au construit social. Les enjeux pour demain et les apports de la recherche. OCL, VoI.7,no6, 474-479.

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_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Matières à (re)penser le développement durable et d'autre (s) développement (s)

sur les questions d'échéances et sur leurs répercussions sur les choix à faire en matière de développementll. Ceci justifie amplement le choix du titre de P.F. Gonod qui considère, face au développement durable la possibilité d'autres développements.

Autre obstacle, en matière de développement, la tension qui existe entre les posltIons extrêmes de ceux qui s'en remettent au bon sens des acteurs et à leurs capacités de réactions aux événements, et de ceux qui pensent que nos actions ne seront cohérentes et pertinentes que dans la mesure où elles pourront se référer à un projet, même peu élaboré, qui les rend pro-actifs. Ces derniers avancent fréquemment, de plus, que toute évolution, toute transformation ne constitue pas forcément un progrès.

Enfin, dernière tension que nous retenons ici, celle qui sépare ceux qui croient à des solutions «définitives et durables» et ceux qui pensent que ces dernières n'existent pas.

Pour notre part, agronome et responsable de la DADP, nous croyons à la continuelle nécessité d'un projet qui fixe la direction générale et d'adaptations au quotidien. A titre d'exemple, les questions de l'environnement montrent bien que les mêmes pratiques culturales seront, selon les circonstances de climat et de sol, préservatrices ou destructrices de l'environnement. C'est la raison pour laquelle on doit toujours s'interroger sur le rôle des règlements et des normes dans la conduite des sociétés et donc, a fortiori, lorsque l'on prétend viser un développement durable. C'est aussi pourquoi, à partir dujour où la question de la préservation de l'environnement d'un territoire se pose, elle devient nécessairement une préoccupation permanente qu'il ne sera plus jamais possible d'évacuer. Il n'y a pas de solution «miracle» qui, appliquée en une seule fois, délivrerait les groupes humains des préoccupations environnementales. On ne vaccine pas une fois pour toute! Le développement durable c'est apprendre à gérer durablement ce qui n'est pas durable.

2.3. La prospective

Les actions de prospectives à l'INRA se sont développées après la création de la DADP, suite au rapport «Avenir de l'Agriculture et Futur de l'INRA »12. C'est ainsi que la Présidence et la Direction Générale ont commandé des prospectives sur les semences et le secteur semencier, la forêt et la filière bois, les protéines, l'eau et les milieux aquatiques, les vignes et les vins, chacune ayant donné lieu à un rapport. De la même manière, l'INRA-DADP a apporté son concours au CETIOM pour la réalisation d'une prospective

l, . d l " 11 sur avemr es 0 eagmeux -.

Il Ruthenberg H., 1981. Farming systems in the tropics. Oxford University Press, 3ème édition.

12 Sebillotte M., 1993. L'avenir de l'agriculture et le futur de l'INRA. Coll. INRA, Bilan et prospectives, Paris.

Rapport repris dans: Sebillotte M., 1996. Les mondes de l'agriculture. Une recherche pour demain. Coll.

Sciences en question. Editions INRA.

13 Sebillotte c., Ruck L., Messéan A. 2002. Prospective compétitivité des oléagineux dans l'avenir. Cetiom, Paris.

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Pour mener à bien ces opérations de prospective, une méthode originale a été conçue et développée, la méthode SYSPAHMM (Système-Processus-Agrégats d'Hypothèses Micro et Macroscénarios)14, elle aussi fondée sur une approche systémique.

L'objectif de ces prospectives était d'explorer la gamme des futurs possibles pour les différents systèmes étudiés. Une difficulté fut de délimiter les univers pour lesquels nous ferions des hypothèses de rupture. Ainsi, comment étudier ce qui se passe en France ou en Europe sans tenir compte de l'ensemble du Monde? Mais où s'arrêter? Faut-il, par exemple, inclure le développement de la consommation du vin en Chine dans une prospective sur vignes et vins en France et en Europe? Faut-il considérer les modifications liées à l'entrée de la Chine dans l'OMC pour une prospective sur les protéines? On sent bien que, rapidement, le souhaitable se heurtera au possible et qu'à trop embrasser nous serons devant une montagne d'hypothèses difficiles à relier dans une représentation globale du système objet du travail.

Pourtant, nous avons constamment ressenti le besoin d'élargir nos réflexions aux aspects macropolitiques et macroéconomiques qui dominent les phénomènes locaux ou régionaux. C'est ainsi que, dès la prospective « Semences» (années 94-96), nous avons bien identifié que nos réflexions se situaient dans le cadre d'une économie mondiale dominée par le libéralisme et que ceci n'était pas sans conséquence. C'est pourquoi, nous avions introduit alors, comme facteur de rupture, l'hypothèse d'une forte montée des préoccupations de développement durable.

