• Aucun résultat trouvé

Le rôle des valeurs et du sens de la vie dans le rétablissement des troubles mentaux sévères

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Le rôle des valeurs et du sens de la vie dans le rétablissement des troubles mentaux sévères"

Copied!
10
0
0

Texte intégral

(1)

Article

Reference

Le rôle des valeurs et du sens de la vie dans le rétablissement des troubles mentaux sévères

HUGUELET, Philippe

Abstract

The role of values and meaning of life in the recovery of severe mental disorders. Restoring meaning in one's life is a major issue for psychological recovery, in the context of the psychological and social consequences of severe mental disorders such as schizophrenia.

Recovery indeed denotes the development of a fulfiling life and a positive sense of identity founded on hopefulness and self-determination. Only a little research has been devoted to meaning. Here we describe the way meaning interacts with patients value and psychological and social context and define a general model involving the interaction beween these parameters. Finally, the way to address the issue of meaning is detailed according to existential literature, with the assumption that meaning is often a neglected issue in recovery-oriented care. Meaning can be found, for example, by considering the way one copes with his/her suffering, or by inversting in hedonism or altruism. These goals should be oriented by the values which are important to the patients.

HUGUELET, Philippe. Le rôle des valeurs et du sens de la vie dans le rétablissement des troubles mentaux sévères. Schweizer Archiv für Neurologie und Psychiatrie , 2013, vol. 3, no. 164, p. 90-8

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:40414

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

(2)

Summary

The role of values and meaning of life in the recovery of severe mental disorders Restoring meaning in one’s life is a major issue for psychological recovery, in the context of the psychological and social consequences of severe mental disorders such as schizophrenia. Recovery indeed denotes the development of a fulfilling life and a positive sense of identity founded on hopefulness and self-determination. Only a little research has been devoted to meaning. Here we describe the way meaning interacts with patients’ values and psycho- logical and social context and define a general model involving the inter- action between these parameters. Finally, the way to address the issue of meaning is detailed according to existential literature, with the assumption that meaning is often a neglected issue in recovery-oriented care. Meaning can be found, for example, by considering the way one copes with his/her suffering, or by investing in hedonism or altruism. These goals should be oriented by the values which are important to the patients.

Key words: psychosis, recovery, existentialism, meaning

Introduction

Comment organiser le soin des patients souffrant de troubles mentaux sévères? On peut tenter, parfois en vain, de res- taurer une pleine capacité fonctionnelle. Depuis plusieurs années le concept de rétablissement a été introduit comme alternative à cette posture. Le rétablissement implique en effet de promouvoir l’acceptation de ce qui ne peut pas être changé, puis de construire un nouveau projet de vie positif.

Le rétablissement est un processus plutôt qu’un résultat. Il vise à la réalisation d’une vie pleine et significative, d’une identité fondée sur l’espoir et l’autodétermination.

Se rétablir implique donc de:

1. Trouver l’espoir;

2. Redéfinir l’identité;

3. Trouver un sens à la vie;

4. Prendre la responsabilité active du rétablissement.

Le rôle des valeurs et du sens de la vie

dans le rétablissement des troubles mentaux sévères

Philippe Huguelet

Service de psychiatrie générale, Département de santé mentale et de psychiatrie, HUG, Genève, Switzerland

Funding / potential competing interests: No financial support and no other potential conflict of interest relevant to this article was reported.

Correspondance:

Dr Philippe Huguelet, C.C.

Responsable du Secteur Eaux-Vives Service de psychiatrie générale

Département de santé mentale et de psychiatrie – HUG Rue du 31-Décembre 6–8

CH-1207 Genève Switzerland

philippe.huguelet[at]hcuge.ch

Ce concept a fait l’objet d’innombrables publications (par ex. [1, 2]) et peut servir de trame pour l’organisation des services de psychiatrie [3].

Certes aujourd’hui la plupart des cliniciens réalisent qu’on gagne à promouvoir le rôle actif des patients. Toutefois le troisième aspect décrit plus haut, trouver un sens à la vie, n’a été jusqu’à présent l’objet que de peu de considérations, sur le plan de la recherche mais sans doute aussi en clinique.

Or il semble intuitivement évident que si le processus du rétablissement passe en quelque sorte par un deuil lié à des pertes souvent importantes, retrouver un sens à la vie constitue une composante indispensable d’un nouveau départ vers une vie réussie. Les patients souffrants de psy- chose doivent d’une part donner un sens à leur épreuve; ils doivent en plus, comme tout le monde, composer avec leur état d’être humain en quête d’une représentation de leur position dans l’univers.

Trouver un sens est sans doute de plus en plus difficile dans un monde qui s’accélère, rendant la fixation de repères plus aléatoire [4]. Pour les patients souffrant de troubles mentaux sévères, Arveiller [5] mentionne une difficulté supplémentaire: le contrat social, au sens de Rousseau, n’existe plus dans nos sociétés: l’interdépendance et l’aide réciproque ont été remplacées par une déresponsabilisation de l’aidé.

Les philosophes, puis les thérapeutes existentialistes se sont penchés sur la question du sens. Quel éclairage peut-on en tirer pour la pratique centrée sur le rétablissement? Nous mettrons d’abord en perspective le concept de sens puis nous développerons un modèle intégrant le sens dans sa relation avec les valeurs et les éléments bio-psycho-sociaux relevant de la pratique clinique. Enfin nous détaillerons des aspects thérapeutiques en lien avec le sens.

Sens de la vie et philosophie

Le sens personnel a pris de l’importance en occident dès le 18e siècle, lorsque le développement des connaissances scientifiques combiné aux questionnements philosophiques (Kant, Spinoza) ont remis en cause les dogmes religieux.

A cela s’ajoute la transformation des métiers: dans l’ère pré- industrielle, les travailleurs s’intégraient aux processus natu- rels et leur lutte pour survivre contribuait à donner le sens.

Aujourd’hui la plupart des activités de notre monde indus- triel sont éloignées de la nature et de ses cycles. Le travail est répétitif et souvent coupé de ses destinataires, donc de contacts sociaux.

