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Pour éviter d avancer que c était «mieux avant» dans

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Academic year: 2022

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Marin de Viry

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our éviter d’avancer que c’était « mieux avant » dans le monde de l’éducation, disons les choses autrement : avant, ce n’était pas la catastrophe, c’est-à-dire la fin, le dénouement tragique. La survenue de la catastrophe signale qu’il n’y a plus rien à regretter. Celle que nous vivons se dépeint plus qu’elle ne se déplore, et surtout elle porte en elle ce qui la suivra. La peindre a quelque chose de plus constructif que de regarder s’éloigner, l’âme contrite, l’âge d’or dans le rétroviseur. Le sac de Rome ouvre un temps, les œuvres de Maurras retardent le futur.

Avant la catastrophe, il régnait dans l’éducation, enfin de mon point de vue, et de mon point de vue seulement, une forme de stabi- lité des fondamentaux là où prédomine aujourd’hui une impression d’absurdité provisoire, de frivolité sinistre, et de suicide pour rire.

Élève indolent, distrait, d’instinct hostile aux institutions, pris d’un irrépressible esprit sardonique en présence des grandeurs d’éta- blissement, je produisis un petit coup de reins et fus miraculeusement admis au bluff et autorisé à rester à la Sorbonne, à Sciences Po Paris, et plus tard à l’École supérieure de commerce de Paris (ESCP) ; je n’avais du moins aucun goût pour l’ignorance où j’étais des premiers principes de toutes les matières qu’on allait m’enseigner, et c’est à la curiosité et à l’amour-propre que je dois d’avoir rattrapé toute la dis-

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tance qu’il y avait entre moi et un bon élève. Je dois d’abord établir une hiérarchie : la Sorbonne, parce qu’elle enseignait les lettres, par- lait de l’homme, de l’illusion, des sociétés, des sentiments, bref, des vraies et des seules causes de l’histoire, est demeurée à tout jamais l’institution dont je puis dire que c’est elle qui a donné un tour à mon esprit. Les autres m’ont informé et fourni en trucs – c’est ce qu’on appelle respectivement la culture générale et la méthode, je crois. À la Sorbonne j’ai lu profondément, ailleurs j’ai appris à faire le zozo dans le monde. Je dois mon bonheur à la Sorbonne, et mon salaire, parfois confortable, au reste. À Sciences Po, l’histoire était le seul lien avec la culture littéraire – je la mets à côté

mais un peu en dessous de la littérature car elle est moins causale même si elle est plus concrète, elle n’entre pas comme un Bal- zac dans le moteur psychique de l’aventure

humaine et sociale. Dans cette école, la notion parfumée « d’actualité des enjeux » et surtout la perspective alléchante du pouvoir, qui en font l’attractivité et le prestige aux yeux des parents inquiets de la réussite de leur stratégie dynastique, n’ont jamais réussi à me faire passer le mauvais goût du droit administratif et de la macroéconomie.

Il suffisait de regarder les professeurs. Des fous de jurisprudence avec un balai dans le derrière, ou des dogmatiques hallucinés qui postu- laient que les marchés fonctionnaient comme ceci ou comme cela et pas autrement. Un jour, ma dermatologue m’a expliqué que c’était la différence du taux de testostérone entre les deux sexes et son évo- lution au cours de la vie qui expliquait l’histoire du monde, et j’ai trouvé ses raisons plus convaincantes que celles des keynésiens, des classiques, ou des néomarxistes qui peuplaient la discipline écono- mique. Ses conclusions opérationnelles étaient d’ailleurs déjà connues des Romains : pour qu’il y ait coïncidence de phase libidinale, et donc paix des ménages, et donc esprit constructif, il faut une différence d’âge de vingt ans entre l’homme et sa compagne, sinon la civilisation va dans le mur. Trente ans d’observation des deux sexes à poil et à tous les âges, suivie de discussions avec ses patients, et on tient quelque chose de solide, plein d’une sagesse empirique comme la littérature.

