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La prosodie de voilà en français dans le discours médiatique

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Academic year: 2022

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HAL Id: hal-01961771

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01961771v1

Preprint submitted on 20 Dec 2018 (v1), last revised 23 Oct 2019 (v2)

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La prosodie de “ voilà ” en français dans le discours médiatique

Mélanie Petit

To cite this version:

Mélanie Petit. La prosodie de “ voilà ” en français dans le discours médiatique. 2017. �hal-01961771v1�

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La prosodie de « voilà » en français dans le discours médiatique

Mélanie Petit

Université Bordeaux Montaigne

1. Introduction

Notre étude porte sur la caractérisation prosodique de l’adverbe « voilà » dans un discours exclusivement médiatique, en français standard. Notre objectif est de mener à bien une première analyse prosodique de cette unité ayant vocation à servir de base à une prochaine étude plus étendue en termes de sources et de nombre de données. Ce travail nous amène à soulever différentes questions et nous souhaitons précisément, à travers cette étude exploratoire, proposer des pistes de recherches et faire mention de difficultés d’ordre méthodologique qui se posent au cours d’un travail d’analyse prosodique à un niveau lexical.

Nous nous situerons dans la continuité de nos précédentes recherches (sur « enfin » et sur

« oui ») à ce sujet et proposerons notamment ici une distinction des emplois de « voilà » en différentes nuances interprétatives mises au jour par l’étude de la prosodie des occurrences.

2. « Voilà » dans la littérature

« Voilà » et a été traité sous différents points de vues et a donné lieu à de nombreuses recherches que nous ne pourrons évoquer ici de manière exhaustive.

Oppermann-Marsaux (2006) s’intéresse par exemple aux origines du présentatif

« voilà »/« voici » et à son évolution diachronique. Elle évoque notamment le sens originel de ce présentatif comme venant du verbe « voir » à l’impératif accompagné de l’adverbe « là » et

« ci ». Cette étymologie se trouve confirmée dans le premier chapitre de cet ouvrage et nous serons amenée à y faire référence régulièrement dans le développement de notre analyse, tant le lien avec ce caractère déictique reste présent encore aujourd’hui dans les différents sens de

« voilà » observés.

Bergen/Plauché (2001) proposent pour leur part une analyse sémantique cognitive des différents sens de « voilà » et « voici ». Ils proposent un traitement polysémique de « voilà » consistant à dériver ses différents sens par extension justement à partir de son sens déictique de base.

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Auchlin (1981) étudie un corpus de données orales authentiques et s’intéresse à différents marqueurs de structuration du discours et à certaines locutions dont « alors voilà », « ben voilà » et « pis voilà », en les corrélant à des types d’actes de langage. Le caractère nettement conclusif de ces locutions est évoqué dans son travail. La complexité du comportement de

« voilà » et l’angle (discursif, grammatical…) sous lequel il est étudié donne lieu dans la littérature à différentes dénominations.

Bruxelles/Traverso (2006) se sont quant à elles intéressées aux usages de la particule voilà dans une réunion de travail dans le cadre d’une analyse multimodale. Elles définissent trois emplois distincts au terme de cette étude : un « voilà » déictique-présentatif, un « voilà » marqueur de structuration et un « voilà » marquant l'accord, ces trois usages partageant selon elles certains de leurs traits.

Porhiel (2010) analyse de son côté la combinaison « voilà pour » en français moderne d’un point de vue pragmatique, énonciatif, lexical et morphosyntaxique. Elle conclut sur le fait que

« voilà pour X » peut être interprété à un niveau textuel ou déictique, selon que soit introduit un thème ou un destinataire.

Col/Danino/Rault (2015) proposent une cartographie des emplois de « voilà » dans le cadre d’une sémantique instructionnelle. Les auteurs évoquent notamment la rapide propagation de cette unité dans le français oral et fondent leur analyse sur du corpus oral et écrit. Deux comportements majeurs de « voilà » sont dégagés (Voilà + pause et Voilà + entité/procès) ainsi que deux groupes de valeurs qui leur sont respectivement associés (valeur de balisage + statut d’interjection et valeur prédicative + statut de pivot). L’instruction sémantique proposée pour « voilà » au terme de ce travail « consisterait ainsi à convoquer des éléments sur une scène et à évoquer leur regroupement dans un ensemble perceptible. ». Différentes fonctions de « voilà » (introductive et conclusive) ainsi que différents statuts syntaxiques (adverbe, préposition, interjection etc.) sont pris en considération dans l’analyse. Les auteurs de ce travail proposent par ailleurs une synthèse très complète des différentes approches de

« voilà » qui montre particulièrement bien toute la complexité du comportement cette unité.

Nous mentionnerons enfin les travaux de Juliette Delahaie (2009a, 2009b et 2013) sur

« voilà » qui s’intéresse aux marqueurs d’accord de manière générale – notamment du point de vue de leur enseignement en didactique du Française Langue Etrangère – et à « voilà » en particulier. A l’instar de Col/Danino/Rault (2015), elle adopte une analyse instructionnelle et propose trois « entités sémantiques » pour « voilà » à partir de l’étude d’un corpus écrit et oral (présentatif, de confirmation et comme marqueur de clôture). Le dénominateur commun à ces

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trois emplois proposé est « la référence déictique et/ou la valeur monstrative ». L’auteur fait ensuite état des liens entre ces différents sens en faisant appel à la notion de polyphonie.

3. Présentation du corpus

Nous avons pu constater à la lecture des travaux mentionnés précédemment que la prosodie n’était pas prise en considération de façon majeure dans la caractérisation sémantique de

« voilà ». Nous allons donc proposer une démarche consistant à l’intégrer et à observer ce que cette dimension peut apporter à l’analyse. S’il est souvent intuitivement évident que la modulation prosodique avec laquelle est réalisée une unité ou un type d’unité lexicale joue un rôle dans son interprétation et semble a priori liée à l’expression d’un sentiment, il n’est pas si aisé sur corpus d’aboutir à des paires forme prosodique/sens stables et non discutables. De par son rôle de ponctuant, sa position syntaxique souvent isolée ou de par la multiplicité des nuances interprétatives qu’il permet, « voilà » se prête particulièrement bien au type d’étude que nous entendons mener.

