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LA PILULE DE L'AYATOLLAH

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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LA PILULE

DE L'AYATOLLAH

(3)

Série

BASILE LE DISTRAIT

1. Faites sauter le P h a r a o n 2. La pilule de l'Ayatollah

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CÉLESTIN VALOIS

B a s i l e l e d i s t r a i t

LA PILULE

DE L'AYATOLLAH

PLON

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Illustration de la couverture : Roger BEGEY

La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41; d'une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite saps le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (alinéa 1 de l'article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

© Librairie Plon, 1980 ISBN : 2-259-00618-3

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CHAPITRE PREMIER

L'ayatollah Shariat Mesdiam était seul, abso- lument seul.

De sa main ridée, tremblante, il se décida enfin à écrire le nom et l'adresse sur l'enveloppe jaunie :

« A son excellence Basile Espérandieu, Maître de Recherches, 3 rue Archimède, Neuilly-sur- Seine. »

Shariat Mesdiam reposa son stylo-bille sur la cuisinière. Il venait de se délivrer définitivement du poids énorme qui pesait sur sa poitrine.

Maintenant, il fallait absolument que sa lettre atteigne son destinataire.

Le vieillard glissa l'enveloppe cachetée dans son manteau demi-râpé et demi-saison. La mode religieuse iranienne avant la chute du Shah. Pour lui, à Chauffe-le-Cachot (1), ce n'était pas la gloire. L'ayatollah était réfugié politique. Les nouveaux maîtres de l'Iran n'en voulaient plus.

Ils n'en voulaient tellement plus qu'il s'était échappé par miracle. Tous ses amis, tous les Uléma (2) qui, comme lui, n'avaient pas renié la médecine moderne au profit des versets du

(1) Petite localité de la région parisienne.

(2) Docteurs de la loi, théologiens chez les musulmans.

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Coran, avaient été liquidés. Beaucoup d'entre eux avaient cru pouvoir s'enfuir ou se cacher. Mais les Services secrets iraniens les avaient retrouvés et impitoyablement martyrisés avant de les fusil- ler. Seul, l'ayatollah Shariat Mesdiam avait eu de la chance. Pourtant il savait qu'il ne fallait pas trop compter sur ce faux bond. La SAVAMA (1) n'était pas à un faux pas près...

L'ayatollah avait un casier religieux extrême- ment chargé. Un fait, en particulier, pesait très lourd et lui avait valu sa condamnation à mort, avec, à tout jamais, l'interdiction de retourner à La Mecque. Une histoire navrante. Le grand Imam, dans son ardeur révolutionnaire, exigeait que tout l'Islam se tournât en même temps, cinq fois par jour, vers La Mecque. Respectueusement, Shariat Mesdiam lui avait rappelé l'existence des fuseaux horaires. L'Imam fit la sourde oreille.

Mesdiam, têtu, défendait les pauvres diables qui, loin de la Ville Sainte, devaient se lever en pleine nuit pour faire leurs prières. Il y avait de quoi perdre la foi. Incapable de trancher en faveur du bon sens, à bout d'arguments, l'Imam exigea la tête de son adversaire.

En quittant l'Iran, l'ayatollah Shariat Mes- diam n'était pas parti les mains vides. Il avait emporté un dossier d'une valeur exceptionnelle.

Une véritable bombe. Le fruit de plusieurs années de recherches dans les laboratoires impé- riaux. Une découverte, presque au point, accom- plie sous sa direction dans le plus grand hôpital de l'ancien régime, actuellement centre d'entraî- nement intensif pour les nouveaux bourreaux de la SAVAMA. Les recherches et la découverte de Mesdiam n'avaient eu aucun intérêt à leurs yeux.

(1) Nouvelle désignation des Services secrets iraniens.

Authentique.

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Un bon cataplasme fait avec deux ou trois pages du Livre Saint, selon la gravité du cas, renouvela- ble chaque vendredi, guérirait tous les maux. Aux infidèles leur médecine capitaliste.

