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OÙ EN EST LA COURSE À L'ARCTIQUE ? Thierry Garcin

IRIS éditions | « Revue internationale et stratégique » 2014/3 n° 95 | pages 139 à 147

ISSN 1287-1672 ISBN 9782200929008 DOI 10.3917/ris.095.0139

Article disponible en ligne à l'adresse :

--- https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2014-3-page-139.htm ---

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Où en est la course

à l’ Arctique ?

Thierry Garcin

Maître de conférences à l’École des hautes études commerciales (HEC) et chercheur associé à l’Université Paris-Descartes.

Auteur de Géopolitique de l’Arctique, Paris, Economica, 2013.

E

n raison du réchauffement de la planète et de ses conséquences, notam- ment la fonte partielle de la banquise, l’Arctique s’ouvre au monde et devient l’objet d’enjeux pluriels, interactifs et évolutifs. Peu de régions du monde suscitent, sur le long terme, autant de curiosité, d’espoirs et de doutes. L’océan glacial Arctique finira un jour par répondre pleine- ment à son nom, la banquise estivale devant disparaître au cours des prochaines décennies, quand bien même elle se reformerait en hiver. L’Arctique deviendra ainsi, au moins une partie de l’année, une mer interocéanique.

Un nouveau théâtre mondial

Mais l’Arctique n’est pas seulement l’océan glacial des anciens globes terrestres, c’est aussi un espace complexe où mers glacées et terres glacées cohabitent. De ce fait, sa délimitation a été souvent discutée. Fallait-il en tracer les contours grâce à la ligne de Köppen (moyenne de la température en dessous de 10 °C en juillet) ? Nul intérêt : cette ligne sinusoïde peut se trouver à la latitude du Nord de la Russie, mais aussi à celle du Sud de l’Islande. La limite entre la taïga et la toundra (disparition des arbres) ? La salinité de la mer ? Ou encore le pergélisol (sol gelé en permanence) ? Pour quantité de raisons – même la présence de populations autochtones ne fait pas pleinement sens –, la limite du cercle polaire (66 degrés Nord) a fini par faire consensus. Peut-être aussi parce que celle-ci a le mérite d’être une ligne artificielle, entourant 21 millions de km². Ce qui fait d’ailleurs que l’Islande n’est pas géographiquement polaire – sauf ses zones économiques exclusives (ZEE) nordiques –, malgré certaines

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caractéristiques végétales et climatiques, et que la Finlande1 et la Suède ne sont polaires que d’une façon terrestre.

En somme, il n’y a que cinq pays riverains de l’Arctique : les États-Unis – via l’Alaska –, le Canada, le Danemark – via le Groenland –, la Norvège – via l’archipel du Svalbard – et la Russie, laquelle n’enveloppe pas moins de 160 degrés de longitude (11 fuseaux horaires). Nous sommes bien dans des logiques de puissance, avec la présence des deux anciens « supergrands », séparés seulement par les quelque 80 kilomètres du détroit de Béring. D’ailleurs, l’Alaska était russe jusqu’en 1867 et Saint-Pétersbourg disposait de 24 comptoirs du Kamchatka russe à la Californie – la Compagnie russe d’Amérique avait été créée dès 1799.

Dans l’histoire, le détroit de Béring a autant uni qu’il a séparé.

Ce « club des cinq » est d’abord une association d’intérêts bien compris.

Les riverains se sont, du reste, déclarés hostiles à tout traité international sur l’Arctique lors de la célèbre déclaration d’Ilulissat en 2008. « Nous sommes cinq là-bas et nous sommes égoïstes. Pourquoi aurions-nous besoin des autres ? », avait lancé peu après le vice-président de la commission des Affaires étrangères de la Douma russe. Tout le contraire de l’Antarctique, géré depuis 1959 par le traité de Washington et depuis 1991 par le protocole de Madrid.

La fin de l’eldorado

Deux facteurs principaux expliquent le développement de l’intérêt du public occidental pour les questions arctiques à la fin des années 2000. D’abord, les inquiétudes sur le réchauffement de la planète : fonte de la banquise en superficie et en épaisseur, instabilité des sols gelés, évolution des zones de pêche, menaces sur les ours polaires, etc.

Ensuite, les espoirs hyperboliques mis dans les matières premières (gaz, pétrole, minerais). L’Arctique permettrait de repousser encore le pic pétrolier et d’acheminer le gaz vers les consommateurs européens, dont certaines grandes villes sont assez proches du cercle polaire. En 2008, les déclarations du United States Geological Survey connurent malheureusement un grand retentissement : le bassin arctique recèlerait 13 % des réserves mondiales de pétrole et 30 % des réserves mondiales de gaz naturel ; or, il s’agissait de réserves non prouvées, qualifiées de « possibles ».

