• Aucun résultat trouvé

Économie collaborative, formes d'organisations et de travail - Opportunités et risques d'un pseudo- nouveau paradigme en management

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Économie collaborative, formes d'organisations et de travail - Opportunités et risques d'un pseudo- nouveau paradigme en management"

Copied!
11
0
0

Texte intégral

(1)

HAL Id: halshs-01789622

https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01789622

Submitted on 11 May 2018

HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.

Économie collaborative, formes d’organisations et de

travail - Opportunités et risques d’un pseudo- nouveau

paradigme en management

Lise Arena

To cite this version:

Lise Arena. Économie collaborative, formes d’organisations et de travail - Opportunités et risques d’un pseudo- nouveau paradigme en management. Quelles régulations pour l’économie collaborative, 2018. �halshs-01789622�

(2)

Économie collaborative,

formes d’organisations et de travail

Opportunités et risques d’un pseudo-

nouveau paradigme en management

Lise Arena

Sciences de gestion, UCA, GREDEG, CNRS

Voie originale entre l’État et le marché et avenir de l’économie européenne pour certains, fin du salariat et industrialisation du travail gratuit pour d’autres, les nouvelles formes d’économie collaborative attirent tout autant qu’elles font peur, en signifiant l’urgence d’établir de nouvelles règles de marché. Le développement rapide — et souvent peu maîtrisé — de ces nouveaux marchés et le manque de recul face à ces nouvelles formes d’entreprises bousculent les théories existantes dans le champ de l’économie et de la gestion et suscitent de nouveaux questionnements qui méritent d’être articulés avec les avancées du droit économique dans le domaine. Dans ce contexte d’évolution récente, des changements profonds s’opèrent à la fois au niveau des structures de coordination des organisations et des pratiques de travail, en rendant notamment floue la frontière entre l’entrepreneuriat et le salariat. Ces deux thématiques sont au cœur de la discipline des sciences de gestion et peuvent difficilement se traiter sans accroître l’effort d’articulation avec le droit économique. Cet article propose de dresser un premier bilan des questions soulevées par l’économie collaborative du point de vue des organisations, en présentant les premières contributions théoriques et empiriques qui se sont attachées à y répondre ainsi qu’en formulant des premières pistes de dialogue possible avec le droit économique. En positionnant d’abord l’économie collaborative dans le champ des sciences de gestion et des études sur les organisations, ce chapitre proposera ensuite une réflexion sur les nouvelles formes de coordination organisationnelle et de structure des entreprises concernées par ces changements et sur l’évolution des pratiques de travail dans ce nouveau contexte économique et social.

I. L’économie collaborative

du point de vue des sciences de gestion

Il existe deux manières, non exclusives et tout autant compatibles, de présenter la discipline des sciences de gestion. La première, la plus fonctionnelle, consiste à définir le champ comme un ensemble de spécialités qui correspondent peu ou prou aux grandes

(3)

fonctions de l’entreprise, comme la finance, la comptabilité, la gestion de la production, la logistique, le marketing, la stratégie, la gestion des systèmes d’information et la gestion des ressources humaines. Dans une perspective comparable aux ambitions de la médecine, cet ensemble permettrait alors d’améliorer la santé globale des entreprises pour accroître leur performance, de manière soutenable. Une deuxième manière de présenter les sciences de gestion s’inscrit dans une perspective plus organique et dans la lignée des théories des organisations initiées par les travaux de James March et d’Herbert Simon dans les années 1960. Il s’agit ici de comprendre la discipline des sciences de gestion comme l’étude des organisations et la « science » de la décision stratégique. Ce chapitre s’inscrit davantage dans cette deuxième représentation disciplinaire.

Dans ce cadre, la gestion de nouvelles formes de travail, les problèmes de coordination, la production de valeur, les décisions d’entreprises et, dans une tout autre mesure, leurs modes de financement sont des sujets à la fois largement travaillés dans la littérature mais dont la forme des réflexions dépend fortement du contexte économique et des formes de capitalisme dans lesquelles elles s’insèrent. À titre d’exemple, le financement des entreprises et des projets innovants se pose aujourd’hui en cohérence avec les nouveaux enjeux des plateformes de « crowdfunding » et de « crowdsourcing », objets révélateurs de la tendance qui matérialise l’économie collaborative.