Plus récemment, dans le cadre de la prospective protéines, ces réflexions se sont développéesl5. En effet, les modes de consommation des protéines sont en interaction avec les orientations de la consommation humaine, avec les modes d'élevage, eux-mêmes très liés aux modèles de développement prédominants ... C'est ainsi que l'Europe est très dépendante du soja des Amériques pour ses élevages et que la consommation des viandes se fait de plus en plus au détriment des viandes rouges. Nous so.mmes dans un modèle de développement libéral dont la préoccupation majeure est la rentabilité, transformée en productivisme, sans trop de souci pour l'environnement ou les emplois, pourtant critères de durabilité dans l'acception actuelle associant l'économique, le social et l'environnement.

Les macroscénarios de la prospective « Protéine ».

14 Sebillotte M., Sebillotte c., 2002. Recherche finalisée, organisations et prospective: la méthode prospective SYSPAHMM (Système, Processus, Agrégats d'Hypothèses, Micro et Macroscénarios). Revue OeL, vol. 9, nOS, Paris, 329-345.

15 Et P.F. Gonod y a apporté une contribution essentielle.

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_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Matières à (re)penser le développement durable et d'autre (s) développement (s)

Nous avons donc imaginé que le système « Protéines France-Europe» pourrait, à terme, se trouver confronté à six Macroscénarios pour son environnement mondial16 (tableau 1).

Tableau 1 : Typologie des macroscénarios

Macroscénarios Variantes

UL 1 UL2

Ultra libéralisme « Le tout-libéral» « La crise systémique mondiale»

GM 1 GM2

Gouvernance « La régulation mondiale mondiale par les organisations

« Un « autre » intergouvernementales»

développement»

GR 1 GR2

Gouvernances « La coopération entre « Les crises régionales»

régionales grandes zones économiques mondiales»

Il s'agit, en fait, de six images de ce que pourrait être le monde dans une dizaine d'années selon trois orientations de la gouvernance mondiale:

un ultralibéralisme piloté par les entreprises multinationales;

une gouvernance mondiale pilotée par les organisations intergouvernementales mondiales (OMC, ONU ... ) ;

une gouvernance régionale regroupant de grands blocs ayant leurs propres règles, à l'image de l'U.E., de l'Alena ...

Pour chacune de ces trois options, nous avons imaginé deux variantes. C'est comme cela que nous avons un état du monde qui pourrait être celui du développement durable pris en charge par une gouvernance mondiale ayant, enfin, choisi d'autres voies de développement que les options actuelles, essentiellement mercantilistes; nous l'avons dénommé: un « autre» développement.

16 Messéan A., Gonod P., Dronne Y., Lecoeur H., Sebillotte M., 2002. La prise en compte du contexte macro- économique mondial: l'approche par micro-scénarios. Revue OeL, vol. 9, nO 5, Paris, 346-351. Voir aussi:

Messéan A., Lecoeur H., Sebillotte M., 2001. Prospective: les protéines végétales et animales. Enjeux de société et défis pour l'agriculture et la recherche. DADP-INRA, Editions INRA, Paris, 98-131 et annexes.

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Pour donner un contenu aux macroscénarios, vérifier leur cohérence interne et les comparer entre eux, nous avons utilisé une grille d'analyse diversifiée comprenant sept dimensions principales d'une analyse géopolitique mondiale: le politique, l'économique, le social, le culturel, les sciences et technologies, l'environnement et les marchés. Nous avons ainsi pu donner un contenu à ces six macroscénarios selon ces sept dimensions et examiner comment les principaux acteurs réagiraient dans chacune de ces six situations.

L'un des intérêts majeurs d'avoir construit ces six macroscénarios, est de permettre une veille et des actualisations du travail de prospective. En effet, ils rendent possible d'expliciter les interactions entre l'intérieur du système protéines, en l'occurrence, et son extérieur. Si, au bout de quelques années, il apparaît que le monde s'oriente plus vers tel ou tel de ces macroscénarios, il est alors possible de rectifier la liste des hypothèses initiales d'évolution du système. Par exemple, toutes les hypothèses ayant trait à la politique agricole commune de l'Europe perdent leur pertinence si l'on évolue clairement vers le macroscénario de l'ultra libéralisme, mais d'autres hypothèses deviendront nécessaires ... De cette manière, l'actualisation des microscénarios est rendue plus facile et plus pertinente. Par ailleurs, ces macroscénarios orientent la veille en segmentant les efforts. Les états du monde pourront être suivis de façon plus légère puisqu'il sera suffisant de s'interroger sur les variables retenues comme pertinentes pour les caractériser en tant que macroscénarios17. Un autre avantage de ces macro scénarios serait qu'il puisse servir à plusieurs réflexions prospectives. En effet, après les six exercices déjà menés, il apparaît clairement de grands traits caractéristiques de l'évolution des sociétés occidentales qui semblent, au moins pour les temps actuels, être assez stables et, en tout cas, pouvoir servir de base à de nouveaux travaux.

