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Actes de la Journée des innovations pour une alimentation durable, Jipad 2016

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Academic year: 2021

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https://hal.inrae.fr/hal-02801867

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publics ou privés.

Fournier, Audrey Misrahi, Pascale Moity-Maïzi

To cite this version:

Sylvie Albert, Nicolas Bricas, Damien Conaré, Julie Debru, Stéphane Fournier, et al.. Actes de la

Journée des innovations pour une alimentation durable, Jipad 2016. Journée des innovations pour

une alimentation durable 2016, Apr 2016, Montpellier, France. Montpellier SupAgro, 117 p., 2016,

978-2-900792-26-1. �hal-02801867�

(2)

DES INNOVATIONS

POUR UNE

ALIMENTATION

DURABLE

(3)

Éditeurs : SYLVIE ALBERT, NICOLAS BRICAS, DAMIEN CONARÉ, JULIE DEBRU, STÉPHANE FOURNIER, AUDREY MISRAHI, PASCALE MOITY-MAÏZI.

www.chaireunesco-adm.com www.supagro.fr

www.cirad.fr

ISBN : 978-2-900792-26-1

(4)

Les formations ISAM IPAD

STÉPHANE FOURNIER NICOLAS BRICAS

Chapitre 1

9 Un pour tous et tous pour un :

sommes-nous plus durables

ensemble ?

BLANCHE DEHAYE ROXANE FAGES ORANE DUPONT

11 Les Maisons de semences paysannes, une gestion collective et participative de la biodiversité cultivée

ORANE DUPONT

19 Coopération entre productions végétales et animales biologiques :

des organisations collectives innovantes pour une agriculture durable

ROXANE FAGES

27 Le supermarché coopératif, ou comment reprendre nos courses en main

BLANCHE DEHAYE

Chapitre 2

35 L’alimentation durable, accessible

pour tous ?

AURÉLIA TALVAZ MARION MAZEL

37 Steaks de lentilles à la cantine : vers une revalorisation des légumineuses ?

AURELIA TALVAZ

45 Les Paniers de la mer :

de la mer à l’alimentation solidaire

MARION MAZEL

HUGO FERRARIS

55 Revalorisation des invendus de la grande distribution pour lutter contre les pertes et gaspillages : PHENIX, une solution innovante

MARIE SENIA-TOULLEC

63 Valorisation des coproduits de cultures alimentaires : fibre de bananier et sarment de vigne

HUGO FERRARIS

Chapitre 4

71 Des systèmes

de production 2.0 ?

LORINE AZOULAI QUENTIN LEGROS BÉNÉDICTE DUCHAMP

73 Sea, vegs and sun : demain, on cultive nos légumes en mer

LORINE AZOULAI

81 Agriculture en container :

strawberry fields forever ? QUENTIN LEGROS

89 Cycle Farms : un système agricole innovant intégrant trois systèmes de production

BÉNÉDICTE DUCHAMP

Chapitre 5

97 Quand les institutions

s’en mêlent !

ANNE MICHEL MATHIEU BAYOT

99 Une norme internationale sur la durabilité et la traçabilité du cacao pour enrayer la crise de la filière ?

ANNE MICHEL

107 Le plan bruxellois « Good Food » : un projet alimentaire territorial exemplaire ?

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(6)

Introduction

Cet ouvrage rassemble les actes de la 2e journée des innovations pour une alimentation durable

(Jipad) qui s’est tenue le jeudi 7 avril 2016. Cette journée est organisée par les participants des formations ISAM/IPAD de Montpellier SupAgro, copilotées avec le Cirad.

répondre. Ils ont identifié douze innovations, déjà développées ou encore à l’état de concept, suscep-tibles de jouer un rôle dans le renforcement de la durabilité des systèmes alimentaires. Ils en ont analysé le fonctionnement et les impacts envi-ronnementaux, sociaux et économiques afin de porter un regard critique sur le rôle de ces inno-vations dans la construction d’un système alimen-taire plus durable.

Les résultats de ces douze études ont été traduits sous forme de courtes vidéos qui ont été projetées lors de la 2e Journée des innovations pour une alimentation durable (Jipad), le jeudi 7 avril 20161. Cette journée d’échange et de débats s’est articulée autour de cinq séquences : → Un pour tous et tous pour un : sommes-nous

plus durables ensemble ?

→ L’alimentation durable, accessible pour tous ? → Lorsque nos poubelles regorgent de ressources,

on fait quoi ?

→ Des systèmes de production 2.0 ? →

→ →Quand les institutions s’en mêlent !

En appui aux vidéos, ce document regroupe les synthèses de l’étude de chacune de ces innovations.

PASCALE MOITY-MAIZI, DAMIEN CONARÉ, AUDREY MISRAHI

RESPONSABLES DE L’UNITÉ D’ENSEIGNEMENT ISAM/IPAD « ÉTUDE D’UNE INNOVATION »

1. Les vidéos sont disponibles en ligne à l’adresse : http://urlz.fr/49wk.

F

ace au constat alarmant des multiples externalités négatives de notre système alimentaire sur l’environnement, le lien social, l’équilibre économique, la santé et le bien être, des personnes innovent pour trouver des solutions. Ces innovations s’opèrent à différentes échelles que ce soit dans une parcelle, sur un aliment ou dans l’ensemble d’un territoire. Elles sont portées par des individus, des ONG, des collectivités territoriales ou des entreprises pour s’adapter à de nouvelles contraintes, aux diffé-rentes étapes de la chaine alimentaire (produc-tion, transforma(produc-tion, distribu(produc-tion, consomma(produc-tion, gestion/recyclage des déchets) et apporter des améliorations sensibles, voire créer une rupture avec un ordre ancien. En suivant la méthode « Noov’LR » de caractérisation des innovations, on peut considérer que celles-ci sont de trois ordres : technologique, d’usage (changement dans la manière d’utiliser un produit ou service) ou sociale (nouveau mode de gouvernance). Ces mêmes innovations peuvent porter sur quatre types d’objets : les produits (ou services), les procédés, la commercialisation et l’organisation. Les réseaux qui tentent de les identifier, les orga-niser et les valoriser se multiplient également (Résolis, International Urban Food Network, etc.).

Dans ce contexte, on peut se demander dans quelle mesure ces innovations répondent aux enjeux du développement durable : permettent-elles de préserver l’environnement ? améliorent-elles le bien-être des Hommes ? respectent-améliorent-elles les droits des Hommes ? sont-elles bonnes pour la santé ? sont-elles viables économiquement ? peuvent-elles être reproduites dans d’autres contextes ? doit-on et peut-on opérer un change-ment d’échelle ? quelles en sont les implications politiques ?

C’est à ce type d’interrogations que les parti-cipants aux formations ISAM/IPAD ont tenté de

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ISAM/IPAD

I

SAM1 (Innovations dans les systèmes alimen-taires du monde) est une formation d’ingénieur de spécialisation à laquelle le Mastère spécia-lisé® IPAD2 (Innovations et politiques pour une alimentation durable), est associé. Nous accueillons dans ces formations pendant une année un public de professionnels et d’étudiants d’horizons divers, désireux de comprendre ce que peut être une « alimentation durable ». Les parti-cipants, en situation de formation initiale ou en reprise d’études, ont tous une formation de niveau Bac+5, dans les domaines de l’agronomie, l’agroa-limentaire, la gestion, les sciences politiques….

Grâce à des rencontres avec des professionnels, des chercheurs, mais aussi aux interactions au sein du groupe des participants, riche de sa diver-sité, les formations ISAM/IPAD fournissent les clés de lecture permettant d’appréhender la dura-bilité, la complexité, la diversité et les évolutions

1. Formation accréditée par la Commission des titres de l’ingé-nieur (CTI).

2. Formation accréditée par la Conférence des grandes écoles (CGE).

récentes des systèmes alimentaires du monde. Elles apportent aux participants des connais-sances et des compétences opérationnelles sur les innovations techniques et organisationnelles en cours ainsi que des méthodes pour les évaluer. Le but est ainsi de donner aux diplômés la capa-cité d’œuvrer pour le renforcement de la durabi-lité des systèmes alimentaires, aux échelles locale, nationale et internationale.