Avant d’aller plus avant dans la réflexion, il s’agit quand même de définir ici ce que nous entendons par « économie collaborative » même s’il semble difficile d’en donner une définition optimale, objective et universelle. En effet, la diffusion du concept d’économie « collaborative », « participative », du « partage », « à la demande » ou « sociale et solidaire » a depuis quelques années intégré le champ lexical des entreprises, des administrations et des consommateurs, à tel point que certains commentateurs se demandent s’il ne s’agit pas là d’une mode, un peu de la même veine que la vague déferlante de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) initiée depuis les années 2000. La difficulté de définir un terme souvent utilisé à des fins stratégiques réside dans le fait de tenir compte de l’usage du terme par un utilisateur spécifique et par l’intérêt que celui-ci peut avoir en le définissant de telle ou telle manière. Quoi qu’il en soit, les spécialistes s’accordent sur la croissance extrêmement rapide de l’économie collaborative et sa propension à continuer à se développer dans les années qui viennent. Cette propension apparaît notamment dans différentes études prospectives, comme celle, pour n’en citer qu’une, commandée par la Commission européenne et menée par le cabinet de conseil PwC (Vaughan et Daverio, 2016)1. Cette étude récente montre que

le montant global des transactions dans les cinq principaux secteurs de l’économie

1 R. Vaughan et R. Daverio, Assessing the size and presence of the collaborative economy in Europe, document

(4)

collaborative en Europe — transports, finances, hébergement, services à la personne et service aux entreprises — pourrait être multiplié par 20 en 10 ans en atteignant 570 milliards d’euros d’ici 2025, contre à peine 28 milliards d’euros aujourd’hui. Le rapport souligne que la France, aux côtés du Royaume-Uni, apparaît comme leader sur le marché de l’économie collaborative en Europe, en raison de son environnement réglementaire favorable.

S’il est donc plutôt aisé de définir les secteurs principaux de l’économie collaborative ainsi que ses tendances de développement futur, il apparaît plus difficile de définir sa spécificité et de la distinguer d’autres formes de marchés collaboratifs. Pour de nombreux commentateurs, les entreprises prétendant appartenir à cette nouvelle économie sont supposées reposer sur des principes fondamentaux que nous pouvons lister ici :

– le modèle économique de l’entreprise repose sur la valeur de biens sous-utilisés en vue de bénéfices pouvant être non monétaires ;

– l’entreprise évolue sur la base de valeurs comme la transparence et le souci de l’humain qui impacteront la stratégie de court ou de long terme ;

– les producteurs (de biens ou de services) doivent être mis en valeur et avoir un sentiment de maitrise (« empowerement » dans la littérature anglo-saxonne) dans une perspective de bien-être économique mais aussi social ;

– les consommateurs sont prêts à payer davantage pour accéder à des biens ou à des services communs plutôt qu’à les posséder ;

– l’entreprise et les services qu’elle propose se construisent dans le cadre d’un réseau décentralisé et d’un marché distribué qui crée un sentiment d’appartenance à une communauté collaborative.

Afin de mettre en œuvre ces nouvelles formes d’entreprises, le numérique, et plus spécifiquement Internet comme support de ces nouveaux modèles économiques, est une condition sine qua non à leur maintien et à leur développement.

Dans ce contexte, le danger mesuré par certains est de voir l’économie collaborative se transformer en « économie à la demande » (limitée à des plateformes qui mettent en relation acheteurs et vendeurs pour délivrer des biens et des services en temps réel ; comme par exemple, Über) ou en « économie du partage » (fondé sur la vente de biens ou de services produits directement par des acteurs individuels ; comme par exemple, Airbnb, BlaBlaCar), au sens strict. En d’autres termes, si les fondements de l’économie collaborative sont supposés puiser dans l’esprit de construction de valeurs sociales et de communs, cette nouvelle tendance économique est souvent considérée comme simple levier pour favoriser des « mouvements de libération des entreprises ». En ce sens, les

