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La Propriété littéraire et artistique

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L a P r o p r i é t é

littéraire

et artistique

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N° 285

COLLECTION ARMAND COLIN (Section de Droit)

La Propriété littéraire et artistique

par H e n r i D E S B O I S

Professeur à la Faculté de Droit de Grenoble Chargé de cours à la Faculté de Droit de Paris

L I B R A I R I E A R M A N D C O L I N 103, Boulevard Saint-Michel, PARIS

1 9 5 3 Tous droits réservés

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Tous droits de reproduction, de t r a d u c t i o n e t d ' a d a p t a t i o n réser- vés pour tous pays.

Copyright 1953-, by Max Leclerc e t C " .

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AVANT-PROPOS

Le titre de cet ouvrage ne manquera pas de susciter l'éton- nement, sinon la critique. Car, le monopole dévolu aux écrivains et aux artistes n'est pas perpétuel à la différence de la propriété des immeubles, qui ne se perd pas p a r le non- usage, mais seulement, au bénéfice d'un tiers, p a r la prescription acquisitive ou usucapion : cependant, la nature des choses veut qu'un lien particulièrement ferme unisse l'écrivain ou l'artiste à son œuvre, après comme avant la publication ; la création intellectuelle reflète l'image de la personnalité du créateur. LE CHAPELIER, dans son rapport sur la loi de 1791, relative a u droit de reproduction, décla- rait : « L a plus sacrée... la plus personnelle de toutes les propriétés, est l'ouvrage, fruit de la pensée d'un écrivain. » Aucune appropriation ne se justifie mieux que celle des œuvres de l'esprit, de la part de ceux qui les ont élaborées : l'empreinte personnelle, dont ils les ont marquées, fournit le meilleur, le plus valable des titres de propriété. L a durée du monopole a, il est vrai, été limitée, de manière à concilier leurs intérêts avec ceux de la collectivité. D u moins aussi longtemps que subsistent les prérogatives pécuniaires, l'auteur a un pouvoir souverain, exclusif de décision. Puis, aux attributs d'ordre patrimonial il joint le droit moral, p a r lequel il manifeste l'affinité qui l'unit à son œuvre et

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qui se perpétuera, après sa mort, aussi longtemps que sa création ne sera tombée dans l'oubli, afin d'en éviter les mutilations et les profanations. I l n'est donc pas para- doxal de recourir à l'expression « propriété littéraire et artistique » pour désigner, sinon les modalités, du moins l'esprit qui anime la législation française des droits d'au- teur.

Celle-ci a peu évolué depuis l'époque révolutionnaire, qui en a connu l'avènement. Le décret des 13-19 janvier 1791,

« relatif aux spectacles », et celui des 19-24 juillet 1793, qui concerne « les droits de propriété des auteurs d'écrits en tous genres, des compositeurs de musique, statuaires, peintres et dessinateurs », demeurent les assises de l'édifice ; les lois postérieures, que nous étudierons chemin faisant, n'en altèrent pas les principes. Notre propos sera, avant tout, de montrer que ceux-ci, posés à l'époque révolution- naire, se sont adaptés, sans fléchissement ni dénaturation, aux situations les plus diverses, à celles que les hommes de 1791 et de 1793 n'avaient pas pu prévoir : les problèmes juridiques, qui ont été suscités p a r les enregistrements phonographiques, la cinématographie, la radiodiffusion, ont été résolus p a r la jurisprudence, en marge, non à l'en- contre de textes en apparence désuets. A travers la variété des applications, les idées dominantes subsistent : elles inspirent un projet de codification, préparé en France sous les auspices du Ministère de l'Education Nationale, et ont exercé une vive influence sur la Convention de Berne, relative à la propriété littéraire et artistique, élaborée en 1886 et revisée à plusieurs reprises, en 1948 pour la dernière fois.

