937.06 W17a
L’ARMEE ROMAINE
D’AFRIQUE
*
,
SOUS LES EMPEREURS
Compte
rendu de l’ouvrage deM
1'René Cagnat
: L’armée romained’Afriqueet l’occupation militairedel’Afrique sous les empereurs. Paris, 1892PAR
J. P.
WALTZING
PROFESSEUR A l’üNIVERSITÉDE LIÈGE
<
#
GA ND
IMPRIMERIE EUG. VANDERIIAEGHEN,
RUE
DESCHAMPS,
GO1893
EXTRAIT
de la Revue de l’Instruction Publique en Belgique
Tome XXXVI —
Année 1893.UNIVERS?
iY OF ILLINOIS UBRARV AT URBANA-CHAMPAILj
iCLASSSCS
^ 31, û £
Lot 7 <u
L’ARMÉE ROMAINE D’AFRIQUE.
La
fertilité épigraphique de l’Afrique septentrionale est vraimentprodigieuse. Déjàle Corpus renferme plusde 17500 inscriptions;beaucoup
d’autres sont publiéesdans des pério- diques et attendent leur placedans cette magnifique collec- tion;touslesjours, lesruinesdesinnombrablesvillesromaines accumulées par les barbares et respectées par les Arabes, mettent au jour des textes nouveaux.Pour
qui sait les lire, ces inscriptions sont riches en renseignements sur toutes les branches de l’administration romaine, mais c’est particulièrement sur les institutions militaires de l’empire qu’elles ont jetéun
jour nouveau.On
avait, jusqu’ici, publiéun
assez grandnombre
d’études particulières sur l’armée d’Afrique et sur les légions romaines en général; grâce à l’épigraphie, L. Renier, G.Wilmanns, M.
Th.Mommsen
et d’autres2, ont élucidé bien des points spéciaux,mais il restait àfaire l’histoire de l’armée romaine d’Afrique etdel’organi- sation militaire de ces riches et florissantes provinces.
Une
pareille entreprise devait intéresser surtout les Français;
ce sont
eux
qui ont fait la conquête archéologique de l’Afrique Septentrionale, aprèsl’avoirsoumise par lesarmes
3.Partout il
y
trouventles traces de leurs devanciers romains, etpour eux,comme
l’aditM.
Gaston Boissier, larésurrection desmonuments
antiquesn’est pas seulement une satisfaction1 Voyezparexemple:Timgad,unecitéafricaine sous VEmpire romain
,
par
MM.
CagnatetBoeswillwald.Paris,Leroux. Encoursde publication.2 Voyezlabibliographiedansl’ouvragedont nousparlons, pp. xxii-xxiv.
3 Voy.Ch.Diehl,Les découvertesde l’Archéologie française en Algérie eten Tunisie (Revueintern.deVEnseignement}1892,p.97-131).
accordée à la curiosité des antiquaires; c’est
une
façon d’enquête qui leur faitconnaîtrecomment
le peuplequi a su lemieux gouverner
lemonde
s’y est prispour
tirer lemeil- leur partide sa conquête. Il appartientàleurs archéologues de faire sortirdu
passé des leçons dont pourront profiter à l’avenir leurspolitiques,leursadministrateursetleurssoldats.M. René Cagnat
était particulièrement désignépour mener
àbien cetteœuvre
utile àla science etàsonpays.Ayant
faitde
nombreux voyages
scientifiques en Algérie et enTunisie, chargé de publier, avecM.
J. Schmidt, le Supplémentdu
VIIIevolume du
Corpus, il connaît à merveille l’épigraphie africaine. Il a pu, dans ses explorations, voir sur place les camps, les forteresses et les voies militaires, enfin tous les vestigesque
l’on a retrouvés de la domination romaine.La
plus
grande
partie dece splendide ouvrage, orné de plans, de cartes et de gravures, est basée sur les inscriptions et sur les ruinesdont le sol africain est parsemé, car les auteursne
parlentque rarement
de l’arméeromaine
sous l’Empire.M. Cagnat
acombiné
lesrésultats obtenus parses devanciers, discuté ànouveau
les questions douteuses, mis à profit lesdocuments récemment
découverts, et tracéun
tableau aussi completque
possibledu régime
militairede cepays
autrefois siprospère.Son
butest d’étudier l’arméerépandue
sur cetteimmense
étendue deterrain, depuislesSyrtesjusqu’à l’Océan, à l’époque impériale, et lesmoyens employés
par lesRomains pour
protégerleurs possessions et les tenir en paix jusqu’à l’invasion des Vandales.Son
livre, qui n’est donc qu’une étude particulière, jette cependantune grande
lumière sur l’arméeromaine
en général et sur l’histoire militaire de l’Empire. Ilmontre
danstouslesdétails ce qu’étaitune
légion romaine, soutenue par ses auxiliaires et par les troupes indigènes; il explique,mieux
qu’on ne l’avait fait jusqu’ici,comment Rome
s’y pritpour
conserveret romaniser, c’est-à- dire civiliserses provinces. C’est ce qu’on verra parlarapide analyseque nous
allonsfairede cetouvrage.***
L’introduction (pp.
I-XXIV)
raconte la soumission succes- sivedes provinces africaines,depuis laprisede Carthage(146)l'armée
romaine
d’afrique. 3jusqu’à l'Empire. Aussitôt après la destruction de sa rivale,
Rome
transforma sonterritoire en province d’Afrique (pro- vincia proconsularis); laNumidie
fut incorporée par César après la bataille de Thapsus, et laMaurétanie, divisée plus tard en Césarienne et Tingitane, ne devint définitivement romaine que sous Tibère,enl’an40 denotre ère. Ces prélimi- nairessont suivisdela bibliographie et préparent le livre I,quicontinuel’histoire desguerres dontl’Afriquefutlethéâtre sous l’Empire, jusqu’aux invasions des Vandales (p. 1-90).
Quand Rome
fut maîtresse de ce pays, habité par des peu- plades turbulentes,elle fut obligée d’y entretenirunearmée
pourledéfendre contre lesnomades du
désert et pourmain- tenir dans l’obéissance les nations soumises; car l’Afrique nefutjamais entièrement pacifiée. L’exposé deM. Cagnat
leprouvebien; il a réuni tous les détailsqu’il a
pu
trouver sur lesnombreuses
expéditions oùRome
eut a combattre soit des chefs indigènes, soit des chefsRomains
révoltés. Il en résulte que durant quatre siècles elle ne put pas déposer lesarmes
et qu’il luifallut entretenir sur le territoire afri- cain unearmée nombreuse
et solide, toujours prêteà entrer encampagne.
La
composition decettearmée
et l’occupation territoriale de l’Afrique jusqu’à Dioclétien sont l’objet desdeux
livres suivants.Comment
cettearmée
fut-elle constituée? Quels furent ses établissementsdans ces provinces :camps, postesfortifiés, limes?
