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Juges constitutionnels et doctrine. Rapport suisse

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Juges constitutionnels et doctrine. Rapport suisse

HOTTELIER, Michel

HOTTELIER, Michel. Juges constitutionnels et doctrine. Rapport suisse. Annuaire international de justice constitutionnelle, 2015, vol. 30-2014, p. 473-491

DOI : 10.3406/aijc.2015.2252

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:76516

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Suisse

M. Michel Hottelier

Citer ce document / Cite this document :

Hottelier Michel. Suisse. In: Annuaire international de justice constitutionnelle, 30-2014, 2015. Juges constitutionnels et doctrine - Constitutions et transitions. pp. 473-491;

doi : https://doi.org/10.3406/aijc.2015.2252

https://www.persee.fr/doc/aijc_0995-3817_2015_num_30_2014_2252

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TABLE RONDE JUGES CONSTITUTIONNELS ET DOCTRINE

SUISSE

par Michel HOTTELIER *

INTRODUCTION

1. Les relations que les juges — que ceux-ci pratiquent la juridiction constitutionnelle ou une autre forme de contrôle du respect du droit — entretiennent avec la doctrine forment un aspect tout à la fois intéressant et original du système juridique suisse. Elles renvoient, plus largement, à l'histoire du droit, à l'étude de ses sources, à ses modes de formation et d'assimilation, ainsi qu'à la philosophie et transcendent largement le domaine de la justice constitutionnelle.

2. L'étude du rôle de la doctrine est indissociable de la notion de droit objectif - le droit constitutionnel, en l'occurrence —, du statut et du contenu des normes, ainsi que du processus d'interprétation, donc de connaissance, qui leur est applicable. Elle n'intervient ni ne fonctionne par conséquent en vase clos, mais s'intègre fondamentalement dans le processus sociétal de création, de compréhension et de mise en œuvre des normes.

3. En Suisse, le rôle de la doctrine trouve un champ d'application privilégié en droit privé, puisque son statut est explicitement consacré par la loi. Voué, à teneur de son titre marginal, à « l'application de la loi », l'article 1 alinéa 3 du Code civil énonce que le juge « s'inspire des solutions consacrées par la doctrine et la jurisprudence »1. Cette disposition fait suite à l'article 1 alinéa 2 CC selon lequel, en l'absence de disposition légale applicable, le juge prononce selon le droit coutumier et, à défaut de coutume, selon les règles qu'il établirait s'il avait à faire acte de

législateur.

4. La doctrine est ouvertement invitée à contribuer, dans cette mesure, au processus de création du droit. En conférant explicitement, à côté de la loi, le rang de source d'inspiration du droit à la coutume, à la jurisprudence et à la doctrine, l'article 1 CC procède d'un choix du législateur en faveur d'une forme de pluralisme des sources du droit. Il s'agit d'un choix qui infirme l'idée de la plénitude légale, ainsi que le relève finement la Professeure Dominique Manaï2. Il ressort du texte de

* Professeur à la Faculté de droit de l'Université de Genève.

1 Code civil suisse, du 10 décembre 1907 (ci-après : CC). Recueil systématique du droit fédéral suisse (ci- après : RS ) 210. Le RS peut être consulté sur le site www.admin.ch.

2 Dominique MANAÏ, Clés pour une introduction au droit, 2e éd., Berne 2012, p. 33.

Annuaire international de justice constitutionnelle, XXX-2014

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l'article 1 CC que le droit occupe un champ plus large que la seule loi et que, même en posant le postulat de la primauté de cette dernière, la disposition établit une

hiérarchie entre les différentes références qu'elle énonce3.

5. Tout en faisant certes partie intégrante du système juridique, la doctrine n'est cependant pas réputée former une source du droit à part entière - à l'inverse de ce que prévoit, par exemple, l'article 38 paragraphe 1, lettre d du Statut de la Cour internationale de Justice, du 26 juin 19454 —, du moins dans le sens que la théorie confère traditionnellement à cette notion. Aussi, parle-t-on plus volontiers à son propos de source d'inspiration, de référence ou de mode — devenu incontournable, ajouterons-nous — de collaboration5.

6. La règle de l'article 1 alinéa 3 CC ne limite pas le recours à la doctrine au seul comblement de lacunes en droit privé. L'interprétation littérale et logique de la disposition ne saurait avoir pour conséquence de confiner le statut et le rôle des références doctrinales à cette seule hypothèse. Le but de la disposition consiste à permettre au juge de dégager une solution juste et objective, de même qu'à assurer l'égalité devant la loi et la sécurité juridique. C'est pourquoi la doctrine est appelée à jouer un rôle plus large, en intervenant également dans le processus d'interprétation du droit6.

7. Pour les mêmes raisons, la règle de l'article 1 alinéa 3 CC ne saurait borner son empire au seul domaine du droit privé, à l'exclusion des autres disciplines du droit positif. Partant, la règle, certes énoncée dans le cas de la loi civile, exprime un principe qui trouve matière à s'appliquer dans le processus judiciaire au sens le plus large de l'expression, et pas uniquement au sein de celui qui porte sur le seul contentieux issu du droit civil. Après tout, le droit constitutionnel n'est-il pas réputé s'interpréter selon les mêmes méthodes que la loi ordinaire7 ? Le titre des versions allemande et italienne de l'article 1 alinéa 3 CC évoquent pour leur part, de manière plus générale, « l'application du droit » sous les vocables « Anwendung des Rechts », respectivement « applicazione del diritto », que ce que laisse entendre la version française de la disposition, qui limite l'empire de la disposition à l'application de la loi8.

8. Le droit constitutionnel ne saurait, par conséquent, échapper à l'influence de la doctrine. Comment pourrait-il d'ailleurs en aller autrement, dès lors que la constitution se présente génériquement comme un texte ouvert qui ne pose, d'une part, que les fondements de l'État - sans nécessairement codifier ceux-ci plus avant — et que, d'autre part, un grand nombre des dispositions qu'elle égrène - à l'image des droits fondamentaux par exemple - ne sont le plus souvent composées que de phrases brèves, souvent elliptiques, chargées d'interrogations, pour ne pas dire d'ambiguïtés, en l'absence de supports théoriques solides permettant de définir et de situer leur emprise9 ?

3 Ibidem. Sur le sujet, voir également les intéressants développements du Professeur Franz WERRO, Commentaire, Bâle 2010, p. 4. « Article 1 », in Pascal PlCHONNAZ, Bénédict FoëX (éd.), Code civil I. Articles 1-359 CC.

4 RS 0.193.501. La disposition prévoit notamment que la Cour internationale de Justice applique « la doctrine des publicistes les plus qualifiés des différentes nations, comme moyen auxiliaire de détermination des règles de droit ».

5 Pierre MOOR, Alexandre FlÛCKIGER, Vincent MARTENET, Droit administratif , vol. I, Les fondements, 3e éd., Berne 2012, p. 91.

6 Henri DESCHENAUX, Le titre préliminaire du Code civil , Fribourg 1969, p. 1 12 et les références citées.

7 WERRO (note 3), p. 21 et les références citées.

8 WERRO (note 3), p. 4.

9 Voir Andreas AUER, Giorgio MALINVERNI, Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. I, L'État, y éd., Berne 2013, p. 503.

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suisse 475 9 ■ Par définition, le droit constitutionnel, même codifié et édicté, laisse d'importants espaces normatifs d'indétermination, lesquels nécessitent fréquemment

interprétation, comblement et complément par voie prétorienne. Il est étroitement lié à la juridiction du même nom, cette dernière formant à son tour un terrain d'action incontournable pour la doctrine, à travers la masse des précédents qu'elle est appelée à générer. Au point que ce n'est certainement pas l'effet du hasard s'il revint à un éminent Gouverneur d'État américain, futur Chief Justice de la Cour suprême des États-Unis de souligner, dans un discours prononcé le 3 mai 1907 et demeuré célèbre, que « we are under a Constitution, but the Constitution is what the judges say it is »10.