Afin de souligner la permanence des principes, nous commencerons p a r l'analyse des règles fondamentales, telles que les législateurs de 1791 et de 1793 les ont conçues ; puis, nous les mettrons en contact avec les nouveaux procédés de diffusion des oeuvres de l'esprit, et nous constaterons

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qu'aucune déformation ne leur a été imposée : le délit de représentation illicite est consommé aussi bien au cas de . ' radiodiffusion d'un disque que de concert donné dans une salle publique. Enfin, un examen succinct de la protection internationale des droits d'auteur fournira, dans un cadre élargi, une contre-épreuve des propositions qui auront été développées par rapport au droit français.

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LA PROPRIÉTÉ LITTÉRAIRE ET ARTISTIQUE

C H A P I T R E P R E M I E R

LA QUALITÉ D'AUTEUR

A quelles productions de l'esprit les droits d'auteur vont-ils s'appliquer ? Un cas concret suggérera l'idée maîtresse, qui va servir de critère aux juges. Voici un commerçant, qui, pour attirer la clientèle vers les produits de son négoce, décide de leur apposer une marque, qui sera la reproduction pure et simple d'une toile de maître.

Si un concurrent s'avise de l'attribuer à des articles de même nature, il se placera sous l'égide de la loi du 23 mars 1857, non du décret des 19-24 juillet 1793, qui concerne le droit de reproduction : car, s'il a choisi avec discernement, avec goût, un sujet, susceptible d'obtenir la faveur des clients, il ne l'a pas imaginé, ni réalisé lui-même ; il n'a pas fait acte de création.

Mais, une telle formule n'a encore que la valeur d'un jalon, qui indique l'orientation des recherches. Car, la création ne peut s'entendre dans le même esprit, selon que l'attention se porte vers l'un ou l'autre des domaines de l'activité intellectuelle, celui de la littérature, celui des arts figuratifs, tels que la peinture ou la sculpture, celui, enfin, de la musique.

Les œuvres littéraires, en effet, s'adressent directement à l'intelligence. Les mots éveillent des idées ; l'œuvre la plus brève résulte de l'articulation des pensées, composées et exprimées d'une manière ou d'une autre, tant il est vrai

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qu'une seule et même conception se prête à une pluralité de tours d'expression. Les idées, comme telles, échappent à toute appropriation, car, par nature, elles sont desti- nées à la libre circulation : la législation, aussi respec- tueuse qu'elle soit des intérêts de l'écrivain, ne peut interdire l'exploitation des conceptions d'autrui, même de celles qui accusent une évidente personnalité et n'ont jamais encore été exprimées. Sinon, le développement de la culture se heurterait à des obstacles, qui entrave- raient ou arrêteraient le progrès des communautés humaines dans l'ordre intellectuel. Les droits d'auteur ne peuvent comporter que l' appropriation de la forme, sous laquelle les idées sont communiquées aux lecteurs pour leur agrément ou leur édification. L'originalité, qui va servir de pierre de touche, concerne exclusivement la composition, c'est-à-dirè l'agencement des pensées, et l'expression, c'est-à-dire le développement, la mise en forme de la composition, du plan.

Il faut donc se placer, tour à tour, à deux points de vue, celui de la composition, celui de l'expression.

C'est à un cercle tout différent de notions que le juriste fait appel, quand il lui incombe de déceler, dans le secteur des productions des arts figuratifs, qui mérite de recevoir la qualité et les prérogatives d'auteur. L'idée ne peut, en effet, jouer à leur endroit le même rôle qu'à l'égard des œuvres littéraires, puisqu'elles s'adressent, non à l'intel- ligence, mais, directement tout au moins, à la sensibilité : le tableau le plus banal suscite d'abord une sensation, avant que l'esprit critique porte un jugement de valeur.

