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Une scène de coiffure par Mary Cassatt, ou comment faire du très beau avec du laid… pour contredire Degas

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Une sc ene de coiffure par Mary Cassatt, ou comment faire du tr es beau avec

du laid . . . pour contredire Degas

R emi Maghia

Brest

r.maghia@cegetel.net

Parmi mon Pantheon des scènes de coiffure en peinture, ce tableau de Mary Cassatt tient une place speciale. Parce qu'il a une histoire particulière, avec une certaine approche, et parce que Mary Cassatt est une artiste singulière, une femme independante, volontaire, au caractère bien trempe, qui a joue un grand rôle au sein du mouvement impressionniste français(figure 1).

Le tableau

Quand on est en presence de cetteœuvre, on est frappe au premier coup d'œil par ce qu'on pourrait prendre pour une incongruite : le caractère inhabituel du modèle, qui est plutôt laid. En tout cas, c'est ce que j'ai ressenti en decouvrant ce tableau pour la première fois, pas vous ? Une jeune fille aux cheveux auburn- roux, en chemise de nuit,a côte de sa table de toilette, apprête ses cheveux devant un miroir, en les tenant d'une part de son bras gauche replie au niveau de la nuque, sa main gauche saisissant une maigre tresse, et d'autre part avec sa main droite qui tient la natte. Elle semble se preparer au coucher. On la voit de profil droit, son visage est plutôt ingrat, sa bouche entrouverte laissant voir ses dents. Son expression est plutôt

« godiche », comme on dirait actuelle- ment. Elle se tient devant un meuble de toilette de l'epoque, lui-même devant un panneau de papier peinta motif vegetal dans les tons rose fuchsia. La dominante est la couleur bleutee du vêtement de la jeunefille et de la sorte de nature morte aux objets sur le dessus du meuble.

L’histoire du tableau

Alors quelle est l'histoire de cette peinture, et qu'a voulu exprimer Mary Cassatt ?

Edgar Degas et Mary Cassattetaient très lies, en depit du caractère difficile et repute misogyne de celui-ci. Il etait connu pour ses critiques acerbes concer- nant d'autres artistes. Mais pour Cassatt, c'etait « respect » : il appreciait sa vision de l'art, sa façon de sentir le sujet et la qualite de ses compositions. C'est Degas qui a encourage Cassatt a parti- ciper aux expositions impressionnistes.

Un jour Cassatt dita Degasa propos du travail d'un confrère renomme de leurs amis : «Il n'a pas de style», cea quoi Degas repondit en riant et en haussant lesepaules : «Les femmes savent-elles ce que c'est que le style ?»

Encore la fameuse reputee misogynie de Degas ? Non, plutôt une boutade. Mais toujours est-ilqueMaryCassatt,piqueeau vif par cette phrase de Degas, le prit comme un defia surmonter. Elle se mit en tête de creer uneœuvre dont l'interêt ne serait pas issu d'un joli sujet convention- nel, mais residerait uniquement de l'habi- lite du peintre et justement de son style.

Elle choisit un thème que ledit Degas lui- même avait maintes fois aborde : unefille du peuple, ici plutôt laide, une servante, dansunescèneetunegestuelledelaviede tous les jours, la femmea sa toilette intime et ordinaire. La beaute de l'œuvre se devant de provenir de la rigueur de la composition, du choix et de l'harmonie des couleurs, pour offrir un ensemble apparaissant pleinement comme le natu- rel du geste dans sa purete et sa verite.

L'admiration de Degas fut au rendez- vous, a tel point que quand il vit le tableau, ilfit l'acquisition de l'œuvre en l'echangeant avec l'un de ses pastels de sa serie sur les «femmes se baignant, se lavant, se peignant ou se faisant pei- gner, etc. » Il ecrivit a Mary Cassatt :

«Quel dessin, quel style !» Analysons le resultat

On peut noter combien ce qui apparait naturel, detendu et intime, est en fait

très construit : la pose du modèle et la disposition du meuble sont très pensees.

Les lignes verticales (dossier de la chaise, bras gauche, cadre du miroir, la natte) ; les lignes arrondies du bras droit et du meuble de toilette se correspondent, creant un mouvement d'ensemble. Les jeux de couleurs harmonises entre les roses et les bleus (bleus de la robe et du dessus de la table de toilette s'harmonisant avec les roses du fond et même de la peau du modèle).

Le contraste avec la chevelure et la tresse plus sombres et le rouge plus fonce de la joue et des lèvres viennent ponctuer l'ensemble.

La relation Cassat-Degas,

uneenigme : les affinit eselectives vs.l’ami impossible

On peut qualifier la longue relation (plus de trente ans) qui lie ces deux artistes de très forte. . .malgre le caractère impos- sible de Degas, aux remarques sarcasti- ques et cruelles. Et pourtant Mary Cassatt est empreinte egalement d'une forte personnalite, aussi il y eut des hauts et des bas, des disputes et des reconciliations. Cette relation demeure pleine de respect et d'admiration mutuelle pour le travail l'un de l'autre.

Donc relation chaotique, mais amitie profonde et reciprocite, comme si ces deux caractères se completaient : lui cynique, blessant, elle optimiste, volon- taire et independante. Les historiogra- phes se sont souvent trompes en plaçant Mary Cassatt dans la position du dis- ciple. Elle beneficie au debut de leur relation de ses conseils (il lui conseille, entre autres, de rejoindre le milieu des impressionnistes et d'exposer a leurs cotes), mais c'est plus une consœur qu'un disciple. D'emblee, il a dit d'elle en visionnant son Portrait de Mme Cordier: «C'est vrai. Voila quelqu'un qui sent comme moi.»

Il aimait aussi sa compagnie, dialoguer de leur passion artistique, flâner

doi:10.1684/dm.2019.208

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LE MAG CULTUREL

L'art dans la peau

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ensemble au Louvre, aller a l'opera.

Ilsetaient issus tous deux d'un monde aise, la haute bourgeoise, et par leurs familles ils avaient même l'Amerique en commun. Ils partagent une solide for- mation classique, ils aiment peindre en atelier et pas en exterieur,a l'inverse de leurs collègues impressionnistes. Ils partagent aussi un temperament soli- taire et independant : des «electrons libres au sein des impressionnistes ».

Ils ont surtout une vision artistique

commune, tout en ayant besoin de se mesurer l'un a l'autre. Par contre, il semble qu'il n'y ait rien eu d'autre entre eux : relation purement amicale et artistique.

Mary Cassat : l’injustice de son temps. . . et peut-^etre encore de nos jours

Cette artiste americaine a participe au mouvement impressionniste français, l'a soutenu et l'a introduit auprès des

collectionneurs americains. Et pourtant l'histoire de l'art aete injuste avec elle, essentiellement du fait qu'elleetait une femme. Le statut de femme-artisteetait difficilea l'epoque, de l'apprentissagea la notoriete, et elle n'est pas celebreea sa juste valeur en France, femme trop peu connue, a l'egal de Berthe Morisot, au milieu de ses collègues masculins impressionnistes, tandis que sa celebrite ne s'est jamais dementie outre-Atlantique.

Figure 1.Mary Cassatt, 18441926, Jeunelle se coiffant, Girl arranging her hair, 1886, huile sur toile, 75.162.5 cm, National Gallery of Art, Washington.

DermatoMag- N84 - octobre-novembre-decembre - 2019 319

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