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Cultures et civilisations : un essai d’interprétation géographique

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Academic year: 2022

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40 | 2001

Champs et perspectives en géographie culturelle

Cultures et civilisations : un essai d’interprétation géographique

Paul Claval

Édition électronique

URL : http://journals.openedition.org/gc/13552 DOI : 10.4000/gc.13552

ISSN : 2267-6759 Éditeur

L’Harmattan Édition imprimée

Date de publication : 1 février 2001 Pagination : 29-55

ISBN : 2-7475-1869-8 ISSN : 1165-0354 Référence électronique

Paul Claval, « Cultures et civilisations : un essai d’interprétation géographique », Géographie et cultures [En ligne], 40 | 2001, mis en ligne le 09 décembre 2020, consulté le 26 décembre 2020. URL : http://

journals.openedition.org/gc/13552 ; DOI : https://doi.org/10.4000/gc.13552 Ce document a été généré automatiquement le 26 décembre 2020.

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Cultures et civilisations : un essai d’interprétation géographique

Paul Claval

Des notions complexes et dont le sens n’a cessé d’évoluer

1 Les Allemands n’agissent pas comme les Italiens ou les Français. Ils ne partagent pas la même culture ou la même civilisation : observation banale et qui n’a rien de scientifique. Ces notions sont aussi utilisées dans la recherche ; elles risquent malheureusement d’être contaminées par le sens donné à ces mots dans la vie courante. Un exemple : lorsqu’il est aujourd’hui employé en français, le mot de civilisation sert parfois à souligner les aspects matériels de la culture, soit dans leurs aspects quotidiens (on parle alors, à la manière de Fernand Braudel, de civilisation matérielle), soit dans le domaine de l’architecture, de la sculpture et des beaux-arts. Le mot culture, dans ce contexte, s’attache surtout aux dimensions artistiques ou religieuses de la vie des groupes. Cela ne correspond pas exactement à l’usage scientifique habituel, qui réserve souvent le terme de civilisation aux formes supérieures et jugées plus intellectuelles de la culture.

2 La réflexion sur la culture s’affine au XVIIIe siècle : les peuples qui sont déjà sur la voie du progrès se distinguent des autres car ils sont civilisés. En France, le terme de civilisation s’impose pour parler des réalités culturelles d’un monde qui est déjà développé (Febvre, 1930). Lorsque l’on découvre l’intérêt des cultures populaires et que l’on commence à les analyser, au début du XIXe siècle, c’est à l’anglais que les chercheurs français empruntent le terme de folklore pour les désigner.

3 Dans les pays de langue allemande, le mot de culture a une acception plus large. Il n’est pas supplanté par celui de civilisation à la fin du XVIIIe siècle. C’est de culture, dans tous les sens du terme - ceux qui ont trait à la langue et à l’expression littéraire en particulier - que parle alors Herder. Dans le courant du XIXe siècle, les travaux relatifs à la culture s’élargissent et s’attachent aux techniques de la production quotidienne, à

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la vie domestique, à l’habitat. Comme la recherche sur les peuples exotiques a pour but de fournir aux musées ethnographiques qui se multiplient des objets à exposer, l’accent est mis sur les aspects matériels de la vie. C’est de tout cet ensemble que s’occupent les anthropologues allemands qui font du terme de culture un mot du vocabulaire savant.

Peu après 1870, le terme passe dans la pratique scientifique anglaise grâce à Tylor (Tylor, 1871) : en Grande-Bretagne et aux États-Unis, l’anthropologie qui se développe a pour objet l’étude des faits de culture (Kroeber et Kluckhohn, 1952). Les Français dont les recherches sont parallèles se disent ethnographes ou ethnologues plutôt qu’anthropologues et parlent plutôt de civilisation que de culture jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, où l’usage anglo-saxon finit par s’imposer.

4 Les certitudes changent. Les peuples de culture occidentale ne sont plus sûrs de détenir le monopole de la civilisation. Ils savent que leur domination était davantage motivée par des motifs matériels que par le souci de répandre leurs lumières auprès de populations arriérées. Le terme de civilisation s’en est trouvé quelque peu dévalué ; celui de culture a parfaitement résisté : tous les peuples ont une culture, le mot est donc plus égalitaire.

Les distributions culturelles dans la géographie : un survol

La géographie comme description de la mosaïque des peuples et des mœurs

5 La culture a toujours tenu une place importante dans les publications géographiques.

Dans le passé, les lecteurs des récits de voyage étaient friands de détails sur les mœurs des peuples exotiques. Les géographes de l’Antiquité avaient de la peine à distinguer des ensembles aux limites claires dans le monde qu’ils analysaient car ils ne disposaient pas de connaissances écologiques assez précises pour identifier les milieux - ils ne pouvaient guère opposer que plaines et montagnes, champs, prairies et forêts. En revanche l’originalité des mœurs ne leur échappait pas. La géographie se présentait pour eux comme une description des peuples ou de leurs cultures. C’était déjà le cas d’Hérodote : l’essentiel de ses Histoires est consacré à l’évocation des habitudes et des comportements étranges des peuples qui entouraient le monde hellénique (Jacob, 1991) : à la mort de leur roi, les Thraces, peuple nomade de la steppe ukrainienne, sacrifiaient ses épouses, ses serviteurs et ses chevaux pour l’accompagner dans l’Au- delà. Les prêtres dominaient la société égyptienne, etc.

La culture définie par la mise en évidence d’aires culturelles

6 L’étude géographique des faits de culture prend un nouveau visage à la fin du XIXe siècle. La jeune géographie humaine est très proche de l’anthropologie. Le volumineux Völkerkunde que publie Friedrich Ratzel fait de lui un grand anthropologue (Ratzel, 1885-1888). Vidal de la Blache signale ce que la fréquentation des musées ethnographiques lui a appris sur la géographie des peuples primitifs (Vidal de la Blache, 1922). Les aspects productifs de la vie des gens ordinaires, éleveurs, paysans ou artisans sont finement analysés, les outillages qu’ils emploient sont décrits. Les marques que ces activités impriment sur les paysages sont au cœur de la recherche.

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7 Cette géographie culturelle nous paraît cependant fondamentalement incomplète : Vidal de la Blache dresse le Tableau de la géographie de la France sans parler de la diversité des dialectes et des langues qui y sont alors parlées, ni sans mentionner l’empreinte du protestantisme dans certaines régions (Vidal de la Blache, 1903). La culture des géographes ne fait pas de place aux représentations car la discipline qu’ils pratiquent est conçue comme une science naturelle (Claval, 2001), La culture n’est donc pas une donnée qui s’impose à l’évidence à l’observateur : elle est construite par le chercheur qui analyse les outillages, les techniques, les systèmes agraires, et cartographie leurs distributions. La culture entre dans la géographie moderne à travers la notion "d’aire culturelle". Celle-ci tient une grande place dans les travaux anthropologiques : l’habitude s’est prise de cartographier la répartition des artefacts recueillis sur le terrain. Lorsque les limites obtenues pour de nombreux objets coïncident, les gens qui les habitent partagent un même patrimoine technique : on peut dire qu’ils appartiennent à la même culture (Baumann, Westermann, 1967). Dans la pratique de la géographie française de la première moitié du siècle, les notions de culture et de genre de vie se superposent souvent.