L'ayatollah en pleurait encore de rage. Etre obligé de partir alors qu'il ne lui restait que des expérimentations de contrôle à faire. Mais la tension était devenue trop vive à Téhéran. Ses principaux collaborateurs étaient morts quand il avait réussi à s'enfuir, notant en vrac les élé- ments de sa trouvaille. Une dizaine de feuillets rédigés en anglais qui permettraient à un scienti- fique entraîné de réaliser sa formule.

Shariat Mesdiam, jusqu'à présent, avait réussi à se cacher. Sans se faire d'illusions. A Chauffe-le- Cachot, on jasait ferme. Qu'est-ce que faisait ce vieux bonhomme qui ressemblait à l'autre, à celui que la France avait chauffé en son sein avant de le réexpédier en Iran ? Pourquoi se terrait-il chez lui ? Qu'est-ce qu'il avait à cacher ? La SAVAMA voulait la peau de Shariat Mesdiam.

Elle voulait aussi les dossiers scientifiques qu'il avait pu emporter.

L'ayatollah avait obstrué toutes les issues de la maisonnette délabrée qu'il occupait. D'un jour à l'autre, il s'attendait à voir débarquer des brutes qui le feraient parler. Alors, il s'était décidé à envoyer son dossier dynamite au seul homme en qui il avait confiance. A Basile Espérandieu.

— Mon document ! s'écria l'ayatollah, où ai-je mis mon document ?

Fébrile, le front barré d'une ride, il se tâta sous toutes les coutures. En sentant qu'il avait bien glissé l'enveloppe dans son demi-saison, il res- pira plus librement. « Je perds la boule. Il est plus que temps que je me débarrasse de ces papiers. »

Shariat Mesdiam crevait de peur. Tant que le

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document n'aurait pas quitté sa maison, il conti- nuerait à mourir à petit feu, au goutte à goutte.

Ce soir, c'était la délivrance. Le document serait bientôt entre les mains de Basile. Lui, au moins, saurait quoi en faire. Et il l'aiderait à se sortir de là.

L'ayatollah s'essuya le front avec un mouchoir en dentelle d'Oxford. Un souvenir d'une jeune Anglaise qu'il avait convertie à l'Islam, entre autres choses. Il constatait avec amertume que les enseignements du Coran ne lui permettaient pas de contrôler ses glandes sudoripares.

Basile Espérandieu, maître de recherches hors cadre du C.N.R.S., expert scientifique auprès des cinq Académies du quai Conti (1), enquêteur spécial envoyé aux quatre coins du monde dès qu'un phénomène paraissait alarmant ou bizarre au conseil des Sages dudit quai Conti, était le seul homme en qui l'ayatollah avait une totale confiance. Même à sa mère, il n'aurait pas confié le document. Elle aurait pu le revendre pour acheter une cuisinière neuve.

Il en venait à se mépriser lui-même. Une loque, voilà ce qu'avaient fait de lui les nouveaux maîtres de l'Iran. Il n'était plus qu'un vieillard débile, peureux, maladroit, lui qui avait été l'un des maîtres de la biologie. Seule la jeunesse pouvait encore sauver son œuvre. La jeunesse de Basile Espérandieu.

Il avait connu Basile lors d'un voyage d'étude du jeune savant en Iran. Basile avait obtenu un véritable triomphe parmi le petit peuple, en débarquant de l'avion avec un croissant géant de

(1) L'Académie française, l'Académie des sciences, l'Acadé- mie des Sciences morales et politiques, l'Académie des Inscriptions et belles-lettres, l'Académie des beaux-arts. Ces cinq « chapeaux » comprennent de nombreuses sections spé- cialisées.

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deux mètres de long pétri par le boulanger Kamir au Moulin de la Vierge, rue des Plantes, dans le 14e arrondissement. Un énorme demi-cercle en pâte d'amande avec une étoile en chocolat gravée sur le pourtour. Pour la première fois dans l'Histoire, des musulmans avaient mangé le croissant de l'Islam.

— J'ai oublié quelques bricoles que je devais vous apporter, avait avoué Basile à l'ayatollah.

On tâchera quand même de travailler.

Quand Shariat Mesdiam, complètement affolé par la disparition de Basile après une journée d'entretien, l'avait retrouvé endormi sur un cha- meau au cœur du souk de Téhéran, il s'était cru obligé de le réveiller.