(3)

La question du sens traverse la philosophie depuis ses débuts [6, 7]. Camus emploie le terme «absurde» pour qua- lifier la posture de l’homme dans le monde [8]. La solution face à cette absurdité peut être d’être «héroïque» ou rebelle.

Pendant la deuxième guerre mondiale, Camus va mettre en acte sa thèse par son engagement dans la résistance. Ainsi le nihilisme est dépassé par la mise en application d’un système personnel de sens avec des valeurs et des lignes de conduite (courage, rébellion, solidarité, amour…).

Sartre quant à lui développe une thèse plus nihiliste sur le sens de la vie [9] («L’homme est une passion inutile»,

«toute l’existence prend naissance sans raison, se poursuit par faiblesse et meurt par hasard»). Néanmoins, il pose les principes de la raison de vivre, dans le retour vers les racines mais aussi dans la poursuite d’un chemin dont on serait l’artisan. Le sens est ainsi à trouver en soi, plutôt que par la découverte de ce que Dieu ou la nature peuvent offrir. Pour les athées, selon Sartre, l’un des poids de la liberté est d’avoir à inventer du sens.

Le sens de la vie et les valeurs

Le sens

Le sens (meaning) est une des grandes thématique de l’ap- proche existentielle, avec celle de la finitude, de la responsa- bilité et de la solitude existentielle. Le besoin de sens semble indispensable. Nous aspirons au sens et sommes mal à l’aise en son absence [6]. Le fait de chercher un sens à la vie et au monde qui nous entoure est probablement une caractéris- tique de l’être humain [10]. Schneider [10] place la quête du sens dans une lutte entre l’appréhension de notre petitesse par rapport à l’infinité du monde cosmique. Frankl [11]

avance que la recherche de sens est la force fondamentale qui guide les humains, plutôt que la recherche du plaisir sur laquelle est fondée la psychanalyse freudienne.

Le sens se définit comme ce qui tend à être exprimé par quelque chose: «Idée ou ensemble d’idées intelligible que représente un signe ou un ensemble de signes» [12].

Heidegger [13] questionne le sens d’être et souligne que le sens d’un objet dépend de son contexte (y compris de sa/ses fonction/s) [14]. D’où le concept de Dasein, «Etre dans le monde», qui met en avant la connexion au monde mais aussi la projection vers l’avenir.

Yalom [6] définit le sens dans sa perspective existentia- liste. Selon lui, le sens doit être trouvé, il n’est pas donné.

Le sens a en fait deux significations: (1.) que signifient nos vies? (autrement dit dans quoi s’inscrivent-elle?); puis (2.) celle du sens qui renvoie à l’intention, à la fonction (à quoi servent nos vies?). La première signification désigne le sens cosmique qui concerne la dimension spirituelle du sens (c’est à dire, portant sur les grandes questions sur le pour- quoi de l’univers et de la vie, etc.). La seconde signification désigne le sens personnel qui concerne les raisons qui nous font trouver acceptable, voir utile, de vivre. Sont concernés les activités et projets que chacun va mettre en place dans sa vie.

Van Deurzen [7] décrit quatre dimensions du sens: le sens physique (sentiment d’efficacité), le sens social (s’expri-

mant par rapport à des valeurs ou des sentiments envers autrui), le sens psychologique (sentiment de valeur de soi), et le sens spirituel (c’est-à-dire, la spiritualité au sens large, concernant le religieux et/ou une spiritualité athée). Frankl [15], un psychiatre viennois rescapé de l’Holocauste, décrit combien trouver un sens lui a permis de surmonter cette épreuve. Il distingue trois domaines dans lesquels peut être trouvé du sens: la charité, les bonnes causes, les relations; le sens peut être dans certains cas extrêmes trouvé unique- ment, mais de manière déterminante, dans l’attitude que l’on va avoir face à sa propre souffrance.

Les valeurs

«Les valeurs sont des croyances stables selon lesquelles certains buts dans la vie sont préférables à d’autres» [16].

Battista et Almond [17] détaillent l’évolution de la pensée autour des valeurs: selon eux la philosophie tendait à l’ori- gine à considérer des valeurs spécifiques à un paradigme ou à un autre (par exemple la religion, ou l’humanisme). Ces positions sont potentiellement stérilisantes face à la diversité des vues et investissements des humains. Par conséquent, on souligne aujourd’hui que chacun va trouver des valeurs dans un cadre référentiel qui lui convient, notamment par rapport à sa vision du monde (worldview).

Schwartz [18] a travaillé sur les valeurs dans une pers- pective psycho- et sociologique. Il définit les valeurs comme des croyances, associées aux affects, qui motivent l’action.

Chacun va investir plus ou moins les valeurs de base décrites par cet auteur (comme par exemple l’autonomie, l’ordre, la bienveillance…). Ces valeurs correspondent à des impératifs de survie de l’individu et du groupe, et concordent avec les pulsions innées: acquérir, relier, apprendre et défendre.

L’auteur souligne le fait que si les valeurs sont latentes chez chacun, elles peuvent plus ou moins s’exprimer selon les circonstances de vie. Or c’est l’activation des valeurs qui leur confère un effet sur le comportement. Ce constat empi- rique est potentiellement riche d’implications en clinique, compte tenu des difficultés de certains à initier un change- ment (voir plus bas).

Quel est le lien entre valeurs et sens de la vie? Battista et Almond [17] mettent en évidence que le sens de la vie est certes en lien avec une bonne estime de soi, mais aussi et surtout avec une bonne congruence entre les valeurs et les moyens donnés par le contexte social pour les appliquer (c’est-à-dire qu’il peut être difficile de trouver un sens à la vie si nos valeurs ne sont pas applicables dans notre système social, ou pire encore pour le cas où elles seraient à contre- courant des idées dominantes). En fait donc, les valeurs sont des principes qui, dans les cas où elles sont agies dans nos vies, pourvoient à un sentiment de sens.

