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La musique de chambre à Nantes entre les deux guerres

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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La musique de chambre à Nantes

entre les deux guerres

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Musiques et Champ Social dirigée par Anne-Marie Green

Les transformations technologiques depuis cinquante ans ont bouleversé la place de la musique dans la vie quotidienne. Celle-ci est actuellement omniprésente tant dans l'espace que dans les temps sociaux, et ses implications sociales ou culturelles sont si fortes qu'elles exigent d'être observées et analysées. Cette série se propose de permettre aux lecteurs de comprendre les faits musicaux en tant que symptômes de la société.

Déjà parus

Cristina BARBULESCU, Les opéras européens aujourd’hui : comment promouvoir un spectacle ?, 2011.

E. BOUTOUYRIE, La musique techno. Une approche sociogéographique, 2010.

Jacob ETIENNE, Les Bals populaires des Antillais en région parisienne, 2010.

Antoine PÉTARD, L'improvisation musicale. Enjeux et contrainte sociale, 2010.

Gérard REGNIER, Jazz et société sous l’Occupation, 2009.

Stéphanie MOLINERO, Les publics du rap, 2009.

Alfred WILLENER, Le désir d’improvisation musicale, 2008.

Vincent SERMET, Les musiques Soul et Funk, 2008.

Aude LOCATELLI et Frédérique MONTANDON, Réflexions sur la socialité de la musique, 2007.

Gaston M’BEMBA-NDOUMBA, La femme, la ville et l’argent dans la musique congolaise, 2007.

Stéphane FRANÇOIS, La musique europaïenne, 2006.

Jedediah SKLOWER, Free jazz, la « catastrophe féconde ». Une histoire du monde éclaté du jazz en France (1960 – 1982), 2006.

Anne-Marie GREEN, De la musique en sociologie, 2006.

Florent BOUSSON, Les mondes de la guitare, 2006.

Anne ROBINEAU et Marcel FOURNIER (dir.), Musique, enjeux sociaux et défis méthodologiques, 2006.

Elisabeth CESTOR, Les musiques particularistes, 2006.

Sylvie SAINT-CYR, Vers une démocratisation de l’opéra, 2005.

Sylvie SAINT-CYR, Les jeunes et l’opéra, 2005.

Christophe APPRILL, Sociologie des danses de couple, 2005.

Thomas KARSENTY-RICARD, Dylan, l’authenticité et l’imprévu, 2005.

Michaël ANDRIEU, De la musique derrière les barreaux, 2005.

Damien TASSIN, Rock et production de soi, 2004.

Stéphane HAMPARTZOUMIAN, Effervescence techno, 2004.

Michel DEMEULDRE, Sentiments doux-amers dans les musiques du monde, 2004.

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Michelle Bourhis

La musique de chambre à Nantes

entre les deux guerres

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© L’Harmattan, 2011

5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com

diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-55495-5

EAN : 9782296554955

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A Line, ma sœur

Avec toute mon affection et ma profonde admiration

A Robert Laffra

Mon maître, pour son enseignement d'exception

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INCIPIT

A la manière d’une entomologiste, Michelle Bourhis nous dépeint avec minutie et précision l’activité de musique de chambre pendant l’entre-deux guerres à Nantes.

Cette somme très documentée s’appuyant sur des sources authentiques intéressera autant les mélomanes que les musiciens, leur permettant de resituer leur pratique actuelle dans un continuum historique.

Elle-même chambriste, Michelle Bourhis ne se contente pas d’énumérer des faits et ne manque pas de relever, avec la distanciation qui s’impose, les points de vue exprimés alors, avec humour et sagacité.

Sa conclusion en forme d’hommage à René Martin, inventeur et architecte des

Folles Journées montre à quel point, par-delà les

époques et les modes, l’essor d’un genre musical trouve son audience dès lors qu’il en acquiert la légitimité.

Charles Dauverné

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INTRODUCTION

Fondé à Nantes en 1995, le Quatuor Liger vient de fêter ses quinze années d’existence. C’est, actuellement, le seul quatuor nantais à se produire régulièrement dans sa ville.

Il nous a semblé intéressant de rechercher dans les quotidiens nantais si d’autres quatuors à cordes ou d’autres ensembles de musique de chambre ont connu une aussi grande longévité, tout particulièrement entre 1918 et 1944, période pendant laquelle Paul Ladmirault écrivit tant de pertinentes critiques dans divers journaux nantais.

Si, de 1918 à 1944 le théâtre Graslin est le cœur artistique de Nantes, si, en ce début du vingtième siècle les spectacles lyriques occupent la première place, comme le soulignait avec justesse Théodore Lenoir lors d’un entretien en 1998, il n’en demeure pas moins que les nantais dont certains jouent eux- mêmes d’un instrument, sont aussi attirés par la musique instrumentale et notamment par la musique de chambre.

Pendant de nombreuses années les concerts de musique de chambre ont comporté une partie réservée au chant : souvent la moitié du programme ; parfois même la poésie s’invite à la soirée. Est-ce parce que le chant est plébiscité par le public ? Ou bien la musique de chambre est-elle tenue comme une musique de qualité secondaire par rapport à l’art lyrique ? La saison de musique de chambre est-elle aussi étoffée que la saison lyrique ?

Qui organise les concerts de musique de chambre ? Les artistes ? Des institutions ? De riches « dilettanti » ? Dans quel but ces concerts sont-ils organisés ?

Entre les deux guerres, les enregistrements de disques ne sont pas monnaie courante. Le plus souvent, seuls les concerts permettent d’avoir accès aux partitions, surtout contemporaines ; mais bientôt il faudra aussi compter sur les retransmissions de la radio. Le public continuera-t-il alors à fréquenter les salles ?

A Nantes, la plupart des auditions ont lieu en matinée, les artistes devant, presque tous, assurer un service chaque soir au théâtre : opéras et opérettes occupent la majeure partie de leur activité. Quelques solistes parisiens se produisent en soirée. Quels sont ces artistes nantais ou parisiens ? Sur quels instruments jouent-ils ?

Trouver à Nantes une salle de concert convenant à la musique de chambre sera une préoccupation récurrente entre les deux guerres. Nous examinerons les qualités et les défauts de ces diverses salles. Quel public y prend place ? Ce public n’est-il préoccupé que de musique ou mêle-t-il musique et patriotisme, voire musique et politique ?

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Que joue-t-on au cours de ces concerts ? Comment les artistes organisent- ils leurs programmes ? Puisque nous lisons la presse nantaise, une place de choix est-elle réservée aux compositeurs bretons et plus particulièrement aux compositeurs nantais ?

Mais la musique bretonne ne peut suffire ! Examinons aussi les œuvres jouées pendant ce quart de siècle. Toutes les périodes de l’histoire de la musique ont-elles une importance égale ? La musique contemporaine bénéficie-t-elle d’une place de choix ? Quels jugements les nantais portent- ils sur cette musique ?

Enfin, donnons la parole aux critiques musicaux : ils sont nombreux à Nantes et reflètent souvent le goût du public.

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Chapitre premier

L’organisation des concerts de musique de chambre

1. Musique de chambre et chant

De nos jours, les organisateurs de concerts choisissent de nous faire entendre soit de la musique de chambre, soit un récital de chant, mais les deux sortes de programme ne se mélangent généralement pas.

Au début du vingtième siècle, il n’en est pas ainsi : la plupart des concerts de musique de chambre mêlent musique instrumentale et musique vocale. La pianiste Anaïs Hallez, le violoniste Paul Muller, donnent des récitals auxquels participent les chanteurs Monsieur et Madame Villa. Ces mêmes chanteurs se produisent aux côtés du violoniste Gaston Elcus et de la pianiste Yvette Brouhouet.

Il est d’ailleurs très curieux d’entendre plusieurs pianistes au cours d’un même concert : l’un accompagne une sonate, l’autre, les mélodies. On cite alors dans le programme qui tient « le piano d’accompagnement ». Les exemples sont nombreux. Nous en choisissons un au hasard. Le 17 décembre 1922, le compositeur Alfred Kullmann honore de sa présence l’exécution de sa Sonate pour violon et piano par Gaston Elcus et Robert Casadesus. Le compositeur, lui, accompagne les mélodies qui sont l’essentiel du programme.