— Vous avez bien fait de monter jusqu'à ma chambre, dit Basile en n'ouvrant qu'un œil et en entonnant le fameux Réveil de la Vierge au matin, devenu un tube chez les croyants du souk.

Là où les choses s'étaient un peu gâtées, c'était lorsque Basile avait omis de se rendre à l'au- dience spécialement accordée pour lui par le Shah et la Shabanou. L'ayatollah, dépité par cette distraction incroyable, avait finalement identifié Basile au bord d'une piscine, lézardant au soleil.

— J'ai complètement oublié cette audience, avait expliqué Basile en bâillant. De toute manière, ça ne m'intéressait pas. J'ai quelque chose de plus important à vous dire...

Et Basile Espérandieu, en slip de bain, avait révélé, à un ayatollah en tenue islamique cor- recte, les indications que les Sages du quai Conti avaient décidé de transmettre à l'Iran pour faire avancer son progrès scientifique.

Aujourd'hui, tout le travail de coopération accompli était réduit à néant. Sauf ce document, dans cette vieille enveloppe que Basile Espéran-

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dieu pouvait encore sauver de la destruction. Aux yeux de l'ayatollah, Basile avait une qualité en voie d'extinction totale : il était foncièrement honnête, incorruptible. Comme ça, comme il respirait, sans aucune morale, sans justification religieuse. Honnête d'instinct. L'ayatollah s'y connaissait, lui qui avait passé sa vie à rouler pas mal de monde pour subsister sous le Shah avant d'être expulsé et recherché par Khomeyni et ses sbires.

L'ayatollah sursauta. On grattait à sa porte.

Affolé, ne sachant plus s'il devait remettre l'enve- loppe dans le fourneau ou appeler les pompiers, il se mit en prières. Mécaniquement. Prier, c'était toujours une voie de dégagement. On grattait toujours à la porte, mais en cadence. Gratte- gratte, gratte, gratte.

— Le signal !

C'était bien le signal, mais plus tôt que prévu.

L'ayatollah colla son oreille à la porte.

— C'est toi ?

— Gratte-gratte, répondit-on de l'autre côté.

— C'est bien toi ? Si tôt ?

— Ouvre, ou je vais me faire repérer !

L'ayatollah Shariat Mesdiam tourna sa langue dans sa bouche sèche et la clef dans la serrure. Un képi pas frais pénétra dans la pièce. C'était celui du facteur en retraite de Chauffe-le-Cachot. Pas un képi des P et T, mais des douanes. Un ex-voto sentimental auquel le facteur tenait comme à la margelle de ses yeux, déjà sérieusement chas- sieux.

— Tu as l'argent? demanda-t-il.

Le vieil homme referma vivement la porte. Il farfouilla dans le fourneau de sa cuisinière, pre- nant soin de ne pas tourner le dos au facteur. Ce facteur qui était le seul moyen pour expédier le document à Basile Espérandieu. L'ayatollah

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n'osait pas sortir de chez lui. Il n'avait aucune confiance en la poste. Téléphoner à Basile et le faire venir ici aurait pu les condamner à mort tous les deux. Après avoir retourné cent fois le problème dans sa tête, l'ayatollah n'avait trouvé que cette issue. Donner presque tout l'argent qui lui restait à ce vieux facteur, son voisin, qui lui apportait un peu de nourriture à intervalles irréguliers. Le vieux, qui travaillait au noir en plus de sa retraite, n'avait pas craché sur l'aya- tollah. Il savait que tous ces types du Moyen- Orient ont du pétrole caché quelque part.

— Tiens, lui dit l'ayatollah en lui donnant mille dollars U.S. et cent francs suisses.

Le facteur retraité en perdit la respiration pendant quelques secondes. L'ayatollah lui confia la grande enveloppe.

— Tu files immédiatement à cette adresse, lui dit-il en utilisant de nouveau le mouchoir de dentelle pour éponger sa sueur. Ne perds pas une seconde.

— Moi, je veux bien. Mais si je prends la mobylette de ma sœur, elle va sûrement me chercher des poux dans la tête.

— Ne t'occupe pas de ça. Prends un taxi.