Autres concepts en lien avec le sens

Le sens et les valeurs doivent être distinguées des buts (objec- tifs concrets, parfois motivés par les valeurs), et les vertus (qui sont des règles de comportement [16], soit des «qualités portées à un haut degré» [12]).

L’espoir (hope) est un élément complexe aux multiples définitions dont Schrank et al. [19] font la revue. L’espoir

(4)

peut se définir selon ces auteurs comme une attente, orien- tée vers le futur, d’atteindre des buts en lien avec les valeurs, qui (1.) peut donner du sens, (2.) est possible et (3.) dépend de facteurs intrinsèques et environnementaux. L’espoir comprend quatre composants: affectif, cognitif, compor- temental et environnemental.

Les concepts de buts, valeurs, espoir et sens se complè- tent et pour partie se recouvrent. Afin d’éviter une comple- xification superflue de notre modèle, nous limitons notre réflexion aux notions de valeurs et de sens. Les buts sont implicitement pris en compte dans leur lien avec les valeurs.

Le concept d’espoir est situé à une place hiérarchique infé- rieure à celle du sens de la vie. Il est donc partie du fonction- nement cognitif de l’individu.

Sens de la vie et pratique clinique

A quel titre le clinicien en psychiatrie devrait porter atten- tion au sens de la vie? N’est-ce pas une thématique qui dépend de la philosophie, de la théologie ou de considé- rations existentielles réservées à une «clientèle de divan»?

Peut-on circonscrire et modéliser un concept à priori si abstrait? Nous tenterons plus loin de formaliser le sens comme une construction psychologique pertinente.

La clinique nous permet d’observer que la plupart des patients souffrant de troubles mentaux sévères présentent des difficultés dans le domaine des relations interhumaines, dans leur identité (estime de soi) et par rapport au sens de leur existence, ces trois domaines étant à priori interdépen- dants [17]. Maddi [20] a décrit combien il lui apparaissait qu’un nombre croissant de patients consultaient du fait de leur insatisfaction face à leurs vies. Il définit non sans per- tinence le concept de «névrose existentielle», caractérisé par un sentiment d’absence de sens, avec ennui, inactivité.

L’auteur différentie cette névrose de la dépression, et la relie à une personnalité «prémorbide» dominée par la satisfaction de besoins biologiques et une inscription trop concrète dans un rôle social.

On peut donc tenter comme Spinelli [21], Schneider [10] ou d’autres, de procéder à une phénoménologie com- plexe des avatars du sens de la vie. L’intégration de ces consi- dérations existentialistes à la clinique et à la recherche en psychiatrie nécessite toutefois une approche peut être moins sophistiquée, mais à même d’appuyer une méthodologie productrice de résultats empiriques. Notre postulat repose sur le fait qu’une telle simplification permet la recherche, sans pour autant dénaturer le concept de sens.

En clinique psychothérapeutique, la question du sens se pose pour tous à un moment donné, quel que soit le diagnostic en jeu. Encore faut-il le remarquer... Avant de détailler la modélisation de ce processus, voyons dans quelles circonstances la question du sens de la vie peut se dévoiler:

– Le sujet souffre d’un trouble psychiatrique (par ex. un trouble dépressif) qui va colorer ses réflexions de noir, y compris en ce qui concerne le sens de sa vie. L’absence de sens perpétuant la dépression dans un cercle vicieux.

– Le sujet expérimente des évènements (internes ou ex- ternes, par exemples un stress social, un trouble mental

sévère avec distorsions cognitives) qui entraînent des conséquences biologiques et psychologiques multiples.

Ces évènements remettent en cause sa capacité à entre- voir la question du sens avec sérénité, car ses valeurs sont remises en cause par ce qu’il vit. Cet effet du trau- matique peut ne revêtir qu’un aspect périphérique;

d’autre fois il va prendre une place centrale dans les réactions du sujet.

– En ce qui concerne les troubles mentaux sévères, comme par exemple les troubles psychotiques d’évolution défa- vorable, il paraît improbable que le manque de sens ne joue pas un rôle déterminant, compte tenu des répercus- sions du trouble sur les capacités des sujets à réaliser leurs aspirations.

– D’autres personnes cultivent une propension à la «rumi- nation existentielle», dont on peut penser qu’elle relève d’un trouble dysthymique. On peut toutefois avoir une lecture de cette situation selon la conception de Maddi [20] de la «névrose existentielle» (voir plus haut) ou de Spinelli [21] qui voit là la conséquence d’un écart entre la conception du monde de l’individu (worldview) et la réalité à laquelle il est confronté. Certains patients vivent ce manque de sens de manière consciente, alors que d’autres déplacent leur malaise sur d’autres thématiques (frustration par rapport à la vie de couple, au travail, besoins incessant de perfection, etc…). Donc le travail devrait porter sur la perspective existentielle du sens, dès lors qu’il s’agirait du fond du problème.

Dans les situations évoquées, le sujet devient incapable de se satisfaire d’une routine de la vie à priori agréable, com- posée de contemplation, nourriture, vie sociale et sexuelle…

Plus généralement, certains patients présentent des troubles psychiatriques (épisodes dépressifs, troubles anxieux, addic- tions) qui surviennent en conséquence de facteurs de stress à thématique existentielle, c’est-à-dire relevant in fine d’un manque de sens. Frankl [11] estimait que près de 20% de ses patients présentaient une «névrose» liée à l’absence de sens.

Echelles de mesure du sens de la vie et de valeurs Mesurer le sens de la vie nécessite de transposer ce concept philosophique et psychothérapeutique en une définition compatible avec l’expérimentation clinique [17]. Comme mentionné plus haut, cette question implique qu’il n’y a pas un sens «ultime» commun à tous, mais que chacun peut le définir selon sa culture et ses convenances (position relativiste).

La PIL (Purpose in Life) [22] est une échelle qui a été testée assez largement. Composée de 20 items, elle a l’in- convénient de se référer à différents concepts. De plus, sa conception n’évite pas une certaine «désirabilité sociale» et elle orienterait vers une éthique protestante du travail, cela au détriment d’une soit-disant «passivité» pourtant valori- sée dans certaines cultures [6].

