Des techniques d e fabrication aux fonctions des céramiques
Avant-propos
Laurence Astruc (UMR ArScAn - Préhistoire en Méditerranée orientale)
Le séminaire « Des techniques de fabrication
aux fonctions des céram iques : m éthodes d 'a p p ro ch e » s'est tenu le 2 juin 2004, dans le cadre
du thèm e transversal 7 « Outils e t m éthodes d e la recherche ». Les dém a rch e s em ployées pour caractériser les productions céram iques au sein de rUMR 7041 e t dans la Maison d e l'Archéologie e t de l'Ethnologie sont nombreuses. Le but de c e tte journée était d 'a m e n e r des spécialistes d e ces productions, travaillant sur des contextes chrono-culturels divers, du Néolithique à l'actuel, e t du Bassin parisien à l'Inde, à se rencontrer pour discuter des approches m éthod o lo g iq u e s qu'ils m e tte n t en œ uvre pour répondre aux questions archéologiques posées. Les échelles d'observation e t les degrés d'analyse et d'interprétation évoqués sont les suivants : travaux en laboratoire (pétrographie, analyses granulométriques e t chim iques), te c h n o lo g ie , expérim entation, eth n o a rch é o lo g ie , Ces dém arches souvent com plém entaires concouren t à mieux décrire les traditions techniques des groupes étudiés e t leurs habitudes de « consom m ation ».
L 'a p p ro c h e e th n o a rc h é o lo g iq u e a naturellem ent trouvé sa p la ce au d é b u t de c e tte journée. Laure Degoy a c o n d u it des enquêtes de terrain sur les castes de potiers d'Andhra Pradesh (Inde). Leurs productions sont diverses par les décors mais surtout par les m éthodes et techniques de fabrication employées, et c'est la technologie qui perm et le mieux de déterm iner quels sont les facteurs d e variabilité des productions. La répartition sexuelle des tâches est un de ces facteurs. L'emploi du tour fait notam m ent l'objet d'un ta b o u : il ne pe u t être a c tio n n é qu e pa r des hommes. Mais, plus généralem ent, le choix d'une posture (plus que d'un outil) ou l'a d o p tio n d e telle ou telle pra tiq u e techniqu e est déterm iné par l'a p p a rte n a n ce de l'artisan à un groupe linguistique ou dialectal, ou à un réseau m atrimonial donné. Laure Degoy souligne, enfin, la nécessité d e prendre en co m p te différentes
échelles d'analyse (locale, supra-locale et régionale), to u t en exam inant l'influence que peuvent avoir les contextes d e consom m ation sur les contextes de production. Ce typ e d 'é tude — ce c i n 'e n g a g e que moi — ne pe u t à court term e viser à proposer les « universaux » que certains cherchent à établir, Il est, en revanche, indispensable à l'archéologue : il lui rappelle à to u t m om ent que son sujet d'é tude n'est pas la céram ique, ou to u t autre c a té g o rie de mobilier, mais les groupes humains qui les ont produits, leurs dynamismes internes et leurs évolutions.
Plusieurs intervenants ont m ontré d e quelle m anière e t dans quel but ils a va ie n t recours à l'expérim entation. C'est n o ta m m e n t le cas d'une équipe d e Paris I qui travaille sur les productions céram iques du Néolithique du Bassin parisien (Ve et IVe millénaires av. J.-C.). Delphine Mérard-Ohlson a exploré les techniqu es d e fa ç o n n a g e e t de traitem ent de surface d e la céram ique du site de Balloy « Les Réaudins » (Seine-et-Marne) e t a souligné les difficultés parfois rencontrées pour caractériser les chaînes opératoires mises en œ uvre pour fabriquer certaines formes. François Giligny e t Chloé Lelu ont exam iné la variabilité des coupes-à-socle du Néolithique moyen dans le Chasséen septentrional. Ces a p p ro ch e s rejoignent les travaux d e Katia Meunier qui s'intéresse à la technologie des décors. La question posée est, en effet, la suivante : dans quelle mesure la technologie céram ique peut-elle, au m êm e titre que la typologie, être essentielle pour identifier des faciès chrono-culturels ?
