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La logistique de l’épicerie en ligne : vers une différenciation des solutions

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Academic year: 2021

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Bruno DURAND

Docteur en Sciences de Gestion, il enseigne à l’Institut Supérieur de la Logistique et du Transport de Montaigu (85), et est chargé d’enseignement à l’Université (Nantes, Angers et La Rochelle). Membre associé du CERL-CRGNA (Centre d’Etudes et de Recherche en Logistique de l’Université de Nantes), ses travaux de recherche se concentrent sur la logistique du commerce électronique, et en particulier sur celle de l’épicerie en ligne.

Adresse postale : ISLT, 3bis, boulevard Parpaillon – 85600 MONTAIGU Tél (ISLT) : 02 51 48 87 10 Fax (ISLT) : 02 51 48 87 11

Email : bdurand@islt.com

Marie-Pascale SENKEL

Maître de Conférences à l'Université de Nantes. Elle enseigne à l'IUT de Saint-Nazaire dans le département Gestion Logistique et Transport. Elle est membre du CERL- CRGNA. Ses recherches portent sur la stratégie logistique dans le canal de distribution.

Adresse postale : 58, rue Michel Ange – BP 420 – 44606 Saint-Nazaire Cedex Tél/Fax : 02 40 17 81 70

Email : marie-pascale.senkel@univ-nantes.fr

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La logistique de l’épicerie en ligne : vers une différenciation des solutions

Résumé : Depuis la fin des années 90, toutes les enseignes de la grande distribution intégrée française ont créé des supermarchés en ligne, et elles ont alors été confrontées à des problèmes logistiques. Après avoir rappelé quels sont les modèles fondamentaux de la logistique du « B to C », notre article dresse un tableau des offres des quatre principaux cybermarchés français et de leurs organisations logistiques. Il montre qu'un schéma logistique domine en France, et il en présente ses limites. Il affirme enfin que d'autres solutions peuvent s’envisager avec bénéfice et insiste sur les atouts que constituent les réseaux de magasins.

Mots-clés : Epicerie en ligne – Cybermarché - Stratégies logistiques – Canal de distribution – Logistique différenciée

The e-grocery logistics : toward tailored channels

Abstract : Since the end of the nineties, the majority of the societies of mass distribution in France have created e-supermarket, and they were then confronted with logistical problems. Our article presents the offers of these e-retailers and their logistics organizations. It shows that a logistic model seems to emerge in France, different from the anglo-saxon model. But the problem of the "French model" is that it is not easily profitable. The last part of the article affirms that others logistics models could be studied with benefit. It develops in particular a model based on the networks of convenience stores.

Key-words : E-grocery – EGS (Electronic Grocery Store) - Logistical strategies – Distribution channel – Tailored logistics

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La logistique de l’épicerie en ligne : vers une différenciation des solutions

Depuis une quarantaine d'année s'est développée une nouvelle forme de vente en magasin : la vente en libre service. Elle s'est massivement implantée dans le commerce alimentaire et domine aujourd'hui le paysage commercial français, les magasins se répartissant en quatre formats souvent complémentaires : l'hypermarché, le supermarché, le magasin de proximité et le hard-discount. A la fin des années 90, de nombreux acteurs de la distribution se sont lancés dans l'élaboration d'une offre nouvelle reposant sur l'utilisation de la technologie Internet. Les premiers supermarchés en ligne ou cybermarchés sont ainsi apparus, et les enseignes du commerce intégré français exploitant des hypermarchés ont suivi ce mouvement : Auchandirect pour Auchan, Ooshop pour Carrefour, Houra pour Cora, C-mescourses pour Casino… Citons également Télémarket qui fait cependant un peu exception dans la mesure où ce site, filiale des Galeries Lafayette, appartient à un groupe qui exploite cette fois des grands magasins et des magasins populaires.