Que deviennent les concepts, mis en action dans le critère applicable à la littérature? L'esquisse d'un dessin a une existence indépendante de l'œuvre achevée, loin d'en constituer le plan, la composition. L'expression, seule, paraît compter, car, tant que la phase, de l'exécution n'est pas révolue, la représentation intellectuelle, que

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l'artiste a de son œuvre, n'offre encore à ceux qui en - écouteront la description qu'une grande espérance. La réalisation, et la réalisation personnelle, qui met en jeu à la fois les ressources de l'esprit et l'habileté des mains, compte seule dans l'activité artistique. Aussitôt apparaît en pleine lumière le contraste, qui interdit d'instituer une commune mesure entre la littérature et les arts figu- ratifs, quant à la définition du critère de l'originalité : le scribe, qui copie servilement un texte, dont il ne com- prend peut-être pas le moindre mot, susciterait un éclat de rire s'il revendiquait la qualité d'auteur, tandis que le peintre novice, qui a la bonne fortune de fournir une réplique parfaite de la toile d'un grand maître, recueillera tous les suffrages, s'il s'insurge contre le plagiaire de sa propre copie. Il faut donc résolument tourner la page, écrite à propos des œuvres littéraires, lorsqu'on vient à se préoccuper de la protection des artistes.

Puis, un nouveau feuillet devra être rempli, à propos des créations musicales, car, s'il est vrai que le composi- teur peut dicter à un tiers les notes de ses partitions ou de ses mélodies, du moins aucune parenté n'existe entre les mots et les sons : les pensées, les sentiments, qui l'ont inspiré, empruntent un mode d'expression qui en trans- forme l'essence, au point que l'auditeur aura souvent grand mal à découvrir les données intellectuelles, morales ou sensibles, qu'il a voulu traduire. En définitive, il est nécessaire d'examiner séparément les œuvres littéraires, les œuvres des arts figuratifs et celles de la musique.

Cependant, la dissociation ne peut être absolue, car, parfois, le compositeur fait appel au dramaturge, ou l'écrivain à l'artiste : la collaboration s'institue, non seulement à l'intérieur d'un seul et même genre, mais aussi entre genres différents. De nouvelles difficultés attendent l'observateur en présence des opéras-comiques, et bien plus encore des œuvres de l'écran. C'est pourquoi,

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après avoir considéré à l'état isolé les oeuvres littéraires, artistiques, musicales, nous rechercherons, dans un der- nier développement, le critère de la collaboration.

I. — LA QUALITÉ D'AUTEUR DANS LE DOMAINE DES ŒUVRES L I T T É R A I R E S

Pour qu'une œuvre donne prise à la propriété littéraire, il n'est pas nécessaire qu'elle soit en tous points originale, créée de toutes pièces, en dehors de t o u t e influence exercée p a r des créations préexistantes. Les œuvres de seconde main ne sont pas exemptes d'originalité, à la différence des reproductions pures et s i m p l e s . .

Tantôt, l'auteur, t o u t en s'inspirant des t r a v a u x d'un ou de plusieurs devanciers, a fait preuve de personnalité dans la composition et l'expression : tel sera le cas des adap- tations d'un genre littéraire à l'autre, par exemple d'un roman à la scène. Tantôt, l'écrivain se sera contenté de publier une anthologie, il aura choisi les passages d'une ou de plusieurs œuvres d'un poète ou d'un romancier et les aura groupés dans l'ordre qui lui aura paru le plus propice à donner aux lecteurs une idée exacte de l'ensemble : il aura marqué d'une empreinte personnelle la composition. T a n t ô t enfin, sa personnalité ne se sera manifestée que dans l' expression : les traductions appar- tiennent à cette troisième catégorie d'œuvres dérivées.

Telles sont les diverses manifestations de la personnalité du créateur dans le domaine littéraire.