10. En Suisse, des pans entiers du droit constitutionnel ont été balisés par le Tribunal fédéral, appelé au cours des âges à interpréter les formules souvent lapidaires de la Constitution, grâce notamment à l'appui des travaux de la doctrine.

Outre l'exemple classique, dans le domaine des droits fondamentaux, de l'interprétation du principe d'égalité de traitement ou de l'interdiction de l'arbitraire, de la notion de droits politiques ou des conditions de restriction des libertés, on peut songer à la définition du principe de la séparation des pouvoirs et à sa consécration en tant que droit constitutionnel ou encore à l'ensemble des règles juridiques qui, dans le domaine du fédéralisme, ont vocation à articuler l'exercice des compétences fédérales et cantonales et à résoudre les inévitables conflits nés de leur coexistence.

11. Encore faut-il s'entendre sur le sens prêté, dans le cadre de la présente contribution, à la notion de « doctrine » («Meinung » ou « Lehre » en allemand), ainsi qu'on appelle la chose, de manière très générale et générique. S'agit-il, de manière très large, des valeurs, des sources matérielles et des systèmes d'idées qui, pour être issus notamment de la philosophie, sous-tendent l'esprit d'une constitution et contribuent à façonner sa lettre ? Convient-il, sous couvert de

« doctrine », de se référer à des phénomènes sociétaux historiques majeurs, souvent révolutionnaires, qui ont conduit ou contribué à l'adoption d'une constitution et d'un système institutionnel déterminé ? Ou encore, dans une perspective plus strictement juridique, doit-on comprendre par « doctrine » ou « littérature juridique » la référence aux sources techniques et scientifiques qui alimentent un courant d'idées voué à la compréhension, à l'explicitation, à l'interprétation, à la critique et à l'évolution du droit ? Comme le précise le dictionnaire, la doctrine se définit comme « l'ensemble des travaux qui ont pour objet d'exposer ou d'interpréter le droit et qui constitue l'une des sources des sciences juridiques »n. L'approche, sans être définie plus avant, met l'accent sur l'explicitation du contenu du droit, soit un discours narratif sur le contenu du droit, en tant qu'émanation de la liberté académique.

12. C'est, assurément, autour de cette dernière conception que s'articulera la présente contribution12. Paraphrasant les propos du Professeur Henri Deschenaux au sujet de l'article 1 alinéa 3 CC, la doctrine — constitutionnelle, en l'espèce - y sera considérée comme « la science du droit, telle qu'elle est contenue dans les traités, les 10 Charles Evans HUGHES, Addresses and Papers of Charles Evans Hughes, Governor of New York, 1906— 1908, https://archive.org/details/addressespapersoOOhugh). New York 1908, p. 139 (texte disponible sur le site 11 Le Petit Larousse, édition 2015.

12 Pour une présentation historique de la formation et du développement de la doctrine constitutionnelle en Suisse, voir Alfred KOLZ, Histoire constitutionnelle de la Suisse moderne. L'évolution institutionnelle de la Confédération et des cantons depuis 1848, Berne 2013, p. 837 ss ; Andreas KLEY, Geschichte des dffentlichen Rechts der Schweiz, Zurich 201 1, p. 455 ss ; sur le rôle que joue la doctrine en droit constitutionnel suisse contemporain, voir Pascal MAHON, Droit constitutionnel, vol. I, Institutions, juridiction constitutionnelle et procédure , 3e éd., Bâle 2014, p. 65 ; AUER, MALINVERNI, HOTTELIER (note 9), p. 13 ss, en particulier p. 17 s.

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commentaires, les monographies, les notes d'arrêts. Il s'agit avant tout de l'étude systématique du droit positif suisse (dogmatique ) »13.

13. Une autre difficulté surgit alors, celle de la diversité des courants doctrinaux. D'une part, ceux-ci peuvent être pluriels, la richesse, voire les critiques et les contradictions qui alimentent les ressources doctrinales se présentant incontestablement comme ferment irremplaçable du débat constitutionnel, de constitutione lata comme de ferenda. D'autre part, la doctrine en matière constitutionnelle est tout sauf homogène, à la fois dans le temps et dans l'espace, en fonction et à l'image des divers chapitres qui composent une constitution. En sorte que la doctrine qui, par exemple, peut s'intéresser au chapitre de la juridiction constitutionnelle ne saurait s'appréhender dans l'ignorance de celle qui s'intéresse à d'autres thèmes du droit constitutionnel comme les instruments de démocratie directe, les droits fondamentaux ou le fédéralisme.

14. On le voit : il n'existe certainement pas une doctrine juridique unique, monolithique mais bien, en réalité, plusieurs « doctrines » ou courants doctrinaux.

Procédant d'un pouvoir non institutionnalisé, nécessairement plurielle par ses origines, ses contenus, par les valeurs et les messages qu'elle véhicule, la doctrine se présente comme un phénomène qui alimente le droit constitutionnel et sa mise en œuvre dans leur ensemble. L'aspect non institutionnalisé qui la caractérise élargit le débat qu'elle ouvre à la société, rappelant du coup que le droit constitutionnel, comme le droit dans son ensemble, pour être appelé à opérer au sein de la société - ubi societa, ibi tus —, ne saurait être imperméable aux courants que celle-ci génère14.

15. Il n'existe pas, cela étant, à notre connaissance et pour autant du reste que la démarche soit possible sous l'angle juridique, d'étude évaluant de manière méthodique et systématique, au moyen de critères prédéterminés, l'influence qu'exerce la recherche juridique en matière constitutionnelle à travers des publications doctrinales sur la jurisprudence — que celle-ci soit judiciaire ou administrative — ou, plus largement, sur le pouvoir politique en Suisse15. Pareil processus d'évaluation ressortit plutôt aux sciences sociales. Aussi, le présent rapport se limitera-t-il à fournir, de manière plutôt empirique, quelques explications et à présenter des illustrations mettant en perspective certaines spécificités du système suisse de justice constitutionnelle en réponse aux questions posées par la grille de lecture.

I.-L'APPRÉHENSION DE LA JUSTICE CONSTITUTIONNELLE PAR LA DOCTRINE

A.-La perception de la juridiction constitutionnelle par la doctrine 16. La juridiction constitutionnelle n'occupe nullement une place spéciale, à part, par rapport aux autres juridictions fédérales et cantonales que connaît le système institutionnel suisse. Elle est au contraire omniprésente parmi les autres modes de contrôle juridictionnel. Une raison historique permet d'expliquer cette forme de banalisation et cette dilution du contrôle de la constitutionnalité des lois parmi les autres types de contrôle judiciaire.

1 3 Deschenaux (note 6), p. 113.

14 Auer, Malinverni, Hottelier (note 9), p. 4.

15 Voir MOOR, FLÛCKIGER, MARTENET (note 5), p. 92. Plus largement sur le sujet, voir l'ouvrage de Thierry TANQUEREL et Alexandre FLÛCKIGER (éd.), L'évaluation de la recherche en droit. Enjeux et méthodes , Bruxelles 2015, ainsi que l'intéressante contribution de Pascal PlCHONNAZ,

« Bibliométrie en droit : Quelques réflexions sur les enjeux et l'impact sur la littérature juridique future », Revue de droit suisse 2014 I, p. 377 ss.

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SUISSE 477 17. La Suisse adhérant au modèle diffus de contrôle de la constitutionnalité des lois, les questions de nature constitutionnelles sont susceptibles de se poser à l'occasion de n'importe quel type de litige et devant n'importe quel juge16. De même, les griefs de nature constitutionnelle soumis au Tribunal fédéral sont en principe soulevés par la voie des recours dits ordinaires. Leur invocation obéit toutefois à des exigences de motivation élevées, aucun contrôle d'office n'étant pratiqué en la matière comme le précise l'article 106 alinéa 2 de la loi sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 17.

18. Qu'il s'exerce sous sa forme concrète ou abstraite, n'importe quelle cour du Tribunal fédéral peut être amenée à pratiquer le contrôle de la constitutionnalité.