L'ayatollah eut envie de lui dire qu'on aurait sûrement trouvé des poux et pas mal d'autres choses sous le képi, mais l'heure était aux urgen- ces et pas à une dialectique subtile.

— Oui, mais un taxi...

— Si tu es de retour avant l'aube, tu toucheras encore mille francs suisses.

Les yeux du facteur devinrent deux soucoupes, quasiment prêtes à s'envoler hors de sa tête. Des lettres comme ça, il en porterait bien un bon paquet.

— Si tu reviens vraiment très vite, je payerai aussi le taxi.

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Le facteur retraité ouvrit lui-même la porte et disparut dans la nuit. Bien décidé à emprunter la mobylette de sa sœur. Il n'éveillerait l'attention de personne, puisque c'était son soir de bambo- che. Et il gagnerait sur le taxi.

L'ayatollah Shariat Mesdiam referma la porte et se lança dans une prière de remerciements à Allah. Ce coup-ci, c'était gagné. Allah ne l'avait pas mené en bateau. Basile Espérandieu rece- vrait le document et il le sauverait.

En se relevant, il fronça les sourcils. Sur la table basse, un petit porte-cartes défraîchi. A l'intérieur, les tickets de tiercé du facteur. L'aya- tollah n'avait jamais rien compris à ces bouts de papier, mais il savait que le vieux képi y tenait.

« L'imbécile ! rugit-il intérieurement. Il va reve- nir les chercher. Encore du temps de perdu. » On gratta de nouveau à la porte. « Et voilà ! » se dit l'ayatollah.

— C'est toi ? demanda-t-il.

Il n'y eut pas de gratte-gratte, ni de gratte, ni quoi que ce soit. Simplement un silence gluant, collant au dos de l'ayatollah. Une de ces sueurs malignes qui partent du creux des reins et dégou- linent jusqu'à plus soif.

— C'est toi ou c'est pas toi ? redemanda-t-il, bêtement plié en deux par une convulsion de son estomac. Essayant de se dire que c'était peut-être quelqu'un du village, le préfet de police, le président Sadate, Paul VI...

— Jésus !

La clef tourna toute seule dans la serrure.

Incapable de détacher ses yeux de l'horrible prodige, l'ayatollah recula, laissant tomber sur le sol son mouchoir de dentelle, devenu méconnais- sable...

— Jésus ! Ce n'est pas possible, bafouilla-t-il.

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C'est le diable qui me tente. Je reste toujours musulman même si j'ai tenu tête à l'Imam...

La porte s'ouvrit brutalement, donnant le pas- sage à deux types sobrement habillés d'un cos- tume sombre et d'un polo grenat.

— Ben, non, dit celui de gauche, un énorme balèze avec une tête de catcheur. Moi, c'est Jésus et voilà Judas.

Son copain était un nerveux à la tête de fouine et à la tonsure marquée au sommet du crâne Judas le Parisien et Jésus de Lyon avaient fini par retrouver la piste de l'ayatollah Shariat Mesdiam. Tous les deux étaient des hommes de main de deuxième catégorie, au service du tout- puissant Fausener. Un de ces personnages qui mènent le monde de leur bureau sans jamais apparaître à la une des journaux ou babiller dans le micro caviardé d'un Rabasch quelconque.

Un de ces effroyables requins de la haute finance internationale plus puissants que n'im- porte quel chef d'Etat. En plus des autres, Fause- ner avait du génie. Le génie du mal.

Fausener avait un certain nombre de chefs- d'œuvre à son actif. Les affaires du Biafra, du Cambodge, de l'Iran lui devaient un petit ou un grand quelque chose. Fausener soutenait les révolutions quand elles lui rapportaient un maxi- mum d'argent ou causaient un nombre suffisant de morts. Avec l'Iran, tout s'était bien passé. A l'heure actuelle, il appuyait une certaine ten- dance. Quitte à changer de position demain matin. Dans l'esprit de Fausener, la reprise en main de l'ayatollah Shariat Mesdiam n'était qu'une petite mission confiée à des techniciens, coefficient 20, comme Jésus et Judas. Une puis- sante entreprise multinationale comme celle de Bernard de Fausener se juge à l'utilisation judi- cieuse de ses ressources en personnel. Pas ques-

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tion de gonfler les frais généraux. Chaque homme doit être exploité au maximum. C'était l'un des secrets de l'époustouflante réussite de Fausener.