D’ailleurs, l’intérêt du public se porte essentiellement vers les récitals de chant, l’opéra et l’opérette : la saison lyrique commence avant les concerts de musique de chambre. Ces derniers débutent rarement avant le mois d’octobre, voire de novembre.

Les auditeurs apprécient-ils le mélange du chant et des instruments ? Personne ne conteste cet état de chose sauf le chroniqueur « intérim » qui, en février 1919, s’écrie dans Le Populaire : « on éprouva un réel plaisir en parcourant le programme : pas de chanteuse pour cette séance ! »

Par contre, en 1921, Seltifer, après un concert de musique de chambre où seules deux sonates et un trio ont droit de cité s’exclame : « nous demandons à Monsieur Elcus de nous faire bientôt réentendre l’exquise cantatrice qu’il fit venir l’an dernier. Un peu ce chant, s’il vous plaît, pour la joie de tous ! »

Son vœu semble exaucé. Les cantatrices reviennent. De même, en 1931 le violoncelliste André Lévy, accompagné au piano par Gisèle Couteau, s’adjoint le baryton Basile Braminoff.

La même Seltifer semble respirer dans sa chronique du 3 février 1924 :

« enfin, nous avons entendu une cantatrice ! Depuis plusieurs années, les instruments à cordes ont remplacé à Nantes les …cordes vocales. C’est une joie d’assister à un concert où le piano, le violon, le violoncelle et la voix se trouvent réunis. »

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Les festivals consacrés à tel ou tel compositeur comportent des œuvres vocales : prenons-en pour exemple le festival Roussel organisé en 1930. La musique instrumentale semble supérieure au chant. En effet, le programme fait entendre des mélodies « un peu trop semblables et monocordes » au goût de Ladmirault.

En 1936, Ad. Del remarque que « le public qui se laisse si facilement attirer par les chanteurs, se montre plus rebelle aux sollicitations d’un bel ensemble d’une heure de musique seulement ».

Est-ce la raison pour laquelle la musique de chambre a mis tant d’années à devenir autonome ? La musique de chambre suffit-elle à attirer un public nombreux ? Est-elle présente tout au long de la saison artistique ?

2. La saison artistique

Elle est courte : de novembre la plupart du temps (parfois fin octobre) à mai.

La saison de musique de chambre se termine souvent au mois d’avril ; les artistes partent alors jouer dans les stations balnéaires. Seule la seconde guerre mondiale, la poche de Saint Nazaire empêcheront cette tradition : le violoncelliste Robert Laffra joue alors à Nantes au mois de juillet, par exemple.

Dès le mois de juin, les artistes se produisent sur la côte, ce dont se plaint amèrement Seltifer en 1918 : « il ne fallait pas réserver aux plages les plus mondaines le privilège de soirées d’art. Ces soirées, ici, se font rares ».

La côte n’est pas la seule à bénéficier de ces concerts. Elcus, l’été, joue dans les stations thermales du sud-ouest. On sait par ailleurs le prestige du casino de Vichy qui attire de nombreux artistes. Robert Laffra s’y produira plusieurs fois.

La Baule n’est pas la seule ville à profiter des artistes nantais : en juin 1922, le Groupe Philharmonique se produit à Vannes, Quimper, Rennes, Saint-Brieuc.

On a souvent l’impression que les musiciens courent d’une ville à l’autre.

On reparlera dans un prochain chapitre des malheurs de Thibaud avec les transports. Bien d’autres sont tributaires des horaires de train. En 1937, Seltifer s’indigne : « forcés de partir tôt, Pierre Fournier et Mady Hardy enchaînent les œuvres : jamais audition ne fut si bousculée. Le Concerto de Vivaldi et la Sonate de Francoeur se succédèrent pour ainsi dire sans interruption, laissant à peine au public le temps de se reconnaître entre les mouvements de ces œuvres par ailleurs magistralement exécutées. Pierre Fournier se précipita sur la Sonate arpeggione dont il joua les deux mouvements avec une allégresse et un sentiment ineffable ».

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Certains jours sont-ils plus favorables pour organiser un concert de musique de chambre ? Faut-il alors placer l’audition en matinée ou en soirée ?

3. Jours et horaires des concerts de musique de chambre

Les concerts de musique de chambre ont très souvent lieu le dimanche après-midi. « Nantes est une ville heureuse, note Le Phare en 1919 ; on n’y connaît pas l’ennui du dimanche. Il cite Francis James : « le dimanche, les bois sont à vêpres ».

Pendant de nombreuses années, seuls les artistes internationaux jouent en soirée : Enesco, Thibaud, Cortot, le Quatuor Calvet pour n’en citer que quelques-uns.

Les nantais s’ennuieraient-ils sans musique l’après-midi ? On peut le penser : les concerts du Moment Musical ont habituellement lieu à 16h. Mais au mois d’avril 1941, « pour ses séances estivales, le Moment Musical a décidé de réunir ses abonnés au début de la soirée, à 20h15 ».

« C’est un attrait de plus, dit Seltifer, que de rentrer chez soi au crépuscule, après deux heures de musique, dans les parfums des jardins fleuris ». Grognon, Ladmirault s’écrie : « pourquoi cette séance a-t-elle eu lieu entre chien et loup ? C’est que plusieurs dilettantes avaient demandé cette innovation afin d’aller se promener dans l’après-midi. Regrettons pour notre part l’ancienne heure, mais constatons que le public est venu presque aussi nombreux ».

Les musiciens du théâtre Graslin ne devaient guère bénéficier de loisirs : entre les représentations d’opéra et d’opérette, les concerts de musique de chambre, l’enseignement au Conservatoire pour beaucoup d’entre eux, les éventuelles leçons particulières, l’emploi du temps est surchargé. A tout cela il faut ajouter les heures de répétition pour le théâtre ou pour les récitals.

Ce sont d’ailleurs les services au théâtre qui conditionnent les jours et les horaires de musique de chambre.

Les musiciens pensent-ils gagner correctement leur vie en donnant des concerts ? Rien n’est moins sûr. En examinant le prix des places, le nombre d’auditeurs, souvent réduit, on peut conclure que les artistes doivent plutôt compter sur le salaire du théâtre Et encore !

Un article du 8 novembre 1924 dans le numéro 6 de Nantes Le Soir nous éclaire sur les salaires : « les exécutants du théâtre de Nantes sont divisés en quatre catégories avec des appointements de 550, 600, 650, 700 francs.

Un violon coûte 1500 francs au minimum, un basson, 4000 francs. Les musiciens donnent quelques leçons en ville mais les instrumentistes à vent ne trouvent pas d’élèves. Leur nombre décroît d’année en année. »

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L’Annuaire général de la Loire Inférieure répertorie les professeurs de solfège, de composition, de piano, de violon, de violoncelle, de…mandoline (mais oui, ils sont au nombre de sept et Maurice Lehuédé enseigne non seulement cet instrument mais aussi le violoncelle). En 1918, on compte quarante-cinq professeurs de piano, douze professeurs d’orgue, mais seulement trois de flûte, trois de clarinette, un de cor, un de trombone.

La lutte semble féroce pour se faire une place au soleil.

Les artistes font-ils fortune en organisant des concerts de musique de chambre ? A quel prix ces concerts sont-ils proposés ?

4. Prix des places

Il n’est pas toujours facile de savoir combien coûtait un concert de musique de chambre : surtout au début de notre étude, le prix des places est assez rarement indiqué. Nous tenterons de résumer dans un tableau l’évolution du coût des concerts.

Une autre remarque s’impose : ce n’est généralement pas la réputation d’un musicien qui fait varier le prix des places mais plutôt la fréquentation de telle ou telle salle. En ce qui concerne Graslin, il est rarissime de savoir à combien se montait la soirée par auditeur. Sans doute le tarif habituel des spectacles lyriques était-il alors appliqué ?

Lorsque plusieurs séances sont prévues, un abonnement est proposé. Pour attirer les familles nombreuses, des cartes familiales sont vendues pour quatre, cinq ou six personnes.

Certains commentateurs regrettent le prix des places trop élevé. Qu’en est-il exactement ?

