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La thérapie par la parole et la pensée La psychothérapie d’inspiration psychanalytique : une nécessité clinique

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Approche psychanalytique d'un syndrome autistique : l'histoire de Claire

G. CABASSU-CRESPIN Psychanalyste-Fondation Pré-Aut

l s'agira, à partir d'un certain nombre de passages de la cure de Claire, petite fille de 2 ans, ayant présenté un syndrome autistique sévère, de voir comment une approche psychanalytique de l'émer- gence du psychisme peut venir en aide à ce type d'enfant.

Après un bref rappel des éléments d'anamnèse et de l'histoire du syn- drome, nous reprendrons pas à pas l'évolution de Claire au fil des séances pendant la première année de sa cure. Ainsi, nous pourrons observer comment l'évitement initial du regard s'estompe, et analyser la mise en place du rapport spéculaire: apparition des conduites d'imi- tation, émergence de manifestations de jalousie envers la petite sœur, et enfin, au niveau du graphisme, ébauche du bonhomme.

Du mutisme initial complet, entrecoupé seulement de trépignements et de cris, Claire va évoluer d'abord vers la mise en place d'un « son sans voix », puis d'une mélopée ininterrompue: on dirait que Claire « ron- ronne ». Progressivement, des vocalises, suivies de phonèmes de la langue font leur apparition: tout comme dans le champ du spéculaire, Claire advient dans le champ de l'invocation.

Nous évoquerons également le travail accompli auprès des parents, ainsi que des enseignants qui ont accepté de prendre Claire dans leur classe: l'évolution d'une symptomatologie aussi sévère dépend autant des efforts de la cure proprement dite que de l'alliance thérapeutique établie avec les parents et les équipes d'accueil et d'accompagnement.

Notre démarche tentera ainsi de répondre à l'une des questions que se posent souvent les professionnels confrontés à ce type d'enfants: quels repères, quel fil conducteur pour orienter la prise en charge des syn- dromes autistiques, alors qu'il ne s'agit pas de trancher entre telle ou telle hypothèse étiologique?

Les quelques extraits qui seront évoqués ici appartiennent à une cure toujours en cours.

L'histoire de Claire

Je vais évoquer un certain nombre de passages de la cure de Claire, petite fille de 2 ans, ayant présenté un syndrome autistique sévère, et tenterai de montrer comment une approche psychanalytique de l'émer- gence du psychisme, peut venir en aide à ce type d'enfant.

I

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Eléments d'anamnèse

Claire est une petite fille de 2 ans et 8 mois lorsqu'elle nous est ame- née par sa maman. Lors de notre première rencontre, elle parcourt minutieusement l'espace de mon bureau, très affairée, touche à tout, déménage les meubles, sans un regard, sans un son, sans donner le moindre indice de remarquer ni ma présence ni celle de sa mère.

Lorsqu'elle n'arrive pas à faire quelque chose, elle pleurniche et tré- pigne pour l'obtenir.

D'après les dires de la mère, elle émettrait quelques syllabes: « pa pa pa », ou encore « man man man ». Mais ces syllabes, malgré leur proximité aux mots, ne constitueraient pas un appel, et seraient lancés

« en circuit fermé », c'est-à-dire, sans adresse et sans en attendre une quelconque réponse. En ma présence, pendant la séance, elle est mu- tique.

Claire a fait un arrêt de croissance intra-utérin inexpliqué. Hormis cet incident, l'état de santé de Claire depuis sa naissance a été globalement bon.

La mère, sage-femme de profession, se sentait très envahie par les contraintes habituelles de son travail: gardes, appels en urgence pen- dant la nuit, et elle évoque avec difficulté la fin de sa grossesse et les premiers mois de Claire, où elle n'avait pas le sentiment de pouvoir se consacrer à sa fille comme elle le souhaitait.

Elle se voit contrainte de reprendre son travail, et la confie à une nour- rice « avec qui ça se passe mal ». Changée de nourrice vers un an, Claire s'améliore un peu, jusqu'à ce que la mère prenne un congé pa- rental.

Lorsque j'interroge la maman sur ce qui l'inquiète chez sa fille, elle me répondra: « lorsque, à deux ans, elle ne prononçait toujours pas un mot ».

Et le père, qu'en pense-t-il ? Le père pense que ça s'arrangera, mais compte-tenu de l'inquiétude de la maman, accepte la consultation.