La culture comme réalité qui s’impose d’emblée à l’observateur : Sauer et Gourou

8 La vision de la culture que propose l’école de Sauer est plus riche que celle élaborée en France. Elle met par exemple l’accent sur la présence, dans les paysages, d’associations symbiotiques qui signalent l’action de l’homme. Elle est aussi prudente que les écoles européennes dans le domaine des représentations. Elle introduit en revanche une idée nouvelle : celle de la culture comme donnée sociale qui s’impose aux gens de l’extérieur et possède ainsi une réalité intrinsèque. Pour Sauer, qui travaille dans le milieu nord- américain, chaque groupe ethnique, qu’il soit amérindien ou originaire d’Europe, organise ses rapports à l’espace d’une manière originale (Sauer, 1963). Les géographes prennent acte de la répartition des peuples ou des groupes ethniques à la surface de la terre. Ils s’attachent alors à la manière dont chaque groupe secrète des paysages et des formes d’organisation de l’espace qui lui sont propres.

9 L’école de Berkeley ne renonce pas pour autant à la cartographie des aires culturelles : elle lui permet de retracer la diffusion des innovations et d’établir les liens de filiations qui se créent ainsi entre les ensembles culturels auxquels elle consacre l’essentiel de ses analyses.

10 Pierre Gourou enrichit la gamme des traits retenus comme pertinents par l’enquête géographique en y incluant les techniques d’encadrement social, dont il a compris l’importance dans le delta du Fleuve rouge, au Tonkin, lors de la préparation de sa thèse (Gourou, 1936). La géographie qu’il écrit donne un rôle central aux cultures. Elle appartient par cela à la même famille que celle élaborée à la même époque par l’école de Berkeley. Elle en diffère par le rôle plus réduit qu’elle accorde aux techniques matérielles (qu’elle n’ignore pas, mais qui ne sont pas seules en cause) et aux techniques sociales (qui donnent réellement aux groupes les moyens de maîtriser et d’organiser l’espace).

11 La Terre et l’homme en Extrême-Orient puis les grands ouvrages de synthèse régionale que Gourou consacre successivement à l’Asie ou à l’Afrique familiarisent le public français avec ces perspectives (Gourou, 1940 ; 1953 ; 1970).

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Fernand Braudel, la longue durée et la grammaire des civilisations

12 Braudel a plusieurs raisons de s’intéresser aux cultures. Il est très proche de Pierre Gourou, son collègue au Collège de France, et apprécie les travaux que celui-ci a consacrés au rôle des cultures dans le façonnement des pays de l’Asie du Sud-Est ou de l’Afrique au Sud du Sahara. Il a saisi, lors de la préparation de sa thèse, la remarquable stabilité qu’offrent les milieux méditerranéens de la préhistoire à l’époque contemporaine. À quoi l’attribuer ? À la lenteur avec laquelle évoluent les techniques qui permettent aux groupes de mettre en valeur collines, montagnes, piedmonts, côtes découpées, plaines paludéennes et littoraux sablonneux.

13 Lorsqu’il met au point, au cours des années 1930 et 1940, les hypothèses sur lesquelles reposent les interprétations originales de l’histoire qu’il propose à partir de la publication de La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, la réflexion sur le temps et celle sur l’espace se trouvent étroitement associées (Braudel, 1949). Il existe des phénomènes sociaux qui n’évoluent que lentement, au rythme de la longue durée, car ils sont en quelque sorte freinés par les résistances auxquelles ils se heurtent ; ces résistances viennent presque toutes de l’environnement ; elles sont liées à des milieux spécifiques (Braudel, 1995). Il y a partout des pesanteurs, mais elles sont largement déterminées par des facteurs géographiques et varient donc lorsqu’on change de milieu.

14 Associer aires culturelles et longue durée constitue une avancée considérable : les cultures cessent d’apparaître comme des ensembles que l’on constate, mais dont on ne comprend ni la genèse, ni l’évolution - sinon dans le cas des migrations de population.

Lorsqu’on demande à Fernand Braudel de concevoir les programmes d’histoire et de géographie pour les classes terminales, il décide d’en axer la partie historique sur les aires culturelles : les élèves recevront ainsi, à l’issue du cycle secondaire, des cadres pour penser le monde et sa diversité, et pour prendre conscience des inerties qui pèsent sur les diverses civilisations. L’occasion qui lui est ainsi offerte d’améliorer la formation des jeunes Français lui paraît si importante qu’il rédige un manuel à leur intention : Grammaire des civilisations - il appartient à la génération où l’on parle encore plus volontiers de civilisation que de culture (Braudel, 1987).

La rupture des années 1980

15 L’intérêt pour les problèmes culturels s’était réduit dans les années 1950 et 1960. Il réapparaît dans le courant des années 1970 et s’affirme vigoureusement dans les années 1980. Les travaux qui se multiplient alors diffèrent cependant profondément de ceux du passé. Ils s’intéressent davantage aux processus culturels qu’à ces grandes entités que sont les cultures et les civilisations. Pourquoi ?

16 La nouvelle géographie culturelle repose sur une vision critique de ce qu’est la culture.

Ce n’est pas une réalité supra-organique : les sciences sociales travaillent sur des réalités accessibles à l’enquête. On peut toujours supposer qu’il existe quelque part une entité qu’on appelle culture, et qui façonne les hommes lors de leur formation. Mais où se situe cet ailleurs ? Certainement pas dans un lieu que le chercheur puisse fréquenter.

Comment la culture ainsi conçue s’impose-t-elle à tout un chacun, au sein d’un groupe ? Tout ce que l’on observe, ce sont des processus de transmission d’individu à individu.

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17 Pourquoi ne pas partir de là ? C’est le sens de l’article de James Duncan que publie les Annals of the Association of American Geographers en 1980 : "The superorganic in American geography" (Duncan, 1980). Le commentaire qu’en fait Richardson l’année suivante, dans la même revue, souligne les leçons que l’on doit en tirer (Richardson, 1981) : la culture n’est pas une entité à laquelle le chercheur a directement accès ; il ne peut l’appréhender qu’au moment où ses éléments s’échangent, au cours de l’apprentissage ou de l’éducation formelle que reçoivent les hommes, ou au hasard des rencontres qu’ils font, des situations auxquelles ils sont confrontés et qui sont à la base de leur expérience. La culture est faite d’attitudes, de pratiques, d’images, de discours. On la saisit au moment où les gens sont amenés à l’exprimer par leurs actes ou par leurs paroles (Mondada et Süderström, 1994).

18 Les études culturelles changent d’échelle : on ne dispose pas de moyens d’appréhender la culture chinoise ou la culture arabe, mais il est facile d’observer comment se construisent les catégories utilisées par un groupe particulier, dans un environnement donné. Fini le temps où l’on élaborait des synthèses ambitieuses sur la civilisation occidentale et ses propriétés géographiques. Les chercheurs se penchent maintenant sur la manière dont les rôles sexuels sont distribués et construits dans une grande ville moderne. Ils dépeignent le statut des groupes immigrés à Paris, à Los Angeles ou à Düsseldorf. Ils s’intéressent à la manière dont les quartiers sont perçus par les gens qui les habitent, ou par ceux qui n’y résident pas. La géographie culturelle s’enrichit d’une foule de monographies. Leur intérêt est de saisir les mécanismes de transmission et de création culturelles au moment où ils sont en œuvre.

