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J.PAUL GETTY MUSEUM LIBRARY
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RESTAURATIOK
TABLEAUX DU LOUVRE
REPONSE
A UN ARTICLE DE M. FRÉDÉRIC VILLOT
EMILE GALICHON
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PARIS
CHEZ TOUS LES LIBRAIRES
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RESTAURATION
TABLEAUX DU LOUVRE
REPONSE
A UN ARTIGLH DE M. FRÉDÉRIC VILLOT
EMILE GALICHON
RESTAURATION
TABLEAUX DU LOUVRE
RÉPONSE
A UN ARTICLE DE
M.FREDERIC VILLOT
««Ons'habitue insensiblementaux plusgrands excès,etles moyens les plusviolents finissent
parparaître les seuls naturels.»
Cettephrase, que M. leConservateurcle lapeintureau Louvreadresse aux gens qu'ont
pu
effrayer les fâcheuses restaurations des tableauxdu
Musée, cette phrase peut servir d'épigraphe aux lignes quivont suivre, parce qu'elle explique bien, à notreavis, l'origine et les progrès succes-sifs
du
travail qui s'estaccompli. Noussommes
profondément convaincu, pour notre part, desbonnes intentions qu'on a eues. Nous croyons sans réserve à la sincérité dubienqu'ona voulufaire,etqu'on croit avoirfait;et nous ne voulonsd'autre preuvede cette sincérité
même
que l'impru- dente bonnefoi aveclaquelleon expose, en pleine lumière et fortprès de l'œildes spectateurs, les toilesrestaurées.Au
milieu de nos recherches sur les maîtres qui préparèrent et for- mèrentlegrandsiècledel'art,l'unedes chosesdontnous nousfélicitionsle\. AnniMiredesArtistesetdesAmateurs, publié parM°"V*Renouard.Paris,mai4860.
H
RESTAURATION
plusétait depenserque nous n'aurionsjamaisà interveiiirdanscesques- tions pleines d'actualité qui peuvent irriter ou blesserles personnes. Et cependant, malgrénotre profondeantipathie pourtoutcequipeut ressem- bler à de la polémique, malgré notre inexpérience d'écrivain, qui nous rendait timide, tant de regrets,[tant de craintes nous préoccupent, que nous regardons
comme un
devoir d'élever notre voix, si faible qu'elle puisse être.Bien desévénementsse sontpassés, depuisquelquetemps, dansnotre Louvre,événements dontlacritique nes'estpoint assez émue. Dansplu- sieursjournaux
même
quelques éloges se sontproduits, et, aumoment
où nous prenons la plume, apparaîtun
nouvel article de M. Frédéric Villot, dans \Annuaire des Artistes etdes Atmiteurs, pour prouver l'ex- cellencedesrestaurations entreprises au Louvre. C'est à cet article que nous voulons répondre.« Lorsqu'une* peinture se gerce,s'écaille, il faut,derrière la toile, en
« appliquer
une
autre qui consolide le tout etarrête le plus souvent les(( progrès
du
mal. Cette opération s'appelle rentoilage.« Si la peinture se détachede l'impression posée surlasurface de la
« toile destinéeà recevoir les couleurs, si elle
menace
de s'égrener en(( poussière, enfinsi latoileest pourrie, il est indispensable del'enlever
(( complètementet de la remplacer par une nouvelle. C'est au
moyen
de(( l'enlevage qu'on transporte sur toile une peinture exécutée originaire-
ce
ment
surun
panneau, sur une muraille. L'enlevage, expérimenté pour(( lapremièrefois verslemilieu
du
siècle dernier,, exige unemain
habile,(( patiente surtout. Ses procédés, dont on fitd'abord mystère, sont bien
(( connusmaintenant, et n'offrent guère plus de dangers que ceux d'un
(( simplerentoilage.
Que
le tableau soit enlevé ourentoilé, il faut abso-«lumentle dévernir, le nettoyer, le restaurers'il y alieu; carle vernis,
« décomposépar les colles et les lavages, ne forme plus qu'une croûte
« blanchâtre qui rend la peinture entièrement invisible. Ainsi lorsqu'un
1. Lesphrases entre guillemets, dans lecoursde cetravail, appartiennentau texte de M. Yillot.
"DES
TABLEAUX DU LOUVRE.
