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Épreuves de la matière, preuves de l’intangible : Photographies en duo

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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91-92 | 2014

Géographie des objets

Épreuves de la matière, preuves de l’intangible : Photographies en duo

Serge Weber

Édition électronique

URL : http://journals.openedition.org/gc/3463 DOI : 10.4000/gc.3463

ISSN : 2267-6759 Éditeur

L’Harmattan Édition imprimée

Date de publication : 1 octobre 2014 Pagination : 247-251

ISBN : 978-2-343-07132-9 ISSN : 1165-0354 Référence électronique

Serge Weber, « Épreuves de la matière, preuves de l’intangible : Photographies en duo », Géographie et cultures [En ligne], 91-92 | 2014, mis en ligne le 06 novembre 2015, consulté le 28 novembre 2020.

URL : http://journals.openedition.org/gc/3463 ; DOI : https://doi.org/10.4000/gc.3463 Ce document a été généré automatiquement le 28 novembre 2020.

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Épreuves de la matière, preuves de l’intangible : Photographies en duo

Serge Weber

RÉFÉRENCE

Jean-François Dars, Anne Papillault, Les déchiffreurs. Voyage en mathématiques, Paris, Belin, 2008.

Jean-François Dars, Anne Papillault, Le plus grand des hasards. Surprises quantiques, Paris, Belin, 2010, 224 p.

Jean-François Dars, Anne Papillault, Au cœur des atomes froids. L’aventure de l’IFRAF, Paris, ENS-éditons, 2014, 144 p.

Jean-François Dars, Anne Papillault, Petits soldats, Paris, Descartes et Cie, 2014, 142 p.

1 On aura tout vu ? Facile à dire, il faudrait, pour tout voir, un sacré regard. Avec Anne Papillault et Jean-François Dars, on pourra (presque) tout voir1. Professionnels du regard, ils explorent la matérialité par deux démarches bien différentes : qu’est-ce qu’un regard quantique sur le monde ? Qu’est-ce qu’un regard critique sur la pétrification des morts de 1914-18 ? C’est dans l’apparent paradoxe de ces deux approches qu’ils nous donnent des clefs pour renouveler notre regard dans nos pratiques de recherche.

Rendre la recherche théorique visible

2 Le duo Dars-Papillault est connu de bien des chercheurs et chercheuses en France et ailleurs, puisqu’ils ont été réalisateurs de films scientifiques pour le CNRS pendant plusieurs décennies. Elle documentariste, lui photographe, ils ont débarqué dans de multiples labos, bureaux, chantiers de fouille, terrains paumés, perche et caméra à la main, chaleur, humour et immense professionnalisme dans leur façon de se rendre invisibles et de laisser la parole. De leurs moments passés en compagnie de

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scientifiques de tout poil, ils ont fait une série vertigineuse de films, tous magnifiques, avec toujours quelque chose de décalé qui laisse deviner que pour une petite dose d’impertinence dans une production officielle, il faut avoir un solide regard critique.

Leur amour de la recherche et leur curiosité pour les scientifiques de toutes les disciplines – leurs marottes, leurs conditions de travail, leurs illuminations et leurs doutes – ne cessent de donner lieu à de nouvelles formes de témoignages (documentaires, savoureuses « histoires courtes », ouvrages, émissions)2.

3 Pourquoi une série de trois ouvrages sur les scientifiques ? Les deux plus récents, qui traitent de la physique, font suite à un premier qui traitait des mathématiques, Les Déchiffreurs. Voyage en mathématiques. Sa fabrication résulte d’un enchaînement de hasards. Au moment où le duo est délocalisé dans les bureaux de l’IHES (Institut des hautes études scientifiques), Jean-François n’a pu résister à la tentation de photographier ses voisins, des mathématiciens, au travail. La première série, improvisée, a été réalisée devant un tableau noir, sur lequel les deux chercheurs Pierre Cartier et Alain Connes discutent d’un problème et, en moins de trois minutes, blanchissent d’équations le tableau – série qui ferait un ébouriffant flip book. Alain Connes a alors proposé « et si on écrivait tous un texte » ? Miraculeusement, ils réussissent à récupérer les récits des mathématiciens pour accompagner les cent- cinquante photos sélectionnées. Voilà pour Les déchiffreurs : faire voir la production mathématique dans ses conditions matérielles et le labo comme un environnement social.