La «Life Regard Index» [17] considère le sens de la vie selon deux sous-échelles: (1.) celle de la structure ou cadre de référence (framework), qui mesure la possibilité d’un individu de voir sa vie dans une perspective et d’en tirer des buts (par ex. avec l’affirmation: «J’ai une idée très claire de ce que

(5)

je voudrais faire de ma vie» et (2.) celle de l’accomplissement, de la réalisation (fulfillment), avec des affirmations comme

«Je sens que je vis pleinement». Cette échelle a été moins utilisée, mais elle offre l’avantage de ne pas exposer de contenus précis en lien avec le sens de la vie, et laisse donc le sujet libre de considérer ce qui compte pour lui dans ses réponses.

Comme décrit plus haut, on devrait concevoir le sens de la vie comme la conséquence de la mise en acte de valeurs.

L’évaluation de ces dernières est donc nécessaire pour com- pléter l’évaluation du sens de la vie. La VLQ (Questionnaire des valeurs) [23] détaille 10 domaines (relations familiales, vie spirituelle…) dont l’importance est cotée. Dans une deuxième partie, le questionnaire reprend ces domaines et évalue à quel point les actes du sujet sont en accord avec les différents domaines investigués. Ce test a toutefois l’in- convénient de mettre en avant des thématiques souvent peu pertinentes chez les patients qui présentent un trouble mental sévère (par ex. la valeur travail ou la parentalité…).

L’échelle de Schwartz [18] nous évite ce problème en groupant les valeurs selon des thématiques: recherche du pouvoir, accomplissement, hédonisme, recherche de stimu- lations, autonomie, universalisme (tolérance, générosité, sagesse…), bienveillance, sens de la tradition, conformisme (contrôle des impulsions, politesse…) et sécurité. Son groupe a développé deux échelles d’évaluation validées avec des milliers de sujets dans de nombreuses cultures.

Modélisation

Le sens s’inscrit dans l’histoire du sujet. Nous pouvons l’intégrer dans un modèle basé sur le paradigme bio-psycho- social [24]. Différents éléments biologiques, psychologiques et même environnementaux [18] vont influencer (positive- ment ou négativement) les valeurs:

1. D’abord en permettant (ou pas) leur présence dans la conscience du sujet;

2. Ensuite en influençant (positivement ou négativement) leur mise en application dans la vie du sujet.

C’est la résultante de ce qui précède qui va donner (ou pas) le sentiment que la vie a du sens. Il faut enfin souligner que le fait d’avoir du sens (ou pas) va intervenir en feed-back sur les éléments initiaux de manière positive (ou négative).

Ce modèle permet donc de mettre en évidence que des cercles vertueux (ou vicieux) sont possibles entre les élé- ments bio-psycho-sociaux et le sens de la vie, en passant par la mise en acte des valeurs. La réflexion (ou la rumination) sur le sens de la vie peut donc être représentée comme une séquence où un évènement externe (par ex. échec d’un projet) ou interne (par ex. le fait de penser à l’avenir), en lien avec les valeurs, génère une pensée sur une thématique en lien avec le sens de la vie (par ex. «Est-ce que ça vaut la peine de vivre cette vie?»). Cette pensée génère un affect, parfois de la tristesse. Ce dernier en retour exerce un effet sur les processus cognitifs du sujet.

Sur la base de ce qui précède, nous pouvons formuler le modèle de la figure 1.

On peut noter que le sens de la vie peut être aussi influencé par l’estime de soi des sujets, de même que par la

Epigénétique Gène Neurobiologie

Intelligence Style cognitif

Emotions

Culture Famille Relation Histoire personnelle

Stress Substances Psychothérapies

En vi ro nn emen tP sy ch ol og ie Bi ol og ie

Importance des valeurs

(+/-) Mise en application des valeurs

(+/-)

Sens de la vie

Figure 1 Sens de la vie et valeurs dans une perspective bio-psycho-sociale.

(6)

qualité de leurs relations interpersonnelles, ce qui justifie dans notre modèle qu’il y ait aussi une relation directe entre les paramètres bio-psycho-sociaux et le sens de la vie.

La figure 2 illustre le cas d’un patient souffrant de psychose chronique. On pourra mettre en évidence que des éléments biologiques, cognitifs (par ex. déficit motivation- nel, idées délirantes) et sociaux (isolement) vont empêcher la reconnaissance de valeurs par le sujet, mais aussi leur mise en application. Cela aura un impact sur le sens de la vie. Ce manque de sens va en feed-back augmenter la démotivation et baisser l’estime de soi.

Dans d’autres situations, les éléments de base sont essen- tiellement de nature sociale (manque de liberté politique, challenge social…). Ceux-ci empêchent la mise en acte des valeurs avec diminution du sens de la vie. En retour ce manque de sens de la vie peut générer des cognitions et des affects dépressifs…

Sens de la vie et rétablissement

Ce qui précède illustre combien trouver du sens est un défi pour ceux qui traversent une épreuve telle que l’irruption d’un trouble mental persistant. De fait, un patient débutant une psychose risque de se retrouver profondément décou- ragé, puis mettre en question ses valeurs et le sens qu’il trou- vait jusque-là dans sa vie. Ce découragement va entamer sa motivation, avec à la clé une difficulté à mettre en place de nouveaux projets. L’inactivité qui va en découler va à son tour alimenter un sentiment de perte de sens. Cette logique

justifie donc pleinement le concept de rétablissement: celui- ci impose une phase de deuil, dans un premier temps néces- saire afin d’assimiler et d’accepter les pertes psychologiques et sociales qui découlent du trouble psychologique. C’est une condition nécessaire pour repartir de manière positive vers de nouveaux buts de vie [25].

Pour le clinicien, il s’agit de reconnaitre ce que vit le patient (position phénoménologique), puis de réaliser le cas échéant que celui-ci se trouve dans une telle spirale néga- tive. Il devrait ensuite aider le patient à mettre en place un projet qui puisse lui permettre d’inverser cette spirale, en devenant, dans une certaine mesure, un porteur d’espoir (holder of hope) [19].