Notre corpus de travail est constitué d’une centaine d’occurrences orales de « voilà » extraites des émissions télévisées C à dire, C dans l’air et C Politique, toutes diffusées sur France 5.

Même si « voilà » est souvent traité parallèlement à « voici » dans la littérature, nous avons fait le choix de ne considérer pour le moment que la première de ces unités, « voici » étant peu présent dans le discours oral. Par ailleurs une certaine homogénéité des données est requise dans un premier temps afin d’aboutir à de premières conclusions pertinentes qui pourront servir de base à un élargissement de l’étude. Nous allons présenter rapidement les spécificités de chacune des émissions concernées, les contextes situationnels pouvant influencer la prosodie des énoncés.

C à dire est une émission d’une dizaine de minutes dans laquelle un journaliste invite quotidiennement un spécialiste afin d’éclaircir une question d’actualité. Il peut s’agir d’un chercheur, d’un autre journaliste, d’une personnalité politique ou de toute autre personne compétente dans un domaine ciblé. La situation est celle d’un entretien en face à face. Le journaliste en charge de cette émission est toujours le même à quelques exceptions près.

C dans l’air est également une émission quotidienne visant à traiter d’un point d’actualité. Le format est en revanche beaucoup plus long, une cinquantaine de minutes, et les invités sont au nombre de quatre. Il s’agit là encore d’intervenants spécialistes d’un domaine

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et représentant des idées différentes voire opposées afin d’instaurer un débat. L’animateur est très souvent le même également, et lorsqu’il est remplacé, il l’est souvent par celui de C à dire ou par l’animatrice de C Politique, la troisième source de notre corpus. Ce point est intéressant à noter car les locuteurs sont finalement en nombre limité à l’échelle de la totalité de notre corpus, cette homogénéité réduisant les limites de l’analyse prosodique.

C Politique enfin est une émission hebdomadaire d’une cinquantaine de minutes.

Chaque semaine une personnalité politique est invitée, la majorité de l’émission de déroule en face à face sauf les dix dernières minutes durant lesquelles un second journaliste est invité à se joindre à la discussion.

Ces trois magazines mettent en scène des locuteurs habitués à la prise de parole en public et se situent dans un type de discours bien particulier qu’est le discours journalistique. Ces spécificités sont à garder à l’esprit lors de l’analyse prosodique, même si cela n’empêche pas la réalisation et la perception de nuances sémantiques notamment au moment de l’expression d’une occurrence de « voilà ». Il est à noter toutefois que ces émissions peuvent être ponctuées par la diffusion de courtes vidéos dans lesquelles des locuteurs non habitués à la prise de parole en public peuvent s’exprimer. Nous avons également pris les occurrences relevant de ce discours en considération mais elles constituent une part très faible de notre corpus.

Ces trois sources présentent l’intérêt commun d’engendrer des débats, de l’argumentation et des occurrences de « voilà » variées d’un point de vue interprétatif et très typées prosodiquement (courbes mélodiques amples, durée importante…). Par ailleurs, les chevauchements de parole sont peu importants et la faible variété des sources permet d’obtenir, comme nous l’avons déjà évoqué, un corpus de travail relativement homogène du point de vue de la situation de communication, des locuteurs présents et des conditions d’enregistrement.

La constitution du corpus s’est faite de la façon suivante : nous avons recueilli les occurrences au fil de leur apparition et les avons analysées une à une, sans chercher pour ce travail à traiter un emploi particulier de « voilà ». La méthode se veut réellement exploratoire et la représentativité des emplois à partir de notre échantillon n’est pas garantie. Aucune occurrence n’a été rejetée sauf en cas de chevauchement de parole ne permettant pas de mener l’analyse prosodique. Le corpus comporte ainsi des interprétations de « voilà » peu fréquentes mais faisant partie de la multiplicité des sens possibles de cette unité et qu’il conviendra de traiter dans une plus large mesure ultérieurement. Une étude prosodique globale d’une unité

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lexicale ne peut aucunement, à notre sens, rejeter d’interprétations aussi peu fréquentes soient-elles. Tout l’intérêt d’une linguistique de corpus est d’avoir accès à cette multiplicité de nuances sémantiques et de placer le chercheur face à des interprétations qu’il n’aurait pas considérées sinon, faute de les avoir imaginées ou rencontrées. Il serait nécessaire, pour une analyse exhaustive, de disposer de plusieurs centaines d’emplois et d’automatiser une partie de l’analyse, comme cela a été fait par exemple pour « oui » (Hacine-Gharbi et al. 2015).

Rappelons que cela n’est pas l’objectif ici car nous cherchons davantage à appréhender dans un premier temps le comportement prosodique de « voilà » et à cerner si celui-ci est lié à un sens ou à une fonction particulière de « voilà ».

Voici une répartition des occurrences de « voilà » par source et par sexe des locuteurs : - C à dire : 26 occurrences (26 hommes)

- C dans l’air : 25 occurrences (25 hommes)

- C Politique : 49 occurrences (36 hommes, 13 femmes)

Nous pouvons constater une faible représentativité du discours féminin (13%), les locuteurs étant exclusivement masculins pour les occurrences extraites de C à dire et C dans l’air. Cette faible part peut s’expliquer notamment par le fait que ce sont davantage des hommes qui sont sollicités de manière générale afin de commenter l’actualité. Par ailleurs, près de la moitié des occurrences proviennent de l’émission C Politique au cours de laquelle interviennent des personnalités politiques, une grande partie de ceux-ci étant également des hommes.

