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NOUS RÉINVENTONS NOTRE ENTREPRISE

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Academic year: 2023

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NOUS RÉINVENTONS

NOTRE ENTREPRISE

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Catalogage : ressources humaines, autogouvernance, épanouissement professionnel, intelligence collective

Éditrice : Claire Gautier

Tous droits de traduction et d’adaptation réservés pour tous pays.

Édition française 2018 : Les Éditions Diateino Copyright © 2018 Les Éditions Diateino ISBN : 978‑2‑35456‑304‑2

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Michel Sarrat

NOUS RÉINVENTONS NOTRE ENTREPRISE

Comment la confiance et l’intelligence collective transforment une organisation

et son leader

Préface de Bertrand Ballarin

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Sommaire

Préface de Bertrand Ballarin,

directeur des relations sociales du Groupe Michelin...7

Introduction ...11

LE CONTEXTE DE L’ENTREPRISE ET CE QUI NOUS A CONDUITS À NOUS LANCER DANS CETTE DÉMARCHE Développer l’intelligence collective, pourquoi ? ...17

Une entreprise comme une autre, néanmoins… ...29

Notre histoire récente ...41

LES GRANDES ÉTAPES DE NOTRE CHEMINEMENT Libérer la parole ...55

Il est où le DRH ? ...73

Travailler sur l’identité de l’entreprise ...89

Et l’argent dans tout ça ?...103

Une équipe de direction, ça sert à quoi ? ...121

Écrire le rêve collectif : la démarche vision ...137

HOMME ET PATRON : QUAND L’UN TRANSFORME L’AUTRE L’entreprise et le dirigeant : qui transforme qui ? ...153

Entreprendre en famille ...173

Mettre l’essentiel au cœur de l’important...187

Conclusion ...199

Notre entreprise en un coup d’œil ...207

Les livres qui m’ont inspiré ...209

Les associations et mouvements cités...213

Remerciements ...215

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Préface

Le parcours dont Michel Sarrat, après en avoir été l’instiga‑

teur inspiré, se fait aujourd’hui le témoin nous apporte des repères essentiels pour nous guider sur le chemin d’une salu‑

taire mutation. En reprenant un mot de Malraux, disons qu’en transformant pour nous son expérience en conscience1, il nous fait un insigne présent ; d’autant que son témoignage est rédigé avec une simplicité, une modestie et une sincérité qui nous font aller et venir entre le travail de l’intelligence et l’écoute de notre émotion.

Cette mutation n’est rien moins que la réinvention des principes d’action et de fonctionnement d’une entreprise.

Au commencement, il y a le désir de libérer une intelli‑

gence collective que les formes classiques du manage‑

ment tiennent sous le boisseau, faute de se fonder sur la confiance. Libérer l’intelligence collective n’est pas une fin en soi ; cette démarche permet de fonder la compétiti‑

vité de l’entreprise sur l’innovation spontanée – naturelle, pourrions‑nous dire – de personnes qui, du fait d’une res‑

ponsabilité élargie, ont à relever des défis qui requièrent des solutions nouvelles. Jusqu’alors, elles avaient attendu ces solutions de leur hiérarchie ou de services spécialisés ; elles vont désormais les découvrir par elles‑mêmes et en éprou‑

ver de la joie. Comme cette entreprise dispose, à travers

1. « Vivre, c’est transformer en conscience une expérience aussi large que pos‑

sible » in L’Espoir, cité par Gaëtan Picon, Malraux par lui-même, Seuil, 1970, p. 7.

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des conducteurs routiers dotés d’une large autonomie, d’une surface de contact énorme avec ses clients, cette innovation se développe avec ceux qui en bénéficieront in fine, ce qui en assure la pertinence.

Il s’agit donc, comme le suggérait François Guiraud, d’opposer la logique de la responsabilité à celle de l’obéissance2. Ce n’est pas proclamer la fin d’une obéissance que Simone Weil pla‑

çait au rang des besoins fondamentaux de l’âme humaine.

C’est reconnaître qu’une organisation toute entière tournée vers l’action acquiert une puissance inouïe dès lors que ses membres obéissent de cœur à un projet qu’ils comprennent et aiment, plutôt que de n’obéir qu’à des consignes factuelles dont ils sauraient la plupart du temps décider mieux que quiconque3.

D’où le soin que met Michel Sarrat à expliquer comment, avec son équipe, il a amené l’ensemble des membres de l’entre‑

prise, mais aussi le conseil d’administration et les investis‑

seurs à faire remonter à la surface ce qui est généralement du domaine de l’implicite, à savoir le triptyque mission, ambi- tion et valeurs, notions qui, une fois caractérisées, offrent au corps social autant d’éléments de permanence. Or l’être humain a également besoin de stabilité et ce n’est pas parce que le monde n’a jamais bougé aussi vite qu’il faut l’en pri‑

ver dans une obsession du changement pour le changement.

Faire ressortir ces éléments de permanence, c’est ancrer le

2. In Frédéric Lenoir, Le Temps de la responsabilité : Entretiens sur l’éthique, Librairie Arthème Fayard, 1991, 2013 pour la présente édition, pp. 169‑170. Paul Ricoeur note en postface les risques qui s’attachent, dans un univers résolument tourné vers l’efficacité, au maniement de ces concepts dont la mise en œuvre peut être pour le moins équivoque (p. 362).

3. Simone Weil, L’Enracinement : Prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain, Gallimard/Quarto, 1943, 1999 pour la présente édition, p. 1034 :

« L’obéissance est un besoin vital de l’âme humaine […]. Elle suppose le consen‑

tement, non pas à l’égard de chacun des ordres reçus, mais un consentement accordé une fois pour toutes, sous la seule réserve, le cas échéant, des exigences de la conscience. »

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Préface

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mouvement, tel que la vision va le définir et le décrire, dans un socle grâce auquel nul ne perdra ses repères.

Lorsque cela est clair pour tout le monde, la confiance, la libération de l’intelligence collective et la responsabilisation ne sont plus des risques ; elles sont un amplificateur d’éner‑

gie qui transfigure le travail. Cette transfiguration du travail restera le ressort premier de l’engagement, le seul qui soit durable et assure le maintien de l’équilibre de la personne.

Une telle réinvention ne saurait advenir sans un travail sur soi du dirigeant. Ce qu’il y a de merveilleux dans le cas qui nous est ici conté, c’est que l’auteur ne fait pas ce travail tout seul, dans un dialogue solitaire avec lui‑même ou avec un coach dans l’ombre de son cabinet. Certes, il y a au départ une réflexion et une décision individuelles issues du sentiment que, d’une certaine façon, il est, avec son comité de direction, le premier problème de son entreprise. Mais lorsqu’il pose la question : « Qui change qui ? », il met en lumière le cycle action‑réaction‑rétroaction qui va progressivement et de plus en plus vite transformer la relation entre le dirigeant et les membres de l’entreprise pour faire de celle‑ci un organisme qui gagne en vitesse et en audace pour la simple raison que tout n’y procède pas du seul chef.

La création de ce mouvement vertueux nécessite une prise de recul à l’occasion de temps de ressourcement, au cours desquels le dirigeant va pouvoir discerner l’essentiel dans la masse de ce qui est perçu comme important. Et s’il y a bien une chose qui doit procéder du dirigeant, n’est‑ce pas pré‑

cisément la perception de l’essentiel ? Le récit qui nous est donné de ces temps de ressourcement projette le lecteur dans le champ de l’émotion et on ne peut pas dire qu’il en ressorte malheureux.

Or cet essentiel ne peut s’approcher si le dirigeant est tout entier pris dans l’action. Comme le disait Nehru : « […] s’il est essentiel que nous ayons les pieds par terre, il l’est également

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que nos têtes ne restent pas au niveau du sol4. » S’élever dans le regard porté sur la masse informe des événements suppose de ne pas se cantonner dans une pensée unidimensionnelle qui ne serait qu’une réflexion sur l’action et ses aboutissants, mais jamais sur ses tenants. De ce point de vue, lorsque Michel Sarrat écrit qu’il croit possible qu’une entreprise soit à la fois performante économiquement, ressourçante pour ses salariés et utile pour la société, il nous emmène sur ces hauteurs où la spiritualité conduit à penser l’action non pas séparément des valeurs – comme s’il y avait un temps pour agir et un temps pour être soi – mais à inscrire l’action dans ces valeurs.

