• Aucun résultat trouvé

La motivation, ça s'en va et ça revient...

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "La motivation, ça s'en va et ça revient..."

Copied!
4
0
0

Texte intégral

(1)

Article de la rubrique « Pourquoi apprendre ? » Mensuel N° 230 - octobre 2011

La motivation, ça s'en va et ça revient...

Martine Fournier

«Bon, me dit Marie, je vais aller commencer ma deuxième journée de travail.» Il est presque 19 heures, les locaux de Sciences Humaines sont désertés, en ces temps estivaux où chacun se hâte de profiter de sa soirée…


Jeune stagiaire d’un institut d’études politiques, Marie vient de me rendre son papier, après que je l’aie un peu torturée en lui demandant mes corrections (eh oui, c’est mon rôle hélas) !


«Ah bon, qu’est-ce que tu vas faire?

– Je dois rendre mon mémoire de fin d’étude sur le coup d’État au Honduras pour fin août…

– Eh bien dis donc, qu’est-ce que tu es motivée!»


La réponse de Marie jaillit spontanément : « Motivée moi? Alors là pas du tout!

– Mais, pourquoi travailles-tu autant pour rédiger ce mémoire après ces longues journées de travail à SH (à Sciences Humaines, chacun le sait, stagiaire ou pas, les journées ne sont pas vraiment chômées) ? Ce n’est pas de la motivation ça?

– Je ne sais pas si c’est de la motivation! Je le fais en tout cas pour valider cinq années d’études, et être fière de moi plus tard d’avoir mené ce projet à terme et décroché mon diplôme.»


Grand moment de solitude pour la rédactrice que je suis , en train de préparer un dossier pour le numéro de septembre sur… la motivation à apprendre. Inquiétude aussi, qui me suggère la question suivante :


«Et à Sciences Humaines, tu te sens motivée par ce que tu fais?

– Ah oui, parce que là, j’apprends des choses nouvelles chaque jour…»


Ouf, me voici rassurée ! Rassurée mais néanmoins perplexe. À trois semaines du bouclage, Marie vient de faire exploser mes certitudes, de (re)faire bouillonner mes interrogations, de me plonger dans les abîmes du doute… De quoi est faite, réellement, la motivation pour les études ?


Une dynamique 
 plutôt qu’un état

En fait, la réaction de Marie est emblématique d’une représentation que nous avons tous, implicitement. Nos comportement seraient motivés par l’intérêt, la curiosité, le plaisir d’apprendre, des besoins supérieurs propres aux humains.


(2)

Article de la rubrique « Pourquoi apprendre ? » Mensuel N° 230 - octobre 2011

Ce que les psychologues appellent la « motivation intrinsèque ». Celle qui fait briller les yeux des jeunes enfants lorsqu’ils veulent connaître ou comprendre ; celle qui explique l’affluence des adultes et même de seniors à remplir, jusqu’à un âge très avancé, les bancs des universités populaires…


Mais le désir de décrocher un diplôme, de se sentir fier de soi, de faire plaisir à son entourage, de se dire que l’on s’ouvre des portes pour un futur projet professionnel… Alors, ce n’est pas de la motivation ? Si Marie ! c’est ce que les psychologues appellent les « motivations

extrinsèques ». 


Pendant longtemps, ces deux formes de motivations ont été opposées. Seule la première était noble. La seconde relèverait de buts utilitaristes et serait produite par des conditionnements, des stratégies comme celle de la carotte et du bâton, prônées par la psychologie behavioriste.


De nombreuses recherches ont étudié les effets de ces deux formes de motivation sur le travail et l’apprentissage. Il en ressort à chaque fois que, sous l’empire des motivations intinsèques, les sujets sont plus créatifs, plus engagés dans leur tâche, et produisent des travaux de meilleure qualité. Et qu’en outre, les récompenses finissent par nuire à la qualité de la performance (1).


