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Maladies neuromusculaires : faudrait-il faire une croix sur la thérapie génique ?

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REVUE MÉDICALE SUISSE

WWW.REVMED.CH 16 décembre 2015

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Maladies neuroMusculaires : faudrait-il faire une croix sur la thérapie génique ?

Comprendre la cause ne signifie pas toujours pouvoir en corriger les effets. Sur ce thème bien dérangeant, le supplément

« Cahiers de myologie » de la revue Méde- cine/Sciences vient de publier un remarqua­

ble papier.1 Soit une solide et courageuse réflexion, une analyse lucide qui n’exclut pas des fragments d’autocritique éclairée.

Le texte est signé de Jean­Claude Kaplan (Institut Cochin, Faculté de médecine Paris Descartes, Paris). « Au cours des trois der­

nières décennies, nous avons vécu une vé­

ritable explosion des connaissances con­

cernant l’étiologie primaire des maladies monogéniques, écrit celui qui ne craint pas d’apparaître sous les traits d’un dinosaure émérite. En ce qui concerne les maladies neuromusculaires, le premier gène a été identifié en 1986 ; fin 2014, 406 gènes dif­

férents étaient recensés. Pourtant, les bé­

néfices thérapeutiques escomptés se sont longtemps fait attendre. Au moment où ils commencent à être engrangés, et avec un recul de près de trente ans, il est important d’analyser les causes de ce décalage, source d’une légitime impatience de la part des malades, de leurs familles, de leurs méde­

cins. Ce sujet n’a jusqu’à présent donné lieu à aucune réflexion approfondie. Il devrait pourtant intéresser les épistémologistes et les historiens de la médecine. »

Que s’est­il passé ? Soulever cette ques­

tion conduit à s’interroger sur les limites de la « preuve de concept » – ou POC (de

l’anglais : proof of concept). Le français parle aussi, plus joliment, de « démonstration de faisabilité » : la réalisation courte (ou incom­

plète) d’une certaine méthode ou idée pour démontrer sa faisabilité. C’est sans aucun doute une étape importante et nécessaire.

Pour autant, elle ne saurait en rien être suffisante. Or, ces démonstrations de faisa­

bilité ont, depuis un quart de siècle, escorté le décryptage des gènes et de leurs muta­

tions. Jean­Claude Kaplan le dit à sa façon :

« En trente ans, les publications apportant la démonstration expérimentale du bien­

fondé de telle ou telle hypo­

thèse thérapeutique, découlant directement de la connais­

san ce d’un gène muté, se sont accumulées. Ces preuves de concept sont obtenues d’abord ex vivo dans des cellules en culture, puis in vivo dans des modèles animaux où le défaut biologique est corrigé soit loca­

lement, soit dans l’organisme entier. Cette pléthore de pu­

blications reflète l’intérêt croissant de la communauté scientifique pour les objectifs thérapeutiques. »

Un fragment d’ADN muté était identi­

fié comme la cause d’une pathologie neuro­

musculaire ? La réponse était claire, sinon simple à mettre en œuvre : développer des stratégies de « thérapie génique » ; corriger le défaut grâce au transfert d’ADN codant tout ou partie du gène défectueux – un ADN « enrobé » dans un vecteur viral. C’était trop simple, comme on le sait aujourd’hui et comme nous le rappelle Jean­Claude Kaplan. En privilégiant cette stratégie, les chercheurs n’avaient pas encore conscience de la nature et du nombre des obstacles que cette approche entièrement nouvelle com­

portait. Au fil des années, la formule sim­

pliste de « gène médicament », proposée dans les années 1990, s’est avérée être, très largement, un leurre. Non, un gène n’est pas un médicament.

Il fallut s’adapter pour contrer les diffi­

cultés rencontrées : les stratégies et les cibles thérapeutiques se diversifièrent. C’est ainsi que l’on passa de la thérapie génique (par transfert de gène) aux thérapies post-géni ques (interventions au niveau de l’ARN messa­

ger (saut d’exon, oligonucléotides antisens, translecture des mutations non­sens). « Pa­

rallèlement se sont développées les straté­

gies de cytogénothérapie où des cellules

souches du malade sont d’abord corrigées ex vivo puis réimplantées avec l’espoir d’un repeuplement du tissu cible, explique encore Jean­Claude Kaplan. Enfin, avec un certain retard, et à la lumière de l’effet indéniable de la corticothérapie sur le ralentissement du processus dystrophique dans la myopa­

thie de Duchenne, on s’est orienté vers la recherche de molécules agissant sur les nombreuses cibles périphériques de la cascade physiopathologique. »

La « preuve de concept », et après ? C’est, bien évidemment, la validation clinique avec sa complexité, sa lourdeur, ses indispensables contraintes sous l’œil nécessairement sourcilleux des autorités réglementaires.