4. Caractérisation sémantique

4.1. Classement des emplois

Suite aux travaux que nous avons menés précédemment à propos du lien entretenu entre le sens et la dimension prosodique d’unités lexicales telles que « enfin » (Petit 2009) ou « oui » (Hacine-Gharbi et al. 2015), nous partons de l’hypothèse que la prosodie ne sera pas liée à la discrimination d’un type d’emploi mais qu’elle permettra plutôt de nuancer un emploi en lui apportant une coloration sémantique particulière. Nous avons en effet montré sur « enfin » que la prosodie à un niveau lexical permettait de diviser une interprétation-type (par exemple le soulagement) en deux « sous-sens » (soulagement manifeste et soulagement teinté

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d’irritation de type « c’est pas trop tôt ! »). Cette sous-division s’est révélée systématique pour la plupart des sens de « enfin » et a par ailleurs permis d’affiner la description sémantique.

Nous avions en outre défini une méthodologie au cours de ces recherches consistant à effectuer une navette entre le classement sémantique et les configurations prosodiques observées. C’est à nouveau cette façon de procéder que nous adopterons ici. Face à la complexité du comportement sémantique de « voilà » et en partant des différents travaux de description de « voilà » existants, nous avons opté pour un classement relativement consensuel et large des différents sens de « voilà » en français oral. Les sens retenus sont les suivants :

- Emploi de validation :

Il s’agit d’une validation ou d’une confirmation de la part du locuteur en réaction à une question ou à un constat de l’interlocuteur ou sur son propre discours.

(1) Exemple :

Journaliste (à propos d’un scandale lié à la vente de viande avariée) : « Comment on fait ensuite on les nettoie on enlève le vert ? »

Invité : « Voilà il y a un parage de surface qui se fait. »

- Emploi conclusif :

Il s’agit dans ce cas d’un emploi de « voilà » servant à clore un sujet. Le locuteur peut soit conclure son tour de parole par « voilà » soit enchaîner ensuite sur un autre point. Il n’est pas toujours aisé de distinguer dans le discours spontané l’emploi conclusif de l’emploi introductif lorsqu’il y a poursuite du discours ensuite et que « voilà » est en situation de connecter les deux énoncés.1 La question se pose en effet de savoir si le locuteur conclue sur son premier point, introduit plutôt le second qui est lié ou fait les deux à la fois. Nous avons considéré comme introductifs les emplois de « voilà » ne présentant pas d’énoncé à gauche de

« voilà » en lien avec l’énoncé de droite. Les autres cas ont donc été considérés comme relevant de la catégorie des conclusifs.

(2) Exemple sans poursuite de discours :

1 Je remercie Frédéric Lambert pour sa remarque selon laquelle un emploi considéré comme introductif et en réalité conclusif car il peut conclure un acte, un temps de pause etc.

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Invité (à propos d’un sondage) : « Attendons de voir quelle va être leur progression c’est ça qui nous intéresse voilà. »

(3) Exemple avec poursuite de discours :

Invité (Florian Philippot) : « Il n’y a qu’une seule ligne au Front National c’est celle qui nous porte à 30% d’intentions de vote aujourd’hui à la présidentielle celle qui nous a mis en tête aux Européennes celle qui fait que nous n’avons jamais eu autant d’adhérents voilà donc ceux qui s’exprimeraient comme ça de manière euh anonyme pour remettre en cause cette ligne sont juste stupides. »

- Emploi de validation-conclusif :

Nous avons rencontré à plusieurs reprises un emploi mixte entre la validation et la conclusion et lié à la fonction de connecteur. Celui-ci est certainement dû au format même des situations de communication. Le locuteur valide à la fois le sujet de l’interlocuteur tout en concluant ce dernier afin d’embrayer sur un nouveau point. Cet emploi apparaît également par exemple pour conclure sur une vidéo qui vient de passer et en valider simultanément le contenu.

(4) Exemple :

Invité : « La loi c’est la loi pour tout le mondequ’on soit petit ou qu’on soit grand. » Journaliste : « Voilà et c’est vrai que par exemple dans ces vingt-cinq propositions… »

- Emploi servant à « combler le discours » :

« Voilà » peut être également employé en cas de panne lexicale afin de combler le discours ou d’anticiper des propos gênants. Le sens du déictique est ici très présent et l’occurrence peut souvent être facilement remplacée par « vous voyez très bien ce que je veux dire. ». Par ailleurs on trouve des marques d’hésitation dans le co-texte.

Cet emploi est parfois proche du conclusif car il va servir par exemple à terminer une énumération pour laquelle on ne trouve plus d’éléments à ajouter.

(5) Exemple :

Invité : « oui oui c’est révélateur d’un sacré ras-le bol et les je voilà vous avez entendu les chiffres sur Jean Moulin c’est moins que la semaine dernière. »

- Présentatif :

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Cet emploi bien détaillé dans la littérature est peu fréquent dans notre corpus et bien plus présent dans le discours écrit. Il peut s’agir pour le locuteur de présenter un fait, un objet ou une personne.

(6) Exemple :

Invité : « Voilà autant de travail qui justifie des frais dit la banque. »

- Introductif :

A l’instar du « voilà » présentatif, l’introductif est parfaitement décrit et peu présent dans notre corpus.

(7) Exemple :

Invité (proposant à un interlocuteur un énoncé qu’il aurait fallu dire) : « En leur disant voilà ça ne s’est pas passé comme on le raconte dans le presse. »

- Voilà + complétive : « voilà que »

« Voilà » se situe alors dans une position syntaxique bien particulière.

(8) Exemple :

Invité : « On a l’impression d’une double peine voilà qu’on y met un millefeuille la banque vient ponctionner. »

4.2. Remarques :

Systématiquement en contexte dialogal (Bres 2005) dans les trois émissions sélectionnées, nous avons pris en considération le fait que « voilà » porte sur le discours du locuteur (le locuteur valide ainsi ou conclut par « voilà » son propre discours) ou sur celui de l’interlocuteur (le locuteur valide ou conclue par « voilà » le discours de l’interlocuteur). Nous verrons que cette distinction a peu d’importance au niveau de l’analyse prosodique qui va suivre. A noter également que quelques occurrences de notre corpus sont polyphoniques (Ducrot 1984), le locuteur imagine ou reprend le discours d’un autre auteur.