*
* *
Le
livre II décrit en détail la composition de l’armée d’Afrique;ilénumère
lesdifférents corps quila formaient, et étudie leur histoire et leurs effectifs, enconsidérant succes- sivement, danslescinqpremièresparties,l’arméedel’Afrique propre et de la Numidie, celle de laMaurétanie Césarienne, celle de laMaurétanie Tingitane, puis lestroupesirrégulières et enfin l’escadre ou flotte africaine.L’armée
régulière comprenait donc trois corps : chacun possédait des effectifs spéciaux, étaitcommandé
parun
chef particulier qui relevait de l’empereur, et devaitgarderune
partie différentedu
pays; ils n’agissaient de concert qu’en cas de besoin (pp. 93-95).4
En Numidie
(pp. 97-266) était fixé le corps principal : la légion IIIeAuguste
avec ses auxiliaires, renforcée par les troupes indigènes (legioIIIAugusta
et auxïlia ejus, C. I. L.VIII 2637).
Dans
lesmoments
critiques, on appelait à son aide des légions ou des cohortesquicampaient
dansd’autres provinces de l’Empire.M. Cagnat
faitle relevé des troupes de secours, qui ont laissé des traces en Afrique (14 légions différentes),mais
ilétudie surtout en détail la 3e légion, dontle
camp permanent
aété retrouvé àLambèse
avecune
foule d’inscriptions.Il
commence parle commandant
en chef(chap. II, pp. 112- 147).La Numidie
neforma
d’abordque
la ceinture militaire dela province d’Afrique et le chefdu
corps d’occupation fut leproconsulprovinciae Africae.En
l’an 37, Caligula retiralepouvoir militaire à ce proconsul,
pour
le confier àun
de ses légats,désignéparl’empereur,et soumis directement àcelui-ci,comme
leprouve
sonnom
de legcitus Augusti propraetore.Sous Septime
Sévère, laNumidie
devientune
province à part, et ce légat, élevéau rang
degouverneur
indépendant, s’appelle legatus Augusti propraetore provinciae Numidiae.Puis l’auteur étudie l’état-major
du
légat, les officiers et sous-officiersque
lesinscriptionsmentionnent
: les auxiliairesdu commandement
(beneficiarii,immunes
,singulares
, stratores, speculatores
, quaestionarii
) et les
employés aux
écritures (commentarienses, notarii etexceptores, actarii
,exacti, librarii, capsarii).
Les
attributionsdu
proconsul,du
légat etdechacun
de ces auxiliaires sont définies aussinettement que
possible, en tenantcompte
des époques, et à la suite dechaque
para-graphe
sontdressées,comme
dans le cours de tout l’ouvrage, des listes complètes des personnages qui ont rempli ces diverses fonctions. Ces listes, faites d’après l’épigraphie, renseignent leur patried’origine,leurtitre exact, et l’époqueoù
ils vécurent. Faisons,à propos dece chapitre,une remarque
qui s’appliqueraà tous : ilconstitueun
cadre complet, où les découvertesque
l’on pourra faire encore, trouveront natu- rellementleur place.Le
chap.III (pp. 148-240)estconsacré à la3elégionAuguste
elle-même.M. Cagnat
retrace d’abord son histoire, quidonne
lieu à plusieurs discussions importantes.
Formée
probable-l’armée
romaine
d’afrique.ment
parCésar, elle combattitpourOctave, qui la distingua desdeux
autres légions portantle n° IIIparlesurnom
d'Au-
gusta.
On
latrouveen Afriquedèsla lindu
règne de ce prince;sous
Néron
elle pritpart à la révoltede son légat, Clodius Macer. SelonM.
Cagnat, elle diffère de la legioI
Marciana, que l’usurpateur constitua aumoyen
d’éléments indigènes, tandis que, suivantd’autres, ClodiusMacer
n’auraitpas formé de légion nouvelle, maischangé
lenom
de la IIIe Auguste.Elle
campa
d’abordàThebessa, puisà Mascula, enfin, depuis la findu
règne de Trajan, àLambèse
(voy. pp. 498-501).M. Cagnat
apporte despreuvesnouvellesàl’appuidel’opinion deM. Mommsen,
qui soutient qu’Hadrien,ce princevoyageur, ne se rendit qu’une fois en Afrique; il fixe la date de sonvoyage
à l’an 129.Hadrien
visitaLambèse
vers le 1erjuillet:les fragments
du fameux
discours qu’il adressaaux
troupes sont reproduits etexpliqués. Enfin l’auteur cherche à déter-miner
la part que la IIIe légion pritaux événements
de la fin si troublée du IIIe siècle, jusqu’à Dioclétien.Après
avoirfait l’histoire delalégion, il expliquecomment
elle était composée; il fait connaître les tribuns avec leurs auxiliaires : beneficiarii, secutores, cornicularii, commenta- rieuses
, librarii
;
lepréfet
du camp
avec sesauxiliaires et lesnombreux
services intérieurs qui dépendaient de lui et qui étaient destinés àassurerl’entretiendu
camp, des édifices etdu
matériel : mensores, optio carceris (pénitentiaire), medicus castrensisj optio valetudinarii (hôpital), optio balnearii ouad
balneas (thermes), custodesarmorum
(arsenal), fabrica(atelier), horrea (magasins de vivres), etc.Descendant
toujours, ilarrive
aux
centurions,aux
décurions, et à leur optiones ou lieutenants, puisaux
sous-officiers et spécialistes : musiciens (tubicines, cornicines, bucinatores), porte-drapeaux (signiferi,aquiliferi
, imaginiferi), tesséraires,
armaturae
ou soldats d’élite; génie (arckitecti, libratores), médecins,commis aux
vivres(pecuarii), ministres
du
culte (haruspices, victimarii), enfin evocati et Marsi, dont les fonctions ne sont pas bien connues. D’autres fonctions sont désignées par des abrévia- tions encore inexpliquées.Comme
toutes leslégions, celledeLambèse
avait des fantas- sins et des cavaliersauxiliaires.Au
chapitre III (pp. 241-260),M. Cagnat expose
ceque
l’épigraphie nousapprend
sur l’histoiredetrois ailes,de huit cohortes,du numerus Palmy- renorum
et de la vexillatio (régiment de cavalerie) militumMaurorum
Caesariensium, qui ont appartenu,au moins tem-
porairement,aux
troupesde Numidie. Placé sous les ordresdu
légat de la légion,chacun
de ces corps avait ses officiers propres dont la liste est dressée, autant que lesdocuments
épigraphiques le permettent.Le
chapitreV
(pp. 261-266) termine l’énumération des forces militaires de l’Afrique proconsulaireetde laNumidie
et faitconnaîtrela double garnison de Carthage.
