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La bibliothèque de Blaise Beaumont ( † 1758). Itinéraire d'un chirurgien français auprès de Philippe V d'Espagne

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La bibliothèque de Blaise Beaumont ( † 1758). Itinéraire d’un chirurgien français auprès de Philippe V d’Espagne

Catherine Désos

To cite this version:

Catherine Désos. La bibliothèque de Blaise Beaumont ( † 1758). Itinéraire d’un chirurgien français

auprès de Philippe V d’Espagne. Bulletin du bibliophile, Paris : Ed. du Cercle de la librairie, 2013,

pp.310-350. �hal-01215174�

(2)

310

La bibliothèque de Blaise Beaumont († 1758). Itinéraire d’un chirurgien

français auprès de Philippe V d’Espagne

Catherine Désos

Pour bien saisir ce que fut le règne du premier Bourbon d’Espagne, il est important de connaître la personnalité de ce jeune roi qui devait régner 46 ans, mais aussi celle des hommes qui constituèrent son entourage

1

. La société de cour s’est totalement transformée dans les premières années du règne du fait notamment de la présence de la petite colonie, restreinte mais dynamique, composée de Français. Ceux-ci avaient été choisis avec soin par Louis XIV pour accompagner son petit-fils ; au nombre d’une soixantaine en 1701

2

, ils étaient de condition modeste (mis à part l’ambassadeur duc d’Harcourt

3

ou le chef de cette petite maison française le marquis de Louville

4

) et ne devaient en rien faire ombrage aux Espagnols. Louis XIV ne prévoit, ni même ne souhaite, la pérennisation de la présence française à Madrid. Bien plus, il donne pour ins- truction à l’ambassadeur de France que le jeune roi, « lorsque la connaissance qu’il acquerra bientôt de la langue et du génie de la nation espagnole l’aura

1. Didier Ozanam, en 1993, faisait paraître « Les étrangers dans la haute administration espagnole au xviiie

siècle », dans Pouvoirs et société dans l’Espagne Moderne : hommage à Bartolomé Bennassar, 1993, p. 215-229, puis une seconde publication en 1995, sous le titre : « La restauration de l’État espagnol au début du règne de Philippe V (1700-1724) : le problème des hommes », dans Philippe V d’Espagne et l’Art de son temps, 1995, p. 79-89.

Dans ces publications, il appelait de ses vœux une étude plus vaste sur le rôle des étrangers dans l’appareil administratif espagnol au xviiie siècle. Faute de travaux d’ensemble sur ce thème, il ne pouvait que poser les jalons pour des recherches futures. Celles-ci sont désormais entamées, tant en France qu’en Espagne, sur la présence flamande, irlandaise, italienne ou française à la cour du premier Bourbon.

2. MAE (Ministère des Affaires étrangères), CP (Correspondance politique), Espagne, t. 85, fol. 547.

3. Henri duc d’Harcourt, marquis de Beuvron (2 avril 1654-† 1718).

4. Charles Auguste d’Allonville, marquis de Louville, cf. C. Désos : « Allonville, Carlos Augusto de. Marqués de Louville, Château de Louville (Francia), 1668 – 20.VIII.1731. Tutor de Felipe d’Anjou y gentilhombre de cámara en la Corte de Felipe V », Diccionario biográfico español, Madrid, 3, 2011-2012, p. 21-24 (cosigné avec Pablo Vázquez Gestal).

Catherine Désos, membre associée à l’EA 3400 - ARCHE (arts, civilisation et histoire de l’Europe), université de Strasbourg et au centre Gabriel-Naudé, Enssib, Villeurbanne.

(3)

La bibliothèque de Blaise Beaumont. Itinéraire d’un chirurgien français auprès de Philippe V...

311 mis en état de se passer de domestiques français », les renvoie tous

1

. Il n’en fut rien, au contraire, et les circonstances politiques conjuguées au goût du roi d’Espagne ne firent qu’accroître cette présence française dans tous les domaines de la cour ou du gouvernement, ce que nous avons étudié en d’autres temps

2

.

Les domaines de la médecine, de la pharmacie ou de la chirurgie n’échap- pèrent pas à cette influence. Auprès de Philippe V (fig. 1) se trouvèrent plusieurs personnalités du monde médical qui l’assistaient en priorité, parfois, sur leurs collègues espagnols. La reine, Marie-Louise de Savoie ou la Princesse des Ursins

3

sa camarera mayor, avaient, elles aussi, leurs médecins français, auxquels on confiait en outre le soin des Infants

4

. Ils s’intégrèrent peu à peu au sein de la maison royale espagnole, formant, pendant longtemps, avec les autres Français en service à la cour, la familia francesa du prince.

Il est toujours passionnant de s’interroger sur la manière dont ces Français, qui ont accompagné en 1701 ou rejoint dans les années suivantes le roi d’Espagne, se sont intégrés au sein d’un nouvel espace dont ils avaient tout – ou presque – à découvrir, coupant bien souvent leurs racines pour eux-mêmes tout au moins si ce n’est pour leurs enfants. Le cas de Blaise Beaumont, chirurgien et anato- miste, décédé le 9 avril 1758 à Madrid, et dont nous possédons le testament, l’inventaire des biens (dont la bibliothèque) et le partage qui en fut fait, permet d’approfondir l’analyse de l’intégration d’un homme issu de cette familia francesa dans une cour étrangère et un corps de métier en pleine évolution scientifique.

La carrière de Blaise Beaumont à la cour d’Espagne

On ne connaît pas la date de naissance de Blaise Beaumont

5

mais, dans son testament, celui-ci nous indique qu’il est né en « la ville de Bertrain, évêché de Cominges », c’est à dire Saint-Bertrand-de-Comminges ; il est fils « légitime » de

1. C. Hippeau, L’Avènement des Bourbons au trône d’Espagne. Correspondance inédite du marquis d’Harcourt, Paris, 1875, II, p. 310.

2. C. Désos, Les Français de Philippe V. Un modèle nouveau pour gouverner l’Espagne, Strasbourg, PUS, 2009 ; Id., « Entre champs de batailles et cabales de cour : Le duc de Berwick, soldat du roi de France en Espagne, 1704-1719 », dans J. M. Bernardo Ares (coord.), La sucesión de la monarquía hispánica, 1665-1725. Biografias relevantes y procesos complejos, Cordoue, Silex, 2009, p. 23-52 ; Id., « Les confesseurs jésuites de Philippe V au début du xviiie siècle : agents français ou ministres du roi d’Espagne ? », dans Revista Mágina : Entre el cielo y la tierra. Las elites eclesiasticas en la Europa Moderna, 13, 2009, p. 159-174 ; Id., La vie du R.P. Guillaume Daubentons » (1648-1723). Un jésuite français à la Cour d’Espagne et à Rome, Cordoue et Caja Sur, Université de Cordour, 2005.

3. Marie-Anne de la Trémoïlle, princesse des Ursins (1641 ou 1642-† 1722).

4. C. Désos, « Du contrôle politique à l’évolution des pratiques : l’influence de la « faculté » française à la cour de Philippe V d’Espagne (1700-1746) », dans Lieux et pratiques de santé du Moyen Âge à la 1re Guerre mondiale, Journée d’études organisée par S. Beauvalet et M. C. Dinet, Université de Picardie, 2013, p. 97-114.

5. Nos recherches aux archives départementales n’ont rien donné. Dans l’article suivant, les auteurs avancent la date de 1690 mais sans sources. Cf. A. Santamaria Laorden, F. J. Sanz Serrulla et M. J. Solera Piña, « La chirurgie orale dans l’œuvre de Blas (sic) Beaumont (1690-1758) », Actes. Société française d’histoire de l’art dentaire, 15, 2010, p. 51-54.

(4)

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Bertrand Beaumont et Catherine Berdie. Il fit ses études de chirurgie à l’Uni- versité de Paris

1

. Son dossier personnel aux archives du palais royal de Madrid mentionne qu’il travailla dix années auprès de Legendre, premier chirurgien du roi, sans nous préciser la date exacte à laquelle il serait arrivé en Espagne.