19 Au-delà de la critique de la notion supra-organique de la culture, c’est bien en effet un changement de curiosités et un bouleversement des priorités de recherche qui expliquent le désintérêt pour les aires culturelles ou de civilisation. La géographie culturelle du passé dressait des constats : elle repérait des groupes qui partageaient les mêmes savoir-faire, les mêmes attitudes et les mêmes valeurs. Elle tirait parti de ces observations pour suggérer que les traits du paysage ou de l’organisation de l’espace présents dans une aire dont les habitants partageaient la même culture s’expliquaient par cette dernière. Tout cela restait très impressionniste. On avait souvent l’impression que la culture n’était invoquée qu’en dernière instance, lorsque tous les facteurs habituellement analysés s’étaient révélés impuissants à rendre compte des distributions observées.

20 Dans un souci de rigueur, la nouvelle génération de chercheurs met donc en priorité l’accent sur les processus culturels - transmission des savoirs, internalisation des normes, construction de la personne et de l’identité, fabrication d’échelles de valeur par accès à d’autres mondes qui révèlent ce qui est bien et ce qui est mal dans le nôtre, constitution "d’horizons d’attente" qui motivent les individus dans leurs choix, etc. Ces processus culturels se déroulent dans l’espace. Leur bon fonctionnement dépend de la localisation de ceux qui y participent et des moyens de communication dont ils disposent les identités reposent sur l’intériorisation des mêmes attitudes, et sur un investissement affectif partagé pour certains lieux, certaines formes du paysage, certains monuments ; la construction des normes fait naître un contraste entre les aires où les autres mondes affleurent et qui sont chargées de sacralité, et celles qui restent profanes.

21 L’étude des processus débouche ainsi sur une meilleure compréhension des fonctions de l’espace dans la vie culturelle (Claval, 1995). Celui-ci doit être appréhendé comme un

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ensemble parcouru par les trajectoires de vie complexes des individus : il est fait de réseaux, par où les gens circulent, et de nœuds, où ils se rencontrent et séjournent plus ou moins longtemps. Cet espace n’est pas neutre : il est peuplé de symboles, investi d’affectivité ; les gens s’y sentent chez eux ou y demeurent des étrangers ; le monde est structuré en territoires. Des aires sacrées s’y opposent aux zones profanes. Cet espace n’est pas un support indifférent : c’est un décor qui pèse sur les pièces que les gens y donnent. Les catégories qui le découpent ne font pas partie de la nature des choses : elles ont été construites par ceux qui le fréquentent.

22 La nouvelle géographie culturelle multiplie ainsi les perspectives qui éclairent le rôle que tient l’espace dans la vie des groupes. En critiquant l’idée que les cultures sont des entités qui s’imposent d’elles-mêmes à ceux qui en deviennent les porteurs et à ceux qui les étudient, elle conduit à aborder de manière critique les autres catégories globales que la géographie et les autres sciences sociales utilisaient sans précaution particulière : il n’est pas plus facile de dire ce qu’est une société un État ou une région que ce qu’est une culture. C’est donc à la reconstruction de l’ensemble des sciences sociales qu’invite l’approche culturelle.

23 Le moment était-il bien choisi pour se désintéresser de ces entités globales que sont les cultures et les civilisations ? On peut en douter : la montée des régionalismes, des autonomismes, des nationalismes ou des fondamentalismes prouve que les discours identitaires n’ont jamais tenu une telle place que dans le monde actuel. Les migrations internationales juxtaposent, dans les grandes villes, des groupes qui n’ont rien en commun : comment vont évoluer ces situations inédites de juxtaposition des cultures ? Quel est l’effet de la facilité croissante des télécommunications et des déplacements individuels sur leur coexistence ?

La cohérence des cultures

24 La réflexion actuelle essaie de répondre aux problèmes que pose l’actualité. Elle tire parti pour cela des travaux consacrés aux processus culturels depuis une vingtaine d’années. L’accent est mis sur la genèse des aires culturelles (nous réserverons ce terme aux ensembles de groupes sociaux qui utilisent les mêmes techniques, connaissent des formes d’organisation sociale apparentées et ont des valeurs voisines, mais sans avoir le sentiment d’être semblables) et sur celle des cultures.

La culture : cohérence, différenciation et tendance à l’éclatement

25 L’approche culturelle contemporaine met en évidence les forces qui poussent à la différenciation des cultures : les individus qui composent une société ne parcourent pas les mêmes trajectoires, ne rencontrent pas les mêmes personnes, ne sont pas impliqués dans les mêmes cercles d’intersubjectivité (Hiigerstrand, 1970 ; Giddens, 1984). Les informations qu’ils collectent sur ce qui les entoure et les possibilités qui s’offrent à eux ne sont pas les mêmes, si bien que les horizons d’attente qu’ils se bâtissent ne sont pas similaires.

26 La critique de l’idée de culture comme réalité "supra-organique" et le développement de recherches sur les processus culturels aboutissent donc à un constat : la mécanique de transmission des cultures et les possibilités qui s’offrent aux gens tendent à la différenciation des attitudes, des savoir-faire, des connaissances, des valeurs et des

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horizons de vie. Si les divergences ne sont pas plus profondes, c’est qu’il existe des mécanismes qui tendent plutôt à l’uniformisation.

27 Les trajectoires de vie sont d’autant plus variées que les populations sont plus mobiles, les informations plus nombreuses et plus faciles à acquérir en tout point, et les rôles plus nombreux au sein des cellules où se forment les gens. Les forces qui tendent à la différenciation individuelle des cultures sont donc d’autant plus fortes que les moyens techniques qui permettent aux personnes de se déplacer et aux nouvelles ou connaissances de circuler, sont plus évolués, et que la division des tâches est plus forte.

Dans les petits groupes que les ethnologues ont étudiés avec prédilection dans la première moitié du XXe siècle, les conditions techniques et géographiques favorisaient la reproduction indéfinie des mêmes thèmes culturels. Le conditionnement que créent les modèles de perception et les discours dominants suffisaient à maintenir les gens à l’unisson (Linton, 1968). Il n’en va pas de même lorsque les sociétés deviennent plus complexes.

La recherche de la cohérence : le contrôle de la mobilité et de l’accès à l’information

28 Pour limiter les tendances à l’hétérogénéité, il est possible d’agir en restreignant les déplacements de personnes et la diffusion des informations : beaucoup de régimes totalitaires ont eu recours à ces méthodes dans le courant du XXe siècle. Les résultats obtenus sont importants dans une première phase, mais les mesures de coercition mises en œuvre ont généralement des effets contre-productifs. Les gens qui se sentent enfermés deviennent sensibles à ce qui provient de l’extérieur. Même s’ils savent qu’ils pourront difficilement jouir des mêmes conditions qu’à l’extérieur du système où ils vivent, les jeunes rêvent de possibilités nouvelles : les "horizons d’attente" s’élargissent peu à peu. Ils font de plus en plus référence à des modèles extérieurs. Les régimes totalitaires se trouvent ainsi peu à peu sapés.