Si vous souhaitez rejoindre cette formation pour une année ou seulement quelques semaines dans le cadre d’un module, nous vous invitons à visiter la page www.supagro.fr/isam-ipad.

Nous vous souhaitons une bonne lecture de ce document et vous donnons rendez-vous pour la 3e Jipad fin mars 2017 !

STÉPHANE FOURNIER ET NICOLAS BRICAS

RESPONSABLES SCIENTIFIQUES DES FORMATIONS ISAM/IPAD

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Jipad 2016

Douze

innovations

pour une

alimentation

durable

décryptées

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Chapitre 1

Un pour tous et tous pour

un : sommes-nous plus

durables ensemble ?

BLANCHE DEHAYE, ROXANE FAGES, ORANE DUPONT

L

a Journée des innovations pour une alimentation durable s’est ouverte avec la question : sommes-nous plus durables ensemble ? Nous vivons dans un drôle de monde… Un monde qui bouge, qui change… En effet, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, notre monde a connu de grands bouleversements. Nous avons grandi au rythme des innovations technologiques, assisté à la révo-lution verte, qui s’est appuyée sur les intrants chimiques, la spécialisation, la mécanisation de l’agriculture et récemment les biotechnologies. Nous avons également connu l’industrialisation de nos productions alimentaires, l’intensification et la massification des échanges mondiaux, dans un monde de plus en plus consumériste.

Tout ceci a fortement impacté nos façons de cultiver, produire, échanger et nous nourrir… Aujourd’hui, la durabilité de nos activités est en jeu. Ceci mène nombre d’entre nous à ressentir une insatisfaction grandissante et une envie de faire bouger les choses. Mais des solutions existent… Ne soyons pas fatalistes !

Oui, une réelle transition est en marche ! Face aux limites de notre modèle agroalimentaire, nombreux sont ceux qui se mobilisent pour imaginer et développer des systèmes alterna-tifs, avec un objectif : la durabilité ! Nous avons choisi pour ce premier temps fort de la journée de mettre en avant des initiatives innovantes basées sur l’action collective. Ces initiatives, et les acteurs qui les portent, sont organisés autour de valeurs comme la solidarité et l’entraide plutôt

que la course effrénée aux profits. La clé de leur réussite, nous en sommes convaincues, se situe dans le partage des connaissances et des savoirs, qui permet de construire des solutions concrètes et efficaces.

Pour illustrer le pouvoir de l’agir ensemble, trois types d’applications concrètes sont analysées : → la gestion collective des semences paysannes ; → la coopération entre nos productions animales et

végétales, pour une agriculture plus durable ; → le supermarché coopératif, une organisation de

personnes qui souhaitent reprendre la main sur leur panier de courses.

Il est intéressant de noter que ces organisations étaient toutes les trois relativement courantes auparavant. Mais suite aux grands boulever-sements des activités humaines vers le milieu du XXe siècle, elles ont fortement décliné, voir quasiment disparu. Et à présent, nous pourrions assister à leur renaissance et leur redéploiement, car elles apportent de vraies réponses aux enjeux actuels.

L’autre point commun qu’il est intéressant de souligner est leur caractère reproductible. En effet, bien qu’ancrés sur des territoires, ces trois systèmes sont multipliables à grande échelle. Ils ont un potentiel à essaimer et à se généraliser, grâce à l’action collective.

Oui, nous pouvons prouver que l’union fait la force. Car oui, nous pouvons être plus durables ensemble. Pour reprendre la fameuse devise utilisée par Alexandre Dumas pour ses Trois mousquetaires, « Un pour tous et tous pour un ! »

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Les Maisons de semences

paysannes, une gestion collective

et participative de la biodiversité

cultivée

ORANE DUPONT

L

a salade mouchetée de Salasc, l’oignon de Tarassac, la salade rouge cévenole, le haricot de Babeau ou la tomate de Burbank… des variétés aux drôles de noms, de toutes les couleurs, de toutes les tailles et pour tous les goûts. Cultivées loca-lement, de génération en génération, elles ne figurent dans aucun catalogue officiel et il n’est pas facile de les trouver dans les jardineries, ni dans les coopératives agricoles.

Avec la généralisation de l’agriculture indus-trielle et chimique, 75 % des variétés cultivées ont disparu en moins de 100 ans (FAO, 1999). Les semences paysannes, sélectionnées, conser-vées et replantées depuis des millénaires par les agriculteurs sont aujourd’hui menacées.

Afin d’éviter la disparition de ces variétés locales, des organisations collectives se sont récemment mises en place, les « Maisons de semences paysannes » (MSP). Cette innovation organisationnelle repose sur une logique de gestion dynamique et collective de variétés locales: conservation in situ, multiplication et échange de semences, mais également partage de savoirs et de savoir-faire.

L’HISTOIRE DES SEMENCES

Revenons rapidement sur l’histoire des semences. En France, la première tentative de régulation du marché des semences remonte à 1922. En 1941, sous le régime dirigiste de Vichy, le gouvernement crée le Groupement national interprofessionnel des semences (GNIS), suivi, en 1942, du Comité technique paritaire des

semences (CTPS). Ces institutions, permettant de mieux contrôler la production de semences, existent encore aujourd’hui.

À la fin de la guerre, l’agriculture devient un enjeu stratégique. L’État a pour ambition d’ac-croître la production agricole afin de garantir l’au-tosuffisance alimentaire nationale. La produc-tion des semences apparaît dès lors comme un levier important de modernisation agricole. L’Ins-titut national de recherche agronomique (Inra) est créé en 1946 avec pour mission princi-pale l’amélioration végétale : il sélectionne et vulgarise auprès des agriculteurs des variétés dites « modernes » par leur rendement élevé et adaptées au modèle productiviste (les intrants chimiques sont valorisés et la mécanisation facilitée).

Le modèle industriel valorise également une organisation de l’agriculture en filières et une forte division du travail : la création variétale est ainsi gérée par des obtenteurs, la multiplication et la vente des semences par des coopératives. Seule la production agricole est laissée aux agri-culteurs qui ne sélectionnent et ne produisent donc plus leurs semences.

En 1949, il devient obligatoire, pour vendre une semence, que le nom de la variété soit inscrite dans un catalogue officiel, l’État et l’indus-trie semencière définissant des critères d’ins-cription : distinction, homogénéité, stabilité (DHS). Les paysans perdent alors aussi le droit de commercialiser librement leurs semences. Cette loi a permis de valoriser les semences industrielles au détriment des semences dites paysannes, beaucoup plus diversifiées.

https://goo.gl/1bwDZC

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En 1961, l’Union pour la protection des obten-tions végétales (UPOV), est créée et instaure le système de propriété intellectuelle sur les semences attesté par les certificats d’obtention végétale (COV), basé sur les mêmes critères (DHS) que ceux du catalogue.

Au cours des années 80, la pression exercée sur les agriculteurs pour l’usage de semences certifiées s’accroît. En 1994, un règlement européen contraint les agriculteurs semant les graines achetées l’année précédente à payer une « contribution volontaire obligatoire ». En parallèle, pour certaines espèces, les aides de la Politique agricole commune (PAC) sont conditionnées par la fourniture de preuves d’achat de semences certifiées.

Récemment, la loi du 28 novembre 2011 met hors la loi l’autoproduction de semences de ferme, sauf pour vingt et une plantes, pour lesquelles le droit de l’agriculteur à semer d’une année sur l’autre est cependant soumis à une taxe. L’agricul-teur est ainsi de plus en plus contraint à ne plus produire, mais à acheter ses semences auprès de groupes industriels spécialisés.

Le marché des semences agricoles est aujourd’hui monopolisé par quelques grands groupes, qui ont intérêt à ce qu’il soit de plus en plus règlementé.