Le même système a cours sur le plan cantonal. Par exemple, s'il existe dans les cantons de Vaud et de Genève, le contrôle abstrait de conformité des actes normatifs locaux au droit supérieur est exercé par une cour constitutionnelle, mais celle-ci est composée de magistrats siégeant au sein des juridictions ordinaires18.

19. La compétence fonctionnelle des juridictions ordinaires intègre par conséquent, de iure, le contrôle de la constitutionnalité des lois. Il faut voir dans cet agencement du pouvoir judiciaire une conséquence de la structure fédéraliste qui caractérise la Suisse depuis 1848, année de création de l'Etat moderne. Le système retenu en Suisse, qualifié de contrôle préjudiciel général19, largement inspiré du modèle des États-Unis, se distingue à cet égard du modèle traditionnellement décrit comme européen20. Autrement dit, la juridiction constitutionnelle n'épouse pas, en Suisse, la forme d'un « quatrième pouvoir » ou d'un « pouvoir constitutionnel »21 spécifique, exorbitant ou organiquement distinct des juridictions qui composent le pouvoir judiciaire.

20. Le Tribunal fédéral rappelle, de cas en cas, les effets de ce système en lien avec le fédéralisme judiciaire tel qu'il a cours en Suisse. Dans un arrêt du 3 juin 1987, la Haute Cour a par exemple précisé que les juges cantonaux sont contraints de contrôler, à titre préjudiciel, la conformité du droit cantonal à la Constitution fédérale, ainsi qu'au droit fédéral dans son ensemble et de ne pas appliquer ce droit au cas d'espèce lorsqu'ils parviennent à la conclusion que cette conformité n'est pas assurée22.

16 Sur le sujet, voir le rapport suisse présenté lors de la Table ronde internationale de justice constitutionnelle de 2011, «Juges constitutionnels et parlements: conflits de légitimité ou nouvelle organisation des pouvoirs ? », AIJC XXVII-201 1, p. 418 et les références citées.

17 Ci-après : LTF ; RS 173.110. Au sujet de cette loi, voir AIJC XXI-2005, p. 717.

18 Sur la juridiction constitutionnelle dans les cantons suisses, voir AUER, MALINVERNI, HOTTELIER (note 9), p. 789 ss.

19 AUER, MALINVERNI, HOTTELIER (note 9), p. 665 ss et les références citées ; voir également AIJC XXVII-2011, p. 420 s.

20 Xavier MAGNON, « Retour sur quelques définitions premières en droit constitutionnel : que sont une « juridiction constitutionnelle », une « cour constitutionnelle » et une « cour suprême » ? Propositions de définitions modales et fonctionnelles », in Long cours. Mélanges en l'honneur de PIERRE Bon, Paris 2014, p. 309 ss et les nombreuses références citées ; Louis FAVOREU, « La notion de Cour constitutionnelle », in Etudes en l'honneur de Jean-François AU BERT, Bâle 1996, p. 15 ss.

21 Louis FAVOREU, « Cours constitutionnelles nationales et Cour européenne des droits de l'homme », in Mélanges en hommage au Doyen Gérard Cohen-Jonathan, vol. I, Bruxelles 2004, p. 797.

22 La Semaine judiciaire (ci-après : SJ) 1988, p. 49 X. ; voir également l'arrêt R., Recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral suisse (ci-après : ATF) 127 I 185 et les autres références citées : « Nach Lehre und Rechtsprechung sind die kantonalen Gerichte nicht nur berechtigt sondern verpflichtet, auf Verlangen eines Rechtsuchenden das anzuwendende kantonale Recht vorfrageweise auf seine U bereinstimmung mit der Bundesverfassung zu priifen (...). Damit verbunden ist grundsâtzlich auch die Pflicht, als verfassungswidrig erkanntes Recht im Einzelfall nicht anzuwenden ». Dans le même sens, voir encore Revue de droit administratif et fiscal 1987, p. 433 L.A. ; SJ 1999 I, p. 268 D. ; SJ 2004 I, p. 459 X. ; SJ 2012 I,

p. 258 Sieur X.

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21. Aussi, la juridiction chargée de gérer le contentieux de droit public ne dispose-t-elle aucunement d'une forme de monopole en matière de justice constitutionnelle. Une pluralité d'autorités et d'organes sont potentiellement appelés à pratiquer le contrôle du respect de la Constitution. Il n'est ainsi pas rare que les litiges de droit privé ou de droit pénal intègrent des questions de nature constitutionnelle aux juridictions dites ordinaires.

22. L'intégration des contrôles de la légalité et de la constitutionnalité entre les mains des mêmes magistrats permet d'élargir le champ des références doctrinales aux domaines les plus variés. Dans ce contexte de diffusion généralisée du contrôle du respect du droit, le développement du contrôle de la conventionnalité et, en particulier, la prise en compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme enrichit considérablement le mode de résolution des litiges qui sont déférés au Tribunal fédéral. En Suisse, le contrôle du respect du droit se présente de nos jours comme une opération multipolaire sous l'angle des sources de référence, que celles-ci soient normatives, jurisprudentielles ou doctrinales.

23. Corrélativement, que ce soit sur le plan fédéral ou cantonal, la réflexion doctrinale est omniprésente parmi les divers modes de contrôle juridictionnel, qu'il s'agisse du contrôle de la légalité, de la constitutionnalité ou, plus récemment, de la conventionnalité. Aussi, les arrêts que rend le Tribunal fédéral sont-ils très souvent empreints de références aux travaux doctrinaux les plus variés, tout particulièrement lorsque l'arrêt à rendre, pour aborder une problématique juridique originale, se présente comme un arrêt de principe plutôt que comme un simple arrêt d'espèce.

24. Un exemple récent permet d'illustrer le propos. Un arrêt de principe prononcé le 26 août 2010 a conduit le Tribunal fédéral à s'exprimer sur le statut juridique d'un détenu qui, pour manifester son opposition à sa condamnation, avait entamé une grève de la faim23. Devant les instances cantonales, puis devant le Tribunal fédéral, l'intéressé sollicitait l'interruption de l'exécution de sa peine jusqu'à droit connu sur le recours en grâce qu'il avait introduit ou, à tout le moins, jusqu'à ce que son état de santé permette sa réincarcération. Saisie du recours, la Cour de droit pénal du Tribunal fédéral a d'abord statué sur les griefs liés à la correcte application du Code pénal, en lien avec les questions portant sur l'exécution et l'interruption de la peine (contrôle de la légalité). La Haute Cour a ensuite examiné la problématique — extrêmement délicate — de l'alimentation forcée de grévistes de la faim en phase avancée au regard des articles 2, 3 et 8 CEDH (contrôle de la conventionnalité). Cela fait, les mêmes juges fédéraux ont achevé leur analyse par l'examen du respect de la liberté d'expression du détenu au sens de l'article 16 Cst., sous l'angle des conditions générales de restriction que pose l'article 36 Cst. (contrôle de constitutionnalité). Les trois types de griefs ayant été écartés, références doctrinales à l'appui, le recours a finalement été rejeté24.

25. Il n'existe pas, à proprement parler, de typologie précise applicable au mode d'appréhension de la justice constitutionnelle par la doctrine, pas plus que de cloisonnement entre les différentes parties prenantes à la création doctrinale. À notre connaissance, la doctrine émanant des acteurs du processus judiciaire n'est pas traitée de manière différente.

26. L'intégration de la justice constitutionnelle dans les autres formes de contrôle du respect du droit est accentuée par l'évolution tout à fait remarquable qu'a subie la protection des droits fondamentaux. Comme le précise l'article 35

23 AT F 1 36 IV 97 Rappaz. Sur cet arrêt, voir AIJC XXVI-2010, p. 776.

24 Saisie d'une requête, la Cour européenne des droits de l'homme retint qu'au vu de l'examen auquel avaient procédé les autorités suisses, l'on ne pouvait leur reprocher de ne pas avoir dûment examiné et géré la situation comme l'exigeaient les articles 2 et 3 CEDH ; req. n° 73175/10, Bernard Rappaz c. Suisse, décision du 26 mars 2013.