— Vous... voulez quoi ? interrogea l'ayatollah.

— Dis, pépère, susurra Jésus d'une voix miel- leuse, on s'est pas déplacés jusqu'à ton bled pour t'entendre poser des questions idiotes.

— Du calme, lui demanda Judas. Monsieur va très vite comprendre, j'en suis certain.

Dans l'équipe, Judas était la tête et Jésus les jambes. Trop impulsif, Jésus était toujours parti- san des solutions extrêmes. Sans arrêt prêt à tirer, à poignarder, à étrangler. Judas détendait la corde.

— Mon cher ayatollah, dit-il, vous avez certai- nement des petites choses qui nous intéressent.

Genre dossiers qui sont partis en voyage et qui doivent revenir avec nous. Vous nous donnez tout cela, et on repart bien gentiment.

— Je ne comprends pas, je...

Jésus gifla Shariat Mesdiam à toute volée.

L'ayatollah s'effondra. Pour se défouler, Jésus cassa la table basse, les étagères, déchira le tapis usé, écrabouilla une écuelle en zinc et termina son cyclone par un coup de pied dans le dos de l'ayatollah.

— Cherche mieux, bonhomme, recommanda Judas.

Le tirant à lui en empoignant ses derniers cheveux, Jésus fit hurler Shariat Mesdiam de douleur. Judas lui cracha au visage pour faire bonne mesure.

— Alors, les documents ?

L'ayatollah expulsa une dent pourrie qui avait craqué sous la gifle de Jésus qui se grattait la joue. Il s'ennuyait dès qu'on passait à l'action psychologique.

— J'ai plus rien, avoua l'ayatollah.

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— Quoi ?

— Les documents, je n'en ai plus.

— Ben voyons ! Ils sont partis tout seuls ?

— Je les ai mis à la poste hier matin.

S'ils gobaient l'information, l'ayatollah était presque sûr de s'en tirer. Ils ne pouvaient pas récupérer la lettre.

— Ah ouais ? Sans indiscrétion, pépère, c'est qui, l'heureux destinataire ?

— Je... je ne sais plus.

Les bas instincts de Jésus se déchaînèrent de nouveau. Arrachant l'ayatollah par les épaules, il le précipita contre un mur salpêtré, le piétina un bon moment comme s'il rebondissait sur un trempoline, tout en prenant soin de ne rien écraser de définitif. Judas époussetait son cos- tume. Nationaliste, très chrétien, il avait horreur des contacts avec les races inférieures. Pour lui, les Iraniens étaient des Arabes comme les autres.

Même si ce n'était pas vrai.

— Ta mémoire est revenue ?

— Nooon... je vous jure..., balbutia l'ayatollah, à moitié paralysé par les coups de Jésus.

— Dis donc, Judas, regarde ce que j'ai trouvé ! En ouvrant le trappon de la cuisinière qui aurait dû contenir une réserve de charbon, Jésus avait extirpé de sa boîte un magnifique chapelet.

Le chapelet de cérémonie de l'ayatollah. Celui qu'il n'employait que dans les très grandes occa- sions. Judas vit une lueur de total affolement dans les yeux de Shariat Mesdiam.

— Je crois que Jésus va égrener ce chapelet.

Grain par grain, et en les concassant dans ses petits doigts.

— Non, hurla l'ayatollah, non ! Pas ça ! Je vous en supplie !

— Nous, on veut bien. Seulement, tu nous donnes le nom de ton correspondant.

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Dans le cerveau tuméfié de l'ayatollah, c'était un désastre énergétique. Son chapelet de cérémo- nie avait été béni par deux marabouts et trois ermites du désert. C'était son passeport pour une entrée directe au paradis d'Allah, sans passer par le péage.

— Un petit effort, dit Judas. Une bonne confes- sion n'a jamais fait de mal à personne. Pas vrai, Jésus ?

La brute ricana.