Le
proconsul, désigné par le sénat et privédu commandement
en chef depuis Caligula, avait pourtant sous ses ordresun
certainnombre
desoldats.Sous
Hadrien,c’étaitune
cohorte delégion- naires,empruntée aux
troupes de Numidie, quivenait passerun an
à Carthage,pour
céder la place àune
autre l’année suivante.A Carthage
résidaitaussiun
procurateur de l’empe- reur, qui administrait les propriétés impériales. Vespasien, selonM. Mommsen,
mit à sa disposition la XIIIe cohorte urbaine, quipermuta, au
second siècle, avec la Ire, établie jusque-là àLyon.
L’armée
deMaurétanie
Césarienne, étudiée dansla IIepartiedu
second livre (pp. 267-313); étaitmoins
importante. Elle se composait seulement de troupes auxiliaires. L’épigraphiepermet
de dresserune
liste de 5 ailes, de 15 cohortes, d’une vexillatio etdetroisnumeri
dont le séjourdanscetteprovince est prouvé.La
majorité de l’effectif étaitformé
de soldatsarmés
à la légère etde cavaliers, plus aptes à défendre ce pays.On
rencontre aussiune
demi-douzaine de légions qui furent appeléestemporairement
à sonsecours.Comme
toutes les provinces àmoitié barbares, laCésarienne étaitune
pro- vince procuratorienne : elle avait pourgouverneur
civil etpour commandant
militaireun
chevalier, représentant direct de l’empereurquiy
avaitsuccédéaux
roisdu
pays.Il portait le titrede procurateur et résidait à Caesarea (Cherchel).La
durée de ses fonctions était illimitée; le cursushonorum
de plusieursmontre que
leprocurateur de Césarienne était l’unl’armée
romaine
d’afrique. 7des plus hauts fonctionnaires de l’ordre équestre: c’est qu’il était à la tête d’une province
remuante
et devait surveiller desvoisinsmenaçants.Dans
lesmoments
critiques,ildisposait aussides troupes de la Tingitane avec le titre de procurator utriusqueMauretaniae.De
Gordienà Valérien, l’armée laplus importante d’Afrique, ce fut celle de Maurétanie;M. Cagnat
n’admet pastoutefois,comme
onl’acru,quelecommandement
fut confiéalors à
un
légatpropréteur, remplaçantleprocura- teur. Suit la liste des procurateurs et de leurs auxiliaires jusqu’à Dioclétien. Cette étude sur l’armée de Césarienne se termine parla revueet l’histoire de tousles corpsd’infanterie etde cavaleriedontlenom
serencontre, etpar l’énumération de leurs officiers et sous-officiers.Les
troupes de Maurétanie Tingitane(IIIepartie, pp. 315- 323),composées
égalementd’auxiliaires, étaientencoremoins
nombreuses. Cette province, appelée dans une inscription provincianovaHispania ulterior Tingitana (Ephem
.VII
807), n’était guère qu’une zone de défense établie entre l’Espagne et lesMaures
insoumis. Elle étaitgouvernée pardesprocura- teursmoins
élevésen grade queleurs collèguesde Césarienne et résidant à Tanger.Deux
d’entreeux
portent le titre de prolegato, probablement dans
un moment
où ils avaientsous leurs ordres des légionnaires envoyés à leur secours. Les renseignements sur leur état-majoret sur les corps d’auxi- liaires qui stationnèrenten Tingitane sont encore très rares.Telles étaient les troupes régulières de l’Afrique, légion- naires et auxiliaires : elles étaientinsuffisantes pour défendre cet
immense
territoire, surtoutlesdeux
Maurétanies.On
leur adjoignit des troupes irrégulières (IVe partie, pp. 325-337), milices locales, analoguesaux goums
algériens, levées etcommandées
probablement par des chevaliers romains, que lesinscriptions appellent praefecti gentium ouprocuratoresad curam
gentium.On
les recrutait parmi les nations établiesaux
frontières ouréparties dans l’intérieurdu
pays,comme
leurs
noms
le prouvent. Ces officiers avaient pour mission de maintenirles chefs indigènes dans le devoir, de s’assurer que latribu payaitl’impôt, derecruterparmi
elle destroupes auxiliaires, etd’y organiserdes escadronsou descompagnies
d’irréguliers,quiprenaientla
campagne
avecl’arméeromaine,lecas échéant,soitenAfrique,soit
même
au-dehors.M.Cagnat
n’admet pasque
les citadins et les grands propriétaires de l’intérieuraienteuledroit d’organiserd’une façonpermanente
des milices municipales et des troupes armées, qui auraientpu
devenirun
danger;on
leur permettait seulement de faire provision d’armespour
se défendre en attendant desrenforts.Il fallait enfin
une
escadre(V
e partie, pp. 339-349), pour protéger les côtes de laMaurétanie
et dela Bétique contre lespirates.Ce
n’était pas la flottelibyque,comme on
l’a dit;c’étaientdes détachements desflottesde Syrieetd’Alexandrie,
commandés, non
parun
praefedus, mais parun
praepositus, chef provisoire et irrégulier. Cette escadre était sous les ordresdu gouverneur
de Maurétanie; elle étaitcomposée
de croiseurs rapides, trirèmes et liburnes,commandés
par des triérarques.Son
port d’attache était Cherchel,où
l’on a signalé les traces d’un double portmarchand
et militaire, dontM. Cagnat
a dressé le plan et qu’il décrit autantque
faire se peut.
La
6e partiedu
secondlivre traitedu régime
administratif etlégaldescorps d’occupation (pp. 351-496).Après
avoirmontré
l’importance de l’armée d’Afrique enénumérant
les différents corps quila composaient, enétudiant leur histoire et leurs effectifs, en dressant soigneusement la listede leurs officiers et sous-officiers,M. Cagnat
veut nous faire pénétrer dans la vie intime decette armée,afin de nous fairemieux comprendre
encore sa force et les raisons qui la rendirent invincible, etceschapitres ne forment pas la partie lamoins
intéressante de son ouvrage.Et
d’abord dequels éléments tirait-elle son recrutement?(Chap. I, pp. 353-376). Ilse passapourlalégion IIIe
Auguste
ce qui arrivapour
toutes les légions.Au
1er siècle,elle est tiréedu
dehors, des provincesoccidentales de l’Empire.Les
listes delégionnaires qui, leur servicefini, élèvent
un monu-
ment
à l’empereur, prouvent que, sousNerva
et Trajan, c’est l’Orient qui luidonne
le plus de recrues, et que déjà la province d’Afrique, qui se romanise de plus en plus,l’armee
romaine
d’afrique. 9fournit elle-même une part considérable de l’effectif. Plus tard, sous Hadrien, c’est principalementl’Afrique elle-même qui remplit les cadres de la légion IIIe Auguste.
Après
ce prince, elle se recrute entièrement sur place, suivant la règle quise vérifiedanstout l’Empire, etqueM. Mommsen
a établie : depuis le milieudu
2e siècle, ily
a autant d’armées distinctes qu’ily
a de provinces militaires. Bienplus, auprèsdu camp permanent
se développa rapidement la ville deLambèse,
où les soldats eurent leurs foyers, surtout depuis Septime Sévère, et dès la fin du 2e siècle ce furent les filsdesoldats, nés Castris, qui comblèrent les vides produits dans les rangs delalégion.