QUELS SONT LES ENJEUX ?

Le contrôle des marchés alimentaires en

Europe et dans le monde

Les semences sont à la base de notre alimen-tation. Or, en Europe, 70 % des produits agri-coles sont issus de semences provenant de cinq grandes industries, essentiellement issues du secteur chimique. Ces multinationales imposent de plus en plus leurs lois et contrôlent ainsi le contenu de notre assiette.

Elles disposent pour cela de plusieurs outils juridiques : le catalogue officiel des espèces et des variétés en France et en Europe, les COV et les brevets. Ces outils constituent des verrous à la libre reproduction des plantes.

L’inscription au catalogue requiert des tests d’entrée standardisés, les critères DHS très stricts favorisent largement les variétés indus-trielles au détriment des semences paysannes et les coûts d’inscription élevés ne sont pas à la portée des petits agriculteurs. Le COV, basé sur les mêmes critères que le catalogue, accorde aux semenciers le monopole de la commercialisation

des semences de la variété protégée, tout en autorisant son utilisation pour d’autres sélec-tions. Il s’agit de la principale forme de propriété intellectuelle sur les végétaux en Europe. Enfin, les brevets permettent de contrôler totalement l’utilisation d’une semence, en interdisant sa reproduction et son échange.

Aujourd’hui, il est a priori interdit de breveter une variété en Europe. Comme le souligne Marie- Monique Robin « le brevetage du vivant, et tout particulièrement des semences, constitue l’outil grâce auquel les multinationales pour-raient s’approprier le plus lucratif des marchés : celui de la nourriture du monde ».

La dépendance des agriculteurs à

l’industrie semencière

L’industrie semencière vend de plus en plus de variétés dites hybrides (F1), issues d’un croise-ment de deux lignées pures et offrant un bon rendement la première année mais dégénérant dès la seconde. Certaines semences sont mêmes stériles. Ces variétés obligent les agriculteurs à racheter de nouvelles semences chaque année, après chaque récolte : les agriculteurs deviennent alors totalement dépendants des semenciers.

Un patrimoine végétal menacé

Le système actuel de sélection variétale est cependant très controversé. D’abord, il est à l’origine d’une réduction constante et rapide de la biodiversité cultivée. La standardisation et les critères réglementaires d’homologa-tion empêchent en effet la mise en marché de nombreuses variétés. De plus, les hybrides F1 constituent un verrou biologique à toute dyna-mique, notamment paysanne, créatrice de biodi-versité. En parallèle, la diminution du nombre de paysans depuis l’après- guerre a contribué à réduire rapidement la diversité des savoirs et des variétés cultivées.

Un système de sélection variétale inadapté

à une agriculture durable

Les limites du modèle agricole dominant, basé sur une consommation intense de ressources non renouvelables, ne sont plus à prouver. La transition vers un nouveau modèle est inéluc-table et le développement de variétés ajustées à leurs environnements locaux est un des défis majeurs pour la sécurité alimentaire de demain.

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Cependant, les démarches classiques de sélection privilégient les variétés à large adap-tation qui offrent de hauts rendements lors-qu’elles sont utilisées dans les conditions de culture intensives avec engrais et pesticides, obligeant les agriculteurs à transformer le milieu pour le rendre conforme à ce dont la plante a besoin. Ces intrants chimiques sont d’ailleurs souvent proposés en même temps par les indus-tries semencières. Ce système élimine ainsi les variétés qui présentent de bons rendements dans des conditions spécifiques et est tota-lement inadapté aux contraintes de l’agricul-ture biologique ou de toute forme d’agricull’agricul-ture voulant réduire les intrants.

LE RÔLE ET LES ACTIONS

DE LA SOCIÉTÉ CIVILE

Depuis une dizaine d’années, un mouvement de résistance aux monopoles des groupes agro- industriels se développe. De plus en plus de paysans, artisans et citoyens plaident pour un autre système de production agricole valorisant la biodiversité et favorisant une alimentation diversifiée.

Rassemblement et structuration du secteur

Créé en 2003, le Réseau semences paysannes (RSP) a pour ambition de recréer du « lien entre semences et consommation alimentaire autour d’une identité réinventée et revalorisée de paysan en lien étroit avec le vivant, et non plus d’exploitant agricole aux compétences méca-niques et chimiques ».

Dans cette logique, la sélection variétale doit être réalisée par les paysans eux-mêmes. Pour mener à bien ce projet, à la fois pour des raisons techniques, politiques et réglemen-taires, il a été nécessaire de s’appuyer sur des collectifs locaux organisés. Les « Maisons de semences paysannes » en sont une des traduc-tions institutionnelles.

Les membres sont opposés à la vision fixiste de la biodiversité, à l’instar des institutions de recherche, qui stockent des semences dans des banques de gènes réfrigérées. L’expression « maisons de semences » s’oppose clairement à celle des « banques de semences » de certaines organisations internationales pratiquant cette sélection ex situ.

Les membres des MSP s’occupent ici de conserver in situ, c’est-à-dire dans les jardins ou dans les champs, ces variétés locales, assurant ainsi leur adaptation constante et leur coévolu-tion avec l’environnement. Ces variétés sont ensuite échangées entre agriculteurs afin que chacun les multiplie à son tour et retrouve son autonomie semencière.

Aujourd’hui, il existe une cinquantaine de Maisons de semences paysannes en France. Ces petites organisations luttent contre la stan-dardisation croissante des semences agricoles en militant de différentes façons : sélection et conservation de variétés adaptées locale-ment, échange des savoir- faire, mutualisation de certaines activités, proposition de formations ou encore participation à des programmes de recherche.

L’exemple de la Maison de la graine

Partons au cœur de l’Hérault, à une soixan-taine de kilomètres de Montpellier. Nous y rejoignons le Collectif des semeurs du Lodé-vois-Larzac, rassemblant une cinquantaine d’ad-hérents, jardiniers et maraîchers, qui remettent en cause les principaux objectifs qui dominent la sélection variétale actuelle. Afin d’assurer une gestion participative, le collectif a opté pour une hiérarchie horizontale, mettant tous ses membres sur un même niveau.

Soucieux d’adapter leurs cultures à leur terroir, ils ont créé en novembre 2012 la « Maison de la graine » dont l’objectif est la gestion dyna-mique d’une dizaine de variétés potagères de la région.

QUELS SONT LES IMPACTS ?

Impacts environnementaux

D’abord, la sauvegarde et la remise en culture de variétés locales menacées de disparition parti-cipent à la pratique d’une agriculture utilisant peu de produits de traitement, par leur bonne adaptation au milieu local. Cette réduction des intrants contribue à son tour à une meilleure gestion des ressources naturelles.

Ensuite, favoriser l’hétérogénéité des variétés cultivées permet d’augmenter la résilience des systèmes. La diversité permet entre autres une meilleure gestion des pathogènes : diffusion de maladies et pullulation des ravageurs sont

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limités par effet de dilution dans la diversité variétale, caractérisée par une forte variabilité des comportements.

Enfin, ces variétés adaptées au contexte local représentent des ressources sûres face à des problèmes de sécheresse. Leur capacité de résistance à des évènements climatiques inat-tendus est fondamentale dans un contexte de changement climatique, au Nord comme au Sud.

Impacts économiques

L’utilisation de semences paysannes reproduc-tibles et adaptées au contexte local permet une diminution de deux postes de dépenses : l’agri-culteur ayant la possibilité de ressemer ses propres graines gagne en autonomie financière sur l’approvisionnement en semences d’une part et sur les coûts liés à l’utilisation d’intrants chimiques d’autre part.

Les Maisons de semences paysannes peuvent aussi, comme les Coopératives d’utilisation de matériel agricole (CUMA), permettre un accès facilité à des outils et machines à travers une mutualisation du matériel.

