• Aucun résultat trouvé

FIGURES SUD-AMÉRICAINES

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "FIGURES SUD-AMÉRICAINES"

Copied!
22
0
0

Texte intégral

(1)
(2)

FIGURES SUD-AMÉRICAINES

(3)

DU MEME AUTEUR

L'Ombre du Cloître, de Manuel Galvez, traduit de l'espagnol (Albin Michel, Collection des Maîtres de la Littérature étrangère).

Adolescence tropicale, d'Enéas Ferraz, traduit du portugais (Albin Michel, id.).

Le Diamant au Brésil, de Joaquim Felicio dos Santos, tra- duit du portugais (Société d'éditions Les Belles Lettres).

Le Mulâtre, d'Aluizio Azevedo, traduit du portugais (Société d'éditions Les Belles Lettres).

EN COLLABORATION AVEC PHILEAS LEBESGUE Le Feredjé, de Paul Arcas (épuisé).

Macambira, de Coelho Netto, traduit du portugais (L'Edi- tion française illustrée).

Les Vieux, de Coelho Netto (Les Œuvres Libres).

Janna et Joël, de Xavier Marques, traduit du portugais (Col- lection Aurore, Librairie Gédalge).

A PARAITRE

Vierge Créole, roman du Chaco, de Gilberto Beccari.

Monsieur le Locataire, d'Enéas Ferraz.

La République 3000, de Menotti del Picchia.

(4)

COLLECTION ESSAIS ET CRITIQUE"

DIRECTEUR: LÉON BOCQUET

MANOEL GAHISTO

FIGURES

SUD - AMÉRICAINES

PARIS

ALBERT MESSEIN, ÉDITEUR 19, Quai Saint-Michel, 19

1933

(5)

IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE : dix exemplaires de luxe sur papier vergé d'Arches

numérotés de 1 à 10 EXEMPLAIRE N°

(6)

A LA MÉMOIRE DE JEANNE DÉTÉ GAHISTO, CE LIVRE ÉLABORÉ A SON CHEVET

Novembre 1931 -Décembre 1932

(7)
(8)

PREFACE

Ces temps derniers, plusieurs ouvrages importants ont été consacrés chez nous aux écrivains de l'Amérique du Sud, de l'Amérique où l'on parle et l'on écrit l'espagnol du moins. M. Max Daireaux, romancier vigoureux et coloré de La Clota, a établi un inventaire aussi complet que possible des hommes et des œuvres, un commentaire sobre et net des livres et des tendances dans Littérature Hispano-Amé- ricaine (Kra, 1930). M. Francisco Contreras, qui suit depuis vingt ans le mouvement des idées dans toute l'Amérique espagnole et qui note à mesure les phases de son évolution en ses chroniques substantielles du Mercure de France, a présenté tous les écrivains contemporains marquants de ces pays dans plusieurs livres : Les Ecrivains contemporains de l'Amérique espagnole (La Renaissance du Livre, 1920) et L'Esprit de l'Amérique espagnole (La Nouvelle Revue Cri- tique, 1931). La littérature brésilienne, qui est de langue portugaise, n'a pas bénéficié d'un effort de vulgarisation aussi méthodique, mais, à défaut, elle a été présentée au lecteur français par des traductions assez diverses et bien représentatives. De plus, une revue mensuelle strictement consacrée à ces questions, la Revue de l'Amérique Latine, qui atteint sa douzième année d'existence, a inséré dans ses collections des études originales, chroniques, documents et traductions qui embrassent tout le continent et, par le nom- bre de ses collaborateurs, par la variété de leur apport, a démontré la richesse du domaine offert de ce côté aux cu- rieux et aux chercheurs d'imprévus et de nouveautés. Si vaste est ce domaine qu'une maison d'éditions, Le Livre libre, a pu se développer même aux côtés de la revue.

Une fois l'orientation donnée dans la florissante produc- tion littéraire de l'Amérique du Sud, les œuvres classées par genres, les valeurs comparées, les grands courants d'idées analysés, il ne reste plus à étudier que des points de détail.

On n'a pas eu d'autre ambition dans ces Figures sud-amé- ricaines. Elles ne constituent que des exemples sans lien entre eux. Elles essaient de replacer dans leur atmosphère quelques personnalités attrayantes, de justifier leur effort, de suivre l'aventure de leur carrière, de gagner à elles l'at-

tention ou la sympathie du lecteur.