(5)

fondements initiaux de l’économie collaborative sont souvent utilisés pour justifier le besoin de nouvelles formes de management de l’entreprise, qui permettrait de réinsérer du « sens » au travail. Il suffit de lire la quatrième de couverture de certains best-sellers récents pour saisir le décalage entre l’ambition de départ et la confusion actuelle sur les principes de cette économie. Dans son ouvrage publié en 2014, Frédéric Laloux, ancien partenaire associé chez McKinsey, qui « se sent aujourd’hui appelé à vivre une vie simple, centrée sur sa famille, et en contact avec la nature » publie Reinventing Organizations, qui permet de penser le management qui semble « à bout de souffle2 ». Son livre semble

s’adresser à « ceux qui rêvent de tout plaquer, se sentant étouffer lentement dans des lieux de travail sans vie » et invite à concevoir un « nouveau modèle d’organisation, porteur de sens, d’enthousiasme et d’authenticité ». Cette vision très utopiste du travail est difficilement saisissable, voire applicable, dans la réalité comme nous pourrons le discuter dans la dernière section de ce chapitre.

Un peu dans le même esprit, nous pourrions citer ici aussi le raccourci un peu rapide qui peut être fait entre économie collaborative et « mouvement de libération des entreprises ». Dans leur ouvrage intitulé Liberté & Cie. Quand la liberté des salariés fait le bonheur des entreprises (2016), Isaac Getz et Brian Carney livrent le « secret » de la réussite

des entreprises dont la « rentabilité a explosé » après avoir été « libérées » par des « dirigeants visionnaires », qui ont su « transformer l’organisation de leur firme sur la base de la confiance et de la liberté des salariés »3. Il est alors notamment question

d’épanouissement personnel et de « design thinking ».

Comme évoqué dans cette première section, une réflexion menée sur les nouvelles formes de management liée à l’économie collaborative semble donc nécessaire et se développe dans la communauté de recherche en gestion, comme en témoignent les premiers groupes de travail affichés dans les colloques annuels de spécialité de la discipline4. Pour illustrer nos propos et en vue de les lier davantage aux avancées du

droit économique sur la question, nous axerons la réflexion qui suit sur l’analyse de

2 F. Laloux, Reinventing Organizations: A Guide to Creating Organizations Inspired by the Next Stage in Human Consciousness, Nelson Parker, Belgique, 2014.

3 I. Getz et B. Carney, Liberté & Cie. Quand la liberté des salariés fait le succès des entreprises, Flammarion,

coll. « Clés des Champs », 2016.

4 À titre d’illustration, le lecteur intéressé pourra ici se référer aux groupes de travail : « Économie

collaborative et plateformes – business models, gouvernance et dynamiques d’institutionnalisation » et « Coworkers, makers, hackers : communautés, mouvements et espaces collaboratifs », prévus à la conférence de management stratégique (AIMS 2017) ; ainsi qu’aux sessions : « Prise de décision, travail de groupe, communauté collaborative et complexité » et « Crowdsourcing, open innovation & absorptive capacity », prévus à la conférence de management des systèmes d’information (AIM 2017).

(6)

nouvelles formes de coordination organisationnelles induites par le développement de l’économie collaborative.

II. Nouvelles formes

de coordinations organisationnelles

induites par l’économie collaborative

La nature des firmes et leur forme organisationnelle ont depuis longtemps intéressé les économistes et les gestionnaires. Ces questions ont fait l’objet de débats initiés, d’un côté, en Europe, par des économistes du droit (notamment sur la base de travaux sur les coûts de transaction) et de l’autre, aux États-Unis, par des gestionnaires (notamment en lien avec le concept d’organisation scientifique du travail et d’histoire des entreprises). En effet, dans un article de 1937 publié dans Economica, Ronald Coase se posait déjà la question de l’existence des firmes, plaçant les premiers jalons d’un long débat autour des coûts de transaction — trop élevés si un offreur ne passe que par le marché — qui viendraient justifier, en les internalisant, l’existence des firmes (Coase, 1937)5. Cet

argument sera plus tard repris dans des travaux des années 1970 conduits notamment par Oliver Williamson qui tentera de comprendre si les firmes ont plutôt intérêt à « faire » ou à « faire faire » par des prestataires de service extérieurs à l’entreprise. En l’explicitant de manière un peu hâtive, l’idée de Williamson était que plus la stratégie d’une firme repose sur l’internalisation des coûts de transaction en raison, par exemple, de la spécificité de ses actifs, plus celle-ci optera pour une intégration verticale de ses services qui lui garantit une coordination administrative efficace. Dans une certaine mesure, la notion de hiérarchie constituait ainsi une forme de coordination distincte de la coordination par les prix prédominante sur le marché.