La
légionfinitainsiparse suffire à elle-même et par secomposer
de soldats habitués dès leur enfance au métier desarmes, d’enfants de troupe, intéressés à prendre place dans la légion, parce qu’ils obtenaient parle fait
même
le droitde cité. Ces fils de soldats, nés illégi- times, prennent, avec le titre de citoyens, le gentilice de leur père et entrent tous dans la tribu Pollia, tandis que lespérégrins prenaient généralement le gentilicedu
prince etentraientdans satribu.Voici donc enrésumé
l’histoirede cette légion : elle se recrute d’abord en Occident, puis en Orienta puis en Afrique, enfin dans lecamp même.
Quant aux
auxiliaires, les ailes et lescohortes portent desnoms
qui trahissent leur origine. Trois corps seulement sont recrutés danslepays
: VolaNumidarum
,
la cohors
Maurorum
et la cohors
Musulamiorum;
les autres viennent detoutesles parties de l’Empire. Il eût étédangereux
de les tirer de l’Afriquemême,
tant qu’elle fut incomplètement soumise;mais auIIesiècle et surtoutau IIIe
,
quand
cesprovincesfurent devenues romaines, il estprobablequeles aileset les cohortes furent, elles aussi, principalementrecrutées sur place.Le
chapitre II (pp. 377-412) expliquecomment
étaient assurées les subsistances, l’habillement et l’armement des soldats.Sousl’empire,l’Etat fournissaitlesvivresetprobable-ment
aussi lesarmes
et les vêtements. Il faut distinguer le service des vivres entemps
de paix et entemps
de guerre.Les
inscriptions etleCode
Théodosien (IVesiècle) ontpermis àM. Cagnat
de donnerd’intéressantsdétails sur lesmagasins militaires(horrea), sur lesmoyens employés
pour les appro-10 l’armée
romaine
d’afrique.visionnerde blé, sur les
troupeaux
militaires, sur lesforma-litésdela livraison
aux
troupes,surles subsistancesentemps
deguerre, sur l’habillement, sur la fabrication des armes,les usines régionales, les ateliers spéciaux de la légion, enfin sur la solde et laremonte
l.Ce
qu’il ditdu
cultedes dieux dans l’armée d’Afrique n’est pasmoins
intéressant (Chap. III, pp. 413-426).Les
troupes romaines avaient d’abord leurs dieux propres et leur culte officiel,commun
à touslescorps d’armée. Cesdivinitésétaient avant tout lesimages
impériales, figurées surdes médaillons et portées à côté de l’aigle, dans les légions, à côté des enseignes, dans la cohorte, et sur lesignum
des ailes; dans lescamps
permanents,on
consacrait aussi des statuesaux
empereurs. Puisles soldatsadoraientencommun
l’aigleet les signaque
Tacite appellepropria legionumnumina
, et ils ren- daientun
culteàla Discipline,au
Genius loti,aux
Géniesdu camp
et de ses parties principales, au Génie de l’armée et àceux
dechacune
de ses divisions etsubdivisions.Les
divinitésdu panthéon romain
étaientattachéesau
sol;c’estpourquoiles soldats ne pouvaient adorerque
les dieuxque
nousvenons
d’énumérer et qui étaient mobilescomme
les camps. Sidansle
camp permanent
deLambèse,
on voit honorer des dieux romains, telsque Mars
et Minerve, il s’agitprobablement
de dévotions particulières.Ce
culte officiel avait ses aruspices et ses victimairespour
en assurerla régularité.A
côté delui,chaque
officier,chaque
soldat, ou
chaque groupe
pouvaitavoir sesdévotions privées, soitpour
les dieuxpurement
romains, soitpour
les divinités orientales, de Syrie et d’Egypte, qui envahissaientl’Empire, soitpour
les dieux de leur patrie d’origine, qu’ils avaient appris tout jeunes à vénérer, soitpour
les divinités locales1 Notons unehypothèse deM. Cagnat surles evocati,dont les fonctions n’ontpas encoreétébiendéfinies(Cf.Ephem., I,p.44sq.). Il leur attribue l’officeréservé plus tard au subscribendarius,qui visait lesbons de vivres rédigéspar lescomptables(actuarii), et y ajoutait un bon de fourniture, aprèss’êtreassuréquela réquisition n’était pas supérieure au règlement (pp. 892 sqq.) Voyezaussil’article de M. Cagnat sur les evocati dans le Dict. de Daremberg; II, p. 866-868.
l’armée
romaine
d’afrique. 11ouafricaines
du
voisinage, dont ils entendaient chaque jour vanter la puissance.En
résumé,Ton
trouve danslesarmées
d’Afriqueun
double culte : celui des dieux militaires, prescritparles règlements, et lesdévotions privées des officiersetdessoldats.M. Cagnat
à réuni denombreux documents
quile prouvent.Comment
utilisait-on les soldats entemps
de paix etcom- ment
était réglée leur existence journalière? Tel est l’objetdu
chapitreIV
(pp.427-438).On
lessoumettait àdes exercices militaires de différentes sortes et on les employait à toutes espèces de travaux, à des constructions surtout : établisse- ment,réparation etentretiendu
camp, qu’ils ornèrent d’édi- fices, qu’ils fournirent d’eau et qu’ils relièrentaux
villes voisines pardes voiesdallées, enfin décoration de la ville deLambèse,
qu’ils ornèrent demonuments
divers.Le
sol deLambèse
est encore jonché de briques et de tuiles portant l’estampille dela IIIe légionAuguste, dontM. Cagnat
repro- duit des spécimens.Toute
laNumidie
porte des tracesde ses travaux : elle bâtit les fortins du limes, elle construisit des routes, etc., etc.Les
autres corps d’armée de l’Afrique emploientleursloisirsde lamême
façon;ladiscipline romaine faisaitaux
troupesune
existence de travail qui lestenait en haleine. Toutefois la vie militaire s’adoucit sous l’Empire;les soldats ne couchaient plus sur la terre; ils emportaient des lits pliants et se faisaient suivre d’esclaves qui exécu- taientlescorvées pénibles.
Une
étude complète sur le droit militairechez lesRomains
estencore à faire.Au
chapitreY
(p.439-457),M. Cagnat
se borne àétudier le sort que l’Etatfaisaitaux
soldats sous lerapport
du
mariage.Voicilesconclusionsauxquelles ilarrive, après avoir discuté les travaux deWilmanns
etceux
deMM. Mommsen
et Mispoulet :1°
Les
officiers supérieurs,surtout le légat légionnaire et le procurateur, quine passaient pas toute leur vie àl’armée, pouvaient se marier,même
pendant la durée de leurcom- mandement.
