Médecine
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JOURNÉEDUGROUPEFRANCOPHONED’HÉPATO- GASTROENTÉROLOGIEETNUTRITIONPÉDIATRIQUES
Arthur, onze ans, présente des douleurs abdominales récurrentes depuis plusieurs mois et une perte de poids de 2 kg ; sa scolarité en est perturbée et ses absences sont fréquentes. Dans ses antécédents, on trouve, au cours des dernières années, plusieurs gastroentérites aiguës, avec diarrhée mais sans vomissements. Aucun épisode de rectorragies n’est noté.
QUEL DIAGNOSTIC ÉVOQUER ?
Il peut s’agir d’une colopathie fonction- nelle, mais ces diarrhées et ces douleurs abdominales chroniques sont plutôt évocatrices d’une maladie inflammatoi- re chronique de l’intestin, surtout en cas de perte de poids.
QUEL BILAN PRESCRIRE EN PREMIÈRE INTENTION ?
첸NFS, plaquettes, VS, CRP, albuminé- mie, ASCA, pANCA.
첸Calprotectine dans les selles.
첸Echographie abdominale.
Et un scanner ? une IRM ? ou une endo- scopie ? Un scanner abdominal, très ir- radiant, ne doit pas être réalisé dès qu’une anomalie est observée à l’écho- graphie, comme cela est trop souvent fait… Actuellement, précise Frank Ruemmele, en gastroentérologie pédia- trique, le scanner n’a plus qu’une indi- cation : un tableau aigu dont la cause doit être identifiée en urgence. L’entéro- IRM est aujourd’hui l’examen de réfé- rence, mais elle ne doit pas être prescri-
te en première intention. Quant à l’en- doscopie, qui permettra de poser le dia- gnostic, elle n’est réalisée qu’en cas de forte suspicion de maladie inflammatoi- re chronique de l’intestin (MICI).
L’échographie révèle donc chez Arthur une iléite, avec un épaississement des parois de l’iléon terminal. Mais cette iléite n’est pas spécifique, indique Frank Ruemmele. Tout d’abord l’épaississe- ment pariétal peut être simplement lié à la phase de contraction de l’intestin. Un radiologue expérimenté doit recon- naître ce piège ; l’expérience de l’écho- graphiste est en outre indispensable pour éliminer un diagnostic différentiel, comme une hyperplasie nodulaire.
Une fois l’iléite diagnostiquée, il faut en trouver la cause. L’iléite ne témoigne que d’une inflammation, et cette der- nière peut aussi être d’origine infectieu- se. Il faut donc prescrire une coprocul- ture à la recherche de pathogènes chez cet enfant qui a présenté plusieurs épi- sodes de diarrhée, en ajoutant la re- cherche de Clostridium difficile avec toxines.
CE QU’IL FAUT FAIRE
Ne pas oublier les fondamentaux, c’est- à-dire le contexte et l’examen clinique.
Sont en faveur d’une MICI : des antécé- dents familiaux ; une perte de poids, voire une cassure de la courbe de crois- sance ; une altération de l’état général ; des lésions périnéales ; un syndrome in- flammatoire biologique ; une calprotec- tine fécale élevée.
Si des éléments évocateurs de MICI sont identifiés, une imagerie complète
Iléite à l’échographie devant des douleurs abdominales : recontrôler, prescrire un bilan biologique ou une endoscopie d’emblée ?
D’après la présentation de F. Ruemmele,service de gastroentérologie pédiatrique,
hôpital Necker-Enfants Malades, université Sorbonne-Paris-Cité, Institut Imagine, Inserm U1163, Paris
Compte rendu des interventions du congrès ECHANGE (Echange de Consensus Hôpital-Ambulatoire en Nutrition, Gastro-entérologie et hEpatologie) organisé par le Groupe francophone d’hépato-gastroentérologie et nutrition pédiatriques (GFHGNP)
Rédaction : M. Joras
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts 03 ja16 m&e échange gfhgnp 15/02/16 15:17 Page8
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janvier-février 2016 page 9 par entéro-IRM doit être réalisée, ainsi
qu’une exploration endoscopique.
En l’absence de signes cliniques et/ou biologiques en faveur d’une MICI, il faut rassurer l’enfant et ses parents, et en cas de persistance des symptômes le revoir et éventuellement contrôler le bilan sanguin.