En 1918, au théâtre Graslin, on fait payer aux auditeurs des classes du Conservatoire deux francs pour les fauteuils de première et les loges de première, un franc, les fauteuils d’orchestre, les places de baignoires, cinquante centimes les fauteuils de seconde et de troisième.

A cette date, les concerts de Hallez et Muller dans un salon de l’Hôtel de Bretagne coûtent de 3,30 à 3,40 francs. Robert Soëtens et Mademoiselle de Valmalète, dans la même salle, demandent de 3 à 5 francs. Enfin les trois séances des sonates de Beethoven coûtent 12 francs

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A la Salle des Sociétés Savantes, il faut débourser vingt francs pour les quatre séances de concerts organisés par Lucy Vuillemin en 1919.

Comparons avec les prix de plusieurs articles relevés en 1919 : le demi kilo de bœuf coûte de 2,50 à 4,25 francs, le poulet 5,75 francs le kilo, la livre de beurre 6,75 francs, une paire de chaussures 38 francs, un complet de 170 à 175 francs. Le tramway est à 0,15 franc la section.

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En 1921, le numéro du Phare de la Loire coûte 15 centimes, un déjeuner à la Cigale dix francs, un dîner « vin compris » douze francs.

En 1925, le prix des places à Graslin s’échelonne de 1,30 franc à 10,80 francs, au théâtre Apollo que dirige Fernand Jean de 3,50 francs à 11 francs.

Cette salle est appréciée car « on peut y fumer et il y a un promenoir ».

L’année suivante les places d’opérette s’échelonnent de 1,30 à 10,55 francs, celles d’opéra-comique de 1,50 à 13 francs.

Les places de concerts seraient-elles vraiment trop coûteuses ? En 1931, le Quatuor Tchèque remplit à peine une demi-salle. J. d’Erd en cherche la raison : « j’admire les instrumentistes qui maintiennent Nantes dans leurs itinéraires. Ils ont autant de courage que de talent. Mais que peuvent bien faire le dimanche à cinq heures du soir les nantais qui se disent musiciens ? La crise ? Elle ne sévit pas à tel point dans le monde où la musique est en honneur qu’on doive, sous prétexte de restrictions, se priver d’entendre qui mérite d’être entendu ». La bourgeoisie, principale catégorie sociale qui assiste aux concerts, ne serait donc pas touchée par la crise.

En 1933 il faut débourser 15 francs à Graslin pour une loge ou un balcon de face. Les « quatrième » sont à 2,50 francs. « La prime de location et les timbres de quittance pour les places supérieures à dix francs sont en sus ».

Les concerts de Graslin à petit prix semblent permettre à tous d’assister à un concert de musique de chambre.

A la fin de la seconde guerre mondiale, les prix s’envolent. Si les places les moins chères demeurent à 10 francs, salle Franck, les plus élevées atteignent 20, 25 francs en 1943 (concert caritatif) et même 40 francs en 1945, taxes en sus. Bien sûr, le coût de la vie a subi la même inflation.

Certains concerts sont vendus par abonnement : en 1932, la Société Philharmonique de Paris propose cinq concerts de 50 à 82 francs, plus un franc de taxe de placement ; un concert coûte cette année-là de 12 à 20 francs salle Gigant.

Voici un aperçu du prix des places mentionné dans quelques salles.

Graslin : en 1931 : 10 à 40 francs 1933 : 2,50 à 20 francs 1939 : 3 à 15 francs 1940 : 8 à 30 francs 1941 : 10 à 15 francs

On constate donc une grande disparité de prix, sans doute en fonction des exigences des solistes.

Salle Gigant : en 1918 : 12 francs pour trois séances 1919 : 3 et 5 francs

1923 : 3 et 7 francs 1927 : 8 et 10 francs 1930 : 10 à 15 francs

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1942 : 10 à 25 francs

Le prix des places est régulièrement indiqué pour les concerts donnés salle Gigant.

Salle des Sociétés Savantes : 1918 : 3 et 5 francs 1919 : 3 à 10 francs Salle du Chapeau Rouge : 1923 : 4 et 5 francs 1924 : 4 et 5 francs 1927 : 4 à 10 francs Salle César Franck : 1940 : 10 et 15 francs 1943 : 10 et 20 francs 1945: 40 francs

5. Organisateurs de concerts

Ce sont souvent des amateurs éclairés, des professeurs, issus de la bourgeoisie nantaise.

Les récitals Bentz-Piédeleu

Madame Bentz-Piédeleu est cantatrice ; elle organise des concerts dans ses salons de la rue Kleber. Outre le chant, on y entend de nombreuses œuvres de musique de chambre. Si les concerts, ayant lieu l’après-midi, sont annoncés dans la presse, ils ne font jamais l’objet de critiques musicales.

René Bentz, quant à lui, n’hésite pas à prêter son concours au concert donné au profit de la Caisse des mutilés. En 1909, il avait obtenu une troisième médaille au Conservatoire de Paris. Le Phare loue « la délicatesse de son archet et sa prodigieuse virtuosité dans les Airs bohémiens de Sarasate. Il conclut : « ce jeune artiste est en passe de devenir à son tour un maître du violon ». La prophétie se réalisera lorsque l’on entendra René Bentz en quatuor dans le cadre de la Boîte à Musique.

Les concerts Villa-Brouhouet

Monsieur Villa, chanteur et Mademoiselle Brouhouet, pianiste, organisent des « concerts de musique ancienne et moderne ». Leur volonté est de proposer au public de nouvelles œuvres ; pour les faire bien accepter, ils vont mêler habilement « les œuvres connues et celles qui seront célèbres demain. » En 1918, J.Cox souligne la difficulté de l’entreprise : « il faut d’abord sacrifier au goût du plus grand nombre et aussi savoir lui résister.

Pour cela, il faut inscrire d’office certaines œuvres parmi celles qui n’ont que commencé à plaire et avoir recours aux auteurs consacrés, doser le moderne et le classique, de façon à ce que l’un s’oppose à l’autre. Ainsi on stimule l’attention, on provoque la critique, on donne de la vie à ces manifestations

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d’art engendrant trop souvent une monotonie soporifique parce que, trop souvent, nous sommes conviés à entendre les mêmes très belles choses ».

Le succès est au rendez-vous. Ladmirault remarque l’affluence considérable qui se presse à ces concerts qui « ont le double attrait de l’inédit et de la perfection. Beaucoup d’œuvres modernes seraient ignorées sans eux parmi nous ».

Le zèle des deux musiciens est considérable. Les auditions ont lieu au domicile privé de monsieur et madame Villa, dans une atmosphère intime qui convient à merveille à la musique de chambre. Les « ligériades » instituées par le Quatuor Liger ont su, de nos jours, retrouver cette atmosphère conviviale. J.Cox goûte cette organisation : « aimez-vous être très près des artistes et comme pour un instant leur camarade ? Alors vous apprécierez ces auditions où rien dans le décor du milieu où elles se donnent ne rappelle la salle qu’on loue, impersonnelle et si souvent froide. Il y règne une atmosphère d’intimité ; c’est comme un appartement parisien et l’air qu’on y respire sent aussi bien son Paris ».

Roger Lesbats aime lui aussi cette atmosphère ; en 1924 il dit : « on sait qui nous accueille. Point de froideur guindée, point de solennelles présentations ni de causeries qui veulent être explications et ne sont qu’ennuyeuses. Et surtout point de cabotinage, d’égoïsme recherché, de programmes-massues, de matrones goualantes, d’instruments épileptiques ! »

Public choisi, donc. Chaque année, la famille Villa ne manque pas d’organiser un « concert spirituel » qu’apprécie J. Cox : « un concert spirituel c’est trop fréquemment une manifestation d’art entachée d’hypocrisie, les organisateurs trouvant moyen de faire entendre de la musique profane ou faussement religieuse à un auditoire qui s’attend plus ou moins à être édifié. On le trompe et il aurait droit de se plaindre. Faisons donc compliment à Monsieur et Madame Villa d’avoir donné un vrai concert spirituel avec, au programme, rien que des œuvres à l’accent sincèrement religieux, à l’exception de deux airs de danse, aucunement sacrés et qui troublèrent, quelques minutes, notre recueillement. » A l’un de ces concerts, Gaubert exécute l’Aria da chiesa de Stradella.