5« tableau éprouve de gravesdétériorations, il n'existe quecette alterna-
« tive : ou le laisser périr de sa belle mort, sans tenter de le sauver
« d'une ruine souvent prochaine, oule traiter
comme
je viensdeledire.((
En
pareil cas, peut-on hésiter uninstant?»A
des paroles aussi sages nul ne saurait trouver à reprendre, et les avis sur ce pointne peuvent qu'être unanimes. Mais l'opération du net- toyage estdélicate, et la majorité, dit M. Yillot lui-même, deshommes
compétents votent obstinément pour l'abstention , persuadés que les tableaux courent grand risque d'y perdre. Il nous semble donc qu'il serait au moins opportun lorsqu'on doit entreprendre une tâche aussi difficile, dontlafin pourrait être sidésastreuse, surtoutlorsqu'il s'agitde tableaux d'une valeur inappréciable, de suivre lacoutume des médecins forcés d'appliquer un remède qui pourrait compromettre la vie du
ma-
lade. Le devoir, l'intérêt
même
deshommes
auxquels échoit cettemis- sionpleine depérils, estde mettre leur responsabilitéà couvert derrière une commission, sérieusement consultée avant tout sur l'urgence des restaurations, et ensuite sur lesmoyens
les plus propres à employer pourlefaire avecsécurité. Or, nousle demandons, cettemarche
a-t-elle été suivie en ce qui concerne les chefs-d'œuvredu
Louvre?Mais contrairement àtouteslesopinionsreçues jusqu'àce jour, l'auteur del'article <( pose en principe qu'on n'abîme pas
un
tableau de maître« aussi facilement qu'on lepense généralement. »
Nous
avions toujours pensé qu'on nepouvaitposerenprincipe quedesvérités universellement admises, et cependant,l'écrivain lereconnaît, lamajorité des connaisseurs croit le contraire.Sile principe « peut paraître étrange, dit31. Villot, ilestexact; » et
il entreprendde nousle prouver.
En
effet, les artistesdu
xv^ siècle peignaient avecun
vernis huileux pourpouvoir « fondre les teintes plusàloisir, etassurer àlapeintureune« dureté presqueégaleàcelledel'émail, et enfinilsversaient surl'œuvre
« terminée
un
vernisfinalplussiccatif encore, quoique demême
nature, u appliqué sur l'ensemble, qui donnaitde l'homogénéité aux différentes« couches, s'unissait intimement à elles et lesprotégeait
comme
auraitG
RESTAURATION
«
pu
lefaire une lame de cristal.Van Eyck
n'adonc pas, ainsi qu'on l'a(( dit sisouvent, inventé la peinture àl'iiuile,connuebien avantlui; il a
« crééla peinture auvernis, »
Eh
quoi! ilvient d'êtrereconnuquelesvernisdécomposésparlescolles et leslavagesqueleren toilage nécessite sechangeaient«enunecroûteblan- châtre quirendlapeinture entièrementinvisible, )>etiln'y auraitpoint de dangerà nettoyeruntableaupeint dansle vernis,et oùun dernier vernis afait corpsavec lesdernières touchesdu
maître, aveccelles qui unissent toutesles parties d'une peinture, en sorte que le passage d'un ton àun autreestun charme
pour les regards, avec celles, enfin, dans lesquelles l'artiste a misl'accentsuprême de son art!Maisnon, iln'y a nul danger, ditM. \illot; eton prétendnousprou- ver irrécusablement que, malgré toute la délicatesse de cette opération
,
«il ne s'ensuit pasqu'il ne soittrès-fréquemment urgentd'y recourir. »
(( L'éducation
du
public etdesartistes est à faire. Ils ne connaissent« pas les maîtres... » Depuis si longtemps que nous
sommes
accou- tumés àvoir « lestableaux du Louvre couverts decrasse, devieux vernis« superposés, nous avons fini par regarder le jaune
comme
la couleur« favorite des grands maîtres et le principe fondamental d'un coloris
« puissant; ceux
même
qui poussaient lacondescendancejusqu'à recon-« naîtreunealtérationdanslafraîcheurdesteintes,trouvaient
un charme
« infinià cetaspect uniformémentdoréou ambré. Letemps, disaient-ils,
« peint les tableaux, et l'artisteacompté sur son heureuseinfluence. Ces
« deux axiomes sont également faux; il sufiit d'avoir tenu une palette
« pour en êtreconvaincu. »
Il est faciled'avoir raison de ses adversaires, en leur faisant dire ce qu'ilsn'ontjamaisdit.Quelcritiquesérieuxadoncposécesdeux axiomes?