Blaise Beaumont eut ses entrées à la cour et côtoya les membres éminents de la familia francesa, en premier lieu Jean-Baptiste Legendre, chirurgien juré de Paris, qui avait été au service du prince de Conti, en Pologne avant de partir pour Madrid en 1701 comme premier chirurgien (dans un service qui en comp- tait une douzaine auprès du roi

2

), sangrador mayor et membre du protobarberato, tribunal chargé de juger l’aptitude des candidats à exercer la chirurgie. Le roi, le 23 février 1704, lui concéda un privilège de hidalguia pour lui et ses descen- dants. Legendre était proche du premier médecin, Honoré Michelet (dont il fut l’exécuteur testamentaire en 1713) puis de Claude Burlet, le successeur de Michelet en 1707. De même, il avait fait le voyage en compagnie de Louis Riqueur, premier pharmacien, à la personnalité imposante

3

. Sa fille épousa Claude de La Roche, premier valet et secrétaire de la chambre du roi, tandis que son fils entrait dans le service de la chambre par la double protection de son père et de son beau-frère et épousait en premières noces la fille du barbier du roi, Madeleine Vazet

4

.

Le premier chirurgien a, en outre, des protégés qu’il place à la cour. Ainsi, Jean-Antoine Lafitte

5

loge chez lui en 1714 et obtient une place de médecin de la chambre du roi en 1717, puis de chirurgien et sangrador de la reine, vers 1727. Guillaume Jacob, de son côté, anatomiste célèbre qui exerça à l’académie royale des sciences de Séville, pleure le décès de Legendre, en 1737, comme son ami le plus sûr et le plus efficace. C’est grâce à cette même protection

6

que Blaise se voit échoir, en 1724, le prestigieux titre de premier chirurgien du roi. En effet, à cette date, Philippe V décida de se retirer avec sa seconde

1. Dictionnaire des sciences médicales. Biographie médicale, Paris, Panckoucke, 1812, II, p. 82. Leone Ducos-Pons corrobore ce fait dans « Le Quercynois Guillaume Jacob, professeur de médecine dans l’Espagne du xviiie

siècle », B.S.E.L., Bulletin de la Société des études du Lot, 119, juill.-sept. 1998, p. 211-221.

2. AGP : Archivo general de Palacio, Madrid, Administrativo, 929 et Felipe V, 207 (3).

3. Sur ces personnalités, cf. C. Désos, « Du contrôle politique à l’évolution des pratiques… » et id., « Riqueur, Luís. (Francia), c. 1655-El Escorial, 28.X.1737. Boticario mayor de Felipe V », Diccionario biográfico español, Madrid, 2013, p. 543-544.

4. Le fils Legendre épouse Angélique Vazet, fille d’Henri Vazet († 1729), sans doute en février 1715. Ils eurent une fille, Madeleine (née v. 1716) éduquée en France chez les Ursulines, puis mariée à Saint-Jean- Pied-de-Port. Il épouse en secondes noces Jeanne Cortiade, veuve de Jean Higgins († à Madrid, en octobre 1729) médecin du roi. Ainsi, le milieu médical et de la chambre du roi français restent très liés.

5. Jean-Antoine Lafitte, 9 décembre 1717 : obtient les honneurs de médecin de la chambre du roi. Entre en exercice le 11, à la mort de Manuel Porras, AGP, Personal, 16586/12 ; AGP, Felipe V, 290, liasse 4, « Relacion alphabetica de los criados… (1714) ».

6. Dans son premier ouvrage de 1728, Beaumont fait une dédicace à Legendre qui débute ainsi : « Tantos son los favores que debo a V.S., tantas las expresiones afectuosas con que siempre se ha servido honrarme, etc. »

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La bibliothèque de Blaise Beaumont. Itinéraire d’un chirurgien français auprès de Philippe V...

313 épouse, Élisabeth Farnèse, et une petite cour dans une résidence qu’il avait fait construire non loin de Madrid, à San Ildefonso de la Granja, abandonnant le pouvoir à son fils aîné, Louis, âgé de 17 ans. Il laissait à l’Infant une part de ses fidèles serviteurs français, renouvelant auprès de lui certaines charges. Ainsi, Richard Le Preux

1

servait Louis I

er

, tandis que Blaise Beaumont partait auprès de l’ancien roi, le 6 mars 1724, avec 12 000 réaux annuels. Legendre était aussi

1. Richard le Preux, réputé comme chirurgien, exerça pendant 39 années, AGP, Personal, C 547/29. Il débuta en 1703 comme chirurgien de Marie-Louise de Savoie. Il se fit une spécialité de la recherche de saines nourrices pour les Infants. Il servait à la cour quand il fut nommé premier chirurgien de Louis Ier en 1724. Il meurt le 23 janvier 1747 à 82 ans. En 1717, il avait écrit sa Doctrine moderne pour les sangradores, livre de référence pour cette corporation pendant un siècle. Il connaît 10 éditions jusqu’en 1840. Les 9e et 10e chapitres portent sur les soins dentaires. Cf. Javier Sanz, « Introduction de l’odontologie français en Espagne à la cour des Bourbons », dans Actes de la SFHAD, Reims, 29-30 avril 2005, p. 1-10.

1. Portrait de Philippe V d’Espagne (vers 1700-1701) par Hyacinthe Rigaud (1659-1743), huile sur toile.

(© RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard Blot.)

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présent à San Ildefonso. Exerçaient-ils en alternance ? Blaise semble plutôt avoir été spécialisé dans certains types d’opérations, notamment dentaires. Si on compare son salaire à celui de Legendre (plus de 46 000 réaux), il apparaît que Beaumont restait cantonné, malgré son titre, à des tâches jugées moins prestigieuses. L’intermède est bref car le pauvre Louis, pris d’une violente fièvre, décéda, le 31 août, de la variole, obligeant Philippe V à reprendre les rênes du gouvernement.

De retour à la cour madrilène, Blaise seconda à nouveau Legendre

1

. Le 15 septembre 1727, par décret, Philippe V lui octroie 18 000 réaux de pension et le 17 juin 1730, il est augmenté à hauteur de 25 541 réaux afin d’être rémunéré comme « Juan Antonio La Fita », cité plus haut. En 1732, Blaise émet le souhait de toucher les mêmes gages que Richard Le Preux, soit 46 134 réaux. Cette requête n’est pas suivie d’effet. Ce qu’il a obtenu, en 1729, est de pouvoir jouir d’une voiture et de mules. Le 3 décembre 1733, il obtient un poste d’exami- nateur au protobarberato en remplacement d’un des titulaires, Joseph Fontana, décédé. Enfin, le 15 février 1737, du Pardo, le roi écrit au marquis de Villena qu’il désire augmenter le salaire de son chirurgien à 50 000 réaux de vellons par an

2

. À son décès, Blaise touchait cette somme, mais aussi 5 500 réaux d’équipage et 880 réaux de casa de aposento, c’est-à-dire une aide pour se loger dans la ville en tant que personnel du roi

3

.

À la mort de Jean-Baptiste Legendre, en 1737, Philippe V fit venir, à Madrid, Thomas Duchesnay-Desprez, âgé de 41 ans, qui avait fait ses études à Paris, donnait des cours d’anatomie à l’école de médecine et appartenait à l’Académie royale de chirurgie. Ce dernier entra en poste, le 24 octobre 1737

4

, prolongeant ainsi l’influence et l’extension de la chirurgie française en Espagne

5

. Blaise Beaumont se consacrait plus particulièrement à la recherche, l’enseignement et l’écriture.

L’activité scientifique de Blaise Beaumont

Par leur enseignement, les chirurgiens et anatomistes français diffusent de nouveaux savoir-faire qui contribuent à transformer l’Espagne en un terrain de recherche médicale moderne. Florent Kelli, Irlandais formé en France et

1. Dans son ouvrage de 1728, Blaise Beaumont est présenté comme « cirujano del rey, inmediato al S.r le Gendre », « immédiatement » après Legendre.

2. AGP, Personal, C 16586/12, 15 février 1737.

3. Ibid., note de la veuve de Blaise Beaumont, 18 avril 1758.

4. En 1734, Philippe V aurait souhaité que le Français Jean-Louis Petit vienne à son service. C’est finalement Duchesnay-Desprez (v. 1696-† 20 septembre 1759) qui lui succéda. L’ambassadeur Las Minas avait vérifié à Paris que ce dernier ne soit pas suspecté de jansénisme (Archivo general de Simancas, Estado, leg. 4380). 1737, 24 octobre : arrive en Espagne. Obtient la place de protobarberato. 1742, 5 avril : reçoit un privilège d’hidalguia, AGP, Personal, C 308/14 ; ANM (Archivo Nacional de Madrid), Consejo, 8954, n. 133.

5. J. Riera, « Medicos y cirujanos extranjeros de cámara en la España del siglo XVIII », Cuadernos de historia de la medicina española, Salamanque, 14, 1975, p. 87-104.

(7)

2. Frontispice de l’ouvrage de Saint-Hilaire, L’Anatomie du corps humain, avec ses maladies et les remèdes pour les guérir, Paris, Jean Couterot, 1684.