Là encore il faut écouter Jean­

Claude Kaplan et son expé­

rience. « Le processus réclame une organisation multidisci­

plinaire et des subsides qui dépassent les forces et la com­

pétence de l’équipe qui a pro­

duit le POC. Le relais doit être pris soit par les associations de malades, soit par des sociétés privées à capital risque, de type start-up, voire par des firmes phar­

maceutiques de stature internationale, dit­il.

Au cours de ce parcours, il faudra avoir franchi toutes les étapes de la pharmaco­

vigilance, préparé des lots du produit à ad­

ministrer conformes à la sécurité sanitaire, et en quantité suffisante, ce qui réclame une expertise particulière et des moyens consi­

dérables lorsqu’il s’agit de vecteurs viraux. » Il faudra aussi des cohortes de volon­

taires… des outils pour vérifier l’innocuité, évaluer le bénéfice thérapeutique, inter­

préter la signification statistique des résul­

tats… Tout cela sera coûteux en temps…

pour un marché très étroit. D’où les asso­

ciations de familles concernées… le lobbying pour obtenir des financements suprana­

tionaux… Tout cela sans la garantie de l’ob­

tention des résultats attendus… « Au terme de ce parcours d’obstacles, l’attrition est considérable et, jusqu’à présent, dans le domaine des maladies musculaires, on n’a pas encore vu de POC franchir la ligne d’arrivée » reconnaît, lucide, Jean­Claude Kaplan.

Désespérer ? En aucun cas. L’absence de résultats thérapeutiques à court terme ne doit pas masquer le bilan des recherches thérapeutiques des trois décennies écoulées, qu’il s’agisse de l’optimisation des vecteurs Jean-Yves nau

jeanyves.nau@gmail.com

au fil des années, la formule sim- pliste de « gène

médicament » s’est avérée

être, très largement,

un leurre

D.R.

point de vue

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ActuAlité

www.revmed.ch

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viraux ou des progrès dans la manipulation des cellules souches et ceux de la géno­

mique avec l’avènement des techniques de séquençage à haut débit. Il faut aussi compter avec des résultats pour le coup prometteurs dans des affections monogé­

niques comme certaines immunodéficien­

ces primaires, le syndrome de Wiskott­

Aldrich, les adrénoleucodystrophies, l’hé­

mophilie B ou certaines dégénérescences rétiniennes.

Reste, il est vrai, le chapitre des patho­

logies de la dystrophine, cette très grande protéine de structure, intégrée dans l’ar­

chitecture interne de la cellule musculaire ; une protéine qui cumule les difficultés.

« L’objectif est d’obtenir sa production dans toutes les cellules de la musculature vitale (squelettique, respiratoire, cardiaque) et

1 Kaplan Jc. clin d’œil du dinosaure émérite ; l’enfer du génothérapeute est pavé de poc. Med sci (paris) 2015;

31:41-4.

ceci en quantités stœchiométriques, en administrant le facteur thérapeutique par voie systémique, rappelle Jean­Claude Ka­

plan. C’est pourquoi les stratégies qui ont aujourd’hui le vent en poupe sont celles où le facteur thérapeutique est capable d’at­

teindre toutes les cibles : notamment les oligonucléotides antisens, les vecteurs cor­

recteurs de type AAV8 à tropisme mus­

culaire, les cellules souches corrigées ex vivo et possédant un fort pouvoir régéné­

ratif ou un avantage sélectif. Il faut y ajouter à présent les molécules diffusibles, qu’elles soient déjà homologuées comme médica­

ments, ou bien à découvrir grâce à la géno­

mique fonctionnelle. »

Où l’on voit que le recul dans l’analyse rétrospective n’étouffe ni l’espoir ni l’en­

thousiasme. Sans parler des perspectives

chaque jour plus larges, ouvertes par la technique du CRISPR­Cas9 ; une technique qui commence à faire la une de tous les magazines, du moins des magazines anglo­

saxons, à commencer par The Economist qui nourrit une véritable passion pour les possibilités d’édition et de relecture du gé­

nome humain. Ainsi, en cette fin d’année 2015, on se gardera bien de tomber dans le piège tendu par les défaitistes qui dénon­

cent on ne sait quelle « imposture de la gé­

nomique médicale ». Pour autant, on restera vigilant face aux menaces, toujours plus lourdes, de notre génétique utilisée à des fins eugéniques.

fortunate doctors ?