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suisse 479 alinéa 3 Cst., qui consacre une théorie constitutionnelle qui s'est progressivement imposée en Suisse à partir des années I96025, les autorités veillent à ce que les droits fondamentaux, dans la mesure où ils s'y prêtent, soient aussi réalisés dans les relations qui lient les particuliers entre eux. La reconnaissance d'une forme d'effet horizontal («Drift- ou Horizontalwirkung ») des droits fondamentaux dans les rapports privés a pour effet d'inviter le magistrat chargé de veiller à la correcte application de la loi à s'assurer simultanément que les droits protégés par la Constitution sont eux aussi respectés26.

27. L'effet horizontal des droits fondamentaux prévu par la Constitution fédérale peut théoriquement revêtir deux formes, l'une directe et l'autre, indirecte.

La première, qui est la plus fréquente, est indirecte. Elle pousse le juge à vérifier que la loi dont il a vocation à assurer le respect s'interprète d'une manière qui s'avère conforme à la Constitution. Autrement dit, entre plusieurs sens que peut, le cas échéant, revêtir un texte normatif, le juge s'efforce de retenir celui qui s'intègre au mieux dans le cadre tracé par les droits fondamentaux. Ce cas de figure se présente fréquemment dans le cadre du contrôle abstrait de constitutionnalité que le Tribunal fédéral pratique à l'égard des actes normatifs de rang cantonal, mais on le rencontre également dans le cadre du contrôle dit concret.

28. La seconde forme, nettement moins fréquente, concerne l'application directe des droits fondamentaux dans les rapports privés. Avec ce cas de figure, la Constitution se substitue carrément à la loi, le droit fondamental déployant un effet normatif directement dans des rapports privés. Le principe de l'égalité salariale entre hommes et femmes pour un travail de valeur égale consacré à l'article 8 alinéa 3 Cst., en vigueur depuis une révision de la Constitution fédérale survenue le 14 juin 1981, fournit une excellente illustration de cette théorie. Par la force des choses, tant la figure de l'interprétation des lois conformément à la Constitution que l'application directe des droits fondamentaux représentent des démarches relativement complexes sur le plan technique pour lesquelles l'apport de la doctrine s'avère incontournable.

29-Dans un arrêt du 10 octobre 2012 concernant le refus de l'exploitant d'un cinéma genevois de vendre un ticket d'entrée à une personne handicapée physiquement au motif que l'agencement de la salle de projection, située en sous-sol du bâtiment, rendait difficile l'accès et l'évacuation de l'intéressé, le Tribunal fédéral a par exemple jugé que, si l'on admet que les droits fondamentaux n'exercent pas seulement une fonction de défense contre les atteintes dues à l'État, mais qu'ils fondent également un devoir de protection contre les atteintes provoquées par des tiers, les droits fondamentaux de ces tiers doivent eux aussi être protégés. Par conséquent, une pesée des différents intérêts en présence est nécessaire. De l'avis de la Haute Cour, il incombe en priorité au législateur de fixer les actes admissibles ou non et de délimiter les droits des particuliers impliqués27. La question de l'étendue du devoir de protection des droits fondamentaux se confond ainsi, dans une large mesure, avec celle de l'application correcte de la législation spécifique. Dans le cas d'espèce, après avoir procédé aux contrôles de la légalité, de la constitutionnalité et de la conventionnalité, le Tribunal fédéral a rejeté le recours, au motif que le refus de vendre un billet de cinéma à la personne handicapée ne procédait pas de considérations discriminatoires, mais reposait sur un motif objectif, à savoir les mesures de sécurité liées à l'exploitation du cinéma.

30. Encore convient-il d'évaluer, autant que faire se peut, le poids et l'influence réels des références aux sources doctrinales par la justice constitutionnelle.

25 KLEY (note 12), p. 310 ss.

26 ATF 140 I 77 F. ; 139 IV 121 A. undMitb.

27 ATF 138 I 475 Integration Handicap. Voir AIJC XXVIII-2012, p. 941.

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S'agit-il de simples emprunts illustratifs ou d'ajouts aux travaux d'auteurs spécialisés destinés à asseoir l'autorité du raisonnement suivi par les juges et, dans un souci didactique, d'expliquer leur cheminement et le mode de formation de leur conviction ? Ou, plus fondamentalement, de références argumentées à des thèses doctrinales originales, novatrices, susceptibles d'imprimer de véritables changements à la jurisprudence ?

31. Les deux approches sont présentes dans la jurisprudence constitutionnelle suisse, sans qu'il soit possible de démontrer ni d'affirmer la prédominance de l'une par rapport à l'autre. Très souvent, le Tribunal fédéral, tout comme les juges cantonaux, se réfère aux travaux de la doctrine constitutionnelle pour asseoir, justifier, remettre en cause ou au contraire étoffer le sens retenu à propos de l'interprétation d'une norme de fond ou de procédure. La référence à la doctrine sert ici à appuyer, à renforcer la légitimité de la solution retenue. En présence de questions complexes, de problématiques nouvelles sur lesquelles la jurisprudence n'a pas encore eu l'occasion d'exprimer une ligne directrice ou encore à la faveur d'un revirement, les travaux doctrinaux permettent aux juges de connaître, puis de jauger la pertinence et l'importance des thèses et des solutions préconisées par certains auteurs.

32. Un exemple jurisprudentiel célèbre permet d'illustrer ce qui précède.

Depuis 1874, la Constitution fédérale prévoit que le Tribunal fédéral et, à son exemple, les autres autorités judiciaires du pays sont tenus d'appliquer les lois fédérales. Cette règle, qui figure à l'article 190 Cst., traduit fidèlement la conception historique de la suprématie de la loi selon laquelle les juges helvétiques, au nom du principe de la séparation des pouvoirs et du caractère démocratique des lois fédérales

— celles-ci étant passibles du référendum populaire si la demande en est faite par 50'000 citoyens ou par huit cantons dans les 100 jours suivant leur adoption -, ne sauraient refuser d'appliquer ces dernières au motif qu'elles contreviennent à la Constitution. Mais s'ils sont tenus d'appliquer, in fine, les lois fédérales, les juges suisses sont-ils pour autant privés de la faculté de se prononcer sur la conformité de ces mêmes lois à la Constitution ?

33. Durant près de cent ans de pratique judiciaire, la cause fut entendue : au nom de la règle précitée, les juges se refusaient catégoriquement à entendre parler d'une quelconque forme de contrôle de la constitutionnalité des lois votées par l'Assemblée fédérale, lesquelles étaient ainsi dotées d'un véritable blindage ou d'immunité à l'égard de ce type de contrôle juridictionnel. Suivant un avis doctrinal, le Tribunal fédéral a cependant assoupli son approche à la faveur d'un arrêt prononcé en 196928. Continuant à refuser d'entrer en matière sur les griefs tirés de l'inconstitutionnalité des lois fédérales, la Haute Cour a néanmoins admis qu'elle disposait de la compétence d'interpréter celles-ci d'une manière conforme à la Constitution. L'idée à l'origine de cette approche repose sur une forme de présomption de constitutionnalité des lois fédérales à la Constitution, qui pousse à assurer une forme d'interprétation et de concordance entre elles et la loi fondamentale29. La jurisprudence a depuis considéré que, confronté à plusieurs interprétations d'une loi fédérale, c'est celle qui s'avère compatible avec la Constitution qui doit être retenue, comme indiqué précédemment.

34. L'étape suivante n'est pas moins digne d'intérêt. En 1991, suivant à nouveau un avis original exprimé par deux professeurs de droit constitutionnel, le

28 ATF 95 I 330 Jeckelmann, du 25 juin 1969.

29 ATF 95 I 330, 332 Jeckelmann : « Sans doute le Tribunal fédéral ne peut-il examiner la constitutionnalité des lois fédérales (art. 113 al. 3 Cst.), mais on présume que le législateur fédéral ne propose pas des solutions contraires à la Constitution, de sorte que les dispositions des lois fédérales doivent être interprétées dune façon conforme à la constitution, à moins que le contraire ne résulte clairement de la lettre ou de l'esprit dune loi. »

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SUISSE 481 Tribunal fédéral a retenu que, pour certes l'obliger à appliquer les lois fédérales, la Constitution ne lui interdisait pas pour autant de se prononcer sur leur conformité à la loi fondamentale. En d'autres termes, la règle de l'article 190 Cst. impose une obligation d'appliquer, de mettre en œuvre les lois fédérales («Anwendungsgebot »), mais non une interdiction d'en vérifier la constitutionnalité («Priifungsverbot »).