Enfin, le choix d’une démarche collective de sélection participative se révèle plus intéressant que les démarches classiques de sélection. Les expérimentations, menées chez les paysans eux- mêmes, sont en effet peu coûteuses et permettent de couvrir une gamme plus large de milieux. Les MSP facilitent également la diffusion des innovations variétales adaptées aux différents besoins des paysans.

Impacts sociétaux

Les Maisons de semences paysannes rassemblent des acteurs de la société civile qui partagent un idéal et un projet politique. Ce rassemble-ment est aussi pensé comme un acte politique de résistance à la toute-puissance des industries semencières.

Une formation des paysans

Les Maisons de semences paysannes s’inscrivent dans une logique de partage d’expériences et de savoir-faire et proposent de réapprendre à produire, conserver, semer ses propres graines. Elles développent donc des formations afin de permettre aux agriculteurs de se réapproprier la sélection et la multiplication de leurs semences.

Une protection des paysans

Les Maisons de semences paysannes peuvent servir de protection aux paysans vis-à-vis de la loi. En effet, à travers une organisation collective d’usagers, il est possible de faire reconnaître le droit des adhérents d’échanger des semences. Citons l’exemple de la MSP Kaol Kozh en Bretagne qui a fait reconnaître juridiquement un statut de « copropriété des semences » entre les membres, qui ont ainsi le droit d’échanger des graines en toute légalité.

De plus, certaines MSP s’appuient sur un décret stipulant que des « petites quantités de semences et de plants », non inscrites au cata-logue peuvent être utilisées « dans des buts scientifiques ou pour des travaux de sélec-tion ». C’est le cas de la MSP AgroBio Périgord, qui, dans le cadre d’un projet de recherche, réalise des expérimentations sur des variétés de maïs non inscrites au catalogue.

Une information citoyenne

Les Maisons de semences paysannes ont un rôle de sensibilisation de la société civile, à travers l’organisation de fêtes paysannes, de bourses d’échange de graines et de plants (Figure 1), de conférences et d’ateliers de vulgarisation de pratiques agricoles souvent oubliées. La Maison de la graine le rappelle souvent : elle n’a pas pour vocation de vendre des graines mais a une mission essentiellement pédagogique.

FIGURE 1. AFFICHES DES DERNIÈRES BOURSES D’ÉCHANGE ORGANISÉES (MAI 2015 ET FÉVRIER 2016)

L’érosion génétique actuelle étant silencieuse, ce travail d’information du citoyen, qui permet de montrer l’importance des semences et de la biodiversité cultivée, est une priorité aujourd’hui.

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De la diversité des semences paysannes à la diversité dans nos assiettes

Du côté des consommateurs, on observe une demande croissante pour les produits issus d’une agriculture plus respectueuse de l’environ-nement, liée également à l’envie d’avoir une meilleure nourriture d’un point de vue gustatif et nutritionnel.

Du côté des consommateurs, on observe une demande croissante pour les produits issus d’une agriculture plus respectueuse de l’environ-nement, liée également à l’envie d’avoir une meilleure nourriture d’un point de vue gustatif et nutritionnel.

Les membres des Maisons des semences paysannes militent pour la diversité sur les étals des marchés et pour le plaisir de bien manger. En proposant des variétés anciennes introuvables sur les rayons des supermarchés, sélectionnées notamment pour leur qualité organoleptique, les MSP permettent le maintien d’un patrimoine et répondent aux nouvelles attentes des consommateurs.

Par ailleurs, on sait que les gains de produc-tivité des variétés modernes ont souvent pour contrepartie une perte de qualité nutritionnelle. Citons l’exemple des pains, issus de variétés anciennes, pour lesquels la qualité des protéines a été analysée et s’est révélée nutritionnellement intéressante. Peu d’études sont menées sur ce sujet, néanmoins il semble que les aliments issus de semences paysannes soient plus riches en vitamines et minéraux.

LES LEVIERS ET LES FREINS

AU DÉVELOPPEMENT DES MAISONS

DE SEMENCES PAYSANNES

Rappelons ici le poids actuel du système industriel : aujourd’hui en France, seulement 2 000 hectares sont cultivés avec des semences paysannes, contre 18 millions avec des variétés modernes, dont un million en agriculture biologique. Les MSP ne sont pas proposées comme modèle exclusif : les membres ne contestent pas l’existence du cata-logue officiel, qui répertorie les semences auto-risées à la vente, ni le fait que des agriculteurs puissent avoir recours aux variétés inscrites.

Analysons pour commencer les points forts de ce catalogue. Premièrement, depuis que la production et la commercialisation des semences

ont fait l’objet d’une définition et d’un contrôle administratif, les exploitations agricoles fran-çaises sont devenues six fois plus productives. L’orientation de l’organisation de la filière agri-cole et la diffusion de certaines variétés par l’État a donc permis une nette augmentation des rendements et la mise en place d’un système de production alimentaire efficace par rapport à un objectif d’autosuffisance. En outre, ces gains de productivité ont permis la baisse des prix des aliments pour les consommateurs et l’essor de nouveaux secteurs et donc la création d’em-plois, principalement dans les services. Deuxiè-mement, les circuits économiques s’allongeant, le paysan a eu besoin d’être sûr que les graines achetées correspondaient bien à ses attentes. Le catalogue a ainsi permis de protéger les agricul-teurs en garantissant la qualité des semences et de faciliter les échanges en garantissant une marchandise homogène.

Le catalogue, en tant que tel, est construit de manière logique, cependant la réglementation s’est mise en place dans un contexte différent de celui d’aujourd’hui : les connaissances scien-tifiques et la paysannerie ont changé. La régle-mentation doit se baser sur les réalités agrono-miques et sur les attentes sociales. Or, il existe aujourd’hui un consensus sur le fait que les pratiques doivent évoluer. Ce qui pose problème, ce n’est donc pas l’existence du catalogue, mais l’espace restreint pour pratiquer une sélec-tion paysanne, c’est-à-dire adaptative. En vue d’une exploitation commerciale, l’agriculteur est contraint d’acheter des semences réperto-riées. C’est le droit fondamental de sélectionner eux-mêmes des plantes adaptées à leur terroir et de les échanger, que revendiquent les paysans à travers les MSP.

Contraintes pesant sur la diffusion

de cette innovation organisationnelle

Limitation juridique de l’échange et marginalisation des semences anciennes

La première contrainte est évidemment la limi-tation juridique de l’échange, qui marque un déni de reconnaissance de la part des institu-tions nationales. Cela a pour effets de réduire et ralentir le réseau d’échanges et de diffusion de semences paysannes, de limiter par ailleurs l’accès aux savoir-faire concernant les techniques

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de production, sélection, au champ, adaptées à chaque type de variété et enfin de limiter la possibilité d’accéder à des aides tech-niques comme à l’information sur les variétés anciennes.

Conflits d’intérêts lors des contrôles

Plusieurs associations dénoncent les missions du Groupement national interprofessionnel des semences qui se charge de défendre les intérêts de la filière industrielle en gérant la produc-tion et la commercialisaproduc-tion de semences ou de plants et en certifiant leur qualité. Pour garantir la prise en compte et la protection d’intérêts paysans minoritaires, il serait donc essentiel d’organiser un contrôle public de la qualité et de la mise en marché des semences, qui soit indépendant de l’industrie semencière. De la nécessité d’une recherche publique La difficulté suivante réside dans le manque d’in-vestissement de la recherche publique sur les questions et techniques de sélection variétale. Or les agriculteurs, bien conscients que les connaissances scientifiques constituent d’une part un savoir nécessaire et complémentaire des savoirs et des expérimentations paysans, d’autre part un vecteur puissant de reconnais-sance institutionnelle, sont demandeurs d’une collaboration avec la recherche.