29 Le contrôle de la mobilité et celui des relations proches ou lointaines n’offrent donc pas de moyens très efficaces, dans le long terme tout au moins, pour assurer l’homogénéité culturelle d’un ensemble de population. Par quels autres mécanismes l’homogénéité peut-elle être assurée ?

La recherche de la cohérence : le rôle des relations institutionnalisées

30 Les attitudes, les préférences, les valeurs servent à structurer la société. Les relations que les hommes tissent entre eux touchent à des domaines essentiels : la transmission de la vie, la propriété, le contrôle des moyens de production, J’usage de la violence. La vie sociale repose sr la codification et le contrôle de ce qui met en jeu des aspects aussi essentiels : les relations s’inscrivent dans des cadres socialement définis ; elles sont institutionnalisées (Maquet, 1970 ; Claval, 1973).

31 Les groupes sociaux ont ainsi mis au point des codes qui indiquent avec qui l’on peut et doit entretenir des rapports, sous quelle forme, pour quel genre de transactions ; ils précisent ce que chacun retire de l’échange. C’est ce que Pierre Gourou qualifiait de techniques d’encadrement. L’expression est utile, car elle rappelle que les connaissances sur lesquelles reposent les savoir-faire des groupes sociaux ont trait à la

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fois à la vie matérielle et aux interactions sociales. Elle comporte aussi un danger : celui de réduire la structuration de la société à la mise en œuvre de codes, assimilés à un ensemble de techniques parmi d’autres.

32 Les sociétés fonctionnent parce que les relations qu’elles institutionnalisent mettent en jeu des effets de rétroaction. Ceux-ci naissent de ce que les protagonistes qui respectent les règles instituées reçoivent des gratifications sous forme de richesse, de statut ou de pouvoir (Linton, 1968). L’institutionnalisation repose sur la valorisation de certains types de comportement. Elle est intimement liée à la culture - ce que les sciences sociales ont trop longtemps ignoré, et qu’elles sont en train de redécouvrir aujourd’hui.

33 Les individus doivent donc se conformer aux règles institutionnalisées dans le groupe où ils vivent s’ils veulent bénéficier des gratifications dont le système social est générateur (Claval, 1973). Il existe ainsi une liaison entre vie collective et culture.

Personne ne peut vivre seul : force est aux protagonistes du jeu social de prendre en compte les éléments culturels institutionnalisés, parce que chacun est impliqué par l’ensemble des relations qui structurent le groupe.

34 Les structures sociales introduisent donc une logique de la cohérence dans toutes les cultures. Elles obligent les membres du groupe à se conformer à certains schémas de conduite stéréotypés, mais n’exigent d’eux qu’une obéissance formelle aux règles.

Existe-t-il des forces qui tendent à donner plus d’unité encore aux cultures ?

La recherche de la cohérence : sentiments d’identité et morales de l’honneur

35 Les gens ont besoin de se définir, et ils y parviennent généralement en s’opposant aux autres. Les sentiments d’identité jouent un rôle essentiel dans l’uniformisation des attitudes au sein des groupes. Si l’on veut y être reconnu comme membre à part entière, il faut accepter les attitudes dominantes et s’y conformer. C’est ce qu’expriment les morales de l’honneur, comme le monde méditerranéen, par exemple, en offre d’innombrables illustrations (Pitt-Rivers, 1983). Pourquoi les frères surveillent- ils avec un soin aussi jaloux la vertu de leurs sœurs ? Parce que l’opprobre que provoquent des écarts de comportement, une conduite légère, un mariage avec un partenaire dont le rang et le statut sont jugés insuffisants, rejaillissent sur toute la famille. La morale n’est pas individuelle. Au sein des petites unités, chacun est solidaire du comportement des autres. La seule solution qui s’offre aux frères, c’est d’effrayer ceux qui cherchent à séduire leurs sœurs avant qu’il ne soit trop tard, ou de les éliminer si l’irréparable a été commis.

36 Que se passe-t-il si l’on refuse de se plier aux habitudes dominantes ? Le déshonneur frappe celui qui se soustrait à ses obligations et atteint toute sa famille. Le statut dont elle jouit est affecté. Lorsque les frères veulent se marier, ils se heurtent au refus de parents qui ne veulent pas voir entrer leurs filles dans une cellule sans honneur.

37 Le groupe est souvent armé pour faire directement respecter les traditions : il peut ostraciser celui qui ne joue pas le jeu. C’est ainsi que procédaient les cités grecques à l’égard de ceux qui refusaient de s’associer aux mesures de salut public, complotaient contre le gouvernement ou bravaient les valeurs admises. À Athènes, l’institution datait, pense-t-on, de Clisthènes. On demandait une fois par an aux citoyens réunis sur l’agora s’il fallait procéder à des exclusions. Si la demande était faite, on procédait à un

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vote. Chacun inscrivait le nom de celui ou de ceux dont il désirait l’exclusion sur une coquille d’huître (d’où le nom de la procédure) : si la majorité était réunie, l’individu était chassé pour dix ans de la ville.

38 La sanction pouvait être beaucoup plus grave que le simple ostracisme : accusé d’impiété vis-à-vis des dieux et de corruption de la jeunesse, Socrate est condamné en 399 av. J.-C. à boire une coupe de ciguë - mais on change là de registre. On est déjà dans celui des valeurs intériorisées.

La recherche de la cohérence : intériorisation des valeurs et appel au dépassement de soi

39 Dans beaucoup de sociétés, il suffit, pour que les gens participent sans problème à la vie collective, qu’ils se conforment aux règles qu’implique le jeu des institutions, et qu’ils acceptent les patrons de conduite qui concourent à l’identité collective. Tout cela n’implique pas d’adhésion intime à un jeu de croyances et relève d’un certain formalisme.

40 Les procédures de contrôle des comportements culturels vont un pas plus loin lorsque l’on demande à chacun de faire réellement siennes des croyances et un système de valeurs qui garantissent les institutions, cimentent l’identité, mais les transcendent en même temps (Erikson, 1972). Si dans la marche du temps, les règles viennent s’opposer aux principes généraux sur lesquels le groupe repose, obligation est alors faite à ceux qui les ont faits leurs, d’œuvrer pour la modernisation du cadre institutionnel.

41 Le contrôle que la collectivité exerce alors sur le champ culturel n’est plus simplement de conformité : il porte sur les motivations profondes et les croyances personnelles. Le risque que l’on encourt en refusant de se conformer aux valeurs partagées est considérable : c’est celui de l’excommunication. On cesse de faire partie de la communauté des croyants : sur le plan pratique, cela a souvent les mêmes conséquences qu’une mesure d’ostracisme - on est exclu des institutions civiles. On se trouve surtout jeté hors de la communauté spirituelle sans laquelle la vie n’a pas de sens.