Mais, il devenait aussi évident qu'il fallait approfondir le macro scénario «Autre développement », couramment et probablement abusivement résumé par l'expression développement durable. Ce sera l'objet de notre commande à P.F. Gonod.

~

LES LEÇONS DE CES TROIS ORIGINES DE LA COMMANDE •••

En exposant chacune de ces trois origines de notre commande, nous avons tiré quelques leçons. Il nous semble possible, en les rapprochant, de dégager quelques grands traits pour toute approche du développement durable. Le premier est la nécessité d'un important approfondissement des notions, si nous souhaitons collectivement sortir de l'alibi ou du politiquement correct18Examinons maintenant quelques unes des leçons que nous tirons de notre expérience.

17 Voir l'annexe 5 du rapport « Protéines» déjà cité, dans laquelle P.F. Gonod analyse les évolutions du monde, entre 1998 et fin 2000, au regard des macroscénarios.

18 C'est bien Je sens du texte récent d'O. Godard et B. Hubert, 2002, op. cit.

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_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Matières à (re)penser le développement durable et d'autre (s) développement (s)

3.1. Le développement, quelle définition ...

Après une période fructueuse de travaux sur la question du développement, nous assistons à une certaine atonie dans ce domaine. Il est vrai que les difficultés rencontrées par les politiques de développement dans le monde incitent à la prudence. De même, les débats actuels autour de la mondialisation rendent méfiants les citoyens, en particulier, vis-à-vis des hommes politiques. Sans compter les effets pervers des attitudes des communautés scientifiques qui, dans leur volonté de produire une science neutre, ont abouti (malgré les apparences et à leur corps défendant) à un certain désengagement de la science vis-à-vis des problèmes des sociétés humaines. Nous n'avons pas ou peu appris à utiliser nos connaissances, éminemment mouvantes, pour un bien collectif. Comment ne pas percevoir que le progrès des connaissances est l'un des enjeux majeurs du développement de la planète? Et que le dynamisme des entreprises, des collectivités territoriales, ... se nourrit de ces connaissances?

S'il est nécessaire d'étudier les modalités du développement passé de telle ou telle région, il faut aussi se donner une définition pour pouvoir agir « pour» le développement d'une contrée, d'un territoire. Dans le cadre des travaux de recherche en partenariat « pour» et

« sur» le développement régional de la DADP, nous avons adopté la définition suivante19 : «il s'agit d'un processus de mobilisation d'acteurs qui vise à valoriser la diversité des ressources sur un territoire régional, pour améliorer le bien-être de sa population », en précisant que «ce processus s'appuie sur la construction de représentations, de règles et d'indicateurs communs des évolutions internes et externes à la région ». Clairement étudier ce processus, c'est l'affirmer tout en accroissant les capacités des acteurs à modifier son orientation.

Il est cependant nécessaire d'ajouter que le développement n'est pas le seul fruit de processus intentionnels mais qu'il est aussi celui de processus inintentionnels qui traduisent les interactions entre acteurs, avec les évolutions du milieu écologiques ...

Cette dernière catégorie de processus est trop fréquemment oubliée, alors qu'elle est souvent largement déterminante, voire source des réactions des acteurs. Si l'on s'intéresse à l'environnement, par exemple, c'est bien parce que la présence des hommes entraîne, aujourd'hui, des problèmes dans ce domaine. Le développement devra ainsi être pensé (et analysé) à travers une batterie de critères qui devront permettre, entre autres, de prendre en charge les objectifs de développement retenus et les interactions entre processus intentionnels et non intentionnels. Il est donc assez restrictif de différencier le développement durable en disant, qu'à l'encontre d'autres formes de développement, lui cherche à conjuguer les aspects économiques, sociaux et environnementaux. En effet, ces batteries de critères ne disent rien des volontés qui sous-tendent les actions, des présupposés politiques et philosophiques qui les justifient, plus largement des valeurs qui sont à l'œuvre. Ces présupposés, ces valeurs peuvent seuls fournir les grilles de lecture

19 ln Sebillotte M. 2000a, op.cil

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des niveaux auxquels se situeront les différents critères retenus. Il deviendra alors possible de préciser ce que l'on entend par problème de développement et d'orienter la recherche de solutions.

3.2. Quelles attitudes pour aborder le développement durable ...

Il est, nous semble-t-il, nécessaire de réfléchir à ce que l'on recherche, à la nature du projet pour ne pas se tromper de «cible », ne pas être «à côté de la plaque ». Or, l'expérience acquise montre que chacun d'entre nous a, en général, la double propension suivante: de vouloir «régler» le(s) problème(s) une fois pour toutes, et de souhaiter trouver rapidement et directement des solutions, au besoin en appliquant des recettes (ce qui a marché ailleurs ou déjà !).