Le dirigeant dont le portrait se dessine ici en filigrane accède alors à une unité ontologique que ceux qui l’approchent per‑

çoivent sous la forme d’un rayonnement aussi discret qu’in‑

tense et qui donne de la force aux autres. François Jacob appelait cela la « statue intérieure5 ». On peut penser que c’est la condition première du charisme.

Bertrand Ballarin Directeur des relations sociales du Groupe Michelin

4. André Malraux, Antimémoires, Gallimard, 1967, p. 334.

5. François Jacob, La Statue intérieure, Odile Jacob, 1987.

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Introduction

Je marche dans le brouillard depuis maintenant deux heures.

Après mon départ du refuge, je longe un sentier balisé qui borde un lac. Je sais qu’après ce lac, je devrai quitter le sentier pour monter vers la brèche qui me mènera à l’autre vallée. J’ignore comment je vais trouver le bon chemin. Je suis confiant et, en même temps, extrêmement attentif au moindre indice qui pourrait m’éviter de m’égarer. Tout à coup, la brume se dissipe et laisse entrevoir un premier sommet. Puis, le vallon dans son ensemble apparaît. La brèche est là, devant moi. Quelle jubilation d’avoir trouvé le bon passage ! Un moment indicible tant la beauté de ces hautes vallées pyrénéennes me touche.

Je dirige GT Location depuis 2001. Cette entreprise traite du transport de marchandises et compte 1 700 salariés. Depuis cinq ans, ce que nous vivons à l’intérieur de la société est à l’image de cette randonnée. Nous avançons, parfois dans le brouillard et dans le doute, mais le plus souvent avec cette vitalité qui caractérise l’entreprise. Nous inventons le chemin au fur et à mesure, nous créons notre parcours de transforma‑

tion et de libération des énergies de chacun, en faisant face tour à tour à des succès et des échecs.

✤Sur certains de nos sites d’exploitation, des équipes de conducteurs prennent en charge des tâches et des res‑

ponsabilités traditionnellement dévolues au « chef ». Cela concerne, notamment, l’élaboration des plannings de tra‑

vail et des congés ; ou encore l’entretien des véhicules, avec

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l’émission des bons de travaux et la vérification des fac‑

tures liées. Même les décisions à prendre en cas d’absence d’un conducteur ou d’une panne sur un véhicule peuvent relever de l’un ou de l’autre.

✤Nos recrutements se font de plus en plus sur un mode col‑

laboratif. Des jurys, composés principalement de conduc‑

teurs, procèdent à la sélection des futurs collègues. Pour être aptes à cela, ces conducteurs ont suivi des formations.

✤L’autonomie de chacun peut également faire avancer gran‑

dement l’entreprise, comme nous le prouve l’histoire de Vincent. Ce conducteur livre des farines à des éleveurs dans le département de la Mayenne. Très apprécié par ses clients, il connaît parfaitement son métier. Un jour, alors qu’il discute avec un artisan transporteur, celui‑ci lui fait part de son envie de vendre sa petite entreprise.

Menant en grande partie la négociation, Vincent en parle à son directeur de filiale. L’information remonte jusqu’à nous, membres de l’équipe de direction, jusqu’à ce que nous décidions d’acheter ce petit fonds de commerce.

Aujourd’hui, Vincent est à la tête de cette entité.

Ainsi, la transformation de notre entreprise s’exprime à travers une série d’événements qui, assemblés comme les pièces d’un puzzle, prennent tout leur sens. Depuis deux ans, nous sommes régulièrement sollicités pour participer à des colloques sur des thèmes liés à la « libération » des entre‑

prises : comment GT Location peut‑elle être un exemple de

« ré‑invention » pour les autres entrepreneurs ? Des entre‑

prises viennent rencontrer nos équipes. Visiblement, ce que nous vivons au sein de GT Location parle à nos interlocuteurs.

Nous avons nous‑mêmes beaucoup appris du parcours suivi par d’autres entreprises. L’échange d’expériences est toujours enrichissant et inspirant… Mais de là à écrire un livre ! Pourquoi me lancer dans cette aventure ? Tout simplement pour témoigner – en écho à Reinventing Organizations de

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Introduction

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Frédéric Laloux1 – que des entreprises se mettent en mouve‑

ment. Pour montrer comment une entreprise « classique » se transforme, se réinvente progressivement. Et combien cette transformation est intimement liée à celle de son dirigeant.

L’histoire de GT Location n’est pas une success story. Notre entreprise intervient dans le secteur du transport routier de mar‑

chandises, réputé pour ses faibles marges. La concurrence y est rude et les contraintes réglementaires fortes. Ce livre raconte la « vraie » vie d’une entreprise. Après avoir lu ces pages, vous découvrirez les erreurs que l’on peut commettre en la transfor‑

mant. Vous mesurerez tout ce que cela implique d’efforts, de recherches, de tâtonnements, mais aussi de bonnes surprises et de moments d’émerveillement. Vous percevrez mieux la puissance de l’intelligence collective quand elle se déploie au sein d’une société. Vous percevrez la force de l’engagement des collaborateurs quand la confiance les anime.

Le récit de ce que nous vivons depuis cinq ans, depuis que nous avons décidé de nous lancer dans l’aventure de l’« intel‑

ligence collective », permet de répondre aux principales questions qui nous sont posées : pourquoi vous êtes‑vous lancés dans cette aventure ? Y a‑t‑il des conditions préa‑

lables ? Comment avez‑vous commencé ? Suivez‑vous un plan préétabli ? Quels effets constatez‑vous sur la rentabilité, le taux de croissance de votre entreprise ? Connaissez‑vous des moments de doutes ?

Ces questions font écho à celles qui sont à l’origine de notre cheminement et qui nous guident encore aujourd’hui dans nos réflexions :

✤Comment développer l’intelligence collective ?

✤Comment favoriser l’autonomie des équipes et leur per‑

mettre de prendre les décisions adaptées à leur situation ?

1. Frédéric Laloux, Reinventing Organizations : Vers des communautés de travail inspirées, Diateino, 2015.

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NOUS RÉINVENTONS NOTRE ENTREPRISE

✤Comment libérer la parole des salariés et rendre la communication plus fluide ?

✤Comment passer d’un management basé sur l’obéissance et la crainte à une dynamique fondée sur la liberté et la confiance ? Pour répondre à ces interrogations, ce livre s’articule autour de trois parties :

Partie 1 : Le contexte de l’entreprise et ce qui nous a conduits à lancer cette démarche.

Partie 2 : Les grandes étapes de notre cheminement.

Les chantiers de transformation que nous menons.

Partie 3 : Homme et patron : quand l’un transforme l’autre. Le lien entre la transformation de l’entreprise et celle du dirigeant que je suis.

Avec cet ouvrage, je souhaite démontrer qu’une autre façon de travailler dans les entreprises est possible. Je place au cœur de mon récit les valeurs qui me sont chères : l’authenticité, la recherche de cohérence, le développement personnel et spirituel, le respect de l’autre et de la nature, mais aussi l’im‑

portance des qualités féminines qui devraient occuper une place plus grande dans les entreprises, comme ces « créatifs culturels » dont parle Jean Staune dans son ouvrage Les Clés du futur2.

Bien sûr, j’aimerais rejoindre également mes collègues chefs d’entreprise et dirigeants. Peut‑être leur donner le goût, l’en‑

vie de se lancer à leur tour dans cette aventure. Car notre contribution à l’émergence de nouvelles formes d’organi‑

sation est fondamentale. C’est à nous, entrepreneurs, qu’il appartient de transformer les entreprises. Nous en avons la liberté et la responsabilité.