42 La prise en compte des processus qui tendent à diversifier les cultures, et de ceux qui ont au contraire pour but de les faire converger, aboutit à un résultat capital : les cultures ont rarement la même consistance. Dans certains cas, leur homogénéité ne résulte que de la sédentarité de leurs membres, de leur manque de contacts et de la difficulté avec laquelle les informations voyagent Dans la plupart des cas, la cohérence de la culture vient de la nécessité, pour les individus, de se conformer aux valeurs qui sont à la base du système des institutions s’ils veulent bénéficier des avantages qu’elles procurent

43 C’est à partir du moment où les groupes prennent conscience de ce qu’ils doivent à la culture qu’ils partagent que leur identité s’appuie sur des éléments spécifiques. Ceux-ci concernent à la fois des éléments matériels (le costume, la langue, les outillages, les gestes appris) et certaines formes de comportements (ceux qui mettent en jeu la solidarité des cellules de base, de la famille en particulier, ou d’associations bâties sur le même principe).

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44 La nature des cultures change lorsqu’elles sont bâties sur un corps de normes que chacun doit intérioriser et appliquer. Un principe transcende les institutions et force les gens à agir, dépassant leurs intérêts immédiats.

45 Pour reprendre le vocabulaire mis en œuvre depuis un siècle par les ethnologues et par les géographes, il est des cas où ce que l’on appelle culture n’est que le commun dénominateur des attitudes, des savoir-faire, des habitudes ou des croyances qui prévalent au sein d’une aire culturelle. À l’autre extrémité du spectre, la culture est cimentée par un principe qui en fait une civilisation.

Cultures et civilisations

46 Les géographes s’attachent de nouveau aux aires culturelles, aux cultures et aux civilisations. Joël Bonnemaison consacre à leur analyse un des chapitres les plus fascinants de son ouvrage posthume de géographie culturelle (Bonnemaison, 2001). Il se plaît à souligner la hiérarchie de niveaux que nous venons d’évoquer :

"La géographie culturelle distingue, du plus simple au plus complexe, quatre niveaux : les traits culturels, les ensembles ou complexes culturels, les cultures, les civilisations. On évolue ainsi du plus petit vers le plus grand, comme dans un jeu de poupées russes. Les éléments les plus fins s’intègrent en grappe dans l’élément supérieur. Ainsi une civilisation rassemble-t-elle plusieurs cultures qui intègrent des ensembles culturels définis à leur tour par une pluralité de traits culturels"

(Bonnemaison, 2001, p. 102).

47 Bonnemaison précise ailleurs la hiérarchie qu’il voit entre cultures et civilisations

"On tend à considérer qu’entre la culture et la civilisation se tient non pas une différence de nature, mais une différence d’échelle. Civilisation possède un sens et une dimension plus larges que culture. Les civilisations par essence sont ’grandes’, ce sont des cultures englobantes, souvent réparties sur de grands espaces à peu près fixes, et souvent à vocation universelle. On parle par exemple de la civilisation occidentale : elle englobe l’Europe de l’Ouest et l’Amérique du Nord. On parle des civilisations amérindiennes, de la civilisation islamique ou indienne. Chacune de ces civilisations contient un nombre indéterminé de cultures et de systèmes culturels"

(Bonnemaison, 2001, p. 86).

48 La différence de dimension et la nature englobante des civilisations sont évidentes.

Nous ne suivons pourtant pas Joël Bonnemaison lorsqu’il considère qu’entre culture et civilisation, il n’y a pas de différence de nature : si les civilisations sont "des cultures englobantes", c’est qu’elles sont fondées sur des principes originaux.

Les civilisations : perspectives historiques et anthropologiques

49 La plupart des travaux contemporains partent du bilan dressé par Arnold Toynbee dans A Study of History, rédigé entre 1934 et 1958, et dans lequel il distinguait 23 sociétés civilisées. (Toynbee, 1934-1958). Dans des publications ultérieures, il parle de 13 civilisations indépendantes, et de 15 qui se sont développées comme des satellites des premières.

50 Shumaro Ito part des deux tableaux de Toynbee (Ito, 2001). Il propose pour sa part de distinguer 21 civilisations majeures. Celles-ci ont une histoire, dans laquelle il distingue trois phases. Les civilisations émergent de la masse des cultures qui les entourent, au cours du néolithique, parce qu’elles donnent naissance à des villes : cela se produit en

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Mésopotamie, en Chine, en Égypte antérieurement à 3 000 avant notre ère. La zone de la mer Égée et l’Inde suivent au cours du IIIe millénaire, l’Afrique au cours du l"

millénaire, l’aire méso-américaine et les Andes un peu avant le début de notre ère.

51 L’apparition des villes est importante parce qu’elle montre que les sociétés en question ont su se créer des bases écologiques assez larges pour permettre une différenciation importante des rôles : on y trouve des groupes spécialisés de soldats, de prêtres et de gouvernants. Les recherches de Michael Mann précisent la manière dont ces divers éléments se trouvent combinés pour conférer aux masses en présence un dynamisme plus considérable (Mann, 1986).

52 Shumaro Ito tire ensuite parti des idées de Shmuel Eisenstadt (Eisenstadt, 1986). Celui- ci remarque, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, qu’au sein des civilisations urbaines qui marquent l’entrée successive des peuples dans l’histoire, une coupure se manifeste aux alentours du Ve siècle avant notre ère : elle coïncide avec l’émergence de ce qu’il appelle des civilisations axiales. Celles-ci se distinguent par deux traits : elles voient naître des religions ou des philosophies de la transcendance, qui fondent des systèmes de morale à visées universalisantes ; les groupes de prêtres y prennent un ascendant considérable. La mutation est marquée par l’affirmation du monothéisme juif, du zoroastrisme perse, du bouddhisme et des réactions qu’il suscite et qui donnent naissance à l’hindouisme en Inde, par la réflexion de Lao Tseu et celle de Confucius en Chine, ou par la naissance à Athènes de la philosophie rationaliste grecque.

53 Pour Shumaro Ito, une nouvelle phase se dessine dans l’histoire des civilisations, celle qui est liée à la révolution scientifique moderne (Ito, 2001). Entre ces deux moments, les sphères d’échange entre les civilisations (Cross Civilizional Spheres, ou CCS) ont joué, de son point de vue, un rôle primordial, puisque toute la dynamique des civilisations est liée à l’existence de ces aires de confrontation, la plus importante étant selon lui l’aire méditerranéenne. Il met aussi l’accent sur l’aire d’échange inter-civilisationnelle liée à la Route de la soie, sur celle bâtie autour des routes maritimes qui gravitent autour de l’Inde, sur celle qui s’est organisée autour des mers d’Extrême-Orient, et plus près de nous, sur celle qui s’est bâtie, depuis les Grandes Découvertes, autour de l’Atlantique.

Shumaru Ito va plus loin dans le détail.