Depuis ce changement jurisprudentiel, il arrive que le Tribunal fédéral constate l'inconstitutionnalité de certaines dispositions contenues dans des lois fédérales, cela dans la perspective d'inviter l'Assemblée fédérale à les modifier30.

B.-La perception de la jurisprudence constitutionnelle par la doctrine 35. Si la jurisprudence intègre la doctrine à son œuvre, l'inverse est également vrai. La doctrine examine le plus souvent avec grand soin la jurisprudence constitutionnelle. Que ce soit au travers d'ouvrages, de thèses de doctorat, d'articles, de chroniques de jurisprudence ou d'autres contributions, les arrêts que prononce le Tribunal fédéral ne passent pour ainsi dire jamais inaperçus, tout particulièrement lorsque les décisions en cause touchent à des questions institutionnelles fondamentales comme la structure fédérale, les droits politiques et le statut de la démocratie directe ou, bien entendu, les droits fondamentaux.

36. Le champ de réflexion qu'ouvre la jurisprudence constitutionnelle pour la doctrine et, plus largement, pour la société dans son ensemble via les médias est puissamment alimenté par les larges possibilités d'accès aux arrêts du Tribunal fédéral. Non seulement les arrêts de principe de la Cour suprême sont publiés dans un recueil officiel (recueil appelé ATF)il et dans de nombreuses revues privées, mais encore l'ensemble des arrêts de la Haute Cour - y compris ceux qui n'affichent pas une dimension de principe — sont gratuitement disponibles sur son site internet. Ce site, particulièrement aisé à consulter, rend ainsi régulièrement accessible la jurisprudence de la Haute Cour32.

37. Bien souvent, les avis doctrinaux sont exprimés par des membres du monde académique, soit des professeurs d'université, d'autres membres du corps enseignant universitaire ou des auteurs de thèses de doctorat. Le spectre doctrinal est cependant sensiblement plus large, puisqu'il rassemble également les contributions émanant de juges, de spécialistes ou d'autres praticiens du droit intéressés par une question particulière.

38. Même si l'on peut constater que certains travaux sont fréquemment et même systématiquement cités par les juges, il n'existe pas à proprement parler de hiérarchie parmi les sources doctrinales. La jurisprudence prend en considération aussi bien les avis des uns que des autres, pour autant bien entendu que ceux-ci soient motivés et susceptibles de présenter un intérêt objectif et fondé sur le terrain juridictionnel. Le plus souvent, compte tenu du degré de technicité et de complexité qui caractérise le système suisse de juridiction constitutionnelle, les avis pris en compte émanent cependant de spécialistes.

39. Il y a, bien sûr, en Suisse une doctrine composée des spécialistes du droit constitutionnel. À l'intérieur de ce cadre, il existe des avis spécialisés en fonction des divers chapitres qui alimentent la juridiction constitutionnelle : fédéralisme, droits politiques, principe de la légalité, institutions financières, droits fondamentaux, ainsi que la juridiction constitutionnelle naturellement.

30 Sur le sujet, voir AIJC XXVII-201 1, p. 429 et les références citées.

31 Supra, note 22.

32 Voir le site www.bger.ch.

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40. La doctrine est tantôt neutre, tantôt critique à l'égard de la justice et de la jurisprudence constitutionnelles. Plutôt neutre, lorsque l'objet appelle des commentaires en vue d'exposer ou d'expliquer une innovation. Critique, lorsque la question qui forme l'objet du litige est controversée sur le plan théorique, complexe et qu'elle divise les partisans de solutions opposées, soit qu'elle porte sur une question de procédure touchant au fonctionnement de la juridiction constitutionnelle33, soit qu'elle touche à une question de fond34.

C.-Les objets d'analyse de la doctrine

41. La juridiction constitutionnelle, tout en étant incomplète s'agissant des lois fédérales en raison de la règle de l'article 190 Cst., n'est généralement pas contestée en tant que telle par la doctrine, ce qui ne signifie pas pour autant que cette dernière s'abstienne de toute remise en cause. Autant qu'on peut les appréhender de manière générale, les critiques susceptibles d'être exprimées portent davantage sur les solutions retenues à la faveur de tel arrêt que sur le système. Les critiques adressées à la justice constitutionnelle en tant que telle émanent, le cas échéant, davantage d'acteurs politiques tels que les parlementaires.

42. Un exemple intéressant concerne deux arrêts de principe par lesquels le Tribunal fédéral s'est, le 9 juillet 2003, prononcé sur la procédure cantonale de naturalisation des étrangers35. Certes compétents pour fixer le statut de la naturalisation dite ordinaire des étrangers, les cantons peuvent-ils soumettre au scrutin populaire les dossiers de ressortissants étrangers qui souhaitent accéder à la nationalité suisse ? Amené pour la première fois à statuer sur cette problématique, le Tribunal fédéral y a répondu par la négative, au nom notamment du respect des garanties constitutionnelles du droit d'être entendu et de l'interdiction des discriminations. Les critiques virulentes dirigées contre ces deux précédents par une partie de la classe politique ont conduit au dépôt d'une initiative populaire tendant à la révision partielle de la Constitution fédérale en vue de légitimer les naturalisations d'étrangers par voie référendaire. Intitulé « Pour des naturalisations démocratiques », le texte a toutefois été massivement rejeté en votation populaire le

1er juin 200836.

43. Le débat relatif à l'extension de la juridiction constitutionnelle au contrôle des lois fédérales génère traditionnellement des avis passionnés sur le maintien ou non de la règle prévue à l'article 190 Cst. Il s'agit d'un sujet classique, récurrent même du droit constitutionnel suisse qui voit, à intervalle plus ou moins régulier37, les auteurs s'affronter au sujet des avantages et des inconvénients qu'une extension du contrôle de la constitutionnalité pourrait occasionner, en lien avec la

33 pour agir à son titulaire ? Le Tribunal fédéral répond par la négative à cette question qui, des Par exemple : l'interdiction de l'arbitraire garantie par l'article 9 Cst. contient-elle un droit fondamental directement invocable, en l'absence de toute autre prétention, fournissant per se qualité années durant, a divisé la doctrine ; voir ATF 133 I 185 X. et les nombreuses références citées.

Cette ligne d'interprétation continue de susciter de vives critiques doctrinales, auxquelles nous adhérons pour notre part ; voir AUER, Malinverni, HOTTELIER (note 9), p-755.

34 Par exemple : la liberté religieuse protège-t-elle le refus d'élèves de suivre certains enseignements scolaires obligatoires en fonction de leurs croyances ? Le Tribunal fédéral répond par la négative à cette délicate question, laquelle avait suscité un vif débat doctrinal à la faveur d'un arrêt de principe rendu le 24 octobre 2008 (ATF 135 I 79X. und Y.), renversant du coup une jurisprudence établie le 18 juin 1993 (ATF 1191a 178 A. und M.).

35 ATF 129 I 217 A. ; 129 I 232 Schweizeriscbe Volkspartei der Stadt Zurich (SVP), Meier und Tuena.

Voir AIJC XIX-2003, p. 858.

36 Feuille fédérale de la Confédération suisse 2008, p. 5599-

37 Voir AUER, MALINVERNI, HOTTELIER (note 9), P-649 ss. et les références citées.

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suisse 483 conception suisse de la séparation des pouvoirs, les compétences de l'Assemblée fédérale et l'exercice du droit de référendum38.