Or, le premier constat qui s'impose est le caractère éminemment changeant, mobile, évolutif des sociétés humaines comme des phénomènes écologiques. Si le passé et le présent nous renseignent, l'histoire ne se répète pas: demain est toujours à inventer. Plus les connaissances progressent, plus il faut maîtriser de «choses ». Surgit alors une interrogation centrale: quel usage faire de l'expérience, des savoir-faire et des connaissances acquises pour atteindre les objectifs, réaliser le projet collectif si l'histoire ne se répète pas? Y a-t-il des invariants? Comment les hommes peuvent-ils construire aujourd'hui « leurs» solutions? En quoi (à quel degré) ces acquis du passé sont-ils liés au temps et aux lieux où ils se sont forgés? Peut-on encore espérer des solutions simples?

Le second constat qui s'impose concerne le caractère systémique des problèmes que nous avons à résoudre. C'est la raison pour laquelle nous avons, agronomes, créé le concept d'itinéraire technique20, combinaison de modalités techniques appliquées à une culture, en interaction dans le temps et dans l'espace. Par ce concept, nous affirmions qu'il y a plusieurs chemins pour atteindre un objectif donné dans le concret d'une situation au champ; nous exprimions, de manière opératoire, notre refus de la recette culturale, de la possibilité d'un développement technique basé sur le « recopiage ». Mais, pour agir nous supputons, certes parfois très temporairement, une certaine fixité pour une partie des caractéristiques de la situation. Cela est-il possible quand on parle de système et que l'on met en avant le caractère de plus en plus global des situations? H. Simon21 a abordé cette question en remarquant que, sur un pas de temps donné, certains composants d'un système ont entre eux des interactions « faibles» et sont donc quasiment indépendants dans le court terme, alors «qu'à long terme, le comportement de chacun des sous- système n'est affecté par le comportement des autres que d'une façon agrégée ». Il est

20 Sebillotte M .. 1974, op. cil. Voir aussi, Sebillotte M., 1978. Itinéraires techniques et évolution de la pensée agronomique. C.R. ACAD.AGRLFr.,II, 906-013.

21 Simon H., 1991. Sciences des systèmes, Sciences de l'artificiel. Paris, Dunod. Traduction française de The Sciences of the artificial, 1969-1981, Massachusets Institute of Tecnology, USA.

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_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Matières à (re)penser le développement durable et d'autre (s) développement (s)

donc possible de «quasi-décomposer» le système en sous-ensembles considérés momentanément comme « indépendants », bien que liés dans le long terme. Ne faut-il pas reprendre ces recherches dont les résultats nous semblent essentiels pour le développement durable et tenter de mieux savoir à quelle vitesse se propagent les interactions dans un système, question centrale, et par quelles voies, quelles modalités22

Pourra-t-on continuer à parler de développement agricole durable? Sur quel pas de temps peut-on en faire un sous-système indépendant du fonctionnement des sociétés?

Deux remarques s'imposent alors. La première concerne l'importance du diagnostic.

C'est à partir de la situation d'aujourd'hui que l'on va construire. Donc, de la qualité de nos diagnostics collectifs dépendra celle de notre construction. Nous rejoignons ici les réflexions sur la sensibilité des modèles aux états initiaux du système dont ils sont sensés décrire les évolutions futures. C'est l'un des traits de la complexité de nos situations23De plus, nous devrons produire ces diagnostics en prenant plusieurs points de vue, internes et externes au système24Cette double posture est essentielle pour discuter de durabilité:

qui définit et qui porte le diagnostic? On mesure aussi que c'est à ce moment que se joue la distance que les concepteurs du projet peuvent prendre par rapport aux connaissances scientifiques et technologiques en cours.

La seconde remarque s'applique à la notion de projet. Nous savons qu'au départ d'un projet, l'espace des possibles est largement ouvert et qu'il se restreint à mesure de sa réalisation25. Or, nos systèmes étant, par nature, des systèmes ouverts, perméables aux échanges de matières, d'informations, d'énergie, nos projets risquent ainsi d'être constamment en train d'évoluer. Comment est-il possible de construire avec des plans eux-mêmes évolutifs. Il est évident que des réflexions très approfondies doivent être entreprises, par exemple pour cerner ce qui serait « durable» dans nos projets et ce qui, local et daté pourrait être toléré comme «non durable », parce que réversible. Mais, allons plus avant, ne faut-il pas revenir sur la notion de projet elle-même? Il semble bien que notre conception philosophique de l'action doive être (ré)interrogée, à l'image des réflexions «opposant» stratégie occidentale et chinoise26, cette dernière donnant une place à « la propension des choses» sans pour autant enlever l'intentionnalité. Quelle est la marge de manœuvre dont disposent ceux qui croient « que les tentatives de maîtriser raisonnablement le changement social produisent, dans des circonstances normales, des

22 Varela F.J., 1989, Autonomie et Connaissance. Essai sur le vivant. Le Seuil.

23 Rescher N., 1998. Complexity, a philosophical overview. Transaction Publishers. New Brunswick (USA).

24 Sebillotte M., 1996. Recherche-système et action. Excursions interdisciplinaires. In "Recherche-système en agriculture et développement rural ". Symposium international, Montpellier, 21-25 Novembre 1994, dir. M.