2. Jean Staune, Les Clés du futur : Réinventer ensemble la société, l’économie et la science, Fayard, 2018.

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Le contexte de l’entreprise

et ce qui nous a conduits

à nous lancer dans cette démarche

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Développer l’intelligence collective, pourquoi ?

Février 2014 : fédérer ses équipes   autour d’une identité commune

Un samedi de février 2014, dans un hôtel près de l’aéroport d’Orly. Il est 8 heures du matin. Il fait froid. De la brume et une vague odeur de kérosène flottent dans l’air. Pourtant nous sommes là : plus de 120 équipiers GT Location, heureux de se retrouver pour une journée de travail.

Quelques mois plus tôt, en 2013, les membres de l’équipe de direction et moi‑même avons réalisé que le moment était venu de travailler sur l’identité de l’entreprise en se posant trois grandes questions :

Quelle est la mission de GT Location ?

Quelles sont les valeurs dans lesquelles nous nous reconnaissons ?

Comment exprimer l’ambition qui nous anime ?

Il y a quelques années, sur un tel sujet, nous aurions certai‑

nement travaillé entre nous, entre membres de la direction, mais suite aux évènements qui ont marqué l’entreprise depuis 2011 – nous verrons lesquels –, il nous paraît évident d’élargir

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NOUS RÉINVENTONS NOTRE ENTREPRISE

le cercle des participants. Nous voulons goûter à la puissance de l’intelligence collective ! Et, compte tenu des enjeux, nous aurions tort de nous en priver. Nous avons donc invité tous les salariés qui le souhaitaient à venir travailler avec nous sur ces questions en cette froide journée de février 2014.

En tenant compte des obligations pratiques liées à la perma‑

nence de nos prestations et des contraintes de déplacement et d’hébergement, nous accueillons en ce jour 120 volontaires sur les 1 300 salariés de la société. Nous avons veillé à ce que tous les métiers de l’entreprise et tous les sites soient représentés. Ainsi, plus des deux tiers des participants sont conducteurs, mécaniciens ou employés de bureau.

« J’AI RÉALISÉ LA DIFFICULTÉ DE TRAVAILLER À PLUSIEURS » Yannick, conducteur de grue chez GT Location depuis fin 2011

« J’ai entendu parler de la démarche GTE1 par ma responsable de site. Ça m’a plu tout de suite. Dans le transport, c’est la première fois que j’entendais parler d’une telle façon de s’adresser aux conducteurs et de s’ouvrir à tous les salariés. Lors de la réunion de lancement, en novembre 2012, j’ai été enthousiasmé. À la fin de la réunion, je suis allé voir ma responsable pour lui dire : “Si tu as besoin de quelqu’un pour les groupes de travail, j’en suis.” J’ai ainsi participé aux réflexions sur le choix des nouvelles tenues de l’entreprise. Là, j’ai réalisé la difficulté de travailler à plusieurs sur un sujet aussi important, mais c’était génial. “Orly 2014” a constitué pour moi un nouvel élan. On est reparti plus forts ! J’avais échangé sur le réseau social de l’entreprise avec certains collègues, mais, ce jour-là, on s’est vus en vrai. On a vraiment apprécié l’ambiance et, surtout, on a réalisé tout ce qui bougeait dans l’entreprise. »

1. GTE : « Grandir Tous Ensemble », démarche de transformation initiée par GT Location.

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Développer l’intelligence collective, pourquoi ?

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Nous voulions pour cette journée une ambiance festive.

La salle qui nous accueille ne ressemble pas du tout à une salle de conférences. Les participants s’installent autour de tables rondes, comme pour un repas de fête. Le travail com‑

mence : à chaque table, l’un des « convives » transcrit les échanges sur un ordinateur. Ainsi, ce qui est exprimé au sein de chaque groupe est traité en temps réel. La production de l’ensemble des groupes est ensuite synthétisée sous la forme d’un mur de mots dont la taille de caractères varie en fonction des occurrences. Tout au long de la journée, des moments de travail en petits groupes alternent avec des échanges communs.

Chacun s’implique avec sérieux, bonne humeur et souvent beaucoup d’émotion. Lors d’une des séances de travail centrée sur l’expression des valeurs stratégiques sur lesquelles nous voulions bâtir l’entreprise, une valeur affiche le plus d’occur‑

rences : l’innovation. C’est un moment fort, car quelques mois plus tôt, nous avons décidé en réunion de direction de consa‑

crer plus d’énergie et plus de moyens à l’innovation. Ce travail en intelligence collective confirme que notre décision arrive au bon moment. Le soir, en nous quittant, nous avons accumulé beaucoup de matière pour exprimer la mission de l’entreprise, les valeurs qui nous rassemblent et l’ambition qui nous anime.

Dans les jours suivants commence un travail assez ardu pour synthétiser fidèlement et de façon compréhensible cette masse d’informations. Là encore, nous faisons appel à des personnes issues de différents sites de l’entreprise. C’est riche, intense et difficile. Le résultat est présenté aux actionnaires familiaux et à l’équipe de direction qui l’adoptent intégrale‑

ment. Il est ensuite communiqué à l’ensemble des salariés au cours des mois suivants.

Que s’est‑il joué en ce jour de février 2014 ? Comment expli‑

quer la vitalité et le dynamisme que nous avons éprouvés non seulement ce jour‑là, mais à maintes reprises depuis que nous

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NOUS RÉINVENTONS NOTRE ENTREPRISE

nous sommes lancés dans cette aventure de la transformation de l’entreprise ?

Tout d’abord, nous avons expérimenté la puissance de l’intelligence collective, processus qui, en termes de créativité et de pertinence, permet d’aller plus loin que l’intelligence de chacun des participants. Le plus souvent, elle se traduit par une mise en mouvement et une dynamique de groupe extraordinaire. D’une certaine façon, et pour la première fois de manière consciente, nous nous sommes mis à l’écoute de ce que Frédéric Laloux appelle la « raison d’être évolutive » de l’entreprise, et nous avons expérimenté ce qui suit :

Quand une vision collective émerge et que tout le monde est rassemblé dans un même lieu, il se passe quelque chose d’extraordinaire. Chacun se relie de façon person- nelle et émotionnelle à l’image du futur qui est en train d’émerger2.

À partir de ce qui a été vécu durant cette journée, voyons ce qui caractérise l’intelligence collective :

Renoncer à ce que le travail soit préparé, cadré, orienté par la direction de l’entreprise. Si nous avions bien pré‑

paré l’animation et le rythme de la journée, nous étions ouverts à ce qui pouvait émerger au cours de nos travaux.

Poser clairement les « règles du jeu » pour bien travailler collectivement. Ceci a été fait par l’animateur en début de journée. La méthode d’animation était bien adaptée à l’objectif visé et à la façon de fonctionner des équipiers GT Location. Les personnes présentes étaient volontaires, prêtes à jouer le jeu et à vivre quelque chose de nouveau.

Présenter aussitôt le sens et les enjeux de la rencontre.

C’est ce que j’ai fait dès l’introduction de cette journée.

2. Frédéric Laloux, op. cit.

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Développer l’intelligence collective, pourquoi ?

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« Aujourd’hui, nous sommes sur le chantier. Nous allons creu- ser les fondations, nous allons faire émerger le socle sur lequel nous voulons bâtir l’avenir de GT Location. Dans quelle entre- prise voulons-nous travailler ? De quelle entreprise voulons-nous être fiers ? Aujourd’hui, c’est à nous qu’il appartient de dire ce qui fait que GT Location est unique. C’est à nous qu’il appartient de dire quelles sont les valeurs humaines et stratégiques sur les- quelles nous voulons appuyer le développement de l’entreprise.

Enfin, c’est à nous d’exprimer quelle ambition nous guide et nous rassemble. Dans ce grand mouvement de transformation de l’entreprise que nous vivons, nous sommes arrivés à l’étape où nous pouvons exprimer tout cela. »

Nous étions ici pour servir l’entreprise, en rendant explicite ce qui caractérise son identité à travers sa mission, ses valeurs et son ambition. Ainsi, le cadre de notre travail collectif était défini dès le départ. Dès lors, tout était ouvert.