Certes ! Mais lorsque que le petit Damien, du haut de ses sept ans, a annoncé à ses parents (quelque peu dépités) « moi, quand je serai grand, je gagnerai de l’argent!», cela ne l’a pas empêché de faire de brillantes études tout en déclarant haut et fort, durant ses années collège et lycée, que « les cours le barbaient» (et d’ailleurs, devenu chef d’entreprise, il est arrivé à ses fins)…


Marie, quant à elle, ne voit plus l’intérêt du sujet qu’elle a pourtant choisi avec enthousiasme et pour lequel elle est allée passer des mois au Honduras… « J’ai l’impression de poser des mots, je ne vois plus le sens de tout cela…» Une perte de sens que connaissent aussi les jeunes doctorants lorsqu’ils rédigent leur thèse et qui semble inévitable lorsque le travail à accomplir est long et difficile. Dans ces moments, ce sont d’autres motivations qui viennent prendre le relais : finir (enfin !), poursuivre pour décrocher un diplôme, pour obtenir un poste ou simplement de la reconnaissance…


Quand les raisons extrinsèques prennent la place de la motivation intrinsèque, le travail accompli se retrouve-t-il dégradé pour autant ? Que Marie se rassure !


Aujourd’hui, cette dichotomie entre ces deux formes de motivation est sérieusement nuancée.

Les modèles prennent en compte tout un ensemble de facteurs qui conditionnent

l’apprentissage, comme les buts que l’on se fixe, les désirs, le sentiment de compétence, le rôle des émotions, le contexte de l’apprentissage…


Une crise de la motivation à l’école

En bref, la motivation est vue aujourd’hui comme un processus dynamique plutôt qu’un état qui proviendrait d’une mystérieuse énergie psychique. Une « dynamique motivationnelle » comme l’explique Étienne Bourgeois, psychologue de l’université de Louvain, dans laquelle peuvent alterner ou coexister des motifs d’ordre divers qui entrent en jeu avec l’âge (encadré

(3)

Article de la rubrique « Pourquoi apprendre ? » Mensuel N° 230 - octobre 2011

ci-contre), les éléments de la personnalité, le rôle des feedback de l’entourage ou encore l’histoire de vie du sujet (2).


Le fait que la prof soit jolie ou sympa peut même, dans certaines occasions, redonner le goût des études à certains élèves…


S’il est bien, d’ailleurs, un lieu où l’on souhaiterait voir se déployer une motivation forte et sans faille, généralisée à tous, et si possible d’ordre intrinsèque, c’est l’école. Aujourd’hui, il faut l’admettre, on parle plutôt de démotivation des élèves, se traduisant par l’ennui (même pour les bons), le découragement, voire le décrochage ou des manifestations de violence. Un constat qui désespère nombre d’enseignants qui eux aussi se disent démotivés et sont prêts à baisser les bras devant le manque d’appétence de leurs publics.


Il faut tout d’abord remarquer que les manifestations d’ennui, les témoignages de souffrance à l’école ne sont pas franchement une chose nouvelle. Elles sont décrites par nombre d’auteurs des siècles passés. Elles préoccupent depuis longtemps les pédagogues, comme ceux de l’Éducation nouvelle (un courant né au xixe siècle) qui cherchent à rendre l’enseignement plus attractif (et plus efficace) en développant l’autonomie des élèves pour accroître leur motivation.


Mais d’une manière générale et notamment dans l’école française, les « programmes et

progressions » publiés par le ministère imposent d’en passer par des apprentissages rébarbatifs (et pas toujours nécessaires) – les subordonnées circonstancielles, l’accord des participes passés, les équations du second degré ou l’apprentissage des verbes irréguliers dans les langues étrangères… Des auteurs comme Daniel Pennac (3) ont bien décrit comment l’école pouvait susciter le dégoût plutôt que le goût de la littérature. Les théories de la motivation (notamment le modèle d’Edward Deci et Richard Ryan) montrent que la contrainte et le manque d’autonomie du sujet peuvent tuer l’intérêt pour un apprentissage. Mais aussi sophistiquées soient-elles, ces approches psychologiques suffisent-elles à expliquer un phénomène qui prend actuellement une ampleur jusqu’à présent inégalée ?


Ne faudrait-il pas reconsidérer par exemple les formes pédagogiques, le découpage de

l’enseignement en disciplines et programmes ; les emplois du temps hachés, les cursus rigides imposant le même rythme à tous ; et encore la personnalité des enseignants, les manières d’évaluer, et les goûts et les dons de chaque élève ?