Explorer le monde quantique

4 Le physicien Jean Dalibard leur demande alors pourquoi ils ne feraient pas un livre similaire sur la physique quantique. Ainsi naît Le plus grand des hasards, véritable œuvre d’art et témoignage précieux d’une science en train de se faire, subtilement interrogée par les deux auteurs et dont les textes sont travaillés au micron. On y découvre que la matière a ses secrets, ses logiques et mille manières d’être impensée, au point que Serge Haroche pose la question de savoir si nos cerveaux sont compatibles avec l’intelligence quantique :

« L’étrangeté du monde quantique serait ainsi conjurée par la conjonction de deux darwinismes, celui – biologique – lié à la formation de notre conscience qui nous dit qu’il est en fait normal que nous ne comprenions pas, et celui – quantique – qui nous explique que le monde classique que nous percevons résulte d’une sélection ayant éliminé toutes les superpositions d’états incapables de survivre au couplage au monde dans lequel nous baignons. » (p. 202)

5 Yves Quéré se livre quant à lui à un commentaire méditatif de l’indétermination :

« Il a plutôt mauvaise presse, ce mot, assimilé qu’il est ordinairement à quelque mollesse du caractère, vague à l’âme et tendance à l’inaction. Regardons-y de plus près et demandons-nous s’il n’est pas, en même temps, le signe d’une entrée en tolérance, d’une propension à l’évasion créatrice et, finalement, d’une ouverture à la liberté. […] Posons cependant comme principe qu’il ne peut y avoir d’indétermination féconde sans qu’elle s’appuie sur des savoirs préalables, sans qu’elle s’accompagne d’un débat intime des convictions et sans qu’elle tisse un lien, aussi ténu soit-il, avec la culture. » (p. 192)

6 Photographier des scientifiques dans leur habitat naturel (leur labo) ; recueillir en un nombre de phrases radicalement restreint une synthèse expliquant quel lièvre ils

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poursuivent et quelles tactiques ils déploient pour le piéger ; ajouter une photo de matériel scientifique (instruments d’expérimentation, tableaux couverts d’équations, grosses et petites machines) : voilà les trois ingrédients de la mise en page : un visage, un instrument, un apparent mystère.

7 Et ça marche ! Même si on ne comprend pas tout (on sent que les synthèses ont été réécrites mille fois, pour être aussi claires et accessibles que possible, mais sans concession à la rigueur), on finit par se sentir plus familier (ou moins étranger) des bosons, des fermions, des photons et autres spins… D’autant plus que la parole est laissée libre aux chercheurs, en passant par l’expérience montagnarde du centre de recherche des Houches (Hélène Perrin), une impertinente démonstration à partir des Chats de Siné (Jean-Louis Basdevant) ou encore les pérégrinations fantastiques du « moi quantique » de Catherine Cesarsky. Michèle Leduc revient quant à elle sur ses débuts, évoquant le climat tendu par les menaces de l’OAS à l’encontre des chercheurs anticolonialistes et sur la difficulté de construire un parcours de femme scientifique dans un monde d’hommes où la condescendance n’est pas en reste.