(9)
(10)

FIGURES SUD AMÉRICAINES

ACTRICE ET POÈTE ROMANTIQUE AU BRÉSIL

Quand on représenta pour la première fois la Da- lila, d'Octave Feuillet, au théâtre Santa Isabella, à Recife (Pernambouc), en 1863, il y avait parmi les spectateurs, paraît-il, un jeune étudiant en droit âgé de seize ans, nommé Antonio de Castro Alves, que ce spectacle agita profondément. La pièce de l'auteur de Monsieur de Camors, dont la première représentation à Paris ne remontait qu'au 29 mai 1857, était bien faite pour émouvoir cet adolescent précoce, lecteur enthousiaste de Victor Hugo, Mus- set, Byron, dont il se trouvait même le traducteur assidu, et déjà fêté par ses camarades pour la faci- lité avec laquelle il composait des vers. Elle a pour grand premier rôle un poète et musicien, Roswein, qui se montre indécis, au soir d'un glorieux début, entre... le vice et la vertu, entre les joies paisibles du foyer que créerait avec lui Marthe, fille sage de son professeur de contrepoint, et les imprévus d'une existence plus aventureuse, dans lesquels il espère trouver une inspiration toujours vibrante, couron- née de bonheurs toujours renaissants. A ce carrefour de son destin, il essaie la seconde voie. Il porte ses hommages inexpérimentés à la belle Léonora de Fal-

(11)

conieri, brillante et rouée, qui ne refuse pas l'au- baine, et ne manque pas de stimuler les velléités ga- lantes de ce novice dès la première escarmouche.

Ainsi, le ton de leur dialogue se hausse au niveau des plus sonores exaltations romantiques :

« Ah ! Monsieur Roswein, j'ai grande envie de vous mortifier un peu ! Vous êtes un poète, l'amour est votre science officielle en quelque sorte, je suis bien tentée de vous prouver qu'une pauvre femme, simplement parce qu'elle est femme et parce qu'elle a une âme, peut s'y connaître mieux que vous. Ainsi, vous aimez... Qui ? je l'ignore... et vous aussi, je crois... mais enfin, vous aimez... et vous tremblez, et vous avez peur... peur de la souffrance, de la honte, du remords, que sais-je ? peur de tout ! Eh bien ! moi, Monsieur, si j'avais aimé jamais, si une pas- sion véritable était jamais entrée, non dans ma tête, comme un vain rêve de poète, mais dans mon cœur et dans le sang de mes veines... je vous atteste que je n'aurais plus eu peur de rien !... j'aurais été cou- pable, peut-être, mais certainement je n'aurais pas été lâche !

— Madame ! (proteste l'artiste).

— Oui, j'aurais bravement regardé le spectre les yeux dans les yeux, et je me serais abandonnée sans faiblesse, sans hypocrisie, sans réserve, à sa mortelle étreinte !... »

Une telle tirade, bien sentie par son interprète, je- tait comme un défi à cet auditeur dont le cœur se gonflait d'ambitions pareilles à celles de Roswein.

Mais où chercher une Falconieri ?

L'actrice qui tenait ce rôle obtenait un beau suc- cès personnel. Elle avait vingt-six ans, et s'appelait

(12)

Eugenia Camara. Si elle n'était pas d'une beauté éclatante dans l'immobilité, elle était animée, gra- cieuse, avec un magnétisme dans le regard qui dé- cidait en sa faveur. Ainsi que le directeur de la troupe, Furtado Coelho, elle était Portugaise, avec un accent qui le disait bien au public brésilien. Cette compagnie dramatique, venue de Lisbonne en 1858, avait eu du succès, à Rio de Janeiro, puis dans tou- tes les grandes villes où elle avait séjourné ensuite, à Santos en 1860, à Sao-Paulo en 1861, à Santa-Ca- tarina, puis à Recife.