Sous l’Empire, leurfemmes
pouvaient s’établir dansle voisinagedu
camp,etilspouvaienthabiter avecelles autant que le service le permettait.2°
Les
légionnaires sont citoyens romains, mais la viemilitaire s’oppose à ce qu’ils se marient légalement. C’est pourquoi Claude les
exempta
des déchéances qui frappaient le célibat.3°
Leurs femmes
nepeuvent
êtreque
desconcubines,malgré
le
nom
d’uxor qu’ils leurdonnent
dans les inscriptions etmalgré
quelques textesdu
Digeste, qu’on a souventmal
compris.Leurs
enfants sont illégitimes.Les
soldats ne pou- vaientamener
leursfemmes
dans lecamp,
ni habiter avec elles au-dehors. Ilsne pouvaientcompter que
surla tolérance deschefs.4°
Septime
Sévère permitaux
légionnaires d’habiter avec leursfemmes
horsdu camp
(yvvcaÇî cvvoixsïv), à
Lambèse,
qui s’agranditdèslorsrapidement
etdevint,dixans aprèsl’avène-ment
de ce prince,un
municipe.Mais
leurmariage
resta irrégulier; leursfilsne devenaient citoyensqu’en entrant dans lalégion.Dès
lors la vie des soldats devintune
viedefamille, et cette réforme portaun coup
funeste à la discipline.M. Cagnat admet que
plus tard la loi autorisamême
lessoldats à contracter
un mariage
légitime.5°
Les
auxiliaires étaient pérégrins et ne pouvaient se marierque
ex jure gentium; mais avec Yhonesta missio1, ilsrecevaient la civitas et le conubium. Naturellement ils ne pouvaient pas cohabiter avec leurs
femmes;
mais il est pro- bable qu’ilsbénéficièrent,eux
aussi, dela réforme de Sévère.Pour
attacher les soldats à leur métier, l’Etatneseborna
pas à adoucir la discipline, il voulut assurer leur avenir en créant des caisses d’épargnepour
les simples soldats, et en permettant les collèges de sous-officiers (chap. VI, pp. 457-477).A
l’expirationdeleur service, lessoldatsavaientdroitàune
retraite qui s’élevait à 12000 sestercespour
les légionnaires.Pour ceux
qui étaient obligés de quitter le service avant le terme, ily
avait des institutionsspéciales de prévoyance, à savoirdeux
caisses d’épargne. L’une était gardée par les signiferi etalimentée parles retenues opéréessurlesdonativa distribués sifréquemment
par lesempereurs
: ces retenuesi Le nouveau diplômemilitaire de Cherche!est reproduit àlapage266.
l’armée
romaine
d’afrique. 13formaient à lalongue
un
capital qu’on remettait tout entieraux
soldats,quand
ils quittaient le service avant leterme, et qui passaitàleurshéritiers encas de décès. C’était une sorte de caisse de retraite qui obligeait lesmilitaires à l’économie et les attachait à leur corps.Une
seconde caisse, alimentée par les cotisations des légionnaires, servait à procurer une sépultureaux
soldats morts à l’armée. C’estVégèce
qui nous renseigne sur cette double institution.Pour
les sous-officiers, l’épigraphie est notre seul guide;depuis SeptimeSévère, ils forment descollèges, ce qui resta défendu
aux
simplessoldats.M. Cagnat
1 dresseune listedes collègesmilitairesqu’on rencontre danstout l’Empire romain.Leur
naissance fut probablement une suite des réformes de Sévère, qui leur permitaussi de sebâtir dessalles de réunion (scholae) dans lecamp devenu
trop grand, depuis que les soldats mariés pouvaient habiter àLambèse. On
a retrouvé1 II enénumère 24, mais plusieurs sontfort douteux;c’est lecaspour ceux des provinces du Danube : dans toutes ces inscriptions le mot conlegapeuts’entendre toutsimplementd’un soldatdu
même
grade,comme M.Mommsen
le faitobserverdans le C. I. L. III 845: collegae mihi sunt condecurioneSjnam
collegia castrensium privata voluntate constituta leges militaresprohibebant.Cependantlaraison alléguéeparM.Mommsen
dispa- raîtà partir deSeptimeSévère, qui permetlescollèges desous-officiers.—
Page 465,M. Cagnat cite descaligatià
Rome
; maisils’agitd’une inscrip- tiond’Ostie et caligatidésignelaplebsducollegiumfabrumtignuariorum.
VoyezC.I.L.
XIV
128(=
VI1116) et note.XIV
160.174. Fiorelli, Notizie degliScavi,1880, p. 472.
—
Page 468, lecoll.armatura(rum)leg.Iladj.estd’AquincumenPannonie inférieure, etnond’Espagne.Voy. Ephem.(et
non Corpus) II 687. Autres erreurs: à la page 464,note7, il faut lire:
C.I.L.III5976; àlapage193, n.1,ilfaut:Mysie;àlapage489,n.2,len°
estoublié.
—
Page463,lesnosduC.I.L. VII 1035.1039 sontdédiésparun tribun de cohorte.—
Page466,M. Cagnat place la scola protectorum en ItalieetrenvoieauC. I. L. III37; il s’agit d’une inscription de Cyzique(III371).
—
Enfinon peutajouter à saliste:C.I.L.VII\colle]gium fabror., dontM. Hübnerditen noteifortassemere militareerat. C.1.L.VIII10717, à Vazanis, en Numidie:scolabf. cons. (Cf. ib.,10716). Notizie degli scavi,1890, p.172, à Concordia:scola fab(ricae) sag(ittariae). C.I. L.
X
3344:schola armatur(arum)7 à Misenum. Ibid. 3479 : factio artificum (de la flotte?). Brambach, C. J.Rh. 692 : bajolietvexillaricollegio Victorien- sium signiferorumGeniumde suofecerunt7 à Cologne.Cf. 693. Peut-être, ibid.1738:aeneatorescoh.Ileg. etRaur.equitatae7à Steinbach.
ces scholae entre le praetorium et la porte méridionale; ce sont des rectangles dont
un
côté est arrondi en abside, et sur ce côté sont gravés les statuts de ces collèges.Grâce
à ces inscriptions,nous pouvons
nous faireune
idée exacte de leurbutet de leur organisation.M. Cagnat
retrouve avec raison dans ces règlements des collèges de sous-officiers le double but desdeux
caisses de légionnaires : assurer la sépulture et créerune
réserve destinée à pourvoir à cer- taines dépenses qu’occasionnela vie militaire.A
son entréeau
collège, le sous-officier doit verser entre lesmains du
trésorierune somme,
appeléescamnarium
,parcequ’elledonne
le droit de s’asseoir sur les bancs de la scliola; il est pro- bable qu’il n’en paie de suite qu’une partie et
que
le reste est réparti surune
série de cotisations.Ce
droit d’entrée étaitde 750 deniers (815 fr.) chez les cornicines. Si l’associé mourait, ses héritiers touchaientune prime
(500 deniers, 544 fr.), destinée à pourvoir à ses funérailles; s’ilsortaitdu
collègepour monter en
grade oupour
quitter le service \ l’associé recevaitlui-même
laprime
destinée à assurer sa sépulture et pouvait entrer dansun
autre collège de sous- officiersou
de vétérans.M.