Nous décrirons ci-après les différentes techniques pro- posées pour aider les patients à retrouver le sens de leur vie, puis les domaines d’investissement susceptibles de contri- buer au sens. Bien sûr l’approche clinique est complexe et spécifique à chaque patient, selon son vécu et son histoire.

Ce qui suit est donc potentiellement simplificateur. Notre but n’est toutefois pas de réduire, mais de proposer des pistes à même d’enrichir la pratique.

Principes généraux d’intervention

Pour Heidegger [13], l’approche existentielle porte sur les dispositions (connaître son humeur), la compréhension (du monde) et le discours (sur les situations, ce qui permet de donner du sens au monde et à soi de manière concrète).

D’autres auteurs ont proposé d’intervenir sur le sens avec Figure 2 Schizophrénie.

ariant Val de la C M

iminution des émotions

Complications obstétricales

En vi ro nn emen t Ps yc ho lo gi e Bi ol og ie

Importance des valeurs basses

«manque d’ambition» Sens de la vie fortement

réduit

«le monde m’apparaît confus»

Neurotrans- mission opamine

-

istorsions cognitives

«tout le monde m’en veut»

-

- -

-

épigénétique

Cannabis

-

-

Pas de mise en acte des valeurs

«je ne veux pas aller chez le médecin»

- -

-

-

ltérations cérébrales

-

n iété

-

(7)

des approches soit très spécifiques, mais difficiles à mettre en œuvre [10, 21], soit relevant plutôt d’une thérapie de soutien éclairée par les concepts de l’existentialisme [7].

Van Deurzen [7] préconise d’agir sur les quatre dimen- sions du sens qu’elle a défini: le sens physique se concrétise par un sentiment d’efficacité, par une interaction satisfai- sante entre notre corps et le monde physique. Le sens social se développe par rapport à des valeurs ou les sentiments envers autrui, et par les sentiments positifs susceptibles d’en découler. C’est donc dans cette dimension que les valeurs et leur mise en scène peuvent s’associer au sens. Le sens psychologique se construit sur les pensées, qui déterminent l’identité, et partant de là, l’estime de soi. Enfin le sens spiri- tuel (c’est-à-dire la spiritualité au sens large, concernant le religieux et/ou la spiritualité athée) se détermine par rapport à l’intuition qu’on peut avoir d’être connecté à un système global. Celui-ci étant à même de donner un but. Malgré les réserves émises plus haut, son système nous paraît intéres- sant dans la mesure où il permet de regrouper les théma- tiques liées au sens dans un tout potentiellement cohérent.

Frankl [15] a développé la logothérapie (logo peut signi- fier sens) dans laquelle le sens occupe une place centrale.

Son apport le plus intéressant repose en fait sur sa descrip- tion de son attitude dans le camp de concentration; pour lui seul, le fait de trouver un sens dans la manière d’affronter cette épreuve lui aurait permis de survivre. A contrario il décrit le sort malheureux de ceux qui perdaient le sens.

Cette situation peut être rapprochée de celle de patients confrontés à leurs symptômes parfois terribles, puis à leurs conséquences sociales. Dans ces moments, on peut tenter d’aborder avec les patients le sens qu’ils peuvent trouver dans leur démarche de soin et leur capacité à faire face, «pos- ture héroïque face au destin».

Yalom [6] décrit de manière pertinente et claire les prin- cipes et les risques d’une approche du sens en psychothéra- pie. Ils s’appliquent logiquement dans l’approche centrée sur le rétablissement. Pour lui il s’agit dans un premier temps de découvrir des enjeux parasites, par exemple les enjeux ultimes (mort, liberté, solitude…) parfois niés afin d’éviter de se poser la question du sens.

Il aborde également la question du biais culturel (cf.

supra): «L’équation postulant que, puisque la vie n’a pas de finalité claire, ce n’est pas la peine de vivre, se fonde sur des hypothèses culturelles et arbitraires.» Cette perspective est incontournable, d’abord parce qu’elle est juste, mais surtout parce que dans le rétablissement, l’universalité de la valeur

«travail» représente un obstacle majeur à la redéfinition d’objectifs de vie compatibles avec les possibilités de certains patients.

Yalom [6] souligne à quel point peu d’écrits existent sur le sens. Il est d’ailleurs fréquent en clinique de constater combien les patients peuvent être soumis à une approche orientée vers la concrétude, avec des démarches, de mobili- sation qui font l’impasse sur la conception globale d’un projet de vie. Pour avancer dans cette démarche cet auteur propose de connaître le patient aussi profondément que pos- sible, ce qui rejoint dans une certaine mesure la position phénoménologique [21]. cette démarche permet donc de mieux comprendre la situation du patient, de mieux ajuster avec lui des projets en lien avec ses valeurs et d’aller au-delà

du positionnement matérialiste habituel. Cette démarche vers l’authenticité (dans la perspective nietzschéenne) per- met de «contaminer» le patient.

Une démarche intéressante de Frankl [15] est l’introduc- tion du concept de «déréflexion». Selon lui, l’introspection risque de rendre les patients «encore plus» égocentriques.

Au terme d’un certain temps de réflexion sur soi, les patients devraient être aidés à se distancer d’eux-mêmes, donc chercher un sens en dehors de soi-même. Cette conception est un peu schématique, comme souvent chez cet auteur [6].

Elle nous éclaire cependant sur l’intérêt d’une réflexion ouverte (donc partagée avec les patients) sur la balance entre les investissement sur soi vs sur l’environnement. Cette réflexion est d’ailleurs présente chez Schwartz [18] lorsqu’il regroupe les valeurs selon l’axe dialectique «Inflation de soi» versus «Dépassement de soi». Yalom souligne l’utilité de l’approche groupale pour susciter la déréflexion, celle-ci permettant la confrontation aux vécus des autres, donc un certain décentrage.