LES QUESTIONS DE LA SALLE
Quel est l’apport de l’entéro-IRM ?C’est aujourd’hui une technique précise et fi- ne, qui, dans les mains d’un radiologue expérimenté, peut éventuellement par- tiellement remplacer l’endoscopie pour le suivi des patients sous traitement. El- le permet de contrôler l’évolution des lésions sans répéter des examens inva- sifs. Dans le cadre du bilan initial, elle permet aussi de visualiser des atteintes du grêle non accessibles à l’endoscopie et de façon globale de préciser l’étendue des lésions. Dans tous les cas, l’entéro- IRM complétera l’examen endoscopique du bilan initial.
Quelle surveillance en cas d’iléite non spéci- fique ?Si le diagnostic de MICI et d’infec-
tion a été écarté et que l’enfant continue à se plaindre de douleurs abdominales, il faut le réexaminer et refaire un bilan san- guin et une échographie à distance.
Une maladie de Crohn peut-elle se révéler par des ulcérations labiales ou une chéilite isolées ?La maladie de Crohn peut at- teindre l’ensemble du tube digestif, de la bouche à l’anus. Une chéilite peut donc révéler la maladie, elle peut être isolée et précéder d’autres localisations, mais c’est une situation relativement rare.
Doit on demander une sérologie Yersinia dans le bilan initial ?La sérologie Yersi- nia est utile dans un contexte aigu, pas dans le cadre de symptômes récurrents.
Mais, dans le cas d’Arthur, elle peut se justifier dans le premier bilan avec la coproculture.
Le typage HLA est-il indiqué dans le cadre du bilan d’une MICI ?Non, il n’a aucun intérêt diagnostique à ce jour.
En cas d’iléite sans syndrome inflamma- toire mais avec des ANCA positifs peut-il s’agir d’une maladie de Crohn ? Le dia- gnostic doit prendre en compte l’en- semble des signes ; un élément isolé, comme un dosage des ANCA anormal, n’a pas de signification. En revanche, s’il est associé à une CRP élevée ou à une perte de poids, il faut bien entendu poursuivre les explorations. 첸
Marc, quatorze ans, consulte pour des douleurs abdominales spasmodiques ré- currentes. Il évoque des épisodes va- riables de diarrhée alternant avec un tran- sit normal. Il aurait perdu 2 kg mais il dit qu’il en est très content, car il se trouvait trop gros… L’examen clinique est normal.
S’agit-il d’une colopathie fonctionnelle ou d’un début de maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI) ?
ARGUMENTS EN FAVEUR D’UNE MICI
Les signes révélateurs de MICI sont en
Quand prescrire une calprotectine fécale ?
D’après la présentation de J.P. Hugot,hôpital Robert-Debré, Paris Arbre décisionnel en cas de suspicion de maladie inflammatoire chronique de l’intestin
(MICI)
Douleur abdominale, diarrhée Antécédents familiaux
de MICI ?
Examen clinique en particulier croissance
Syndrome inflammatoire Calprotectine fécale
Imagerie MICI peu probable
A réévaluer à distance
Coproculture (C. difficile)
Fibroscopie œso-gastro duodénale
+ iléoscopie
Entéro-IRM
négatifs positifs
effet des douleurs abdominales, une diarrhée, des saignements, une perte de poids, une anorexie, une fatigue [1].
QUEL BILAN EN PREMIÈRE INTENTION ?
En première intention, on demandera : 첸un bilan sanguin : NFS, CRP, VS, al- buminémie, antitransglutaminases.
첸une échographie abdominale à la re- cherche d’un épaississement de la paroi digestive.
첸un dosage de la calprotectine dans les selles.
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INTÉRÊT DU DOSAGE DE LA CALPROTECTINE FÉCALE
La calprotectine fécale est une enzyme contenue dans le cytoplasme des poly- nucléaires neutrophiles. En cas d’in- flammation, elle est exsudée dans la lu- mière du tube digestif et retrouvée dans les selles.