En raison de la polysémie développée par « voilà », nous trouvons aisément des liens sémantiques entre les emplois évoqués, les classes n’étant pas complétement hétérogènes. Le sens originel du déictique « VOIS LÀ » souvent lié à la notion d’évidence, se retrouve dans la

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plupart des emplois pour lesquels il est de fait possible de proposer des synonymes du type

« vous avez la preuve sous les yeux », « c’est évident », « je viens de le démontrer ». Nous verrons que la prosodie va pouvoir nuancer l’interprétation notamment en permettant au locuteur d’appuyer la notion d’évidence lorsqu’elle est considérée comme nécessaire par le locuteur, sans pour autant que cela soit lié à un emploi particulier de « voilà ». Il en résulte un réseau de liens sémantiques complexe entre les différents emplois, le sens d’un emploi pouvant en effet être conçu comme un ensemble de strates sémantiques, certaines de ces strates étant susceptibles d’être partagées par plusieurs emplois.2

4.3. Pourcentage de chaque emploi sur la totalité du corpus :

Une fois ces précisions sur le classement apportées, nous présentons maintenant ci-dessous un pourcentage des emplois à l’échelle de la totalité de notre corpus :

- Validation : 24 occurrences (24%) - Conclusif : 39 occurrences (39%)

- Validation-conclusif : 6 occurrences (6%) - « Combler le discours » : 24 occurrences (24%) - Présentatif : 5 occurrences (5%)

- Introductif : 1 occurrence (1%) - + complétive : 1 occurrence (1%)

Les trois derniers emplois (le présentatif, l’introductif et le « voilà + complétive ») étant sous- représentés, nous ne pourrons les traiter de manière pertinente dans le cadre de cette analyse.

4.4. Pourcentage de chaque emploi par source :

Il nous semble intéressant de proposer également un pourcentage des emplois pour chaque émission-source.

Type d’emploi C à dire C dans l’air C Politique

Validation 10 (38,5%) 3 (12%) 11 (22,5%)

Conclusif 6 (23%) 7 (28%) 26 (53%)

2 Voir Nemo/Petit/Portuguès (2012) pour une analyse détaillée de la notion de strate sémantique en lien avec la dimension prosodique.

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Validation-conclusif 5 (19%) 1 (4%) 0 (0%)

« Combler le discours » 3 (11,5%) 13 (52%) 8 (16,5%)

Présentatif 1 (4%) 0 (0%) 4 (8%)

Introductif 0 (0%) 1 (4%) 0 (0%)

+ complétive 1 (4%) 0 (0%) 0 (0%)

Il n’est pas très surprenant de constater qu’il y a davantage d’emplois de validation-conclusif dans l’émission C à dire car le climat est plutôt serein, l’invité est à l’aise et le journaliste est souvent amené à relancer la discussion.

On remarque par ailleurs qu’il y a une majorité d’emplois de type « combler le discours » dans l’émission C dans l’air car les locuteurs se trouvent dans des situations de débat et doivent mettre en place une argumentation. Ils n’ont pas toujours les mots pour exprimer leur point de vue ou alors ils savent que celui-ci risque de faire polémique et recourent donc à des stratégies discursives telles que celle consistant à employer « voilà ».

Enfin, on observe une part importante d’emplois conclusifs dans C Politique car l’invité est souvent en position d’être jugé et de devoir rendre des comptes, ce qui le met mal à l’aise et l’incite souvent à vouloir mettre un terme à un sujet gênant.

4.5. Paramètres sémantico-pragmatiques :

Une fois le premier classement établi, nous avons cherché pour préciser celui-ci à définir plus précisément les fonctions de « voilà », ce sur quoi les locuteurs mettent l’accent et les sentiments exprimés par ces derniers. Ce second travail de caractérisation sémantique est celui qui va nous permettre d’affiner la description des emplois et de pouvoir faire des liens avec la prosodie.

Rappelons que nos recherches sur « enfin » nous avaient amenée à conclure que la prosodie n’était pas liée à un sens spécifique qui permettrait de le discriminer en contexte mais qu’elle permettait plutôt de distinguer pour chaque emploi des sous-emplois que nous avions nommés

« emplois-types ». Nous partons ici de cette hypothèse que la prosodie apporte un commentaire (de nature thymique et/ou attentionnelle) sur un emploi afin de lui donner une coloration particulière dans l’interprétation. L’interprétation de l’emploi lui-même se fait donc à l’aide du contexte.

Les fonctions principales – et dont certaines recouvrent les noms des classes –sont d’appuyer le discours, de le clore, de montrer son accord, de sous-entendre quelque chose, de reprendre son fil, de s’expliquer, de combler le discours, de passer à autre chose ou de valider

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simplement. La prise en compte de ces fonctions, couplée au premier classement, va permettre de l’affiner et de voir apparaître des sous-classes. Le fait d’appuyer/insister/souligner pourra se retrouver tant pour un emploi de validation que pour un emploi conclusif.

Les sentiments et attitudes exprimés sont variables et parfois difficiles à déterminer. On trouve de l’irritation, de l’indignation, du simple désaccord, de la neutralité, de l’implication, de la gêne, de la satisfaction, de l’ironie, de l’assurance ou encore de la fermeté. S’il est évident que l’expression des émotions et des attitudes est très liée à la prosodie, il est très difficile de faire la part des choses sur corpus et de déterminer clairement quel sentiment est exprimé, comment le nommer (le mécontentement est-il toujours de l’irritation ?), sans compter que plusieurs sentiments peuvent se superposer. Il convient également de distinguer ce qui révèle de la prosodie phrastique, de la prosodie de « voilà » et des éléments co-textuels.

Nous avons également observé le co-texte et relevé les marques d’hésitations et les collocations fréquentes telles que « bon bah voilà », « eh bah voilà », « donc voilà »,

« enfin voilà » ou « ben voilà » pour ne citer que celles-ci. Dans certains cas l’interprétation d’un sentiment est effectivement lié aux termes utilisés (« bon », « bah ») et non à la prosodie.

