Géographie et cultures
72 | 2009
Espaces et normes sociales
Michel Lussault, De la lutte des classes à la lutte des places
Vincent Banos
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/gc/2269 DOI : 10.4000/gc.2269
ISSN : 2267-6759 Éditeur
L’Harmattan Édition imprimée
Date de publication : 1 novembre 2009 Pagination : 137-138
ISBN : 978-2-296-10357-3 ISSN : 1165-0354 Référence électronique
Vincent Banos, « Michel Lussault, De la lutte des classes à la lutte des places », Géographie et cultures [En ligne], 72 | 2009, mis en ligne le 22 mai 2013, consulté le 22 mars 2021. URL : http://
journals.openedition.org/gc/2269 ; DOI : https://doi.org/10.4000/gc.2269 Ce document a été généré automatiquement le 22 mars 2021.
Michel Lussault, De la lutte des classes à la lutte des places
Vincent Banos
RÉFÉRENCE
Michel Lussault, De la lutte des classes à la lutte des places, Paris, Grasset, 2009, 221 p.
1 Avec De la lutte des classes à la lutte des places, M. Lussault convie le lecteur à explorer les ressorts spatiaux de nos actions et interactions quotidiennes. Si l’auteur reprend en partie la démarche engagée dans son précédent ouvrage, l’Homme spatial, l’alchimie entre des études de cas finement analysés, et de stimulantes réflexions théoriques donnent à cet opus l’aspect d’un « roman vrai » aux indéniables vertus pédagogiques, et ce alors même que le projet intellectuel proposé est particulièrement ambitieux. En effet, il s’agit de démontrer qu’un détour par les « épreuves spatiales » (p. 10) auxquelles nous sommes, à chaque instant, confrontés constitue un moyen pertinent pour aborder la problématique essentielle de la régulation politique des sociétés, définie en l’occurrence et en référence à H. Arendt comme « un travail permanent de définition et d’application des normes de qualification et de gestion de ’l’espace qui est entre les hommes’ » (p. 36). Dans le premier des trois chapitres qui composent cet ouvrage, l’auteur dévoile son univers théorique, celui à partir duquel il appréhende la dimension spatiale de la société sous l’angle d’« une série d’actions qui ajoute un état au monde préexistant » (p. 44). Les péripéties de la gestion du loup en Isère et les stratégies de l’association Don- Quichotte en faveur des sans-domicile-fixe viennent illustrer la justesse de cette boîte à outils où les compétences de chaque opérateur sont déclinées en métrique, placement-arrangement, échelle, découpage-délimitation et franchissement. Avec le chapitre 2, « placer/déplacer ou la lutte des places », les réflexions initiales laissent place à une plongée au coeur de la mécanique des corps et des tensions qu’elle révèle entre la position sociale d’un individu, les normes d’usages de l’espace et l’emplacement choisi ou subi. Ainsi, d’un vieil homme immobile en Inde à
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l’ombre d’un arbre en Louisiane en passant par l’expérience d’un voyage en TGV, M.
Lussault prouve que le fait de « prendre place », exercice en apparence banal et anodin, constitue en réalité un arrangement social et spatial permanent. Dans des sociétés contemporaines marquées par la prégnance de l’individualité et la prolifération des références culturelles, les stratégies d’accès à la bonne place constitueraient donc un prisme essentiel pour appréhender le jeu social. Et ce d’autant plus que l’auteur nous prévient qu’il s’agit là d’« un régime pseudo-libéral des places » (p. 139) puisque la multiplication des espaces du possible et la légitimation des concurrences individuelles, s’accompagnent paradoxalement de la mise en œuvre de plus en plus de règles et procédures visant à contrôler, voir interdire, le déplacement des individus. Après avoir posé que la surveillance et la traçabilité constituaient deux aspects essentiels de la machine spatiale, M. Lussault entraîne le lecteur dans « les aventures des franchissements » (p. 145). Dans ce dernier chapitre, l’auteur revisite la tension créatrice entre mobilité et séparation, enfants terribles de l’urbanisme moderne, pour nous convaincre que les plus ou moins subtiles procédures de filtrage et d’enfermement, à l’œuvre notamment dans les gated communities, les aéroports, les shoppings malls et les parcs d’attractions, reflètent moins l’existence d’un pouvoir omnipotent que la légitimation politique de nos tyranniques exigences d’intimité, de sécurité et de voyeurisme : « Si big brother existe, il se tient en chacun d’entre nous » (p. 173). Quel que soit son degré d’adhésion aux multiples affirmations présentes dans cet essai virevoltant, au final, le lecteur est effectivement persuadé que les questions de la place que nous accordons aux autres et que nous recherchons pour nous-mêmes permettent de renouveler l’analyse politique. En effet, loin de se réduire aux seules arènes institutionnelles, le travail de production collective des normes et des règles de régulation de l’activité sociale emprunte également le chemin tortueux des situations quotidiennes. Avec De la lutte des classes à la lutte des places, M. Lussault réussit donc le pari d’impulser de prometteuses pistes de recherche pour la géographie tout en livrant un ouvrage susceptible d’attiser la curiosité d’un plus large public pour les énigmes spatiales de la vie en société.
AUTEURS
VINCENT BANOS
UMR 8185 Espaces, Nature et Culture
Michel Lussault, De la lutte des classes à la lutte des places
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