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Plus que trois fois millénaire, la civilisation chinoise se place dans une continuité

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L’extraordinaire essor

de la puissance navale chinoise

Capitaine de vaisseau (H), docteur en histoire, vice-président du centre de réflexion maritime Téthys CSMA.

Hugues Eudeline

P

lus que trois fois millénaire, la civilisation chinoise se place dans une conti- nuité sans équivalent ailleurs, malgré les aléas du passé. Les dirigeants de l’Empire du Milieu, contrairement à ceux des démocraties occidentales contraints par la brièveté de leurs mandats, savent que si l’Histoire ne permet pas de connaître l’avenir, elle l’éclaire. Aussi, leurs décisions politiques s’inscrivent sys- tématiquement dans le temps long et s’appuient sur des évaluations sans conces- sion des événements de façon à en tirer les enseignements utiles pour progresser, sans hâte, et atteindre sûrement les objectifs visés. Le président Xi Jinping a fixé à 2049 (1) celui de l’accomplissement du « rêve chinois », c’est-à-dire la reprise par l’Empire du Milieu de sa place de puissance et de civilisation de premier plan.

Après une absence quasi totale des océans, et depuis l’ouverture du pays au commerce international en 1978, c’est sur la puissance navale de la Chine que repose la principale capacité d’influence outre-mer indispensable à l’accomplisse- ment de ce but. Sa flotte de guerre poursuit un développement qui la place depuis 2014 au deuxième rang mondial en termes de tonnage, derrière celle des États-Unis et devant celle de la Russie. C’est sur elle que reposent principalement la protec- tion de ses approches maritimes et le soutien des activités commerciales, indus- trielles et scientifiques qui prendront progressivement une importance primordiale dans l’économie mondiale pendant le XXIesiècle. Cette jeune marine accompagne dès à présent le développement du gigantesque projet commercial d’initiative de la ceinture et de la route de la soie (2), destiné à doper les échanges avec les bassins d’activité d’Asie, d’Europe et d’Afrique.

Pour atteindre les objectifs fixés par l’amiral Liu Huaqing, le « père de la marine chinoise moderne » qui développe le concept d’une « stratégie navale de défense au large » en 1986, il lui faut pouvoir contrôler la zone maritime située à l’intérieur de la première ligne d’îles qui longe ses côtes, mettre en œuvre une capacité de dissuasion sous-marine crédible qui passe par une bonne maîtrise de l’intervention sous la mer et être en mesure d’intervenir en permanence et partout sur le globe en 2050. Cette date est en accord avec celle de l’accomplissement du rêve chinois.

REPÈRES

(1) Cette date correspond au centenaire de la proclamation de la République populaire de Chine.

(2) En anglais : Belt and Road Initiative(BRI) où le vocable Beltreprésente la partie terrestre et le terme Road, la compo- sante maritime. Contrairement à l’idée propagée par les médias occidentaux, celle-ci sera toujours largement prépondé- rante ; elle représentera 95 % des échanges effectués dans le cadre de la BRIen 2020.

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à proximité immédiate du continent ainsi qu’à Taïwan. Seule Hainan tombe le 1eravril 1950 ; faute de forces navales organisées, Mao ne peut parachever sa vic- toire. Cela va se révéler lourd de conséquences pour l’avenir, puisque la République populaire de Chine (RPC), que sa superficie place au troisième rang mondial, ne disposera que du dixième domaine maritime (3)quand la Convention de Montego Bay entre en vigueur en 1994. Elle ne possède aucune des terres de la première ligne d’îles qui va de l’archipel japonais à l’Indonésie en passant par Taïwan, les Philippines, la Malaisie et l’Indonésie. Elle ne contrôle aucun des détroits permet- tant d’accéder à l’océan Pacifique ou à l’océan Indien. Cela fait peser une menace existentielle sur ses échanges maritimes indispensables à son développement et par voie de conséquence à sa stabilité sociale depuis son ouverture à l’économie de marché en 1978. C’est ce que constate le président Hu Jintao en 2003 lorsqu’il parle du « dilemme de Malacca ». Il faut impérativement desserrer l’étau avec des forces navales et auxiliaires s’appuyant sur un réseau de bases avancées.