Moyens humains et matériels

Enfin, le quatrième frein au développement des MSP est en lien avec les trop faibles moyens financiers dont elles disposent. Les finance-ments de la Maison de la graine proviennent principalement des formations dispensées et des cotisations et dons de ses membres. Cela n’est pas suffisant pour permettre d’avoir un local à disposition afin d’y stocker matériels et semences. Le collectif n’est de même pas en mesure d’embaucher un animateur. Or, l’animation est un facteur clé de la réussite d’une MSP : la présence d’un animateur faci-lite la mutualisation des expériences, la mise en réseau et l’organisation des rencontres entre les MSP, nécessaires au partage des savoir-faire et à l’institutionnalisation de ce type de dispositif.

Les leviers au développement des MSP

De la diversité des fonctions d’une MSP

La réglementation du commerce des semences étant relativement floue, les Maisons de semences paysannes jouent sur l’interprétation de cette loi. Chaque MSP définit les modalités d’échanges, qui se font souvent sous conditions : rémunération d’un travail ou implication dans les activités du collectif.

La vente de semences est par ailleurs soumise à la réglementation lorsqu’il s’agit d’une exploita-tion commerciale. Il n’est donc pas interdit de vendre des variétés non inscrites au catalogue, si elles sont destinées à une exploitation non commerciale : autoconsommation, conservation ou recherche. Le RSP rappelle régulièrement aux associations qui le forment que « le champ d’ap-plication du décret et des directives ne concerne que la commercialisation des semences et non l’usage qui en est fait par la suite ». Il est donc légal de cultiver des variétés non inscrites au catalogue et d’en vendre la récolte sous certaines conditions.

Afin de trouver des débouchés plus larges que les réseaux locaux de proximité pour ces variétés paysannes, certaines MSP travaillent à la structuration de filières locales, avec la mise en place d’ateliers de transformation communs ou le montage de structures commerciales.

La diversité des modes d’organisation de ces collectifs offre une réelle possibilité d’essai-mage de ces initiatives, adaptables en fonction des situations locales : nombre de variétés culti-vées, quantités échangées qui varient en fonction des objectifs, etc.

Vers une évolution nécessaire de la loi et des engagements nationaux

Cependant, comme l’écrit Guy Kastler du Réseau semences paysannes : « aucune activité économique ou sociale solide ne peut se déve-lopper dans un espace de non-droit et d’inéga-lité économique permanents ». Il apparaît donc essentiel de faire évoluer ce cadre réglementaire, pour que les semences paysannes, longtemps disqualifiées, soient reconnues au même titre que les semences certifiées.

Le Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agricul-ture (TIRPAA) constitue un premier pas vers

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cette requalification nécessaire et vers l’accep-tation des semences comme biens communs et non privés. Adopté par la FAO en 2001 et approuvé par 131 pays, ce texte interna-tional est entré en vigueur en 2004. Il reconnaît la contribution des agriculteurs à la conserva-tion de la biodiversité et leurs droits sur leurs semences. Cependant, c’est ensuite aux gouver-nements de faire respecter ces droits et on voit aujourd’hui peu d’applications concrètes dans les législations nationales.

CONCLUSION

La Maison de la graine, lieu symbolique

de la reconquête des semences sur les

industriels

L’échelle locale étant très intéressante pour amorcer des changements d’envergure, je suis convaincue que cette mobilisation au sein des MSP peut et va évoluer vers une reconnaissance de la contribution passée, présente et future des paysans et jardiniers à la conservation et au renouvellement de la biodiversité cultivée, ainsi qu’au respect et à la garantie du droit des paysans de réutiliser, d’échanger ou de vendre leurs semences.

Lors de mes rencontres avec les membres de la Maison de la graine, j’ai compris qu’il était grand temps que les pouvoirs publics mettent en œuvre des politiques cohérentes pour faire face aux enjeux auxquels nous allons être confrontés dans les décennies à venir. Les semences paysannes étant capables de répondre aux défis écologiques, économiques et sociaux de demain, faire évoluer le cadre réglementaire et soutenir ce type d’initiatives paysannes appa-raît comme une partie de la solution.

Il est essentiel que chacun en prenne conscience et se réapproprie, à son échelle, la nature et l’agriculture. Toi, lecteur, sur ton balcon ou dans ton jardin, sème quelques graines, les graines de la résistance.

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Coopération entre productions

végétales et animales

biologiques : des organisations

collectives innovantes

pour une agriculture durable

ROXANE FAGES

D

ans une logique d’intensification de la production agricole et de simplification du travail, les productions animales et végétales – pourtant complémen-taires – ont été peu à peu dissociées au sein d’exploitations dites « spécialisées ». Cette spécialisation a des conséquences environnemen-tales et agronomiques négatives.

Réintégrer élevage et cultures au sein d’exploi-tations aujourd’hui spécialisées est peu envisa-geable en raison de la perte de compétences sur la production abandonnée. Afin de permettre aux cultivateurs1 et aux éleveurs de revaloriser leur complémentarité, il apparaît pertinent de réinté-grer productions animales et végétales à l’échelle du territoire. Cela nécessite la mise en place de moyens organisationnels collectifs innovants.

SPÉCIALISATION DES EXPLOITATIONS

AGRICOLES : ÉTAT DES LIEUX ET

CONSÉQUENCES

Un contexte économique favorisant la

spécialisation

Ces soixante dernières années, l’agriculture fran-çaise a connu de profonds changements dans le but de se moderniser pour répondre à une demande croissante en denrées alimentaires. Cela s’est notamment traduit par la diminution

1. Dans tout le document, le terme « cultivateur » désigne les agriculteurs principalement tournés vers les grandes cultures (céréales et oléoprotéagineux).

du nombre d’exploitations, leur agrandissement et leur spécialisation. Le contexte économique actuel continue de favoriser la spécialisation des exploitations à travers de nombreux facteurs, tels que la compétition internationale sur les prix des produits agricoles ou la concentration régio-nale des filières (Melac, 2014). Ainsi seulement 12,6 % des exploitations agricoles françaises dites professionnelles associent cultures et élevage tandis que les exploitations en grandes cultures sont les plus représentées (25 %) (Agreste, 2012). Il en résulte une spécialisation des productions à l’échelle régionale : porcs et poulets en Bretagne, céréales en Île-de-France et dans le Centre, viticul-ture en Languedoc-Roussillon ou encore bovins, ovins, caprins dans les zones montagneuses (Figure 1).

Cette spécialisation agricole régionale conduit à une simplification et à une uniformisation des systèmes agricoles à différents niveaux : du champ au territoire, en passant par le paysage (Figure 2).

Conséquences de la spécialisation

Bien que la spécialisation simplifie le travail des agriculteurs en leur permettant de se concen-trer uniquement sur les productions végétales ou animales, ce système montre de nombreuses limites.

Limites agronomiques et économiques

Les exploitations spécialisées en élevage doivent acheter entièrement ou en partie l’alimentation

https://goo.gl/4Teg2P

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de leurs animaux à l’extérieur. Les exploitations spécialisées dans les productions végétales, quant à elles, ne bénéficient pas du rôle de fertili-sant naturel des déjections animales et sont donc contraintes d’acheter des matières fertilisantes pour compenser la baisse de fertilité biologique des sols. Enfin, la spécialisation augmente la vulnérabilité au risque de fluctuation des prix, puisqu’une production dont la valeur baisse ne peut pas être compensée par une autre. La spécialisation entraîne ainsi une perte globale d’autonomie sur les exploitations.

Limites environnementales

Dans les zones d’élevage intensif, la forte concen-tration d’animaux entraîne l’émission de grandes quantités d’azote vers l’environnement, ainsi qu’une production importante de méthane, puis-sant gaz à effet de serre, par unité de surface. Dans les zones de culture intensive, la disparition de l’élevage et des prairies entraîne un appauvris-sement des sols en matière organique, ce qui les rend plus vulnérables à l’érosion. Par ailleurs, un manque de diversité des assolements favorise l’émergence de problématiques de désherbage et de ravageurs qui peuvent conduire à l’utilisation de davantage d’intrants de synthèse (Seysen-Fouan, 2015).