Quelques jours plus tard, pendant un entr'acte, Castro Alves parut sur la scène et lut un poème de sa composition dans lequel il complimentait Furtado Coelho. Ce n'était pas une manifestation déplacée, surtout de la part d'un poète connu, et le public brésilien de ce temps-là applaudissait volontiers ce- lui qui se faisait ainsi l'interprète des sentiments de tous. La série de ses représentations achevée, Fur- tado Coelho emmena sa troupe dans le Nord de l'Empire de dom Pedro II, ne laissant derrière lui que le souvenir de son passage. Et pourtant, aux vacances de 1864, à Bahia, dans sa famille, on trou- va dans les bagages de l'étudiant le portrait de la

« Dalila » en allée, ce qui ne manqua pas de cau- ser quelque souci à ses parents. S'était-il fait re- marquer si vite de l'actrice, et l'impression qu'il en avait reçu était-elle si profonde ? La Falconieri de Feuillet use le génie de l'imprudent Roswein, Feuil- let ne pouvait conclure autrement. Le jeune homme data de cette même année un poème intitulé Dalila, qui paraîtrait inspiré par l'actrice, tout autant que par le rôle dans lequel elle avait brillé, avec une

(13)

épigraphe tirée du Paradis perdu : Fair defect of nature. Le poète se demande s'il a été conduit par le malheur ou par la folie à réclamer la sève de vie et l'amour au froid d'une statue dont l'albâtre est maculé de boue :

Qui sait?... ce fut un rêve!... Dans la nuit embrumée, Elle passait, seule, dolente,

Agitée par ses sanglots...

Elle pleurait, — aucun écho ne répondait.

Elle souriait, — la tempête hurlait Et elle allait toujours.

Je lui dis : « Tu as froid? mon âme est brûlante.

— Tes pieds saignent ? — Tu peux en paix Dormir dans mes bras,

Colombe errante, — ma poitrine est un nid.

Etoile, — voici mon âme, — immense lac Où mirer ton visage !

Et nous nous aimâmes... Cet amour fut un délire Elle fut ma foi, elle fut mon lys, Mon étoile sans voile.

Son nom était mon chant de poésie Qu'avec le soleil — plume d'or — j'écrivais

Sur le feuillet du ciel.

...Je l'enivrai de mes chants,

J'oubliai son passé... je lavai de mes pleurs Sa boue et sa malédiction...

Mais un jour je m'éveillai... Et sitôt Je regardai près de moi... Tout désert... Désert aussi mon cœur...

(14)

Et il conclut en dissimulant l'amertume de son dé- pit sous une ample apostrophe : Va-t-en, Dalila ! Poursuis longtemps ton chemin qui mène à la mai- son publique. Aujourd'hui, les fleurs, la musique et le Champagne ! Festin de Babylone ! Je ne te mau- dis pas ! Je n'ai pu éveiller la froide statue. Va de- mander à Dieu, folle Dalila, la lumière de la ré- demption ! !...

C'était bien le ton que pouvait prendre en de telles circonstances, un garçon de son âge, parlant d'une femme moins jeune que lui, et qui avait passé devant son horizon sans arriver à la portée de sa main, pour ne plus reparaître. Mirages de la scène et feux de paille de l'adolescence !

Dès cette année 1864, quoi qu'il en soit, Antonio Castro Alves négligeait décidément le Droit pour se consacrer à la Poésie. Il assistait bien aux cours, mais dessinait, ou cherchait des rimes pendant l'ex- posé du professeur. A Bahia, où il avait passé les an nées de collège, où il avait remporté ses premiers succès précoces, les traditions classiques régnaient encore. Par contre, Recife voyait alors s'ouvrir une période d'effervescence et d'émulation littéraires.

« De l'Académie (l'Université), écrit M. Xavier Mar- ques, compatriote du poète et, aujourd'hui, son bio- graphe attentif (1), l'agitation irradiait vers la presse, les salons, le théâtre. » Plus âgé de huit an- nées que Castro Alves, un autre étudiant menait le front, Tobias Barreto, qui devait par la suite se faire un nom comme critique et comme philosophe, vul- garisateur de la pensée allemande. Les travaux des

(1) Vida de Castro Alves, édition de l'Annuario do Brasil.