Une marine est créée en mai 1950 ; elle est composée pour l’essentiel de bâtiments du KMT qui ont fait défection ainsi que de vieux bâtiments achetés avec un prêt octroyé par l’URSS. Ses missions sont essentiellement côtières. Après un intermède dû à la guerre de Corée, Mao lui donne trois missions prioritaires en décembre 1953 : éliminer les interférences navales du KMT, préparer la prise de Taïwan et s’opposer à une agression à partir de la mer. Cette marine composée de petites unités se comporte bien et remporte plusieurs combats sur mer face aux forces taïwanaises (4). Pourtant, elle montre très vite ses limites en se révélant inca- pable à trois reprises de contrôler le détroit de Taïwan, préalable indispensable à l’invasion de l’île. En soutien à la République de Chine (RdC), les États-Unis d’Amérique y déploient des groupes aéronavals en 1954-1955, 1958 et 1995-1996 qui contraignent la RPC à reculer.

L’analyse de la diplomatie navale américaine des porte-avions, associée au retour d’expérience de la guerre de Corée (5)au cours de laquelle ces bâtiments ont joué un rôle de premier plan en fournissant une couverture aérienne permanente aux troupes à terre, a convaincu la Chine, non seulement de s’en doter, mais aussi de dis- poser d’armes spécialement conçues pour les détruire comme le missile antinavire

(3) Le domaine maritime est constitué par les zones économiques exclusives attribuées au pays.

(4) La marine chinoise a également fait preuve d’efficacité mais aussi d’une implacabilité totale face à ses adversaires lors des combats qu’elle a menés face à celle du Vietnam. En janvier 1974, elle remporte une victoire navale sans appel sur les forces du Sud et tout l’archipel des Paracels passe sous son contrôle. En mars 1988, elle a à nouveau le dessus sur la marine de ce pays réunifié au cours d’une violente rencontre dans les îles Spratleys durant laquelle elle coule deux petits trans- ports de troupes et tue une soixantaine de soldats et de marins.

(5) Selon les Flottes de Combat 1952, l’US Navy disposait alors de 102 porte-avions de tous types et la Royal Navy de 22.

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balistique DF-21D mis en œuvre par la deuxième force d’artillerie (6). Le premier porte-aéronefs de la marine chinoise est le Liaoning(ex-Varyagsoviétique), initia- lement acquis en 2000 au prétexte d’en faire un casino flottant dans le port de Macao. Pourvu d’un ski-jump, il permet à la Chine, fidèle à sa méthode d’amélio- ration progressive, d’apprendre à maîtriser la mise en œuvre d’un groupe aérien (chasseurs J-15 et hélicoptères) à partir d’une plateforme navale, de former le per- sonnel nécessaire, de fournir des éléments techniques nécessaires à la construction de bâtiments de conception nationale. Le 11 janvier 2017, après avoir conduit des exercices avec des munitions de combat, le bâtiment gréé en posture de combat, franchit le bras de mer pour la première fois. C’est une réponse aux trois crises du détroit de Taïwan et un avertissement à ses ennemis : la situation a changé. Le 27 avril 2017, le Shandong (type 001A) également pourvu d’un ski-jump a été lancé. Un véritable porte-avions, plus gros et pourvu de catapultes à vapeur serait en construction depuis mars 2015.