Yalom [6] mentionne enfin un type de discours caracté- risé par une posture de spectateur distant où les semblables paraissent triviaux et ridicules. Il s’agit de sujets souvent désabusés par leur infortune, aux capacités de lecture des motivations des autres fines et cyniques, donc pleinement conscients de la petitesse de certaines de nos actions… Cela s’accompagne généralement d’une focalisation sur ces as- pects de leur environnement, sans confrontation dialectique avec les afférences positives. Cette posture a un nom: «vision galactique»! et peut représenter un problème épineux car la plupart du temps d’une logique implacable et source de découragement. Que faire? On peut entamer une discussion sur le paradoxe que si rien n’a d’importance, il n’y a pas d’importance à ce que rien n’ait d’importance… Il est vrai que si on déplore l’insignifiance du monde, c’est qu’on lui prête de l’importance. On n’est pas indigné par l’insigni- fiance d’une fourmi! La possibilité de retourner vers la vie avec ironie plutôt que désespoir est donc soulignée. Mais surtout, en plus de ces considérations souvent insuffisantes, l’antidote à la «vision galactique» est l’engagement [26].

Yalom l’illustre par les destins de Sartre et de Camus, puis par les romans de Tolstoï. Donc en quelque sorte «l’engage- ment détoxifie la perspective galactique» [6], car il organise les évènements de la vie dans un schéma cohérent. Pour cela le thérapeute ne doit pas prescrire des choses à faire, mais plutôt aider à lever les obstacles bloquant le patient: pour- quoi tire-t-il si peu de satisfactions de ses relations aux autres? Qu’est-ce qui le bloque dans sa recherche d’une activité? On revient donc au thème exposé plus haut. Face à des patients psychotiques présentant principalement un défaut de valeurs explicites (auquel se combine une diffi- culté à les mettre en jeu), ce travail sur les blocages prend tout son sens.

Interventions: domaines pourvoyeurs de sens

Lors du traitement centré sur le rétablissement, on va buter sur la réalité, souvent limitative, puis sur le manque de mo- tivation des intéressés. Il faut donc avoir de l’imagination et explorer les domaines potentiellement pourvoyeurs de sens.

(8)

Comme mentionné plus haut, partir des valeurs du sujet représente une technique à même parfois de surmonter les blocages. Ces domaines sont donc somme toute assez nombreux. Ils sont regroupés ci-après par thématiques qui se recouvrent partiellement:

Le travail… et la contemplation

Le travail détermine certes des gains financiers, mais aussi assez souvent notre identité et le sens de notre vie. La notion actuelle du travail comme sens est toutefois récente et locale!

Par exemple, la morale chrétienne protestante (Calvin) valo- rise le travail. Cette valorisation a toutefois le potentiel de produire un sentiment de culpabilité chez ceux qui ne sont pas «à la hauteur». Notre tradition occidentale est ainsi tout à fait contraire à la perspective du rétablissement car elle impose parfois de faire plus que ce qui est possible. Or, les humains ont aussi un capacité à rêver, à contempler. Elle est mieux reconnue dans d’autres cultures, dans lesquelles il peut s’agir de finalités de la vie. Il est possible d’accompagner un patient dans une démarche de reprise d’activité; il est tout aussi possible selon les cas de le soutenir dans une démarche alterne, portée sur la contemplation et l’investissement du présent pour ce qu’il est. Cette démarche est appuyée par certaines philosophies orientales, mais aussi par les écrits des premiers chrétiens qui considéraient le travail et la richesse comme des entraves et faisaient la promotion de la contem- plation et de l’expression artistique [6].

Tout est donc relatif, on peut mener une vie épargnée par le principe paradigmatique de la valeur travail/produc- tion de nos sociétés! Le tout est d’arriver à habiter une autre attitude plutôt que de la subir, c’est-à-dire d’en faire un art de vivre, en lien avec nos valeurs, dont on est fier. Le théra- peute a là un rôle de premier plan, dans sa possible valida- tion d’un tel projet.

L’altruisme, le dévouement à une cause

Il s’agit évidemment d’un domaine largement susceptible de donner du sens. Camus par ses écrits et par son engagement en est une bonne illustration. L’altruisme peut s’exprimer par des actions grandioses, mais aussi par des démarches limitées quoique importantes pour ceux qui en sont les bénéficiaires.

Les causes pour lesquelles on peut se dévouer sont innombrables: famille, état, société, église, science…

La créativité (artistique ou scientifique)

L’art se suffit, il permet donc de trouver un sens, cela pour autant que l’acte (de créer) ne soit pas suivi d’une réflexion négative («A quoi bon…»). L’histoire montre que les grands créateurs artistiques étaient souvent dotés d’une aptitude à l’autoréflexion parfois génératrice de désespoir, mais tout en même temps substrat partiel de leur création et du sens de leur vie [27]. Ainsi Beethoven écrivait que son art le dissua- dait de mettre fin à ses jours [28]. «Il semble impossible pour moi de quitter ce monde avant d’avoir fait tout ce qui m’in- combe.» La créativité peut également se mettre en scène dans la science, mais aussi dans la vie quotidienne.

L’hédonisme

Trouver du sens à sa vie n’est pas forcément associé à la transcendance, à l’extraordinaire! L’hédonisme est générale- ment connoté négativement, car associé à l’égoïsme, au matérialisme. Néanmoins le fait de vivre pleinement, d’ob- server son environnement, de goûter, amène un sens authentique à ceux qui en sont capables. Pour les patients souffrant de troubles mentaux sévères, on peut imaginer travailler sur ce thème assez facilement, du fait des moyens relativement modestes impliqués à sa réalisation. Certes, certains se réfugient parfois dans un hédonisme matérialiste in fine déprimant. On devrait alors viser à le transformer en un investissement positif de la démarche hédoniste (par exemple l’alimentation, généralement très investie, pourrait rester un domaine de satisfaction important, pour autant qu’elle se mette en scène de manière choisie, positive et dénuée de la culpabilité qui l’accompagne habituellement).

Le soutien au sens par l’hédonisme peut être guidé par la technique de «prise de conscience totale» [29] qui est plei- nement inscrite dans ce qui précède.