(© BIU Santé (Paris).)

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chirurgien du roi, enseigne à l’Académie de Séville, puis Blaise Beaumont, pen- dant trois ans à compter du 17 novembre 1729. En 1732, Guillaume Jacob (de Montpellier) le remplace. Tous trois, en leur qualité de disectores, ont travaillé à former leurs pairs espagnols en amphithéâtre. Les conférences étaient suivies de travaux pratiques sur des cadavres d’hôpitaux (fig. 2). En 1701, une chaire d’anatomie à l’hôpital royal de Madrid est aussi créée et successivement dévolue à Kelli, Vincent Gilabert puis Beaumont en 1733, avec le titre de demostrador mayor de anatomía en los reales hospitales de Madrid. Dans son ouvrage, Anatomía completa del hombre (1728), le célèbre anatomiste et médecin Martín Martínez

1

cite les expériences auxquelles il a assisté, nous prouvant, une fois de plus, les échanges scientifiques franco-espagnols. Selon Juan Riera, c’est à Martínez et à Beaumont que l’on doit le renouvellement des recherches anatomiques

2

. Sur ce dernier, il avait écrit en un précédent article qu’il était « sin disputa el mejor tratadista de temas quirúrgicos en castellano (…) [Su] papel renovador […]

es ciertamente significativo, siendo uno de los pioneros de la recuperación anatomo-quirúrgica en la España de la primera mitad del siglo XVIII

3

».

Notre Français est l’auteur de quatre ouvrages qui diffusèrent son enseignement

4

. Il écrivait en langue castillane, preuve d’une complète intégration dans son nouveau pays mais aussi de son désir de partager son savoir avec ses homologues espagnols.

Les Exercitationes (Exercices anatomiques et essentiels des opérations de chirurgie, 1728) sont dédicacées à Jean-Baptiste Legendre (fig. 3 et 6). Vincent Gilabert en réalisa la préface et y salue les exemples pratiques et théoriques d’opérations de chirurgie, se souvenant de celle, magistrale, à laquelle il assista, sur un anévrisme.

Beaumont fait l’étude de l’ensemble du corps humain, évoquant aussi les instru- ments nécessaires aux opérations, les bandages ou les médicaments. Il décrit les opérations qu’il a pu pratiquer, les modalités, les complications éventuelles et les techniques pour suturer. Cet ouvrage est un bon manuel pédagogique de près de 500 pages, sans compter les illustrations (13 planches d’anatomie), qui connut une large diffusion en Espagne.

1. Ma. V. Aguinaga, « Bio-bibliografía de Martín Martínez », Asclepio, 40-1, 1988, p. 75-95.

2. J. Riera, Anatomía y cirugía española del siglo XVIII : Los precedentes ilustrados del real colegio de cirugia de san Carlos, Valladolid, Universidad de Valladolid, 1982, p. 40.

3. J. Riera, loc. cit. (1975), p. 95. Beaumont est « sans conteste le meilleur auteur de traité de chirurgie en castillan (…) Il eut un véritable rôle de pionnier dans le renouveau significatif que connurent l’anatomie et la chirurgie en Espagne, dans la première moitié du xviiie siècle ».

4. Fr. Aguilar Pinal, Bibliografía de autores españoles del siglo XVIII, t. 1, A-B, Madrid, Instituto di folologia Miguel de Cervantes, 1981→. Exercitationes anatómicas y essenciales operaciones de cirugía con un breve resumen de los Instrumentos y Vendages, Madrid : en la impr. de Convento de Nuestra Señora de la Merced ; libr. de C. del Ribero y de P. Reboredo, y en casa de R. Bartolomè, 1728 ; Nota práctica sobre las virtudes de las aguas de Quintos, Madrid : Juan de Zúñiga, 1737 ; El bien del Hombre, buscado y hallado en él mismo, Madrid : en la Imprenta de Joachin Sanchez : y a costa de Bartolomè Torrano, 1739 ; Instrucciones chirurgicas y anatómicas, Madrid : viuda de Barthelemy, 1753.

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3. Blaise Beaumont, Exercitationes, Madrid, 1728, page de titre.

(Paris, Bibliothèque nationale de France.)

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Le Bien del Hombre (Le bien de l’homme recherché et découvert en lui-même, 1739), dédicacé à Philippe V, est d’un genre encore plus pratique par la multitude des expériences relatées (fig. 4). En près de 330 pages, il fait ainsi l’examen de cas cliniques, dont certains traités de concert avec Legendre, qui fut son véri- table maître. C’est dans ce livre que Beaumont est le plus personnel, se mettant en scène et livrant de profondes réflexions sur la responsabilité du chirurgien mais en réglant aussi quelques comptes face aux critiques dont il ne manquait pas d’être la cible. Son travail de chirurgien allait au-delà de la famille royale, et s’adressait à toutes les personnes de la cour (un ayuda, un cochero, un secretario, una camerista, un mayordomo, un mozo de mulas, etc., dont le nom est parfois donné comme ceux du marquis de Bay lieutenant général, du comte de Beaufort, de José Patiño ministre, du duc de Grenade, etc.) et même de la ville pour des cas atypiques (un soldado, un muchacho, une criada, un joven, un albañil, un frayle, un niño, etc.). Il mène aussi quelques expériences plus « ludiques » à ses moments perdus, écrit-il, comme la dissection d’un caméléon devant les Infants (p. 323).

Il présente, sans véritable ordre logique, diverses interventions comme celles sur un bec de lièvre, des opérations de tumeurs, l’intervention sur une fille qui avait

« deux langues », l’amputation d’un œil, une opération des paupières, une autre sur un enfant né avec les intestins à l’extérieur, une fistule anale, des autopsies, l’extraction de calculs rénaux, différents types d’accouchements suivis d’une longue réflexion sur la césarienne, ou l’exodontie d’une molaire de quatre racines au prince des Asturies. En ce dernier domaine, il lance une pique aux chirurgiens qui mépriseraient l’odontologie : « J’ai extrait beaucoup de molaires à tous nos Princes et Princesses, et à toutes les personnes de grande distinction, et celui qui a l’adresse et le courage de bien arracher une molaire à un Prince doit être considéré adroit et capable d’entreprendre n’importe quelle autre opération et personne ne se déshonore en exécutant tout ce qui se rattache à sa profession (…) et ceux qui méprisent une opération, c’est parce qu’ils savent qu’ils sont très loin de pouvoir l’exécuter avec perfection, et ils mettent leur honneur à ne faire que ce qui leur est facile à faire » (p. 121).

Enfin, dans les Instrucciones chirurgicas (Instructions chirurgicales et anato- miques, 1753), Beaumont rédige une dédicace aux Bourbons protecteurs des sciences, citant Louis XIV, Louis XV, Philippe V

1

, et son successeur Ferdinand VI (fig. 5). Dans le corps de son ouvrage, sous forme de petites notes, mais sur plus de 320 pages, Beaumont partage avec ses lecteurs ses dernières observations et expériences. C’est un chirurgien chevronné qui s’exprime là. Un peu à part, ses notes pratiques sur les vertus des eaux de Quintos (1737), où il relate son

1. Beaumont nous laisse ce diagnostic sur la personnalité du roi d’Espagne qui fut souvent tourmenté par la dépression mais toujours maître de lui-même : « Fue demasiado cierto, que las enfermedades que tuvo le debilitaron las fuerzas en un tiempo ; pero nunca hirieron su animo. » (Il ne fut que trop vrai que les maladies qu’il subit l’affaiblirent durant un temps ; mais jamais elles n’affectèrent son esprit.)

(11)

4. Blaise Beaumont, El bien del hombre, Madrid, 1739, page de titre.

(Madrid, Bibliothèque nationale d’Espagne.)

(12)

5. Blaise Beaumont, Instrucciones chirurgicas, y anatomicas, Madrid, 1753, page de titre.

(Madrid, Bibliothèque nationale d’Espagne.)

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La bibliothèque de Blaise Beaumont. Itinéraire d’un chirurgien français auprès de Philippe V...

321 expérience personnelle, nous rappellent l’engouement de cette époque pour les cures thermales.

Philippe V fut ainsi entouré d’un groupe très étoffé de personnalités dont Legendre et Beaumont émergent par leurs compétences, et qui eurent à cœur de former leurs homologues espagnols, dans le domaine de la chirurgie. Il en fut ainsi tout au long du règne et même à l’époque de Ferdinand VI puis de Charles III qui connut un afflux de chirurgiens français considérés comme les meilleurs, auxquels on continue de confier la création des collèges de chirurgie.