Dans le domaine de la projection de forces, avec la conquête de Taïwan (7) toujours en préparation, la Chine s’est en particulier orientée vers des moyens rapides, mais de rayon d’action réduit comme les quatre aéroglisseurs géants Zubr, capables d’emporter 500 hommes ou 8 engins blindés à la vitesse moyenne de 50 N. Pour mener des opérations à plus grande distance, la marine dispose d’une centaine de bâtiments amphibies classiques au total dont une cinquantaine de 1 000 à 16 000 t. Ce n’est qu’en 2017 qu’elle a lancé la construction d’un bâtiment d’assaut de 40 000 t ; il constitue aussi la réponse au DDH-183 Izumo, le plus grand bâtiment de guerre japonais et le premier à pont plat continu depuis la Seconde Guerre mondiale que les Chinois appellent aussi « Guerre antijaponaise ».

Enfin, la décision de faire passer le corps des fusiliers marins (marines) de 8 000 à 100 000 hommes est prise en 2017.

La Chine développe également une puissante composante de guerre des mines, particulièrement bien adaptée aux opérations en mer de Chine orientale, dans le détroit de Taïwan et dans le Sud de la mer de Chine méridionale où les fonds sont faibles. Ils contribuent, avec les sous-marins à propulsion diesel- électrique en particulier, à la stratégie d’interdiction d’accès à l’intérieur de la pre- mière ligne d’îles.

Dans les mers de Chine où perdurent des différends maritimes avec tous les pays riverains, la Chine pratique la politique des petits pas et du fait accompli. Une succession de nombreux petits gains obtenus cumulativement constituent in fineune avancée stratégique significative. Pour éviter tout risque de dérapage incontrôlé de la situation, il s’agit cependant de toujours rester en deçà de la ligne de conflictualité.

Dans cette optique, la Chine joue avec virtuosité des instruments paramilitaires que

REPÈRES

(6) Cette façon d’agir est caractéristique de la façon dont les Chinois conçoivent la maîtrise de la conception : analyser, acheter, copier, refaire et améliorer tout en cherchant une autre voie permettant d’atteindre le même but ou de le contrer.

(7) Taïwan a été déclarée faire partie des « core interests » ou intérêts vitaux de la Chine en 2003.

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toujours des navires de ces organisations qui sont chargés des opérations de harcè- lement de bâtiments de guerre étrangers. Les garde-côtes disposent du plus gros bâtiment de ce type au monde – 12 000 t – ce qui représente un avantage ciné- tique décisif sur les unités paramilitaires adverses en cas de collision. La milice est souvent mise à contribution. Elle est composée de milliers de navires de pêche en acier et armée par des marins civils qui ont reçu une formation militaire et poli- tique. Ses missions sont le secours en mer, la collecte de renseignement, le mouillage de mines, le débarquement sur des îles pour en revendiquer la propriété, la guérilla maritime, etc. Les actions de cette milice peuvent être particulièrement violentes, avec des éperonnages de chalutiers ou de bâtiments similaires comme ce fut le cas en 2014, quand la plateforme de forage chinoise HD-931 a été mise en place dans la zone économique exclusive (ZEE) du Vietnam, ou encore pour essayer de couper l’antenne linéaire remorquée de T-AGOS américains en mer de Chine méridionale.

Au service d’objectifs politiques clairement affichés dans des textes officiels (propriété affirmée de plus de 60 % de la mer de Chine méridionale et de Taïwan, rejet de la décision de la Cour arbitrale de La Haye dans le conflit avec les Philippines en 2016), la Chine a une stratégie d’actions de faible intensité. Pour la conduire, elle joue avec virtuosité de l’ensemble de moyens maritimes dont elle dis- pose en cultivant l’ambiguïté à l’envi et en faisant peser la menace permanente que représente le concept de « défense active » énoncé en mai 2015 dans le livre blanc China’s Military Strategy ; il permet de mener au besoin des actions préventives.

Elle s’est ainsi dotée progressivement d’un réseau de bases aéronavales (8)en mer de Chine méridionale sans risquer de se confronter avec les grandes puissances dont aucune n’est riveraine de cet espace maritime. Sa seule force militaire la protège.

Qui voudrait entrer en conflit de forte intensité avec une puissance nucléaire dis- posant de la seconde marine de guerre au monde pour la possession de hauts fonds remblayés ou d’îlots inhabités ?