Sebillotte. Conférences et débats, 39-79, diffusé par CIRAD-SAR, Montpellier, France. Sebillotte M., 2001.

Les fondements épistémologiques de l'évaluation des recherches tournées vers l'action. Natures, Sciences, Sociétés, Vol. 9 (3), p. 8-15.

25 Midler c., 1996. Modèles gestionnaires et régulation économique de la conception, in Terssac G .. de, Friedberg E. (dir.), Coopération et Conception, Octarès Editions, Toulouse.

26 Jullien F., 1996. Traité de l'efficacité. Grasset, Paris. Edition Livre de poche, 2002.

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résultats favorables »27? Peut-on faire du développement durable «un processus d'expansion des libertés substantielles dont les gens disposent »28 ? Enfin, ne doit-on pas revenir sur les conditions mêmes de l'émergence d'un projet collectif9? Comment penser une co-construction qui évite les dérives « totalitaires », qui soit, fondamentalement, évolutive30? Quels apports des sciences biologiques aux sciences sociales et réciproquement 31?

3.3. Développement durable, objet transdisciplinaire ...

C'est à partir de nos programmes « pour» et « sur» le développement régional que nous avons dû réfléchir à la notion d'objets de recherche transdisciplinaire, c'est-à-dire d'objet qui n'appartiennent à aucun champ disciplinaire.

Le développement durable est, à notre avis, expressément de cette nature. Ceci a plusieurs corollaires. Le premier est que ce n'est pas, a priori, un champ particulier des sciences humaines, même si leur importance est primordiale. Ce sont donc, en matière de recherche, des collectifs pluridisciplinaires qui devront se constituer sans prééminence particulière. Le second corollaire est la nécessité, pour ces collectifs, de forger des méthodes qui permettent de construire ce type d'objet de recherche32

. Or nous en sommes encore aux balbutiements. L'une des difficultés majeures étant, probablement, de savoir comment «découper» les objets à étudier au sein des systèmes étudiés à partir du recensement des problèmes que l'on a pu effectuer. Autrement dit, comment faire de la quasi-décomposition (H. Simon). On butte, en effet, sur deux difficultés: l'appréhension de la vitesse d'évolution des phénomènes humains et écologiques et, plus grave, la qualité et l'orientation du diagnostic initial qu{ permet de définir et de juger les problèmes. Le diagnostic se trouve, ainsi, au centre des débats sur le développement durable, d'autant plus qu'il n'existe pas de théorie pour fixer les traits du développement à susciter pour le futur d'une région.

Le développement durable s'enracine ainsi dans la capacité pour des populations à définir ce qui fait problème et à expliciter au nom de quoi entreprendre des actions. C'est bien le

27 Sen A., 2000. Un nouveau modèle économique. Développement, justice, liberté. Editions O. Jacob, Paris (Traduction française de Development as freedom. Alfred Knopf Inc, 1999), p. 254.

28 Sen A., 2000, op. cit., p. 295.

29 Callon M., Lascoumes P., Barthe Y., 2001. Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique. Seuil, Paris.

30 « La durabilité, capacité à corriger des déséquilibres successifs» écrivions nous avec E. Landais, in Landais E., Sebillotte M., 2000. Agriculture et développement durable. Universalia, Encyclopaedia Universalis, Paris.

31 Nous songeons aussi bien aux travaux d'un Atlan que d'un Sonigo, d'un Amiesen que d'un Jacob ou encore d'un Varela. Mais, à l'autre bout, les réflexions d'un Morin me semblent aussi très importantes et pas assez connues ni assez reprises.

32 Sebillotte M., 2000a, op. cil.

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_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Matières à (re)penser le développement durable et d'autre (s) développement (s)

caractère ultime de la transdisciplinarité que de travailler sur des objets aux contours changeants, fruits de la réunion d'acteurs qui fixe des priorités. C'est aussi là que se vit toute la question de la complexité qui « affecte surtout nos schémas logiques de réflexion et oblige à une redéfinition du rôle de l'épistémologie »33.