5. Analyse

5.1. Paramètres prosodiques :

S’agissant de l’observation de la prosodie, nous avons mené l’analyse à l’aide de Praat et considéré les paramètres suivants : la forme de la mélodie sur « voilà » (qui sera le paramètre le plus saillant dans l’interprétation), la continuité ou la rupture prosodique avec le contexte (les pauses en collocation et les différences de registres), la longueur de « voilà », la qualité de la voix et les réalisations particulières des locuteurs (« miala », « wala ») ainsi que l’influence de la prosodie contextuelle sur « voilà » lorsque celui-ci est intégré prosodiquement. Le statut notamment de ponctuant ou de marqueur de validation de « voilà » lui confère fréquemment une place isolée par rapport à son contexte qui limite ou exclut l’influence de la prosodie contextuelle ou phrastique sur l’unité lexicale.

Une première observation des configurations prosodiques par type d’emploi – une fois l’influence de la prosodie contextuelle exclue – nous a rapidement amenée à conclure, d’une

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part à l’absence de lien entre un type de « voilà » et une configuration prosodique, et d’autre part à la constatation de l’existence de nuances sémantiques au sein d’un même type.

Le paramètre de la durée ne s’avère pas être un critère pertinent à ce stade de notre étude. Les variations sur cette unité de deux syllabes sont très fines (les occurrences font de 0,108 à 0,447 seconde) et sont par ailleurs également liées au débit. Nous pouvons toutefois noter que les occurrences « neutres3 » de « voilà » ou celles ayant simplement pour fonction de clore un sujet sans exprimer de sentiment particulier se situent parmi la première moitié des occurrences, celles-ci étant classées des plus brèves aux plus longues.

Les courbes mélodiques sensiblement les plus fréquentes sont celles présentant la forme descendante (25%) ou bien une forme de cloche (montant-descendant, 43%), cette dernière pouvant être symétrique, montante ou descendante. En plus de la configuration prise par la cloche mélodique, son amplitude présente également un rôle dans l’interprétation. Il existe peu de paramètres à considérer dans une analyse prosodique, et c’est essentiellement la mélodie qui joue un rôle dans l’interprétation, mais une grande subtilité peut se manifester, au niveau de la configuration des courbes (le degré de la pente montante ou descendante, l’amplitude de la cloche, la combinaison du trait cloche + montant etc.), et cette subtilité se répercute au niveau des nuances sémantiques exprimées. Il est toujours difficile de faire la part des choses entre les paramètres prosodiques pertinents ou non et de situer à quel moment dans l’interprétation on passe d’un sens à un autre et comment nommer ceux-ci de manière objective lorsque l’on cherche à aller au-delà de la caractérisation traditionnelle des sentiments à un niveau supra-lexical (joie, tristesse, colère…). Cette difficulté est d’autant plus présente que l’on trouve une gradualité dans l’expression des sentiments et des fonctions qui peut engendrer de la polysémie. Voici un petit florilège des questions que l’on alors peut être amené à se poser : « l’évidence est-elle une marque d’appui ? » « Le dépit est-il de l’irritation ? » « A quel moment passe-t-on de la neutralité à l’assurance ? » Nous nous sommes déjà interrogée à ce sujet lors de l’analyse de « oui » et avons constaté qu’il était indispensable de connaître le contexte et le passé des locuteurs en présence afin de déterminer la part de non-dit et les pensées/croyances de ces locuteurs (Beyssade et al. 2004).4 Cela permet en effet de déterminer de manière plus objective si le locuteur est en situation de remise en cause (implicite) par autrui et se retrouve ainsi dans la position de devoir répondre,

3 Il est à la fois très difficile de juger de ce qui relève de la neutralité au niveau des sentiments et très utile de disposer de cet étalon afin de distinguer les emplois présentant une expression marquée des sentiments.

4 Les auteurs concluent sur le fait que de manière générale un contour descendant indique un consensus, un contour montant un conflit au terme duquel le locuteur adopte son propre point de vue et un contour montant- descendant un conflit au terme duquel le locuteur adopte le point de vue de l’interlocuteur.

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notamment par le biais de l’expressivité permise par la prosodie, à cette remise en cause. Ce paramètre était important lorsqu’il s’agissait de répondre « oui » à une question avec ou sans arrière-pensée et elle le sera tout autant lorsqu’il s’agira de conclure son discours par un

« voilà » qui devra mettre un point final à un désaccord ou à un consensus a priori. La prosodie s’en trouvera modifiée selon que l’on soit dans un cas ou dans un autre.

Afin de faire face à ces problèmes inhérents à toute analyse de la prosodie à un niveau lexical, nous avons choisi de regrouper les sentiments proches et de les considérer comme identiques.

Une analyse plus fine de ces sentiments proches n’est pas exclue mais ne peut se faire qu’après avoir traité dans un premier temps les grandes classes d’emplois, et ne sera pas l’objet de ce travail. Il en résultera un travail de corrélations entre les formes prosodiques les plus fréquentes et mentionnées ci-dessus et les sentiments ou les fonctions récurrents. Y aurait-il par ailleurs davantage l’expression d’une fonction (clore un sujet, appuyer ses propos) qui serait prosodiquement marquée au niveau de l’unité lexicale « voilà » que l’expression d’un sentiment qui serait davantage corrélé pour sa part à l’interprétation de l’énoncé dans sa totalité ? Les deux peuvent-ils être exprimés de manière simultanée ? Ces questions se posent-elles uniquement pour des unités ayant le statut de marqueur de discours ? Autant de questions qui méritent d’être posées et considérées mais qui ne trouveront pas toutes une réponse ici. Une démarche fondée sur la mise en place de tests de perception d’occurrences isolées de « voilà » contribuerait à nous éclairer sur l’expression ou non d’un sentiment sur « voilà » seul. A brève échelle, nous avons d’ores et déjà pu constater que l’irritation par exemple n’est pas forcément perceptible à l’écoute d’un « voilà » isolé, même si elle est très perceptible à l’écoute de l’occurrence dans son contexte.

Les autres formes mélodiques observées mais de manière plus marginale sont la forme montante, des courbes plates ou peu modulées, des cloches inversées ou des occurrences partiellement assourdies. Même si celles-ci, tout comme la qualité de la voix, peuvent être liées à des interprétations particulières, elles sont bien trop peu nombreuses à l’échelle de notre corpus pour permettre de produire des résultats pertinents.