(15)

uns et des autres se lisaient dans 0 Futuro (l'Ave- nir). Castro Alves paie l'inévitable tribut aux in- fluences déprimantes du premier romantisme, celui de Byron ou de Musset, mais il bénéficie de la mise au point qui s'est accomplie entre ce dernier et Feuillet, il fait sa Bible de Victor Hugo, de Hugo seconde manière, l'admire, le traduit, ce qui le porte à s'évader des contagieux exemples de la bohème artiste, de son laisser-aller inesthétique. Il garde sa noblesse native, une dignité discrète et souriante, et il entrevoit des projets de longue haleine. Tobias Barreto, esprit plus réaliste, n'évite pas toujours la locution vulgaire et les images sans envolée. Tous deux ne peuvent sympathiser profondément. En 1866, les deux émules deviennent des rivaux, Tobias Barreto étant pris de jalousie devant les succès de son cadet.

Or, vers le même temps, la compagnie dramatique portugaise reparaît à Recife, vient y donner une nouvelle série de représentations. Les hostilités vont se corser de ce fait entre les deux poètes.

On ne peut entrevoir toute la belle animation de

cette jeunesse studieuse, toute l'ampleur de l'épreuve

dans laquelle s'engageaient les deux adversaires, si

l'on ne se rappelle la place que le théâtre tenait alors

dans la vie publique de ces grandes villes du Bré-

sil. M. Afranio Peixoto, auteur de plusieurs études

très approfondies sur Castro Alves, nous l'a révélée

en termes caractéristiques. « C'était en ce temps-là,

écrit-il, la distraction par excellence. La société, dé-

fiante, exigeante, fermée, ne pratiquait guère les ré-

ceptions ouvertes. On choisissait ses relations, on

s'ennuyait en famille ou dans la compagnie d'amis

(16)

respectables. Dans la classe moyenne, tous ceux qui avaient du goût, tous ceux qui désiraient paraître, allaient chercher au théâtre les plaisirs de l'esprit, les épreuves de l'élégance, et ils attendaient du spec- tacle lui-même, les émotions qui rapprochent tous les assistants dans une communauté latente de sen- timents, qui suscitent l'accord des bravos spontanés, qui permettent d'échanger des regards complices, de se passionner, de se parler. Il n'y avait alors ni dan- cings, ni salons de thé, ni cinémas, ni plages à la mode, aucune autre occasion de satisfaire ces be- soins très humains. Le théâtre devait remplacer tout cela pour la jeunesse comme pour les gens d'âge mûr » (1 ). Castro Alves allait donc au théâtre comme tout le monde, ses curiosités et ses ambitions d'artiste y puisant toutefois un aliment plus complexe. On le voit applaudir Furtado Coelho, Joaquim Augusto, Eugenia Camara, Adelaïde d'Amaral, Isménia dos Santos, comme ses camarades, puis bientôt faire une cour plus suivie à la Dalila de la saison précédente.

Pendant son séjour dans le Nord, Eugenia Camara avait fait réimprimer les poèmes de sa jeunesse, Se- gredos d'Alma, — Secrets d'une Ame, — dont la première édition avait été faite au Portugal, ce qui la distinguait certainement aux yeux du jeune homme. On note qu'elle y avait joint à ses propres compositions un certain nombre de poèmes dont lui avaient fait hommage, sur sa route, des écrivains du temps, et que rien du jeune étudiant bahianais ne figure dans cette guirlande. On se console aisément

(1) Castro Alves, le Poète et le Poème, Aillaud et Bertrand, éditeurs, 1922.

(17)

à son âge de ne pas compter dans les annales de la veille, le temps est un grand maître d'avenir. D'ail- leurs, un amant empressé, Verissimo Chaves, avait quitté Para pour la suivre, un voyageur de commer- ce qui ne faisait pas de vers. Pour l'amour de l'art, dans ces conditions, Castro Alves se fit son thurifé- raire, tandis que Tobias Barreto, naturellement, se

prononçait pour Adelaïde d'Amaral.

Dans tout le Brésil, il arrivait couramment que le public se divisât en deux partis au cours d'une sai- son théâtrale, ses admirations allant à l'une ou à l'autre des interprètes, selon la façon dont elles dé- fendaient les rôles, les thèses, les caractères du ré- pertoire. Les deux rivaux en poésie, ici suivis par l'attention générale, ne parlaient pas seulement pour eux-mêmes, mais pour l'opinion publique. C'étaient les luttes de l'agora transposées hors du plan de la politique. Tous deux poussèrent loin l'agressivité.