Mais, emprunter de telles démarches pose de manière radicalement neuve les questions:

Comment fait-on ces recherches? Comment intègre-t-on les résultats acquis discipline par discipline? Comment élabore-t-on le(s) projetes) de développement en respectant des valeurs? Cette dernière question est centrale et selon son mode de résolution elle conduira à la dictature d'un groupe ou d'une personne ou, au contraire, permettra un gain collectif de liberté. Il serait dommage que face à ces enjeux les réactions soient de reprendre les chemins de la simplification et de ne pas accepter sérieusement de prendre le concret à bras le corps « non dans l'antithéorie mais dans la complexité théorique »34. Il serait dommage aussi que les questions évoquées à propos de la stratégie ne soient pas approfondies puisque celle-ci se trouve en position de médiation entre les valeurs et la volonté d'une part, et le réel d'autre part.

Ces réflexions soulignent la nécessité pour les organismes de recherche de consacrer du temps aux réflexions sur les valeurs35. Il est urgent d'accepter de s'interroger sur les modes de développement que l'on favorise (ou rejette) du fait de la nature des recherches que l'on mène, et, allant au bout de notre pensée, de se demander quel développement l'on voudrait favoriser. Il y aurait, en effet, une certaine hypocrisie à rejeter ces questions au nom de la neutralité de la science et, néanmoins, à répondre aux incitations gouvernementales de travailler les questions de développement durable.

3.4. Rôle de la réflexion prospective, problème du temps

Nous avons déjà évoqué le rôle de la vision de l'avenir et donc celui de la prospective comme moyen d'explorer les futurs possibles. Mais comment procéder? A qui confier le travail?

Un long débat est possible ici. En effet, la question est de savoir ce que les différentes méthodes de prospective veulent et surtout peuvent produire. Parfois il s'agit plus, dans les faits, de faire émerger des consensus (usage dominant de la méthode delphi), ou, au

33 Morin E., Motta R., Ciurana E.R., 2003. Eduquer pour l'ère planétaire. La pensée complexe comme Méthode d'apprentissage dans l'erreur et l'incertitude humaine. Balland, Paris. P. 67.

34 Morin et al, 2003. Op.cil. p. 76

35 Il faudra bien que les questions philosophiques posées, par exemple par Habermas, sur la technique et la science comme « idéologie », sur les relations entre science et technologie, sur l'idée de progrès technique ou sur la « scientifisation de la politique» soient abordées ... Habermas 1., 1973. La technique et la science comme « idéologie». Gallimard, Paris. Traduction de Technik und wissenschaft aIs ideologie, Suhrkamp Verlag, 1968.

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contraire, il s'agit de définir des scénarios qui peuvent devenir des objectifs possibles pour les stratèges d'une organisation ou des moyens pour faire réfléchir ses cadres. Le plus souvent, ces intentions profondes de l'exercice de prospective ne sont pas évoquées.

De même, les méthodes réellement mises en œuvre avec leurs conséquences ne sont guère explicitées. Il en résulte des démarches sans force, qui servent plus d'alibi que de matériaux de base pour mener des réflexions de fond.

La question est donc de savoir quel rôle le collectif qui réfléchit à son avenir veut faire jouer à la prospective. Mais, au-delà de cette première étape, penser qu'un collectif peut réfléchir sans méthode et sans matériau est pour nous très ambigu et ouvre la porte à des dérives autoritaires, à des prises de pouvoir. Un méthodologie explicite, comprise de tous et transparente est le meilleur moyen d'aider un collectif.

Le rôle de la prospective n'est pas de dire le futur probable (ambition de la prévision) ; mais il ne peut non plus se réduire à la détermination des futurs possibles parmi lesquels la question deviendrait d'en choisir un. Non, le rôle véritable de la prospective est d'éclairer des groupes humains pour les aider à mieux savoir ce qu'ils veulent pour leur futur. Et, précisément parce qu'il s'agit du futur, nous manquons généralement d'imagination. La prospective, par ses scénarios, aide à préciser les futurs possibles et souhaitables. Un scénario est potentiellement un récit qui nous plaira plus ou moins, nous engagera de manière variée avec nos forces et nos faiblesses. Si nous acceptons de «jouer le jeu» de cette projection dans l'avenir, les scénarios deviennent l'occasion d'une maïeutique personnelle et collective. En effet, l'approfondissement du récit, de ses enjeux et conséquences36 nous force à réexaminer nos visions de l'avenir et, surtout, les justifications que nous en donnons: nous sommes invités à revisiter nos argumentaires, nos systèmes de défense ... Les scénarios sont les antidotes de nos certitudes si, a priori, nous leur donnons ce pouvoir, donc si nous acceptons l'idée que nos idées sont aussi la source de nos erreurs.

D'une certaine manière, les réflexions menées autour de J.P. Bailly qui ont abouti à l'expression de prospective du présent37, rejoignent clairement nos préoccupations. Ainsi, ils insistent beaucoup sur l'accord des acteurs. A la différence près, cependant, de leur rejet de fait, des scénarios et de l'absence d'une méthode claire et transparente pour les participants. Pour nous la méthode est libératrice et fécondante, pour eux, perçue comme normative et peut-être destructrice de l'imagination, son rôle n'est pas central et la réflexion à ce sujet n'est pas mise en avant.