Le dialogue a été réel, les échanges productifs et le résultat à la hauteur de l’implication des personnes présentes. Devant la puissance d’un tel moment, nous pouvons nous poser les questions suivantes : pourquoi ne travaillons‑nous pas de cette façon plus souvent ? Pourquoi est‑ce si difficile de fonctionner ainsi dans la vie de tous les jours ? En effet, nous constatons que bien souvent les idées et les propositions ne sont pas suffisamment partagées et enrichies, ou quand elles le sont, que le résultat n’est pas à la hauteur des attentes des participants. Nous pressentons qu’il y a un vrai gâchis, une sorte de gaspillage de l’intelligence et de l’énergie de cha‑

cun. Ainsi, nous privons nos organisations d’une réelle source d’efficacité.

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NOUS RÉINVENTONS NOTRE ENTREPRISE

Une entreprise ne peut plus fonctionner   sans intelligence collective

Les structures pyramidales traditionnelles exigent trop de choses de trop peu de gens et pas assez de tous les autres3.

Cette citation de Gary Hamel résume avec finesse la situation.

Pour ma part, il m’a fallu vivre une série d’évènements dou‑

loureux pour comprendre que ma représentation de l’entre‑

prise n’était plus adaptée à la réalité. Il a fallu que plusieurs d’entre nous, parmi les dirigeants et les membres des équipes de direction, soient touchés dans leur santé pour constater les limites du système qui caractérisait ma vision du monde.

Inutile de dire combien ce type de passage est difficile à vivre.

Dans le monde des organisations, nous partons souvent de loin. Nous connaissons tous le fameux « règlement du Chef » affiché au‑dessus d’un bureau :

✤Règle n° 1 : Le Chef a raison.

✤Règle n° 2 : Le Chef a toujours raison.

✤Règle n° 3 : Même si un subalterne a raison, les deux pre‑

mières règles s’appliquent.

Et ainsi de suite.

Ce règlement du Chef, exprimé aussi crûment, peut prêter à sourire. Malheureusement, il traduit une réalité consternante que l’on retrouve encore beaucoup dans le monde du travail ; réalité qui s’appuie sur la croyance que détenir et garder pour soi l’information donnent du pouvoir. Mais cette posture du manager entraîne souvent désengagement et frustration de la

3. Gary Hamel, citation extraite de l’ouvrage de Frédéric Laloux, ibid.

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Développer l’intelligence collective, pourquoi ?

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part des collaborateurs… Qui finissent par croire qu’il n’y a pas d’autre façon de fonctionner. Tout le monde est perdant : les salariés et l’entreprise.

Chez GT Location, nos conducteurs sont quotidiennement en contact avec les clients, et avec les clients de nos clients. Ils côtoient donc des collègues appartenant à de multiples entre‑

prises. J’ai en tête ces remarques affligeantes entendues mal‑

heureusement trop souvent : « un chauffeur, c’est un tourneur de volant » ; ou encore « réfléchir, c’est commencer à désobéir ».

Pourtant, il y a aussi ces moments de grâce, ces moments où telle situation qui paraissait inextricable a pu être déblo‑

quée grâce à l’humilité d’un responsable, celui‑ci prenant conscience que son point de vue ou son attitude, qui lui avaient pourtant semblé évidents sur le moment, étaient en réalité inappropriés. Cette remise en question a alors ouvert la porte à l’intelligence collective. Ainsi l’histoire de Brigitte, qui animait une réunion sur la prévention des accidents : après avoir écouté les participants lors d’un tour de table initial, elle a décidé de renoncer à toute l’animation qu’elle avait prépa‑

rée avec son équipe pour s’ouvrir aux idées que portaient les opérationnels présents. Tout l’enjeu pour nos entreprises est de favoriser à tous les niveaux ce type de posture et, progres‑

sivement, de réduire le nombre de « petits chefs ».

Le manque de coopération entre les acteurs d’une organisa‑

tion devient un obstacle majeur à sa performance. Dans le monde complexe et imprévisible qui est le nôtre, le dirigeant n’a pas d’autre choix : il ne peut plus tout maîtriser seul ou avec la seule aide de quelques membres d’un cercle restreint.

Au sein de l’entreprise, le manager doit renoncer à être le

« sachant » qui a réponse à tout. Nul ne détient à lui seul la connaissance et la compréhension de l’ensemble de l’organi‑

sation. Aujourd’hui, cette connaissance et cette compréhen‑

sion s’enrichissent du savoir de chacun, dans une logique de réciprocité et non plus de hiérarchie à sens unique. De plus en

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NOUS RÉINVENTONS NOTRE ENTREPRISE

plus de dirigeants sont convaincus que la diffusion de l’infor‑

mation, la transparence, la collaboration entre tous est source d’efficacité et de réussite. Et cela s’apprend et se développe par une pratique quotidienne. Selon mon expérience person‑

nelle, je peux affirmer que lorsque l’on a goûté à cette façon de fonctionner, de travailler, et constaté son efficacité, on ne peut plus s’en passer. Elle favorise l’apprentissage et la pro‑

gression de chacun, ainsi que de l’organisation tout entière.

Mais alors, comment arriver à orienter l’entreprise vers une telle dynamique ? Quels en sont les prérequis ?

Les ingrédients indispensables pour faire  émerger l’intelligence de groupe

Partager les ressentis, positifs et négatifs

Beaucoup d’auteurs ont écrit sur le sujet. Personnellement, il m’a fallu bien des années pour réaliser combien l’intelligence collective pouvait être source d’efficacité dans le fonctionne‑

ment de mon entreprise. C’est sans doute l’une des découvertes qui a le plus enrichi ma pratique de dirigeant. Dans ce chemi‑

nement, j’ai été guidé par Christophe Le Buhan et Jacques San‑

tini, qui accompagnent dirigeants et équipes de direction dans la libération et la transformation de leur entreprise4. Les pages qui suivent doivent beaucoup à la pédagogie qu’ils ont élaborée au sein de Toscane Accompagnement et que l’on peut retrou‑

ver dans leur livre : Les Fondements humains du leadership5. Partons de l’image suivante. Un individu est caractérisé par : – sa tête : ce qui est de l’ordre de l’intelligence, de la volonté,

de la décision ;

4. Toscane Accompagnement : http://toscane‑accompagnement.com

5. Christophe Le Buhan et Jacques Santini, Les Fondements humains du leader- ship, Toscane, 2014.

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Développer l’intelligence collective, pourquoi ?

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– sa sensibilité : le domaine des ressentis, de la relation ; – son être profond : l’énergie vitale, la sécurité et les valeurs

qui lui sont chères.

Au sein de Toscane et du réseau EVH6, nous avons l’habitude d’employer les termes « tête », « cœur » ou « tripes ».

Inutile de rappeler combien la « tête » trouve toute sa place au sein de l’entreprise. Elle prend d’ailleurs une place sou‑

vent excessive, parfois exclusive. Le vocabulaire habituel du management traduit souvent cette priorité donnée au céré‑

bral – objectifs quantifiés, planification, organigramme… –, notions tout à fait nécessaires au bon fonctionnement de l’entreprise mais le plus souvent réductrices par rapport à la réalité.

Ainsi, le premier pas pour s’ouvrir à l’intelligence collec‑

tive, c’est d’accepter pour moi, dirigeant, et pour les autres, l’existence de ces deux autres instances que sont le « cœur » et les « tripes ». Oui, il me faut accepter que ma sensibilité puisse être une précieuse source d’information sur la réalité.

Il me faut accepter qu’au‑delà des codes et des convenances propres au monde de l’entreprise, mon interlocuteur puisse exprimer ses ressentis. Curieusement, l’intelligence collective part d’une démarche éminemment personnelle. Le chemin commence en nous‑même.