Quidonc a jamais cru que ces tons dorés étaientl'œuvre des maîtres?
« Les années, dit aussi M. Yillot, les vernis (c'étaient deslames de
« cristal
quand
le besoin s'en faisait sentir), loin d'être des auxiliaires(( précieux, sont des ennemis implacables, qui tantôt étalent sur toute
(( l'œuvre
un
voile noir qui la rendait invisible, tantôt se contentent« d'anéantir les teintes délicates, etne laissentsubsisterqueles couleurs
DES TABLEAUX. DU LOUVRE.
7«énergiques qui, n'étant plus liées entre elles par d'heureuses transi-
ce lions, dominent exclusivement.
Un
ciel d'un bleu tendre variedu
vert«
pomme
au vert bronze; le rouge se convertit en orange, le violet se« transforme en gris, les chairs lesplus fraîchesne sont plus qu'un cuir
« basané, et les détails s'enterrent dans les moindres vigueurs qui ont
« perdu toute transparence; si l'espace ne
me
manquait,je citerais des« soleilslevants métamorphosés en soleils couchants, des
brumes
mali-« nales changéesen vapeurs rutilantes d'un soir d'été. Partout règne une
(( chaleur factice et
monochrome:
jamais l'œilnese repose surles reflets« argentinsd'uncield'azur. »
A quoi tend ce langage? M. Villot entend-il que les vernis sont cause
du
changement des tons dans les couleurs? INous ne pouvons lepenser; car tousnous savons parfaitement que les couleurs ne sontpoint parelles-mêmes immuables, que toutes subissent une transformation,que
les unes, le bleu d'outremer par exemple, gardent presque leur intensité première, queles autres s'affaiblissent parl'effet des annéeset de la lu- mière, et qu'il en est, au contraire, qui acquièrent plus deconsistance et absorbent lesteintes plus délicates.
Si donc les Conservateurs desmusées, renonçant à « livrerà l'éludeet
(( àl'admiration desimages odieusementbarbouilléesquipeuventlesfaire
« accuser par les gens compétents et honnêtes d'avoirfaitadorer de faux
« dieux, » veulent a montrer les maîtres tels qu'ils sont, et les vénérer
« avecleurs qualités etleursdéfauts, «il est nécessairequ'ils rendent les couleursimmuables,bien plus,qu'ilsfassent revenircellesquiontchangé.
A
l'œuvre donc! rendez-nous ainsi lescouleursbrillantesde la Uésiir- rection deLazare,du
Guerchin, et les splendeurs du ciel des Pèlerinsd'Emmaûs, du
Yéronèse; et nous applaudirons à la renaissance des tableauxde ces maîtres. Mais si vous ne pouvez nous rendre l'harmonie créée par lespeintres, laissez-nous au moins celledu
temps. Si vous ne pouvez nous donner que des blancs vifs à côté de noirs intenses, des rougesetdes bleuséclatantsquioffensentnosregards,parcequeletemps, lalumière, et peut-être aussides nettoyages ont détruittoutes les demi-teintes, laissez-nous ces vernis, cette «patine, »
œuvre
des siècles, que8
RESTAURATION
dédaigne M. Yillot, qui remplacent ces glacis et ces frottis au
moyen
desquels les peintres harmonisaient leurstoiles.Mais pourquoi discuterplus longtemps, puisque le temps de la dis- cussion estpassé? Voyons donclesfaits. Entrons dans ceLouvre,traver- sons-en d'un pas rapideles salles,sans regarder,s'ils ont souffertou non, les tableaux de ces maîtres secondaires qu'on
nomme
Lorenzo Lotto, Andreani, Sabbatini, Josépin, l'Albane, Feti, Schidone, Procaccini, Sgua- zella, Parmesan et Murillo. Allons droit aux Rubens.Les toiles sur plusieurs desquelles se heurtent si violemment le rouge, le bleu, le vert, lejauneet le blanc, ont-elles donc été couvertes par celui qu'on dit être le plusgrandcoloriste des Flandres? Cesfigures étiolées, qui paraissent éclairées parles rayons de lalune, ont-elles été vraiment créées par la
main
del'homme
qui a su le mieux rendre les accents de la vie, faire circuler le sang dans les veines de ses person- nages? Etcomme
pourjustifier nos craintes, l'auteur de l'article, après nous avoir appris les tristes effets ftdu
vernisdécomposé par les colles(( et les lavages,» a eule soin de nous apprendre plus loin que Rubens
et Titien ont peint auvernis.