5.2. Analyse par classe d’emplois

Nous allons à présent détailler l’étude de trois types d’emplois dont le nombre est relativement significatif, l’emploi conclusif, l’emploi de validation et l’emploi de type

« combler le discours ».

Lors d’une étude mettant en lien l’analyse sémantique et prosodiqued’une unité lexicale, si la méthodologie de navette entre les deux dimensions a été adoptée, la question se pose de

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savoir si l’on part d’un classement sémantique et que l’on observe les similitudes et les différences de configurations prosodiques des occurrences à l’intérieur de chaque classe ou si l’on considère dans un premier temps l’entièreté du corpus et que l’on regroupe entre elles les occurrences présentant une configuration prosodique proche, en se posant la question de savoir si des traits interprétatifs communs sont décelables. La méthodologie éprouvée la plus pertinente et d’étudier d’abord les occurrences relevant de la même classe sémantique puis de chercher à mettre au jour les nuances de sens permises par la prosodie à l’intérieur de cette classe, puis de regarder à l’échelle du corpus si ces nuances (ou d’autres) sont également présentes et corrélées à une même prosodie pour les autres sens de « voilà ». Plus généralement, la question posée est de savoir si des paires forme prosodique/interprétation sont transversales à plusieurs unités lexicales, à plusieurs types d’unités lexicales etc. Ce travail à plus long terme ne peut bien sûr être mis en place qu’après une étude sérieuse d’un nombre élevé d’unités lexicales différentes mais nous guidera toutefois dans nos travaux.

5.2.1. Emploi conclusif

L’emploi de « voilà » en tant que marqueur de conclusion est très présent dans notre corpus (39% de conclusifs + 6% de validation-conclusifs). La conclusion peut porter sur un constat fait par le locuteur ou l’interlocuteur, lequel constat pouvant être de nature positive (satisfaisante) ou négative (décevante, source d’irritation etc.). Il peut s’agir d’un constat relativement consensuel ou d’une demande de preuve à apporter et nous allons voir que ce dernier point à son importance dans notre étude. La notion même de conclusif va bien sûr de pair avec l’idée de clore le discours, or notre étude sémantico-prosodique des données montre que deux nuances sémantiques majeures (et corrélées à une forme mélodique spécifique) se distinguent.5 En effet, lorsqu’un locuteur conclut un point, il le fait en mettant en avant un aspect précis parmi plusieurs possibles au moment de la réalisation de « voilà » :

- Clore simplement et ne pas à avoir à revenir sur le sujet : mélodie descendante

Le constat exprimé (positif ou négatif) fait consensus, le locuteur ne se trouve pas dans la position de devoir prouver son opinion, il exprime simplement par « voilà » le fait que le point soulevé est clos. Il s’agit donc d’un acte performatif pour lequel on ne perçoit aucune implication particulière du locuteur. La mélodie est sans surprise descendante sur « voilà », cette configuration étant liée de manière générale à la fin d’un énoncé. Cette observation est

5 La forme de la mélodie est le paramètre prosodique essentiel permettant l’expression d’une nuance de sens.

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valable tant pour les emplois conclusifs que pour ceux considérés comme « de validation- conclusifs ». Le lien étroit conservé avec la dimension déictique de ce marqueur se retrouve ici, un énoncé synonyme de type « vous voyez que je viens de terminer ma contribution sur le point X » pourrait être proposé dans ce cas pour « voilà ».

(9) Exemple :

Invité : ([il y a ceux qui prennent les risques]) « de la responsabilité et du pouvoir et puis ceux qui préfèrent le confort de l’opposition »

Journaliste : « hm » Invité : « bah voilà » Journaliste : « c’est dit »

Figure 1 : Spectrogramme mettant en évidence la mélodie de « bah voilà »

Dans l’exemple proposé le locuteur signifie clairement « vous tirez la conclusion naturellement par vous-même » comme si cela allait de soi car la mélodie est clairement descendante et le sens de « voilà » ne peut pas être interprété comme « je viens de vous prouver que c’est ainsi alors que vous en doutiez. »

- Chercher à clore en appuyant : mélodie en forme de cloche

Le locuteur peut par ailleurs, tout en clôturant son discours, mettre davantage l’accent sur la notion d’évidence contenue dans les propos qu’il vient d’énoncer. Il y a alors une implication du locuteur dans ses propos, souvent motivée, pour les émissions concernées, par une remise en cause de la part de l’interlocuteur obligeant le locuteur à justifier son point de vue. La

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nuance exprimée, toujours en lien avec la dimension déictique, est plutôt du type : « vous voyez bien par vous-même, je viens de vous donner une preuve ».

De par la gradualité permise dans le discours, il peut y avoir plus ou moins de fermeté dans les propos tenus et en l’occurrence dans « voilà » et donc de la variation dans la configuration mélodique présentée. Souvent, lorsqu’il y a une implication émotionnelle du locuteur, une mélodie montante-descendante (cloche) est observée. Une expression forte de l’implication du locuteur va également être liée à une durée de l’occurrence plus importante.

(10) Exemple :

Invité : « qui aurait dit deux ans et demi avant que François Hollande aurait été le candidat des socialistes et aurait été élu président personne et surtout pas vous »

Journaliste (s’adressant à une troisième personne présente) : « merci beaucoup Carl » Invité : « voilà »

Figure 2 : Spectrogramme mettant en évidence la mélodie de « voilà »

Dans ce second exemple le locuteur tient à appuyer sa dernière tirade qu’il considère comme une attaque réussie face à la journaliste. Il n’était absolument pas dans le besoin de conclure puisque la journaliste le fait justement au lieu de lui répondre. De cette manière il souligne la teneur de ses propos.

Une troisième nuance interprétative apparait mais de manière moins fréquente pour les emplois conclusifs :

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- Clore en cherchant à convaincre : mélodie montante

A la différence des occurrences de « voilà » conclusifs en forme de cloche pour lesquels les locuteurs considèrent que la preuve est apportée une fois qu’ils l’ont énoncée et qu’elle a été appuyée par « voilà », il semble, lorsque la mélodie est montante pour un « voilà » conclusif, que le locuteur soit encore dans le besoin de convaincre.