À Cadix comme à Barcelone, les médecins militaires français sont pionniers.

Plus tard, Jean Routier, Pierre-Marie Aubry, contribueront par leur présence à renforcer cette discipline, ainsi que d’autres, moins connus, mais dont les noms nous ont été conservés : Charles Richart de Beauregart, Jean d’Elgar, Louis Dette et jusqu’à Jean-Baptiste Gariot, chirurgien dentiste de Charles IV.

Sa famille et ses biens

Par les documents déposés à l’Archivo historico de protocolos

1

, nous savons que le mariage de Blaise Beaumont a été célébré à Madrid, le 12 mars 1724.

Comme beaucoup de ces Français transplantés à la cour madrilène, il épouse une compatriote, Madeleine de la Fontaine, fille unique de Charles de la Fontaine, chef de la bouche du roi d’Espagne. Cette famille est elle-même très liée à celle, cousine, des Martinet-Arnaud qui tiennent plusieurs postes dans le service de la bouche, du gobelet et de la chambre du roi, démontrant, une fois de plus, la forte endogamie de ce groupe. Madeleine apporte en dot 36 000 réaux de vellons. Blaise décède le 9 avril 1758 en laissant 10 enfants vivants sur 12 nés.

L’introduction de son testament, rédigé le 30 août 1742

2

et reproduit dans les documents de 1758, est marquée par une grande piété, commune dans la rhéto- rique propre à ce genre de documents, mais qui se vérifie dans la composition de sa bibliothèque personnelle comme on le verra plus loin. Sa foi catholique, apostolique et romaine est rappelée, sa dévotion aux saints et sa croyance en la Sainte Immaculée Conception, en la Sainte Trinité et en un seul Dieu. Il fait aussi la demande expresse de deux cents messes pour le repos de son âme ainsi que des dons pour les saints lieux de Jérusalem, pour l’ordre chargé du rachat des captifs et pour d’autres ordres mendiants. Ses exécuteurs testamentaires sont Jean-Baptiste Joseph Legendre, le fils de feu le premier chirurgien, alors secrétaire de la chambre du roi et, en France, pour ses biens en ce pays, le sieur

1. Inventario y tasacion de los bienes, caudal y efectos que quedaron por fallecim.to de Dn Blas Beaumont Cirujano q.e fue de S.M. : 13/04/1758, AHP (Archivo historico de protocolos, Madrid), T. 18.132, fols. 739 r°-805 v°. Particion de los bienes de Blas Beaumont : 14/08/1758, AHP, T. 18.139, fols. 201 r-259 r. Non foliotés.

2. Testament rédigé en présence de Bernardino Bringas, secrétaire du roi et du conseil de la chambre.

Copie effectuée le 11 avril 1758 par le notaire Ventura Elipe.

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Bulletin du bibliophile

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Jean Masson de Plissay

1

, conseiller du roi et Jean-Baptiste Alphonse de la Roche

2

, fils de Claude de la Roche, feu premier valet de chambre de Philippe V. Parmi les témoins de ce testament se trouvent le chirurgien Richard le Preux et Pierre Veron

3

, chef de la paneterie de bouche du roi, ce qui démontre encore les liens étroits de Blaise avec les membres de la familia francesa

4

. Le testament, rédigé sous le régime des lois de Castille, prévoit que l’épouse hérite de la moitié des biens acquis durant le mariage et Blaise lui donne en outre 1/5

e

de sa part.

Blaise et Madeleine eurent cinq filles et sept garçons. À la mort de Blaise, l’aîné, Jean Blaise est franciscain aux Indes et exclu du partage du fait de son vœu de pauvreté. Trois filles sont mariées à des Français, liés à l’Espagne mais résidant à Naples ou en France : Madeleine, à Bertrand de Beaumont, seigneur de Cerisier, Fredeau et autres lieux, conseiller du roi et percepteur général dans la province de Joinville, ville où il réside. Ils choisissent Honoré Pascaly

5

, banquier français de Madrid, pour les représenter. Marguerite est mariée à Jean Aubry, qui vit à Naples. Décédée en 1758, elle a pour héritier son jeune fils, Charles Aubry. Enfin, Cécile épouse Jean d’Argenton, de Nantes, commerçant avec la Martinique. C’est Pierre Dabent

6

, commerçant de Madrid, qui les représente.

Un fils, Pierre Charles, est à Cadix comme contador de navio de la real armada

7

et se fait représenter par sa mère. Un autre fils, Pierre, est alferez

8

dans le régiment de Bruxelles et entretenu par ses parents ; un autre, Alexandre, est pensionnaire en France, au collège de la Flèche. Enfin, Isabelle, Bertrand et Louis sont encore sous tutelle. Il est prévu que ces deux derniers fils soient eux aussi incorporés,

1. Jean Masson de Plissay épousa en 1719 Marie-Pélagie, fille de Pierre-Nicolas Partyet, commis de la marine à Madrid, puis consul de Cadix. Partyet était proche de la familia francesa du temps où il vivait à Madrid et avait ses entrées auprès de l’ambassadeur de France et du roi d’Espagne. Son épouse était une Boilot, nièce d’un valet de chambre de Philippe V.

2. Il semble que le fils de la Roche fut un temps en service auprès de Louis Ier avant de se retirer définitivement en France, AGP, Personal, C 19101/54.

3. Le père de Pierre Veron, Jean, mourut à Madrid le 9 mars 1736. Il était boulanger du roi depuis 1701.

Pierre se forma en France avant de succéder à son père à Madrid. Le 28 juillet 1728, il obtient las enfermedades y ausencias de la charge de son père, AGP, Personal, C 16630/3.

4. Les autres témoins sont un Irlandais (Edouard Brown) et deux Espagnols (Manuel Rodriguez et Juan Travesedo).

5. Honoré Pascaly, de Marseille, fait partie des banquiers français de Madrid. Cf. Michel Zylberberg, Une si douce domination. Les milieux d’affaires français et l’Espagne vers 1780-1808, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1993, p. 129.

6. Pierre Dabent, venu de Toulouse, épousa Marguerite Louise, fille de Nicolas Dutillot, valet de chambre du roi et de Louise Pascal, lingère. Elle s’était enrichie par un premier mariage avec un négociant de Rouen, Labourier, de la maison Labourier Planté et Cie, une des grandes sociétés spécialisées dans le commerce des laines du port normand. Jusqu’à son décès en 1783, elle appartient au « gotha » du monde bancaire madrilène.

M. Zylberberg, Une si douce domination..., op. cit., p. 129.

7. Le contador de navio contrôle toutes les dépenses faites au nom du roi sur un navire.

8. L’alferez porte l’étendard du régiment.

(15)

La bibliothèque de Blaise Beaumont. Itinéraire d’un chirurgien français auprès de Philippe V...

323 l’un dans le régiment de Brabant et l’autre dans celui de Castille

1

. Une Julie et un Pierre Marcel sont décédés à cette date.

La veuve de Blaise fait nommer un curador ad litem pour gérer toutes les démarches d’inventaire et de répartition des biens : Diego Ramos. Le décompte et le partage ont lieu entre le 13 avril et le 14 août. Pour hâter les procédures, Pierre Labourdette, commerçant à Madrid, est chargé de traduire en espagnol tous les papiers en français, car les Beaumont ont investi dans leur pays d’origine.

Comme il est de coutume, pour estimer au mieux les biens de la maison de Madrid, on choisit des experts en la matière : Pedro Rodriguez de Miranda, professeur de peinture, pour les toiles ; le joaillier de la cour, pour les objets en or et les diamants ; Francisco Beltran Martinez, ébéniste, pour les meubles en bois ; Alphonso Mathias Fernandez, maître tailleur, pour les vêtements ; Caroline Léopoldine Antoine, pour les robes d’intérieur ; Francisco Salomon, tapissier, pour les tapis et les tentures ; Feliciana San Pedro, couturière, pour le linge de corps ; Pedro Lopez, maître chaudronnier, pour le cuivre et le fer ; Manuel Bazan, doreur, pour les miroirs et les tables dorées ; Juan Ruiz Caro, ferronnier, pour les mules et les harnachements ; Francisco Sanchez, vitrier pour les fenêtres ; Fernando Jan, fabriquant de clavecin pour l’instrument que possède la famille ; Manuel Enriquez Garcia, pour les instruments de chirurgie et, enfin, Lorenzo Cardona, libraire, pour les ouvrages de la bibliothèque de Blaise Beaumont. Le total de l’inventaire se monte à 48 078 réaux de vellons.