Même si son évolution est plus lente que lors des premières prévisions des experts et si elle représente encore une faible part du volume des ventes au détail en Europe, force est de constater que l’épicerie électronique constitue bien un canal de vente complémentaire aux autres formats. Certes, son chiffre d’affaires ne dépasserait toujours pas en France les 200 millions d’euros : le montant cumulé des ventes d’Ooshop, d’Houra, de Télémarket et d’Auchandirect a même enregistré une baisse de 4% entre 2002 et 2003, passant de 149 à 143 millions d’euros, avant d’approcher les 160 millions en 2004… Pourtant, contrairement à ce que certains auteurs supputent en évoquant des stratégies de repli ou de recentrage [1], la cyberépicerie devrait

« finalement gagner la bataille » [2]. A l’image de la réussite du britannique Tesco, dont le chiffre d’affaires de l’épicerie en ligne représente 3 à 4 fois celui des quatre cybermarchés évoqués plus haut et 65% du marché britannique total, la cyberépicerie européenne pourrait passer en 2005 le cap des 40 milliards d’euros (soit environ 4% du marché total de l’épicerie), devenant alors le tout premier secteur du « B to C » devant celui des voyages [3]…

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Les travaux académiques s’accordent pour mettre en évidence trois business models majeurs du « B to C » [4, 5] : (1) celui des nouveaux entrants, les « pure-players » ; (2) celui du « brick-and-mortar », qui désigne les commerçants traditionnels ayant également développé une activité de vente en ligne ; (3) celui du « clicks-and-bricks », qui correspond à l’association d’un pure-player et d’un commerçant en magasin. Avec un peu de recul, il est désormais possible d’écrire que, concernant l’épicerie électronique, les pure-players ont connu les pires déboires, et que les quelques

« survivants » ont tous conclu des alliances avec des distributeurs traditionnels (comme par exemple, aux Etats-Unis, GroceryWorks avec Safeway et Tesco). Le modèle 1 a ainsi disparu au profit du modèle 3. C’est pour cette raison simple que notre propos sera principalement axé sur le modèle 2 et qu’il prendra ainsi largement appui sur les expériences française et anglaise.

Pour commencer, soulignons que cette nouvelle forme de vente au détail se situe plutôt à l'opposé du modèle développé par la grande distribution (politique de gestion de flux massifs). Le client ne vient plus faire ses achats dans de grands « entrepôts » situés à la périphérie des villes : il s'agit au contraire d'aller le livrer à son domicile. C’est d’ailleurs là une différence fondamentale entre le « B to B » et le « B to C » [1] : si Internet constitue bien un nouveau canal de vente dans les deux cas, la logistique traditionnelle est « encore de mise » dans le premier alors que le second appelle certainement la mise en œuvre d’un nouveau modèle logistique. Or, si les premiers pas vers la livraison du consommateur ont été faits, il y a déjà quelques années avec la mise en place de services de livraisons à domicile depuis les magasins de détail, les logisticiens de la grande distribution semblent toujours aujourd'hui à la recherche de modèles performants pour l’épicerie électronique…

La maîtrise logistique acquise au cours des trente dernières années par les distributeurs ne procure-t-elle finalement aucun avantage sur le marché de l’épicerie en ligne ? Y-a-t- il un modèle logistique dominant aujourd’hui en France ? Est-il performant et propice au développement de cette nouvelle activité ? D’autres modèles sont-ils susceptibles d’émerger ? Telles sont les questions majeures auxquelles notre article tente de répondre à travers quatre parties. La première aborde les modèles logistiques du commerce électronique à partir d'une revue de la littérature. Une seconde partie dresse un panorama des cybermarchés français. La troisième partie met en évidence les

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modèles logistiques qui ont été retenus à ce jour par les cyberépiciers. Enfin dans une dernière partie à visée plus managériale et prospective, nous montrons comment un nouveau modèle logistique, adossé aux réseaux de magasins, pourrait être utilisé avec profit en France.