L’intervention sous la mer, un objectif doublement stratégique

Confrontée aux deux superpuissances de la guerre froide, la Chine cherche très tôt à se doter d’une force de dissuasion crédible, en particulier d’une compo- sante sous-marine non vulnérable à une frappe en premier. Pour cela, il lui faut

(8) Les bases aéronavales de Subi reef, Fiery Cross reef et Mischief shoal constituent un triangle isocèle dont les côtés égaux mesurent 100 milles nautiques et le troisième 150 milles situé à proximité du centre géographique de la mer de Chine méridionale. Fiery Cross est à 740 milles de Singapour et 550 milles de l’île chinoise de Hainan, la partie la plus méridionale de la Chine, ce qui permet aux avions qui en décollent de couvrir l’ensemble de l’espace maritime. La proxi- mité des bases permet de disposer de pistes de dégagement. Ces îles devraient être dotées de petits réacteurs nucléaires pour assurer leur autonomie énergétique et la capacité de produire de l’eau.

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développer seule, à partir de 1960, des compétences dans la technologie des sous- marins silencieux et de la propulsion nucléaire. Ce n’est que récemment qu’elle s’est intéressée à l’exploration des océans à des fins économiques et militaires par le biais de technologies duales.

Fin 1959, avant que les relations entre l’URSS et la RPC ne se rompent, les Soviétiques transfèrent à la Chine un sous-marin classique Golf I capable de lan- cer trois missiles, en surface uniquement. Un sous-marin du même type est mis en chantier à Dalian en 1961. Il sera opérationnel en 1966 et permettra l’expérimen- tation des missiles Ju Lang-1 (CSS-N-3) et Ju Lang-2 (CSS-N-4). En 1963, la rup- ture entre les deux pays est consommée et les confrontations sur la frontière sino- soviétique en 1969 firent craindre une guerre nucléaire entre les deux nations. La Russie est redevenue l’ennemi prioritaire. Pendant cette période, la coopération scientifique initialement très intense entre les deux pays permet à l’Empire du Milieu de tester une bombe A en 1964 puis H en 1967.

Privée de toute aide extérieure, c’est la mise au point du porteur sous-marin qui va s’avérer la plus difficile et la plus longue. Un SNLE du type « 092 Xia » est lancé en 1981 et admis au service actif en 1988. Il est possible qu’un second ait été perdu accidentellement en 2005. Six autres SNLE, du type « 094 Jin », sont construits entre 2007 et 2017. Selon des sources américaines, il semblerait que la première patrouille opérationnelle ne se serait déroulée qu’en 2015. Le mode de conception sys- tématique appliqué par la Chine à tous ses grands projets peut expliquer cette lenteur.

Cependant, la difficulté du projet est aggravée par les conditions environ- nementales défavorables des approches maritimes du pays. Initialement basés à Xia Ping dao, à proximité de Dalian, ces sous-marins auraient effectué des missions de courte durée en mer de Bohai où les fonds sont insuffisants pour une navigation en sécurité. La mer de Chine méridionale est l’espace maritime le plus proche qui se prête à la navigation sous-marine sans restriction. Une base est donc construite à Long Shan, sur l’île d’Hainan, à seulement 30 milles de l’isobathe des 100 m. La construc- tion d’infrastructures très importantes et enterrées a demandé beaucoup de temps.

Par ailleurs, l’adhésion chinoise au concept soviétique du bastion (des zones de patrouille de taille restreinte protégées par des moyens extérieurs), explique en partie l’importance donnée à la construction des bases aéronavales dans l’archipel des Spratleys, sur les îlots de Fiery Cross, Subi et Mischief de 2015 à 2017. Avec la base de Woody Island dans les Paracel, elles permettent d’assurer une couverture aérienne de la zone des grands fonds où les SNLE peuvent patrouiller. Le fait qu’un système d’antennes de détection acoustique inspirées du Sound Surveillance System (SOSUS) américain de la guerre froide serait en cours d’installation depuis 2012 conforte cette hypothèse.