36 C. Sebillotte (Unité Prospective INRA) a ainsi mis au point une approche du contenu des scénarios qui permet de leur faire jouer ce rôle. Travaux en cours avec le Groupe Recherche Oléagineux INRA (GROI).

37 Bailly lP., 1999. Demain est déjà là. Prospective, débats, décision publique. Edition de l'Aube. Paris.

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_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Matières à (re)penser le développement durable et d'autre (5) développement (5)

Mais il est vrai que nombreux progrès restent à faire pour correctement rendre compte du temps et des évolutions tant des projets qui orientent38 que de la dynamique des systèmes.

La prise en compte de P ordre temporel des ruptures reste un enjeu majeur.

3.5. La position des chercheurs

Sur le plan épistémologique, le développement durable, par nature, nécessite des recherches recourant aux trois modèles épistémologiques retenus par Hatchuel39 : celui du laboratoire, celui du terrain et enfin celui de la recherche-action (intervention) dans lequel on contribue à transformer le contexte. Celui qui pose le plus de questions à nombre de scientifiques, est celui de la recherche-action puisque, dans ce dernier, le chercheur, par sa participation et son mode d'intervention, modifie les objets du travail scientifique et n'a plus la position classique de non interférence sur ceux-ci.

En choisissant de travailler pour et dans le développement durable (ou tout autre développement) le(s) chercheur(s) s'engage(nt) encore plus avant puisqu'il(s) privilégie(nt) des manières d'être et de faire. Il n'est plus possible d'étudier le déroulement passé. C'est quasiment en continu que l'on oriente l'action selon le projet poursuivi. Les résultats d'hier rétroagissent sur la façon d'agir d'aujourd'hui, en interaction avec le but à atteindre.

L'évaluation des recherches se trouve ainsi profondément modifiée40Il ne s'agit pas d'abandonner la rigueur, mais de passer de la recherche d'explications dans un monde

« fixe» à la capacité d'agir dans un monde mouvant, d'y développer un projet, et cela parce que l'on sait des « choses» sur lui. La reproductibilité dans les mêmes conditions comme règle de validation des connaissances, qui reste toujours nécessaire, se double de la capacité à piloter « le monde» selon un projet. Les chercheurs sont donc conviés à cet engagement qui commence dès le choix des sujets que l'on aborde, dès les choix paradigmatiques que l'on opère. Il ne faudrait pas croire que cela ne concerne que les sciences humaines, dites molles. Ces choix existent en biologie de manière évidente41 et un livre récent nous montre bien les débats qui existent au sein du vaste ensemble de la génétique42Sur le plan épistémologique, nous serons confronté à de profondes révisions et, plus nous irons, moins le fait d'obtenir un résultat répétable sera synonyme de solidité de nos théories43, c'est-à-dire de nos interprétations des faits et des résultats

38 Voir, in Sebillotte M. et Sebillotte c., 2002, op. cit., le rôle du projet et de la commande dans la méthode prospective SYSPAHMM (p. 330).

39 Hatchuel A, 2000. Intervention research and the production of knowledge in Cerf M., Gibbon D., Hubert 8., Ison R, Jiggins 1., Paine M., Proost 1., Rôling N. (éd.), Cow up a tree. Knowing and learning for change in agriculture. Case studies from industrialized countries, éd. INRA, Paris.

40 Sebillotte M., 200 1, op. cil.

41 Atlan H., 1999. La fin du « tout génétique» ? Vers de nouveaux paradigmes en biologie.

42 Sonigo P., Stengers 1., 2003. Mot à mot, l'évolution. EDP Sciences, Les Ulis, France.

43 Et cela bien au-delà de la falsification chère à Popper K.

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expérimentaux. Les expériences cruciales de Claude Bernard sont récusées et pourtant on jugera le développement durable au fait qu'il dure!

Dans cette épistémologie de l'agir du chercheur, qui reste en grande partie à bâtir44, l'accent nouveau, entre autres du fait du développement durable, concernera le lien à l'action d'une part, et le lien à des valeurs d'autre part. Il portera aussi sur la place de l'avenir (et donc du projet, lui même évolutif, et de son rôle) dans la construction des connaissances 45,46.