Un soir, pendant un entr'acte, Tobias Barreto se leva, frappa des mains pour obtenir le silence et commença :

Je suis Grec, petit et fort, De la force du cœur, De Socrate j'ai vu la mort, J'ai conversé avec Platon ; Je suis Grec, j'aime les fleurs, Les parfums, les joyeuses rumeurs ; Mais mon âme garde encor la foi, Mes instincts, quelque mesure,

Je ne songe pas, je ne vais pas me griser Aux banquets de Phryné...

(18)

Toute la salle chercha des yeux celui qui était si nettement visé par cet impromptu, car, on le savait, les soirées de succès étaient suivies parfois de sou- pers bruyants et joyeux, où jeunes gens enthousias- tes et jeunes femmes sensibles prolongeaient les dé- bats ouverts sur la scène, discutaient, rivalisaient d'esprit et d'entrain. Castro Alves, s'avisant sur l'ins- tant même qu'Adelaïde d'Amaral, dont Tobias Bar- reto se faisait le champion, était mariée à l'un des acteurs de la troupe, improvisa une réplique du même goût qui amenait ces deux vers impitoya- bles :

Je suis Hébreu, je ne baise pas les pieds De l'épouse de Putiphar...

Ce soir-là, Castro Alves sortit du théâtre comme un triomphateur, et ses amis lui offrirent un souper plein de gaieté, dont son rival dût être le témoin morose d'une autre table de la même salle.

La presse accueillit largement, désormais, les ma- nifestations de ces polémiques, qui durèrent jusque septembre 1866. Elles n'empêchèrent point Castro Alves de passer brillamment ses examens de fin d'an- née, ce qui ne lui était pas toujours arrivé. Il avait donc le beau rôle partout. Ce n'était plus un collé- gien, d'ailleurs. Il avait dix-neuf ans, était devenu un beau garçon, « grand, fort, svelte, le teint légè- rement bistré, la physionomie ouverte, les yeux noirs ombragés d'épais sourcils, le nez droit, la lèvre sensuelle sous un duvet arrogant, la bouche jolie, le menton volontaire, et, sur la tête hardie, une abon- dante et longue chevelure dont il connaissait le pou- voir de séduction. » Sa voix chaude, au registre de

(19)

baryton, au timbre grave, mâle et mélodieuse, s'ac- cordait au geste et à l'attitude quand il dominait les foules, entraînées par les vibrations du bronze de ses strophes. Si les hommes ne lui ménageaient pas leurs applaudissements, comment les femmes au- raient-elles pu les lui refuser ? « Il apparaissait dans une loge, correctement vêtu, une fleur à la bouton- nière. Accueilli par des bravos, il prenait son temps, essuyait son visage pâle, d'une tonalité de marbre ancien, fixait le vide d'un regard brillant et magné- tique et déclamait d'une voix haute et pleine, mo- dulant sans fatigue, naturel et facile aux transitions, suivant le sens du vers d'un geste animé, toujours sûr de lui. Quand il se retirait, des personnes des meilleures familles de la ville lui exprimaient leurs félicitations au passage. » (Xavier Marques. )

Par contre Tobias Barreto était toujours affairé, toujours fébrile, n'était jamais maître de ses nerfs.

La passion de vaincre l'emportait. Ses yeux parais- saient vouloir sortir des orbites, sa voix devenait criarde, sur son visage teinté de métissage indien, la sueur ruisselait. Sa vue emportait l'acquiescement des uns, sa conviction se faisait contagieuse, mais il déplaisait aux assistants les plus délicats, à la plus fine partie de l'auditoire. D'ailleurs, dans la vie pri- vée, autant son adversaire était affable, soucieux de représenter l'indépendance et la prééminence des Lettres, autant Tobias Barreto penchait vers l'inso- ciabilité, déconcertait par des emportements inatten- dus, par des manières inégales et par les manifesta- tions d'une indépendance quasi-sauvage. On pou- vait l'admirer, il ne se faisait pas aimer. Tel il était à Recife, en 1866, tel il devait demeurer toute sa

(20)

vie, impitoyable pour l'ignorance ou l'incompé- tence, cruel envers les médiocres, faisant parade de son savoir et de sa supériorité, irréductible dans ses habitudes et ses idées morales.