54 D’autres auteurs interprètent ces évolutions de manière un peu différente. Parmi les civilisations qui s’affirment à partir du Ve siècle avant notre ère, un noyau mondial central peut être mis en évidence ; il regroupe celles du Moyen-Orient et de l’Asie centrale (Dickinson, 2001 ; Frank, 1998). En combinant l’étude des foyers d’innovation que constituent les grandes aires de civilisations avec l’idée de pulsations puissantes, Frank propose un schéma ambitieux de reconstitution de l’histoire mondiale (Frank, 2001). Ce n’est pas là notre propos.

Le thème de l’axialité

55 Du thème de l’axialité tel que l’a développé Shmuel Eisenstadt, il y a autre chose à tirer qu’une simple typologie des cultures complexes (Eisenstadt, 1986). Ce qu’Eisenstadt propose en effet, c’est une véritable théorie du processus de civilisation. Les

"civilisations urbaines" que révèlent l’archéologie et l’histoire diffèrent des cultures qui les entourent par les bases écologiques plus riches et les modes d’exploitation plus performants qu’elles ont mis au point. C’est par l’apparition de formes de pensée qui

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mettent en cause d’une manière ou d’une autre l’idée de transcendance que se fait vraiment l’entrée dans la civilisation : la mutation se marque au Moyen-Orient par l’arrivée des grandes religions révélées. En Grèce, c’est par l’élaboration d’une métaphysique rationnelle que la rupture avec les modes de pensée traditionnels s’opère. En Inde, le Bouddha transcende les systèmes religieux existants en mettant l’accent sur ce sur quoi ils reposent - la croyance en la transmigration des âmes. En Chine, le taoïsme systématise et unifie la géomancie traditionnelle, puisqu’au lieu de voir le monde régi par une multitude de forces locales, il le voit structuré par des champs (Julien, 1989 ; 1993). Eisenstadt reconnaît que les catégories qu’il propose ne s’appliquent pas partout. Cela n’est guère troublant pour le monde américain, qui s’est développé dans l’isolement. Comme l’indique Eisenstadt, c’est plus gênant pour un pays comme le Japon, qui entre dans le concert des civilisations dans le courant du Ie millénaire de notre ère, sans que cela ait été lié avec une révolution axiale préalable- celle-ci ne s’esquisse qu’avec l’arrivée du bouddhisme, au VIIe siècle.

56 C’est avec les philosophies et les religions axiales que les cultures se trouvent dotées de principes qui poussent les hommes à se dépasser, et les groupes à diffuser, au besoin par la conquête, des valeurs qui sont généralement universelles. Toute la dynamique des civilisations est liée à l’incorporation de ces nouveaux systèmes de représentation : universalisme et expansion d’un côté, souci d’une représentation du sacré autour duquel se structurent une esthétique de plus en plus libre et une recherche de la vérité, qui permet l’élaboration de savoirs de plus en plus performants.

57 Notre but n’est pas ici de retracer l’histoire des civilisations. Il est plutôt de mettre en évidence les coupures qui l’affectent. Une est née en Occident il y a quelques siècles.

La place singulière de la civilisation occidentale

58 La civilisation occidentale ne diffère en rien de celles qui sont nées, comme elle, dans la grande zone de confrontation et d’innovation que constitue le monde méditerranéen.

Elle tire profit de deux révolutions axiales : celle des monothéismes juif puis chrétien et celle de la philosophie rationaliste grecque. La civilisation musulmane puise d’ailleurs aux mêmes sources : monothéismes et rationalisme grec.

59 Jusqu’à la fin de Moyen Âge, la civilisation occidentale ne se distingue guère des autres.

Ses principes sont universalistes, mais l’esprit de Croisade ne l’anime que brièvement.

C’est du christianisme qu’elle se réclame surtout, même si elle puise dans l’Antiquité classique certaines de ses bases institutionnelles (l’influence du droit romain reste en permanence sensible) et intellectuelles (comme le montre l’essor de la scolastique, puis celui du nominalisme).

La rupture de la Renaissance

60 La rupture se produit à la Renaissance. Cela tient aux Grandes Découvertes et à l’ébranlement qu’elles provoquent dans le système des idées jusque-là dominant : les êtres qui peuplent l’Amérique sont-ils vraiment humains ? Oui, répond-on très vite.

Mais alors, pourquoi ont-ils échappé durant des siècles à la Révélation ? Leurs mœurs paraissent barbares, mais leurs institutions ne manquent pas de sagesse : les missionnaires ne constatent-ils pas que certains des péchés capitaux qui empoisonnent

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la vie des vieilles sociétés européennes sont là totalement ignorés - la gourmandise et l’avarice en particulier ?

61 L’ébranlement vient cependant du regard que l’on porte désormais sur l’Antiquité.

Celle-ci n’avait jamais cessé d’être présente dans la vie et dans la pensée médiévales, mais sans qu’on la conçoive comme fondamentalement différente du présent (Seznec, 1940). La Renaissance ne naît pas d’une redécouverte du passé, mais d’une série d’opérations mentales qui assurent son divorce d’avec le présent. C’est à cette condition qu’il peut devenir modèle : c’est en regardant du côté de Rome et (dans une moindre mesure) de la Grèce que les Humanistes essaient de réformer le monde. Le récit que Raphael Hythloday ramène de son voyage en Utopie, tel que Thomas More le met en scène, nous parle d’un monde qui existe, mais que le commun des mortels ne peut atteindre. Qu’est-ce qui le caractérise ? Un exotisme qui nous dépayserait vraiment ? Non. Ce qui nous est offert, c’est la description d’un régime où les hommes sont gouvernés par la Raison, comme l’étaient les sociétés antiques. C’est cette image du raisonnable que l’on se met à souhaiter.

Utopie, idéologies du progrès et philosophies de l’histoire

62 L’Au-delà que constitue l’utopie est né d’une critique des faiblesses et des injustices de la société chrétienne : ce que More dénonce, ce sont des États dont les rois se proclament chevaliers du Christ, mais ignorent la charité, laissent dépouiller les pauvres et voient sans sourciller les inégalités s’accroître. Le choc de la Réforme oblige à chercher en dehors de la religion les fondements du politique : comment justifier rationnellement des régimes où le Prince pourchasse des sujets parce qu’ils n’ont pas la même conception de l’Eucharistie que lui ? C’est du côté de la Raison que l’on se tourne pour trouver une solution. Au lieu de s’inspirer de l’Au-delà de la foi, on puise dans celui, historique, de l’Âge d’Or, lorsqu’on s’inspire de modèles antiques, ou de l’Utopie, lorsque c’est au futur que l’on demande de justifier les pratiques présentes (Manuel et Manuel, 1979).

63 La genèse des idéologies modernes prend deux siècles. Elle est parachevée au XVIIIe siècle : la civilisation occidentale n’a pas rompu ses attaches avec le christianisme, mais celui-ci ne sert plus à épauler ses institutions politiques. La foi est devenue une affaire individuelle, personnelle - ce qui explique d’ailleurs qu’on puisse accueillir avec tolérance la diversité de confessions qui ne pèsent plus directement sur la marche de la cité. Les valeurs politiques et sociales s’appuient sur les nouvelles philosophies du progrès.