Marin de Viry est critique littéraire, enseignant en littérature à Sciences Po. Dernier ouvrage publié : Un roi immédiatement (Pierre- Guillaume de Roux, 2017).

› marininparis@yahoo.fr

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À l’ESCP, on apprenait comme un mécano tous les rouages du moteur de l’entreprise, et à la fin, une fois que c’était compris, arrivait un sociologue des organisations, ou un philosophe, ou un consultant quelconque, qui expliquait assez poussivement, pour qui avait des lettres, qu’il y avait des hommes dans une entreprise, et que ça deve- nait compliqué quand on tentait d’intégrer ce facteur dans l’équation.

Le résultat était qu’on avait envie de le virer, cet homme qui limi- tait l’efficacité de la décision rationnelle, et c’est d’ailleurs ce que la plupart des anciens élèves ont fait, consciencieusement. À part ça, le commerce a quelque chose de moins bidon et de plus gai que le droit administratif, qui reste une science absconse d’État, surtout quand l’État a viré à la douairière abusive et outrée, ce qui est le cas depuis longtemps en France.

Je vais à la conclusion sur le monde d’avant la catastrophe : moins c’était dogmatique, plus c’était passionnant. D’ailleurs, à la Sor- bonne, on était en face de professeurs moins médiatiques mais d’une certaine façon plus célèbres et plus marquants – marquants comme l’expérience – que ces demi-habiles indignés et vindicatifs qui com- mençaient à envahir les plateaux de télévision et qui les ont depuis occupés sans cesse. Des Pierre Brunel, Marc Fumaroli, Michel Crou- zet, Michel Zink et d’autres avaient des conceptions, des théories, des approches, mais ce qui les passionnait avant tout, ce qu’ils ensei- gnaient, outre les œuvres elles-mêmes, était la plus grande capacité possible d’en discuter. Ils nous commandaient implicitement de les dépasser un jour, si nous pouvions, et ils nous en donnaient les moyens. Certes les postures mandarinales, les effusions narcissiques en chaire, les saillies jupitériennes foudroyant un étudiant inno- cent, l’expression sourde des frustrations du professeur qui se sait un nain par rapport à l’artiste, le désir profond de tuer l’œuvre sous son commentaire, l’ivresse triste de l’érudition vaine, le goût pour des toges ridicules, bref, toutes les pathologies de la magistrature universitaire se manifestaient à travers eux. Mais, et c’est l’essentiel, seules la justesse et la profondeur des analyses guidaient l’évaluation de leurs étudiants. Toute la stabilité du système, sa garantie de qua- lité, résidait dans le fait que les professeurs faisaient strictement le

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départ entre leurs convictions et leurs critères de jugement de l’élève.

Quand un communiste met une mauvaise note à un communiste et une bonne à un maurassien, c’est que le professeur professe autre chose que ses convictions. Il vit et fait vivre dans un monde où le travail intellectuel est sacré, et l’opinion, même si elle en découle, est profane.

Mme de Merteuil, grande résistante à l’oppression sexiste ? Dans le régime de l’éducation d’aujourd’hui, on pourrait inver- ser la proposition : c’est la conviction qui est sacrée, et le travail d’analyse qui est profane. J’ai étudié Les Liaisons dangereuses dans un séminaire où la moitié des étudiants, d’ailleurs parfaits sur le plan scolaire, venaient d’universités anglo-saxonnes. Loin de moi l’idée que leur esprit ait été corrompu par les études de genre et les cultu- ral studies. Simplement, ils savaient que s’ils voulaient avoir la paix dans leur système, il fallait réciter le catéchisme. Un conformisme de façade, et le tour est joué. Toutefois, bien que molle, leur adhésion aux théories du genre et aux fondements du politiquement correct comprenait le devoir de vérifier la conformité de leur enseignement et de leur enseignant au respect de tout un tas de choses confuses, comme leur apparence, leur culture, leur sexe, leur genre, leur orien- tation, leurs goûts. On avait l’impression qu’ils revendiquaient d’être psycholo giquement fragiles, légitimement respectés dans leurs ado- rables spécificités, et que leur enseigner une matière devait se faire avec la priorité absolue d’éviter de les choquer. En somme, il y avait quelque chose d’exagérément personnel et de beaucoup trop moral dans leur manière d’envisager le rapport entre eux et leur professeur de lettres. Du coup, le vicomte de Valmont les faisait beaucoup rire mais dans le même temps, ils se rappelaient qu’ils devaient juger avec la plus grande sévérité un mâle blanc qui utilisait abondamment le dispositif culturel du patriarcat pour abuser les femmes. Mme de Merteuil suscitait des débats aussi passionnés qu’ineptes pour savoir s’il s’agissait d’une grande résistante à l’oppression sexiste issue d’un