Celle-ci est nécessaire pour que naissent les droits d'auteur. Mais est-elle suffisante? L'originalité, que tous les critiques s'accorderont à reconnaître à telle production, ne rencontrera pas l'approbation unanime. Le mérite entre-t-il en ligne de compte dans le critère, ou faut-il au contraire en faire abstraction pour investir des droits

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d'auteur telle ou telle autre production? De plus, faut-il réserver le bénéfice des droits d'auteur aux créa- tions d'ordre purement intellectuel, ou esthétique, qui tendent à l'édification ou à la distraction, et, par consé- quent, exclure les productions de caractère strictement utilitaire? En un mot, après avoir constaté l'originalité, le juge doit-il encore porter une appréciation d'ordre esthétique sur le mérite, et prendre en considération la destination de l'œuvre, de manière à écarter, par exemple, les brochures qui décrivent les rouages et le fonctionne- ment d'un appareil, ou les prospectus de réclame, quelle que soit l'ingéniosité de la présentation?

A. La personnalité dans la composition et Fexpression : les adaptations. — L'adaptateur doit obédience à celui dont il a exploité la création, et il est lui-même investi de droits d'auteur parce qu'il a fait preuve de personnalité créatrice. Il se présente donc tout à la fois comme maître et serviteur.

De là, l "'urgence de la discrimination des oeuvres originales, et des oeuvres dérivées, issues d'une adaptation : celles-ci seulement sont soumises à un tribut, celles-là sont déga- gées de tout lien. Au demeurant, cette qualification s'impose même lorsque l'œuvre de première main est tombée dans le domaine public ; car, si les éditeurs et les adaptateurs peuvent en tirer parti sans bourse délier ni requérir aucun consentement, du moins doivent-ils se soucier du droit moral, qui subsiste au delà de l'aboli- tion du monopole. Il importe donc de décider si telle œuvre est originale ou dérivée par voie d'adaptation.

La distinction n'est pas toujours aisée. Car, si le principe s'impose à l'esprit sans effort, le maniement en est sou- vent laborieux : tant qu'un auteur se contente d'exploi- ter des idées d'autrui, il ne cesse pas de faire œuvre originale, puisque,-par définition, les idées appartiennent

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à tous, et il sera à l'abri de toute doléance, pourvu qu'il ait la loyauté de ne pas s'en attribuer l'invention et le mérite. Mais quels sont les confins de l'idée et de la compo- sition? Dès qu'un auteur empiète sur la composition d'une œuvre préexistante, au lieu d'en utiliser seulement les idées, il pénètre dans un domaine réservé, celui de la forme, qui ne lui est accessible que moyennant l'autori- sation des ayants droit. Ainsi, la qualification d'une œuvre dépend de la discrimination, qui s'impose, entre l'idée et la composition : à l'une, qui aura mis en forme les idées d'autrui, ira le titre d'œuvre originale, indé- pendante ; à l'autre, dont la composition ne sera pas entièrement personnelle, celui d'œuvre dérivée, subor- donnée.

Les tribunaux ont eu à connaître de telles difficultés, dans les rapports entre dramaturges et cinéastes, qui traitaient des sujets voisins. Quelques exemples suffiront à concrétiser le problème et à dégager la ligne de solution.

A l'époque du film muet, le thème, traité par Courteline, dans la comédie Boubouroche, fut porté à l'écran. La communauté d'inspiration ne pouvait échapper aux regards les moins perspicaces. L'auteur comique et les cinéastes avaient illustré la faiblesse, l'indulgence dont un mari très épris fait preuve envers son épouse infidèle : loin de s'emporter en découvrant l'idylle dont il est la victime, il bat sa coulpe et demande pardon à celle qui le trompe d'avoir troublé un entretien intime. Les premiers juges n'hésitèrent pas à dénoncer la contrefaçon. L'idée était la même pour Courteline et le plagiaire ; et, par là, il faut entendre, non seulement le thème abstrait, d'ordre psychologique, mais aussi le noyau de l'intrigue, le fait divers, qui illustre la donnée morale, en l'espèce,

« le pardon que le mari trompé, confiant à l'excès, implore de sa femme, pour avoir contrarié une intrigue et expulsé un rival ». En même temps que l'idée, entendue en ce

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double sens, la composition de la comédie avait été démar- quée, puisque la plupart des scènes, qui conduisaient au coup de théâtre, se répondaient l'une à l'autre dans les deux œuvres. Les différences de détail n'avaient été apportées, dans la création cinématographique, que pour donner le change ou tenir compte des nécessités de l'écran.