Les modèles logistiques du commerce électronique « B to C »

Pour la grande majorité des produits vendus sur Internet (ceux qui ne sont pas

« virtualisables »), il y a préparation d’une commande, emballage, éventuellement opérations douanières et livraison finale de l'internaute. L'activité logistique constitue donc « une composante essentielle de la stratégie des sites marchands dans le domaine du B2C » [6], et trois éléments fondamentaux semblent la caractériser [6, 7] :

l’espace : la question du dernier kilomètre ou de la livraison terminale de l'internaute est soulevée. Seulement, en dehors des postes et des sociétés de VAD, peu d'acteurs savent aujourd’hui offrir un service performant.

le temps : le délai de livraison est un élément de différenciation des cybermarchés.

Or, le nombre élevé de références proposées induit un nombre important de lignes de commande à traiter le plus rapidement possible.

la création de valeur : le recentrage actuel sur la relation au client entraîne de la part de ce dernier une demande forte en services à valeur ajoutée, tels que la préconisation de commande (concept de VMI1), le suivi de la préparation, celui de la livraison, ou encore la gestion des retours… Cette troisième composante a bien sûr des incidences sur l'organisation logistique, nécessitant un interfaçage entre le système d'information du cybermarché et ceux de ses partenaires.

Compte-tenu du fait qu’un consommateur peut opter pour la livraison à domicile ou bien pour l’enlèvement sur un point de retrait de proximité, et qu’il peut y avoir également intervention ou non d’un intermédiaire (prestataire logistique, distributeur…), les différents travaux académiques menés à ce jour mettent en évidence trois modèles logistiques fondamentaux [9] : (1) celui du stockage chez les

1 Le VMI, pour « Vendor Managed Inventory » [8], constitue un bon exemple de service à valeur ajoutée, au cours duquel le cybercommerçant « pilote » le stock de l’internaute afin de lui préconiser, en fonction d’ un historique de ventes régulières, une commande de réapprovisionnement.

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producteurs ; (2) celui du stockage chez le distributeur ; (3) celui de la livraison « hors domicile ».

Le modèle du stockage chez les producteurs

Ce premier modèle correspond effectivement au stockage des produits chez les producteurs. Il se décline en deux variantes, la première (voir encadré 1) consistant à livrer le consommateur directement à partir des producteurs. Dans ce cas, la commande est traitée par le producteur, qui l’expédie à l’internaute, court-circuitant ainsi le commerçant. Le rôle de ce dernier se « limite » alors à celui d’un infomédiaire, puisqu’il consiste à mettre en ligne une offre, à réceptionner les différents achats en ligne et à les communiquer aux producteurs concernés. Notons qu’à l’extrême, pour une commande passée par un cybernaute, on peut assister à autant de livraisons qu’il y a de lignes sur la commande (si toutes les lignes correspondent à des fournisseurs différents), ce qui constitue alors une contrainte de taille pour le consommateur. Cet inconvénient disparaît en revanche avec la seconde variante, un regroupement par internaute des articles de la commande étant réalisé avant la livraison finale par un prestataire logistique. Cette seconde variante correspond au modèle que Dell a adopté, la fabrication à la commande permettant de limiter les stocks de produits finis et de personnaliser ces derniers.

[Insérer ici l'encadré 1]

Le modèle du stockage chez le distributeur

Le deuxième modèle logistique se caractérise par une différence notoire : les produits sont cette fois stockés chez le distributeur, ce dernier assurant alors la préparation des commandes. Le modèle comporte également deux variantes : (1) délégation à un transporteur de la livraison à partir d’un entrepôt dédié au distributeur, option qu’Amazon a retenue ; (2) internalisation de la livraison à domicile, option uniquement envisageable dans le cas d’une distribution de proximité, à partir de dépôts ou de magasins de détail. Nous aurons l’occasion de revenir plus longuement sur ces deux variantes dans le cadre de l’épicerie en ligne.