L’actualisation de soi

L’accomplissement de notre potentiel se fait au fil de la vie, et en constitue le sens, au moins pour partie. Bien sûr, en général l’irruption de la psychose remet en cause et modifie un projet personnel déjà bien entamé, souvent de manière dramatique. La démarche de rétablissement vise à intégrer cela en promouvant le deuil de ce qui est impossible et en valorisant de nouveaux objectifs.

La transcendance de soi

Plus tard en général apparaît le besoin de se transcender, c’est à dire de tenter de se dépasser. La transcendance peut s’exprimer dans l’altruisme (voir plus haut). Il serait stig- matisant et déplacé d’écrire que les patients souffrant de troubles psychologiques persistants peuvent difficilement envisager la transcendance: bon nombre d’entre eux sont amenés à aider leurs proches. L’activité de pair aidant en est un bon exemple. En tant que thérapeutes, nous devrions encore plus renforcer ce type de démarche, en soulignant son utilité tant pour les intéressés que pour ceux qui seront amenés à en bénéficier. Dans une perspective communau- taire, ce type de prestation devrait être encouragé dans les nombreux systèmes psychiatriques où ils ne relèvent au mieux que de projet.

La spiritualité «laïque»

Une thématique d’intérêt croissant, en tout cas dans les écrits destinés à populariser la philosophie auprès du grand public, part d’une question à la mode: comment se passer de religion, sans pour autant tomber dans le nihilisme [30]?

Il s’agit de la thématique de la spiritualité athée, celle-ci visant à donner une réponse à la question du sens cosmi- que. Ces éléments somme toute largement inspirés du Bouddhisme sont ceux de l’expérience de l’instant, de la recherche de la plénitude (qui implique l’absence de

(9)

manque, de désir), y compris dans la simplicité, et du lien aux proches. Un lien intéressant peut être fait dans ce sens avec les travaux sur l’attachement. Selon la théorie de Bowlby et les recherches empiriques qui en ont fait la dé- monstration, l’interaction précoce avec les figures parentales conditionne un style d’attachement, stable ou instable, qui perdure dans une bonne mesure à l’âge adulte [31]. Or, le fait d’avoir un style d’attachement stable est associé à un sentiment de sécurité, lequel contribue à une vision huma- niste du monde et à un développement personnel qui donne du sens [31]. L’élargissement de cette perspective peut ainsi conduire à plus d’altruisme et de tolérance. Malheureusement la recherche montre que les patients souffrant de psychose présentent majoritairement un style d’attachement instable évitant [32]. On peut toutefois espérer que le soignant, dans son rôle auprès du patient, puisse en tout cas pour partie restructurer cet attachement et par là permettre une correc- tion de la vision du monde du patient susceptible de restau- rer des valeurs pourvoyeuses de sens [33].

La vérité (ou plutôt l’authenticité)

Souvent les patients vont avoir de la peine à nommer les choses. Pour comprendre leurs cognitions et leurs compor- tements, il vont formuler des explications facilement dis- cutables (je n’ai pas pu lui téléphoner car je n’avais pas le temps…). Ces comportements défensifs à avantage direct apparent sont coûteux à terme, dès lors qu’ils mettent à distance l’individu de sa réalité, donc du sens de cette dernière. La thérapie gagne à valoriser l’authenticité (dans sa conception existentialiste), qui nous connecte notamment à nos vraies valeurs, donc nous aide à trouver du sens et augmente notre capacité à agir.

La religion

Elle offre l’avantage d’offrir plusieurs solutions au problème du sens pour ceux qui croient. Elle a d’ailleurs probablement été inventée pour partie dans ce but [34]. La religion pour- voit au sens cosmique, en fournissant un paradigme «clef en main», mais aussi au sens du quotidien par des guides de conduite efficaces et une représentation de l’organisation de la vie.

Synthèse

Notre thèse s’appuie sur la conviction que la thématique du sens est la plupart du temps essentielle lorsqu’un patient souffre d’un trouble mental sévère. Nous avons tenté de décrire le sens comme une production psychique évaluable et mesurable. Cela afin de l’intégrer dans une perspective bio-psycho-sociale.

Est-il possible d’aborder une thématique aussi complexe sans connaître l’œuvre des grands philosophes desquels se réclament les grands courants de la thérapie existentialiste?

Van Deurzen et Adams [35] proposent une approche prag- matique, selon eux compatible avec une formation clinique plutôt que philosophique. Des arguments cliniques appuyés dans une certaine mesure par la recherche [17] laissent pen-

ser que le sens de la vie peut être aussi influencé par l’estime de soi des sujets, de même que par la qualité de leurs rela- tions interpersonnelles. Néanmoins, le modèle énoncé plus haut fournit un cadre conceptuel pour le clinicien. Ainsi il devrait être possible d’effectuer une intervention «existen- tialiste» structurée, centrée sur le rétablissement, qui va relier les évènements bio-psycho-sociaux aux valeurs et au sens. Ce modèle devrait être restitué au sujet en se plaçant dans la perspective d’une approche combinant une dimen- sion comportementale avec un travail élaboratif sur son discours.

En préambule, il conviendra donc de mettre en évidence ce qui ressort du modèle général sur le sens, à savoir que (1.) différents éléments bio-psycho-sociaux contribuent à dimi- nuer la self-perception des valeurs, de même que la possi- bilité de les mettre en jeu dans la vie, (2.) que cela amène une réflexion du sujet sur le sens de sa vie, qui peut être soit consciente soit masquée sous un discours implicite déplacé sur une thématique moins fondamentale, et (3.) que ces pensées génèrent des affects qui en retour influencent défavorablement le contexte bio-psycho-social du sujet.

L’intervention va porter par exemple sur un soutien à l’investissement des domaines portés par les valeurs des sujets (voir plus haut). Cela afin d’éviter une spirale négative bien décrite dans l’approche cognitive [29], sauf que dans ce cas elle implique de considérer la thématique existentielle du sens (je ne fais rien, ma vie n’a pas de sens, donc je perds mon entrain, donc je fais encore moins…).