Avant l'apparition des films sonores, il importait de sub- stituer l'écriture à la parole, si bien que le mari bafoué apprenait, non par une conversation imprudente, mais par un message l'exploit ourdi à son détriment. De même, les juges n'attachèrent aucune importance à un détail particulier qui avait été introduit dans la scène princi- pale du film : le rais de lumière, qui révèle la trahison dans la pièce, aurait été malaisément perceptible à l'écran ; les cinéastes prirent l'initiative d'y substituer les volutes de fumée d'une pipe, qui pouvaient frapper plus brutalement les regards des spectateurs. Aussi, le Tribunal civil de la Seine a, le 7 juillet 19081, décidé que le film Ta femme nous trompe était dérivé de Boubou- roche et en constituait une contrefaçon.

Dès lors l'étonnement naît à la lecture de l'arrêt, rendu par la Cour de Paris, le 12 mai 19092 : le jugement fut infirmé, sous le prétexte que Courteline et les créa- teurs du scénario s'étaient rencontrés en un lieu commun, ayant purement et simplement exploité de part et d'autre un thème banal, celui de l'indulgence que l'amour conjugal peut inspirer au mari. Selon la Cour, l'intrigue tout entière, telle que Courteline l'avait construite et les auteurs du film l'ont adaptée à l'écran, « fait partie du fonds commun du théâtre et du roman » : les épisodes, semblables à la scène et à l'écran, appartiendraient donc au domaine public. Un tel libéralisme ne se justifie pas.

1. D. P . , 1910, 2, 81 : note Ch. CLARO.

2. D . P . , 1910, 2, 81, précité ; Rec. de Sirey, 1910, 2, 57.

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Car, l'enchaînement des incidents, que l'arrêt énumère avec soin, constitue, non l'idée maîtresse de l'œuvre théâtrale et du film, mais la composition de l'une et de l'autre, en un mot le développement du thème choisi par Courteline et repris par ses imitateurs : « considérant que le film incriminé déroule plusieurs tableaux qui... font apparaître, après une première scène, un joueur de manille recevant un message dans un café et sortant avec précipitation, son arrivée chez une femme qui cache un rival dans un placard, l'ouverture de celui-ci, la sortie de l'amant chassé par une fenêtre et tombant sur un autre concurrent, puis le mouvement du vainqueur se jetant aux genoux de l'infidèle... ». Que cette succession d'inci- dents burlesques ne jaillisse pas d'une inspiration très raffinée, les critiques en conviendront volontiers sans faire outrage à la mémoire de Courteline ; mais ils ne manqueront pas de reprocher à la Cour d'Appel d'avoir commis une erreur de qualification, tant littéraire que juridique. D'autres fictions permettent d'illustrer le thème de la confiance débonnaire dans les relations conjugales, que celui qui a été. mis en scène dans Bou- bouroche et porté à l'écran dans Ta femme nous trompe.

A vrai dire, l'arrêt, pour écarter le grief de la contre- façon, s'est servi d'un critère tout différent de celui qui fait le départ entre l'idée et la composition ; la Cour a noté, et considère comme décisive la différence manifeste entre l'esprit de la pièce et celui du film : l'un a été traité à la manière d'une pochade, destinée à dérider les specta- teurs sans les inciter à la moindre réflexion, tandis que l'autre comporte une analyse, à la fois amusante et pers- picace, des sentiments mis'en action.... « Une originalité très vivace se trouve dans l'analyse du caractère de la victime de l'incident... ces circonstances n'ont pu être reproduites par un machinisme muet. » Mais une diffé- l'cnce, de valeur esthétique ou psychologique, ne suffit

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pas à écarter toute parenté entre deux productions de l'esprit. L'infirmation du jugement ne serait fondée que si la Cour avait relevé que la composition, l'intrigue commune, était puisée par les deux adversaires à une seule et même source, empruntée à une œuvre préexis- tante et d'ores et déjà incorporée au domaine public.