44. Il arrive que certains arrêts du Tribunal fédéral portant sur des problématiques délicates touchant au rapport et à l'interaction entre fédéralisme, démocratie directe et respect des droits fondamentaux alimentent, de cas en cas, des critiques affectant non seulement les solutions retenues, mais l'institution-même de la juridiction constitutionnelle. Mentionnons par exemple l'arrêt de principe rendu le 27 novembre 1990 par le Tribunal fédéral39, par lequel la Haute Cour a imposé à un canton qui ne connaissait pas encore le suffrage féminin l'octroi des droits politiques aux Suissesses dans les affaires locales, au nom du principe constitutionnel d'égalité des droits entre femmes et hommes. Les juges fédéraux ont adopté, pour ce faire, la motivation et la solution préconisées par une doctrine pourtant minoritaire.

L'arrêt, pourtant solidement motivé, a suscité certaines critiques doctrinales fondées, en particulier, sur le respect de la structure fédérale et les instruments de démocratie directe40.

II.-L'INFLUENCE DE LA DOCTRINE SUR LES JURIDICTIONS CONSTITUTIONNELLES

A.-La participation de la doctrine à la justice constitutionnelle

45. Les juges fédéraux sont en Suisse élus par l'Assemblée fédérale, qui siège pour la circonstance en composition de chambres réunies. Il s'agit d'un processus électif éminemment politique, à l'intérieur duquel les positions doctrinales des candidats à la magistrature ne sont pas affichées en tant que telles. Au nom du principe d'égalité de traitement, qui permet l'accès aux fonctions électives fédérales à tous les Suisses sans distinction, toute personne titulaire des droits politiques peut présenter sa candidature. Aussi, la possession d'un titre universitaire ou d'un brevet d'avocat n'est nullement requise, pas plus que des exigences comparables à elles qui découlent par exemple de l'article 21 paragraphe 1 CEDH pour l'élection des juges à la Cour européenne des droits de l'homme41. Il n'existe par ailleurs pas d'école de la magistrature dont la fréquentation conditionnerait l'accès au poste de juge fédéral.

46. La participation d'un candidat à un poste de juge à des travaux doctrinaux représente sans doute un élément susceptible d'entrer en considération au moment de sa sélection ou de son élection parmi les critères de qualification, à l'image de l'excellence, de l'expérience ou encore des compétences professionnelles. Il ne s'agit pour autant nullement d'une exigence formelle d'une nature particulière, ni d'un élément déterminant42.

38 Voir, sur le sujet, les deux rapports présentés lors du Congrès de la Société suisse des juristes en 2010 par Maya HERTIG RANDALL, Professeure à la Faculté de droit de l'Université de Genève, « L'internationalisation de la juridiction constitutionnelle : défis et perspectives », Revue de droit suisse 2010 II, p. 221-380 et par Hansjôrg SEILER, Juge au Tribunal fédéral,

« Verfassungsgerichtsbarkeit zwischen Verfassungsrecht, Richterrecht und Politik », Revue de droit suisse 2010 II, p. 381-546.

39 ATF 116 la 359 Theresa Rohner und Mitbeteiligte. Sur cet arrêt, voir la présentation du Professeur Blaise KNAPP, AIJC VI-1990, p. 855.

40 Voir par exemple la position du Professeur Etienne GRISEL, Initiative et référendum populaires. Traité de la démocratie semi-directe en droit suisse, 3e éd., Berne 2004, p. 96.

41 La norme conventionnelle dispose que « les juges doivent jouir de la plus haute considération morale et réunir les conditions requises pour l'exercice de hautes fonctions judiciaires ou être des jurisconsultes possédant une compétence notoire ».

42 Sur le sujet et pour plus de détails sur le processus de sélection et d'élection des juges fédéraux en Suisse, voir AIJC XXVII-2011, p. 417 ss, en particulier p. 425, où il est relevé que le recrutement

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47. La fonction de juge référendaire est inconnue du droit suisse. La prise en compte des avis doctrinaux par la magistrature intervient généralement soit par les connaissances dont les magistrats en cause disposent, soit par les rapports des collaborateurs scientifiques et des greffiers rattachés à la juridiction, dont la fonction implique fréquemment qu'ils se livrent aux recherches pertinentes pour dégager une solution motivée et convaincante sur le terrain juridique. Cela étant, la consultation officielle de membres de la doctrine par la justice constitutionnelle n'a pas cours en Suisse. Il n'existe pas non plus de mécanisme ad hoc, ni de procédure d' amicus curiae — comme c'est le cas par exemple devant la Cour européenne des droits de l'homme43 — ou d'experts collectifs permettant d'intégrer ou de joindre officiellement au processus judiciaire les travaux de doctrine ou même leurs auteurs.

48. Il s'ensuit que la participation de la doctrine à la juridiction constitutionnelle et à la formation, ainsi qu'au développement de nouvelles tendances dans la jurisprudence passe par la prise en considération par les juges eux- mêmes — en toute indépendance — des travaux doctrinaux et des publications, que ceux-ci choisissent discrétionnairement. Le processus est informel, non balisé par des règles précises quant à la recherche, l'évaluation et la prise en compte des travaux de doctrine. En retour, la citation d'auteurs de doctrine par les tribunaux constitue sans conteste une forme de consécration et de reconnaissance des travaux de compilation et de recherche, dans le domaine de la juridiction constitutionnelle comme dans les autres domaines du droit.

B.-La prise en compte de la doctrine par la justice constitutionnelle 49. Outre la règle générale de l'article 1 alinéa 3 CC, la Suisse ne connaît pas de véritable obligation juridique d'intégrer la doctrine à la formation et à l'évolution de la jurisprudence. La réalité de la pratique judiciaire, alliée à la complexité et à la technicité grandissante du droit, révèle toutefois le caractère incontournable des références à la littérature juridique, dont l'appui s'impose en quelque sorte de lui- même.

50. La présence et l'apport de la doctrine sont d'ailleurs étroitement liés à l'évolution de la jurisprudence elle-même. Celle-ci, d'une conception étymologique la désignant comme la science et l'art juridiques («iuris prudentia »)44, a évolué dans le sens d'un corpus organisé de principes de droit issus de l'analyse des décisions judiciaires, ces dernières étant de nos jours soumises à un double impératif constitutionnel de motivation (art. 29 al. 1 Cst.) et de publicité (art. 30 al. 3 Cst.)45.

Il s'agit d'exigences démocratiques de base, auxquelles la justice constitutionnelle ne saurait échapper.

51. De l'impératif constitutionnel de motivation résulte en particulier l'obligation pour les instances judiciaires de fonder, au moyen d'un raisonnement fondé sur des arguments analytiques logiques, la structure et le contenu des arrêts qu'elles prononcent. L'idée n'est pas seulement d'exposer le fondement juridique de la décision judiciaire en cause. L'exigence de motivation poursuit aussi l'objectif

des juges fédéraux s'opère traditionnellement dans la haute magistrature cantonale, parmi le barreau ou dans le milieu académique.

43 Cf. art. 36 paragraphe 2 CEDH. Pour un exemple, voir l'arrêt Nada c. Suisse, du 12 septembre 2012, dans lequel une organisation non gouvernementale a été autorisée à intervenir au cours de la procédure qui se déroule devant la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l'homme à propos d'une affaire portant sur l'application des mesures de lutte contre le terrorisme adoptées par le Conseil fédéral suisse sur la base de résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies.

44 Le Petit Larousse (supra, note 1 1) définit la jurisprudence comme « l'ensemble des décisions de justice qui interprètent la loi ou comblent un vide juridique ».

45 MANAÏ (note 2), p. 49.

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suisse 485 d'éviter l'arbitraire, d'assurer l'égalité de traitement, de même que la sécurité du droit.

52. Le mode de présentation des décisions judiciaires suit fidèlement ce cheminement en Suisse : les jugements et les arrêts, en particulier les arrêts de principe du Tribunal fédéral, sont le plus souvent structurés en trois parties : une section en fait, d'abord, expose l'origine du litige, la procédure suivie et les arguments présentés par les parties. La section en droit, ensuite, qui est consacrée aux considérants, examine la recevabilité de la cause, puis expose le raisonnement juridique appliqué et constitue « la substance qui annonce la décision »46. Le dispositif, enfin, énonce le résultat auquel les juges sont concrètement parvenus.