L’émouvant portrait psychologique et photographique d’un médecin généraliste de la campagne anglaise profonde, par John Berger et Jean Mohr, est intitulé « A fortunate man ».1 Ce titre, teinté d’ironie toute britannique, m’a quand même laissé songeur et m’a fait remonter moultes histoires vécues avec mes patientes et patients. Je suis sorti de ces rêveries convaincu : nous, médecins de famille, avons ef fec­

tivement une chance fabuleuse d’être plongés au cœur de l’huma­

nitude, souvent comme témoins, quelquefois comme acteurs de scénarios improbables, tantôt tragiques, tantôt comiques, comme l’histoire de ce jour. Encore faut­il accepter, quand il s’agit de comédie, d’avoir parfois le rôle du bouffon…

Joséphine avait des allures d’impératrice. Etrangère au canton, elle avait connu la notoriété en épousant un homme puissant de

la région. Devenue journaliste, elle écrivait des papiers d’humeur au vitriol, dans lesquels elle épinglait les notables en tout genre, en particulier les politiciens comme son mari.

Je n’arrive pas à me souvenir par quel hasard je suis devenu son médecin. Ce ne fut d’ailleurs pas une sinécure, tant elle était auto­

ritaire. Elle ne prenait jamais rendez­vous, me convoquant plutôt chez elle, sous un prétexte médical quelconque, mais surtout pour me parler de l’avenir de la région, du rôle qu’elle m’y voyait jouer, et pour m’intimer quelques ordres. Elle me tutoyait, comme elle tutoyait tout le monde.

Concernant sa santé, elle n’en faisait de toute façon qu’à sa tête, suivant rarement mes prescriptions.

Comment pouvais­je supporter, dans ce contexte, d’être fidèlement son médecin ? Une certaine fasci­

nation, peut­être.

Un jour que j’avais rendez­vous chez elle avec l’infirmière de soins à domicile – elle était devenue âgée, sa mobilité s’amenuisait, ses jambes ouvertes nécessitaient des soins – elle me prit à part dans une autre pièce. Elle me tendit un paquet avec ce commentaire :

« Mes informateurs m’ont appris que tu te promenais au lac Taney en culotte courte (je faisais un peu de course à pied). C’est une honte pour le docteur du village.

Encore, si tu étais bâti comme un acteur de cinéma, mais là, quand même ! Alors voilà, je t’ai fait

acheter des pantalons ». J’étais sans voix, amusé tout de même de tant d’extravagance.

La scène la plus surréaliste, digne de Buñuel, fut aussi la dernière : je reçois un téléphone de son voisin d’immeuble, Paul, son dévoué larbin, m’enjoignant de venir au plus vite. Joséphine était tombée et ne pouvait plus bouger. Lorsque j’arrive, d’autres solides voisins, appelés en renfort, l’avaient hissée et câlée dans un fauteuil. Dans cette position, elle n’avait quasi plus mal, mais le moindre mouve­

ment la faisait hurler. Je procède au status : visiblement une fracture du col fémoral.

Je tente alors de lui faire entendre qu’elle n’a pas le choix : impossible, avec une telle fracture, de rester à domicile. « Taratata ! Fais­moi une piqûre et je me débrouillerai avec les voisins, n’est­ce pas Paul ? » Je ne négocie rien et lui annonce que j’appelle l’ambulance. « L’am­

bulance ? Mais tu n’y penses pas.

Paul me conduira ». « Essayez seulement de bouger un orteil et vous serez convaincue ».

« Bon, mais ça va prendre du temps tout ça. Paul, va nous chercher une petite bouteille dans ma cave, tu vois lesquelles. Et tu apporteras aussi des flûtes au sel ».

Lorsque les ambulanciers débar­

quent, dans leurs équipements rutilants et portant leurs lourdes valises, ils découvrent un tableau auquel leur vaste formation ne les a pas préparés : une patiente à hospitaliser en urgence, trinquant avec son voisin et son docteur, lequel tente d’écrire un mot pour l’hôpital, en croquant dans une flûte au sel !

« Asseyez­vous les jeunes, vous prendrez bien un verre ». Les am­

bulanciers, bouche bée, manquent de lâcher leurs valises, puis pro­

testent que cela leur est interdit.

Joséphine n’a jamais revu son do­

micile. Placée dans un home, elle est décédée peu après. Elle devait en avoir l’intuition, pour nous im­

poser cette étonnante eucharistie.

Carte blanChe

Dr François Pilet

Chemin d’Outé 3 1896 Vouvry

francoispilet@vouvry­med.ch

1 Berger J, Mohr J. a fortunate man.

pinguin press 1967. edition française : un métier idéal. paris : edition de l’olivier, 2009.

D.R.

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