Biens décrits Valeur en reales

de vellons Biens décrits Valeur en reales

de vellons

Peintures 2 520 Meubles en bois 6 796

Vestes et manteaux 5 109 Vêtements 1 935

Tapisseries et rideaux 7 645 Linge blanc 3 896

Vaisselle de cuisine 1 137,5 Miroir 2 199

Harnachement des

chevaux 1 560 Vitres 685,2

Livres 4 183 Instruments de

chirurgie 2 677

Clavecin 1 800 Diamants et vaisselle

en argent ou or 5 936

La description nous montre un habitat confortable, honnête mais non révéla- teur d’une situation fortunée

2

. En ce qui concerne les tableaux, 79 cadres sont

1. Selon une note de la veuve du 18 avril 1758, dans AGP, Personal, C 16586/12.

2. On peut comparer avec l’inventaire de D. Bartolomé Pérez Duran, chimiste et pharmacien de Philippe V (1748) édité par José Luis Barrio, dans XXXIV Coloquios Históricos de Extremadura : dedicado a la memoria de Don Miguel de Cervantes en el IV centenario del Quijote, [Trujillo], C.I.T. de Trujillo, [2006], p. 75-92.

(16)

Bulletin du bibliophile

324

inventoriés. Beaucoup de thèmes religieux : le Christ au tombeau, la naissance de la Vierge, la Sainte Cène, la Mater Dolorosa, Saint Joseph ou Notre Dame del Populo ; des thèmes bibliques comme la mort d’Abel, Suzanne au bain ou Beth- sabée (dont on nous dit qu’il s’agit d’une copie de Rubens) ; des paysages, des bamboches, des bouquets de fleurs, des animaux, des jeux d’enfants et aussi trois portraits de Philippe V, un de Louis XIV, un de Marie Louise de Savoie et un de Philippe II. Leur cote ne semble cependant pas très élevée car seulement deux d’entre eux sont estimés à 150 réaux, les autres valant beaucoup moins et même, pour certains, pas plus de 6 ou 8 réaux.

L’inventaire des instruments de chirurgie fait état de deux scies faites à Paris et à Madrid, d’autres scies de diverses tailles, d’un couteau pour « couper les bras ou les jambes » ; de quatre paires de ciseaux à bouts ronds ou effilés, un marteau, des canules et lancettes, des bassins, une aiguille pour les hernies, une autre en ivoire pour les yeux, des tenailles, des bistouris, un écarteur de mâchoire, etc.

6. Blaise Beaumont, Exercitationes, Madrid, 1728, planche VI entre p. 250 et 251.

(Paris, Bibliothèque nationale de France.)

(17)

La bibliothèque de Blaise Beaumont. Itinéraire d’un chirurgien français auprès de Philippe V...

325 Dans la description, Manuel Enriquez Garcia fait souvent des lots trop vagues ainsi présentés : « 22 instruments de tailles divers » ou « 5 pièces en forme d’anneau ».

Le matériel a l’air important

1

mais semble évalué au prix du métal bien plus qu’à l’utilité des outils. Lors de la vente aux enchères effectuée par la veuve, peu d’instruments seront acquis par des professionnels à l’exception de quatre scies et d’un couteau, achetés par D. Manuel Fernandez, cirujano, pour 600 réaux.

L’inventaire de la maison de Madrid ne concerne en réalité qu’une petite partie des biens du couple Beaumont. La succession se complique du fait que les filles mariées ainsi qu’un fils émancipé ont chacun reçu une dot d’un mon- tant total de 148 000 réaux ; et, d’autre part, que la veuve a apporté au ménage, outre sa dot de 36 000 réaux, l’héritage de son père en 1740, constitué de 47 700 réaux d’arriérés de solde, d’une créance de 76 421 réaux et de deux sommes en espèces de 24 684 réaux et 17 432 réaux. À cela s’ajoute un prêt consenti par son père à son mari de 56 400 réaux et deux terres en France : La Geneste

2

, revendue 137 200 réaux et la Continbille revendue 340 000 réaux, ainsi qu’une demi-maison à Paris, héritée de sa tante et vendue par son mari pour 25 600 réaux. Soit, pour l’apport de l’épouse, une somme totale de 761 438 réaux.

Par ailleurs, les époux ont acheté en commun, le 31 juillet 1751

3

, pour 120 000 livres, soit 480 000 réaux de vellons

4

, un office de receveur des tailles dans l’élec- tion de Fontenay-le-Comte, généralité de Poitiers, une maison non loin de cette dernière ville, le 31 mai 1757 pour 16 000 livres, dont 10 000 déjà payées (soit 40 000 réaux), et des meubles évalués à 14 016 réaux. Enfin, Blaise possédait vingt et un billets pour un total de 105 000 livres (soit 420 000 réaux de vellons) sur los recaudadores generales de Francia, appelés à un autre endroit los asentistas generales. Il s’agit sans doute, d’un intéressement de Beaumont à la ferme géné- rale, géré par son représentant en France, David Auguste Breviliers. À ces biens, s’ajoutent pour le calcul de la succession diverses sommes indiquées dans le tableau récapitulatif général ci-dessous :

1. On peut avoir une idée du type de matériel utilisé par Beaumont dans son ouvrage de 1728 où se trouvent plusieurs planches d’instruments de chirurgie accompagnés de leur description (dans la troisième partie).

2. Terre achetée le 25 avril 1740 à Jean-Baptiste de la Roche. Charles de La Fontaine décède le 28 décembre 1740 en léguant tout à sa fille.

3. Signé à Paris par David Auguste Breviliers, acheté à Marie Geneviève Mahé, devant les notaires Andrieu et Plastier. La cession aux Beaumont eut lieu le 12 juillet 1752.

4. L’inventaire des biens établit toujours l’équivalence des monnaies, les livres tournois étant « reducidas a su valor de quatro rr.s cada una de esta moneda de España ».

(18)

Bulletin du bibliophile

326

Inventaire, estimation et réévaluation au moment de la répartition Répartition du 14 août 1758

21 billets sur les fermiers

généraux de France 420 000 rv

314 287 à sa veuve 1 943 à Madeleine 1 943 à Marguerite 1 943 à Pierre Charles

165 à Cécile 19 943 à chacun des 5 autres

enfants Biens de la maison de Madrid 48 078 rv = réévalué 41 906 rv*

Pour la veuve

Liquidité 4 800 rv

Sommes touchées par la veuve depuis le décès de son mari Trésorerie générale 4 656 et 1 370 rv pour les 9 jours

d’avril 6 942 rv laissés à la veuve

Salaire de son fils Pierre 916 rv

Sommes dues au défunt

Des écuries royales 8 386 rv Pour la veuve et dettes de Montalet divisées entre elle (5 724 rv) et 222

réaux pour 8 enfants

Appointements dus 6 987 rv

Dettes du défunt Montalet 7 500 rv

Dépenses communes du couple

Dots de trois filles et émancipation d’un garçon

Madeleine : 36 000 rv (6/09/1750) ; Marguerite : 36 000 rv (6/05/1746) ; Pierre Charles : 36 000 rv (13/02/1752)

et Cécile : 40 000 rv

148 000 : la moitié seulement forme l’héritage de Blaise pour ces 4 enfants, l’autre moitié appartient

à sa veuve = 74 000 rv Biens en France

Office de receveur des tailles à

Fontenay-le-Comte 480 000 rv

Octroyés à la veuve pour compenser ses biens apportés

au ménage Une maison dans la généralité

de Poitiers Restant à payer réévalué à 18 666 rv Meubles de cette maison 14 016 rv = réévalué 9 343 rv Apurement de comptes avec M.

de Brevilier au 12/12/1757 53 212 rv

Corps du bien 1 205 742 rv

* La réévaluation s’est faite en fonction de la vente aux enchères réalisée, mais aussi de la réduction des livres en un lot unique de 350 rv car, en mauvais état et en français, donc peu vendables. Il a été convenu qu’ils ne seraient pas donnés aux enfants dans leur part d’héritage de peur de les désavantager.

(19)

La bibliothèque de Blaise Beaumont. Itinéraire d’un chirurgien français auprès de Philippe V...

327

Dettes

M. de Brevilier 14 800 rv

Total des dettes : 27 576 rv = à la charge de la veuve

Collège de la Flèche 2 640 rv

Un cocher 583 rv

Salaires des domestiques 1 832 rv

Loyer 1 650 rv

Travaux 1 200 rv

Frais engagés à la mort du défunt

2 200 rv : enterrement, messes basses chez les tertiaires, messes à la paroisse, messes au couvent du Rosaire, messes célébrées par le prieur de Saint-Martin, par le couvent de Saint-François, pour la présence de terciaires à l’enterrement, les habits, les

cierges etc.