Dans un tout autre registre de pensée, aux États-Unis, les travaux de Henry Ford ont justifié dès les années 1930 des modes d’organisation scientifique du travail dans lesquels la hiérarchie est rapidement devenue une condition nécessaire à la mise en place de chaînes de production rythmée à la cadence d’activités répétitives des ouvriers de grandes usines industrielles. Pour comprendre les taux de croissance hors du commun de l’Amérique des Trente Glorieuses, les premiers travaux en histoire des entreprises ont ensuite vu le jour avec des auteurs, comme Alfred Chandler, qui sur la base de monographies de longue durée, fondées sur du travail d’archives, ont expliqué l’avantage concurrentiel de l’économie américaine sur les autres formes de capitalisme, en s’intéressant aux formes d’entreprises. L’argument fondamental était que la réussite des grandes firmes américaines d’après-guerre était due à leur passage d’une forme en U

(7)

(unitaire) à une forme en M (multidivisionnelle). Dès lors, de nouvelles formes d’organisation virent le jour, motivées par le développement rapide de l’économie japonaise des années 1980 qui reposait sur des modèles de firme beaucoup plus horizontaux, notamment en termes de coordination de leur information et des structures immatérielles de l’entreprise6.

Ces formes distinctes de firmes, qui reposent sur des mécanismes de coordination spécifiques, sont inévitablement liées aux formes de capitalisme caractérisant le pays étudié (capitalisme managérial aux États-Unis, familial en Angleterre, etc.). L’avènement de l’économie collaborative et son accélération depuis les années 2010 marquent à leur tour une nouvelle forme de capitalisme, que certains qualifieraient de capitalisme cognitif (Moulier-Boutang, 2007) propre aux développements d’une économie du savoir, de l’immatériel et facilitée par la multiplication d’effets réseau7. Dans ce contexte,

la volonté d’aller vers des structures d’entreprise de plus en plus horizontales, favorisant l’émergence de créativité, d’intelligence collective et de plus grande cohésion sociale reflète l’ambition d’accorder plus de confiance aux salariés, comme évoqué dans la première section de ce chapitre. Cette idée que le modèle collaboratif va provoquer l’éclipse du capitalisme, se construit dans un contexte actuel de stagnation économique au sein duquel la « valeur d’échange » sur le marché est petit à petit détrônée par la « valeur partageable » dans ces écosystèmes collaboratifs (Rifkin, 2016)8. Dans cette

perspective, la notion même de bien-être économique est remise en question dans la mesure où elle se mesure de moins en moins à l’accumulation de biens et de capital économique et de plus en plus à la construction de nouvelles formes de capital social.

Dans ce nouveau contexte de microproduction pair à pair, qui a pu passer à côté de la multiplication de nouveaux lieux de travail décloisonnant les entreprises et gommant les relations hiérarchiques ? On parle de « tiers-lieu », d’espaces de « coworking », de « makerspaces » ou encore de « fablabs ». Ces organisations hybrides qui ne relèvent ni de formes verticales d’entreprise, ni du marché (au sens où le conçoivent la plupart des économistes), peinent à associer une réflexion théorique aux raisons de leur existence et, ainsi, à leur profusion. Malgré tout, ces modes de gouvernance plus agiles marquent incontestablement une rupture et proposent de répondre aux changements provoqués par une nouvelle économie des services. Les nouveaux travaux de l’économie de la

6 À propos de ces modèles de firmes japonaises, le lecteur intéressé pourra se référer aux travaux de

l’économiste Masahiko Aoki.