Pour ma part, je partais de très loin. Jeune professionnel, ma représentation du rôle de « patron » faisait la part belle au cou‑

rage, à la prise de décision, à l’intelligence des situations. Ma devise pouvait être : « Never complain, never explain7. » Alors, m’ouvrir à mes ressentis, et pire, les partager dans l’enceinte de l’entreprise relevait de l’inconcevable. Heureusement, grâce à des formations – notamment au sein du Centre des Jeunes Dirigeants –, des rencontres, des lectures, j’ai découvert

6. Des Entreprises Vivantes pour des Hommes et femmes vivantes.

7. « Ne jamais se plaindre, ne jamais expliquer. »

(27)

26

NOUS RÉINVENTONS NOTRE ENTREPRISE

progressivement combien m’ouvrir à mes ressentis pouvait m’aider à mieux comprendre et à mieux vivre les situations.

Mais je n’étais qu’au début du chemin. Aujourd’hui, j’expéri‑

mente régulièrement, au détour d’une conversation, combien je peux aider l’autre à accéder à ses ressentis, à ses valeurs, et, réciproquement, combien mon interlocuteur, par une écoute active et le partage de ses propres ressentis, m’aide à contac‑

ter ma profondeur. Et ce faisant, combien c’est vitalisant pour nous deux et le plus souvent éclairant pour la situation.

De même, lors de réunions concernant des changements d’affectation proposés à des directeurs de filiales, nous avons souvent expérimenté, avec une forme d’émerveillement, combien le fait d’avoir pris du temps pour échanger sur le sens et les valeurs de notre action, de notre démarche, rendait celle‑ci beaucoup plus fluide. Et combien nous gagnons en efficacité et en rapidité par la suite. Ce qui s’est clarifié à l’inté‑

rieur de nous‑mêmes a fait progresser notre compréhension de la situation et a permis l’émergence de solutions nouvelles.

Dans une entreprise, la tentation est grande de chercher à être efficace tout de suite, de passer le plus rapidement pos‑

sible à l’organisation matérielle, aux procédures, au « qui fait quoi », aux budgets, aux plans d’actions… En un mot, aux choses sérieuses ! Et pourtant, prendre du temps pour que les participants expriment leurs ressentis positifs leur permet de se recharger en énergie, d’augmenter leur confiance en eux. De même, prendre du temps pour accueillir les ressen‑

tis négatifs, les tensions, les méfiances, les peurs, évite que ceux‑ci s’enkystent en chacun.

Je me souviens d’une réunion sur le processus de revalorisa‑

tion. L’un d’entre nous, en désaccord sur un point, bloquait la mise en place du processus. Il a pu exprimer son ressenti et la raison de sa position. Le lendemain, il nous écrivait un mail pour nous dire que le fait de s’être senti écouté et respecté l’avait aidé à mûrir le sujet et qu’il rejoignait « librement »

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Développer l’intelligence collective, pourquoi ?

27

la position commune. Ce partage de ressentis, dans la mesure où il se fait dans le respect, l’authenticité et la bienveillance, renforce l’alliance entre les participants. Cela permet d’accé‑

der à une meilleure compréhension du sens et des valeurs, humaines et stratégiques, qui orientent et soutiennent notre action commune. C’est ce qui donne l’énergie pour passer à l’action. Une fois cette étape franchie, le moment est venu de construire et ceci peut alors se faire sur des fondations solides.

Écouter en profondeur et avec humilité

Un autre ingrédient nécessaire à l’intelligence collective est l’écoute « en profondeur » que permet la « position basse ».

Il faut comprendre la « position basse » comme une posture d’humilité, d’empathie et d’accueil du point de vue de l’autre.

Chacun de nous a vécu ces réunions au cours desquelles un participant, souvent le patron, « écrase » tout le monde par sa « supériorité » autoproclamée ; ces réunions où l’on sent le niveau d’énergie des participants baisser au fur et à mesure ; où le « supérieur » étale toutes les facettes de son ego : la grande école dont il est sorti, son expérience, les entreprises qu’il a redressées, ses connaissances, le fait de n’être jamais pris en défaut, etc.

Personnellement, c’est en lisant Les Fondements humains du leadership que j’ai découvert « la puissance étonnante de la position basse ». Cela a été une vraie révélation : les per‑

sonnes qui m’avaient profondément marqué étaient celles qui n’étaient plus encombrées par leur ego. J’ai réalisé, de façon très opérationnelle, que :

Le responsable en position basse construit le futur avec l’énergie et la créativité des autres8.

8. Christophe Le Buhan et Jacques Santini, op. cit.

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NOUS RÉINVENTONS NOTRE ENTREPRISE

Il peut y avoir une incompréhension de fond sur cette ques‑

tion car, de par notre éducation, nous pouvons assimiler la position basse au fait de « se rabaisser », voire de ne plus exister, ou bien d’exister juste un peu. Au contraire, selon mon expérience, la position basse est vraiment le fruit d’une réconciliation avec nos forces et nos faiblesses, d’une unifi‑

cation de notre vie dans son ensemble. Ainsi :

Entrer progressivement dans la conscience et l’acceptation de ses fragilités d’homme, c’est entrer dans son épaisseur d’humanité et en faire le cadeau à ses proches9.

Nous avons ainsi vérifié à de nombreuses reprises, que lorsque l’un d’entre nous, au‑delà de ses compétences profes‑

sionnelles et de son implication, partageait sa vulnérabilité, c’est‑à‑dire sa capacité à se montrer vulnérable, cela renfor‑

çait l’alliance commune et nous montrait combien cela nous permettait d’aller beaucoup plus loin que ce que nous avions imaginé.

« L’humilité, afin d’écouter l’autre, de le respecter et d’avancer ensemble. » Cette phrase issue de notre fameuse journée de février 2014 illustre bien ce que permet l’intelligence collec‑

tive. En tant que dirigeant de l’entreprise, je n’aurais jamais osé proposer une telle valeur. Au sein de l’équipe de direc‑

tion, il est vrai qu’il y a eu débat avant que nous l’acceptions.

Mais ce jour‑là, le fait que 120 personnes issues de tous les métiers et de toutes les régions de l’entreprise soient à l’ori‑

gine de cette proposition nous a permis de franchir le pas.

Aujourd’hui, lorsque je suis amené à présenter GT Location à travers ses valeurs dont l’humilité, je ne suis que le porte‑

parole d’une communauté de travail qui se reconnaît dans ces valeurs.

9. Ibid.

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Une entreprise comme une autre, néanmoins…

Un métier et une façon de le pratiquer

Notre métier consiste à mettre à la disposition de nos clients des conducteurs routiers avec des véhicules : nous sommes un « loueur de véhicules industriels avec conducteur ».

Cette mise à disposition s’inscrit dans la durée et se tra‑

duit juridiquement par un contrat annuel ou pluriannuel.

Nos clients sont pour l’essentiel des grandes entreprises.

Nous travaillons avec certaines d’entre elles depuis de nombreuses années : les compagnies pétrolières depuis la création de l’entreprise, en 1946, puis, à partir des années soixante, leurs filiales de distribution de gaz. Nous transpor‑

tons des matières dangereuses : cela explique notre culture

« sécurité » et une forme de rigueur dans notre organisation.

Mon frère Éric a rejoint l’entreprise à plein temps en janvier 1974. Quelques mois plus tôt, la guerre du Kippour marquait la fin des Trente Glorieuses et celle du pétrole bon marché. Pour notre entreprise, qui travaillait alors quasi exclusivement pour les entreprises pétrolières, le choc a été rude. Éric, en tant que directeur commercial puis dirigeant, a consacré son énergie à ouvrir de nouveaux marchés.

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30

NOUS RÉINVENTONS NOTRE ENTREPRISE

Le secteur économique du transport routier de marchandises est très vaste. En France, il compte un grand nombre d’acteurs et est soumis à une concurrence internationale. À tel point que ce que l’on appelle le « pavillon français », c’est‑à‑dire les entreprises françaises qui réalisent du transport international, a quasiment disparu. Du fait de la position géographique de la France au sein de l’Europe, nous sommes un pays de transit : nombre de camions que nous croisons sur nos grands axes routiers sont immatriculés à l’étranger.