Enfin, l’évaluation de la vulnérabilité de ces bâtiments est liée à la mise au point technique (bruits rayonnés, réacteurs, moyens de détection) et opérationnelle

REPÈRES

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tuer des déploiements de longue durée en océan Indien. La PLA/N dispose égale- ment d’une soixantaine de sous-marins à propulsion diesel électrique bien adaptés à la lutte antinavire par petits fonds. Capables de faire des mouillages de mines offensifs, armés de torpilles et de missiles, leur silence et leur autonomie à faible vitesse les rendent particulièrement redoutables dans le cadre de missions d’inter- diction d’accès dans les détroits de la première ligne d’îles.

L’intérêt que porte la Chine à l’intervention sous la mer ne s’arrête pas aux seuls sous-marins.

Les importants programmes scientifiques chinois de pénétration sous la mer apparaissent sous la lumière des projecteurs en 2010 quand le submersible d’exploration profonde habité Jiaolongeffectue une plongée à 3 759 m. La Chine entre ainsi dans le club des cinq pays capables de plonger au-delà de 3 500 m, en compagnie des États-Unis, du Japon, de la France et de la Russie. Par parenthèse, il envoie un signal politique en plantant un pavillon au fond de la mer de Chine, à l’instar de ce qu’ont fait les Russes en 2007 sur la dorsale de Lomonossov pour symboliser leur revendication de la majeure partie de l’océan Arctique. En 2010, sept océanautes sont honorés du titre de Héros comme l’ont été avant eux les Taïkonautes pour leurs missions spatiales. Cela met en exergue l’importance don- née par le pays à la pénétration sous la mer.

D’autres le seront également en 2014. Les programmes concernant l’explo- ration des grands fonds se multiplient et une étape est franchie en mai 2016 quand le président Xi Jinping déclare sa volonté de développer les technologies d’action en eaux profondes. Le mois suivant, le ministère des Sciences annonce le projet de construction d’un laboratoire sous-marin mobile à 3 000 m de fond en mer de Chine méridionale ; il est destiné à accomplir des missions duales, civiles et mili- taires, dont l’objet n’a pas été précisé. Au plan militaire, il s’agit d’un domaine dans lequel la Chine pourrait jouer un rôle de précurseur alors que jusqu’à présent elle n’a fait que chercher à rattraper son retard. Peu après, le 12 août 2016, le submer- sible Haidou-1non habité plonge à 10 767 m dans la fosse des Mariannes.

Vers une présence mondiale

Le 26 décembre 2008, quand un groupe naval chinois composé des frégates lance-missiles Wuhan(du type « Lujang I-052B ») et Haikou(« Lujang II-052C »), de 7 000 t de déplacement, viennent participer à la lutte contre la piraterie en océan Indien, elles sont accompagnées du pétrolier ravitailleur Weishan Hu (type

« Fuchi-903 ») de 24 000 t. Ce déploiement lointain est le premier depuis la

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création de la PLA/N. La composition du groupe le rend logistiquement indépen- dant, ce qui simplifie son intégration aux forces navales de toutes origines qui sont présentes sur zone. Outre la protection des navires de commerce de son pavillon, sa mission consiste à apprendre à durer loin de ses bases, un savoir-faire inconnu de la force côtière qu’était alors la marine chinoise, et à observer la manière dont le font les très nombreuses autres marines qui s’y trouvent. La composition de ce groupe s’est révélée parfaitement adaptée à sa mission ; elle a été reconduite pour tous ceux qui se sont succédé de manière ininterrompue jusqu’à présent (début 2018). L’importance de la logistique a été parfaitement appréhendée par les plani- ficateurs chinois, alors qu’elle est souvent la parente pauvre des flottes occidentales.

Pour améliorer encore les capacités de projection stratégique et de soutien maritime de l’Armée populaire de libération, le gouvernement chinois approuve le 18 juin 2015, un plan imposant aux chantiers navals civils de s’assurer que les nou- veaux navires puissent être utilisés au besoin à des fins militaires, éventuellement sous faible préavis.