Dépenses de la maison depuis la

mort de Blaise 1 032 rv

Tailleur et chausseur 96 rv

Intérêts sur les 6 000 lt restant à payer pour la maison de

Fontenay 800 rv

Coiffeur 24 rv

Dettes 429 rv

Taxes sur les biens 192 rv

Taxes sur les diamants, or

et argent 98 rv

Biens de la veuve

Dot 36 000 rv

Total des biens de la veuve : 761 438 rv

Prêts à Blaise par son beau-père

en 1738 et 1739 50 400 rv + 6 000 rv Héritage du 28/12/1740 24 684 d’or + 17 433 d’argent =

42 117 rv Créance de Matheo Blavi (chef

de la bouche) envers son père 76 421 rv Terre en France de la Geneste

25/04/1740 124 000 rv vendue 137 200 Terre en France de Continbille

16/12/1736 488 000 rv vendue 340 000 Une demi-maison à Paris vendue

le 5/10/1751 25 600 rv

Pension due à son père et touchée par Blaise Beaumont le

11/02/1741 47 700 rv

Au partage, les enfants toucheront peu de choses de leur père. La part de

chacun s’établit à 20 000 réaux environ, déjà en grande partie couverts pour

les quatre aînés par la dot reçue. La veuve est plus privilégiée en raison de la

prise en compte de ses biens propres apportés au ménage mais, en réalité, sa

(20)

Bulletin du bibliophile

328

situation, dans l’immédiat, est bien difficile. Sa part est, en effet, composée d’une partie des billets sur les fermiers généraux de France, dont l’échéance n’arrivera qu’en février 1759, et de l’office de Fontenay-le-Comte, qui reste à vendre. En attendant, Madeleine n’a, pour vivre en Espagne, que les pensions de son mari et de son fils, à condition qu’elles soient versées régulièrement et à charge pour elle d’entretenir ses enfants mineurs. Elle doit donc réduire son train de vie, changer de logement et se séparer de ses domestiques

1

. Autorisée à vendre aux enchères les biens de son mari pour se constituer quelques liquidités, elle ne retire de l’opération, effectuée le 22 juin 1758, que la maigre somme de 12 790 réaux. Le ménage a été aisé ; la situation est en train de changer. On ne possède pas d’éléments sur la suite pour connaître l’évolution de la situation familiale, ni la réalité de la liquidation des billets à la date indiquée.

La bibliothèque de Beaumont

L’inventaire des livres fut réalisé le 5 mai 1758, par Lorenzo Cardona, libraire

2

. Il comporte 4 folios recto verso et 1 folio recto. Dans l’édition que nous en faisons, nous avons mis entre crochets la somme en reales de vellon à laquelle les ouvrages ont été évalués, et en gras, le texte même du titre avec l’orthographe utilisée

3

. On se rend compte que Cardona n’a manifestement pas ouvert tous les livres ni pris le temps de recopier avec exactitude le titre et/ou le nom de l’auteur. Peut-être même étaient-ils à deux, l’un dictant, l’autre écrivant, avec tous les risques d’erreur que cela comporte. Son inventaire a été réalisé en l’espace d’une seule journée car le lendemain étaient inventoriés les instruments de chirurgie. Certaines orthographes sont très fantaisistes. Parfois aussi, la mention du titre semble un peu vague et renvoie au thème supposé de l’ouvrage. L’état physique du livre a été ajouté : pasta ou P. ta signifient que le livre est tâché.

Maltratado, en mauvaise état. Sur l’un d’entre eux, il manque la couverture, sur un autre, une page. Trois catégories sont constituées : les in-folios, les in-4° et les in-8°. Si les deux premières semblent correspondre effectivement aux ouvrages qui s’y trouvent, la dernière paraît comporter toutes les « petites » tailles et non seulement les in-8°.

Nous avons choisi de restituer une édition plausible afin de recomposer vir- tuellement cette bibliothèque dont nous avons pu identifier la plupart des titres mentionnés. Elle compte 142 titres individuels et 101 titres regroupés en 3 lots

1. Maria Antonia, servante ; Maria, seconde servante ; Juan Rodriguez, cuisinier ; Pedro, cocher ; Francesco, laquais ; un garçon de cuisine ; un porteur d’eau. Mais aussi ponctuellement un barbier, un accordeur de clavecin, etc.

2. Un premier essai, très succinct, d’édition a été établi par J. L. Barrio Moya, « Algunas noticias sobre don Blas de Beaumont. Cirujano frances en el Madrid de Felipe V », Anales del Instituto de estudios madrilenos, 28, 1990, p. 453-465 : les livres : p. 460-464.

3. Cf. l’annexe à la fin ce cet article.

(21)

La bibliothèque de Blaise Beaumont. Itinéraire d’un chirurgien français auprès de Philippe V...

329 non décrits précisément, de petits formats. L’ensemble fait 325 volumes

1

. 10 in-fol. en 11 volumes ; 42 in-4° en 46 volumes et 191 in-8° pour 268 volumes. 63 sont tâchés, 3 en mauvais état, 12 comportent des gravures ou estampes, enfin 1 livre n’est pas évalué car il est à l’index, prohibido. Avant d’entamer notre étude, il faut rappeler que nous ne pouvons raisonner que sur 142 titres soit 58,4 % de cette bibliothèque. Il s’agit donc d’un instant précis dans la vie de notre chirurgien et aussi d’une image incomplète du fait des lacunes de l’inventaire.

Peut-être eut-il davantage d’ouvrages au cours de sa carrière qu’il aurait vendus, donnés ou dont il se serait séparé. Peut-être aussi ne travaillait-il pas toujours à domicile mais à l’Académie de Séville ou à celle de Madrid, toutes deux dotées de bibliothèques. Néanmoins, le fonds étudié permet de tirer divers enseigne- ments sur la culture de Blaise Beaumont.

Cette bibliothèque est multilingue, principalement en français, mais aussi en espagnol et en latin, langue couramment employée par les médecins et que Beaumont avait pratiquée lors de ses études. On trouve, en outre, trois ouvrages en italien. Sur 142 titres :

Fr. Esp. Fr./Esp. Latin Fr./

Latin Esp./

Latin Italien Grec/

Latin Langue non identifiée car titres non reconnus

avec exactitude

84 30 1 16 3 1 3 1 3

Les sciences (chirurgie, anatomie, médecine, pharmacie) dominent bien évidemment ; suivies par les lettres (dictionnaire, grammaire, théâtre, poésie, philosophie), bien représentées ; le nombre de livres religieux (livres de dévo- tion, vies de saints) dénote un intérêt marqué en la matière ; enfin, l’histoire – ancienne et contemporaine – forme un dernier petit ensemble. Sur 142 titres :

Sciences Lettres Religion Histoire Cuisine Thème non identifié car titres non reconnus avec

exactitude

61 36 24 17 1 3

À cela s’ajoutent, parmi les 101 titres en lots, 15 clairement indiqués comme imprimés à Paris, en français, sur des matières médicales : barios tratados, conclu- siones et observaciones medicas y chirujicas de Paris.

1. À la même époque, la bibliothèque du pharmacien Perez Duran compte 105 titres pour 153 volumes, dans J. L. Barrio Moya, « La biblioteca del extremeño Don Bartolomé Pérez Durán, espargírico del Rey Felipe V (1748) », XXXIV Coloquios Historicos de Extremadura : Trujillo, 19-25 de septiembre de 2005, 2006, p. 75-92.

(22)

Bulletin du bibliophile

330

Les sciences

Sur 61 titres identifiés en cette matière, 19 sont en espagnol, 29 en français, 1 en italien, 11 en latin et 1 non identifié.

Concernant la chirurgie espagnole, Beaumont a lu l’œuvre de Juan de Vigo {6}

1

, qui faisait figure de pionnier dans ce domaine à la Renaissance. Cependant, ce sont les contemporains les mieux représentés, en particulier ceux qu’il a pu fréquenter au service de la famille royale : Manuel Porras, médecin à la cour et son Anatomia de 1716 {33} ; Martin Martinez et les deux textes fondateurs dont il est l’auteur : Anatomie complète de l’homme {37} et Medecina sceptica {38} ; leurs deux cours de chirurgie moderne {123 et 124} ; mais aussi un ouvrage de Francisco Suarez de Ribera {40}, membre de la société de Séville puis chirurgien à Madrid auprès de grandes familles, dès 1722, avant d’entrer, en 1731, comme médecin de la chambre. Figure aussi la traduction par Joseph Izurriaga du célèbre ouvrage de chirurgie de l’Italien, prêtre et médecin, Carlos Musitano {48}, dédicacée à Thomas Duchesnay Desprez. Izurriaga était en poste au collège Saint Cosme et Damien de Pampelune ; sa traduction fut importante pour la circulation des savoirs

2

. Beaumont possède un autre titre (non traduit) de cet Italien {125}.