En 1926, on fête le dixième anniversaire de ces manifestations musicales.

Ce 24 janvier, on peut entendre le chanteur Jacques Villa, Yvonne Brouhouet au piano, Jacques Elcus au violon. La partie de musique de chambre propose le Rondo Capriccioso de Saint-Saëns et la Sonate en fa dièse mineur de Rohozinsky.

Les auditions Vuillemin

Monsieur et Madame Vuillemin n’hésitent pas, eux non plus, à proposer des programmes de musique moderne, « tentative hardie » auprès d’un

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public trop souvent conservateur. Louis Vuillemin était le directeur d’une importante maison de musique et d’édition à Nantes. Pianiste, violoncelliste, il avait étudié avec Fauré. Sa femme brille comme cantatrice réputée.

Compositeur, Louis Vuillemin se montre aussi un brillant conférencier. A Paris et dans différentes villes de province, à la radio, il avait organisé des séries de sept séances consacrées à la musique de chambre du dix-huitième siècle à nos jours. Il fut un critique musical de talent, laissant des études clairvoyantes sur Gounod, Reyer, Fauré. Avec Ropartz et Ladmirault, également membre de l’Association des Compositeurs Bretons.

Malheureusement, touché par les gaz asphyxiants lors de la première mondiale, il s’éteint en 1929 à l’âge de 49 ans. Il est inhumé à Nantes et une avenue perpétue son nom.

Le Phare annonce : « Madame Lucy Vuillemin, notre talentueuse concitoyenne soliste des Concerts Colonne et Lamoureux, donnera quatre auditions vocales et instrumentales consacrées à la musique moderne les dimanche 11 janvier, 16 février, 16 mars, 13 avril 1919 ». Au cours de ces concerts on put entendre la Sonate pour violon et piano de Debussy, la Sonate pour violon et piano de Grovlez, le Poème de Chausson, la Sonate pour violon et piano de Pierné, la Sonate pour violoncelle et piano de Jean Huré.

L’Ouest Éclair souligne bien la hardiesse de l’entreprise : « à plusieurs reprises nous avons entretenu nos lecteurs de la tentative hardie qu’osait à Nantes Madame Lucy Vuillemin, avec le concours (nous allions dire avec l’autorisation) de Monsieur Louis Vuillemin et d’un certain nombre d’éminents artistes, compositeurs ou virtuoses. En quatre séances, Madame Lucy Vuillemin compte épuiser la liste des compositeurs contemporains s’apparentant entre eux, les uns auréolés de gloire et de cheveux blancs, tel Fauré, les autres presque ignorés du grand public et méritant pourtant d’être entendus au titre de représentants de la vraie musicalité moderne. » On ne peut s’empêcher de penser au rôle de la Société Nationale qui s’attacha à révéler les compositeurs contemporains.

Les concerts ont lieu salle des Sociétés Savantes.

La Société Mozart

Son activité ne se limite pas à Nantes. Son président, Monsieur Lignier, se fixe pour but de « faire entendre dans différentes villes de la musique à bon compte ». La société voit le jour en 1928. Claude Guillon-Verne craint la concurrence de ce nouveau groupement : « initiative fort louable ; mais n’inquiète-t-elle pas les sociétés existantes ? » Les programmes semblent trop traditionnels au critique trop souvent grognon : « il faudrait que la Société Mozart s’attache surtout à faire entendre des œuvres non connues ».

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L’année suivante, Ladmirault explique que « la Société Mozart est un cercle. Par conséquent, elle est fermée. Mais quelle aimable façon de l’être ! En réalité, elle ouvre largement ses portes aux fervents de la musique. Il y en a dans toutes les classes, mais la caractéristique de la Société Mozart, c’est qu’elle est à la fois mondaine et familiale. Elle est née de ces temps difficiles où les plaisirs sont onéreux. » En 1931, Ladmirault s’extasie sur les familles nombreuses : « les cartes collectives distribuées par la Société Mozart montrent que les familles nombreuses, Dieu merci, ne sont pas rares en France, comme on le craignait à tort jusqu’ici. Ces cartes collectives permettent aux dilettantes d’y amener toute leur parenté naturelle ou adoptive, ce qui explique l’affluence constante à ces concerts ».

Voilà donc une possibilité d’écouter de la musique à des tarifs accessibles : « le miracle, c’est qu’ici le plaisir est de choix et son coût extrêmement réduit, cadrant avec les plus modestes possibilités budgétaires.

Pour peu, nous dirions que c’est une œuvre, et pourquoi, après tout, ne le dirait-on pas ? Elle mériterait d’être subventionnée parce qu’elle met le public de province directement en contact avec ce que Paris contient de plus raffiné, avec des artistes qui partent de la capitale pour de longues randonnées à travers la France comme s’ils étaient chargés d’une mission. Ils y apportent un véritable esprit d’apostolat, pourrait-on croire, à les voir tous si manifestement appliqués à leur besogne d’art ».

Le prix des places, certes, n’est pas trop élevé si l’on choisit de s’abonner pour la saison entière, une façon de fidéliser le public.

Le Populaire ajoute que « les efforts de ce groupement sont faits dans un but de décentralisation artistique ; il engage des artistes non nantais ». Ainsi peut-on entendre Maurice Maréchal et Boris Golschmann, Renée Chemet et Lucette Descaves, Renée Chemet et Reine Gianoli, Lazare Lévy et Henry Wagemans, Jean Champeil et Charles Schoes, Le Quatuor La Candela- Pasquier, Lélia Gousseau et Léon Zighera, André Lévy et Gisèle Couteau…

La liste serait longue. Des noms de tout premier ordre se succèdent au cours des ans. En 1934, la Société Mozart change d’imprésario. Le nouvel impresario est « le bureau des Grands Concerts Kiesgen », intermédiaire « de tous les grands virtuoses ».

D’ailleurs, la Société Mozart organise aussi des concerts en dehors de Nantes, à Saint Nazaire, par exemple, en février 1921.

Le public était-il vraiment nombreux ? En 1936, une curieuse notice du 14 octobre, dans Le Phare encourage les membres de la Société Mozart à recruter de nouveaux adhérents. On peut lire que « l’encaisseur se présentera chez ses abonnés cette semaine ; comme par le passé, ils lui réserveront bon accueil ». On imagine mal démarcher plusieurs centaines d’abonnés ! Pour cette nouvelle saison, une carte familiale pour quatre personnes est proposée

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(pour un abonnement à quatre concerts) au prix de 60 francs. La carte individuelle, toujours pour quatre concerts, coûte 25 francs.

Au cours d’une séance de la Société Mozart, le président, Monsieur Lignier annonce un concert organisé par le groupe de « la Musique Intime ».

« Ce groupe a pour objectif de nous révéler les œuvres peu connues, ignorées ou méconnues des grands maîtres…L’idée du groupe Musique Intime est ingénieuse et excellente. Combien de classiques, de romantiques et contemporains ne sont connus du public que par un petit nombre de pages (toujours les mêmes) dispensées parcimonieusement dans les programmes.

De Beethoven, deux ou trois sonates. De Schumann, le sempiternel Noyer.

De Schubert l’inévitable Truite ou l’éternelle Sérénade. De Fauré, jamais La bonne chanson ni l’Arpège, ni La Rose, ces miracles de perfection. Toujours Les berceaux ou Clair de lune Nous pourrions allonger la liste de ces oublis peut-être volontaires de la part des interprètes négligents. Honneur au groupe Musique Intime pour avoir décidé de briser enfin cette conspiration du silence, comprenant qu’un véritable artiste du chant, du clavier, ou de l’archet, doit être un initiateur plutôt qu’un suiveur ».

Cette initiative ne semble pas s’être poursuivie.

Les concerts de la Société Mozart s’arrêtent en 1939.

Les concerts Elcus

Les musiciens eux-mêmes peuvent être organisateurs de concerts. C’est le cas de Gaston Elcus. Ses programmes sont toujours intéressants. En 1920, il fait venir à Nantes le violoniste Casadesus et, la même année un groupe d’instruments anciens, initiative très originale à cette époque.