Boissier avait deviné ce carac- tère funéraire,généralement
inaperçu : “Yanularium
(ou prime), dit-il, c’est le funeraticium 2payé
d’avance à quelqu’un qui ne peut l’attendre sur place „.Mais
les sous- officiers avaientprévu
d’autres dépenses : les cornicines payaient 200 deniers (217 fr.),pour
frais de déplacement, àceux
qui devaient passer lamer pour changer
de corps; les optiones,plus riches, payaient8000 sesterces (2175 fr.)àceux
qui allaient àRome pour
travailler à leuravancement. De même que
les caisses de simples soldats, les collègesde sous- officiers pourvoyaient donc àdeux
sortes de dépenses. Ils différaient des collèges funéraires de pauvres gens, sinom- breux
dans tout l’Empire, endeux
points : laprime
funéraire1 Celui qui estdégradé ourenvoyénereçoitque250deniers.
2
On
appelle ainsi lasomme
que lescollèges funéraires, répandus dans lemenu peuple,payaient aux parents des membres défunts pour couvrir les frais d’enterrement.l’armée
romaine
d’afrique. 15était
payée même
siTon
devait quitter le collège avant la mort, et il étaitpourvu
à des dépenses d’autres sortes, qu’entraînait la vie militaire.Comme
dans tous les collègesdu monde
romain, le surplus que pouvait contenir la caisse étaitconsacré au plaisirdesassociés, peut-être aussi au cultedu
dieu protecteur; en effet,comme
toutes les corporationsdu monde
romain,les collègesmilitaires avaientun
caractère religieux, ce queM. Cagnat
oublie de dire4.Dans
le dernier chapitre de ce livre,M. Cagnat
suit le soldatdans sa retraite et sedemande
quel sort étaitfaitaux
vétérans(chap. VII, pp. 478-491).Durant
toutlepremier siècle, onvoit lesempereurs
établir des colonies de vétérans en Afrique, surtoutaux
frontières et dans les contrées insoumises, mais aussi à l’intérieurdu pays
conquis: ils devaientgarder leterritoireou le civiliser.Depuis Nerva, l’initiativeimpériale cesse, mais les vétérans d’Afrique continuentàs’établirdans lepays, surtout dansles localités voisines des
camps
et des forts; ils contribuent à transformer d’humbles bourgades en centres importants et àla longue enmunicipes. Il est certain que,dèsle IIIesiècle, peut-être dès le IIe, l’Etat leur fournissait deschamps
à cultiversur leterritoire militaire qui entourait lescamps
et l’argent nécessaire pour acheter des instruments aratoires :illesengageaitainsi àrester
aux
frontières,où
ils pouvaient aider les troupes actives. Ils jouissaient de privilèges et ilsétaientconsidérés; on les voit souventarriver
aux
honneurs municipaux.Ils se rapprochaient aussi entre
eux
sans distinction de gradeet formaientdes collèges funéraires placéssous l’invo- cation d’un dieu.Nous
avonsvu
qu’en quittant l’armée, ilsrecevaient
une
retraite suffisante pour vivre et unesomme
destinée à leur procurer une sépulture; ils versaient sans doutecette
somme
dansla caisse de leurnouveau
collège et continuaient ainsil’assurance contractée dansla légion.Toute
autre association leur était interdite,demême
qu’aux autres citoyens, sauf autorisation spéciale pour chaque collège.i Voy. C.I.L.VII11. 1035. 1039. VIII 2554.Lesdédicacesqu’ils fontà des divinitéssontnombreuses:Ephem.II687. IV503.CIL.VIII,2636,etc.
M. Cagnat montre
des traces de ces collèges de vétérans sur divers points de l’Afrique.Pour résumer
tout ce second livre, nous nepouvons mieux
faire que de transcrireici la conclusion del’auteur. u
La
con- ditiondu
soldatromain
d’Afriqueau
IIe etau
IIIe siècle était bien différente de celle qui était faiteaux
légionnaires de la république. Ceux-ci étaientdes étrangers qu’onamenait
sur le solafricainpour un
temps, qu’ony
laissaitlemoins
possible et qui le quittaient dèsque
la victoire était complète; ils n’avaientavec les habitants de la provinceque
des rapports de vainqueurs à vaincus.Les
choses ne changèrent pas sen- siblement sousAuguste
et sous ses successeurs immédiats :malgré
l’établissementde troupes permanentes, l’armée resta encore à cetteépoque
étrangèreau
pays;ce futtoujoursune armée
conquérante.Cependant
l’élément indigènecommença
ày
pénétrerpeu
à peu; par là se préparait lechangement
qui se produisitau
débutdu
IIe siècle.Hadrien
rend à cemoment
l’Afriqueàelle-même.Désormais,lesAfricainsveille- ront seuls à la tranquillité deleur patrie.Cette transformation enentraîne plusieurs autres.Recrutés sur place, nourris et entretenus par la province, vivant
au
milieu de leurs dieux et de leurs parents, ilsne
tardent pas àdésirerdavantage.On
leuraccordesuccessivementlapermis- sion de se créerune
famille, celle de passerau
milieud’elle lesheuresque
leservice ne réclamepas, celle de former des sociétés de plaisir et de secours mutuel; ainsi se relâchentpeu
àpeu
tous les liens de l’antiquediscipline.On va même
jusqu’à leur
donner
des terres à la sortiedu
service et lesmoyens
de les cultiver.Par
là, l’armée perdabsolument
son caractère d’autrefois: ellen’est plus qu’unemilice provinciale soldée par l’Etat.“ Il
y
a, entre lestroupes deMarius
et le corps d’occupa- tion d’Afriqueau
IIIe siècle, toute la différence qui sépare l’Afriquenumide
deJugurtha
de la province romanisée et florissante des Sévères. „ (p. 490-491);
l’armée
romaine
d’afrique. 17Le
livre III de cetimportant ouvrage traite de l’occupation territorialede l’Afriquejusqu’à Dioclétien.M. Cagnat examine
successivement lescamps permanents
établisàl’intérieurdu
pays, lespostesdont les frontières étaient garniesetenfin le limeset lesystème de défense.Pour
biencomprendre
cette description détaillée etminu-
tieuse,il est utile et
même
indispensable d’avoirsouslesyeux
les excellentescartes, les plans et lesgravures dont l’ouvrage est
amplement