Cette mère, étant de la partie, me tenait un langage très « savant » sur l'état de Claire. Je lui ai donc demandé son « idée de maman » sur ce qui arrivait à sa fille, à quoi elle me répondra: « c'est ma reprise de travail ». Et là, elle sera envahie par un grand désarroi, et elle ajoutera:

« dès que je me suis arrêtée de travailler, elle a repris son évolution ».

Ensuite, elle évoquera le décès d'un grand'oncle, très proche et impor- tant pour elle, pour se rendre à l'enterrement duquel, elle a dû confier Claire à la garde de ses grands parents.

Je lui fais remarquer que dans les deux cas, il semblerait qu'elle ait l'impression, en tant que maman, qu'elle a manqué à sa fille, et que cela lui est intolérable. La mère fond en larmes en acquiesçant.

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Une des constatations extrêmement fréquentes dans les anamnèses d'enfants autistes que nous connaissons, consiste en cette idée que la mère a, dans l'après-coup, d'avoir été absente de la relation, même si une telle absence n'était pas physique. Et la plupart du temps il n'y a pas de séparation au sens matériel du terme, mais seulement une forme d'absence de la relation, pour les causes les plus diverses. Dans le cas de Claire, on peut constater que cette mère se trouve dans la difficulté de devoir faire face à deux types de « deuil »: un deuil réel, la perte du grand'oncle, et un deuil « symbolique »: l'impossibilité d'être la mère entièrement consacrée à son bébé qu'elle a rêvé d'être.

Ceci soulève une question intéressante: en effet, nombre de jeunes mères se trouvent confrontées à ce type d'expériences subjectives sans que pour autant leur bébé présente des troubles autistiques. Nous ne saurions donc pas attribuer au dire de la mère de Claire la valeur d'une hypothèse étiologique, mais seulement poser que cet énoncé traduirait la difficulté réellement rencontrée par la mère de Claire dans ses échanges avec elle. .

Il me semble important de souligner ici que ceci correspond à ce que j'ai par ailleurs appelé l'« état de sidération »11 caractéristique que semblent éprouver les mères d'enfants ayant présenté un syndrome autistique, sous la forme de cette apparente incapacité à utiliser dans les échanges avec eux leurs compétences habituelles.

Ces états de sidération semblent correspondre à des catastrophes sub- jectives, à la suite desquelles la spirale interactive semble ne pas se mettre en place, ou ne plus fonctionner. Ces catastrophes subjectives peuvent avoir été déclenchées par des facteurs venant de l'enfant (seuil de réceptivité du bébé trop différent de celui de la mère, incidents périnataux empêchant l'investissement du bébé), soit venant du parent (état dépressif, deuils impossibles, inscription du bébé dans la filiation impossible), soit venant encore de l'environnement (séparations néo- natales).

Ces états de sidération sont particulièrement dignes d'intérêt car ils semblent souvent réversibles si un accompagnement approprié est proposé assez tôt. Ainsi, des mères tout à fait compétentes pour d'autres enfants de la fratrie, perdent toutes leurs capacités mater-

11 CABASSU-CRESPIN, G., La clinique précoce: introduction aux mises en place psychiques précoces, texte inédit présenté au Colloque International sur La Communi- cation: prise en charge psychologique et orthophonique, Alger, 20-21 Mai 2000, dans le cadre de l'Atelier pathologie de la relation mère/enfant: prévention et prise en charge.

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nantes face à cet enfant-là, comme si elles se trouvaient dans cet état de sidération qui les empêche de fonctionner.

Au cours de la cure de ce type d'enfants, ainsi que nous le verrons pour la maman de Claire, elles peuvent témoigner de leur difficulté à fonctionner « comme avec les autres », et n'y parviennent que si elles sont correctement soutenues par le thérapeute. Inversement, le bébé est confronté à l'expérience que ses émissions vers l'environnement : cris, agitation, ébauches de regard et d'émissions sonores, ne sont pas reçus comme des messages.

Cette sorte de destitution réciproque semble caractéristique du pro- cessus autistique. Elle s'installe dans la circularité des échanges et peu importe, semble-t-il, de quel côté se trouvait la difficulté initiale, de l'enfant ou du parent. C'est précisément à cette articulation que nous entendons intervenir.

Le déroulement de la cure

A la suite de cette première rencontre, et au cours des premières se- maines du traitement, Claire va faire rapidement des progrès: d'après la mère, à la maison apparaissent quelques vocalises, et elle croise de temps en temps son regard. Mais elle est toujours mutique, et sans regard en séance.

Je demande alors à rencontrer le père, et en sa présence, Claire - c'est la première fois que j'entendrai le son de sa voix - fait « mm mm »; je lui rétorque: Claire dit « maman », et Claire, l'espace d'une seconde, me fusille du regard!