M. Yillot nous assure que (( aucune des parties
même
les plus légè-« rement peintes n'ont été déflorées, » car les restaurateurs employés par leLouvre«sont aussi habilesqueprudents; ils savent quelapatience
a est unequalitéindispensable, etils n'en
manquent
pas. »Quelle patience, en effet, il leurafallu pour restaurersi vite vingtet
un
tableaux hauts de quatre mètres et d'une largeur en proportion!Au
lieud'enlever successivementles toiles qui demandaient unerépa- ration urgente, en laissant le public jouir de ses trésors, on ferme le Louvre, et à peinequelques mois se sont-ils écoulés, qu'on en rouvre les portes.On
nous rend une galerietoute neuve, sans crainted'exposerà la poussière, soulevéeparlespasdelamultitudeinquiète, des chefs-d'œuvre fraîchement revernis.C'estqu'on avaithâte d'en déférer au public, delemettreà
même
de juger,quand
toutétaitfait. Afin d'exciterson admiration pources chefs- d'œuvre, qu'on ne voyait pas, nous dit-on, auparavant, et qui seraientDES TABLEAUX DU LOUVRE.
9redevenus tels, ou à peu de chose près, qu'ils étaient sortis dela
main
de Rubens, on avaiteule soinde laisserun
tableauen partie restauré,en partie voilé sous ses vernis successifs et sacrasseamasséeparles ans.Sicette épreuve prouve la sincérité de ceuxquiexécutèrent cette res- tauration, si elle apu tromperquelques personnes peu habituées à juger les œuvres d'art, elle ne pouvait être concluante pourd'autres specta- teurs, et elle n'a point égaré le jugement des
hommes
vraimentcompé-
tents. Le doyen de la critique, qui tient la
plume
avec tant d'autorité après avoirmaniélepinceau,M. Delécluze,a publiéalors son opinion àce sujet.Nul n'ignore, sipeu expert qu'il soit, que les tons acquièrent leur valeur en raison de leur voisinage; que
du
bleu, posé à côté d'un ton violet, peutparaître blanc.Comme
la musique, lapeinture a son liarmo- nie, et nouscroyons que nul dilettante nepourraitapprécier le génie de Rossini, sion nelui avait fait entendreGuillmime Tellqu'enintroduisant ennombre
égal, au milieu de l'orchestredel'Opéra,desmusiciens jouantun
autre air.Nousle déclarons entoute sincérité,sinous ne pouvions jugerRubens que par plusieurs des tableaux de cette Galerie tels qu'ils sont aujour- d'hui, il cesserait d'être pour nous un des plus grands coloristes. C'est
que pourêtre coloriste il ne suffitpoint de couvrirune toile de couleurs éclatantes, mais de savoir les fondre par des demi-teintes et de faire qu'elles s'accordent entre elles.
Ce que nous venonsde dire, nous ne le croyons point seulement d'un tableau, mais aussi d'un musée.
On
n'a, en effet, que trop senti la dis- cordance qui existaitentrelespeintures nouvellementrestauréesetcellesque leur vernis protégeait encore a
comme
une lame de cristal. »Après lepeintre flamand vint le tour des grands maîtres italiens. Il
semblaitquela main des restaurateurs, nettoyant de proche en proche, voulait allerjusqu'au fond de la galerie.
Des
noms
telsqueceux deCima
da Conegliano,GentileRellini, Titien, etRaphaël lui-même, n'ontpoint désarmé lamain
des restaurateurs, et n'ont pointfait naîtrechezceux-ci la pensée si naturelle de se mettre à10
RESTAURATION
l'abri de tout reproche, en seretranchant derrière la décision des maî- tresdel'art contemporain.