Les séances Arcouët-Muller

Gontran Arcouët, pianiste, Paul Muller, violoniste, organisent des séances de sonates afin de retracer l'histoire du genre.

Les séances Hallez-Montfort-Jandin

Colette Montfort propose avec Anaïs Hallez et Jandin quatre concerts. Ils ont lieu dans son hôtel particulier de la rue Rosière, le samedi à 17 heures.

Les programmes sont très variés : Concert en trio de Rameau, Sonatine de Bréville, donnée en première audition à Nantes, pour le premier concert. Le second concert prévoit : Sonate à trois de Loeillet, Sonate pour piano et violon de Fauré, Trio de Franck. Le troisième fait entendre le Quatuor de Fauré, le Concert de Chausson. Enfin le dernier réunit un trio de Mozart (sans que l'on sache lequel), la Sonate pour violon et piano de Lekeu, le Trio de Turina.

Ponctuellement, certains Nantais peuvent s’improviser organisateurs de concerts. En 1929 on peut lire dans Nantes le Soir : « pour fêter

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l’inauguration des agrandissements de ses nouveaux magasins, le maison Harambat convie tous les amateurs de musique et en particulier ses fidèles clients à une soirée musicale exceptionnelle qui sera donnée sur invitations le lundi 2 décembre à 20h30 salle Gigant ». On entendit Madame Monjovet, cantatrice, et le violoniste Francescatti accompagné au piano par Arcouët.

La nouvelle activité de la Société Philharmonique de Paris est annoncée par Le Populaire en 1932 : « dans un but de décentralisation et de propagande artistique, et afin de grouper les efforts jusqu’alors isolés des artistes dans les principales villes de France, la Société Philharmonique de Paris a pris l’initiative d’organiser, cette saison, cinq concerts qui auront lieu à Nantes ». La Société Philharmonique de Paris organise donc pour la saison 1933-1934 plusieurs concerts de musique de chambre, invitant le Quatuor Lener, Cortot et Thibaud, Kreisler et Maurice Amour. Les administrateurs de la Société sont Kiesgen, Théo Ysaye, Monsieur de Valmalète. Mais la Société ne serait-t-elle plus florissante dès 1935 ? Le Populaire insère : « le comité directeur de la Société Philharmonique de Paris nous prie d’annoncer qu’il se voit dans l’obligation de supprimer les trois derniers concerts de l’abonnement de la saison 1934-1935 ».

Décidément, les organisateurs de concerts sont légion ! La Caisse Autonome de Musique dirigée par M. Mangeot, rédacteur en chef du Monde Musical, a pour objectifs principaux d’ « encourager les jeunes musiciens, d’aider les vieux, de favoriser l’édition musicale, d’organiser des tournées de concerts, non seulement dans les grandes villes mais aussi dans les petites ». Vaste programme !

En 1938, la Société permet aux nantais d’entendre deux jeunes artistes : Nadine Destouches, pianiste « possédant une splendide sonorité » au dire de Ladmirault, « au jeu d’une parfaite clarté, fin, léger, souple, élégant » renchérit Ad. Del. « Elle s’exprime sans commettre de faute de goût, avec une spontanéité témoignant de la délicatesse de sa nature ». Ghislaine de Monceau, premier prix de Paris de violon, « témoigna d’un sérieux souci de la mise en place dans ses exécutions. Dans divers cas, elle visa à charmer.

C’est dans les passages brillants qu’elle trouve le plus heureux emploi de ses belles facultés. Ses doigts courent avec agilité sur la touche et jouent les traits avec précision » complète le critique du Populaire.

Le public nantais se voit donc proposer un vaste choix de concerts de musique de chambre. A qui va la recette de ces soirées?

Ces concerts sont-ils organisés au profit des musiciens ou dans un but caritatif ?

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22 6. Au profit de…

Les années suivant la première guerre mondiale voient se multiplier les concerts de charité. En 1918, Monsieur et Madame Villa organisent une soirée au profit de la Souscription Nantaise. Capet et Arcouët feront de même en jouant l’intégrale des Sonates pour violon et piano de Beethoven.

La recette obtenue le 24 mars 1918 par le Quatuor Elcus et le pianiste Risler s’élève à 1700 francs ; elle est versée à la Souscription Municipale pour les Œuvres de Guerre ainsi qu’au Bureau de Bienfaisance.

A la fin du concert du 30 mai 1918 où l’on peut entendre Hallez et Muller, une quête est faite pour les aveugles de guerre. De même une quête au profit de l’arbre de Noël des orphelins de guerre est organisée le 15 décembre lors du récital de Mademoiselle de Valmalète et Robert Soëtens.

Les suites de la guerre sont terribles ; un concert au profit des blessés alités réunit œuvres instrumentales et vocales mais aussi des pièces comiques afin, sans doute, d’attirer un large public. Un autre concert vient en aide aux veuves de guerre, un troisième aux réfugiés de l’Aisne. La ville de Saint- Mihiel n’est pas oubliée puisque les recettes du récital Franck lui seront versées. Un autre festival consacré cette fois à Saint-Saëns permet d’obtenir des fonds pour le Tricot du Soldat. Quant au concert du 4 mars 1919, réunissant Capet, Arcouët, Jandin et une cantatrice américaine, il permet de secourir la commune de Charmes et les villages environnants, toutes régions dévastées.

De hautes personnalités honorent de leur présence certains de ces concerts. En 1919, Lucy Vuillemin, Gérard Hekking, Gontran Arcouët, donnent un concert de bienfaisance « sous la présidence d’honneur de Madame la Comtesse de Montaigu, présidente du Comité de Loire Inférieure, au profit de la Croix Rose, dans le but de venir en aide aux jeunes filles des pays libérés. Le Comité de Nantes a adopté les jeunes filles de Saint-Mihiel. Tout en continuant son aide à ces jeunes filles, grâce aux fonds recueillis jusqu’au premier janvier, et jusqu’à extinction, le Comité s’occupera ensuite des filles et sœurs des soldats morts au champ d’honneur et des filles et sœurs de réformés n°2 sans pension » peut-on lire dans l’annonce du concert.

Les occasions d’aider divers organismes sont légion. En 1923, un gala du Travail Réparateur est organisé à la salle Turcaud, permettant « d’unir art et charité ». Le gala du Travail Réparateur met en avant le « souci de la morale en empêchant de pauvres femmes de suivre les pernicieux conseils de la paresse ou de la misère et en leur procurant, par le travail, de quoi vivre sainement » peut-on lire dans Le Phare en juin 1926.

En 1923, le violoncelliste Louis Ruyssen, Nicole Delorme, harpiste parisienne, Anaïs Hallez, Bernard Moigno interprètent Schumann, Sarasate,

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Saint-Saëns, Rameau, Boccherini. Dans son compte-rendu, Seltifer constate

« le talent et le charme de Ruyssen, le jeu sans cabotinisme de Moigno, la harpe mal accordée dont Nicole Delorme tire un excellent parti ».

Si le concert n’est pas explicitement destiné à soutenir une noble cause, une quête peut avoir lieu à l’entracte.

Toutes les occasions sont bonnes pour aider les œuvres charitables. Une annonce indique que « les programmes serviront à collecte des fonds. Ceux de la maison Boîte sont exposés à la maison Mignon-Massart ».

Ces concerts de bienfaisance contiennent très souvent une partie vocale, voire des textes théâtraux. En 1927, un concert de gala est donné au profit de la Croix Rose Française. A côté d’extraits de pièces de théâtre, on trouve une importante partie de musique de chambre : Trio de C.P. Simon, Sonate pour violoncelle et piano de Debussy, Sonate en la mineur pour violon et piano de Schumann. Gérard Hekking, Madame Simon, François Lang, Bernard Moigno unissent leurs talents à celui de la contralto Madame Richardson.

Heureusement, la guerre n’est pas la seule occasion de faire des bonnes actions. En 1928, Lucette Descaves et Renée Chemet jouent en faveur des familles dont les enfants sont privés de concerts.

En 1929, l’Association Nantaise pour le développement des œuvres sociales convie ses amis à un concert de musique moderne où l’on peut entendre les quatuors de Debussy et Ravel et Dominical de Ladmirault, une suite pour quatuor vocal et piano.

