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Ce que le Covid fait aux libertés

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REVUE MÉDICALE SUISSE

WWW.REVMED.CH 2 juin 2021

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BLOC-NOTES

Ce que le Covid fait aux libertés

e grand thème des complotistes, des scandalisés des politiques de santé pu- blique, de ceux qui se pensent rebelles, s’estiment vivre aux marges, hors du troupeau (et de l’immunité du même nom), c’est celui de la liberté. « La loi Covid-19 met fin à nos libertés » titre un tout-ménage des « Amis de la Constitution ». « Liberté ! Liberté ! » scandent les manifestants contre cette loi. D’individus libres que nous sommes encore, estime tout ce monde, nous pourrions devenir des automates, des zombies, de ridicules naïfs acceptant de croire ce roman de domination qui raconte que le Covid est une grave pandémie.

Charrié par la logorrhée pandémique, un objet philosophique s’est échoué sur les berges dévastées du discours des valeurs : la liberté.

Elle est devenue, pour certains, le fétiche d’une pseudo-révolte. Des groupes bulliformes d’opinion ont prospéré, haranguant les poli- tiques et les foules avec de gros mots à faire peur : dictature, totalitarisme, nazisme.

À ces groupes, il faut reconnaître une vertu. Ils obligent toute la société à la réflexion.

Impossible de se défiler : il faut penser. Et immense s’avère la difficulté. La notion de liberté semble évidente. Elle est en réalité la plus complexe et la plus fuyante de celles qui font des humains ce qu’ils prétendent être. Elle constitue leur structure mentale, tout en en dérivant. Elle fonde leur moi, leur responsabilité, produit du sens, ou plutôt permet qu’un sens puisse advenir.

Mais en même temps, elle représente un projet complexe, facilement manipulable, capable de justifier des idéologies grossières. Le droit de porter des armes rend-il les individus plus libres, comme l’estime la Constitution américaine qui en fait un droit fondamental ? D’une manière générale, être libre, est-ce ne pas avoir de contraintes ou d’interdits ? On peut répondre que nul ne vit isolé, et que la vie en commun impose un immense dispositif de choses qui se font et ne se font pas. En même temps, c’est vrai, être libre suppose de se manifester comme une entité indépendante : de désirer, de viser des buts, de faire des projets. Sauf que tout cela s’organise dans un libre arbitre non pas magiquement forclos en lui-même, mais façonné par une éducation, une culture, influencé par un système médiatique, manipulé par quantité de stratégies marketing auxquelles la moder- nité a donné un pouvoir inédit.

Le mythe contemporain de l’autonomie autosuffisante reste puissant. On continue à croire à l’homme augmenté qui, à partir de lui-même, sans comptes à rendre, surplombe le reste du monde. Sauf que, sous les coups de la pandémie, ce bricolage civilisationnel a commencé à se déglinguer. Les surprises du virus – son apparition, sa diffusion, ses mutations – ont mis hors de lui et de ses libertés l’homme qui s’imaginait vivre en autarcie. Plus largement, c’est le projet global de domination et sa forte- resse d’autosatisfaction qui se trouvent mis à mal. Alors qu’il était vu comme un problème à résoudre, le non-humain s’est manifesté à la manière d’une altérité à respecter. On peut même dire que le virus du Covid, ainsi que la nature et les lois du vivant se sont révélés comme étant en nous – et influençant nos libertés – sous forme d’« altérités intrinsèques » selon la formule de Jean-Luc Nancy. Notre identité d’humains elle-même n’est pas autosuffisante : voilà le message pandémique. Les altérités multiples du monde nous tissent. Il n’existe pas de totale liberté-autonomie.

Certes la liberté, au-delà de l’autocentrement, c’est aussi la capacité de s’opposer – par exemple à l’inhumain – ou de s’imposer, en décidant des valeurs capables de faire sens. Et parmi ces valeurs, il y a la convivialité, la rencontre, l’amour-amitié, bien sûr, ou encore la justice.