Concluons : une œuvre littéraire constitue une adapta- tion, -dès lors que la ligne générale de la composition est empruntée à une -création antérieure ; de ce chef, elle sera assujettie aux droits d'auteur, dès lors du moins que la source, de laquelle elle dérive, ne se situe pas dans le domaine public. En même temps, elle donne prise aux droits d'auteur, puisqu'à la différence d'une copie pure et simple elle présente une facture originale, par les détails de sa propre composition et par l'expression.

Mais la personnalité, qui fournit la pierre de touche de la propriété littéraire, n'implique pas que l'auteur ait fait montre d'originalité à la fois dans la composition et l'ea,pression ; il faut, mais il suffit qu'il ait imprimé un accent personnel soit à l'une, soit à l'autre.

B. La personnalité dans la composition : les compila- tions. — A côté des recueils d'œuvres d'autrui, qui com- portent des commentaires, existent des compilations pures et simples, dont l'auteur s'est contenté de choisir et d'ordonner les passages qu'il publie sans y ajouter la moindre explication. Les compilations, assorties de com- mentaires, évoquent les adaptations, en raison de l'apport personnel qu'a opéré le commentateur ; celles qui en sont dénuées soulèvent plus de difficultés, puisque le « publi- cateur » s'est contenté de choisir et de coordonner, sans rédiger lui-même quoi que ce soit. Les premières se recommandent de la personnalité dont sont empreintes la composition et l'expression des commentaires, tandis que les secondes ne peuvent se réclamer que de la

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sélection réalisée p a r celui qui en a pris l'initiative. Est-ce là un titre suffisant pour pénétrer dans le cercle des auteurs?

Quelques juristes ont objecté que les expressions ne sont pas le fait du compilateurl. Mais cette observation n'est pas pertinente. L ' a u t e u r d'un abrégé opère un double choix, puisqu'il fait une sélection entre les éléments de l'œuvre préexistante et détermine l'ordre de présentation de ceux qu'il a retenus. P a r le choix et l'agencement, il fait acte personnel, original. On ne saurait objecter que le compilateur n ' a rien fait de plus qu'un collectionneur.

Ce serait oublier, d'abord, qu'une collection, comme telle, n'a pas pour raison d'être la diffusion p a r voie de repro- duction, à la différence du manuscrit d'une anthologie, et, surtout, qu'une différence essentielle sépare l'état d'esprit et le dessein du collectionneur de ceux du compi- lateur : celui-là se propose de réunir le plus grand nombre possible d'objets d'une espèce déterminée, timbres, estampes, médailles anciennnes..., voire de variétés florales ; celui-ci a pour but de pratiquer une sélection, qui manifestera ses préférences pour telle ou telle œuvre, tel ou tel autre passage de l'une des œuvres d'un auteur et, par conséquent, exprimera ses goûts, sa personnalité.

A v a n t de coudre, le compilateur a découpé, alors que le collectionneur s'efforce de reconstituer un ensemble, à la manière de l'érudit qui comble les lacunes d'un manus- crit loin d'introduire un élément personnel dans la créa- tion antécédente d'autrui : c'est en un mot Vinnovation, inhérente au choix des extraits et à leur disposition, qui imprime les caractères de la création littéraire aux compi- lations et aux morceaux choisis. Au demeurant, la véri-

1. C f . , GASTAMBIDE, T r a i t é t h é o r i q u e et p r a t i q u e d e s c o n t r e f a ç o n s e n t o u s g e n r e s , p . 52 ; c o m p . T r i b . c o r r . S e i n e , 2 f é v r i e r 1 9 1 2 ( A n n . , 1 9 1 2 , 2 9 0 ) , e t T r i b . c o r r . S e i n e , 2 2 m a r s 1 9 1 2 . . . ( I b i d . , 2 9 8 ) .