Il est intéressant de remarquer ici que probablement la présence de son père, en tant qu'il soutient la fonction paternelle, c'est-à-dire ce qui sépare un enfant de sa mère, au sens psychique du terme, permet à Claire de produire un premier objet dont elle se sépare: sa vocalise, et le fait que je m'en empare, en en faisant un mot, déclenche le regard.

1- Première rencontre avec l'univers du langage : le Grand Autre A sa première séance seule, Claire vient sans difficulté. Chez un en- fant autiste, ceci n'est pas à comprendre forcément comme un progrès:

en effet, cela peut traduire l'absence de rapport à l'Autre plutôt que le fait d'être capable de s'en séparer.

Elle fonce droit vers les crayons, et produit, après les traces de ba- layage correspondant au premier stade du graphisme (cf. I du 17.9.98), quelques traits que je compte et nomme pour elle: « un trait! », « deux traits! », et ainsi de suite. (cf. III du 17.9.98). Ainsi je m'interpose et me constitue l'adresse de son dessin, signifiant ainsi à Claire que je vois ce qu'elle fait et que cela compte pour moi: en effet, une des difficultés de l'enfant autiste est d'avoir fait l'expérience que sa pro- duction tombait dans un vide signifiant, qu'elle ne se retrouvait pas

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reprise par l'Autre, happée dans un univers de significations, où elle lui permettait d'embrayer sur les échanges.

Au cours des séances de cette période, lorsque Claire rencontre une difficulté-par exemple, un jouet qu'elle convoite et ne peut atteindre-, elle essaye de me « faire faire ». Ce type de comportement, caractéris- tique des enfants autistes, consiste à se servir des capacités supérieures de l'adulte - sa force, sa taille - comme d'un outil, sans égards ni de- mande à la personne concernée, un peu à la façon dont nous nous ai- dons d'une clé anglaise, pour dégripper un robinet.

Lorsqu'elle me propose ce type d'échanges, je résiste, en lui disant que je ne comprends pas ce qu'elle veut, - ce qui bien entendu n'est pas exact -, et que, de ce fait, j'ai besoin qu'elle me demande ce qu'elle veut. Quand je la confronte à la difficulté de devoir m'adresser une demande, Claire abandonne aussitôt, sans un son ni un regard, comme le ferait quelqu'un qui se heurte à un mur, et essaye à nouveau toute seule. Si elle échoue à nouveau, elle abandonne tout à fait.

Mon insistance, car interminablement je la confronterai à devoir me demander ce qu'elle souhaite pour l'obtenir, est destinée à interférer dans le rapport qu'elle a au monde des personnes et des choses, comme si tout appartenait à la catégorie des objets inanimés.

Dans les séances qui suivent, Claire semble devenir sensible à ma présence silencieuse, mais attentive, à ses côtés. Un jour, mon télé- phone sonne pendant la séance, et pendant que je réponds, Claire met la pièce à sac, saisie d'une véritable fureur, renverse les jouets et les chaises, mais sans un seul regard, ni un seul son. Quand je raccroche, je viens vers elle et lui dis à quel point je suis contente, car même s'il ne faut pas tout renverser comme ça, cela prouve qu'elle n'aime pas que je fasse autre chose, et qu'elle préfère quand je m'occupe d'elle.

Dès la séance suivante, apparaissent des conduites d'imitation : une comptine avec les doigts, qu'elle rythme si je la chante. Parallèlement, à la maison, apparaissent des comportements de jalousie envers sa petite sœur de 15 mois, vis-à-vis de laquelle, elle ne manifestait, aupa- ravant, aucun intérêt. Claire veut son biberon, mange moins bien en sa présence, et exige de sa mère qu'elle la fasse manger, alors qu'elle

« se débrouillait très bien toute seule ».

La capacité à s'exprimer par le corps - somatisations diverses - ou par des comportements - refus de manger, par exemple -, si fréquente chez les enfants bien portants, semble absente chez les enfants qui présen- tent des syndromes autistiques. Les enfants autistes sont, de ce point de vue-là, d'une résistance remarquable, comme si, libéré de devoir servir de support au langage, leur corps pouvait, de ce fait, parfaite- ment fonctionner.

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Ainsi, il importait d'aider la mère de Claire, à voir dans cette apparente régression, un progrès symbolique, et l'aider, ainsi, à supporter le sur- croît de travail qu'elle représente pour elle. Car, de la sorte, Claire aborde un monde qui commence à se peupler, et sa petite soeur appa- raît, à l'instar de mon coup de téléphone, comme un rival dans la place que, désormais, elle occupe dans l'attention de l'adulte.

