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Reference
Presse : Mourir, la belle affaire
AMEZ-DROZ, Philippe René
Abstract
Crise de la presse quotidienne et crise de l'industrie publicitaire: disparition de titres et recherche de nouvelles formes de financement. Fonctions de la presse. Aides.
AMEZ-DROZ, Philippe René. Presse : Mourir, la belle affaire. La Tribune de Genève , 2018, 7 juin 2018
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:105256
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Date: 07.06.2018
Tribune de Genève / ImmoPlus 1211 Genève 11
022/ 322 40 00 www.tdg.ch
Genre de média: Médias imprimés Type de média: Presse journ./hebd.
Tirage: 36'100
Parution: 6x/semaine N° de thème: 377.116
Ordre: 1094772 Page: 12
Surface: 32'407 mm²
Référence: 69873586
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Presse: mourir, la belle affaire
Médias
Dr Philippe Droz Université de Genève*
La disparition en mai dernier du
«Giomale del Popolo», l'un des trois titres de la presse quotidienne tessinoise, fut considérée comme
un dommage collatéral de la faillite de Publicitas. Le titre est mort dans une quasi-indifférence alors que son audience n'était pas négligeable: 35 000 lecteurs quotidiens. Au Canada, le même mois, le titre «La Presse +», qui avait fait le pari du tout-numérique en 2017, a annoncé sa prochaine fin de parcours avec une audience pourtant estimée à 274 000 lecteurs. En fait, ce chiffre est une mesure d'audience qui indique des
«visiteurs uniques», ce qui n'est pas tout à fait la même chose car
l'addition des lecteurs sur support papier et des «visiteurs uniques jour» laisse sceptiques nombre
d'annonceurs attachés à la qualité du contact et, surtout, à la réalité de sa performance.
Le titre britannique «The Guardian», considéré comme un quality paper, conserve son modèle d'affaires hybride (papier
+ numérique) afin de ne pas perdre encore davantage de recettes publicitaires. Les recherches convergent sur ce point: l'érosion des recettes publicitaires «papier»
n'est pas compensée par les ventes en ligne. Sur Internet, l'audience du «Guardian» peut être considérable-1,15 million de visiteurs uniques jour pour un tirage papier certifié de 159 000 exemplaires à la fin de 2016 - les revenus tirés de celle-ci ne suivent pas. Conséquences pour «The Guardian» en 2018: un nouveau plan de réduction des coûts de 20%
et le développement de
«parrainages» qui évoquent les formules de mécénat adoptées outre-Atlantique. Bref, un modèle d'affaires en mode survie.
Le lien entre les contenus d'information et la publicité fait l'objet d'observations et d'études. À commencer, en Suisse, par celles de la REMP, institut basé à Zurich et fondé en 1964, à l'époque d'une presse écrite toute-puissante. La REMP signifie «Recherches et études des médias publicitaires».
Une appellation qu'il faudra à l'évidence changer si les titres deviennent des biens de club, à l'instar de la «Neue Zürcher Zeitung» ou du «Temps», presque sans publicité et vendus comme des biens privés exclusifs. Une presse du XXIe siècle certes numérique mais qui adopterait, comme l'a noté Robert G. Picard dans ses travaux sur l'évolution des médias, le modèle d'affaires de la presse du XVIIIe siècle,
discriminante par le prix et la diffusion sans publicité. Dans une interview accordée à la RTS le 23 mai, ÉtienneJornod, président
«Pour permettre de reprendre le contrôle tarifaire,
la diminution de l'offre est l'option stratégique
la plus simple»
du conseil d'administration de la
«NZZ»,a décrit l'impact de ce découplage: créer «un produit attractif, pas un produit uniquement financé par la publicité, mais un produit tellement intéressant que les
lecteurs sont prêts à payer cher pour lire ce produit». Une logique de marché qui conduit,
inévitablement, à davantage de concentration.
Pour autant, et aussi répétitifs qu'ils soient, ces constats du déclin de la presse écrite d'information générale de périodicité quotidienne - imprimée et en ligne - interpellent car ils posent plusieurs questions fondamentales: l'importance de l'information de proximité produite par des journalistes professionnels confrontés aux flux de contenus mainstream, le rôle de service public de la presse écrite qui ne bénéficie pas du parapluie Billag, la définition de la qualité dans les médias, voire la définition de ce qu'est un média.
Si l'on en juge par l'état du débat en Suisse, entre propriétaires de titres dits indépendants et groupes de presse tels que Tamedia, Ringier Axel Springer, NZZ ou encore AZ Medien, l'interventionnisme étatique direct n'est pas perçu de la même manière. L'urgence n'est pas la même. La réflexion sur l'avenir des titres de presse au sein d'une société démocratique digitalisée, où prolifèrent diversité et pluralité de contenus, n'est pas la même.
Pour créer de la rareté et permettre de reprendre le contrôle tarifaire aujourd'hui favorable à la demande, la diminution de l'offre est l'option stratégique la plus simple.
Pour la presse dite indépendante, sa mort lente revient à devoir décrire l'agonie d'un parent aimé auquel on refuse l'euthanasie. Comme le chantait Brel, «mourir, la belle affaire, mais vieillir... oh vieillir».
* Chargé de cours et collaborateur scientifique, Medialab