Signe des temps, la compagnie Total, avec sagesse, a renoncé en 2012 à

1. Jusqu’en 1944, Helsinki disposait d’une fenêtre maritime sur l’Arctique (Petsamo).

L’Arctique permettrait de repousser encore le pic pétrolier et d’acheminer le gaz vers les consommateurs

européens

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explorer ou à exploiter du pétrole à hautes latitudes1. Entre-temps, la tragédie de la marée noire provoquée en 2010 par la plate-forme pétrolière Deep Horizon, dans le golfe du Mexique, avait refroidi les ardeurs à l’égard du pétrole en mer à grande profondeur. Alors que la plate-forme se situait pourtant en eau tempérée, près des villes, avec des lignes de communications terrestres et maritimes aisées, il avait fallu plus de cinq mois pour colmater la fuite. À l’été 2013, le coût de cette catastrophe pour British Petroleum (BP) s’élevait à 31 milliards d’euros.

La perspective d’une telle marée noire – la terreur des Norvégiens, aux si belles côtes – en milieu polaire a calmé les entrepreneurs les plus enthousiastes.

Aujourd’hui, plus personne ne parle donc d’eldorado arctique. La nécessaire maîtrise de techniques spéciales – les Russes eux-mêmes n’en disposent pas et ont voulu faire appel aux Norvégiens et aux Français pour le gaz – ; les coûts de fonctionnement des installations en eaux profondes, par grand froid, la nuit étant permanente une partie de l’année, viennent rappeler que l’Arctique reste profondément hostile à l’homme.

Les puissances à l’œuvre

Si la coopération régionale, relativement ancienne (Conseil nordique, 1952), se révèle plutôt efficace, elle se heurte toutefois à certaines limites. La zone est fondamentalement hétérogène. Les barrières culturelles sont réelles, les statuts juridiques accordés aux peuples autochtones sont très différenciés, les réglementations sur l’immigration divergent (accords de Schengen appliqués dans l’Union européenne [UE], en Norvège et en Islande face à des dispositions russes spécifiques), les complémentarités économiques paraissent réduites, etc.

Le Conseil arctique (1996) est ainsi utile, en cela qu’y sont abordées certaines problématiques environnementales, économiques, sociales, etc. Il a même élargi, en 2013, la liste de ses observateurs permanents2, mais exclut de débattre de tout sujet d’ampleur ou épineux : les problèmes politiques, sécuritaires – à l’exception d’un traité essentiel en 2011 sur la recherche et le sauvetage – ou les affaires militaires n’y sont pas traités. On retrouve, comme dans d’autres régions du monde, la difficulté à coopérer dans des zones disparates (géographie, histoire, civilisations, économie, etc.). Un exemple significatif de litige durable : le Canada s’oppose à l’UE, qui a interdit, en 2009, le commerce et l’importation des produits dérivés du phoque. Les logiques de puissance diffèrent sensiblement et la coopération n’est jamais une fin en soi.

1. « Une fuite causerait trop de dommages à l’image de la compagnie » (Christophe de Margerie, PDG de Total, Le Monde, 26 septembre 2012).

2. Jusqu’à, notamment, la Chine, la Corée du Sud, le Japon et Singapour.

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L’Arctique, élément-clé de l’identité nationale canadienne

Le Canada, qui possède des terres glacées particulièrement septentrionales – tout comme la Russie –, est en délicatesse juridique avec Washington à propos du futur statut des voies de navigation, une fois celles-ci libérées par les glaces : les États-Unis considéreront le passage du Nord-Ouest comme un détroit international, le Canada comme des eaux intérieures. Les deux parties ont, pour l’instant, acté qu’elles étaient d’accord pour être en désaccord. Comme cette route maritime, encore difficile à emprunter, est loin d’être largement exploitée par la navigation marchande, il est vraisemblable qu’un modus vivendi ou un gentlemen’s agreement sera mis en œuvre à plus ou moins long terme. Ottawa devra d’abord matérialiser et perpétuer sa présence sur place, avant de pouvoir développer son influence. Le Premier ministre Stephen Harper l’a dit en 2007 : « Il faut exercer sa souveraineté pour ne pas la perdre ! »1 De plus, ses moyens humains, techniques et financiers resteront réduits : peu d’hommes sur place – on compte seulement quelques milliers de Rangers –, peu de brise-glace – eux-mêmes peu puissants à part le Louis S. Saint-Laurent –, rareté des patrouilles de l’aviation maritime ou de reconnaissance, faiblesse de la flotte sous-marine, etc. La route du Nord- Ouest n’est donc pas près d’être transformée en boulevard maritime, malgré son exploitation progressive depuis la fin des années 1960. Et l’Arctique demeurera un élément-clé de l’identité nationale canadienne – le Nord du Québec n’est que péri-arctique géographiquement, bien qu’il présente certaines caractéristiques arctiques. Le « Plan Nord » du Québec de 2010 a d’ailleurs été relancé en mai 2014 par le nouveau gouvernement.