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milieu privilégié, un peu comme Simone de Beauvoir, ou d’une col- labo à démasquer. Quant à Cécile de Volanges et à la présidente de Tourvel, il était clair qu’elles étaient des victimes absolues, dont l’expérience atroce – coucher sans savoir ce qu’elles faisaient avec un mâle dominant – justifiait le combat séculaire contre l’oppression sexiste. On traquait la souffrance psychologique comme le chasseur de primes le hors-la-loi : pour la récompense.

Je ne pense pas que cet angle d’analyse féministe et culturel soit inexistant. Nous parlons bien, dans Les Liaisons, de rapport entre les sexes et d’une architecture éducative et culturelle propres à une société donnée. Mais je pense simplement qu’il n’est pas le seul. La passion mimétique, l’origine du désir, la perversion, le tragique, la psycho- logie religieuse, la manipulation mentale, et même le règlement de comptes entre la noblesse d’épée et la noblesse de robe, et la petite et la grande : tous ces thèmes sont au moins aussi importants dans Les Liaisons que celui du rapport de force social et culturel entre les sexes.

Distinguer les passions de la morale, et la morale de la politique, voilà une procédure que mes étudiants avaient du mal à suivre. Très peu moralistes, justement, au sens du XVIIe siècle, il leur aurait fallu que tout soit cohérent, et dès lors qu’une contradiction, une hypocrisie, un mensonge, une restriction mentale, une pulsion irrépressible venant fracasser les principes, bref qu’un défaut trop humain intervenait dans le système, c’est que le système était mauvais. Ce qui amenait à la conclusion assez plate, mais pas fausse, que l’Ancien Régime n’était pas transparent. Belle découverte ! Le vicomte de Valmont n’est pas aussi transparent qu’un pasteur danois : j’ai tendance à penser que cette phrase n’a aucun intérêt.

Bien que tout soit resté bienveillant, car au fond les étudiants s’amusaient à découvrir la société française d’Ancien Régime, racon- tée goulûment mais aussi objectivement que possible par un héritier de sa noblesse déchue, j’ai bien senti qu’il aurait fallu que j’y aille de mon couplet genré et culturel, ce qu’évidemment j’étais incapable de faire, ne considérant pas l’étude de la littérature comme l’occasion de témoigner de ma haute moralité et de mon adhésion au mouve- ment général de l’Occident vers une justice parfaite prodiguée par

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des êtres purs et mutuellement respectueux. Le narcissisme bigot n’est pas encore au nombre de mes défauts. Il y a un moyen très simple d’organiser un enseignement qui ne choque ni les origines, ni la nature, ni les convictions des étudiants : c’est que ni leurs origines, ni leur nature, ni leurs convictions n’aient la moindre part dans leur sélection, dans leur évaluation, et dans les dispositifs pédagogiques qui permettent de faire progresser leur capacité d’analyse. La confu- sion entre faire ses études et exercer un discours militant sur l’objet même de ses études est la catastrophe que nous vivons. Elle n’aura qu’un temps, assez bref probablement, comme tout ce qui est triste et qui est imposé à la jeunesse.

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