Le regard des sociologues

Les transformations sociales de ces dernières décennies ont, elles aussi, contribué à

l’ébranlement du – bon – fonctionnement du système scolaire. Plusieurs sociologues se sont penché sur ces changements. François Dubet notamment a bien décrit comment l’« expérience scolaire » (4) des individus, et le sens qu’ils donnent à leurs études, s’en retrouvaient

affectés.


D’une part, avec le processus de démocratisation et de massification scolaire, l’école est devenue le principal appareil de « distribution sociale », censé conduire à l’insertion sociale en fonction des diplômes obtenus. Du point de vue des élèves cependant, elle se présente comme un espace de concurrence permanent, avec des hiérarchies multiples (plus ou moins

(4)

Article de la rubrique « Pourquoi apprendre ? » Mensuel N° 230 - octobre 2011

implicites : jeu des filières, choix des établissements…). Aujourd’hui, le chômage est devenu endémique et l’on assiste à une course aux diplômes qui rend les parcours scolaires de plus en plus longs et de plus en plus anxiogènes.


La « fonction de socialisation » de l’école ne va plus de soi non plus dès lors que celle-ci accueille des enfants de toutes les origines sociales (massification). L’enseignement est maintenant en décalage avec la culture des élèves de milieux populaires qui ne partagent pas les codes culturels sous-jacents d’une culture scolaire antérieurement réservée à une élite.

D’autrant que les nouvelles cultures de masse (les sociologues parlent de cultures juvéniles, lycéennes, étudiantes…) se tiennent souvent à distance des enseignements que délivre l’institution…


C’est en fait la fonction éducative elle-même qui se retrouve fragilisée par les évolutions de la société tout entière. Le développement des médias et d’Internet, devenus de nouveaux lieux d’apprentissage, remettent aussi en cause les modes de la transmission et les manières dont on apprend à l’école.


Des enseignements peu adaptés aux envies des élèves, des parcours scolaires de plus en plus longs et une compétition plus rude, un avenir incertain, voilà les facteurs sociologiques de la crise de la motivation à l’école, qui atteint aussi les publics étudiants des universités.


En définitive, l’école ne peut plus jouer sur des finalités partagées par tous et se retrouve confrontée à une véritable crise de sens.


Il ne faudrait pas pour autant trop désespérer ! On pourrait même s’étonner de voir qu’il existe toujours de nombreux élèves curieux pour qui étudier est un plaisir, des étudiants

enthousiastes, investis dans des projets ambitieux, ainsi d’ailleurs que des enseignants créatifs et engagés.


Quant à Marie, à l’heure qu’il est, elle a brillamment terminé son mémoire…

NOTES

(1) Sur la synthèse de ces recherches, 
voir Étienne Bourgeois, « La motivation à apprendre

», in É. Bourgeois et Gaëtane Chapelle (dir.), 
Apprendre et faire apprendre, Puf, 2006 ; 
et aussi un petit ouvrage de vulgarisation : 
Daniel H. Pink, La vérité sur ce qui nous motive, 
Leduc éditions, 2011.


(2) É. Bourgeois, op. cit.

(3) Daniel Pennac, Comme un roman, 
Gallimard, 1997.


(4) François Dubet, Le Déclin de l’institution, 2002 ; 
et avec Danilo Martuccelli, Sociologie de l’expérience scolaire, Seuil, 1996.

Références

Documents relatifs

• Formation d’un infectiologue « complet » avec 5 stages en MIT au cours de la l’internat (contre 3 exigée dans le DESC et 5 incluant le clinicat pour la plupart des DESC de

En effet, donne une seconde vie à tes restes de laitue, de poireau, de céleri ou de fenouil en les déposant dans un bol contenant un peu d'eau. Dépose le bol au bord de

dans le cadre du festival cinéma du réel 2016 sont prévues deux rencontres au centre pompidou avec orhan pamuk après la projection du film : le 18 mars à 18.30 et le 19

Comme ci comme

This document was created with Win2PDF available at http://www.win2pdf.com. The unregistered version of Win2PDF is for evaluation or non-commercial

mes animaux préférés sont le chat, le chien, le cochon, la vache, le castor, le canard, le loup, l’ours, la poule et le

quatre heures moins

chambre (f) = rum; valise (f) = resväska; sac (m) = väska; clé (f) = nyckel; stylo (m) = bläckpenna; crayon (m) = blyertspenna; poche (f) = ficka, trousse (f) = pennfodral;