2- Le Fort-Da

Claire est scolarisée depuis quelques mois chez les petits de la mater- nelle de son quartier. Quand sa mère la laissait à l'école, Claire ne manifestait rien, mais il lui arrivait de faire pipi sur elle au moment où sa mère partait. Je dis à la mère que le pipi vient à la place des pleurs, que c'est lui qui sert à Claire pour manifester son désarroi de la voir partir. Et en m'adressant à Claire, je lui dis qu'elle peut pleurer, si elle est triste, quand maman s'en va. Dans les semaines suivantes, le pipi a disparu, et, d'après les dires de la mère, Claire se manifeste davantage quand elle vient à l'école, par exemple en courant à sa rencontre quand elle la voit arriver.

Dans les séances de cette période, Claire s'intéresse aux ciseaux, qu'elle s'applique à vouloir manier. Elle prend des feuilles de papier, et, avec mon aide, elle fait des « franges » tout autour. Un jour, un morceau se prélève, et tombe à terre, Claire semble désemparée. Je le ramasse, et lui propose de le recoller avec un bout de scotch, et le jeu prend aussitôt une allure jubilatoire: je pense au Fort-Da.

Freud en effet, dans son observation devenue célèbre, nous a appris à penser ces jeux répétitifs des enfants à faire apparaître et disparaître un objet comme un support d'élaboration psychique de l'absence, comme un véritable travail symbolique. Et, en effet, parallèlement à cette acti- vité en séance, Claire va se mettre à se manifester, par rapport à la présence ou absence de sa mère.

3- L'ébauche de la parole: la pulsion invocante

Claire rit maintenant, je l'entends quand elle arrive avec sa mère dans les escaliers, ou quand elle patiente, dans la salle d'attente. Mais, en séance, elle est toujours mutique, même si elle est beaucoup plus pré- sente dans la relation.

Lorsqu'elle dessine, je pris l'habitude de saluer ses réalisations par des

« aaahhh! » sans voix, une modalité d'exprimer ma jubilation, dont je n'avais pas vraiment conscience, jusqu'à ce que Claire la reprenne à son compte, et me renvoie des « aaahhh! en retour.

Au cours de cette période, ces « aaahhh! » sans voix constitueront le support essentiel de nos échanges, pendant des séances entières. Il me semble important de souligner, ici, que cet échange jubilatoire, qui entérine notre existence pour l'Autre, en amont de toute parole parlée,

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et même en amont de la voix en tant qu'objet de la pulsion, semble constituer l'essence de l'invocation.

Il est, en effet, fréquent que les enfants autistes, en cours de démutisa- tion, se mettent à prononcer leurs premiers mots en les susurrant, en se servant uniquement de leur souffle, sans voix. Tout se passe comme si cette vérification de la présence de l'Autre, était nécessaire comme préalable à la libidinisation de la voix, objet de la pulsion invocante.

Un jour, toujours voulant atteindre un jouet hors de sa portée sur une étagère à hauteur, et se heurtant à ma sempiternelle exigence de me demander ce qu'elle veut, Claire essaie de m'escalader, comme elle l'aurait fait d'un escabeau. Ce faisant, elle tend ses bras vers moi et je la prends, en lui disant que je comprends, à son geste, qu'elle veut des câlins.

Je fais, dans cette réponse, une erreur volontaire d'interprétation, car je sais très bien que Claire convoite un jouet, et pas du tout mes bras.

Devant cette impasse, Claire se détourne, veut retourner par terre et émet un bruit sourd, qui vient du fond de sa gorge: « ah ah ah! ». Ce sera la première fois que j'entendrai la voix de Claire pour exprimer quelque chose, qui est du registre d'un affect : ce « ah ah ah! » porte à la fois déception et colère, et aussi plainte, comme si elle se disait, plus qu'elle ne me disait, « ah ah ah, il va falloir se résigner à dire! ».

Nous avons, en effet, de bonnes raisons de penser que l'entrée dans le langage, pour tout sujet, implique une perte de jouissance. Quelque chose de la toute puissance originaire, du rapport direct à la chose, se trouve amputé, du fait de devoir transiter par le langage.

Les enfants bien portants, qui apprennent apparemment à parler sans peine, ne nous laissent guère la possibilité d'observer ce difficile pas- sage: il ne nous en reste comme preuve, si je puis m'exprimer ainsi, que le goût des humains pour la poésie et la musique, c'est-à-dire des façons de dire ... ce que les mots ne peuvent dire.