7 Y. Moulier-Boutang, Le capitalisme cognitif. La nouvelle grande transformation, éd. Amsterdam, coll.

« Multitudes/Idées », 2007.

8 J. Rifkin, La nouvelle société du coût marginal zéro. L’Internet des objets, l’émergence des communaux collaboratifs et l’éclipse du capitalisme, Babel, 2016.

(8)

fonctionnalité s’inscrivent dans cette perspective, mettant davantage l’accent sur la vente de l’usage d’un bien plutôt que du bien lui-même, incitant ainsi, dans une certaine mesure, le producteur à un souci de durabilité de sa production (Gaglio et al., 2011)9.

L’illustration la plus représentative de ces nouvelles formes d’organisations serait, sans doute, la société américaine Valve qui développe des produits de jeux-vidéo depuis 2006 et qui pousse à l’extrême ces nouveaux modèles collaboratifs10. Anciens salariés de

Microsoft, ses créateurs se sont attachés à construire l’entreprise sur les bases d’une structure parfaitement horizontale, sans patrons (« boss-free »), en utilisant des espaces ouverts de travail et en équipant des bureaux de roulettes, permettant ainsi à l’employé de choisir l’endroit et les personnes avec lesquels il souhaite partager son expertise et participer à la création du produit de l’entreprise qui l’intéresse le plus. Ces nouvelles formes de management peuvent tout à fait correspondre à l’ambition imaginée, au départ, par certains qui souhaitaient libérer les entreprises, tout en motivant les salariés et en redonnant du sens à leur travail. Toutefois, malgré le manque de recul face à ces nouvelles formes de coordination organisationnelles, des premières leçons semblent se dessiner. Notamment, Jeri Ellsworth, une ex-salariée de l’entreprise interrogée par le magazine Wired en 2013, note qu’il s’agit là « d’une pseudo-structure plate », dans laquelle il y a « en fait une couche cachée de structure de management très puissante »11. En

comparant ces nouveaux modèles aux sentiments développés parfois par des adolescents au lycée, cette ancienne employée remarque la présence des « adolescents populaires » (« cool kids ») qui sont parvenus à mettre la main sur le pouvoir dans l’entreprise, assez éloignés des adolescents à problèmes (« trouble makers ») et du reste. Selon elle, la faisabilité de ces nouvelles formes de management plus collaboratives dépend largement de l’échelle de l’entreprise : ce qui est envisageable pour une petite organisation de vingt personnes, n’est pas déclinable sur une entreprise de trois cents employés.

Quoi que l’on puisse en dire, on assiste à la naissance de formes alternatives d’organisations qui expriment le désir de dépassement des structures hiérarchiques traditionnelles, tout en prenant le risque de générer, à leur tour, des formes cachées de hiérarchies d’autant plus rigides.

9 G. Gaglio, J. Lauriol et C. du Tertre, L’économie de la fonctionnalité. Une voie nouvelle vers un développement durable ?, Octares éd., 2011.

10 P. Warr, « Former Valve Employee: “It felt a lot like High-school” », Wired, 7 sept. 2013. Plus de

détails sur cet exemple pourront se trouver sur le site internet de la société : [http://www.valvesoftware.com/company/people.html].

(9)

Ces constats nous conduisent à acter la nécessité de proposer une analyse plus fine de ces nouvelles formes d’organisations et de leurs mécanismes de coordination, dans une perspective de meilleure coordination du marché. Ces structures hybrides, marquées par leur agilité, appellent à la fois des réflexions sur leurs formes de management et sur leurs nouvelles pratiques de travail.

III. Quelles nouvelles pratiques

de travail dans les organisations

de l’économie collaborative ?

Le triptyque économie collaborative-technologie-travail intéresse de plus en plus les chercheurs en gestion, croisant des problématiques RH, de management des nouvelles technologies et centrées sur les organisations. Cet intérêt grandissant porte à la fois sur les questions de la fin éventuelle du salariat dans cette nouvelle société collaborative marquée par l’automatisation, ainsi que sur les nouvelles formes d’organisation du travail, dans une logique d’organisation plus agile.