La Russie et ses intérêts régionaux

Si le Canada a une conception nationale de ses intérêts en Arctique, la Russie, qui défend le même point de vue juridique sur le statut des passages maritimes, développe une vision régionale. L’Arctique est son nouvel espace de profondeur stratégique, sorte de Méditerranée glaciale reliant les océans Atlantique et Pacifique. En outre, le passage du Nord est de plus en plus pratiqué en été2, entre le littoral et les îles septentrionales russes. Surtout, les Russes ont pour eux la géographie et l’histoire, les connaissances ancestrales et l’expérience, les moyens (possession et développement d’une flotte de brise- glace à propulsion nucléaire, les seuls existants dans le monde) et la volonté (installation de dispositifs militaires à haute latitude). De surcroît, la Russie en profite pour développer la Sibérie orientale, grâce à l’embouchure arctique

1. Le Devoir, 1er septembre 2007.

2. 296 autorisations de passage – souvent des trajets partiels – délivrées par la Russie en 2013.

« Il faut exercer sa souveraineté pour ne pas la perdre ! »

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des grands fleuves qui la traversent. Il faudra donc compter durablement avec les exigences russes en Arctique. Ainsi réclament-ils, s’attribuent-ils même, un plateau continental qui englobe le pôle Nord jusqu’aux confins du Groenland et du Canada (dorsale Lomonossov), dans une vision clairement transpolaire. Le fait qu’il sera possible, au cours des prochaines décennies, de traverser l’océan Arctique directement par le pôle, lorsque la banquise estivale aura fondu, renforce, pour eux, l’urgence d’agir.

Vision globale états-unienne

Le cas des États-Unis est totalement différent. Pour Washington, l’Arctique s’insère naturellement dans un principe global et impérieux : assurer la liberté de navigation sur les mers. C’est l’un des intérêts vitaux historiques des États-Unis.

Le nouveau bassin, sans calotte glaciaire estivale, constituera un « channel », un nouveau couloir interocéanique. Il s’agit de conserver la supériorité maritime mondiale, indépendamment de l’éventuelle ratification, un jour, par le Congrès américain de la Convention sur le droit de la mer (Montego Bay, 1982), qu’ils respectent cependant dans ses dispositions essentielles. Enfin, l’Arctique s’intègre parfaitement, pour des raisons géophysiques et techniques, dans le développement de la défense antimissiles à caractère international – Alaska, Groenland, outre les îles Aléoutiennes péri-arctiques. Les États-Unis auront donc toujours en Arctique une vision mondiale de leurs intérêts.

Dossiers majeurs et grands impondérables

Les contentieux juridiques

La presse occidentale met volontiers l’accent sur les différends frontaliers.

Certes, il existe des revendications croisées, terrestres ou maritimes, entre le Canada et les États-Unis, entre le Canada et le Danemark, entre les États-Unis et la Russie, etc. Mais tous ces conflits de très basse intensité sont solubles par la négociation : en 2006, un accord avait été trouvé entre la Norvège et le Canada ; en 2010, Oslo et Moscou ont signé un traité sur leur frontière maritime, après quarante ans de discussions.

Le Svalbard norvégien, pour sa part, a l’avantage d’être protégé par le traité de Paris de 1920 (40 États parties). Situé très haut en latitude, il est démilitarisé et peu peuplé (2 600 habitants en 2014). Le seul doute qui subsiste concerne ses ZEE, notion et réalité juridiques qui ne sont apparues qu’en 1982, avec le traité sur le droit de la mer : sont-elles norvégiennes, ou les 40 parties au traité peuvent-elles exprimer des réserves ? En l’occurrence, des activités maritimes russes dans la zone ont pu être source d’inquiétude et les États-Unis, ainsi que le

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Royaume-Uni et la Russie, ne cachent pas leur souhait d’appliquer la juridiction des ZEE au Svalbard.