Aussi, pour arriver à subsister et à nous développer dans un tel contexte concurrentiel, nous avons toujours privilé‑

gié certains marchés. Aujourd’hui, nous intervenons dans la distribution de matériaux de construction et de béton prêt à l’emploi, dans la distribution de produits alimentaires, celle de pneumatiques et la collecte de volailles. La caractéris‑

tique commune à tous ces marchés est qu’ils nécessitent des véhicules bien particuliers : camions‑grues, toupies à béton, camions frigorifiques multi‑températures, camions portant des containers spécifiques pour les volailles… Mais, surtout, nos conducteurs exercent des fonctions, elles aussi, vrai‑

ment spécifiques. Ainsi, dans la distribution de matériaux, le conducteur doit parfaitement maîtriser l’usage de la grue.

Dans celle du béton, il doit s’intégrer au contexte « chantier ».

La distribution frigorifique, notamment en milieu urbain, demande des qualités relationnelles et une maîtrise de soi très fortes. Enfin, dans la collecte de volailles, la plupart de nos conducteurs sont issus du monde de l’élevage dont ils doivent appréhender toutes les contraintes.

Ce positionnement stratégique et la manière que nous avons d’exercer le métier de transporteur ont façonné notre entre‑

prise. Par exemple, nous n’avons jamais parlé de « chauffeurs routiers » pour désigner les équipiers GT Location mais de

« conducteurs ». Il y a bien longtemps que les locomotives à vapeur ont disparu… Le terme « chauffeur » a un côté vieillot dans lequel nous ne nous sommes jamais reconnus.

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Une entreprise comme une autre, néanmoins…

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Une autre caractéristique forte des équipiers GT Location est qu’ils sont détachés en permanence chez nos clients. Chaque jour, ils prennent leur poste sur site et sont le plus souvent le seul lien humain entre nous et nos clients. Il est demandé à nos conducteurs une implication forte auprès des clients et une intégration complète dans leur organisation. D’une cer‑

taine façon, ils ont une double appartenance : ils sont à la fois préposés du client pour des missions bien précises, et salariés GT Location. Il arrive ainsi régulièrement à des équipiers GT Location d’être pris pour des salariés de nos clients.

Lors de mon parcours d’intégration au sein de l’entreprise, j’ai eu l’occasion d’accompagner pendant une journée l’un de nos conducteurs, Monsieur Dufour, figure emblématique de la société compte tenu de son rôle important au sein du Syndicat des Routiers. Cette journée passée à ses côtés m’a permis de comprendre la force de la relation qui existait entre l’entreprise, nos conducteurs et nos clients. Raymond Dufour travaillait alors depuis vingt‑cinq ans en tant que salarié de GT Location auprès de la compagnie pétrolière BP. Depuis vingt‑cinq ans, il conduisait un camion aux couleurs de la BP, portait la tenue BP, y compris la casquette à pans coupés, caractéristique de cette compagnie. Et il connaissait par cœur les noms et prénoms de tous les gérants des stations‑service BP de sa région…

Ce contexte professionnel nous a amenés à développer une culture et des pratiques de management assez atypiques pour favoriser le sentiment d’appartenance des équipiers GT Loca‑

tion et, dans le même temps, leur engagement auprès de leur client.

Outre la rémunération individualisée – qui varie selon le com‑

portement de chaque salarié –, et le soin porté à l’information et la communication interne, deux initiatives propres à GT Location méritent d’être évoquées : l’actionnariat salarié et l’« école du conducteur ».

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NOUS RÉINVENTONS NOTRE ENTREPRISE

Des salariés actionnaires

S’il y a bien un homme politique que l’on ne s’attend pas à trouver dans un ouvrage sur l’entrepreneuriat, c’est le général de Gaulle. Et pourtant, dès 1948, dans un discours prononcé à Strasbourg, le général s’exprime sur ce qu’il nomme « l’asso‑

ciation », où la finalité est de réconcilier les visées antago‑

nistes du capitalisme et du socialisme :

« Ni le vieux libéralisme, ni le communisme écrasant. Autre chose. Quoi ? Eh bien, quelque chose de simple, de digne et de pratique qui est l’association. C’est une vieille idée française, elle fut bien souvent dans notre histoire économique mise en valeur. »

Pour le général de Gaulle, la reconstruction de la France de l’après‑guerre passe par là. Revenu au pouvoir en 1958, il fait adopter l’ordonnance du 7 janvier 1959 « tendant à favoriser l’association ou l’intéressement des travailleurs à la marche de l’entreprise », soit l’association des salariés au capital. Il s’agit d’une première formule conduisant à l’actionnariat des sala‑

riés. Malheureusement, cette mesure qui laisse le choix aux employeurs ne rencontre pas de succès. Seules de rares entre‑

prises, pionnières dans ce domaine, ont franchi le pas.

Partant d’une forme de constat d’échec de cette ordonnance de 1959, l’ordonnance de 1967 rend obligatoire la « participa‑

tion des salariés aux résultats » pour les entreprises de plus de 100 salariés, seuil qui sera réduit à 50 en 1990, et la « réserve de participation » pouvant être investie en actions de l’entreprise.

Par la force des choses, les entreprises l’ont mise en place, mais subi par les dirigeants, cet outil fut parfois détourné de sa finalité et considéré comme un quasi « impôt social ».

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Une entreprise comme une autre, néanmoins…

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Il a fallu les ordonnances de 1986, simplifiant et adaptant les textes antérieurs, pour que les accords d’intéressement et les Plans d’Épargne Entreprise (PEE) rencontrent enfin un succès qui est ensuite allé grandissant.

Chez GT Location, nous avons signé notre premier accord d’intéressement au cours de l’année 1987. Celui‑ci prévoyait qu’en fonction des résultats, une prime d’intéressement, pou‑

vant atteindre jusqu’à 10 % du salaire net annuel, soit versée à l’ensemble des salariés.

Durant l’automne 1987, nous avons aussi assisté à une conférence organisée par une entreprise régionale cotée en Bourse avec un système d’actionnariat salarié. À la fin de la conférence, nous avons souhaité rencontrer les juristes qui avaient accompagné cette entreprise dans la mise en place de son actionnariat pour leur demander de nous conseil‑

ler. Avec leur concours, nous avons alors mis en place un Plan d’Épargne Entreprise assez original. En effet, les PEE sont généralement investis dans des Fonds Communs de Placement gérés par les banques. Dans notre cas, le PEE que nous proposions était – et est toujours – directement investi en obligations GT Location. Chaque année, l’entre‑

prise émet ainsi un emprunt obligataire privé réservé aux salariés. Ce qui nous a permis de proposer à nos salariés, dès le printemps 1988, de placer leur épargne dans un PEE, avec l’argument réel que leur épargne servait directement à financer leur outil de travail, en l’occurrence les véhicules.

Le taux de rendement est calqué sur le taux de la Caisse d’Épargne, augmenté de 0,5 %.

Plus de 60 % des salariés ont répondu positivement à cette proposition. Par ailleurs, comme GT Location s’est principale‑

ment développé par autofinancement entre 1992 et 2007, les salariés étaient alors les seuls prêteurs de l’entreprise.

Poursuivant cette logique, nous avons réfléchi à l’étape sui‑

vante : proposer aux équipiers GT Location qui le souhaitaient

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NOUS RÉINVENTONS NOTRE ENTREPRISE

de devenir actionnaires de leur entreprise. Culturellement, les actionnaires familiaux étaient ouverts à la perspective d’ou‑

vrir le capital aux salariés. En 1991, nous avons ainsi attribué des stock-options à tous ceux qui, trois ans plus tôt, avaient fait le choix de placer de l’argent dans le PEE.