Concernant le débat actuel sur ce que Jérémy Rifkin a qualifié, dans l’un de ses chapitres d’ouvrage, « le dernier des travailleurs », les craintes portent d’abord sur le remplacement de l’humain par la machine ; cette dernière facilitant les nouveaux mécanismes de coordination de l’économie collaborative. Pour l’auteur, si la première révolution industrielle « a mis fin à l’esclavage et au servage », la seconde a réduit significativement « le travail agricole et artisanal », laissant place aujourd’hui, au cours de la troisième, à la fin du « travail salarié de masse dans l’industrie et les services, et le travail intellectuel et technique dans de vastes pans de l’économie du savoir » (Rifkin, 2016, p. 199). En ce sens, l’idée selon laquelle il faudra beaucoup moins de travailleurs pour produire des biens et services sur l’économie de marché (en raison de l’automatisation des tâches par des dispositifs numériques de plus en plus intelligents), conduit à penser que nous assisterons à l’accroissement d’entrepreneurs « sociaux », qui permettront de pallier les limites des machines à créer du capital social.

En ce sens, si l’économie collaborative se développe en dehors des mécanismes traditionnels du capitalisme que nous connaissons, le choix entre le statut de salarié et d’entrepreneur semble de plus en plus posé aux acteurs de ce nouveau système économique. Aussi, un grand nombre d’analyses perçoivent-elles en l’économie collaborative le développement d’une tension entre ces deux statuts, exprimant en toile de fond une crainte de la précarité croissante induite par une société de plus en plus entrepreneuriale. À ce propos, toute une série de travaux en sociologie se sont développés aux États-Unis autour de la thématique du travail numérique (« digital

(10)

labour ») mettant l’accent sur les dangers de la captation de valeur par les plateformes de

l’économie collaborative qui s’approprient la valeur produite par des utilisateurs ainsi que du travail implicite réalisé par ces mêmes utilisateurs et ne percevant aucune rémunération, montrant ainsi les limites d’une industrialisation du travail gratuit.

D’autres analyses ont récemment nuancé cette forme de bipolarité, soulignant des formes d’entrepreneuriat forcé, qui caractérise un travail en « freelance » motivé par une logique inversée, du type : « devenir entrepreneur pour devenir salarié » (Bohas et al., 2017)12. Cette logique est renforcée par l’importance croissante des nouvelles pratiques

d’« intrapreneuriat », qui dessinent le besoin de nouvelles compétences pour des salariés, matérialisant autonomie et responsabilité en développant des logiques entrepreneuriales au sein même d’organisations existantes. À cette première logique, s’ajoute également une pratique de travail plus délibérée, qui se traduit par la possibilité de cumuler un statut d’entrepreneur et de salarié, comme le font ces nouveaux « slashers » — actifs qui jonglent entre deux ou trois métiers pour conjuguer leur travail de raison et une activité de passion13. Sur un marché de l’emploi difficile, le cadre légal favorise ces pratiques de

microentrepreneur et encourage donc ces nouvelles formes de travail à mi-chemin entre salariat et entrepreneuriat.

La multiplication de nouvelles formes d’entrepreneuriat conduit, in fine, à une redéfinition du lieu et du temps de travail dans les organisations. Dans cette perspective, des études empiriques (pour l’essentiel, fondées sur des approches ethnographiques) proposent d’analyser ces nouvelles communautés qui accueillent des entrepreneurs d’un genre nouveau. La problématique de « cohabitation » entre des travailleurs ayant des statuts hétérogènes (sur le continuum articulant les statuts d’entrepreneurs et de salariés) se traduit notamment par la diffusion rapide de tiers-lieux, de maker spaces, de fab labs et d’espaces de coworking qui sont tout autant de lieux de travail hébergeant à la fois des entrepreneurs que des salariés en situation de télétravail voire en entrepreneuriat alterné. Les risques de dispersion au travail dans ces nouveaux lieux génèrent également de nouvelles réflexions pour stimuler des solutions de type « bulles de silence », qui

12 A. Bohas, F.-X. de Vaujany et J. Fabbri J., « L’entrepreneuriat-alterné : en finir avec le mythe d’une

société post-salariale », The Conversation, 1er mars 2017. Ces résultats ont notamment été exposés dans le

cadre des travaux menés par le Research Group Collaborative Spaces, réseau indépendant de chercheurs et think tank international, crée en 2014 par des chercheurs de l’Université Paris-Dauphine et de la

London School of Economics qui explore en particulier les enjeux liés à l’essor des espaces collaboratifs et

des communautés collaboratives. Plus de détails sur le lien : [https://collaborativespacesstudy.wordpress.com/a-propos/].