Claire avait beaucoup inquiété sa maîtresse à la rentrée de Septembre, car elle la trouvait très dispersée, courant partout, sans regarder, et complètement « coupée » du groupe. Mais, depuis quelque temps, l'institutrice dit à la mère de Claire qu'elle progresse « en flèche », et qu'elle est même l'enfant qui a le plus progressé depuis la rentrée des classes : elle se plie aux consignes, regarde davantage, se tient aux activités, et commence à faire les gestes des chansons.

Dès la Toussaint, Claire commence à émettre des sons: « aaah eeuuh ououou », dans une mélopée continue qui contient déjà la musique de la langue. Claire rit à gorge déployée et dit « é é é » en faisant « oui » de la tête.

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La mère raconte que pour la première fois, Claire a dit verbalement et à bon escient, « non non non », tout en refusant de donner des feuilles cueillies lors d'une promenade. Elle me raconte aussi, en cherchant mon approbation, qu'elle pense que Claire a dit « maman », car elle a dit « man man man ».

Ce qu'on peut remarquer ici, c'est que, par rapport à l'état de sidéra- tion initial, la mère de Claire a pu entrer dans l'illusion anticipatrice dont nous parle Freud, qui permet aux mères d'anticiper les acquisi- tions qui ne sont pas encore là, et ce faisant, faire en sorte qu'elles adviennent. C'est ce dont Winnicott parle dans la « préoccupation maternelle primaire », qu'il assimile à une sorte de « folie » des mères, capables de voir ce qui n'est pas encore là.

A partir de la mi-Novembre, j'entends la voix de Claire constamment, comme un fond sonore de contentement : on dirait que Claire « ron- ronne ». Et lorsque je dis « ronds, ronds, ronds! » quand elle dessine des boucles, elle rit à gorge déployée (cf. 1 du 17.12.98).

Claire croise presque mon regard, en faisant une tangente.

4- Le petit autre et le miroir

Vers la mi-décembre, alors que le rond fermé apparaît dans son gra- phisme, tout en se différenciant des points et des traits, Claire pour la première fois, explore la caisse à jouets à sa disposition dans la pièce, et en extrait un petit personnage, avec lequel elle « joue à la poupée ».

Elle s'asseoit, l'asseoit à ses côtés, puis le fait s'asseoir en face d'elle, sur l'autre petite chaise d'enfant.

Je lui dis: « OUI! Le bonhomme et Claire! » et Claire jubile en poin- tant sa poitrine de ses deux mains.

Il me semble pouvoir dire que cette séance témoigne de la mise en place de l'image spéculaire, doublement présentifiée par le rond fermé dans le graphisme et par le jeu identificatoire avec le bonhomme (cf. 2 du 17.12.98).

Dans les séances qui suivent, le rond fermé évoluera rapidement vers un soleil, qui préfigure, déjà, la présence des membres, (cf. 2 du 7.1.99), pour aboutir à l'ébauche du « bonhomme têtard », première représentation de la figure humaine, témoin, dans le graphisme, de la mise en place de l'image du corps (cf. 1 du 18.2.99).

En guise de conclusion

Avant de conclure, je voudrais dire quelques mots sur le travail ac- compli autour de la cure de Claire. Le soutien aux parents est constant : ainsi, l'évitement du regard n'est définitivement disparu, que le jour où, recevant son père, celui-ci a pu me demander si « j'étais bien sûre qu'il n'y avait rien de physiologique dans le problème de Claire », et

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que je puisse lui répondre qu'il pouvait demander des examens com- plémentaires à son médecin traitant, si cela le rassurait.

A la fin de chaque séance, un temps d'échange est réservé à la mère, de façon à ce qu'elle puisse me donner des nouvelles, ou me poser des questions, et que réciproquement, je puisse, à mon tour, lui restituer, devant Claire, le travail accompli.

Un travail constant est également nécessaire auprès de l'institutrice, qui a accepté Claire dans sa classe : à un moment donné, elle s'inquié- tait de ce que Claire « fut très collée à elle »: je lui fis dire, par la mère, que Claire était en train de passer d'une « relation fonction- nelle », type clé anglaise, à une « relation affective » à quelqu'un, et que cela était donc positif, malgré le désagrément qu'un tel comporte- ment présentait dans la classe dans l'immédiat.

Depuis ces mises en place fondamentales, l'évolution de Claire, dont la cure est toujours en cours, est positive.

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