Verissimo Chaves n'était pas un Othello. Ama- teur de Lettres et plein de sympathies pour la jeu- nesse intelligente de son temps, il était de tous ces soupers joyeux en compagnie de journalistes et d'étu- diants, de poètes et d'orateurs enthousiastes pour l'actrice et la poétesse. Castro Alves avait donc tout naturellement accès dans l'entourage d'Eugenia Ca- mara, et comme d'autres, il lui adressait des vers.

En mai 1866, il écrivait Le Vol du Génie, qui figure aujourd'hui dans ses œuvres avec la dédicace : « A l'actrice Eugenia Camara. » Ce poème, dont on ne peut rendre par une traduction l'aisance harmo- nieuse et l'ardente vigueur, magnifiait l'artiste ca- pable d'entraîner les spectateurs, selon les person- nages qu'elle jouait, dans les cycles les plus divers de l'illusion, de l'idéal ou de la bassesse et de la honte : Un jour où sur terre j'errais seul, — Sur la route sombre de l'existence, — Sans roses dans les vergers de l'adolescence, — Sans lueur d'étoile dans le ciel de l' amour, — Je sentis les ailes d'un archange er- rant — Me frôler doucement le front, — Comme le cygne qui prend son essor du sein de l'eau, — Tou- che parfois la solitaire fleur.

Et je dis alors : — Qui es-tu, pâle archange, — Toi que le poète voit surgir de l'abîme ? — Etait-ce toi, par hasard, que Milton aveugle, — Entendait dans sa nuit désertée du soleil ? — Qui es-tu ? qui es-tu ? — « Je suis le Génie, — Me dit l'ange ; viens me suivre là-bas, — Je veux avec toi m'élancer dans

(21)

laissé la vie au grand tyran. En vain lui offrit-on, par la suite, un siège au Sénat, il refusa. Sa répu- gnance naturelle à remplir un autre rôle que celui de censeur et de guide le maintint toujours dans la sphère de philosophe militant, qui n'évite ni le pé- ril ni la responsabilité, mais n'aspire sincèrement qu'à une autorité supérieure d'arbitre pourvu d'im- munité. »

On ne peut écarter de tels exemples de l'étude des « figures sud-américaines » si l'on ne veut pas renoncer à les montrer dans leur cadre et dans leur milieu. Rufino Blanco Fombona ne sera peut-être jamais sénateur à Caracas et peu nous importe. Son œuvre moderne s'est écartée beaucoup plus profon- dément que d'autres des « catilinaires » locales pour

refléter de haut un moment des mœurs et des agita- tions du continent. Puissions-nous goûter comme il convient le vin de sa vigne.

6650 — Imprimerie BENOlST, 63, Rue du Château, Paris-14

(22)

Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement

sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire qui a servi à la numérisation.

Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

*

La société FeniXX diffuse cette édition numérique en vertu d’une licence confiée par la Sofia

‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒ dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.

Références

Documents relatifs

Dans cette aire des Slaves du sud, les espaces de médiation furent en fait pluriels : espaces démultipliés de certains phanariotes parcourant l’ensemble géographique

C’est le contexte dans lequel nous soignons les gens, et nos patients ajoutent à cela leur vécu et leur espoir que nous les accompagnerons sur le chemin de la santé.. Le

Fidèles à cette vision, à cette créativité et à cette volonté de s’adapter avec le temps, 58 ans plus tard, le CMFC et la médecine familiale ont

Caractères analogues ; ce sont des caractères qui se ressemblent « par hasard », ou le plus souvent parce qu’ils correspondent à une même nécessité ; exemple de l’aile

Objectif(s) : Connaître et reformuler avec ses mots la trame narrative de l’histoire.. Comprendre une histoire et la

L’accès aux archives de la revue « Nouvelles annales de mathématiques » implique l’accord avec les conditions générales d’utilisation ( http://www.numdam.org/conditions )..

En complément de ces gestes, porter un masque quand la distance d’un mètre ne peut pas être

En complément de ces gestes, porter un masque quand la distance d’un mètre ne peut pas être respectée. et en présence d’élèves pour les personnels Se