13 Selon une enquête du Salon des microentreprises, ces nouveaux actifs représentent 16 % de la

population. Pour plus de détails, v. M. Perroud, « Qui sont les slashers, ces millions de Français qui cumulent les jobs ? », Challenges, 30 août 2016.

(11)

permettraient de réduire significativement les expositions au bruit dans un environnement hyperconnecté. Ces nouveaux espaces de travail posent à leur tour la question de leur propre coordination et de leur nature. Bien loin des firmes traditionnelles décrites par l’article fondateur de Ronald Coase, ces nouvelles formes d’organisation gagneraient à être caractérisées de manière plus fine et mieux définies en lien avec le marché.

Remarques conclusives

Cette réflexion s’inscrit dans les premiers bilans issus de travaux empiriques en sciences de gestion qui s’intéressent à la fois aux nouvelles formes d’organisation générées par le contexte récent de l’économie collaborative ainsi qu’à ses pratiques de travail inédites. Malgré l’émergence de véritables opportunités pour les entreprises et les salariés — en considérant notamment ces nouveaux espaces collaboratifs comme des instruments de cohésion et de culture d’entreprise plus incarnée — ce texte montre l’importance de réfléchir aux risques d’un nouveau pseudo-paradigme de management. Le danger de glisser vers des pseudo-structures d’entreprise plus libérées qui, en réalité, consisteraient uniquement à « surfer » sur les modèles collaboratifs tout en masquant des formes de hiérarchie invisibles, doit s’accompagner de nouvelles règles. Une analyse plus fine de ces nouvelles formes d’organisation gagnerait à se rapprocher de travaux en droit économique potentiellement porteurs d’éclairage sur la nature de ces nouvelles organisations et leur place sur le marché actuel. De la même manière, les nouvelles pratiques de travail (articulant les statuts d’entrepreneurs et de salariés) qui ont été énoncées ici risquent de refléter davantage une économie à la demande qu’une véritable économie collaborative, si elles ne sont pas pensées dans un contexte juridique plus adapté. Notamment, les questions du lien entre ces pratiques de travail et les nouveaux statuts juridiques des « slashers » — quant à la protection de leurs droits sociaux, par exemple — semblent limitées pour le moment, en raison du peu d’articulation avec les réflexions conduites en droit économique. L’invitation au dialogue entre gestionnaires et juristes est donc plus que jamais légitime dans le contexte récent de l’économie collaborative.

Références

Documents relatifs

On consacre cependant moins d’attention aux conditions historiques qui permet- tent aux interlocuteurs de mobiliser diverses ressources commu- nicatives, et qui donnent valeur

La finalité du travail désigne, d’une part, la signification du travail, plus particulièrement les principales raisons pour lesquelles un individu travaille et d’autre part,

« atypiques », du fait qu’elles se distinguent du modèle dominant des années 50 à 70 (CDI, temps plein et unicité de l’employeur), ces formes complexes de mise

Le Service de la sécurité incendie offre de la formation sur l’utilisation des extincteurs d’incendie portatifs dans les entreprises et institutions de Lévis.. Dispensée par des

Nul ne peut désormais faire fi de la conception de la langue comme « instrument de communication » traduisant des faits discursifs, l’exemple des nouvelles

La gestion du travail s’appuie désormais sur la participation des travailleurs, les cercles de qualité, la restructuration des tâches et une philosophie de gestion qui mise

Sans minimiser d’autres éclairages de ce demi-échec - la fragilisation multidimensionnelle du monde du travail et la conjoncture défensive dans laquelle il se

Oros® => membrane semis perméable, orifice calibré, principe actif comme agent osmotique, par pénétration d’eau Oros-Push-Pull® => membrane semis perméable, agent