pourvu.A
première vue, il est difficile de découvriraucun
ordre dans la répartition descamps
etdes postes sur toute l’étendue du pays; mais Fauteur, en mettant soigneusement à profit les textes anciens et lesnombreux documents
épigraphiques et archéologiques dont leNord
de l’Afrique est couvert, apu
reconstituer presque en entier le plan suivi parlesRomains
dans laconquête, et leurtactique dansl’occupationde touslespoints stratégiques.La
première partie de ce livre (pp. 497-548) estconsacréeaux
établissements militaires de l’intérieur; lecamp
central de l’armée deNumidie, c’est-à-dire de la legioIII
Augusta, fut d’abord établi à Theveste (Tébessa), puis transporté à l’ouest, à Mascula, et enfin, sous Trajan, àLambèse
où ildemeura
fixé pendanttout l’empire.M. Cagnat
étudie lecamp
decette dernière villed’unefaçontrèsapprofondie;ilmontre
que dans ses grandes lignes, ilavait été construit d’aprèsles principesde la castramétation, quinous sont connus parles auteurs; il décrit lesmurs
flanqués de bastions, les quatre portes, lesdeux
grandes voies qui, se coupant à angledroit, joignaient ces portes entre elles, le magnifique praetorium dontilreste encore des ruines considérables,enfin les autres édifices ducamp
tels que le quaestorium (?),lesthermes
avec leurssalles nombreuses; les scolae où se réunissaientles col- lèges militaires, les celliers souterrains ou magasins poul- ies vivres, et quelques autres bâtiments dont la destina- tion est encore inconnue; on n’a retrouvé jusqu’à présent ni les sanctuaires, ni l’hôpital militaire, ni l’arsenal, ni letabularium principis, mentionnés dans les inscriptions; dans
le
camp même
on n’a pas découvert de puits, mais on sait que l’eau étaitamenée
desmontagnes
voisines par des conduits souterrains ou des aqueducs.Toute
cettedescription18 l’armée
romaine
d’afrique.présente
un
vifintérêt: elle nousdonne une
idée parfaite d’un decescamps permanents
qui semblaientconstruitspour
durer toujours etpour
garder à jamais les provinces romaines; elle estillustrée par denombreux
plansetpar debelles gravures.L’armée
deMaurétanie
Césarienne campait à Caesarea (Cherchel), lieu de résidencedu
procurateur.En Maurétanie
Tingitane, c’étaitTanger
qui formait lecentre de l’occupation militaire; c’est
du moins
ceque
nouspouvons
conclure des raresdocuments que nous
possédons sur cette province.Dans
la seconde partie (pp. 540-670),M. Cagnat
se livre à *un
travail consciencieux qui apour
but de déterminerquels furentles différents postes établis sur les frontières;et cette étudefournitàla géographie de l’Afriqueromaine une
foule de détailsnouveaux;
nousne pouvons
indiquerque
les prin- cipaux. C’était la frontière deNumidie
qui avaitle plusgrand
développement, et qui, par conséquent, exigeait lestroupes et les garnisons les plus considérables. Suivant les époques, elle subit des variations inévitables,mais
la ligne qu’elleoccupa au
IIe siècle resta lalimite officielle de l’Empire.En
Tripolitaine, ellepartait, àl’Est, de
Y Ara
Pliïlenorum(Mouk-
tar), longeait la
mer
jusqu’à LeptisMagna
puis la quittaitpour gagner Augemmi
(Ksar-Koutin) etenfin le Chott-Djérid à Telmin.Au commencement du
IIIe siècle,on
établitmême
des postes
au
delàdecette ligne dans les oasis deGhadamès,
à Gharia-el-Garbia et àBondjem.
La
limite del’Afriquepropre avait son point de départau
Chott-Djérid,etdelà s’avançaitversl’occidenten rencontrant les postes de Spéculum,Ad
Majores (Besseriani), Thabudeos (Thouda) et Bescera (Biskra),destinés tous à garderles pas- sages qui auraientpu donner aux ennemis du Sud
accès dans cette province. Enfinhuitétablissements militaires assuraient cette routede Biskra àLambèse,
qui,par sa position entre le pâtémontagneux
de l’Aurès etceluidu
Zab, a toujours euune
réelleimportance stratégique.Zarai
(Zraïa) étaitle point terminus dela frontièreméridionaleau
IIesiècle; iln’en avait cependant pas toujours été ainsi;une
centaine d’années aupa- ravant, la limite partait de Thevestepour
aboutir, par Gafsa, à Gabès; a l’occident, ellelongeait le pied septentrional del'armée
romaine
d'afrique. 19l'Aurès, où se trouvaient
notamment
les places de Masculcc (Khenchela)et deThamugadi
(Timgad).De
la sorte, ily
eut bientôtdeux
lignesconcentriquesdepostes danscette région: l'une établie auSud
de l'Aurèscontreles pillards du désert, l'autreauNord
destinéeàsurveiller les indigènesde lamon-
tagne; ellesfurent reliées l’une à l’autreparl'établissement, dans les hauteurs de l’Aurès,de fortins
nombreux
dont on a retrouvé des ruines à Ubazza, El Ausel, etc. Ainsiappuyés
vers le Nord, lesRomains
purent, au IIIe siècle, envoyerdes détachements et construiredes routesfortifiéesdans larégion des Chotts etdel'Oued-Djedi,où l’ona découvert en effetdes traces de leurconquête. Tels étaient les postes défensifs que devait garder l'armée de Numidie; satâche n’étaitpas facile:“ elle suppose, dit
M.
Cagnat, une puissante organisation militaire,maiselleindique aussiquelepaysétait trèssérieuse-ment
pacifié. „La
situation faiteaux
troupes de Maurétanie Césarienne était toute différente, à raisonmême
de la configurationdu
pays* Qu'on veuille bien jeter lesyeux
sur une carte de cette province : on verra qu’auNord
ily
avait une grande‘étendue de côtes qu’il fallait défendre contre les incursions despirates, qu'au Midi on devait
empêcher
les peupladesdu Sahara
de piller la contrée, et qu’au centre il était de toute nécessité de rendre impossibles les soulèvements desmon-
tagnards par l'occupation des massifs des Biban, des Babor,du
Djurjura,du
Dahra, de l’Ouarsenis,du
Tessala et de laGrande
Kabylie : “De
là, ditM.