C’est un marqueur histologique d’infiltra- tion et d’ulcération digestives [2]. Elle tra- duit une inflammation intestinale, elle est donc élevée dans les MICI, mais aussi en cas d’infection digestive [3]. Elle pré- sente une bonne corrélation avec la scin- tigraphie aux leucocytes marqués [4]. Cet examen simple est efficient quelle que soit la localisation de l’inflammation.
En cas de suspicion clinique de MICI,
une calprotectine fécale normale est rassurante : elle signe l’absence d’ulcé- rations profondes.
La calprotectine est aussi un bon mar- queur pour le suivi d’une maladie in- flammatoire intestinale, car elle est bien corrélée avec le score endoscopique [5]. Elle reflète mieux que les marqueurs sé- riques la présence et la sévérité d’une in- flammation intestinale : 20 % des pa- tients atteints d’une MICI en poussée ont une CRP normale, alors que les taux de calprotectine fécale sont quasiment tou- jours élevés. C’est un moyen peu invasif d’évaluer la cicatrisation muqueuse. Son intérêt majeur est ainsi de limiter les in- dications de l’endoscopie, un taux nor- mal étant le témoin d’une rémission.
Au total, la calprotectine fécale est un excellent outil pour guider les indica-
tions de l’endoscopie, que ce soit dans le cadre du diagnostic, en cas de suspicion forte de MICI, ou dans celui de la sur- veillance d’une MICI connue.
… Mais, à ce jour, le dosage de la cal- protectine fécale n’est pas remboursé.
LES QUESTIONS DE LA SALLE
La calprotectine est-elle augmentée dans les colites aiguës? Oui, car la calprotec- tine témoigne d’une inflammation di- gestive quelle qu’en soit l’étiologie.
Chez un enfant traité pour une MICI, quelle est la signification d’une calprotectine éle- vée ? Cela signifie qu’il n’est pas en ré- mission.
En cas de MICI, dans quel délai la calpro- tectine fécale diminue-t-elle sous traite- ment ?En quelques semaines.
La calprotectine a-t-elle une indication en néonatologie ? Non. Elle est très élevée en cas d’entérocolite, mais cela n’a guè- re d’intérêt, de plus la valeur seuil chez le nouveau-né n’est pas nette. 첸
Dosage de la calprotectine fécale en pratique [6]
첸1 g à 2 g de selles suffisent.
첸Conservation pendant 7 jours à température ambiante.
첸Technique de dosage ELISA facile et reproductible.
첸Bonne corrélation interindividuelle (un seul dosage suffit).
첸Absence d’effet du régime alimentaire.
첸Faux positifs : polypose, cancer, AINS, ulcérations de toutes origines.
첸Faux négatifs : neutropénie.
첸Valeur seuil admise : 50 µg/g de selles.
첸Très bonne discrimination entre normal et pathologique (< 25 µg/g chez le sujet sain versus > 250 µg/g en cas d’inflammation intestinale).
Réaction inflammatoire à l’origine de la sécrétion de calprotectine
Références
[1] SAWCZENKO A., SANDHU B.K. : « Presenting features of in- flammatory bowel disease in Great Britain and Ireland », Arch.
Dis. Child.,2003 ; 88 :995-1000.
[2] FOELL D., WITTKOWSKI H., ROTH J. : « Monitoring disease activity by stool analyses : from occult blood to molecular mar-
kers of intestinal inflammation and damage », Gut,2009 ; 58 : 859-68.
[3] DÄBRITZ J., MUSCI J., FOELL D. : « Diagnostic utility of faecal biomarkers in patients with irritable bowel syndrome », World J.
Gastroenterol.,2014 ; 20 :363-75.
[4] TIBBLE J., TEAHON K., THJODLEIFSSON B. et al. : « A simple method for assessing intestinal inflammation in Crohn’s disea- se », Gut,2000 ; 47 :506-13.
[5] MOSLI M.H., ZOU G., GARG S.K. et al. : « C-reactive protein, fecal calprotectin, and stool lactoferrin for detection of endosco- pic activity in symptomatic inflammatory bowel disease patients : a systematic review and meta-analysis », Am. J. Gastroenterol., 2015 ; 110 :802-19.
[6] WRIGHT E.K., DE CRUZ P., GEARRY R. et al. : « Fecal biomar- kers in the diagnosis and monitoring of Crohn’s disease », In- flamm. Bowel Dis.,2014 ; 20 :1668-77.
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