Bertille Lyonnet e t Caroline Hamon se sont intéressées pour la culture de M aikop (Caucase, a u to u r d e 3500 av. J.-C.) aux m a cro tra ce s de fabrication des récipients et aux outils de potier. Les productions céram iques de c e tte culture montrent une diversité technolo gique im portante : l'utilisation d 'u n e tournette ou du tour peut-elle être supposée aux côtés d e m o n ta g e aux colom bins plus 231
Laurence Astruc
fréquents ? Quels procédés d e finition sont employés (lissage, brunissage ou e ngob e) ? Les lissoirs sur g a le t que Caroline Hamon a identifiés viennent, q u a n t à eux, enrichir l'inventaire des outils d e potiers archéologiques reconnus. Outils lithiques, osseux ou céram iques c o n c o u re n t selon les contextes archéologiques à la mise en p la c e du sous-système te c h n iq u e c é ra m iq u e : à quelles m éthodes e t techniques sont-ils associés ? Pour quelles séquences des chaînes opératoires sont-ils employés ? Selon quel geste ou posture sont-ils utilisés ? Quelle est leur durée de vie ? Quelles m acrotraces dessinent-ils sur les récipients ? La réponse à ces questions passe nécessairement par la multiplication d e référentiels actualistes e t d e corpus expérimentaux raisonnés.
La d é m a rc h e te c h n o lo g iq u e d e Barbara V andoosselaere s'inscrit dans une recherche archéolog ique traditionnellem ent construite autour d e l'étude des textes e t d e la typologie céram ique (Koumbi Saleh, Mauritanie, IXe-XVe siècles d e notre ère). L'auteur nous a m ontré de quelle manière l'analyse des pâtes e t la restitution des chaînes opératoires de fabrication des récipients ont permis d e m e ttre en é v id e n c e différentes traditions techniques e t diverses échelles d e production. C ette étude offre, en outre, l'occasion d'observer de quelle manière la technolo gie céram ique — com m e les artisanats du bois ou du cuir — peut être le tém oin privilégié de l'évolution des sociétés.
Deux étudiants d e l'équipe de Protohistoire é g é e n n e nous ont, enfin, offert la possibilité de discuter d e la fonction des céram iques dans les contextes du Néolithique e t d e l'âge du Bronze égéen. C écile O berweiler s'intéresse aux choix des argiles e t des dégraissants pour la réalisation des céram iques métallurgiques ; les pâtes doivent, en effet, répondre à des contraintes fortes d e m ontée en tem pérature e t de refroidissement. Oreste Decavallas cherche à restituer les fonctions d e récipients en céram ique pa r analyse chim ique des résidus. Il est im portant d'attirer l'atte ntion sur c e travail original qui dépasse la simple classification fo n ctio n n e lle et cherche à d é g a g e r des données sur les pratiques d'utilisation des récipients, du Néolithique récent au Bronze m oyen en Égée.
Le traitem ent des pâtes e t des m éthodes de fabrication des récipients sont-ils déterminés par la fonction d e pots ? Si l'on d e m a n d e à des groupes actuels de potiers d e classer leurs pots en fonction de leur utilisation, c h a cu n d 'e n tre eux dévelop pera un classement qui leur est propre. Il sera fondé non pas nécessairement sur la nature des pâtes mais sur les représentations sociales associées aux récipients. C'est c e que nous indique Laure Degoy en prenant l'exemple, d'une part, des potiers du Rajhastan et, d 'a u tre part, des potiers d ’Andhrah Pradesh. Les potiers du Rajasthan distinguent les pots à eau, les céram iques d e stockage e t les autres récipients, e t les m odes d e p ré p a ra tio n des pâtes varient pour ch a cu n d e ces groupes fonctionnels. Les potiers d'Andhra Pradesh auront, eux, b e a u co u p d e mal à proposer un classement. Le traitem ent des pâtes est unique e t les critères d e classification se situent à plusieurs échelles : certains pots sont liés à une activité donnée, d'autres à un contexte particulier d 'u sage ou à un contexte social d'utilisation (par une caste ou une sous-caste).
La qualité des interventions e t des discussions, le public présent en nombre, e t constitué d'ailleurs essentiellement d'étudiants, m ontre que c e typ e de sém inaire sur les m éthodes d 'a p p ro c h e des productions céram iques est promis à un bel avenir au sein d e la Maison d e l'Archéologie e t de l'Ethnologie. Plusieurs souhaits o n t é té évoqués : proposer un nouveau séminaire sur les productions céram iques du Proche e t Moyen-Orient, favoriser les discussions entre protohistoriens, antiquisants e t médiévistes, réfléchir sur la mise en com m un des ressources expérimentales e t/o u des données archéologiques (m acro-traces de fa b rica tio n , outils d e potier, in te rfa c e base de données céram iques/projet SIG du Bassin parisien). Ces souhaits auront-ils une suite e t sous quelle form e ? C ette journée « Des techniques d e fabrication aux
fonctions des céram iques : m éthodes d 'a p p ro ch e » a
montré que les thèmes transversaux constituent un lieu d'expression e t d e travail privilégié qui participe au d é clo iso n n e m e n t des disciplines e t des laboratoires au sein de la MAE d e Nanterre e t perm et aux chercheurs, qu'ils soient étudiants ou statutaires, d e confronter leurs approches e t leurs résultats.