8 Le troisième ouvrage se démarque en ce qu’il émane d’une commande passée, par l’intermédiaire de Michèle Leduc, par l’IFRAF (Institut francilien de recherche sur les atomes froids) qui souhaitait initialement une plaquette de présentation des différentes équipes qu’il fédère. Plusieurs mois de travail ont donné naissance à Au cœur des atomes froids, dont la genèse en fait un livre sans doute moins personnel que les deux précédents, néanmoins passionnant. Cherchez la pirouette, elle est en couverture : la figure quantique presque parfaite n’est qu’un colimaçon dessiné par un enfant sur un capot de voiture enneigé…

Les villageois-es face à la première industrialisation de la mort

9 Quant à Petits soldats, qui n’a en apparence rien à voir, il est le contrepoint qui révèle le sens de la démarche des deux artistes.

10 Durant une dizaine d’années le duo a arpenté le fin fond des campagnes françaises, et a accumulé des photographies de monuments aux morts de la Grande Guerre : des petits soldats bien repeints, aux yeux bien bleus, bien fleuris ; une curiosité pour le rapport des villageois et plus généralement des gens modestes à cette mémoire. Quand s’est préparée la commémoration du centenaire, la série a été complétée dans la Somme et dans les Ardennes. L’obtention d’un petit financement dans ce cadre leur permet de réaliser le livre auprès d’un éditeur indépendant. Le texte est une réflexion très poussée et resserrée sur les rapports de domination qui ont causé et prolongé cette aberration nationaliste et industrielle, en se posant une question qui oblige à décentrer le récit : comment les habitants des villages ont-ils voulu exprimer leur point de vue sur la catastrophe ?

11 A bien y regarder, en effet, l’organisation même des œuvres révèle deux niveaux de lecture. Le haut des monuments représente généralement un soldat victorieux commandé le plus souvent aux fonderies sur catalogue, parfois à des sculpteurs, alors que sur le socle sont gravés des textes qui, par leur choix, témoignent de la pensée populaire profonde face à la tuerie collective. L’objet du livre, c’est cette différence de pensée entre le haut et le bas, entre la production en série d’un soldat tué en série et

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des variations inattendues dans l’épitaphe. On en trouve des exemples éloquents dans des villages comme Saint-Martin d’Estréaux dans l’Yonne :

« Des innocents au poteau d’exécution Des coupables aux honneurs

La vie atroce pour les déshérités La formidable note à payer ».

12 Le rapport entre les administrations centrales et les communes rurales, fait de dédain dans un sens et de soumission dans l’autre, s’est visiblement perpétué après-guerre, comme on peut le lire dans des formules étranges.

« Cette citation a été insérée Au J-O

Du 24 septembre 1920 Pour copie conforme Le colonel chef adjoint du Cabinet

Signe illisible »,

13 peut-on lire sur une colonne, en guise de signature, dans la retranscription mot à mot, en lettres d’or sur marbre noir, d’une citation du village d’Ayette (Pas-de-Calais) à l’Ordre de l’arme par le Ministre de la guerre.

14 Les singularités de chaque communauté de survivants, habitués à courber l’échine devant l’administration centrale, ou à résister (« L’ARAC aux victimes innocentes des conseils de guerre »), se lisent souvent dans le soin apporté à l’entretien du monument :

« s’il est une pulsion qui résiste à tout, c’est bien le désir d’expression artistique » (p. 55).

15 Continuer à être des passeurs de savoirs, les savoirs les plus complexes, les expériences les plus impensables pas davantage que les savoirs populaires et les manières de résister, voilà ce que Jean-François Dars et Anne Papillault souhaitent. Ces quatre ouvrages sont une invitation à ne jamais renoncer à comprendre l’incompréhensible, à toujours renouveler son regard pour palper l’intangible.

NOTES

1. Cette lecture de leurs quatre derniers ouvrages a été complétée par un entretien avec les auteurs, réalisé à Paris en mars 2015.

2. Disponibles à l’adresse suivante : llx.fr

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AUTEURS

SERGE WEBER

Laboratoire Analyse comparée des pouvoirs Université Paris-Est Marne-la-Vallée serge.weber@gmail.com

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