64 La configuration que revêt dès lors la civilisation occidentale est fondamentalement différente des autres. Elle repose sur une vision qui oblige les hommes à se dépasser, mais qui n’est plus religieuse, mais historique. Les valeurs qui en découlent sont matérielles : il est question de faire le bonheur des hommes sur cette terre en améliorant leur santé et leurs conditions de vie. La dynamique de dépassement existe toujours, mais elle n’est plus liée à la croyance en un absolu dont on chercherait à se rapprocher. Elle trouve sa justification dans le changement lui-même : c’est ce qu’expriment les nouvelles esthétiques de la modernité ; les avant-gardes y sont à la poursuite de quelque chose d’ineffable : la nouveauté qui émerge, et qu’une autre nouveauté chassera l’instant suivant.

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Universalisme, impérialisme et subversion des autres cultures et des autres sociétés

65 La mutation de la civilisation occidentale n’affecte pas son universalisme, bien au contraire. Étant la seule qui fasse de l’épanouissement et du bonheur de l’individu ici- bas son but essentiel, elle s’estime en droit de critiquer tous les systèmes de pensée qui, au nom d’un autre monde que personne ne peut connaître, écartent les peuples de la voie du progrès.

66 La diffusion de la civilisation occidentale est favorisée par la combinaison de traits qui la caractérise. Axée sur les réalisations matérielles, elle ouvre à tous ceux qui la connaissent - les élites des pays étrangers d’abord, puis des couches de plus en plus larges de leurs populations -, des horizons d’attente sans commune mesure avec ceux qui existaient localement. Comme les valeurs occidentales sont laïques, elles ne mettent pas directement et immédiatement en danger les systèmes religieux indigènes.

L’occidentalisation des élites s’affirme dans un nombre croissant de pays, au fur et à mesure que le commerce occidental, les missions chrétiennes et l’impérialisme se développent.

67 La subversion qui opère ainsi touche des milieux de plus en plus larges. Elle s’accompagne également d’une pénétration économique qui lamine les genres de vie traditionnels, remplace les produits artisanaux locaux par des articles industriels importés et uniformise les manières d’habiter, de s’habiller et de manger. Les sentiments identitaires qui s’appuyaient sur les particularismes locaux sont ébranlés : c’est à ce moment, et à ce moment seulement, que la civilisation occidentale commence à faire peur.

La crise de l’idée de progrès, le choc des cultures ou le dialogue des civilisations aujourd’hui

La crise de l’idée de progrès

68 Les cultures sont des phénomènes dynamiques. La civilisation occidentale n’a cessé de se transformer. Ses succès matériels se sont confirmés. Ils ont fini par remettre en cause ses bases idéologiques. Le progrès est-il défendable lorsqu’il conduit, comme au cours de la Première Guerre mondiale, à faire emploi des armes chimiques, ou, au cours de la Seconde Guerre mondiale, à mettre au point l’arme nucléaire ? La lutte contre les insectes et autres parasites est-elle justifiée lorsqu’elle met en circulation un produit comme le DDT, qui déstabilise à long terme les pyramides écologiques et menace de disparition nombre d’espèces ?

69 On ne rejette certes pas toutes les formes de progrès. L’espérance de vie serait beaucoup plus courte si on ne disposait pas des pharmacopées modernes : tout le monde en est conscient. Ce qui a disparu, c’est la croyance candide en un avenir meilleur, et l’idée que la science suffira un jour à résoudre tous les problèmes.

70 Les philosophies de l’histoire sur lesquelles reposait la civilisation occidentale ont perdu leur pouvoir de séduction. Le socialisme s’est écroulé lorsque les gens ont compris qu’il était incapable de tenir ses promesses. Le libéralisme - et c’est ce qui fait sa spécificité - n’est pas un système cohérent justifié par une philosophie dont se

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déduiraient tous ses aspects. C’est un ensemble de pratiques et d’institutions sans cesse réformées, amendées et repensées pour faire face aux évolutions du monde. Il survit donc aux religions de l’histoire, mais ne fait pas plus rêver que les défunts systèmes socialistes.

71 La crise de la civilisation occidentale naît de cela : les pays occidentaux n’ont jamais eu autant de moyens d’agir et de transformer le monde. Ils ont perdu le pouvoir de séduction qu’ils exerçaient.

La réaffirmation des civilisations non-occidentales

72 La crise de la civilisation occidentale est parallèle à la vigueur retrouvée des civilisations non-occidentales. Les Occidentaux eux-mêmes ne croient plus en ce qui justifiait leurs cultures. La montée des régionalismes, des irrédentismes, des nationalismes les plus agressifs ne montre-t-elle pas à quel point la société occidentale est malade ?

73 Pourquoi les gens qui vivent sous d’autres cieux et sous d’autres systèmes de valeurs, ne se montreraient-ils pas également critiques ? Avec les progrès de la mobilité, la mise en place de télévisions dont les programmes touchent des publics de plus en plus larges et la mondialisation des échanges, aucun pays n’échappe à l’explosion d’horizons d’attente jusque-là ignorés. Les cultures et les religions traditionnelles sont remises en question par la montée de l’aspiration à des consommations plus larges, et à des possibilités plus diverses d’épanouissement personnel. Les valeurs traditionnelles sont ébranlées. Elles ne sont pas remises en cause par des valeurs occidentales en perte de vitesse même dans leurs pays d’origine, mais par l’éclatement individualiste des cultures dont les techniques modernes sont responsables.

74 Les pays non-occidentaux réaffirment donc avec force la valeur de leurs civilisations. Il n’est plus question pour eux d’accepter une quelconque préséance des valeurs occidentales. Au plan politique, tout est fait pour donner à des civilisations qui vivaient dans le présent un lustre que l’Occident a su tirer de la place qu’il a accordée à son passé (et par là-même à son avenir). Les politiques de conservation du patrimoine que l’UNESCO défend ont connu un succès considérable : toutes les cultures se transforment en "civilisations" en s’ancrant ainsi dans un passé lointain,même s’il reste purement vernaculaire.

75 Les réactions à l’occidentalisation passent évidemment par un mouvement de retour aux valeurs qui avaient transformé les cultures traditionnelles en civilisations - c’est ce que traduit la montée des fondamentalismes.

Choc des cultures ou dialogue des civilisations

76 Les discours à la mode dans nombre de pays, en voie de développement sont très agressifs à l’égard de l’Occident, des États-Unis en particulier. Le mouvement a été lancé dans le monde musulman, il y a déjà trois quarts de siècle, mais la révolution islamiste en Iran lui a donné une nouvelle dimension. Dans les universités nord- américaines, on trouve de plus en plus d’anthropologues ou d’historiens prêts à affirmer que toutes les grandes innovations dont s’est nourrie l’humanité sont originaires du continent noir. En Asie, la Malaisie, dont la population est en majorité musulmane et qui a bénéficié depuis trente ans du boom économique de l’Asie du Sud-

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Est, propose aux pays qui émergent comme elles du sous développement, une interprétation du progrès qui ne devrait rien aux valeurs occidentales, mais traduirait le bien-fondé et la permanence des grands principes des civilisations traditionnelles de cette partie du monde. Le mouvement est si brusque qu’il décontenance les intellectuels japonais, qui savent que la modernisation est due chez eux à une rupture volontaire avec les enseignements de la société d’hier.