Cagnat, trois grandeslignes d’occupationmilitaire, l'une suivant la côte, l’autre longeant la crête septentrionale desHauts
Plateaux, latroisièmecou- rant parallèlement àla mer. „La
voie militaire centrale était la plus importante; ellecommençait
àZarai
,surlafrontièreoccidentaledelaNumidie
et se dirigeait vers l'Ouest en s'appuyant sur les postes, fortifiés de Sétif,
Tamannuna
} CastellumMedianum
(Bordj- Medjana), etc.; puis elle gagnait la vallée de l'Oued-Chéliff sur lesbords duquels’élevaient lesplaces de Tigava Castraet de Castellum Tingitii;
elle rencontrait ensuite, ens'abaissant vers le sud,
Pomarium
(Tlemsen) et enfin LallaMaghnia, sur les bords de la Mouila.20 l’armée
romaine
d’afrique.M. Cagnat
attribue cette voie à l’empereur Hadrien; celle qui longeaitles côtes fut établie lapremière; quant àla troi- sième,elledevait sonorigineàSeptime
Sévère et son completachèvement aux empereurs du
IIIe siècle.M. Cagnat
estparvenu
à rétablir le tracé de ces dernières et la série des postes qui les défendaient, en étudiantséparément chacun
des massifs de laMaurétanie
dont l’occupation eutcomme
conséquence, soit le maintien de la voie maritime, soit la construction d’une troisième voie à l’entrée
du
désert.La Région montagneuse
desBiban
etdesBabor
futentourée d’unvéritable cercle de points fortifiés :au Sud
nous avons déjà cité Sétif,Tamannuna
; à l’Eston trouvaitTucca
lelong delacôte, Castellum Victoriae;etàl’ouest, Tupusuctu(Tiklat).
Le
massif de laGrande
Kabylie etdu
Djurjura,situéau Nord-Ouest du
précédent, étaitégalement
gardé parune
ceinture depostes; en outre,icicomme
partout ailleurs dans lesmêmes
circonstances, lesRomains
ne négligèrent pas d’occuper les voies par lesquelles on pouvait pénétrer dans cesmontagnes
: ilsy
établirent plusieursfortins,notamment
danslavalléedu Sebaou
qu’ils relièrent avecla côte, etdans la région septentrionaledu
Djurjura, quinéanmoins
resta toujours rebelle à la civilisation des conquérants.Le
Dahra, qui s’étendà l’Ouestde la villemoderne
d’Alger et qui est resserré entre lamer
et le C-héliff, avaitcomme
ceinture militaire vers le
Sud
lesnombreux
postes déjà signalésprécédemment
dans la vallée de cette rivière;au Nord
existait lagrande
voie de la côte partant deQuiza
et passant par .Caesarea (Cherchel)pour
aboutir à Tipasa.Le
massifdu
Tessala était contournéau Nord
par lavoiedu
littoral, et à l’occidentpar une
autre qui s’appuyait sur quelques stationsnon
sans importance.Quant
àl’Ouarsénis, situé entre laligne militairedu
Chéliff et larégion desHauts
Plateaux, il était couvert, ducôtédu
Sud, principalementparlespostesde Saïdaetde Aïn-Teukria, et l’intérieur enétaitoccupétrès solidement. Signalonsencore lesvoies stratégiques qui reliaient à cetensemble
fortifié les centres romainsétablisau
Sud.Pour
ce qui regarde l’occupation de laMaurétanie
Tingi- tane,M. Cagnat
doit la plupartde sesdocuments aux
explo-l’armée
romaine
d’afrique. 21rations de
M.
H. de la Martinière;ilrésulte de celles-ci que ce n’était pas seulement la partie occidentale du pays que lesRomains
s’étaient soumise parun
limes s’étendant de Sala (Rabat-Sla) à Tingis (Tanger), mais que le long de la frontière de Maurétanie il existaitprobablement aussi touteune
série de postes s’étendant jusqu’à Fez.^
Dans
ladernière partiedu
livre III(pp. 671-700) est traitée l’importante question de l’occupationdu
limes et du système\ défensif.
Malheureusement
les explorateurs n’ont pas assez^ examiné
le pays à ce point de vue, pour qu’on puisse avec certitude déterminer le tracéet la composition matérielledu
limes;
toutefois ilestpermisd’affirmer qu’en Afrique,
comme
dans•les autres provinces, on mitàprofit lesfrontières natu- relles consistant ici dans la série des grands Cliotts ou lacs etdes rivièresquis’y déversent; quant au système depostes fortifiés établissur les limes, on peut s’en faire une idéeplus exacte: en Tripolitaine eten
Numidie
ilse composait soit de turres; soit de castella et de burgi
,
toujours soigneusement alimentés d’eau potable; la nature
montagneuse
desMauréta- nies exigeaitun nombre
plus considérable encore d’enceintes fortifiées(villes, placesoufermes)lelong des voiesmilitaires, sanscompter
les castella, lesburgiservant delieuxde garnison et les turresqui constituaientun
vastesystèmetélégraphique.On
distingue, parmi lesnombreuses
voies stratégiques qui sillonnaient l’Afrique, les grand’routes et les chemins mili- taires. Il est probable que les unes et les autres ont été construits par les soldats; on n’en a toutefois de preuves certaines que pour une quinzaine environ.Ce
chapitre se termine parun
tableau très complet de toutes les routes qui concouraient à la défense des provinces africaines, et des principales stations militaires qu’elles traversaient.4 Le
livreIV
estuniquement
consacré àl’occupationmilitaire# del’AfriquesousDioclétien(pp. 701-768).
On
saitque le règne* de ceprince vit s’opérerdes modifications considérables,
non
%
seulement dans la constitution de l’Empire et dans l’admi- nistration provinciale, mais encore dans l’organisation de l’armée.Pour
la période quiva commencer, M. Cagnat
suit le plan qu’il avait adopté pourles troispremiers siècles de l’Empire;il étudie successivement le rôle réservé
au commandant
en chef des troupes, la situation de l’armée d’occupation divisée alors enarmée
mobile et enarmée
sédentaire des frontières, enfinl’état et la défensedu
limesfortifié.Dans
sa conclusion, l’auteurexamine
d’unemanière
géné- ralecomment Rome
a compris les devoirsque
lui avaient imposés ladestructiondeCarthage
et laconquête lente, mais incessante,du
sol africain.Ce
n’est guèrequ’à partir de César etd’Augustequ’ellele coloniseméthodiquement
et s’efforcede legagner
àsa civilisation; ellesembleavoir réussipleinement;mais
en réalité,malgré une
domination de cinq siècles, les Berbères ont su conserver presque intacts, surtout dans les montagnes, leursmœurs,
leur culte etmême
leur langue.M.
Cagnat,.comparant
ceque
laFrance
afait en Algérieaux
résultats de la conquête romaine, termine ce livre, dédié à l’armée française d’Algérie etdeTunisie, parces patriotiques paroles(p. 778) : “Nous pouvons
donc sans crainte, etmalgré
„ des fautes
nombreuses
qu’il ne sert à rien de cacher,com-
„ parer notre occupation de l’Algérie à celle des provinces
„ africainesparles
Romains; comme
eux,nous avons
conquis„ glorieusement le pays;
comme
eux,nous
enavons
assuré„ l’occupation;
comme
eux, nous essayons dele transformer„ à notre
image
et de legagner
à la civilisation.La
seule„ différence c’est
que
nousavons
fait en cinquante ans plus„ qu’ils n’avaient accomplien trois siècles.
Que
lemérite en„ revienne à l’époque
où nous
vivons, à notre fortune ou à„ nosqualités, tout l’avantage est,
pour
lemoment,
de notre„ côte. „