Concernant le plateau continental de chaque riverain, à savoir le sous-sol marin, qui peut être étendu jusqu’à 280 kilomètres supplémentaires, en plus des 370 kilomètres de la ZEE, il dépend d’une commission de délimitation des Nations unies, qui met des années à dire le droit « géologique ». À charge pour les parties intéressées de s’y conformer. Or, Moscou prétend depuis longtemps à une part exorbitante du sous-sol, allant même par-delà le pôle Nord, ce qui constitue une source d’instabilité durable. Il faudrait une Russie profondément affaiblie sur le plan interne, ce qui n’est pas d’actualité, pour que Moscou revienne à la raison.

Mais le dossier juridique le plus important reste sans conteste celui du Groenland, peuplé de seulement 57 000 personnes – essentiellement des Inuits  –, colonie danoise jusqu’en 1953, qui a quitté la Communauté économique européenne (CEE) en 1985 et dispose, depuis 2009, d’une autonomie renforcée. Au vu de l’indépendance déjà actée, préparée par Copenhague et prévue par les Groenlandais (référendum de 2008), ce territoire, que l’on dit fort riche en termes de minerais et d’hydrocarbures, devrait devenir la proie des investisseurs – américains, chinois, etc. –1. On voit mal comment une élite de 50 personnes pourra résister aux sollicitations sonnantes et trébuchantes des grandes firmes internationales. Le Groenland risque de ressembler à un micro-État du Pacifique Sud, cependant grand comme quatre fois la France. Son indépendance aura des répercussions au cœur de l’Europe. En effet, elle soulève une question juridique essentielle. De fait, de quel droit donner l’indépendance à 57 000 personnes – certes autochtones – et refuser celle-ci à de nombreuses communautés, de plus en plus indépendantistes, comme la Catalogne et le Pays basque espagnols, l’Écosse britannique, la Flandre belge, sans compter les minorités d’Europe centrale travaillées par les revendications autonomistes ? De tels processus ajoutent au fractionnement en cours de l’Europe. Pour sa part, l’UE y perdra géographiquement son unique fenêtre arctique.

La connaissance du milieu

Certes, des efforts collectifs sont promus en matière de recherche et de sauvetage depuis 2011 : tout le monde y trouve un intérêt, mais tout reste à faire, et il faudra passer par des moyens militaires lourds, ce qui peut poser problème à l’avenir. Certes, un code de bonne conduite est en cours de rédaction, le code

1. Voir Thierry Garcin, « Qui veut acheter le Groenland ? », Alternatives internationales, Hors-série n° 14, janvier 2014, pp. 34-35.

Le dossier juridique le plus important reste sans conteste celui du Groenland

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polaire, sous l’égide de l’Organisation maritime internationale (OMI). Mais force est de reconnaître que la coopération technique est embryonnaire : les moyens satellitaires, de même que les drones, sont nationaux et ne seront partagés qu’en cas d’échouage ou de naufrage. Quant à la cartographie détaillée, elle est un produit à haute valeur ajoutée, avec un intérêt stratégique et commercial majeur, particulièrement en Arctique, que l’on veille à ne pas partager trop largement.

Les évolutions climatiques et économiques

Sur le plan climatique, le réchauffement de la planète touche non seulement la banquise mais gagne également le littoral : le pergélisol se ramollit. Or, beaucoup de constructions sont élevées sur pilotis, des pistes glacées peuvent se déplacer au cours des saisons, des pistes d’atterrissage se crevasser. La faune elle-même s’en voit désorganisée dans ses parcours de migrations saisonnières.

Bien sûr, les catastrophes industrielles sont à craindre, à commencer par les marées noires. En 1989, l’Exxon Valdez, transportant 180 000 tonnes de brut, a saccagé 300 kilomètres de côtes en Alaska, ou 1 700 si l’on compte le dentelé du rivage. Le nettoyage réclama deux ans et demi d’efforts et nécessita 1 à 3 milliards de dollars. Par ses côtes aux mille anfractuosités, touristiques et éloignées des remorqueurs, la Norvège est particulièrement exposée. Si elle est parvenue à faire éloigner des côtes le rail maritime emprunté par les pétroliers, elle considère, à juste titre, toute marée noire comme un scénario catastrophe.

Et le pays conservera géographiquement sa position – tant enviable que redoutée – de promontoire ou de balcon international, débouché du bassin arctique sur l’océan Atlantique.