[Insérer ici l'encadré 2]

Le modèle de la livraison « hors domicile »

Le troisième modèle logistique, quant à lui, se différencie des deux premiers par des livraisons « hors domicile ». Dans ce cas, c’est l’internaute qui enlève sa commande sur

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un point de retrait de proximité. Deux variantes peuvent encore s’imaginer : (1) les points de retrait sont des CDL2, livrés directement par les producteurs des articles commandés, via un réseau de plates-formes fonctionnant en cross-docking 3 et gérées par des prestataires logistiques [4]) ; (2) les points de retrait sont des magasins de détail, approvisionnés de manière traditionnelle par des entrepôts de distributeur. Notons alors que les commandes sont préparées, du fait de leur nombre restreint, directement sur le point de vente, mais qu’elles ont intérêt à l’être en entrepôt avant d’être expédiées en magasin, dès que leur nombre progresse de manière significative.

[Insérer ici l'encadré 3]

Avant de préciser les modèles que les cybermarchés français ont retenus à ce jour, dressons un tableau synthétique de la cyberépicerie telle qu’elle se présente en France.

Panorama des cybermarchés français

La présentation des cybermarchés français peut démarrer par l’évocation du cas singulier de Télémarket, filiale du groupe des Galeries Lafayette. Depuis 1985, ce spécialiste de la vente à distance (il ne possède en effet aucun magasin), pionnier de la livraison à domicile en région parisienne, utilisait le Minitel. A partir de 1998, Télémarket a naturellement glissé vers le Web. En termes d’offre, Télémarket propose aujourd’hui 6.300 références, livrables uniquement sur la région parisienne, et ce à partir d’un entrepôt de 24.000 m2 situé à Pantin. Son chiffre d’affaires actuel stagne légèrement au-dessus des 40 millions d’euros. Nous trouvons ensuite, depuis la

« stratégie d’abandon » en avril 2002 de C-mescourses (filiale du groupe Casino) [1], trois autres acteurs majeurs, tous issus de la distribution intégrée : Auchandirect, Houra et Ooshop. Le tableau 1 récapitule les informations essentielles les concernant.

[Insérer ici le tableau 1]

2 Un CDL, « Centre de Distribution Locale », est une plate-forme d’éclatement (comparable à un centre de tri du courrier) sur laquelle les commandes sont regroupées par cybernaute. Ce concept peut permettre de surmonter la difficulté du dernier kilomètre, à condition que la capillarité du réseau de CDL soit suffisamment élevée, l’internaute enlevant alors ses commandes sur un seul point de proximité. Le concept de CDU, « Centre de Distribution Urbaine », se veut assez voisin de celui de CDL.

3 Le cross-docking est une technique logistique moderniste correspondant à une volonté de réduction des stocks. Elle correspond à un éclatement, depuis une plate-forme de transit, de lots de produits pré-affectés à la source (c’est à dire chez le producteur) vers des magasins, des CDL ou même des lieux de résidence.

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En lançant son cybermarché « auchandirect.fr », initialement limité au sud de Paris, Auchan a délibérément fait le choix d’être présent sur le Web sous son nom. Proposant 5.000 produits, ce distributeur effectue la préparation des commandes à partir de deux sites : Chilly-Mazarin pour le sud de Paris et le nouvel entrepôt de Gennevilliers pour l’ouest et le nord de l’Ile-de-France. Une fois le « rodage » terminé sur la capitale, Auchan souhaite investir les grands centres urbains… D’ailleurs, il expérimente dans le Nord le service « chronodrive.com », basé sur des points d’enlèvement. Son chiffre d’affaires connaît actuellement une progression annuelle régulière à deux chiffres.

Cora, à qui nous devons le terme de « cybermarché », propose avec son site « houra.fr » un assortiment de 50.000 références, c’est à dire une offre équivalente à celle d’un hypermarché (60% des produits étant non alimentaires). Sur ce plan, Cora se place donc loin devant ses concurrents, dont l’offre est en moyenne de 6.000 articles. Cependant, au moment de desservir l’ensemble du territoire à partir de son unique entrepôt situé près de Paris, Houra a rencontré un problème logistique de taille. Le distributeur a ainsi renoncé à sa couverture nationale, adoptant alors une « stratégie de recentrage géographique » [1] le limitant à 26 départements concentrés autour des grandes zones de consommation (la région parisienne, Lyon et sa région, le nord, l'arc méditerranéen, une partie de la Normandie…). Concernant la région parisienne (la zone de chalandise la plus favorable mais… la plus convoitée !), Houra se montre particulièrement attractif.