Les déploiements sont de plus en plus lointains et les « premières » s’enchaî- nent. En février 2011, la frégate Xuzhoudu type « 054A » est présente devant les côtes libyennes quand 35 860 ressortissants chinois sont évacués du pays en raison de l’imminence du déclenchement de l’opération militaire menée sous l’égide de l’ONU. En 2012, le bâtiment-école Zheng Heaccomplit la première circumnavi- gation avec 14 escales. Le 2 avril 2015, une frégate évacue 225 ressortissants étran- gers de toutes nationalités depuis Aden où des combats font rage ; c’est la première fois que la marine chinoise aide d’autres pays à évacuer leurs ressortissants au cours d’une crise internationale. Le 30 septembre 2015, le destroyer Jinan, la frégate Yiyang et le navire de ravitaillement Qiandaohu, après une mission d’escorte de navires marchands dans le golfe d’Aden et au large de la Somalie arrivent à Stockholm, pour une escale de cinq jours en Suède. C’est la première fois qu’une unité chinoise pénètre en mer Baltique.

Une des missions principales d’une marine de guerre consiste à soutenir les flux maritimes d’un pays. Aussi, quand en 2011 le président Xi Jinping décide de lancer la Belt and Road Initiativeà destination de l’Asie, de l’Europe et de l’Afrique, il veut créer des bases logistiques avancées toujours accessibles à sa flotte. Comme toujours dans les choix stratégiques chinois, les emplacements choisis doivent pou- voir convenir à plusieurs missions. L’océan Indien étant le pivot du commerce maritime chinois (les hydrocarbures viennent essentiellement du golfe Persique, les flux avec l’Europe passent par la mer Rouge et les détroits indonésiens), les pre- mières de ces bases doivent y être situées et leurs emplacements choisis à proximité immédiate des principaux détroits pour pouvoir y intervenir rapidement. Par ailleurs, elles doivent être suffisamment grandes pour que des forces puissent y être prépositionnées en nombre suffisant afin d’être capables de mener seules une pre- mière intervention.

REPÈRES

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En juillet 2017, c’est à Djibouti qu’ouvre la première. Elle est pourvue d’installations durcies, peut recevoir 10 000 personnes et va être dotée d’un quai de grande taille pouvant accueillir les plus gros bâtiments d’un groupe aéronaval, dont un porte-avions et le nouveau pétrolier ravitailleur d’escadre de 40 000 t.

Cette base est située à seulement 75 milles du détroit de Bab el-Mandeb, une zone d’autant plus sensible actuellement que le Yémen est en guerre. La Chine a égale- ment construit à Djibouti des terminaux maritimes ainsi qu’une voie ferrée les reliant à l’Éthiopie, un pays enclavé ; 95 % des exportations de ce pays seront transportées de cette façon.

Le port neuf de Gwadar au Pakistan est le point de départ du China Pakistan Economic Corridor (CPEC) qui doit alimenter les provinces occidentales

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chinoises par des oléoducs, des autoroutes et des voies de chemin de fer à travers une zone particulièrement agitée par le terrorisme islamiste. Sur proposition du Pakistan, la Chine devrait installer une base navale à Jiwani, 23 nautiques plus à l’Ouest, à seulement 300 milles du détroit d’Ormuz. Enfin, au Myanmar, la Chine contrôle le port de Sittwe et le terminal pétrolier de Kyaukpyu d’où partent un oléoduc de 771 km et un gazoduc entrés en service respectivement en janvier 2015 et juillet 2014. Ils alimentent le Yunnan. Ils sont situés à 800 milles de l’entrée Nord du détroit de Malacca, alors que les bases des îles Spratleys sont à une distance équivalente de l’entrée Sud.