Par ailleurs, notre Français suit les débats de son époque et détient l’attaque de Francisco Perena contre le novator Zapata

3

{142}, ainsi que l’ouvrage incriminé du fameux médecin, qui touche à l’obstrétique {112}. De son passage à Séville, Beaumont a conservé les ordonnances de la société de médecine {58} et les leçons qui y furent présentées devant José Cervi {47}, premier médecin de Philippe V, protecteur de l’académie dont il révisa les statuts. D’autres titres sont d’auteurs moins connus mais que Beaumont côtoya : José Ortiz Barrozo {55}, médecin de la famille royale, vice-président de la société de Séville, auteur d’ouvrages sur les cures thermales ; Vicente Gilabert

4

, médecin de la famille royale au Buen Retiro, des hôpitaux royaux de Madrid et aussi, membre de la société de Séville {34 et 35 en latin} ; Bernard Araujo, médecin des hôpitaux royaux, de la Passion et du collège royal des filles de Sainte Isabelle {36}. Citons encore le cours de chirurgie de Bartholomé Serena y Lopez, médecin de la famille de la reine et membre du tribunal du protobarberato en 1750 {113}.

1. Le numéro indiqué entre parenthèses renvoie à la liste donnée en annexe.

2. J. Gomez De Enterria, N. Gallardo, « Las versiones de Medicina y Botánica y la nueva terminología científica en el siglo XVIIIe », Cuadernos del Instituto Historia de la Lengua, 4, 2010, p. 55-75.

3. Diego Mateo Zapata (Murcie, 1664-Séville, 1745) était issu d’une famille de juifs convertis. Il étudia la médecine à l’université d’Alcala et, vers 1686, exerça à l’hôpital de Madrid. Sa pensée évolua vers un modernisme radical. Il fut à l’origine de l’académie de Séville et prit fait et cause pour l’usage de l’antimoine en 1701. En 1721, il fut inquiété quelque temps par l’Inquisition. On sait qu’il possédait alors près de 600 volumes dans sa bibliothèque. Cf. V. Peset, « El doctor Zapata (1664-1745) y la renovación de la medicina en España », Arch. iber. hist. med., 12, 1960, p. 35-93 ; J. Pardo Tomás, El Médico en la Palestra : Diego Mateo Zapata (1664-1745) y la Ciencia Moderna en España, Castilla y León, Consejería de Educación y Cultura, 2004.

4. Auteur d’une préface de l’ouvrage de Beaumont de 1728, cf. plus haut.

(23)

La bibliothèque de Blaise Beaumont. Itinéraire d’un chirurgien français auprès de Philippe V...

331 Comme tout médecin de son époque, Beaumont conserve, en outre, un exemplaire du Dioscoride {2}. Cet ouvrage, du nom du médecin de l’antiquité qui en fut l’auteur, s’est répandu au cours des siècles, revêtant une grande autorité d’un point de vue pharmaceutique. À la Renaissance, Andrés Laguna réédita ce texte qui avait souffert d’ajouts pendant le Moyen Âge. Il y eut encore plusieurs éditions

1

dont, sans doute, celle détenue par Blaise, réalisée en 1733, par Francisco Suarez de Ribera déjà cité. La pharmacie et l’usage des plantes l’intéressent suffisamment pour qu’il se procure l’ouvrage de Felix Palacios y Baya, fameux pharmacien à Madrid à la fin du

xviie

siècle, partisan de l’usage de la chimie {32}, qui eut bien des détracteurs à cause de ses positions

2

.

Pour ce qui est des étrangers autres qu’Espagnols, on trouve, outre l’ouvrage de Carlos Musitano en italien précédemment cité, des œuvres de l’Anglais Thomas Willis, considéré comme le père des neuro-sciences

3

{5 en latin}, de Girolamo Fabrizi d’Acquapendente titulaire de la chaire de chirurgie de Padoue et professeur de William Harvey {92}, de Daniel Sennert, professeur à Wit- temberg {139 en latin}, de Jan Palfijn, Flamand, né à Courtrai et mort à Gand, expert en obstétrique {39 et 100} ou de Lorenz Heister anatomiste, botaniste et chirurgien allemand {98}. Beaumont possède un ouvrage de Guido Vidius, célèbre chirurgien florentin, qui enseigna au Collège de France à la demande de François I

er

. C’est en 1611 que son neveu publia à Venise à titre posthume le traité d’anatomie De anatomia corporis humani libri VII, avec de superbes planches gravées sur cuivre {3}.

Beaumont n’oublie pas sa formation par les « classiques » et tient à portée de la main, en langue française, les Aphorismes d’Hippocrate {18}, une histoire de la médecine depuis Galien {29}, les cours de médecine de Louis Guyon, aux multiples rééditions au

xviie

siècle {17}, l’incontournable Ambroise Paré, père de la chirurgie moderne {9 en latin}, les œuvres d’André du Laurens, anatomiste, médecin d’Henri IV {4}, celles de Théophile Gelée, son élève {141}. Tout en étant à Madrid, Beaumont reste informé des avancées scientifiques contempo- raines qui ont lieu dans son pays en se procurant les travaux de Laurent Verduc, issu d’une famille de chirurgiens parisiens

4

{89}, de Guillaume Mauquest de la Motte, qui exerce en Normandie et est l’auteur d’ouvrages réputés en chirurgie et obstétrique {97}, de Pierre Dionis, nommé chirurgien par Louis XIV, en 1672,

1. Ma del C. Frances Causape, « Dioscoride, Andrés Laguna et la pharmacie », Revue d’histoire de la pharmacie, 79, n. 291, 1991, p. 423-430.

2. B. Rivero Taravillo, « La Química a la palestra. Una aproximación a los orígenes de la ciencia química en España », El rincon de la ciencia, 41, juin 2007, <centros5.pntic.mec.es/ies.victoria.kent/Rincon–C/rincon.htm>.

3. Il fut à l’origine de la Royal Society de Londres en 1662.

4. Verduc, chirurgien juré à Paris, appartenait à une famille de chirurgiens également installés à Reims. Il mourut jeune, le 6 février 1703. Il a réédité l’ouvrage de Guy de Chauliac en 1691, manuel universitaire de chirurgie depuis le xve siècle.

(24)

Bulletin du bibliophile

332

pour enseigner « l’anatomie selon la circulation du sang », puis exerçant auprès de la famille royale {99}, enfin de René-Jacques Croyssan, médecin ordinaire du roi au Châtelet {108} et de Joseph de La Charrière, auteur de divers traités de chirurgie {129 et 130}.

Les ouvrages touchant à la pharmacopée, toujours en langue française, sont eux aussi nombreux. Nous trouvons ainsi un volume, originellement en espagnol, sur l’histoire des drogues des Indes et des Amériques (1624) {10}, la Pharmacopée royale du protestant Moyse Charras, démonstrateur de chimie pour le Jardin du roi, en 1672, dont l’ouvrage connut un ample succès {114}, plusieurs autres du pharmacien chimiste Nicolas Lemery, auteur notamment de la Pharmacopée {15, 16 et 120}, l’ouvrage de Tournefort concernant l’analyse chimique des plantes {70}, la pharmacie des pauvres de Philippe Hequet {93}, le dictionnaire pharmaceutique de De Meuve {115}, celui de Roger Dibon, chirurgien ordinaire du roi dans la Compagnie des Cent-Suisses {117}, et encore un ouvrage en latin sur la pharmacie galénique {131}.

L’unique ouvrage mis à l’index est le livre des secrets d’Alexis Piémontois (pseudonyme de Girolamo Ruscelli) d’un genre littéraire qui fit florès

1

entre 1540 et 1660 {91}. L’ouvrage se présente comme une compilation de six livres de recettes diverses, dont la connaissance était alors censée relever d’un privi- lège. L’Inquisition du

xvie

siècle, à l’instar des esprits du

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siècle, souhaitait prohiber ce genre d’ouvrages comme autant de supercheries et de croyances irrationelles mettant souvent en scène le diable. Dans un récent article, José Pardo Tomas établit au contraire que le fonds de ces ouvrages était souvent académique mais réduit à l’essentiel en langue vulgaire pour ne pas laisser le savoir aux seules élites savantes. Sans doute, Beaumont souhaitait-il le détenir pour connaître ce que le peuple pensait de la médecine et, pourquoi pas aussi, pour apprendre quelques remèdes anciens et populaires, loin de tout l’ensei- gnement universitaire qui faisait son quotidien.