En 1932, un concert à deux pianos avec Arcouët et Jean Marx est donné au profit des enfants des chômeurs.

Paul Ladmirault commente en quelques lignes les deux auditions données par Mademoiselle Eoche-Duval, mesdemoiselles Le Vacon, Marais, violonistes, Schout et Perron, violoncellistes, toutes lauréates du Conservatoire de Nantes, au profit de l’Association Sainte-Hélène, « société à la fois artistique et charitable ». Au programme : la Sicilienne de Fauré, le Chant hindou de Rimsky- Korsakov, les Chants russes de Lalo.

En 1940, le Moment Musical joue au profit du Secours National. Placé

« sous le patronage de Madame la Préfète », le succès du concert profite largement à l’œuvre charitable.

Nous avons donc constaté que dès la fin de la première guerre mondiale, de nombreux concerts sont organisés au profit d’œuvres charitables ; le public répond favorablement à cette sollicitation. La générosité des artistes ne semble pas connaître de limites.

Solistes ou groupes de musique de chambre auront donc à cœur de se produire à Nantes. Qui sont ces musiciens ?

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Chapitre deuxième Les interprètes

1. Les solistes

Les violonistes

Paul MULLER (Constantine, 3 février 1987- Nantes, 12 mai 1954) Professeur au Conservatoire, son talent est unanimement reconnu. Lors d’un concert de 1918, réunissant comme il est courant à cette date, chant et violon, L’Ouest Éclair s’écrie : « le violon de Monsieur Muller n’est-il point lui aussi la plus émouvante des voix qui sait rire, pleurer, prier, avec une frémissante humanité ? » Cette émotion est aussi soulignée par J. Cox.

Entendant la Sonate pour violon et piano de Schumann il écrit : « en voilà un qui ne manquera jamais de chaleur et de vie ! Il a joué avec une extraordinaire dépense d’énergie nerveuse. » Madame Criqui qui fut elle aussi professeur de violon au Conservatoire de Nantes, se souvient du jeu

« tzigane » de Muller.

L’expressivité du jeu du violoniste serait-elle excessive ? Le même critique note : « Monsieur Muller a fait un bond formidable dans la voie de la perfection. Je ne sais quel apaisement s’est miraculeusement accompli chez cet artiste autrefois trop romantiquement vibrant. Son jeu s’est assagi et une tristesse stylisée, grave, recueillie, a remplacé cette sensibilité qui s’épanchait sans assez avoir la pudeur d’elle-même. Il anoblit tout maintenant et le maniérisme efféminé de la Romance en si bémol majeur de Fauré devient quelque chose de très tendre mais dans une note virile. »

En 1920, le violoniste donne l’impression « d’être en progrès » selon les termes de J. Cox : « tout le monde avait remarqué, la saison passée, ce miracle d’un jeu d’une noblesse triste succédant à un emportement un tantinet titanesque. Voilà maintenant Monsieur Muller trouvant un juste équilibre entre la froideur classique et la passion romantique ».

Lors de l’intégrale des Sonates pour violon et piano de Beethoven, Mockers se fait lyrique tant pour le violoniste, Muller, que pour les œuvres :

« pure joie d’art, impressionnante évocation du génie, transcendante affirmation du talent, telle est cette manifestation à laquelle ont été conviés les délicats, les érudits, les gens de goût, en un mot l’auditoire averti qui fréquente la salle du Chapeau Rouge ».

Muller semble à l’aise dans tous les styles. En 1923, il joue avec Arcouët, un programme de sonates anciennes. François Mockers admire « l’art avec lequel Muller a assoupli les sonorités et serti les arabesques mignardes. Le tocco leggero a triomphé superbement. Muller a donné un joli relief au violon. Son style est précis, sans mièvrerie, sans emphase. Il a un son plein, large, l’archet bien dans la main et à la corde ».

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-Muller serait-il sans défaut ? Le même critique l’apprécie moins dans les Sonates en la mineur et ré mineur de Schumann. S’excusant de son franc- parler, François Mockers critique l’interprétation de ces œuvres romantiques : « j’espère qu’Arcouët et Muller ne me feront pas grief de parler franc. Des artistes de leur valeur n’ont rien à redouter de la critique impartiale. A mon sens l’interprétation des deux sonates ne porta pas autant qu’ils le souhaitaient parce que les mouvements manquèrent un peu d’aplomb. Le bénéfice d’une mise au point serrée leur fit un peu défaut. Les deux instrumentistes avaient l’air, parfois, de se faire de petites niches, au détriment d’une vigoureuse expression. »

En 1934, lors d’une audition de ses élèves, Muller joue, accompagné par Anaïs Hallez. Arcouët est alors critique à L’Écho de la Loire. Il admire sans réserve son ancien partenaire : « dans le second mouvement de la Première sonate de Schumann, Muller adopte de judicieux doigtés qui donnent toute sa valeur à la beauté du thème. Autorité, maîtrise, style excellent, aisé, sans aucun maniérisme, caractérisent le jeu de Muller ».

Après cette date Muller abandonne les récitals de sonates. En 1936 il fait partie d’un nouvel ensemble de musique de chambre : le Quintette Debussy.

Muller sait mettre en valeur les œuvres de ses concitoyens : dans un article signé J.A. de L’Écho de la Loire de 1927, on peut lire : « Muller chante, non, mieux que cela, raconte la Légende bretonne de Courtonne. On se croit petit enfant pelotonné au creux du giron maternel ; feu de bois, une bûche chante en bavant sa sève fumante ; le feu rougeoie ; c’est cela et c’est exquis ».

Muller avait certainement un grand rayonnement. En 1931, la Galerie d’Art Decré présente une série de vingt-quatre portraits du violoniste. Ces portraits dont Le Phare reproduit l’un d’eux, sont dus à un « peintre de talent qui, d’origine belge, vint s’installer à Mortagne sur Sèvre », Auguste de Roeck.

Le peintre rencontra le violoniste pendant les vacances, et séduit par la mobilité de son visage et de ses attitudes, ajouta à la série de portraits un vingt-cinquième dessin qui devait servir à une affiche pour un concert.

Un catalogue de l’exposition fut édité et il serait intéressant de le retrouver.

Muller forma de nombreux violonistes de talent.

Colette MONTFORT (1895-1982)

Sous le titre « Marthe Montfort égérie du Touring Club» Stéphane Pajot, dans son ouvrage Personnages pittoresques de Nantes et de Loire Atlantique écrit : « Marthe Montfort était un grand professeur de violon nantais. Cette femme au large chapeau et long collier de perles fut, dans les années 1960, une personnalité nantaise très en vue. Elle travaillait notamment à l’Automobile Club de l’Ouest. Une de ses nièces se souvient

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d’un personnage très excentrique qui ne laissait personne indifférent sur son passage. Elle prenait des cours de violon à Paris avec Thibaud et Elcus. Elle jouait en trio salle Gigant avec Jandin ». Un amusant dessin accompagne le texte.

Un membre de la famille de la violoniste nous apprend que l’artiste, n’aimant pas son véritable prénom, Marthe, se faisait appeler Colette.

Ad. Del l’applaudit en 1930, avec quelques réserves prudemment exprimées : « elle a de bonnes qualités : le son est joli, un peu féminin, souple, moelleux ; le mécanisme assez développé et les traits paraissent se faire aisément et avec assez de pureté ». Mais le concert aurait-il été préparé trop hâtivement ? « Mademoiselle Montfort est une probe exécutante dont l’ensemble a paru souffrir dans ses interprétations d’une insuffisante mise au point. Il y a lieu de lui reprocher parfois de la justesse et un manque de puissance évident en dépit des efforts de la pianiste pour adoucir son jeu ».

Un nouveau concert l’année suivante provoque des critiques plus sévères : la violoniste ne semble guère avoir de personnalité et elle joue faux ! « On constate que Mademoiselle Montfort provoque l’impression que ce qu’elle exécute lui est indifférent. On serait tenté de penser que son cerveau photographie des interprétations entendues par le truchement du phono et qu’elle les restitue comme mécaniquement, en même temps que les doigts de la main gauche ne se posent pas toujours aux seuls endroits requis pour que la note soit juste. Ceci dit, il est évident qu’au cas où la sensibilité de Mademoiselle Montfort s’éveillerait quelque jour, elle pourrait alors prétendre à prendre rang parmi les solistes de classe ».