En novembre 2014, un journal namibien a publié un article sous la foi d’une indiscrétion annonçant la volonté de la Chine d’ouvrir 18 bases navales, parmi lesquelles Walvis Bay (Namibie), Sittwe (Myanmar), Dhaka (Bangladesh), Gwadar (Pakistan), Hambantota (Sri Lanka), Djibouti, Lagos (Nigeria), Mombasa (Kenya), Dar es-Salaam (Tanzania) et Luanda (Angola). Bien que cette informa- tion n’ait jamais été confirmée, elle s’est avérée exacte depuis sa parution en ce qui concerne Djibouti et Gwadar.

Le 20 juin 2017, est annoncée officiellement la création de la branche arc- tique de la route maritime de la soie. Elle offre l’avantage d’être 30 % plus courte entre la Chine et l’Europe du Nord, mais a l’inconvénient de n’être ouverte que brièvement chaque année tant que le réchauffement climatique n’aura pas fait son œuvre. La Chine s’y intéresse et resserre les liens avec la Russie. Depuis 2012, les deux marines mènent ensemble des exercices Joint-Sea. Devenus semestriels, ils se déroulent alternativement dans des zones maritimes intéressant plus particulière- ment l’une ou l’autre des parties. En 2015, ils se sont déroulés en Méditerranée orientale, l’aboutissement européen de la route de la soie, mais également une zone où se situe la base russe de Tartous. En 2016, ils ont eu lieu en mer de Chine méri- dionale, alors que le tribunal arbitral de La Haye vient de rendre un avis défavo- rable à la Chine dans cette région. En 2017, les exercices se déroulent en mer Baltique, après que les unités des deux pays aient participé à une grande revue navale devant et dans Saint-Pétersbourg. La Chine était représentée par le trio habituel de bâtiments.

La marine chinoise a admis au service actif un total de 17 bâtiments de sur- face en 2017, pour un tonnage de près de 106 000 t. Ces chiffres sont en recul par rapport à 2016 ; ils étaient alors respectivement de 25 et 160 000 t. Cependant, les bâtiments de premier rang sont toujours aussi nombreux, et ces données ne concernent pas les forces sous-marines qui sont à présent arrivées à maturité tech- nique et devraient rattraper leur retard.

À titre de comparaison, le 26 juillet 2017, l’amiral Prazuck, CEMM, annonçait aux députés de la Commission de la défense nationale : « Ainsi la Chine a lancé en quatre ans l’équivalent de la marine française en bâtiments de combat (de surface et sous-marins), tout en ouvrant une base de 10 000 hommes à Djibouti. »

REPÈRES

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tiques navales qu’elle crée hors de la Chine continentale ont une seconde fonction.

Djibouti, Gwadar (Pakistan) et Kyaukpyu (Myanmar) sont aussi des ancrages de corridors économiques importants pour la Chine ou un de ses alliés ; d’impor- tantes forces de fusiliers marins y sont prépositionnées. Les bases de mer de Chine méridionale sont, non seulement des bases de soutien aéroportuaires pour le sou- tien des SNLE en patrouille dans le bastion de la mer de Chine méridionale, mais aussi des moyens de projection de puissance vers les détroits indonésiens.

L’existence de ces bases avancées, alliée à l’importance de la flotte logistique et au très grand nombre de navires de la flotte marchande capables de les approvision- ner donne à la marine chinoise une capacité sans cesse croissante d’intervention mondiale. À ce rythme, elle sera effectivement au rendez-vous de 2049.

Cependant, cette augmentation continue de la taille de la marine chinoise et de ses capacités opérationnelles ne peut que susciter des inquiétudes chez son allié de circonstance, la Russie. Ces deux grandes puissances, que les sanctions éco- nomiques dont elles font l’objet rapprochent aujourd’hui, ont trop d’intérêts diver- gents pour ne pas se confronter à nouveau quand elles seront de retour sans entraves sur la scène internationale. Les perspectives liées à l’ouverture de la route du Nord-Est sont encore trop éloignées pour intervenir dans les relations entre les deux pays. w

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