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fication de ce point de vue ressort de la fréquence des critiques qu'élève un auteur, sur la base de son droit moral, en objectant que le choix ou l'ordre réalisé défi- gure sa création. Le risque de dénaturer l'esprit d'une œuvre suffit à témoigner qu'en procédant au choix et à l'agencement des extraits le compilateur doit faire preuve de prudence et de finesse d'analyse, de discerne- ment, en un mot d'intelligence et de personnalité.

La Cour de Cassation, et maintes Cour d'Appel ont consacré ces vues, dans l'ordre des compilations d'ordre littéraire. Le 27 novembre 1869, la Chambre criminelle jugeait que : «le droit de propriété... s'étend également aux ouvrages, dont les éléments, bien qu'empruntés à des publications antérieures, ont été choisis avec discer- nement, disposés dans un ordre nouveau, revêtus d'une forme nouvelle et appropriés avec intelligence à un ouvrage plus ou moins général1 ». Le 18 mai 1938, un second arrêt fait écho au précédent2 à l'occasion d'une compilation d'extraits, traduits de l'allemand, d'oeuvres de vulgarisation ; l'arrêt isole le titre inhérent au fait même de la traduction, pour s'attacher à la composition, à la sélection des passages : « le choix, l'ordre et la méthode, sous lesquels leur ensemble est présenté, constituent incontestablement un travail de l'esprit ».

De même, les Cours d'Appel et les tribunaux ont fait application des droits d'auteur à des compilations pure- ment utilitaires, telles que des guides, des catalogues ou des tableaux synoptiques, en fonction non des rensei- gnements assemblés qui échappent à toute appropriation comme les idées, mais de l'ordre selon lequel ils sont présentés, et par conséquent de la seule composition.

Des annuaires d'adresses ont donné lieu à des décisions

1. D. P . , 1870, 1, 186.

2. Gaz. Pal., 1938, 2, 311.

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imprégnées du même esprit. Le 18 décembre 19241, la Cour de Paris, dans un conflit qui opposait la Société de l'Annuaire du Commerce Didot-Botin à l'Annuaire Paris- adresses sur le terrain de la propriété littéraire, jugea que, si les adresses appartiennent au domaine public, « le fait de les réunir en un ensemble ordonné et complet, et les classer, en diverses nomenclatures, constitue une œuvre personnelle », et elle nomma des experts, afin de dire si

«le recueil de Paris-adresses..., par un aménagement nouveau de renseignements anciens, doit être tenu pour une œuvre personnelle, répondant à une utilité particu- lière, ou si, avec certaines modifications de détails, il ne serait véritablement qu'une copie ou un abrégé de l'Annuaire Didot-Botin ». La protection ne sera refusée que si l'ordre des classifications n'exige aucun-effort, et ne donne prise à aucune manifestation de personnalité, parce que la nature de la publication impose sans hési- tation tels éléments à l'exclusion de têts autres et tel agencement de préférence à tout autre. Les doléances du demandeur n'ont pas été accueillies à l'égard d'une èompilation -qui réunissait, selon l'ordre alphabétique, les noms et adresses des membres d'une profession, non plus que d'un programme de Concours hippique dans lequel les organisateurs s'étaient contentés d'indiquer le nombre des chevaux, leur sexe, la couleur de leur robe, le nom des propriétaires, soit un ensemble de renseigne- ments communs à toutes les sociétés et présentés sous la forme habituelle.

Ainsi, selon les cas, les compilations de caractère utilitaire seront protégées contre une reproduction ou une imitation non autorisée, soit sous l'égide des droits d'auteur, soit à l'aide de l'action-en concurrence illicite ou déloyale : quand, en effet, les informations seront offertes

1. D. H., 1925, 30.

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dans un cadre dont la composition ne revêt aucune ori- ginalité, des plaintes ne pourront être élevées que si un concurrent s'est efforcé de donner au catalogue, au pros- pectus, une apparence, un format, une couleur qui prêtent à la confusion ; si, au contraire, l'agencement des infor- mations et le choix qui en a été opéré ont une empreinte originale, le facteur de protection, inhérent à la composi- tion, permettra l'intervention des droits d'auteur.

