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Jacques Kévin. La carte glissée. Jean-Jacques Pauvert

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Academic year: 2022

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LA CARTE GLISSÉE

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Jacques Kévin

L a

carte glissée

Jean-Jacques Pauvert

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© Société nouvelle des éditions Jean-Jacques Pauvert, 1978.

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Ce matin-là, le vaguemestre de l'im- meuble de verre et d'acier du P.C.F., place du Colonel Fabien, qui chaque jour collectait le courrier du Comité Central, remarqua dans le paquet de lettres et d'imprimés qu'il venait de recevoir des mains du facteur (un camarade, qui s'arrêtait quelquefois pour boire un verre de blanc sec) une enveloppe à en- tête de l'Elysée. Sur le moment, il n'y prêta pas une attention particulière, car il pouvait s'agir d'une de ces informa- tions de routine que le cabinet prési- dentiel diffusait régulièrement auprès des organisations politiques. De toute façon, le Parti avait depuis longtemps déjà une assise nationale assez considé- rable pour que l'Elysée pût voir en lui un interlocuteur possible : peut-être s'agissait-il d'une ultime offensive du Président de la République pour relancer le dialogue avec l'opposition malgré les

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échéances électorales. Une invitation, une proposition de rencontre ?

Le vaguemestre retourna l'enveloppe deux ou trois fois entre ses doigts, per- plexe, intrigué. Puis il alluma une ciga- rette et réfléchit. C'était tout de même peut-être plus important qu'il ne pensait et sans doute valait-il mieux remettre cette lettre le plus vite possible à son destinataire, avant de procéder au tri habituel du courrier. Il lut plus attenti- vement l'adresse inscrite : le destinataire était le Secrétaire général lui-même. La frappe de la machine était à la fois très simple et très nette, quasi parfaite. L'en- veloppe, allongée, très sobre, avec l'en- tête imprimé en caractères discrètement en relief, d'un noir luisant, avait une indiscutable élégance : elle n'était en outre ni froissée ni écornée comme si on avait pris d'elle un soin particulier, lui avait évité les manipulations du hasard postal. Le vaguemestre la retourna en- core une ou deux fois. Puis il décrocha son téléphone, et composa un numéro de poste. Il entendit la tonalité plusieurs secondes dans l'appareil (ce qui le conduisit à regarder sa montre avec l'expression inquiète de ceux qui consta- tent qu'il est encore trop tôt pour espé- rer trouver les secrétaires à leur bureau) puis finalement on répondit. C'était une voix de femme, bien timbrée, agréable.

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Le vaguemestre s'adressa à la personne qui parlait en l'appelant Line, et après quelques brèves plaisanteries sur sa len- teur à réagir (était-elle mal réveillée ? avait-elle fait des folies cette nuit ?) lui fit part de ses préoccupations. Ne valait- il pas mieux qu'il « monte » cette lettre tout de suite ? Line dit oui.

L'immeuble commençait à s'animer.

Des voitures arrivaient, amenant divers responsables, des collaborateurs du Co- mité Central, des secrétaires de fédéra- tions, de députés, qui lançaient un signe cordial de la main à travers la portière et dont on reconnaissait les visages fami- liers. Chaque fois, la barrière mobile de l'entrée se soulevait pour leur laisser le passage. L'édifice d'Oscar Niemeyer avait ce matin-là, sous le premier soleil du printemps, une allure moins sévère, moins fortifiée que d'habitude. Tout semblait s'alléger sous la lumière : les grands blocs de béton paraissaient moins comptacts, les grandes surfaces vitrées scintillaient, les armatures miroi- taient. Le vaguemestre se dirigea vers les ascenseurs, la précieuse lettre à la main.

Il tirait sur sa cigarette, d'un air un peu distant, distrait, songeur. Il rencontra au passage deux ou trois camarades qu'il salua machinalement. Mais les couloirs étaient encore déserts. Quand il arriva au cinquième étage, il eut le sentiment

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d'une animation plus vive, comme si déjà les responsabilités de la journée commençaient à être distribuées. Des dactylos brossaient leur clavier. Line agrafait des feuillets. Il lui remit la lettre. Elle la regarda avec hésitation, la retourna elle aussi dans ses doigts. Je vais la porter tout de suite à Emile, dit- elle, tandis que le vaguemestre s'éloi- gnait. Emile assurait la coordination du Secrétariat général. Il préparait le tra- vail d'une équipe de collaborateurs avec l'efficacité d'un chef de cabinet. Une car- rure de garde du corps, des yeux de titi parisien. Il prit la lettre, la soupesa, puis s'emparant d'un coupe-papier l'ouvrit d'un geste net. Line attendait, debout devant le bureau, Emile lisait. Non, dit-il d'une voix éclatante, comme pris d'un accès de colère, c'est pas vrai ! Ils nous prennent pour qui ici ? Ils ne se rendent pas compte que nous avons à faire du travail sérieux ! (il avait une manière de dire sérieux qui semblait em- pruntée au Secrétaire général lui- même). Ils pensent que ce genre d'hu- mour nous fait rire ! On pouvait croire qu'il allait rageusement rouler la lettre en boule et la jeter dans la corbeille à papier. Mais il la tenait maintenant, lar- gement déployée devant ses yeux, les tempes plissées. Qu'est-ce que c'est ? demanda Line. Il répondit : un genre de

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plaisanterie que nous n'apprécions pas beaucoup, regarde toi-même. Et il lui tendit la lettre. Line la lut. Elle parais- sait signée du Président de la Républi- que. Celui-ci demandait son adhésion au Parti Communiste Français.

Elle relut, plusieurs fois. Puis elle mit sa main devant sa bouche comme pour réprimer un hoquet ou un éclat de rire.