Cette épistémologie de l'agir du chercheur devra aussi aborder de nouvelles facettes du métier de chercheur. En effet, la pratique des recherches qui se rattachent au troisième modèle épistémologique évoqué ci-dessus, exige d'autres « savoir-faire» de la part des chercheurs, donc l'acquisition d'autres compétences que celles du chercheur efficace au laboratoire. Parmi les nouvelles fonctions à remplir, insistons sur celle de médiation. Elle sera essentielle pour les recherches en matière de développement durable si l'on refuse, comme nous, une conception normative formalisée en laboratoire. L'action, le projet doivent alors être acceptés comme forces structurantes du travail à réaliser. La pratique de la transdisciplinarité nous obligera ainsi à (re)venir aux sciences de la conception. Dans le cadre des recherches du troisième modèle épistémologique, le « travail intellectuel» doit conjuguer une capacité à faire de la recherche (avec toutes ses règles) et une capacité à participer à une action qui doit atteindre un objectif. L'approche de la notion de projet au sein des sciences de la conception pourrait nous aider dans nos réflexions sur une pratique de la recherche « en » développement durable. Midler47 propose, précisément, le modèle d'un nouvel acteur, le directeur de projet. «Ce modèle introduit «un dialogue et une négociation entre les différentes expertises tout au long du processus de conception» et instaure un contrat prévoyant un double processus de coordination, procédurale et par objectifs, qui permet pendant toute la durée du contrat un «traitement des événements imprévus (qui) intègre étroitement la dimension technique et la dimension économique ».

Il ajoute « c'est parce que l'on reconnaît que l'on est dans un cas particulier que l'on peut facilement trouver un arrangement », voilà une attitude essentielle pour construire une démarche de transversalité» 48.

44 cf Sebillotte M., 200 1, op. cil.

45 Sebillotte M., 2003. Chercheurs, institutions de recherche et prospective in Mermet L.,2003, Recherche en prospective sur l'environnement. Enjeux théoriques et méthodologiques. Elsevier paraître).

46 Il faudrait poursuivre les réflexions d'un Varela, par exemple Varela F.J., 1989. Connaître les Sciences cognitives. Tendances et Perspectives. Le Seuil.

47 Midler, 1996, op. cit.

48 In Sebillotte, 2000, op. CÎt.

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_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Matières à (re)penser le développement durable et d'autre (s) développement (s)

LES« MATIERES A (RE)PENSER LE DEVELOPPEMENT DURABLE ET D'AUTRES DEVELOPPEMENTS»

Nous venons de recenser une série de questions à propos du développement durable, questions ancrées dans notre expérience. D'une certaine manière, l'ouvrage de P.F.

Gonod les reprend et les complète, mais en les situant dans un cadre général de réflexion qui, le plus souvent, fait défaut. Son titre: «Matières à (re)penser le développement durable et d'autres développements» est particulièrement heureux. La lecture de ce travail est, en effet, une véritable invitation à revisiter, non seulement ce qui a pu être déjà écrit (les références bibliographiques sont nombreuses et d'origines variées), mais à re- penser les questions en fournissant des pistes novatrices pour déboucher sur une praxéologie. P.F. Gonod procède à une mise en perspective originale des démarches intellectuelles qu'exige ces problèmes. Développement durable et autres développement sont bien dans le domaine du «faire» et du projet, mais ce qui importe ce sont les

« pourquoi» et les « comment» de ce faire, de ce projet. Présentons maintenant quelques traits saillants de sa réflexion.

4.1. La maîtrise sociale du développement ...

P.F. Gonod, qui ne méconnaît pas la dimension environnementale du développement durable, part cependant de ce qu'il considère comme la question centrale, à savoir « la maîtrise sociale du développement» et, du coup, la maîtrise sociale de la technologie, question également posée par O. Godart49. Il pose ainsi d'emblée les questions de la fixation des finalités du système-objectif et de leur transformation en missions opératoires et objectifs proprement dits. Nous rejoignons avec bonheur les interrogations soulevées précédemment et les sujets de réflexion d' Habermas. Ceci permet à P.F. Gonod de préciser « qu'il n'y a problème» que pour ceux qui ont conscience de la nécessité d'une maîtrise, donc obligation de dépasser la non atteinte actuelle des finalités. On retrouve le projet. « Une hypothèse forte est que la volonté politique et l'action peuvent rompre le cours aveugle du développement» dit-il, rejoignant par là A. Sen et sa vision du développement comme extension des libertés. Il n'est pas inutile de souligner cette hypothèse dans la 'mesure où elle inscrit clairement les travaux de la recherche dans une volonté, un engagement de transformer le monde, ce qui pour nous est aussi le point de départ de toute démarche prospective50.

Cela le conduit à privilégier: approche systémique, équipes pluridisciplinaires et praxéologie. L'exemple du programme de Transfert technologique de l'Organisation des Etats Américains (OEA) que l'auteur a vécu de l'intérieur est précisément riche de cela.

Elle mérite d'être méditée, car beaucoup des critiques faites à ces entreprises d'un passé

49 Godart O., 2001. Le développement durable et la recherche scientifique, ou la difficile conciliation des logiques de l'action et de la connaissance. In Jollivet M. (Ed.) , Le développement durable, de l'utopie au concept. De nouveaux chantiers pour la recherche. Elsevier.

50 Sebillotte M., 2003, op. Cil.

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