Colette Montfort ne semble guère à l’aise en concert. Ad. Del nous révèle que « le trac est une cause essentielle des faiblesses qu’on peut parfois relever dans ses exécutions ». En trio, dans son propre salon, elle « est dans de bonnes dispositions, ce qui permet de conserver de son talent, une opinion plus avantageuse ».

L’Écho de la Loire, sous la plume d’Intérim dit la même chose avec moins de sévérité : « ses moyens techniques sont très beaux et solides. Sa sensibilité n’est peut-être pas égale à sa virtuosité mais ses réelles qualités lui permettent d’espérer un avenir plein de promesses.»

La violoniste aurait-elle fait des progrès ? En 1931, Jean d’Erd trouve que

« Colette Montfort joue fort bien du violon. Elle peut se tromper dans l’interprétation, mais elle a une jolie technique et du charme ».

Gaston ELCUS (1884-1974)

Le célèbre violoniste commença ses études en Hollande avec Joseph Kramer. Sur les conseils de son maître, il entre au Conservatoire de Paris où il eut pour professeurs Alfred Brun, Marsick, Nadaud. Il obtint un premier prix en 1904 et fut nommé premier violon solo au théâtre de l’Opéra- Comique. Soliste chez Colonne, Lamoureux, Pasdeloup, il est membre de la

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commission des examens du Conservatoire. Ce fut un remarquable concertiste qui joua sous la direction de Massenet, Saint-Saëns, Fauré, d’Indy, Pierné, Paray, Gaubert…

Elcus domine longtemps la scène nantaise. Certains ne peuvent s’empêcher de comparer son jeu et celui de Muller : en 1918 Cox commente ainsi le jeu d’Elcus dans le Concert de Chausson : « Monsieur Elcus et Monsieur Arcouët occupèrent le premier plan. Quant à Monsieur Elcus, nous nous permettons de le louer de s’être départi de son trop grand calme habituel qui n’est au reste qu’apparence. Son jeu y a gagné en puissance.

Jamais le violoniste n’eut autant de son ni autant d’élan jusqu’à sabrer la corde à la Muller. »

En effet, excellent technicien, il a la réputation d’être un violoniste au jeu assez froid. Il se montre « impeccable dans la Sonate de Schumann mais pas assez romantique, peut-être, certainement dépassé en expression par le pianiste Risler qui l’accompagne ; les deux musiciens semblaient chanter dans une tonalité différente, chacun d’eux dans son style et d’après sa compréhension. L’unité d’interprétation s’en trouva, par suite, rompue » note J. Cox.

Elcus est-il plus à l’aise dans Debussy ? J. Cox n’en est pas persuadé en écoutant la Sonate pour violon et piano : « Monsieur Elcus est en vérité peu à son aise avec Debussy qui n’a jamais écrit fameusement pour le violon ».

Et puis, dans Minstrels transcrit par Debussy lui-même pour le violon, J. Cox trouve que le violoniste « sur son violon, joue de l’orgue, de la mandoline, et du banjo… Un peu trop de banjo même, dans toutes ces pièces de Debussy visant au pittoresque ; c’est très bien lorsqu’il s’agit d’imiter les Minstrels, mais c’est moins bien pour imiter la pluie qui tombe dans Jardins sous la pluie. »

On peut se demander pourquoi la critique se montre aussi acerbe. Est-ce parce que le violoniste se révèle dans la vie quotidienne assez cassant ? Lorsqu’il interprète la Sonate en si bémol de Mozart, Louis Rouche lui reproche d'ailleurs « une certaine raideur ».

Sans doute est-ce pour cette raison qu’il semble se retenir dans Kosaks d’Alexandre Georges, pièce qui lui est pourtant dédiée : « ne demandons pas à monsieur Elcus d’être (ne serait-ce qu’un peu) tzigane, écrit J. Cox. Il y perdrait sa place au Conservatoire et ce serait dommage ».

François Mockers se montre moins partial : « son violon chante et enchante ; il s’exprime toujours en nuances délicates et son archet qui est de grande école atteint à la plus haute virtuosité ».

Il est souvent accompagné par Madame Elcus qui se montre « élégante et précise ». Hélas ! Gaston Elcus perdra sa fidèle compagne en 1925. Après un séjour aux Etats-Unis, il revient au Conservatoire ; en 1965 il assurait encore la direction de la classe d’orchestre en tant que chef invité.

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Passionné par son art, Elcus eut à Nantes une très importante activité de soliste et de chambriste. Il fut le professeur de son propre fils.

Jacques ELCUS (1907 - ?)

Fils de Gaston Elcus, il se fait entendre tout jeune (il a dix-sept ans) à Nantes en 1924. « L’Amérique nous ayant volé notre virtuose, Elcus a daigné nous laisser son fils, Jacques, dont nous avons à cette audition, apprécié les qualités de merveilleuse sonorité, la justesse impeccable, le talent naissant d’une artiste épris de son art. Monsieur Jacques Elcus sera, nous le lui prédisons, un grand violoniste. Physiquement, c’est le portrait de son père (les cheveux en plus !) Il est déjà maître de son instrument qu’il fait chanter et vibrer remarquablement. » Ladmirault note déjà « son très grand talent, sa superbe sonorité, sa justesse impeccable, son habileté remarquable, sa séduisante musicalité ». Après son premier prix de Paris, il revient sur la scène nantaise en 1926. Le Populaire évoque « une sonorité fort belle, puissante, large, généreuse, délicate à l’extrême, une technique d’archet parfaite, un beau tempérament vibrant et passionné, un style de grande école ».

Nous n’avons pu trouver la date du décès de ce violoniste. Il obtint en 1919 le premier prix de violon au conservatoire de Nantes dans la classe de son père avant d’entrer au conservatoire de Paris.

Paul KAUL (1875-1951)

Fils du célèbre luthier qui porte le même prénom, présenté comme le meilleur élève de Capet, il se fait entendre à Nantes en 1925. Le Populaire note ses qualités d’ « autorité, chaleur, tempérament, la pureté du son, la beauté du style, la justesse du sentiment, la variété d’interprétation sans heurts ni secousses, sans recherche d’effets, la technique parfaite ».

En 1926, la presse annonce qu’il va quitter Nantes. Le Phare relève

« les qualités de souplesse et de charme, la sonorité la plus chaude d’un violoniste pour qui les difficultés les plus invraisemblables n’existent pas. » Le violoniste semble en progrès constants : « déjà, l’an dernier, peut-on lire dans Le Populaire, Paul Kaul avait fait d’immenses progrès. Son style, sa compréhension musicale se sont développés. Il joue juste avec une facilité surprenante, avec un son chaudement timbré, tout de mémoire ; ses doigts semblent également bien exercés dans les passages de force comme dans ceux qui demandent de la délicatesse. Il nuance et rythme bien son jeu. »

En 1927 Claude Guillon-Verne promet au violoniste une belle carrière :

« Paul Kaul possède une sonorité fort belle jointe à une technique supérieure.

Très jeune encore, on peut attendre de cet artiste le plus grand avenir ».

Tous ces éloges laissent cependant entrevoir quelques imperfections.

« S’il lui manque peut-être une autorité complète, souligne Ad. Del en 1930, son jeu est fier, sans tache, ferme, mesuré tout à la fois. La pureté technique s’unit chez lui à la belle tenue du style ». Le Phare trouve qu’il « a acquis

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une sonorité plus moelleuse, moins claironnante, propre à mettre en valeur son merveilleux instrument. »

En effet, Paul Kaul joue un instrument de son père, un violon qui fut classé premier sur soixante-dix concurrents au concours de sonorité de Bruxelles.