L’outil financier des stock-options permet d’associer des sala‑

riés, généralement des dirigeants et des cadres, à la prise de valeur de l’entreprise. Régulièrement, cet outil a été décrié du fait de réels et rares excès dans les conditions d’attribution à certains dirigeants, mais aussi d’une certaine propension des Français à mal supporter l’enrichissement d’autrui. L’origina‑

lité de notre démarche a été de proposer des stock-options non pas uniquement aux cadres et aux dirigeants mais à toutes les personnes qui avaient déjà manifesté concrètement leur confiance dans l’entreprise en y plaçant une partie de leur épargne. La majorité de ces personnes étaient des conducteurs.

Le principe est simple. Il consiste à attribuer à quelqu’un une option qui lui permet, le moment venu, d’acheter ou de sous‑

crire un certain nombre d’actions à un prix fixé à l’avance.

Si, entre le moment de l’attribution et le moment de l’achat effectif, la levée de l’action, le prix de celle‑ci a augmenté, l’acquéreur est certain de son gain. Bien entendu, il est libre de lever l’option ou non.

La réglementation du moment permettait de fixer le prix de l’option avec un « rabais » de 10 % par rapport au prix de l’action au moment de l’attribution. Compte tenu de la prise de valeur de l’action GT Location dans les années 1991‑1993, les bénéficiaires des options étaient certains de réaliser une bonne opération.

Ce qu’ils ont fait. Et en juin 1993, nous tenions notre première assemblée générale en présence de nombreux équipiers GT Location qui avaient fait le déplacement pour l’occasion. Cela fait partie des moments qui ont marqué ma vie professionnelle.

Aujourd’hui, le taux d’épargnants parmi nos salariés, en grande majorité des actionnaires, se situe au‑dessus de

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Une entreprise comme une autre, néanmoins…

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50 %. Ce qui signifie que plus d’un salarié sur deux a fait le choix de placer de l’argent dans notre entreprise. Pendant longtemps, ce taux se situait autour de 60 %. Mais la crois‑

sance des effectifs au cours des dernières années a rendu ce niveau plus difficile à atteindre. Et puisqu’un salarié ne peut devenir actionnaire qu’au bout de six mois de pré‑

sence, et que la campagne de promotion de l’épargne se fait chaque mois d’avril, il faut toujours tenir compte d’un certain décalage.

L’actionnariat des salariés a été pour nous l’occasion de développer, depuis maintenant plus de vingt‑cinq ans, une pédagogie économique auprès des équipiers GT Location.

Celle‑ci est très concrète et s’appuie sur des éléments tan‑

gibles : quand l’entreprise fait des bénéfices, le prix de l’action augmente. En effet, comme l’autorise la réglemen‑

tation, la valeur de l’action est fixée chaque année en fonc‑

tion de l’évolution des capitaux propres. Ceci a sûrement favorisé parmi les équipiers GT Location l’émergence d’une réelle maturité sur les questions économiques touchant à l’entreprise. Et le sentiment d’appartenance s’en est trouvé renforcé. Quand l’un d’entre nous parle de son entreprise, c’est non seulement celle qui l’emploie, mais aussi celle dont il détient des actions.

Régulièrement, certains de nos clients nous disent combien ils apprécient que nos salariés puissent être actionnaires de leur entreprise. De la même façon, nos banquiers apprécient de par‑

tager le risque financier de leur client avec les salariés de celui‑ci.

Une école sur mesure

Depuis longtemps, des entreprises ont créé leur propre école pour former les jeunes à leurs métiers. Cela a été le cas par exemple de Merlin Gerin, Peugeot, Michelin… Lors d’une

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NOUS RÉINVENTONS NOTRE ENTREPRISE

rencontre, le responsable de la formation professionnelle pour la Région Aquitaine nous a fait remarquer qu’il verrait bien une entreprise comme la nôtre avoir sa propre école.

Non pas un seul centre de formation, mais bien une école qui préparerait et délivrerait un titre professionnel reconnu par l’État. Cette remarque inattendue nous a alors interpellés, car elle rejoignait une dimension importante de notre histoire.

GT Location a toujours accordé beaucoup d’importance à la formation des conducteurs. Dès 1965, l’entreprise a créé son propre service de formation. Celui‑ci avait en charge le recru‑

tement, l’intégration et la formation continue des conducteurs.

À cette époque, dans le transport routier, c’était une véritable innovation pour une entreprise de moins de 200 salariés.

Suite à cette remarque, nous sommes entrés en contact avec le directeur régional de l’AFPA (Association pour la Formation Professionnelle des Adultes). Celui‑ci nous a indiqué que son organisme avait aussi pour vocation d’accompagner des entre‑

prises dans le développement de formations en interne. Au sein de l’entreprise, ce projet a généré beaucoup d’enthousiasme.

Pour les équipiers GT Location associés à cette réflexion, c’était l’occasion de transmettre à des jeunes notre façon de travailler.

Nous avons alors décidé de nous lancer dans la création d’une école destinée à former des jeunes au métier de conducteur routier, ce qui nous permettait d’affirmer de façon tangible combien ce métier était au centre de notre stratégie.

Pour cela, nous nous sommes inspirés de la pédagogie de l’apprentissage qui associe formation théorique et pratique professionnelle, ainsi que des modalités du compagnonnage.

Notre parcours du « jeune conducteur » se déroule sur vingt‑

quatre mois. La partie théorique, incluant le passage du per‑

mis poids lourd, est dispensée sur notre site de Bassens, près de Bordeaux, où nous avons fait construire des locaux qui accueillent l’école. Comme les « jeunes conducteurs » viennent de toute la France, un foyer pour les héberger le temps de la

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Une entreprise comme une autre, néanmoins…

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formation a été construit. La partie pratique se déroule sur trois périodes d’environ six mois au cours desquelles le jeune, à l’instar des Compagnons du Devoir, va travailler dans trois régions différentes. Pour faciliter cette mobilité, nous avons mis en place un système d’hébergement sur tous ces sites.

Les « jeunes conducteurs » sont embauchés via des contrats de qualification, aujourd’hui contrats de professionnalisa‑

tion. Ces contrats prévoient que le salaire versé soit calculé sur la base d’un pourcentage du SMIC évoluant durant le contrat. Ainsi, le coût initial de la formation est compensé par le différentiel de salaire pendant la période où le « jeune conducteur » est productif. L’équilibre économique est réalisé à l’aide des subventions qui sont accordées pour encourager ce type de formations.

La première promotion, constituée de douze jeunes, a été accueillie au mois de juin 1988. À raison de quatre promotions par an, ce sont aujourd’hui plus de 1 600 jeunes qui ont appris le métier de conducteur routier et trouvé un emploi grâce à notre école. Bien sûr, il y a eu des moments difficiles. Cela requiert un niveau d’exigence tant pour l’enseignement donné à ces jeunes que pour la transmission d’une forme de savoir être en entreprise. Mais l’école GT Location a toujours été – et est encore aujourd’hui – un réel motif de fierté pour tous les équipiers GT Location, issus en grande partie de cette école.

Enfin, devant le manque structurel de conducteurs routiers non seulement en France mais aussi en Europe, cette école est devenue un atout stratégique. Aujourd’hui, nous formons plus de 120 « jeunes conducteurs » par an dont la plupart deviennent des équipiers GT Location. Nous sommes en train d’ouvrir un second centre de formation en région parisienne.

L’école contribue à préparer les conducteurs dont l’entreprise a besoin pour assurer son développement. C’est une belle consécration.

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NOUS RÉINVENTONS NOTRE ENTREPRISE

Ce que cela dit de notre entreprise

Alain Etchegoyen, dans son ouvrage Les Entreprises ont-elles une âme ?1, a approfondi la question de ce qui fonde l’identité d’une entreprise.

Discourir sur l’âme de l’entreprise peut sembler étrange…

Afin de montrer plus concrètement ce que signifie cette expression et avant toute approche théorique, je pense qu’il faut montrer, dans les faits, ce qui fait la singularité des entreprises2.