Or le confinement, ou l’obligation du port du masque, ont mordu sur ces libertés-valeurs. Et le certificat sanitaire, quelle que soit sa confi- guration, interfère aussi avec elles. Il existe donc une forme de concurrence de libertés.

La santé, que visent ces mesures, n’est pas directement une liberté. Mais elle en est une condition fondamentale. Il suffit de regarder la courte histoire du Covid. Les pays qui, prenant prétexte de la liberté (et de l’économie), ont rechigné à prendre des mesures contraignantes contre la pandémie n’ont pas offert davantage de liberté à l’ensemble de leurs citoyens. La maladie a flambé, la peur d’une partie de la population a atteint un haut niveau, les per- sonnes vulnérables sont tombées malades en grand nombre. Et tout cela, avec un niveau d’activité économique et de fonctionnement de la société plus affecté que dans les pays qui ont agi. L’espace de liberté des citoyens, celui où se déploie leurs degrés de liberté concrète, a été davantage affecté que dans les autres pays. On est moins libre dans la maladie, la sienne ou celle de proches, dans l’angoisse de tomber malade, ou dans la détresse écono- mique. On est moins libre dans un pays dévasté par une pandémie non maîtrisée, au système de santé effondré et à la population tétanisée.

La liberté de déplacement ou d’assister à un

spectacle ou de manger dans un restaurant ne l’emporte pas sur toutes les autres. La véritable liberté se déploie au sein de valeurs. Comment justifier que les réactions aux petites limitations de nos libertés d’allées et venues ou de se pro- mener le visage à l’air soient bien plus vives, chez nous, que celles liées aux profondes inégalités en matière de protection sanitaire et sociales ? Que dire de l’abandon des pays pauvres par les riches ? Rien n’atteint plus profondément les libertés fondamentales que les inégalités.

Et le certificat médical ? S’il limite la liberté de ceux qui n’en veulent pas – qui surtout ne veulent pas du vaccin ou des tests – en même temps il redonne des libertés à ceux qui sont vaccinés ou qui acceptent de se tester. Libertés contre libertés : l’éthique n’a pas d’argument pour trancher. La question est démocratique, relève d’un choix de société. Sauf qu’il ne serait pas éthique de refuser le certificat et de faire comme si le virus était maîtrisé : car là, ce serait la liberté vitale des vulnérables qui serait atteinte.

Quant à la question du contrôle de masse qu’institue ce certificat, elle s’insère dans une société de surveillance déjà présente. Nous sommes manipulés, surveillés, contraints de manière massive, intrusive. Le monde du big data représente le symptôme d’un changement de civilisation, ou au moins de la fin de quelque chose sans que l’on soit capable de dessiner exactement dans quoi nous entrons. Aussi grave tout cela soit-il, le certificat n’y représente qu’un épiphénomène.

Le Covid n’est pas un événement à part, qui nous détournerait provisoirement de notre vieille liberté, qui viendrait bousculer notre relation au « tout est possible » pour un temps seulement. Il représente au contraire le début d’un radical changement. Il pose des questions urgentes non seulement en termes sanitaires, mais concernant le vivre ensemble à l’intérieur d’un monde qui se dessine autrement – monde à la fois écologiquement dégradé et bousculé technologiquement – où la liberté se dessine en nouveaux termes. Dans les écosystèmes vivants dont nous faisons partie, quelles seront les possibilités futures de diversité, de résistance à la standardisation ? Là sont les termes majeurs de la liberté du futur.

Ni les manifestations ni les mouvements sociaux ou politiques en faveur d’une liberté- autonomie ne nous sauveront de ce qui est : du monde qui est le nôtre. Dans le réalisme, où se mêlent révolte et création, imagination et vie de l’esprit, se noue la véritable liberté.

L

Bertrand Kiefer

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