53. La partie des considérants en droit est celle qui, bien entendu, abrite les diverses références aux avis et arguments doctrinaux appelés à servir de source d'inspiration aux juges. L'analyse qu'effectue le Tribunal fédéral dans ce cadre ne procède pas de brèves considérations moulées dans un langage abscons par trop technique. Elle suit au contraire le plus souvent la voie d'un examen systématique, successif, exposant point par point, de manière progressive, le détail des tenants et des aboutissants du raisonnement suivi. La démarche passe très souvent par l'exposé, l'analyse et l'arbitrage des diverses opinions doctrinales en présence. Certes, comme l'a souligné à l'occasion un tribunal genevois, quelque peu agacé en l'occurrence, il n'appartient pas à l'autorité judiciaire de « donner un cours de droit mais bien de trancher un litige sur la base des conclusions des parties »47. Il n'en demeure pas moins que les arrêts de principe de la Cour suprême fédérale posent, par doctrine interposée, des jalons qui, incontestablement, participent à la compréhension des règles de droit que celle-ci a vocation à expliciter et mettre en œuvre. Il s'agit par conséquent d'un élément essentiel à l'État de droit.

54. L'exigence de publicité impose que les audiences et le prononcé des jugements se déroulent en principe publiquement. Pour permettre le contrôle du déroulement du processus judiciaire et lutter contre toute forme de justice secrète ou clandestine, la règle suppose également que les décisions de justice puissent être accessibles et argumentées, donc motivées, afin de permettre de connaître et de comprendre le raisonnement des juges.

55. L'interprétation du droit constitutionnel repose par ailleurs sur une conception étendue de la notion de doctrine. Bien souvent, les références à la doctrine ne se limitent plus, en Suisse, aux seuls travaux de rang local ou même national. Les références au droit comparé et au droit international sont fréquentes, tout particulièrement lorsque la question à trancher appelle la prise en considération de principes peu connus ou résolument nouveaux. Tel est particulièrement le cas dans le domaine des droits de l'homme, qui voit le Tribunal fédéral fréquemment alimenter sa réflexion à la jurisprudence étrangère ou à des arrêts de la Cour de Strasbourg rendus à propos d'Etats autres que la Suisse. À l'occasion d'un arrêt de principe rendu au début des années 1970, le Tribunal fédéral a ainsi indiqué que, dans le processus d'interprétation et de concrétisation d'une garantie telle que la liberté personnelle, le juge constitutionnel devrait s'inspirer des solutions consacrées par le droit comparé, de même qu'au niveau international48.

46 Ibidem.

47 Arrêt du Tribunal administratif genevois du 16 mai 2000 (ATA/304/2000) dans la cause G. et consorts, consid. 5 a.

48 ATF 97 I 45, 50 X., du 17 février 1971 : « Welche Beschrànkungen vor der Freiheitsgarantie standhalten, làsst sich jedoch mit Rucksicht auf die dem Wandel unterworfene ethische Wertordnung und in Anbetracht der sich veràndernden Sozialverhàltnisse nicht ein fur allemal verbindlich festsetzen. Ob staatliche Eingriffe mit der personlicben Freiheit vereinbar sind, ist vielmehr von Fall zu Fall zu entscheiden (...). Als Leitidee hat dabei die Erhaltung eines Staatswesens zu gelten, welches dem Biirger in jedem Fall ein bestimmtes

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56. Un phénomène intéressant mérite d'être évoqué dans ce contexte. Dans le domaine des droits fondamentaux, le Tribunal fédéral a progressivement été amené à reconnaître l'existence de garanties non écrites dans la perspective de compléter la protection qu'offrait la juridiction constitutionnelle. Entamé au début des années I960, ce processus s'est étendu sur plusieurs années. Il a conduit à déduire sinon de la lettre, du moins de l'esprit de la Constitution fédérale des libertés telles que la garantie de la propriété, la liberté personnelle, la liberté d'expression ou celle de réunion. Plus généralement, cette phase jurisprudentielle s'est du reste caractérisée par les débuts de la formation d'une véritable théorie suisse moderne des droits fondamentaux, grâce à la parution d'études doctrinales tout à fait originales et à l'intégration de l'expression « droits fondamentaux » dans le langage employé par la jurisprudence du Tribunal fédéral49.

57. Les critères mis en œuvre pour procéder à cette démarche prétorienne ont été mis au point par le Tribunal fédéral lui-même, sous l'influence précisément des travaux de la doctrine50. La Haute Cour a ainsi établi que seules pouvaient accéder au rang de droits fondamentaux non écrits de niveau fédéral les garanties qui se présentent comme une condition d'exercice des droits existants ou celles qui apparaissent comme des éléments indispensables de l'ordre juridique et démocratique de la Confédération. À ces deux exigences alternatives s'ajoute la prise en compte d'une certaine réalité constitutionnelle («V erfassungswirklichkeit »). Pour les juges fédéraux, les indices prouvant cette réalité doivent être recherchés dans le droit constitutionnel des cantons ou, précisément, dans les travaux de la doctrine51.

58. Le Tribunal fédéral n'a jamais précisé pour autant le type de doctrine qui était de nature à justifier la reconnaissance de droits fondamentaux non écrits. Les précédents que la Haute Cour a livrés sur le sujet démontrent cependant que les juges se sont fondés non seulement sur les recherches conduites par des professeurs d'université, mais aussi, plus largement, sur les travaux émanant d'autres spécialistes. Des références nombreuses à la doctrine spécialisée dans les droits fondamentaux et la sécurité sociale ont, par exemple, contribué à la reconnaissance par voie prétorienne du droit à des conditions minimales d'existence dans un arrêt de principe solidement motivé prononcé le 27 octobre 199552, un droit qui a depuis lors été consacré à l'article 12 Cst.

Mindestmass an personlichen Entfaltungsmoglichkeiten Màss t. Ebenso sind der Entscbeidung je nach den Verhàltnissen des konkreten ¥ ailes die einer rechtsstaatlichen Freiheitsidee entsprechenden philosophischen und etbischen Prinzipien zugrunde zu legen, die jedoch ihrerseits gewissen Wandlungen unterworfen sein kormen.

Wetter hat der Verfassungsrichter bei der Umschreibung der geschiïtzten Freiheitssphàre den Grundsatz der Verhàltnismassigkeit zu beachten und eine Wertung der sich gegeniiberstehenden Rechtsgiiter und Interessen vorzunehmen. Nicht zuletzt hat er auch rechtsvergleichende Oberlegungen anzustellen und n'ôtigenfalls Grundsatze zu beriicksicbtigen, wie sie den von uberstaatlichm Organisationen aufgestellten Normen innmobnen. »

49 Voir KlJEY (note 12), p. 304 ss et les références citées.

50 Sur ce processus, voir Andreas AUER, Giorgio MALIN VERNI, Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. II, Les droits fondamentaux, 3e éd., Berne 2013, p. 33 ss et les références citées.

51 Pour un précédent particulièrement représentatif, voir l'arrêt Komitee fur Indochina und Kaufmann, ATP 100 la 392, 400, du 27 novembre 1974, à propos de la reconnaissance (refusée en l'espèce) d'une liberté de manifester sur le domaine public distincte de la liberté de réunion : « Wenn das Bundesgericht in seiner bisherigen Recbtsprechung gewisse Befugnisse als durch ungescbriebenes Vetfassungsrecht gewahrleistet ansah, so handelte es sich, vom Sonderfall der Sprachenfreiheit abgesehen, um klassische Freiheitsrechte, die in der Lehre anerkannt waren und teilweise auch in den Kantonsverfassungen Ausdruck gefunden hat ten. »

52 ATF 121 I 367, 371 V. : «Es stellt sich damit die weitere Frage , ob ein solches Grundrecht von einem allgemeinen Konsens getragen ist. Dieser Konsens ist nicht ausschliesslich am geschriebenen Vetfassungsrecht der Kantone zu messen, welches seinerseits liickenhaft ist. Er kann sich auch aus der tatsachlich geubten Praxis und der Verfassungsrechtslehre oder aus anderen Quellen ergeben. »

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suisse 487 59. Les auteurs de doctrine, eux-mêmes appelés à se prononcer sur la diversité potentielle des auteurs et donc des travaux visés par la règle de l'article 1 alinéa 3 CC, limitent le champ de la disposition à la doctrine « éprouvée », soit celle qui propose des « solutions consacrées », ou aux avis « les plus autorisés »53, ceux « dont l'argumentation est solide et bien fondée »54, ou encore à la doctrine qui, sans nécessairement s'inscrire dans un courant majoritaire, « convainc par la force de son argumentation »55.