Il a étudié de l’intérieur certaines organisations avec des équipes pluridisciplinaires composées d’anthropologues, de sociologues et de philosophes. Ainsi l’entreprise Michelin, où il a montré le lien extrêmement fort entre « l’âme de la Maison et les paradigmes du recrutement ». Il a prouvé tout au long des processus de recrutement la cohérence entre les principes et la pratique.

Lorsque je repense à l’histoire de GT Location, je réalise que l’âme de l’entreprise, au sens où l’entendait Alain Etchegoyen, inclut les dimensions suivantes :

✤Une relation étroite et forte avec les clients qui s’inscrit dans la durée.

✤Une attention portée aux salariés, à leur bien‑être, à leur progression.

✤Une adaptation permanente au gré des circonstances et une ouverture à la nouveauté.

Sur le deuxième point, on pourrait nous faire la remarque que cela relève d’une forme de paternalisme. Ce serait oublier que,

1. Alain Etchegoyen, Les Entreprises ont-elles une âme ?, François Bourin, 1994.

2. Ibid.

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Une entreprise comme une autre, néanmoins…

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contrairement au xixe siècle, époque où les salariés étaient fortement attachés à un bassin d’emploi, ils ont aujourd’hui le choix et peuvent changer d’employeur plus facilement.

Je pense qu’au contraire, l’attention portée aux salariés, à leur bien‑être et à leur progression est, d’une certaine façon, l’annonce des émergences décrites par Frédéric Laloux3. Pour illustrer ce que cela dit de GT Location, voici un courrier adressé par l’un de nos salariés à son directeur qui lui avait envoyé un mot à l’occasion du décès du Président du Sénégal, Léopold Senghor, pays dont le salarié était ressortissant. Ces quelques mots traduisent magnifiquement l’âme de GT Location.

« SOYEZ ASSURÉ DE MA FIERTÉ D’APPARTENIR   À LA GRANDE FAMILLE DE GT LOCATION » Papa M., conducteur

« Athis-Mons, ce 2 janvier 2002, Monsieur le Directeur,

J’ai été très touché par votre message de sympathie et vos vœux pour le Sénégal, à l’occasion du décès du président Senghor. Je vous en remercie du fond du cœur, tout en saluant votre grandeur d’âme.

Votre message témoigne de votre sensibilité à tout ce qui touche, de près ou de loin, la grande famille de GT Location. Soyez donc assuré de ma fierté d’appartenir à une telle entreprise et de ma volonté de toujours donner le meilleur de moi-même pour son rayonnement.

Que cette année 2002 qui débute, soit donc pour tous, synonyme de paix, de santé, de bonheur et de prospérité.

À titre personnel, qu’elle soit pour vous et pour votre famille, synonyme de grand bonheur et de réussite dans toutes vos entreprises. »

Cela nous permet de mieux comprendre la ligne directrice du développement de l’entreprise, et, d’une certaine façon,

3. Frédéric Laloux, op. cit.

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NOUS RÉINVENTONS NOTRE ENTREPRISE

la cohérence entre cette histoire et ce que nous vivons aujourd’hui. Néanmoins, le cheminement pour en arriver là, a connu des étapes assez mouvementées.

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Notre histoire récente

Le contexte : 2009, c’est super !   2010, ça se gâte

Années 2006 et 2007 : nous avons atteint un bon niveau de marge dans nos résultats et nous nous développons bien.

L’entreprise est comme un voilier parfaitement réglé qui prend bien le vent. Après des années marquées par une stabi‑

lisation puis un redressement des résultats, c’est appréciable pour toute l’entreprise, et notamment pour notre équipe de direction.

En 2008, le marché du transport routier en France est très porteur. Nous profitons pleinement de cette dynamique.

La pénurie de conducteurs est telle que notre capacité à recru‑

ter et à former des conducteurs s’avère être un atout straté‑

gique. Là où nos investissements annuels se situaient entre 10 et 12 millions d’euros au cours des années 2002 à 2006, ils atteignent 20 millions d’euros en 2008.

Comme évoqué plus haut, entre 1992 et 2006, GT Loca‑

tion s’est uniquement développée par autofinancement, sans emprunt bancaire. En 2007, pour la plus grande satis‑

faction de nos banquiers, nous souscrivons un emprunt.

Et, pour faire face aux forts investissements à venir, nous prévoyons d’emprunter encore 5 millions d’euros… En sep‑

tembre 2008 ! Mais voilà : septembre arrive, silence radio de

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NOUS RÉINVENTONS NOTRE ENTREPRISE

la part des banques, ou, plus précisément, une actualité inter‑

nationale rend inaudible les réponses gênées et incertaines de nos interlocuteurs. Pendant quelques semaines, la planète financière vit des moments surréalistes. Pour la première fois dans ma carrière, j’envisage la perspective de ne pas trouver l’argent nécessaire pour financer nos investissements, alors que notre ratio endettement net sur capitaux propres est infé‑

rieur à 10 % et que le montant à emprunter ne représente que le quart des investissements de l’année. Finalement, nos banquiers trouvent des « enveloppes » disponibles pour nous financer.

Alors que le monde vit la plus grave crise financière depuis 1929, nous sommes au sein de l’entreprise dans une sorte d’euphorie. En octobre 2008, lors d’un séminaire avec l’équipe de direction, nous travaillons sur notre vision à cinq ans. Moment passionnant au cours duquel nous posons les bases du développement de l’entreprise : pérennité grâce à l’actionnariat familial, renforcement de l’équipe commer‑

ciale, réorganisation des filiales opérationnelles. Malgré les péripéties des années suivantes, ces bases ont prouvé leur solidité.

Néanmoins, début 2009, nous comprenons assez rapidement que l’année ne va pas se dérouler exactement comme nous l’avons projeté quelques mois plus tôt. D’une crise finan‑

cière en 2008, le monde passe à une crise économique en 2009. Aucun secteur économique, aucun pays n’est totale‑

ment épargné. Nos clients, tour à tour, nous demandent des ajustements, des réductions de moyens. Nos équipes font des prouesses commerciales pour que nous puissions apporter la flexibilité demandée par nos clients tout en réduisant l’impact sur nos salariés. Nos équipes d’exploitation étant très proches des équipiers GT Location, cela leur permet de s’adapter en permanence. Au terme de l’année 2009, nous ne déplorons

« que » douze licenciements économiques sur un effectif d’environ 1 100 personnes. Et, paradoxalement, bien que

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Notre histoire récente

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nous finissions l’année avec un chiffre d’affaires en baisse de 2 %, nos résultats en termes de marges et de bénéfices restent excellents. Surtout si on les resitue dans le contexte économique du moment.

Le succès peut avoir des effets pervers : nous nous croyons alors très bons managers et nous pensons être au‑dessus de la mêlée. Là où beaucoup d’entreprises, tous secteurs confondus, ont connu une année 2009 très difficile, nous avons prouvé que nous pouvions traverser la tempête avec aisance. Sans doute trop sûrs de nous, forts de nos équilibres financiers, nous estimons alors que la priorité est de reprendre notre crois‑

sance. Et nous investissons beaucoup d’énergie dans l’activité commerciale. Nous n’avons pas mesuré combien la crise allait entamer les marges de nos clients et que ceux‑ci, nécessaire‑

ment, allaient nous mettre une forte pression sur les tarifs et les conditions d’exploitation. Ce qui, bien sûr, a très vite un effet sur nos marges. Mais, de façon plus insidieuse, la pres‑

sion sur nos équipes de conducteurs et sur les managers est allée grandissante. L’équipe de direction, très préoccupée par des questions liées à notre croissance dans un contexte réelle‑

ment complexe, ne voit pas les situations difficiles que vivent certains de nos directeurs de filiales. Nous ne percevons pas les faibles signaux indiquant que l’entreprise est en train de se fragiliser. Moi‑même, cette année‑là, je consacre beaucoup de temps à des questions relatives à notre actionnariat familial, moins disponible à l’égard des membres de l’équipe de direc‑

tion dont l’un d’eux, Vincent, vivait le drame de la maladie.

Vincent

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