— L'homme à qui j'ai envoyé... le document...

s'appelle... non ! Je ne veux pas ! Qu'Allah me pardonne !

Un craquement sinistre. Jésus attaquait le chapelet.

— Il s'appelle... Basile Espérandieu.

« Un nom de code », pensa Judas.

— Eh ben voilà ! On accouche ! Adresse de ce...

Basile Espérandieu ?

— 3 rue Archimède... Neuilly-sur-Seine. Mais il n'y est presque jamais.

— Qu'est-ce qu'il fait, ton Basile ?

— C'est un grand scientifique... toujours en voyage... vous n'avez aucune chance de le...

— T'occupe pas de ça, pépère, assena Judas, persuadé que Basile Espérandieu était un espion ou un flic du camp adverse.

— Il a un signalement, ce Basile ? interrogea Judas. N'essaye pas de me raconter des craques, ou on reviendra.

— Un grand type... avec des cheveux fous, blonds... des yeux bleus, rieurs... plutôt costaud...

la trentaine...

— T'en es bien sûr ?

— Sur la Pierre Noire de La Mecque, je jure que je dis la vérité ! protesta l'ayatollah, effrayé par le regard que lui lançait Judas.

— Qu'est-ce que c'est ? Qui c'est celui-là ? Qui

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c'est ce mec-là? interrogea Jésus, qui était incroyant et peu informé des choses de la reli- gion.

— Calme-toi, lui dit Judas. Son Basile a proba- blement une couverture en béton armé. Un savant qui voyage, ça passe partout. Dis, pépère, il y a encore une petite chose que je voudrais savoir. Tu as bien une petite idée sur le contenu des documents ?

— C'est pas dans notre contrat, objecta Jésus, prenant un air buté. On n'a pas à savoir ces trucs- là.

— Ferme-la, lui dit Judas d'un ton glacé. C'est moi qui commande.

Jésus se renfrogna.

— Alors ?

— Non, aucune idée ! répondit trop vite l'aya- tollah.

— Moi, je crois que tu sais.

— H m m m , fit Jésus en se gratouillant la gorge.

— Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Judas.

— C'est quand même gênant de l'embêter comme ça pour un truc qu'on devrait pas savoir.

L'ayatollah se crut sauvé. Ces deux types n'étaient peut-être pas aussi méchants qu'ils en avaient l'air.

— Ecoute, dit Judas à Jésus, laisse-moi mener ce coup-là. Tu t'en repentiras pas, tu verras. Au boulot.

En automate bien rodé, Jésus passa à l'aspect technique des choses. Il aimait mieux ça. Un vaste rictus défigurant encore plus son visage de brute, Jésus emprisonna le cou de l'ayatollah dans son chapelet de cérémonie. Il commença à serrer.

Se faire trucider avec son passeport pour le paradis, c'était plus que l'ayatollah ne pouvait en

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supporter. Ça lui paraissait obscène. A la limite de l'étranglement, il céda.

— Je veux... parler...

— Qu'est-ce qu'il raconte, ton document ?

— Le secret... de la longue vie... et...

Ça ne fit ni chaud ni froid à Jésus. Judas, en revanche, vit soudain un monde nouveau s'ouvrir devant lui.

— Comment c'est expliqué ? Parle, bon Dieu !

— En laboratoire... on a mis au point... pres- que... la pi... la pilule... pour la longue vie... et...

Les yeux du supplicié se révulsèrent.

— Saleté, râla Jésus, le chapelet de cérémonie à la main. J'ai trop serré. Il a claqué d'un coup.

Pas de pot.

— Range le matériel et on se tire, lui ordonna Judas, furieux.

Jésus avait repéré un endroit de rangement idéal pour le « matériel » : la cuisinière. Plaçant l'ayatollah sur son épaule, il l'enfourna dans le fourneau principal. Il plia le corps, le cassa un zeste, puis le tassa avec brusquerie.

— Ça colle pas.

— Pourquoi ?

— Y a les fesses qui dépassent.

— Nettoie tout, mais grouille !