Ici, malheureusement, les changementsont été plus grandsencore, etils sontplusfaciles àconstater. Qui osera dire qu'on a n'abîme pas un
(c tableau demaître aussi facilement qu'on le pense généralement? Ceci,
(( dit M. Villot, peut paraître surprenant, mais c'estexact. » Qui pourra affirmerque «lesoeuvres anciennes desbelles époquessont robustes, con-
(( struites àl'aide de procédés excellents, éprouvés, et qu'il faut beau-
« coup de maladressepour attaquer
même
leur épidémie? »Nous
trouvons, en effet, l'assertion étrange. S'il faut une telle mala- dressepour attaquermême
l'épiderme d'un tableau, qu'on nousdisedonc ce quis'estpassépourl'Adoration des Bergers,dePalma
Vecchio?Sont-ce là les fraîches couleurs, telles qu'elles sortirentde lapalette de l'artiste?Est-ce l'effet
du
vernis qui a affadi et sali tout à la fois ces visages, ôté toute chaleur à cette peinture?En
face de cette toile ainsi restaurée, nous ne pouvons que laisser le public juge de l'état d'un des meil- leurs tableaux qu'aitproduitsl'undes plus noblesémulesdu
Titien,Et le tableau placé en face n'est-il point changé aussi? Autant est terne
V
Adorationdes Bergers, dePalma
Vecchio, autant brille d'un éclat discordant la Vierge en Gloire, deCima
da Conegliano. Quels sont donc cesmoyens
si merveilleux qui peuvent opérer des cures si diverses?Sont-ils le résultat de « trente années employéesà copierles maîtres, à
« rechercherleursprocédés, à analyserleurs couleurs, leurspréparations,
« leurs vernis? » Certes, tant d'études ont
dû
d donner quelque expé-u rience,»et nouscroyonsdereste ((que leConservateur se seraitopposé
(i àtoute tentative dont l'issue eût semblé seulement douteuse. »
Est-ce bien là ce peintre, habituellementsiharmonieux? Est-ce
Cima
da Conegliano qui a peint ce ciel de porcelaine avec ces nuages blancs sans modelé, tel que nul artiste quelque peu habile n'en a jamaispu
peindre? Mais peut-être nous trompons-nous, car on'ne pourrait, a sans« beaucoup de maladresse, attaquer l'épiderme deces œuvresconstruites
(( à l'aide de procédés excellents,... et lesrestaurateurs
du
Louvre sont<i aussi habiles que pleins de prudenceetde patience. »
DES TABLEAUX
DU'LOUVRE.
11Cependant, pourquoiles lettres de l'inscription n'ont-elles point toute leur netteté, toute leur vivacité? Et pourquoi dans le corps de l'Enfant Jésus distingue-t-on simalheureusement les dessous, que les peintres vénitiens, élèves
du
Cellin, poussaient fort loin, se réservant seulement, pourl'achèvementdu
tableau,les frottis et les glacis légers?Passons outre, et entrons danslegrand salon carré, où ne brillent
que des chefs-d'œuvre, et où, dit-on, nous trouverons des Raphaëls.
Quel est donc ce tableau qui, dans le fond, attire invinciblement nos regards parses bleus d'outremer si violents, ce tableau qui, au milieu des chefs-d'œuvrequi l'entourent, produità nos yeux l'eflet que produi- raient à nos oreilles les sons d'une trompe marine, mêlés aux chœurs suaves à'Ar?nide ou
^Orphée? Eh
quoi! c'est là une œuvrede Raphaël, c'est là le Saint Michel dont nous aimions tant, autrefois, à admirer la force pleine de calme aveclaquelle il triomphe si aisément de Satan, malgré les efforts convulsifsdu démon
? Lamême
main qui a sipuissamment modelé la tête et les bras de l'archange aurait dessiné les formes sans consistance dece Satan devenu incapable deporter le
poids
du
ministre de Dieu?M. Yillot nous assure cependant que, dans aucun cas, ou n'a eu recours à des retouches pour
masquer
les parties déflorées, et qu'on a effacé celles« qui ne servent qu'àmasquer
des parties usées depuis« longtemps, «préférant al'ombre d'un grand
homme,
toujoursplusvéné-« rable que les tristes réalités qu'on tentera de lui substituer. » Mais a-t-on donc ajouté, ou a-t-on laissé subsister des repeints? L'hésitation est permise, en examinantlesterrains etsurtoutlamain droite deSatan, qui jamais n'a
pu
être tracée ainsi par Raphaël, toujours si fin, si mer- veilleusementprécisdansle dessin de ses extrémités. La draperie légère, etdont on croirait entendrelefroissement dans les airs à gauche, re-tombe
à droite, pesante avec des contours lourdementarrondis. Si dansles détails, dans lafermeté de la silhouette des figures, le tableau a
pu
être modifié,voyons s'ilretrouvequelques-uns des charmesdelacouleur qu'il avaitlorsque Raphaël letermina.