Les ressources halieutiques

Des constantes apparaissent dès le premier regard. D’une part, on ne connaît pas précisément les réserves halieutiques de l’Arctique – même si la morue y est très abondante –, d’autant plus que quantité d’espèces de poissons sont en train de migrer vers le nord à cause du réchauffement de la planète. En revanche, les experts pensent que les ressources du profond bassin central arctique sont sans doute très limitées. D’autre part, l’Arctique ne profite pas d’une réglementation spécifique, et rien aujourd’hui n’y prédispose. La question complexe des quotas de pêche reste entière : ceux-ci sont plus ou moins bien respectés et sont fixés dans un cadre bilatéral ou multilatéral. On est loin également de connaître tous les effets du refroidissement du Gulf Stream, courant tempéré qui se refroidit par la base. Enfin, on craint l’exploitation intensive de certaines sous-régions (mer de Béring, mer de Barents, mer de Beaufort), notamment par les Asiatiques, qui peuvent arriver dans la zone avec des bâtiments de pêche de plus en plus importants. À noter pour finir la faiblesse des dispositifs régionaux destinés à organiser la gestion des stocks de poissons. Sur le double plan régional et mondial,

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le domaine de la pêche en Arctique, dont on ne sait même pas s’il est prometteur, reste donc à structurer.

La place et le rôle de la France

Tournée vers l’Antarctique depuis longtemps (stations scientifiques permanentes, possession de la Terre Adélie), la France a peu d’attaches avec l’Arctique, bien qu’elle y poursuive, en collaboration, des recherches scientifiques (Svalbard norvégien) et qu’elle y entraîne ses bâtiments de guerre. Comme le reste de l’UE, elle défend le statut de détroits internationaux pour les futurs passages canadien et russe, une fois ceux-ci libérés des glaces.

Elle a également toujours promu le droit de la mer. Enfin, elle a trois secteurs d’excellence, qu’elle peut faire fructifier à l’avenir. D’abord, l’exploitation des hydrocarbures, et surtout du gaz, grâce à la présence de Total dans l’Arctique russe, qui travaille sur un projet de méthanier brise-glace pouvant naviguer par – 40 °C. Ensuite, la pose des câbles sous-marins a également été officiellement qualifiée d’activité « stratégique » en 2014 : la France est l’un des champions mondiaux de la fibre optique sous-marine – avec notamment Alcatel Submarine Networks – et de l’interception des communications – avec Amesys ou Qosmos –, l’Arctique devenant à terme un nouveau centre d’aiguillage mondial en la matière. Enfin, les moyens satellitaires européens (satellites à orbite polaire de l’Agence spatiale européenne). La France a donc des atouts dans la course à l’Arctique : la pratique du vaste monde et l’attrait de la haute mer, la diversité et l’éloignement de ses territoires ultra-marins, une flotte nucléaire océanique, une maîtrise de l’espace extra-atmosphérique, etc. Il ne s’agit donc pas d’un acteur mineur, mais d’une puissance intermédiaire.

D’autant que l’UE ne dispose pas d’une politique arctique affichée : un intérêt récent, peu de textes ou d’études approfondies, des divisions internes, des priorités seulement sectorielles ou « de niche » (recherche et connaissance, développement durable, populations autochtones), etc. L’UE pâtit de son affaiblissement politique et du « détricotage » de la construction communautaire. Dans ce contexte durable, la marge de manœuvre française n’est pas large, mais elle est bien réelle.

Les espoirs souvent inconsidérés que la presse avait placés dans l’Arctique il y a environ sept ans sont aujourd’hui nettement revus à la baisse. Le passage canadien du Nord-Ouest ne deviendra pas à court ou moyen terme un boulevard maritime pour les navires marchands. Le passage russe du Nord continuera à dépendre des brise-glace à propulsion nucléaire, dont seul Moscou

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dispose. En outre, l’exploitation du pétrole arctique sera soumise à de très dures contraintes.

En revanche, le « desserrement » de l’Arctique, dû au réchauffement de la planète, transformera sur le long terme ce bassin en grand aiguillage mondial.

À l’image de la route des trois caps à l’extrême Sud du globe (cap Horn, cap de Bonne-Espérance, cap de Tasmanie),

unique voie interocéanique mondiale permanente (océan Atlantique, océan Indien, océan Pacifique), l’Arctique permettra de joindre également l’océan Atlantique à l’océan Pacifique. Sa

mise en valeur fera l’objet de convoitises commerciales. La mondialisation des enjeux est déjà en cours – à commencer par la multiplication des câbles sous- marins –, mais seuls les États-Unis auront la capacité de lui assurer un rôle global, les Russes n’y entretenant que des visées régionales. Et le club des cinq pays riverains, malgré leurs divergences, voire leurs litiges, auront tout intérêt à rester plus ou moins soudés afin de renforcer la prééminence que la géographie leur a conférée. 

Le « desserrement » de l’Arctique transformera sur le long terme ce bassin en grand aiguillage mondial

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