C. La personnalité dans l'expression : les traductions.

— La protection des traductions n'a jamais soulevé de sérieuses controverses. Traduire, a-t-on.dit, c'est trahir ! L'observation, trop sévère pour être exacte, prend l'allure d'une mauvaise plaisanterie. Car, s'il existe de détestables traductions, il en est d'excellentes. Du moins, ce propos malveillant a l'avantage de fournir la meil- leure arme aux traducteurs, qui se réclament de la pro- priété littéraire. Car leur entreprise ne sera couronnée de succès que s'ils ont, grâce à leur connaissance des deux langues, eu le bonheur de choisir, pour les besoins de leur tâche, les expressions équivalentes à celles de l'œuvre étrangère. Ce choix leur fournira maintes occasions d'affirmer leur goût et de manifester les nuances de leur esprit, c'est-à-dire leur personnalité. Qu'un concours soit institué entre plusieurs linguistes et que l'objet de la composition soit la traduction du même passage : il y a fort à parier pour que les rivaux ne présentent pas au jury la même rédaction, tant il est vrai que le fait de traduire ne se réduit pas à une opération purement mécanique, telle que le décalque d'un dessin. Et même si plusieurs versions étaient rigoureusement identiques, les concurrents ne devraient pas pour autant être tenus à l'écart du cercle des auteurs ; dès lors, en effet, qu'ils ne se seraient « soufflé » aucune expression, leurs travaux - respectifs seraient empreints de personnalité, puisque

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c'est par un effort individuel, dans l'indépendance de leurs méditations, qu'ils auraient été conduits aux mêmes résultats, aux mêmes choix.

D. Le mérite et la destination. — Alors que toute discussion serait oiseuse aujourd'hui quant au mérite, il importe encore de se demander si la destination entre en ligne de compte dans la définition des œuvres protégées.

1. Le mérite. — Le législateur a levé tous les doutes : la loi du 11 mars 1902, qui a remanié celle de 1793, relative au droit de reproduction, dispose que « le même droit appartiendra aux sculpteurs et dessinateurs d'ornement, quel que soit le mérite... ». A la lettre, cette disposition ne concerne que deux catégories de créateurs et semble ne pas régir les écrivains. Mais la lecture des travaux prépa- ratoires révèle qu'au lieu de réformer l'état du droit antérieur, la loi nouvelle a eu pour seul but d'exprimer une solution implicite : elle a donc une portée interpré- tative, si bien qu'il importe d'en faire état aussi bien pour les « auteurs d'écrits en tous genres, les compositeurs de musique » que pour les artistes. Une solution contraire serait inadmissible et introduirait l'anarchie dans les procès relatifs à la propriété littéraire : quel serait le critère, à l'aide duquel le mérite serait reconnu à telle ou telle œuvre? La Cour de Cassation ne saurait se sou- cier de donner aux juges un fil directeur, puisqu'il s'agit d'une question de fait, essentiellement contingente. Les magistrats en seraient réduits à consulter leur propre goût, si bien que les appréciations varieraient d'une juridiction à l'autre, voire d'un jour à l'autre. Ils n'ont à se préoccuper que de savoir si l'œuvre litigieuse consti- tue une « création de forme », c'est-à-dire si l'auteur a fait œuvre personnelle, originale par la composition ou l'expression, sinon en l'une et l'autre à la fois. De toute évidence, la constatation de l'originalité n'implique aucun

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T h i b a a d CJ.). Les Rayons X - n" 120

* T i b a l (A.). L a Tchécoslovaquie.' Étude

économicjae n° 183

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