Mous le disons à regret, il nous paraît que ce tableau, vu de loin
12
RESTAURATION
dans son ensemble, ne produit quel'effet d'un concert dans lequel les instruments joueraient faux. Qu'on se retourne, en effet, et qu'on consi- dère la Sainte Famillede François P' qui a conservé la
gamme
destons danslaquelleétait autrefoisle Saint Michel.Cependant,nous ne
sommes
u point de ceux qui s'habituent insensi-« bleraentaux plus grands excès etauxquelsles
moyens
les plusviolents« finissent par paraître les seuls naturels... Nous ne
sommes
point de« ceux qui n'estiment lestableaux quelorsqu'ils ne ressemblent plus à ce
« qu'ilsétaienten sortantdesmains del'artiste. »
Nous
savonsadmirerles toiles des peintres modernes, bien que le temps et le vernisneles aient pas teintesd'une « couleur uniforme, » bonne seulement «à déguiserun
« ton primitivement affreux, » et nous ne « feronspas provisiondeverres
« teintés pourvoirles tableaux précisément
comme
nousles désirons, en« privantd'autres personnes deles voir
comme
ilssont. »Mais nousle déclaronshautement:nous
sommes
de ceux quipréfèrent((lamonotonie <> de couleur du Saint Etienneijrêchanl à Jérusalem de Carpaccio, oude la Vierge
du
Bellin, aux tons deporcelainedu Gima
da Conegliano, «l'harmonie sale etmonochrome
»du
Loth fuyantSodome
à ladiscordance des tons delaNaissance^ou de l'EducationdeMarie
Médicis, de Rubens; de ceux qui préfèrent enfin lasombre harmonie dela Sainte Familledu
François I" aux bleusdu
Saint Michel qui détonnent d'une manière siétrange, nelaissantplus voir quele ciel et le fragmentde dra- perieJ)leue quicouvrel'épaulede l'archange.(( Rien n'estplus facile que dese soustraire aux attaques.
Une
ou deux((couches de vernis coloré, et lemaître sera sibien momifié qu'on n'y
« verra plus rien. « Quelvernis jusqu'ici a
pu
rendre, àlasuitedu
SaintBruno
deLesueur, l'harmoniede son tableau des Trois Muses, hla Charité d'André del Sarte, la chaleurde sa Sainte Famille, à la Vierge au voile de Raphaël, l'attrait virginal de sa Belle Jardinière?Maisle maln'est pas sigrand, nousrépondra-t-on peut-être. Il existe une réunion
d'hommes
éclairés, auxquels les chefs-d'œuvre des siècles passés sont aussi chers au moinsqu'à vous,etceshommes
nesesontpointémus
!—
iln'en est rien. L'Institut, depuislongtemps inquietde cespré-DES TABLEAUX DU LOUVRE.
13 tenduesrestaurations, aétéprofondémentattristé par celledu
tableau de Raphaël.Ilya environ deux semaines, si nous
sommes
bien informé, l'Acadé- mie des Beaux-Arts invita lesmembres
de la section de peinture à se rendre isolément au Louvre pourapprécier ce qui s'y était fait. Peu de jours après, tous, ou à peuprès tous, étaient de nouveau réunis. Il fut décidé qu'on feraitun
rapport. La semaine suivante, dit-on, la section depeinture entendit la lecturedu
rapport. Mais à qui serait envoyé ce rapport? L'on ne s'accorda pas d'abord sur ce point, et l'on se sépara en ajournantla décision, lorsque dans l'intervalleparut au Moniteur une note pour calmer les inquiétudes nées de sentiments que la Direction générale des musées respecte, déclarant qu'à lavenir aucune restau- ration ne serait entreprise sans l'avis jjréalable d'une commission composée de la section depeinture de VInstitut. Cette résolution futapprouvée par le ministre d'État et de la Maison de l'Empereur, afin d'ajouter de nouvelles garanties
pour
laconservation de nos précieuses collections.Mais cettenotecontenait aussi de grands éloges sur les restaurations déjà faites, bien qu'elles aient inspiré les plus vives craintes à l'Aca- démie.