La thématique du sens exposée ci-dessus n’est évidem- ment que partie de l’approche clinique centrée sur le réta- blissement. Celle-ci complète d’autres actions possibles, notamment avec les ressources des domaines psychiatrique et psychothérapeutique (par ex. psycho-éducation, renfor- cement des compétences sociales, travail sur les distorsions cognitives et l’estime de soi…), susceptibles d’aider à l’abord des thématiques mentionnées plus haut, comme l’estime de soi et les relations interpersonnelles. Cela sans oublier l’importance d’une prise en compte des autres domaines de l’approche existentiel (le concept d’autodétermination, la solitude dans sa dimension existentielle, la finitude [36]…).

Références

1 Andresen R, Oades L, Caputi P. The experience of recovery from schizophrenia: towards an empirically validated stage model. Aust N Z J Psychiatry. 2003;37:586–94.

2 Huguelet P. Le rétablissement, un concept organisateur des soins aux patients souffrant de troubles mentaux sévères. Schweiz Arch Neurol Psychiatr. 2007;158:271–8.

3 Sowers W. Transforming systems of care: The American Association of Community Psychiatrists Guidelines for recovery oriented services.

Community Ment Health J. 2005;41:757–74.

4 Rosa H. Accélération, une critique sociale du temps. Franfort, Berlin:

Suhrkamp Verlag; 2005.

5 Arveiller JP. Psychiatrie et folie sociale. Eres Ramonville: Saint-Agne;

2006.

6 Yalom I. Thérapie existentielle. Paris: Galaade Editions; 2008.

7 Van Deurzen E. Everyday mysteries. A handbook of existential therapy.

2nd ed. London: E. Routledg; 2010.

8 Camus A. Le Mythe de Sisyphe. Paris: Gallimard; 1985.

9 Sartre JP. Huis clos, suivi de Les Mouches. Paris: Gallimard; 2000.

10 Schneider KJ. Existential-Integrative Psychotherapy. New York: Taylor

& Francis Group; 2008.

11 Frankl, V. The feeling of meaninglessness: a challenge to psychotherapy.

Am J Psychoanal. 1972;32:85–9.

12 Petit Robert – Dictionnaire de la langue française. Paris: Dictionnaire le Robert; 1988.

(10)

13 Heidegger M. Being and Time. (Trad. J Macquarrie and ES Robinson).

London: Harper&Row; 1962 (1927).

14 Arciero G, Bondolfi G. Selfhood, Identity and Personality Styles. Oxford:

Wiley-Blackwell; 2009.

15 Frankl V. Découvrir un sens à sa vie: avec la logothérapie. (Trad. Bacon CJ et Drolet L).Montréal: Les Editions de l’homme; 2006.

16 Cottraux J. La Force avec soi: pour une psychologie positive. Paris:

Odile Jacob; 2007.

17 Battista J, Almond R. The development of meaning in life. Psychiatry.

1973;36:409–27.

18 Schwartz SH. Les valeurs de base de la personne: théorie, mesures et applications. R Franç Sociol. 2006;47:929–68.

19 Schrank B, Stanghellini G, Slade M. Hope in psychiatry: a review of the literature. Acta Psychiatr Scand. 2008;118:421–33.

20 Maddi SR. The existential neurosis. J Abnorm Psychol. 1967;72:311–25.

21 Spinelli E. Practising Existential Psychotherapy. London: SAGE Publica- tions Ltd.; 2007.

22 Crumbaugh J, Maholick L. An experimental study in existentialism:

the approach to Frankl’s concept of noogenic neurosis. J Clin Psychology.

1964;20:200–7.

23 Wilson KG, Sandoz EK, Kitchens J, Roberts ME. The Valued Living Questionnaire: defining and measuring valued action within a behavioral framework. Psychol Rec. 2010;60:000–24.

24 Engel GL. The need for a new medical model: A challenge for biomedicine.

Science. 1977;196:129–36.

25 Favrod J, Maire A. Se rétablir de la schizophrénie – Guide pratique pour les professionnels. Paris: Masson; 2012.

26 Hume D. Traité de la nature humaine. (Trad. A Leroy). Paris: Aubier- Montaigne; 1946.

27 Guimòn J. Art et psychiatrie. Chêne-Bourg/Genève: Georg Editeur; 2004.

28 Solomon M. Beethoven. Paris: Arthème Fayard; 2003.

29 Hayes SC, Follette VM, Linehan MM. Mindfulness and Acceptance:

Expanding the Cognitive-Behavioral Tradition. New-York: The Guilford Press; 2004.

30 Compte-Sponville A. L’esprit de l’athéisme: introduction à une spiritualité sans Dieu. Paris: Albin Michel; 2006.

31 Mikulincer M, Shaver PR. Adult attachment and affect regulation.

In: Cassidy J, Shaver PR (eds.). Handbook of attachment. 2nd ed.

New York: The Guildford Press; 2008. p 503–31.

32 Dozier M, Chase Stovall-McClough K, Albus KE, Shaver PR. Attachment and psychopathology in adults. In: Cassidy J, Shaver PR (eds.). Handbook of attachment. 2nd ed. New York: The Guildford Press; 2008. p 718–44.

33 Slade A. Shaver PR. The implication of attachment theory and research for adult psychotherapy. In: Cassidy J, Shaver PR (eds.). Handbook of attachment. 2nd ed. New York: The Guildford Press; 2008. p 762–82.

34 Dawkins R. Houghton Mifflin Company. Pour en finir avec Dieu. New York:

Editions Perrin; 2009.

35 Van Deurzen E, Adams S. Skills in Existential Counselling and Psycho- therapy. London: Sage, London; 2011.

36 Searles H. L’effort pour rendre l’autre fou. Paris: Gallimard;1965.

Références

Documents relatifs

[r]

[r]

[r]

[r]

[r]

[r]

Voilà  pourquoi  les  éducateurs,  psychologues,  écrivains,  artistes,  enseignants   spirituels  délivrent  des  messages  et  des  connaissances

Cette compréhension religieuse extérieure à notre réalité intime du sens de la vie nous rend encore plus conforme, en liant notre conscience, à nos rôles sociaux. Elle renforce