Limites sociales

Bien qu’étant tous agriculteurs, éleveurs et culti-vateurs exercent des professions bien différentes, et les rapports sont parfois tendus entre ces deux corps de métiers. En effet, les cultivateurs sont les principaux bénéficiaires des aides agricoles, et le ton monte lorsqu’il est question d’une redis-tribution plus équitable entre les productions, notamment au profit des élevages extensifs de bovins et d’ovins (Clavreul, 2008). De plus, les écarts de revenus entre éleveurs et cultivateurs peuvent aller de 1 à 5 au profit des cultivateurs (Terre-net, 2012). Enfin, certains éleveurs ont une mauvaise image du métier de cultivateur, jugeant que les productions végétales demandent moins de temps de travail et sont moins contraignantes que les productions animales.

Dans un contexte de diminution du nombre d’exploitations de polyculture-élevage et d’émer-gence des problématiques économiques, agro-nomiques, environnementales et sociales qui en découlent, comment retrouver de la cohérence entre les productions animales et végétales pour tendre vers un modèle agricole durable ?

FIGURE 2. PAYSAGE BEAUCERON EN EURE-ET-LOIR (À GAUCHE) ET PAYSAGE DU CHAROLAIS-BRIONNAIS EN SAÔNE-ET-LOIRE (À DROITE)

FIGURE 1. RÉPARTITION DES EXPLOITATIONS PAR SPÉCIALISATION EN FRANCE

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VERS DES SYSTÈMES CULTURE-ÉLEVAGE

INTÉGRÉS À L’ÉCHELLE D’UN TERRITOIRE

Un retour en arrière vers des exploitations de polyculture-élevage semble peu envisageable. En revanche, l’organisation de systèmes mixtes entre des groupes d’agriculteurs spécialisés pour-rait permettre de répondre aux problématiques issues de la spécialisation sans toutefois boule-verser l’organisation actuelle des éleveurs et cultivateurs.

Qu’est-ce qu’un système culture-élevage ?

Il s’agit d’un système au sein duquel inter-viennent à la fois des productions animales et des productions végétales. Cela peut se faire à différentes échelles, et différents niveaux d’in-tégration peuvent être distingués. Les systèmes culture-élevage les moins intégrés sont ceux où productions animales et végétales interagissent via le marché, par exemple l’achat de soja brési-lien pour l’alimentation animale. À l’opposé, les systèmes culture-élevage les plus intégrés sont les exploitations de polyculture-élevage (Ryschawy et al., 2014). Les systèmes qui intéressent notre étude sont ceux au sein desquels des produits (grains, paille, fourrages, engrais organiques) et des connaissances sont échangés, à l’échelle d’un territoire, entre un certain nombre d’exploitations spécialisées.

Complémentarité entre culture et élevage

Une coopération entre éleveurs et cultivateurs d’un même territoire est intéressante, car elle permet de valoriser la complémentarité entre cultures et animaux, dont les bénéfices sont perdus sur les exploitations excluant l’un ou l’autre (Figure 3). En effet, les animaux jouent un rôle clé pour le recyclage des nutriments et l’amélioration de l’efficience de l’utilisation des ressources. Les animaux d’élevage peuvent valo-riser les ressources végétales naturelles et culti-vées et, notamment dans le cas des herbivores, les ressources non valorisables par l’homme. De plus, la mobilité des animaux permet de fertiliser des zones non mécanisables. Ainsi, les systèmes culture-élevage intégrés permettent un bouclage naturel des cycles du carbone et de l’azote et valorisent des processus écologiques. Pour ces raisons, ils sont considérés comme agroécolo-giques (Moraine et al., 2012).

FIGURE 3. COMPLÉMENTARITÉ ENTRE SYSTÈMES DE CULTURE ET D’ÉLEVAGE

De nombreux intérêts pour les éleveurs

et les cultivateurs : vers davantage

d’autonomie !

« Être autonome », tel est l’objectif de bon nombre d’agriculteurs. L’autonomie d’une exploi-tation agricole désigne sa capacité à limiter le recours à des intrants achetés sur les marchés de fournitures agro-industrielles, telles que l’ali-mentation animale ou les fertilisants (Ministère de l’Environnement, 2011). L’objectif final des systèmes culture-élevage intégrés est d’aug-menter l’autonomie globale des exploitations en augmentant notamment l’autonomie alimentaire, l’autonomie en fertilisants et l’autonomie écono-mique (organiser des filières commerciales les plus courtes possibles pour l’achat des intrants et la vente des produits). Faute de pouvoir atteindre seuls une autonomie à l’échelle de l’exploitation agricole, cultivateurs et éleveurs d’un même terri-toire ont ainsi intérêt à interagir pour y parvenir collectivement !

Intérêts spécifiques pour l’agriculture

biologique

L’agriculture biologique (AB) est un mode de production qui se distingue de l’agriculture conventionnelle par le recours à des pratiques culturales et d’élevage soucieuses du respect des équilibres naturels. Grâce au maintien de ces équilibres l’AB exclut l’usage des produits chimiques de synthèse, des OGM et limite l’emploi

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d’intrants (Ministère de l’Agriculture, 2016). Or le maintien de ces équilibres s’appuie notamment sur la complémentarité des productions animales et végétales, particulièrement pour le maintien ou l’augmentation de la fertilité des sols. Lorsque ces équilibres sont rompus les agriculteurs conven-tionnels peuvent intervenir grâce à des intrants de synthèse, ce qui n’est pas le cas des agricul-teurs biologiques. L’utilisation de fertilisants organiques est possible en AB, mais ceux-ci sont particulièrement coûteux. De même, les four-rages et concentrés destinés à l’alimentation animale sont très onéreux en AB. Il faut ajouter que la valorisation commerciale des cultures fourragères, intéressantes agronomiquement, dans les systèmes de grandes cultures AB est difficile. Pour résumer, les éleveurs biologiques font face à de très fortes charges en aliments et les cultivateurs sont confrontés à de nombreuses difficultés agronomiques. Ainsi, la mise en culture de certains couverts végétaux ou mélanges cultu-raux chez les cultivateurs biologiques contribue-rait à améliorer les rotations et les performances de leur production, tout en répondant aux besoins des éleveurs pour l’alimentation de leur troupeau (Seysen-Fouan, 2015).

Une certaine coopération entre éleveurs et cultivateurs existe déjà sur le terrain sous la forme d’échanges entre voisins. Toutefois, ces échanges sont souvent ponctuels et le recours à des intermédiaires, tels que les coopératives, reste nécessaire. Parallèlement, depuis plusieurs années, des dispositifs d’échange entre agricul-teurs plus organisés voient le jour. Ces projets, le plus souvent mis en place à l’initiative des agricul-teurs, sont développés et animés par des struc-tures d’accompagnement agricoles et notam-ment, concernant l’AB, par des groupements d’agriculteurs biologiques (GAB).

UNE EXEMPLE EN MIDI-PYRÉNÉES :

CRÉATION D’UNE PLATEFORME

D’ÉCHANGE RÉGIONALE EN LIGNE

Contexte agricole en Midi-Pyrénées

L’ancienne région Midi-Pyrénées est la première région française par son nombre d’exploitations et la deuxième par sa surface agricole. L’élevage des bovins, celui des ovins et les grandes cultures sont les trois principales activités agricoles. En raison des conditions pédoclimatiques, les activités

d’élevage sont principalement situées au sud de la région, dans les Pyrénées, et au nord-est dans les contreforts du Massif central. Les grandes cultures dominent dans les plaines du centre de la région. Dans ce contexte de spécialisation régionale conduisant à la séparation spatiale des productions animales et végétales, certains orga-nismes d’accompagnement agricole départemen-taux ont initié des projets en faveur d’échanges entre éleveurs et cultivateurs. C’est notamment le cas des GAB de Haute-Garonne (Érables 31) et de Tarn-et-Garonne (Bio 82).