60. Les critères et les modalités d'évaluation ou d'appréciation susceptibles de conduire à la reconnaissance de ces qualités ne sont cependant pas précisés, pas plus que la notion de doctrine elle-même. Pour procéder d'un discours pragmatique d'autojustifïcation, elles demeurent en quelque sorte intuitives et paraissent susciter d'emblée une forme de consensus. Dans l'arrêt de principe qu'il a prononcé au sujet du suffrage féminin dans les cantons, le Tribunal fédéral a décrit pour sa part la doctrine comme la « voix de la science » («Stimme der Wissenschaft »)56.

61. Cette conception de la notion de doctrine, fondée sur l'autorité présupposée de cette dernière, traduit une vision en quelque sorte naturelle, qui s'impose d'elle-même. Elle s'oppose à une représentation élaborée, construite et schématisée en fonction de la pertinence et de l'autorité des auteurs qu'elle est appelée à regrouper au titre de la pertinence et de la reconnaissance. La notion d'autorité n'est par conséquent pas analysée, pas plus que la causalité censée exister entre les compétences des auteurs qu'elle retient, d'une part, et la pertinence de leurs travaux, de leurs raisonnements et des solutions qu'ils proposent, d'autre part. En bref, l'autorité prêtée à la doctrine procède d'une approche qui se trouve aux antipodes d'un discours scientifiquement construit57.

62. L'imprécision des termes traduit l'ouverture du processus et des sources de référence. En réalité, les avis minoritaires n'en sont nullement exclus, l'élément déterminant paraissant résider dans l'aspect logique, méthodique et convaincant des solutions proposées. C'est ainsi la doctrine qui, elle-même, fabrique sa propre légitimité à travers sa compétence et son expertise58.

63. Dans l'intéressant ouvrage qu'il a consacré à l'histoire du droit public suisse, le Professeur Andreas Kley relève que ce n'est qu'à partir de la première moitié du XXe siècle que le Tribunal fédéral a commencé à se référer aux travaux doctrinaux, l'époque se caractérisant par la parution d'ouvragesniversitaires de référence. Durant la période précédente, soit depuis 1875, les arrêts ae la haute Cour gravitaient pour l'essentiel autour du cas d'espèce, au moyen déconsidérations générales et d 'obiter dicta , la doctrine étant alors principalement alimentée par les écrits de praticiens, juges et avocats. C'est à partir des années I960 que les références doctrinales deviennent systématiques59. L'objet d'analyse privilégié de la doctrine helvétique reste le droit constitutionnel fédéral, l'étude de celui des cantons étant relégué, par comparaison, au rang de parent pauvre60.

53 DESCHENAUX (note 6), p. 114 s.

54 MANAÏ (note 2), p. 50.

55 WERRO (note 3), p. 19.

56 ATF 1 16 la 359, 374 Theresa Rohner und Mitbeteiligte.

57 Histoire de la science. Encyclopédie de La Pléïade. Paris 1957, p. 371 , qui relève que, dans l'évolution de Sur un plan général, voir Robert LENOBLE, « Origines de la pensée scientifique moderne », in la science, la notion d'autorité n'a jamais été reçue comme un critérium épistémologique.

58 MANAÏ (note 2), p. 50.

59 KLEY (note 12), p. 369 et 383 et les références citées.

60 AUER, MALINVERNI, HOTTEUER (note 9), p. 1 8.

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III.-LA CONSTRUCTION D'UNE DOCTRINE PAR LA JUSTICE CONSTITUTIONNELLE

A.-La justice constitutionnelle peut-elle faire œuvre de doctrine ?

64. En Suisse, il n'est pas d'usage que les membres de la juridiction constitutionnelle publient des commentaires ou des communications au sujet de leurs propres décisions. Les magistrats de l'ordre judiciaire ne sont pas privés pour autant de la liberté d'expression. Les garanties constitutionnelles et conventionnelles d'indépendance et d'impartialité leur imposent toutefois de ne s'exprimer qu'avec retenue et, en tout état, d'une façon qui ne les expose pas à une quelconque forme de prévention dans les causes dont ils sont saisis61.

65. Tout au plus, les communiqués de presse diffusés par les tribunaux visent-ils à informer de l'existence d'arrêts de principe susceptibles d'intéresser les médias ou le grand public. À Genève par exemple, la loi sur l'information du public, l'accès aux documents et la protection des données personnelles prévoit (art. 20) que les juridictions ne peuvent fournir d'informations sur des procédures en cours que lorsqu'un intérêt prépondérant le requiert impérativement. Elles doivent toutefois veiller au respect des intérêts légitimes des parties et, le cas échéant, de la présomption d'innocence des personnes mises en cause. Lorsqu'une procédure est close, l'information en est donnée sous une forme appropriée dans la mesure où un intérêt prépondérant le justifie, en veillant là également au respect des intérêts légitimes des parties. Le règlement du Tribunal fédéral, du 20 novembre 2006 (art.

55)62, prévoit pour sa part que la Haute Cour informe le public sur sa jurisprudence par recueil officiel, par internet, par les arrêts mis à disposition du public et par des communications aux médias. Ces derniers se limitent généralement à fournir l'essentiel de l'arrêt en cause. Ici, il s'agit simplement d'une opération de communication, liée à une forme de devoir de transparence de l'Etat et de publicité de ses activités, en lien avec le droit de la population d'être tenue au courant de décisions importantes. Résultant d'un souci d'information du public, on ne saurait y voir une forme de commentaire critique et documentée destinée à un public de juristes. Il ne s'agit par conséquent nullement d'une œuvre de doctrine.

66. A l'inverse de la Cour suprême des États-Unis, de la Cour européenne des droits de l'homme ou de la situation qui prévaut dans des Etats tels que l'Allemagne, l'Espagne, le Portugal ou l'Italie, les juges fédéraux ne disposent pas, en Suisse, de la faculté de commenter ou de compléter les arrêts auxquels ils contribuent au moyen d'opinions séparées, que celles-ci soient concordantes ou au contraire dissidentes63. Il n'est donc pas possible de connaître ou de suivre officiellement le raisonnement personnel traçant la ligne de conduite d'un juge déterminé. On peut voir dans cette pratique le souci d'éviter une forme de personnification du processus judiciaire, qui serait sans doute contraire à l'idée de collégialité, d'objectivité, d'indépendance et de neutralité des juridictions. La faculté de rédiger des opinions séparées existe en revanche dans certains cantons comme Vaud ou, plus récemment, Genève, mais seulement pour les membres des juridictions de seconde instance. À Genève, ces opinions, jointes à l'arrêt qu'elles concernent, sont toutefois anonymes.

61 Voir à ce sujet Cour eur. dr. h., arrêt Lavents c. Lettonie, du 28 novembre 2002, par. 117 ; ATF 115 la 172 P. ; 115 la 66 X. ; 108 la 172 X., où le Tribunal fédéral relève, en particulier, que la limite de la prise de position d'un magistrat se situe là où la justice entre en conflit avec des opinions politiques à propos d'événements concrets.

62 Ci-après : RTF ■ RS 173.110.131.

63 Sur le sujet, voir Wanda MASTOR, Les opinions séparées des juges constitutionnels, Paris 2005.

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