Finalement, Beaumont possède surtout des ouvrages de contemporains chirurgiens et anatomistes. Les auteurs espagnols, bien représentés, sont ses collègues de la cour ; les auteurs français, moins nombreux, sont des novateurs en divers domaines comme l’obstétrique ; parmi les quelques auteurs d’autres nationalités, Palfijn et Heister sont ses contemporains réputés. Autre point à souligner, Beaumont a eu à cœur de se procurer les plus récents ouvrages de pharmacopée publiés en français et détient le seul titre moderne espagnol sur ce sujet de Felix Palacios. Rien précisément sur l’art dentaire, dans la mesure où aucun ouvrage sur ce thème n’est alors paru. Tout au plus peut-on s’étonner

1. N. Jimenez Hernandez, « Alexis de Piémont dans le monde hispanique, popularisation de la science ? », dans D’un principe philosophique à un genre littéraire, Paris, 2005, p. 181-200 ; J. Pardo Tomas, « Diablos y diabluras en la literatura de secretos », dans El Diablo en la edad moderna, Maria Tausiet et James S. Ameland (éd.), Madrid, M. Pons historia, 2004, p. 297-325.

(25)

La bibliothèque de Blaise Beaumont. Itinéraire d’un chirurgien français auprès de Philippe V...

333 de ne pas voir figurer celui de Richard le Preux, chirurgien de la reine qui fit paraître un opus à Madrid en 1717 dans lequel figure un chapitre sur ce thème

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. Les lettres

Sur 36 titres identifiés en cette matière, 3 sont en espagnol, 22 en français, 2 en italien, 3 en latin, 1 en latin-espagnol, 2 en latin-français, 2 en français-espagnol et 1 en latin-grec. C’est un nombre assez faible mais les titres sont révélateurs du goût certain de Beaumont pour l’écriture, les phrases bien tournées, le souci d’apparaître comme un homme cultivé.

Les dictionnaires, vocabulaires, grammaires, manuels sont au nombre d’une douzaine. Pour parfaire son castillan, Blaise a acquis le Vocabulario de Nebrija {1}. Ce dernier, humaniste espagnol, fit œuvre de pionnier en rédigeant une grammaire, dès 1492, et un dictionnaire latin-espagnol, puis espagnol-latin, en 1494. On trouve aussi deux exemplaires du Calepino de Salas {26 et 27}, qui nous renvoie à deux références : au

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siècle, le fameux répertoire lexicogra- phique latin-espagnol rédigé par Ambrogio Calepino ; plus tard, inspiré de ce répertoire, le Compendium du jésuite linguiste, Bartolomé Bravo (1

re

édition en 1619 à Valladolid). Bravo connaîtra à son tour de multiples éditions et, à partir de 1662, Pedro de Salas, en particulier, étoffera son texte en puisant de plus en plus dans l’ouvrage de Calepino, de telle sorte que le Compendium de Bravo finit pas être désigné comme le Calepino de Salas

2

.

De nombreux dictionnaires français-latin, édités par des jésuites, sont aussi sur ses rayons : celui à l’usage du Dauphin (du nom d’une collection de clas- siques latins pour le fils de Louis XIV) du P. Danet {13}, celui du P. Richelet {14}, celui du P. Gaudin {21}, celui du P. Pajot {50}. C’est le signe d’un véri- table intérêt pour le maniement convenable de la langue. On y trouve, dans le même esprit, l’ouvrage du P. Bouhours

3

sur la manière de bien penser {22}.

Bouhours entend prolonger l’œuvre de Vaugelas {25} en célébrant la noblesse de la langue française. Beaumont était préoccupé par la qualité de sa prose et de son élocution dans une société où il était indispensable pour être apprécié, de posséder un langage châtié et de savoir conduire une conversation, même à Madrid où l’usage du français se répandait à la cour. Beaumont possède ces

« livres qui traitent de la pureté de la langue française et de la manière de la

1. Doctrina moderna para los sangradores : en la qual se trata de la flebotomia, y ateriotomia, de la aplicación de las ventosas, y de las enfermedades de la dentadura, Madrid : en la imprenta de Francisco del Yerro, 1717.

2. A. Ma Medina Guerra, « El latín y el español en los diccionarios de los siglos XVI y XVII », Revista de Lexicografía, 2, 1995-1996, p. 61-72.

3. G. Doncieux, Un jésuite homme de lettres au xviie siècle, le Père Bouhours, Paris, Hachette, 1886.

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Bulletin du bibliophile

334

parler correctement », pointés par Charles Sorel, dans sa Bibliothèque française, en 1664

1

.

En philosophie, un livre se détache du lot, celui du P. Régis, proche du carté- sianisme {62}. Cet auteur dut attendre 1690 pour avoir l’autorisation de publier son cours de philosophie à Paris, sous la seule condition qu’on n’y trouverait pas de référence à Descartes dans le titre. À cette époque, plusieurs publica- tions nourrissaient les tensions entre partisans de l’ancienne et de la nouvelle philosophie, qu’aviva encore la publication du Système de philosophie de Régis

2

.

Beaumont ne semble pas avoir été grand amateur de théâtre {101}, poésie ou roman. Néanmoins, nous trouvons les œuvres de Virgile {81}, d’Horace {88}

ou d’Ovide {133}, une référence à Molière {67}, Crébillon {95}, Palaprat {134}

ainsi que deux recueils de poèmes {82 et 96}. À signaler, les œuvres complètes de Rabelais {119}, et un titre en italien de Métastase {122}.

Plus particulier est son intérêt pour des auteurs espagnols susceptibles de lui restituer une époque : Cristobal Suarez de Figueroa, qui, dans un ouvrage de 1615, propose une fresque encyclopédique sur le genre satirique à son époque

3

{41}, Baltasar Gracian {42}, Miquel Agusti, prieur de Saint-Jean-de-Jérusalem à Perpignan, auteur d’un traité écrit en 1617, en catalan, intitulé Libro de los secretos de Agricultura {44}. Cet ouvrage connaîtra 23 éditions en castillan

4

. Il y est décrit la vie de la campagne selon les saisons, les plantations, etc. Beaumont ne semble pas avoir un goût très prononcé pour les chefs-d’œuvres littéraires espagnols : Quevedo, Cervantes, Perez de Montalvan, qui étaient traduits à Paris dans la seconde moitié du

xviie

siècle, ne figurent pas chez lui

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, tout au moins dans l’inventaire tel qu’il nous est parvenu. A moins que des éditions de ces auteurs ne se cachent dans le lot des 101 ouvrages non décrits précisément.

La religion

Sur 24 titres identifiés en cette matière, 4 sont en espagnol, 18 en français, 1 en latin et 1 non identifié. Certains portent sur les Écritures qu’elles paraphrasent de manière orthodoxe : l’histoire de la Bible {11}, des réflexions morales sur

1. C. Sorel, La Bibliothèque françoise de M. C. Sorel, ou le Choix et l’examen des livres françois qui traitent de l’éloquence, de la philosophie, de la dévotion et de la conduite des moeurs…, Paris, Compagnie des libraires du Palais, 1664.

2. H.-J. Martin, Livre, pouvoirs et société à Paris au xviie siècle (1598-1701), Genève, Droz, 1969, que nous citons HJM (1969), p. 879 et 880, note 128.

3. J. D. Bradbury, « Revisiones ideológicas y morales en la “Plaza Universal” (1615) de Cristóbal Suárez de Figueroa », dans Actas del VIII Congreso de la Asociación Internacional del Siglo de Oro (AISO), coord. por A. Azaustre Galiana et S. F. Mosquera, 2008, p. 41.

4. Preprint de l’article de M. A. Marti Escayol, « Les fonts del Llibre dels secrets d’agricultura de Miquel Agustí : el MS754 de la Biblioteca de Catalunya i el MS291 de la Bibliothèque nationale de France », Afers : Fulls de Recerca i Pensament, 23, 2008, p. 289-311. Biblioteca Digital de Sciència.cat, Gener 2010, Universitat de Barcelona (31/01/2013), <http://www.sciencia.cat/biblioteca/documents/MartiEscayol_FontsAgusti.pdf>.

5. HJM (1969), p. 815.

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