En Haute-Garonne : mise en place d’un site

internet pour réunir l’offre et la demande

Le département de Haute-Garonne peut être schématiquement coupé en deux du point de vue des productions agricoles. Au nord, dans un vaste rayon autour de la ville de Toulouse, les produc-tions céréalières dominent. Les zones d’élevage se trouvent dans la moitié sud du département où le relief est davantage marqué. Dans ce contexte de séparation spatiale des productions animales et végétales, des éleveurs biologiques ont mani-festé leur intérêt auprès du GAB départemental (Érables 31) pour la mise en place d’un dispo-sitif facilitateur des échanges entre éleveurs et cultivateurs. En effet, les éleveurs souhaitaient notamment s’affranchir de l’intermédiaire coopé-rative pour l’achat de l’alimentation animale afin d’obtenir des prix plus intéressants. Parallèle-ment, les cultivateurs éprouvaient des difficultés à valoriser certaines de leurs productions végé-tales, notamment les méteils1, auprès des coopé-ratives et étaient à la recherche de nouveaux débouchés.

En réponse à cette demande, Érables 31 a mis en ligne en 2014 un site internet permettant aux producteurs biologiques de publier des annonces de proposition ou de recherche de produits coles. Parallèlement, afin de préparer les agri-culteurs à coopérer, l’association a organisé des journées de formation sur la réglementation des échanges de matières agricoles et les chan-gements de pratiques induits par ce projet. Ces

1. Association entre des céréales (1 à 4) et des protéagineux (1 ou 2), cultivée pour : i) la production de graine destinée à l’ali-mentation animale, la paille pouvant servir de fourrage d’ap-point ; ii) la production de fourrage : ensilage et enrubannage et plus rarement foin.

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changements de pratiques concernent notam-ment la gestion des rotations avec l’introduction de cultures intermédiaires (luzerne, méteil, etc.) côté cultivateurs et une fabrication d’alimenta-tion à la ferme pour les éleveurs (fabricad’alimenta-tion d’ali-ments complets à partir des matières premières produites par les cultivateurs).

À son ouverture en novembre 2014, le site comptait une trentaine d’inscrits, ils sont plus de 150 aujourd’hui pour près de 250 annonces publiées. Il faut noter que le site est également ouvert aux producteurs des départements voisins. Une grande diversité de productions peuvent être échangées via le site, réparties au sein des familles suivantes : céréales, pailles et fourrages, oléoprotéagineux ou encore services, les céréales étant la production la plus représentée parmi les annonces.

Après plus d’un an d’existence, le constat est plutôt positif au regard du nombre d’inscrits et d’annonces publiées, mais plus mitigé sur le détail. En effet, Érables 31 constate un déséquilibre entre l’offre et la demande avec plus d’annonces de propositions que d’annonces de recherches (Sibertin-Blanc, 2016).

Dans le Tarn-et-Garonne, un partenariat

avec la recherche pour identifier des formes

d’échanges optimales

Une des missions principales de Bio 82 est d’aider les producteurs en AB du département à atteindre l’autonomie sur leur ferme. L’atteinte de cette autonomie se heurte à la spécialisation des fermes en AB du Tarn-et-Garonne : cultiva-teurs au sud et éleveurs cultivant essentielle-ment des prairies au nord-est du départeessentielle-ment. En conséquence, les cultivateurs se heurtent à des difficultés liées aux adventices, aux prix des fertilisants bio et à la valorisation de certaines productions (couverts végétaux, associations culturales, etc.) et les éleveurs sont le plus souvent dépendants des coopératives pour l’achat d’aliments complets (FNAB, 2014).

Pour les aider dans cette recherche d’auto-nomie, et en réponse à une demande émanant plutôt des éleveurs au départ, Bio 82, en parte-nariat avec l’Inra de Toulouse, a entamé début 2014 un projet de recherche-action visant à créer et à animer un système d’échange et d’approvi-sionnement réciproque de matières premières entre les éleveurs et les cultivateurs biologiques

du Tarn-et-Garonne. Ce projet implique 65 fermes biologiques (33 éleveurs, 19 cultivateurs et 13 polyculteurs-éleveurs). Les motivations des producteurs impliqués dans le projet sont d’ordre économique (trouver des matières premières moins chères), agronomique (allonger les rota-tions, restaurer la fertilité des sols) et social (relo-caliser la production via la solidarité et la complé-mentarité entre les cultivateurs et éleveurs, partager des compétences et créer du lien).

Afin de mettre à jour le dispositif d’organisa-tion du collectif d’agriculteurs le plus pertinent (répondant aux attentes des producteurs et relativement simple à mettre en place), l’Inra de Toulouse a étudié et co-construit avec les agri-culteurs différents scénarios depuis un schéma très peu structuré (mise en place d’un répertoire recensant l’offre et la demande, type « petites annonces ») jusqu’à un schéma impliquant des investissements structurants, comme la construction d’une unité importante de collecte et de séchage des productions végétales. Au final, les producteurs ont plébiscité un scénario intermédiaire avec la création de petites unités de stockage sur quelques fermes (Seysen-Fouan, 2015).

En parallèle, Bio 82 accompagne les paysans du collectif pour qu’ils puissent mettre en place les changements de pratiques induits par la mise en place d’échanges directs entre producteurs.

Vers une plateforme régionale d’échange

en ligne, sous l’égide de Bio 82

Bio 82, notamment en partenariat avec Érables 31, travaille actuellement à la création d’un site internet de mise en relation des producteurs biologiques à l’échelle de l’ancienne région Midi-Pyrénées. Le site initié par Érables 31 sera absorbé par cette nouvelle plateforme en ligne. En plus de permettre aux producteurs d’échanger entre eux, ce site permettra d’évaluer les besoins, de connaître concrètement la nature des échanges et d’en identifier les freins. Grâce à ces informa-tions, des ajustements organisationnels pourront être réalisés et de nouveaux outils permettant de structurer et de pérenniser la coopération entre éleveurs et cultivateurs mis en place. Enfin, l’existence d’un site régional d’échange pourrait permettre une meilleure diffusion des informa-tions et des connaissances au sein d’un réseau élargi. L’objectif de cette mutualisation des

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moyens est également d’engager une réflexion sur la cohérence des territoires, au niveau paysager par exemple. Ainsi, les objectifs de cette future plateforme en ligne sont nombreux, mais des interrogations demeurent quant à l’utilisation réelle qui en sera faite (Ryschawy, 2016).

De nombreux freins restent à lever

L’analyse comparée des deux projets (recherche-action et plateforme régionale) a permis de mettre à jour de nombreux freins au développement des dispositifs de coopération entre éleveurs et cultivateurs.

Une organisation logistique qui pose question L’échange de produits directement entre éleveurs et cultivateurs soulève plusieurs questions logis-tiques : qui des éleveurs ou des cultivateurs doit stocker les matières premières ? Qui doit assurer le transport ? A priori les éleveurs disposent d’une capacité de stockage moins importante que les cultivateurs, notamment par rapport à ceux prati-quant la vente directe. Toutefois, les matières premières échangées étant principalement desti-nées à être utilisée par les éleveurs, il semble plus pratique que ces dernières soient stockées chez eux. D’autre part, la qualité sanitaire de ces matières végétales dépend de leurs conditions de stockage. Ainsi une nouvelle question émerge : comment s’assurer de la qualité des produits échangés ? Un éleveur rencontré en Haute-Ga-ronne illustre ces incertitudes logistiques : « la coopérative c’est pratique : ils stockent et on est sûr de la qualité de ce qu’on achète » (Charbon-neau, 2016). Les éleveurs s’interrogent égale-ment sur la composition (pourcentage de céréales et de légumineuses) et donc la valeur nutritive des méteils qu’ils achètent directement aux cultivateurs.

Des changements de pratiques contraignants Ce frein se situe notamment du côté des éleveurs, qui doivent apprendre à fabriquer eux-mêmes l’alimentation de leurs animaux. En effet, les coopératives fournissent un aliment complet où les différentes matières premières sont déjà mélangées dans des proportions connues. Le basculement sur une alimentation fermière implique de s’équiper en matériel (pour réaliser les mélanges et stocker les aliments) et de se former au calcul des rations.