— Qui a fait ça ? demanda-t-elle.

— Comment veux-tu que je le sache ? répondit Emile, un farceur, un imbécile quelconque.

— C'est bien imité, dit Line en regar- dant la lettre plus attentivement.

Elle la plaçait dans la clarté d'un des rayons du soleil matinal qui frappait la haute vitre, à droite du bureau, à tra- vers laquelle la vue plongeait sur des arbres, des autos, Paris qui bougeait en bas. Elle remarqua : c'est du vrai papier de l'Elysée, il a dû être volé. Emile haussa les épaules, se remit à son tra- vail, il était en train de dépouiller les journaux du matin, de cocher des lignes au crayon rouge. Line ajouta : la signa- ture aussi est bien imitée. Puis, elle

s'éloigna, emportant la lettre.

Au bout d'un moment, elle revint.

Emile avait le téléphone à l'oreille. Il discutait au sujet d'un problème de ma- tériel : une brochure que l'imprimeur ne livrait pas assez vite et dont on avait

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besoin d'urgence, pour sa première dif- fusion lors de la Fête de la Fédération de l'Oise. Elle attendit qu'il eût terminé sa communication. Elle lui mit sous les yeux un document. La photocopie d'un message électoral de la dernière cam- pagne présidentielle qui portait, en fac similé, la signature du Président. Elle était parfaitement identique à celle de la lettre. Emile pouvait comparer. Il compara et haussa de nouveau les épau- les. La signature du Président était pu- blique, connue de tout le monde, il n'y avait aucune difficulté à la reproduire, il existait toutes sortes de procédés très perfectionnés pour cela. Il y en a qui ont du temps à perdre ! dit-il en lançant la lettre sur son bureau. Line la prit, la regarda attentivement de nouveau, compara encore une fois. — Et si c'était vrai ? dit-elle.

Emile la considéra d'un air presque douloureux, avec dans le regard, la commisération qu'on réserverait à un malade mental.

— Bien, dit-il, laisse-moi travailler.

Elle partit, laissant la lettre sur le bureau. Emile n'y pensa plus et continua à cocher ses journaux. Puis les affaires de la journée l'absorbèrent une à une et peu à peu il se laissa gagner par l'in- tense fièvre de travail qui régnait autour de lui, quotidiennement.

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Le Secrétaire général ne devait arriver qu'à midi. Il avait prononcé la veille un important discours en province, dans une des municipalités ouvrières de la zone de l'étang de Berre, à propos des divergences qui s'aggravaient entre le Parti et les Socialistes sur l'actualisa- tion du Programme Commun, il avait passé la nuit là-bas, et il devait rentrer en fin de matinée par avion. Son chauf- feur et sa voiture étaient partis l'atten- dre à Orly. Quand il arriva, l'air bous- culé, l'expression un peu crispée, une serviette bourrée à la main, il était visi- ble que le moment n'était pas très favo- rable pour l'aborder. Il y avait pourtant des affaires urgentes et des documents à signer. Emile les lui présenta, attira son attention sur deux ou trois points à régler d'urgence, lui communiqua quel- ques informations importantes. Le Secrétaire général demanda la presse, voulut voir s'il y avait déjà des échos de son intervention de la veille. Emile lui indiqua ce qu'il avait coché, souligné.

A son avis, on avait dû escamoter la par- tie la plus intéressante du discours. On ne retenait que des affirmations vagues, générales, une « tonalité » qu'on disait agressive, les citations paraissaient tron- quées, bizarrement présentées, les points

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précis vraiment importants n'apparais- saient pas. Il ajouta que cela n'était pas nouveau et n'avait pas de quoi sur- prendre. Puis il posa sur le bureau quel- ques notes, quelques messages, et notam- ment la lettre de l'Elysée, qu'il lui parais- sait finalement préférable de montrer.

Le Secrétaire général la lut d'abord distraitement. Mais très vite, ses yeux s'agrandirent, ses sourcils se haussèrent, et un énorme éclat de rire découvrit ses dents blanches.

— Qu'est-ce que c'est que ça ? dit-il, en regardant Emile avec insistance, comme s'il lui demandait personnelle- ment des comptes.

— Je n'en sais rien, absolument rien, une farce d'un goût douteux.

— Qui a apporté cette lettre ?

— Le facteur.

— Ce n'est pas croyable qu'on se per- mette de nous traiter ainsi, il y a des limites à la provocation ! — Bof !

— Je considère que, farce ou pas, cette lettre est une provocation, j'en parlerai au Bureau Politique.

Emile essaya de détendre l'atmosphère en rappelant qu'il y avait des affaires plus sérieuses à traiter et en suggérant de mettre la lettre au panier. Mais visi- blement le Secrétaire général n'était pas d'humeur ce matin à prendre les choses

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Tout homme a son secret, et chaque écrivain garde dans ses tiroirs un texte qu'il juge impossible à publier sous son nom, pour une raison ou pour une autre.

Alors ? Faudrait-il vraiment toujours attendre cinquante ans, comme on le fait généralement, pour imprimer des livres qui concerneront peut-être moins des générations futures que la nôtre ?

Il suffit peut-être de créer pour les accueillir, dans une maison qui a fait ses preuves à cet égard, une collection où l'anonymat de l'auteur soit rigoureusement préservé.

Bien entendu, la collection Pseudo ne publiera, sous des noms inconnus, que des auteurs connus.

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Keywords: anthropology, didactic, active learning, joint action, praxeology, reference sources, ecological opening of classes. École Doctorale ED 356 Cognition

* Le premier chapitre présente un résumé des principes de la nouvelle gestion publique, ainsi que de son évolution dans les deux pays étudiés. Il s’ensuit un cadre