Hilare, Jésus ouvrit sa musette d'homme à tout nettoyer. Il en sortit une petite masse brunâtre qu'il déposa sur le bas du dos de l'ayatollah. Un explosif propre et puissant. Jésus était un spécia- liste de la multiplication des pains. Des pains de dynamite. Avec trois fois rien, il aurait déplacé une montagne. Il bricola ses petits branchements pendant que Judas effectuait une fouille de vérifi- cation. Avec plein d'idées d'avenir, de long ave- nir, dans sa tête.

— C'est fait, ricana Jésus. Le premier zig qui

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ouvre la porte fait sauter les fesses du bicot et la baraque avec. Chouette, non ?

Un rien méprisant, Judas considéra le visage stupide et satisfait de Jésus. Judas pensait à autre chose.

— Maintenant, dit-il, on va s'occuper de ce Basile Espérandieu.

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CHAPITRE II

Basile Espérandieu traversa la chaussée, après avoir enjambé la chaîne qui interdisait le passage aux piétons, sous prétexte de les protéger. Le chauffeur du bus qui arrivait fut obligé de piler sec. R a t a n t de justesse Basile qui ne voyait absolument rien. Non pas en raison de sa vue, tout à fait excellente, mais à cause d'une énorme statue en bois, représentant une déesse nègre allaitant de son sein généreux un petit faune barbu. Basile avait bien astiqué l'inscription expliquant la scène : l'Industrie nourrissant la Culture. La statue pesait bien dans les vingt kilos et faisait un bon mètre cinquante de haut. Par bonheur, Basile Espérandieu, bâti en athlète, avait déjà porté à bout de bras bien d'autres choses encombrantes. Avec les missions que lui confiaient les Sages des cinq Académies du quai Conti, il valait mieux être solide.

— Arrêtez-vous ! h u r l a la passagère d'un taxi en voyant un porteur de statue qui avançait sur la chaussée.

La chauffeuse d o n n a un coup de volant, et écrasa son capot dans le derrière du bus qui avait calé. Son propre derrière étant d'ailleurs aussitôt e m b o u t i p a r une a m b u l a n c e remplie jusqu'à la gueule.

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— Y a le feu ! s'affola la cliente d u taxi qui en profita pour descendre sans payer.

Le feu était en effet passé a u rouge... C'était la p a n i q u e . On c o m p t a i t d é j à plus de quinze emboutis. Les conducteurs, refusant toute négo- ciation, c o m m e n ç a i e n t à se battre. Basile Espé- randieu, qui n'avait rien noté de particulier, s'était sorti du flot de voitures pour atteindre l'autre trottoir. Suffisamment préoccupé p a r le bel objet d ' a r t qu'il a p p o r t a i t à un sous-secrétaire d ' u n sous-cabinet du ministère de l'Intérieur. Un monsieur très sérieux qui facilitait parfois l'ob- tention u l t r a r a p i d e de visas dont Basile avait besoin. Il fallait a b s o l u m e n t lui offrir quelque chose. Connaissant le goût du fonctionnaire p o u r l'art africain, Basile avait trouvé le c a d e a u idéal : un p o r t e m a n t e a u congolais, d a t a n t de la coloni- sation belge, qui végétait dans l'entrée de son a p p a r t e m e n t .

Le ministère de l'Intérieur, sauf déménage- ment récent et très confidentiel, n'est pas situé quai d'Orsay. Pas plus que rue Lapérouse vers laquelle Basile avait été orienté p a r un agent de police à qui il avait d e m a n d é : « Le ministère ? » Mais c'était exactement le genre de détail auquel Basile Espérandieu, en dépit de toutes ses compé- tences scientifiques, n ' a t t r i b u a i t pas la moindre importance. Avec sa chevelure blonde un peu folle et ses yeux bleus remplis d'optimisme, il allait droit devant lui, d ' u n pas rapide, dans la rue Lapérouse.

C o m m e rien ne ressemble plus à un trottoir q u ' u n autre trottoir, un bas d ' i m m e u b l e à u n autre bas d ' i m m e u b l e , Basile avait le sentiment réconfortant d'être bientôt près de son b u t : le ministère de l'Intérieur. Sans avoir, en cours de route, a s s o m m é un p a s s a n t avec son œuvre d ' a r t qu'il considérait c o m m e le s o m m e t du mauvais

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