Manque de coordination entre producteurs Pour que l’offre et la demande soient équili-brées, les cultivateurs ont besoin de connaître les besoins des éleveurs en termes de nature des matières demandées, de quantité, et de date d’utilisation. Or, actuellement, les éleveurs sont habitués à raisonner en fonction de leur capacité de stockage (quand ils n’ont plus d’aliments, ils passent commande à la coopérative), alors que les cultivateurs raisonnent sur l’année, voire sur plusieurs années, lorsqu’ils prévoient leur asso-lement. De plus, il faut un nombre minimum de cultivateurs dans le collectif d’échange afin que les surfaces mobilisées pour les coordinations (plantées en cultures fourragères) ne pénalisent pas les surfaces en culture de rente et donc les résultats de l’exploitation.

Difficultés d’identifier les intérêts individuels Même si au sein des deux projets l’intérêt collectif de la mise en place d’une coopération semble bien compris, les producteurs ont encore du mal à identifier leur intérêt individuel. Un travail de fond doit ainsi être engagé afin de mettre à jour les bénéfices d’ordre environnemental, social et surtout économique engendrés par la participa-tion à des échanges entre producteurs à l’échelle des exploitations.

QUELLES PERSPECTIVES

POUR LA RÉINTEGRATION

DES PRODUCTIONS ANIMALES

ET VÉGÉTALES ?

Nécessité de maintenir un certain niveau de

diversité sur les territoires agricoles

Malgré la spécialisation des exploitations au sein de bassins de production, la majorité des territoires conservent une relative diversité de productions agricoles. Le maintien de cette diver-sité est essentiel au développement d’échanges entre éleveurs et cultivateurs. En effet, ces échanges ont tendance à s’organiser sur de faibles distances géographiques.

Quels types d’organisation favoriser ?

Il existe actuellement des initiatives ponctuelles d’échanges entre voisins, mais elles ne constituent pas pour autant de réels systèmes culture-élevage intégrés. Les structures de conseil et d’accompa-gnement agricole sont des acteurs pertinents

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pour l’organisation de systèmes d’échanges opérationnels, notamment dans le diagnostic de l’offre et la demande et la mise à disposition d’outils pour les réunir. Toutefois, cela n’est pas toujours suffisant pour parvenir à pérenniser la coopération entre cultivateurs et éleveurs, ni à atteindre une réelle autonomie collective. En effet, le risque principal est que les échanges soient réalisés de manière ponctuelle, au gré des besoins et donc sans instaurer des relations de long terme entre cultivateurs et éleveurs d’un même territoire.

Julie Ryschawy est chercheuse à l’Inra de Toulouse et travaille en partenariat avec Bio 82 sur les échanges entre éleveurs et cultivateurs. Elle imagine la création de petits collectifs de producteurs motivés à coopérer pour atteindre une autonomie collective. Ces collectifs devraient se réunir une à deux fois par an pour discuter des besoins de leurs membres, s’accorder sur les matières à échanger et partager des connais-sances. Idéalement, ces collectifs développeront un assolement en commun, c’est-à-dire que l’en-semble des membres se mettront d’accord sur la nature des productions qui seront échangées et sur la surface qui sera allouée à chacun. Chaque producteur reste propriétaire et en charge de ses terres mais leur destination est décidée collégia-lement. Ces groupements de producteurs pour-ront également investir en commun, notamment dans du matériel de stockage

Quid des échanges entre éleveurs et

cultivateurs conventionnels ?

Malgré une augmentation du nombre d’agricul-teurs pratiquant l’AB, l’agriculture convention-nelle reste largement le modèle dominant. De ce fait, les filières conventionnelles sont de manière générale mieux organisées pour l’achat d’intrants et la recherche de débouchés. Cela tient notam-ment au fait que l’offre et la demande pour les matières échangeables entre éleveurs et culti-vateurs sont plus importantes qu’en filière biolo-gique (Moulin, 2016). Ainsi, bien que l’organisation d’échanges entre agriculteurs conventionnels soit envisageable, les bénéfices économiques de ces derniers demeurent incertains. Dans ces conditions, il semble peu probable que des agri-culteurs habitués à la praticité du recours à des intermédiaires s’engagent vers une organisa-tion impliquant de contraignants changements

de pratiques. Restent alors les bénéfices envi-ronnementaux : la mise en place d’échanges, notamment de matières organiques, permettrait de diminuer l’utilisation d’intrants de synthèse. Ces arguments pourraient faire mouche dans un contexte de prise de conscience des travers du modèle agricole productiviste de la part des politiques mais aussi de la société. Cette prise de conscience se traduit notamment par la promo-tion du « Projet Agro-écologique pour la France » porté par le ministère de l’Agriculture ainsi que par la demande croissante au sein de la popula-tion de produits issus d’une agriculture durable. Il est ainsi imaginable que les coopératives, pous-sées par les pouvoirs publics, se saisissent de la problématique et organisent l’achat et la revente de certaines productions agricoles (paille, four-rages, grains, voire fumier) en tenant compte des distances géographiques entre producteurs et acheteurs. De plus, la nouvelle Politique agri-cole commune (PAC) favorise indirectement ces échanges en attribuant des aides aux surfaces en légumineuses et méteil.

CONCLUSION

L’intérêt de la collaboration entre les filières animale et végétale est certain, notamment dans le cas de l’AB où elle facilite le respect du cahier des charges et renforce la viabilité économique des exploitations. L’émergence d’organisations collectives d’agriculteurs contribue au dévelop-pement durable de territoires agricoles cohé-rents. Plus précisément, en étant bénéfiques sur les plans environnementaux, économiques et sociaux, elles renforcent la durabilité des systèmes alimentaires des territoires sur lesquels elles sont mises en place.

Néanmoins de nombreux freins logistiques, techniques et organisationnels persistent. Pour y remédier, les structures d’accompagnement et de conseil agricole facilitent les échanges via le déve-loppement d’outils permettant de réunir l’offre et la demande et la formation des agriculteurs aux changements de pratiques. La recherche a égale-ment un rôle à jouer dans l’identification et l’appui à la mise en place de systèmes organisationnels innovants.

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http://www.terre-net.fr/actualiteagricole/economie- social/article/des-ecarts-de-1-a-5-entre-cerealiers-et-eleveurs-202-85434.html >[consulté en février 2016]

Entretiens

CHARBONNEAU S., 2016. Éleveurs de porcs biologiques. Bax (Haute-Garonne), 18/02/2016. CLAVIÉ L., 2016. Céréalier meunier biologique. 22/02/2016.

MOULIN C-H., 2016. UMR SELMET (Systèmes d’Elevages Méditerranéens et Tropicaux), Inra-Cirad-Montpellier SupAgro. Montpellier SupAgro, 25/02/2016.

RYSCHAWY J., 2016. Chargée de projet GIS Élevages demain, UMR SAD-APT (Sciences pour l’Action et le Développement, AgroParisTech) INRA/AgroParisTech. École Nationale Supérieure Agronomique de Toulouse, 18/02/2016.

SIBERTIN-BLANC M., 2016. Animatrice restauration collective bio et locale & filières, Érables 31, groupement d’agriculteurs biologiques de Haute-Garonne. Toulouse, 17/02/2016..

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FIGURE 1. AFFICHES DES DERNIÈRES BOURSES  D’ÉCHANGE  ORGANISÉES (MAI 2015 ET FÉVRIER  2016)
FIGURE 2. PAYSAGE BEAUCERON EN EURE-ET-LOIR  (À GAUCHE) ET PAYSAGE DU CHAROLAIS-BRIONNAIS  EN SAÔNE-ET-LOIRE (À DROITE)
FIGURE 3. COMPLÉMENTARITÉ ENTRE SYSTÈMES   DE CULTURE ET D’ÉLEVAGE
FIGURE 1. STEAK DE LENTILLES
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