(11) Exemple : Journaliste : le problème

Invité (ne laissant pas à la journaliste le temps d’évoquer le problème en question) : « Marion Maréchal-Le Pen est devenue je ne sais plus la deuxième ou la première dans les désignations et Jean-Marie Le Pen a rappelé quelle était la ligne du parti voilà »

Figure 3 : Spectrogramme mettant en évidence la mélodie de « voilà »

La comparaison entre cet exemple et le précédent est d’autant plus intéressante que le locuteur est le même et que dans les deux cas « voilà » est soit réalisé de manière holophrastique pour le premier cas, soit isolé entre deux pauses dans le second, et donc non contraint par sa prosodie contextuelle.

5.2.2. Emploi de validation

Le second emploi fréquent de « voilà » à nous avoir intéressée est l’emploi de validation. Un quart de nos données correspondent à cette interprétation. La validation porte essentiellement sur le discours de l’interlocuteur, même si elle peut parfois porter sur le propre discours du locuteur, et peut porter sur une question ou sur un constat ou commentaire de type neutre,

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plutôt négatif ou positif. Ce ne sont pas ces paramètres qui vont influencer la représentation prosodique des occurrences de « voilà ». Là encore, s’il s’agit pour le locuteur de donner son assentiment par le biais de « voilà », il peut mettre en avant deux nuances sémantiques majeures :

- Valider de manière neutre : mélodie descendante

Dans ce cas le locuteur ne cherche pas tant à faire connaître son opinion et à partager réellement son enthousiasme qu’à envoyer une marque de validation à son interlocuteur et à signifier qu’il n’est pas nécessaire d’approfondir la question. La neutralité (ou l’absence d’enthousiasme particulier) peut également s’expliquer par les croyances en jeu dans la situation de communication : le commentaire à valider ne présente pas un enjeu fondamental, il n’y a pas de doute ou de désaccord particulier sur le point évoqué entre les interlocuteurs ou dans l’opinion générale ou il s’agit d’un fait mineur d’un point de vue attentionnel. Il est intéressant de noter que ces emplois ne sont pas très fréquents et qu’ils se trouvent essentiellement dans les emplois de validation-conclusifs, pour lesquels la fonction est à la fois de fournir une marque de validation mais également de passer à un autre sujet. L’idée de clôture apparaît à nouveau dans cette catégorie d’emploi.

(12) Exemple :

Invité : « Donc ça devrait quand même éveiller notre attention » Journaliste : « L’Allemagne »

Invité : « Voilà »

Figure 4 : Spectrogramme mettant en évidence la mélodie de « voilà »

(20)

Dans l’exemple ci-dessus le journaliste propose un exemple, ratifié par l’invité qui ne manifeste pas pour autant un accord marqué comme cela aurait pu être le cas si l’exemple fourni était édifiant.

- Valider en marquant son accord et son enthousiasme : mélodie en forme de cloche La plupart des emplois de validation de « voilà » sont liés à une marque d’appui ou d’enthousiasme qui rappelle la notion d’évidence. Il est ainsi intéressant de noter que l’utilisation même de « voilà » à la place de « oui » par exemple semble liée au besoin d’insister sur un point précis et d’en montrer le caractère pertinent. Ici encore le caractère déictique de « voilà » est sous-jacent et un énoncé synonymique de type « ceci illustre parfaitement mon propos » serait parfaitement envisageable.

(13) Exemple :

Journaliste : « l’AFUB on va répéter l’Association Française des Usagers des Banques » Invité : « Voilà »

Figure 5 : Spectrogramme mettant en évidence la mélodie de « voilà »

Dans l’exemple proposé, le locuteur insiste sur la validation car il est très important pour lui que les auditeurs retiennent le nom de l’association et prennent contact avec lui.

Nous proposons un autre exemple à mettre en parallèle avec l’exemple de validation neutre évoqué plus haut et pour lequel il s’agit également pour l’interlocuteur de suggérer un exemple qui sera ratifié par le locuteur :

(21)

(14) Exemple :

Journaliste : « Celui du Mans sur vos terres en 2005 » Invité : « Celui de Grenoble aussi »

Journaliste : « Oui euh toutes ces voilà avec des synthèses formidables »

Figure 6 : Spectrogramme mettant en évidence la mélodie de « voilà »

Ici l’exemple proposé illustre parfaitement les propos de l’interlocuteur, il est d’abord ratifié par un « oui » présentant lui aussi une cloche mélodique, marque de conviction (Hacine- Gharbi et al. 2015), puis par « voilà » dont la mélodie représente une cloche ample, mis en évidence dans le segment rosé.

Lorsqu’un constat négatif est ratifié par « voilà », une marque de déception ou de dépit peut être perceptible dans la voix du locuteur. Celle-ci nous apparaît comme s’interprétant plutôt par un calcul sémantico-pragmatique que par la prosodie de l’occurrence elle-même. Il en va de même pour l’expression de la satisfaction lors de la validation d’un constat positif.

5.2.3. Emploi « Combler le discours »

Le dernier emploi qui nous intéresse est celui consistant à combler le discours en cas de panne lexicale à l’aide de « voilà ». On trouve dans ce cas des marques d’hésitation dans le contexte.

L’emploi de « voilà », toujours en lien avec le caractère déictique, sert par exemple à terminer une énumération pour laquelle le locuteur ne trouve plus d’exemple ou bien pour ne pas prendre la peine de chercher à formuler un énoncé considéré comme évident pour l’interlocuteur. Il s’agit aussi très souvent d’introduire un discours gênant (pour différentes

(22)

raisons), cette gêne pouvant être la raison même des marques d’hésitation. Le test de la synonymie « vous voyez ce que je veux/vais dire » est très pertinent dans ces cas-là. Une fois de plus, nous avons constaté l’apparition de deux sous-emplois au sein de cette catégorie, selon que soit mis en avant le fait de vouloir clore le discours ou que l’on souligne l’évidence des propos non formulés ou à venir.