En 1935, après une absence de cinq ans due à la maladie, Paul Kaul revient jouer salle Racine. Ladmirault signale « un parfait musicien comme le révèle sa traduction vivante et colorée de la Sonate à Kreutzer. » Seltifer confirme : « Kaul, disciple et ami d’Enesco, a une sonorité profonde et moelleuse. Il montre une technique éblouissante, de l’autorité, un style prestigieux ». Ad. Del est du même avis : « dans la jolie Sonate en ré majeur de Haendel, Paul Kaul sut se faire apprécier par la beauté et la puissance d’un style personnel. Après avoir exécuté la Partita en sol mineur de Bach où il sut donner à son archet un mordant et une solidité exceptionnels, il exécuta la Sonate à Kreutzer avec une distinction, une couleur, une simplicité qui ne sont pas les qualités familières aux interprètes de Beethoven en général. »

Et quel dommage de ne pas avoir entendu Kaul accompagné par Enesco, concert dont Tours eut le privilège !

Le Triton apporte une note discordante au milieu de ces louanges.

L’article de 1930 reproche au virtuose d’avoir voulu mettre en valeur la lutherie de son père. On sait combien la vie du célèbre luthier fut difficile ; son talent ne sera reconnu que bien tardivement. « Sur des violons nouveaux, jouons des airs antiques, s’est dit Paul Kaul. Et après avoir sorti le meilleur spécimen de la vitrine de son papa, il débarque un jour à Nantes. Si Kaul a invité la critique à son concert avec l’arrière-pensée de faire un peu de publicité aux instruments de son père, il s’est trompé. N’étant pas agent de publicité, nous ne parlerons que de son programme » Hélas ! La justesse du violoniste semble approximative. « Il y a quelques jours, un confrère parisien écrivait : il y eut un moment où le violon et le piano n’étaient pas d’accord sur la justesse. Dans ces cas-là, c’est généralement le violon qui a tort ! Il faut louer la splendide technique et la sonorité veloutée de Kaul, regretter son manque de justesse, et son interprétation trop personnelle de la Chaconne. Capet ne l’aurait certainement pas approuvée. Dvorak et Brahms sont mieux dans les cordes du jeune artiste et mettent mieux en valeur la limpidité de sa sonorité. »

Miguel CANDELA (1916 - ?)

Ce tout jeune violoniste, premier prix d’excellence du Conservatoire de Paris en 1927, se produit à l’âge de treize ans avec la Schola. Deux ans plus tard, en 1929, il revient à Nantes accompagné par Anaïs Hallez. S’il a beaucoup grandi : il ne porte plus le costume marin mais le smoking, on retrouve « ses qualités, une technique d’archet encore perfectionnée, une

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interprétation toujours pleine d’audace, de charme, et une assurance, une maîtrise vraiment déconcertantes. On ne peut trouver technique plus accomplie, et de toutes les éminentes qualités de virtuose, se détachent la pureté et la clarté des phrases, la puissance et la merveilleuse égalité de sonorité» constate Ad. Del. Ladmirault s’émerveille : « sa technique de violon est étourdissante. Toutes les difficultés lui sont familières : les doubles cordes en dixièmes, les triples cordes, les traits en sons harmoniques artificiels (dont le timbre rappelle la scie !) les harmoniques en staccato, le mélange des pizzicati et de l’arco… que sais-je encore ? »

L’année suivante, Ad. Del se fait encore plus laudatif : « rompu à toutes les ficelles du métier, Miguel Candela revient après une tournée en Amérique, en revenant par la Suisse, Rennes… Il nous arrive avec un prestige qu’il ne doit pas seulement à son jeune âge mais à une science de l’archet que pourraient lui envier bien des adultes parmi les meilleurs dans leur spécialité. Certes, tout n’est pas encore égal au point de vue de l’interprétation, mais quel indice plus sûr pour son avenir que de l’entendre jouer avec une telle largeur de style et une telle pureté de son…On aime par- dessus tout chez ce jeune artiste la sûreté et le goût qu’il apporte à ses interprétations. Dans les bis de virtuosité, son chant et ses acrobaties finement exécutées se conjuguent au jeu fin et subtil de la pianiste ».

Le Triton souligne l’excellence du jeune prodige : « il vole en plein ciel vers des cimes inaccessibles aux demi-talents. Dans Falla, il montre une régularité rythmique absolue, tout en laissant libre cours à sa fantaisie ».

L’ « inégalité d’interprétation » notée par Ad. Del est reprise par Le Phare : « il excelle dans le classique. Dans le moderne il prend des libertés un peu choquantes, imputables à la jeunesse. Il obéit moins aux suggestions de l’œuvre qu’à ses propres impulsions. Mais quelle maîtrise ! Quelle autorité ! »

Si jeune, le violoniste ne peut que progresser : en 1934, « il ne réalise pas encore la perfection, note Ad. Del. Mais nous avons plaisir à constater les progrès accomplis et le voir se corriger de certains portamenti qui donnaient un son un peu pleurard à ses meilleures exécutions. Sa technique est toujours aussi éblouissante. Le mécanisme de sa main gauche a une précision, une aisance magnifique. Il conduit son archet avec un art parfait. La sonorité de son Guarnerius enchante. Les doubles cordes, les harmoniques, les pizzicati, le staccato, ne sont que jouets pour lui. Nous avons remarqué l’égalité de ses jolis sons filés dans les adagios ».

Miguel Candela est désormais un artiste accompli : « un archet qui a de la flamme, de l’accent, de la pensée ; une main gauche qui se meut avec une vélocité automatique, un sens profond de la musique. Miguel Candela a en lui l’étoffe des grands violonistes qu’il ne tardera pas à égaler. Il nous apparaît aujourd’hui dans un rayonnement complet de son art, ayant évolué

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normalement, selon les lois de la nature. La réflexion, la pénétration, sont nées en lui ».

Hélas ! Le jeune violoniste se laisse tenter par la virtuosité gratuite :

« pourquoi tant de pages consacrées à l’acrobatie et si peu à la musique ? » écrit J. d’Erd.

Lucien CAPET (1873-1928)

En 1918 il enchante son auditoire : « ce violoniste n’est pas seulement un virtuose de valeur ; ses connaissances approfondies de la composition musicale lui permettent de pénétrer dignement dans le sanctuaire sacré qu’est l’œuvre beethovénienne…On doit admirer sans réserve le tact plein de simplicité avec lequel il dispose du clair-obscur, passant d’une sonorité chaude et vibrante, vraiment lumineuse, à une sonorité mate exempte de toute vibration et délicieusement estompée. Il donne des Sonates de Beethoven une interprétation très personnelle, rompant avec la tradition » note Ad. Del. Le Phare souligne la complicité du violoniste avec le pianiste Arcouët : « ils interprètent Debussy comme ils interprètent Beethoven : avec cet équilibre et cette unité qui font de leur mutuelle collaboration un échange parfait »

Lorsqu’il joue en trio, on remarque « sa grande autorité, son style parfait, son sentiment profond, sa chaleur communicative, sa jolie sonorité ».

Mais les plus grands ne sont pas à l’abri d’un trou de mémoire. J. Cox, qui, par ailleurs, n’aime guère le violoniste (il fera des jeux de mots assez lourds dans divers articles où le nom de Capet est travesti) raconte cet épisode : « grosse émotion, dimanche, au cours de l’exécution de la grande Chaconne inscrite au programme…Nous assistions ravis à la construction de l’édifice sonore …quand, tout à coup, le violoniste s’arrêta. Il fit un geste d’impuissance, jeta un regard de détresse vers le public et nous comprimes que la mémoire faisait défaut à l’exécutant. Ce ne fut d’ailleurs qu’un instant, combien long pourtant ! Et Monsieur Capet s’étant ressaisi, put achever l’œuvre commencée ».

J. Cox reprocha à Capet sa froideur : « Dans la Sonate de Lekeu, Monsieur Capet, dont le violon a pleuré des notes excellentes dans l’adagio, a vibré de son mieux dans l’allegro du début et dans le véhément finale.

Mais Monsieur Capet est un puriste et son jeu, qui sait caresser à merveille, n’est pas très à son aise dans l’appassionato ».

Le critique revient à la charge lors d’un autre concert : « Capet n’a plus sa barbe, bleue tant elle était noire…Monsieur Capet n’avait pas un talent tout en barbe ou sa barbe n’était pas tout son talent. Elle allait avec le jeu solennel, toujours un peu lourd, en tout cas assez froid de ce virtuose qui d’ailleurs affectionne particulièrement la musique sagement construite et pas toujours émue ».

Le dernier concert de Capet à Nantes date de 1924.

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