On
pourrait croire que M. Villot pense satisfaire le goûtdu
public en décriant ces vernis bons seulement pour u les indifi'érentes gri-(( sailles de ceux qui n'attachent aucun prix à la couleur, et qui seuls
« peuvent y gagner, mais dont on doit préserver,
comme
d'une rouille« funeste, les amis dessplendeurs delanature. »
Erreur dontnous devons êtredésabusé par lui-même. « Faut-il, en
aeffet, se
demande
M. \illot,nenettoyer les tableaux quelorsqu'ils ont« été enlevés ou rentoilés? »
(c C'est ici quelesopinions diffèrent radicalement. Les uns aiment,
«par habitude, la couche bistrée répandue sur leur surface; les autres
« conviennent bien qu'ilseraitbon delà faire disparaître;mais,persuadés
« que toutnettoyagealtèreplus ou moinsl'œuvre
du
maître,votent obsti-«
némenfpour
l'abstention. Bref, la majorité est hostile au nettoyage.1/j
RESTAURATION
«
Quand
je dis est hostile,j'exagère un peu; était hostile seraitplusjuste,« car le nettoyage des
Rubens
a opéré grandnombre
dç conversions,«
même
parmi les plus fanatiques partisansdu
jaune etdu
brun. » Ainsi donc, M. Villotn'ignore point quela majorité deshommes
corn-.
pétents se seraient opposésaux restaurations. Mais, selonlui,al'éducation
((
du
public etdes artistes est à faire. Ils ne connaissent pasles maîtres,(( etleurdésappointement,
quand
on les leur montre, se traduiten cri-ce tiqueplusou moinsamère. 11 vaudrait mieux,je crois, réfléchir etpro-
« fiter... D'ailleurs, aussi bien en restauration qu'en médecine, lapana-
(( céeestune chimère; chaque tableau exige
un
traitementparticulier, et((je
me
bornerai àdire que lepublic,les artistes, lesamateurs, n'ontrien« à voir dans ces manipulationsoù l'on
met
en œuvre, suivant les cas,« depuis l'eau purejusqu'àl'eau seconde, depuis lecure-dent jusqu'au
(c rasoir.
On
ne doitexiger qu'unechose: c'estqueletableau soitnettoyé« convenablement; c'est que l'on n'ait faitquele strict nécessaire; c'est,
(( en un mot, que le maîtresoitrespecté.
On
n'ajamais exigé qu'unmé-
(( decin guérît un malade sans lui rien administrer; il est libre de lui
(( prescrire
du
tilleul ou de la morphine, en ne prenant conseil que de« son expérience. » Le médecin a ce droit peut-être, mais le malade, ou tout au moins ceux qui l'entourent, sont maîtres de repousser ses remèdes.
Ilfaut nous le tenir pour dit, le public, lesamateurs et les artistes,
y compris
même
l'Institut, ne connaissent etne saventpointadmirerlesgrandsmaîtres des sièclespassés, jusqu'à ce que notre éducation ait été faitepar M. Villot. Mais sinousignoronsles grandsmaîtres, nous savons ceque nousaimons, et nous ne voulons point attendre patiemment que
l'on nous ait restauré tous les chefs-d'œuvre; chefs-d'œuvre que nous admirons, suivant le goût consacré par les siècles et chez toutes les nationscivilisées.
Que
penserait-on du
gérant d'une grande administration qui vien- drait dire àses chefsouà ses commettants :Vous ne vous entendez point à gérer votre fortune; vous ne savez point en jouir; seul désormaisje vousindiquerai ce que vousdevez faire;caranevaut-ilpas mieux affron-DES TABLEAUX DU LOUVRE.
15« ter de vaines déclamations et marcher droit à son but, sans espoir de
« récompensepour tantde travaux et d'efforts? Certes, il estplus doux,
« plus facile de ne rien faire; mais celaest-iltoujoursplus honnête?»
Un
tel langage paraîtrait assez inusité, et il est à croire qu'on y ré- pondrait, pour le moins :— De
grâce! pas tant de zèle.PARIS.
—
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c. 1 Gallchon,EmileLoul
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