- Clore le discours : mélodie descendante

Nous trouvons peu d’illustrations de cette nuance sémantique dans notre corpus :

(15) Exemple :

Invité : « Et qui vous dit je n’ai pas à condamner enfin c’est voilà qu’est-ce que vous voulez que je vous dise c’est complètement débile »

Figure 7 : Spectrogramme mettant en évidence la mélodie de « voilà »

Nous constatons bien la présence de marques d’hésitations dans le discours du locuteur et le discours à droite de « voilà » est polémique mais l’interprétation de « voilà » avec cette mélodie prend le sens de « je préfère ne pas insister ».

- Souligner l’évidence des propos non formulés : mélodie en forme de cloche

L’idée d’implicite est particulièrement présente pour cet emploi. Dans la grande majorité des cas, le discours qui fait suite à « voilà » ne convient pas parce qu’il est insultant, grossier, trop vague ou qu’il ne correspond pas à la réalité souhaitée.

(23)

(16) Exemple :

Journaliste : « A revenir dans le parti si j’ai bien compris dont le vice-secrétaire général serait NKM bon bah voilà »

Figure 8 : Spectrogramme mettant en évidence la mélodie de « voilà »

Le journaliste ne termine pas sa phrase mais résume en quelque sorte son idée par « voilà », partant du principe que la conclusion de ses propos est une évidence pour tout le monde. La collocation avec « bah » participe à la mise en place de la notion d’évidence, mais même sans cette unité dans le co-texte, l’interprétation de « voilà » serait identique. Il y a très certainement dans ce cas une stratégie de la part du locuteur visant à transmettre une opinion sans la formuler directement et donc sans avoir à en assumer complètement la paternité.

Voyons un autre exemple de ce type d’emploi dans une situation qui donne lieu à des hésitations mais pour lequel cette fois-ci « voilà » va non pas remplacer mais introduire un énoncé gênant :

(17) Exemple :

Invité : « Et que cette viande-là ne peut être destinée qu’au au rebut à la poubelle et euh ça ça voilà ça suinte ça ça coule euh »

(24)

Figure 9 : Spectrogramme mettant en évidence la mélodie de « voilà »

Par l’emploi de « voilà » qui prend toujours le sens de « vous voyez ce que je veux dire », le locuteur annonce que l’énoncé à venir est gênant (dans d’autres cas il est polémique) et désamorce d’une certaine façon la réaction de l’interlocuteur. On est très proche du sens présentatif de « voilà ».

Comme nous l’avons évoqué au début de cet article, on peut difficilement, et particulièrement lorsque l’on traite du discours oral, cloisonner les différents sens ou différentes fonctions de

« voilà ». On le voit très bien à travers l’emploi servant à combler le discours qui se rapproche du conclusif ou du présentatif selon les cas. Ce constat n’est pas surprenant puisque comme pour toute unité lexicale polysémique les différents sens sont reliés entre eux.

5.3. Autres paramètres prosodiques

Outre les deux configurations mélodiques récurrentes, la mélodie descendante associée à l’idée de consensus et de clôture, et la mélodie en forme de cloche, liée quant à elle à l’implication du locuteur et à la notion d’évidence – et apportant des nuances sémantiques particulières lorsqu’elles se mêlent au sémantisme de « voilà » – nous avons remarqué d’autres paramètres prosodiques qui semblent pertinents dans la mise en place de nuances interprétatives. Il s’agit des ruptures mélodiques par rapport au contexte, que ce soit un changement brutal de registre vers une mélodie plus grave ou plus aigüe. En effet, deux occurrences de « voilà » présentant une cloche mélodique sont perçues différemment selon

(25)

qu’il y ait ou non un changement de registre par rapport au contexte. Lorsque « voilà » se trouve réalisé dans un registre plus haut,

Il semble que ce soit pour attirer l’attention sur quelque chose. La rupture dans un registre bas pourrait être liée à un sentiment négatif, de la déception ou de l’irritation. Il ne s’agit là pour le moment que de pistes à explorer.

Nous proposons ci-dessous une synthèse de nos observations :

Figure 10 : Représentation schématisée des nuances sémantiques obtenues

6. Conclusion

En conclusion de ce travail, nous observons que la dimension prosodique ne permet pas de distinguer les différents sens de « voilà » traités ici, à savoir le conclusif, l’emploi de validation et l’emploi utilisé afin de combler le discours. En revanche, notre analyse montre que deux nuances interprétatives majeures apparaissent pour chacun de ses emplois et que ces sous-emplois sont discriminables prosodiquement. Ces nuances sont toujours liées au fait de mettre en avant un aspect du sens de « voilà » : la clôture ou l’évidence/pertinence caractérisées par une mélodie descendante pour l’une et par une mélodie en forme de cloche pour la seconde. L’interprétation se fait par ailleurs grâce au contexte.

(26)

L’éventail des nuances interprétatives est particulièrement riche, et d’autres nuances de sens et d’autres configurations prosodiques sont apparues au cours de notre travail, mais de manière si marginale par rapport à notre corpus qu’il n’est pas possible de les traiter ici.

7. Perspectives et applications

Cette étude mérite d’être approfondie tant du point de vue du nombre de données que du type de discours étudié.

Ces résultats s’inscrivent dans la continuité de ceux obtenus dans sur « enfin » (Petit 2009), et il nous semble fondamental de continuer à varier également à plus long terme les unités lexicales étudiées. Un premier parallèle a été évoqué avec « oui » mais la comparaison avec d’autres marqueurs de validation comme «c’est ça » pourrait être envisagée.

Par ailleurs, à l’instar de Bruxelles/Traverso (2006), élargir ce travail dans un cadre multimodal, en cherchant à établir des liens avec la dimension mimo-gestuelle pourrait s’avérer particulièrement intéressante, notamment de par le caractère déictique de « voilà ».

Un tel travail pourrait trouver des applications concrètes en Traitement Automatique du Langage, en lexicographie ou bien en didactique du Français Langue Etrangère.

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