77 L’actualité se charge de rappeler aux géographes qu’il ne leur faut pas trop oublier ces domaines. Le livre que Samuel Huntington consacre au Choc des cultures a un écho profond dans beaucoup de milieux occidentaux (Huntington, 1996). Il provoque des réactions violentes chez les élites des civilisations non-occidentales. Le Président iranien, Khatami, riposte à Huntington en soulignant que l’avenir est plutôt au dialogue des civilisations qu’au choc des cultures. Le discours qu’il prononce à l’ONU, en 1999, est repris par cette organisation, qui fait de 2001 l’année du dialogue des civilisations.

Dans le même temps, les études sur le multiculturalisme foisonnent. Elles ne se contentent pas d’analyser des situations complexes et parfois conflictuelles. Certaines proposent de faire de la coexistence de cultures diverses en un même point un idéal : le multiculturalisme devient une idéologie (Taylor, 1991 ; 1992).

Rapprochement des cultures et idéologies culturelles

78 Malgré les discours enflammés, la diffusion du progrès s’est prodigieusement accélérée au cours des quarante dernières années. La scolarisation a fait partout des progrès.

L’urbanisation conduit à une amélioration générale des conditions de vie, même si les plus pauvres n’en tirent souvent que des bénéfices précaires. Les horizons d’attente des gens ont été partout bouleversés. Un seul fait suffit à le montrer : le succès inattendu, et parfois même trop grand, des politiques de contrôle des naissances. Si les ménages n’ont plus, dans la plupart des pays en voie de développement, que deux ou trois enfants, parfois même un seul, c’est que les parents rêvent pour eux d’un avenir meilleur, d’une maison ou d’un appartement, d’un scooter ou d’une auto, et de la possibilité de faire des études. Est-ce la preuve d’une occidentalisation profonde ? Bien évidemment, non - mais c’est le signe que l’idée que chacun a droit à des conditions de vie décente s’impose désormais partout.

79 Objectivement, la distance culturelle qui existe entre les Mexicains, les Iraniens, les Chinois, les Japonais et les Américains ne cesse de diminuer. Cela ne veut pas dire qu’il y a convergence et élaboration progressive d’un système de valeurs universelles. On en est loin. Ce que l’on observe, c’est un accord très large dans les aspirations au mieux- être matériel. C’est déjà beaucoup.

80 Il faut reconnaître ce fait avant d’aborder le problème des autres valeurs - religieuses, esthétiques, morales, etc. : il permet de désamorcer les polémiques et de cerner les vraies difficultés, Bien souvent, le recours aux arguments fondés sur la défense des valeurs de telle ou telle civilisation n’est qu’une réaction identitaire : il n’y a pas de raison de la condamner a priori, ce qui ne veut pas dire qu’il faille accepter pour argent comptant tous les arguments avancés,

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Le renouveau de la civilisation occidentale

81 La crise de l’idée de progrès a profondément affecté la civilisation occidentale. Elle ne l’a pas condamnée à l’immobilisme. Pourquoi le progrès serait-il uniquement d’ordre matériel ? Deux domaines au moins s’offrent aux jeunes énergies : celui de la défense de l’environnement (pour un point de vue critique sur ce mouvement : Berque, 1990 ; Pelletier, 1993), et celui de l’ouverture aux autres cultures.

82 La civilisation occidentale se recycle donc et retrouve, dans ses nouveaux habits, un attrait indéniable sur toutes les élites : comment refuser de lutter pour un développement durable ? de limiter les dangers de l’effet de serre et des autres formes de pollution globale ? comment dire non à des gens qui cessent de se proclamer les premiers et tendent leurs bras vers tous ?

83 Les problèmes réels des relations interculturelles ne se situent pas au niveau des discours, mais des réalités quotidiennes. Ils sont liés, comme par le passé, au partage des fruits de la croissance, et de plus en plus à l’impact inégal des pollutions. Ils résultent de la cohabitation rapprochée qu’imposent à des groupes très variés les migrations récentes. Pour les résoudre, ne faut-il faire du multiculturalisme un programme (Taylor, 1991 ; 1992) ?

84 Nous avons besoin d’une réflexion renouvelée sur les cultures et les civilisations. Leur analyse éclaire les dynamiques sociales profondes - c’est parce que les valeurs sont solidement insérées au sein des institutions qu’elles deviennent si prégnantes, et qu’il n’est pas possible de comprendre la vie sociale, politique ou économique sans évoquer leurs conditionnements culturels.

85 La mode est au multiculturalisme. Celui-ci est justifié par un postulat simple : celui que les cultures sont toutes équivalentes. Ce point de vue a une valeur morale évidente : il n’est pas question de le condamner. Mais il faut savoir aussi que les cultures ont des consistances et des dynamiques différentes. C’est en se penchant sur celles-ci que l’on arrivera sans doute à éviter, dans le futur, le choc des cultures.

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RÉSUMÉS

À travers l’étude des aires culturelles, les géographes ont longtemps fait des cultures et des civilisations un de leurs domaines favoris, encouragés en cela par l’exemple de Braudel. La critique des conceptions "superorganiques" de la culture a détourné l’attention vers des études de cas. Un retour aux macro-réalités culturelles se produit aujourd’hui. Dans la perspective contemporaine, la question centrale qui se pose est : "qu’est-ce qui donne aux cultures leur cohérence ?" La réponse est à chercher du côté des relations institutionnalisées, des sentiments d’identité et de l’intériorisation des valeurs. Lorsque celles-ci s’appuient sur un sens de la transcendance qui appelle au dépassement de soi, la culture devient civilisation. La civilisation occidentale, d’abord fondée comme les autres, sur des valeurs religieuses, s’est singularisée lorsque les idéologies de l’histoire ont pris le pas sur le christianisme. La crise de l’idée de progrès modifie la topologie contemporaine des civilisations et contraint la civilisation occidentale à chercher de nouvelles bases.

Through the study of cultural areas, geographers considered for a long lime cultures and civilisations as one of their favorite fields of investigation, encouraged in this way by Braudel’s example. The critique of superorganic conception of culture displaced attention towards case studies. A move back towards cultural macro-realities is by now occuring. ln the contemporary perspective, the central question is: "What provides cultures with their coherence?". The answer has to be sought in institutionnalized relations, identity feelings and the internationalization of values. When the latter are supported by a sense of transcendency which appeals ta the

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surpassing of self, cultures become civilisations. The Western civilisation, initially based, as the others, on religious values, became different when ideologies of history became ta rank before christianity. The crisis of the idea of progress transforms the contemporary topology of civilisations and forces Western civilisations ta look for new bases.

INDEX

Keywords : cultural approach, deconstruction, ethics, ethnogeography, horizons of expectancy, human geography, postmodern, process, social sciences

Mots-clés : civilisation, culture, Occident, philosophie de l’histoire, progrès, religion, valeur

AUTEUR

PAUL CLAVAL

Université de Paris-Sorbonne

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À l’occasion de l’exposition Dreamlands présentée en Galerie du Centre Pompi- dou, et en partenariat avec le Musée national d’art moderne, la Bibliothèque