Il propose, dans le but de fidéliser sa clientèle, un tarif de livraison à 1 euro à condition de commander un panier de 225 euros toutes les 3 semaines…

Quant à Carrefour, il a tout d’abord ouvert son cybermarché « ooshop.fr » sur Paris, puis sur Lyon. Des 100.000 produits de grande consommation présents en hypermarchés, seuls 6.700 (essentiellement des marques alimentaires nationales) sont proposés sur le site. La préparation des paniers se fait à nouveau en entrepôt (2 sur Paris et 1 sur Lyon), mais le forfait de livraison peut descendre à 3,5 euros si la marchandise est directement enlevée sur un point de retrait. Ooshop, le leader actuel des cybermarchés français, multiplie ainsi ses initiatives afin de se rapprocher le plus possible de sa clientèle, et la diversification des modes de livraison à travers les 6 points de « prêt-à-emporter » en constitue une.

A côté de ces acteurs d'envergure nationale, existent quelques initiatives locales émanant de commerçants associés (Intermarché, Leclerc et Système U), leurs

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groupements respectifs gardant cependant une attitude encore très circonspecte vis-à-vis d'Internet. De ce fait, les indépendants souffrent d'un réel handicap vis-à-vis de leurs concurrents du commerce intégré, puisqu'il leur est impossible de créer un cybermarché, même régional, sans l'accord des adhérents du groupement. Nous ne nous y attardons donc pas.

Si l'attrait des cybermarchés reste pour le moment encore modeste, c’est sans doute parce que cette forme de vente introduit des contraintes logistiques importantes : fractionnement des commandes, atomisation de l'aval, exigences de service élevé (respect des jours et heures de livraison, commandes complètes…), difficulté d'approche relative à la livraison à domicile, coûts nouveaux (stockage, préparation de commandes et transport [10])… La vente en ligne des produits alimentaires, ou plus généralement d’épicerie aux marges faibles et aux contraintes logistiques fortes (produits encombrants et/ou lourds comme les packs d'eau minérale ou de lait, les couches pour bébé, les barils de lessive…), implique la mise en œuvre de solutions performantes, vecteurs de croissance et de rentabilité [7]. Or, la logistique des cybermarchés se trouve très éloignée de la logistique d’approvisionnement des grandes surfaces traditionnelles (flux massifs de palettes homogènes), car il s'agit cette fois de livrer une multitude de particuliers en volumes généralement réduits. Les études montrent enfin que le cyberconsommateur, qui passe commande en moyenne une fois par mois, recherche avant tout dans cette forme de vente la praticité : il souhaite, en particulier, se dispenser des courses-corvées (choix peu impliquant, manutention importante…). De ce fait, en vue de parvenir à la rentabilité, nous constatons que de plus en plus de cybermarchés élargissent leur offre vers le non-alimentaire, c’est à dire vers des produits à plus forte valeur ajoutée et faciles à livrer, comme par exemple les produits culturels.

Les choix logistiques des cybermarchés français

Le panorama des cybermarchés français étant dressé, il paraît désormais nécessaire de s’arrêter plus longuement sur les différentes organisations logistiques, en regardant notamment comment elles s’inscrivent dans le cadre conceptuel des trois modèles de référence présentés en première partie.

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Le modèle du stockage chez les producteurs

Dans ce cas de figure, les producteurs préparent et expédient directement les articles aux internautes, en ayant éventuellement recours à un prestataire logistique (2ème variante) de manière à éviter le morcellement des livraisons [9]. Force est de constater, que les quatre cybermarchés français, tous issus de la grande distribution, ne s’inscrivent pas du tout dans cette logique. Cependant, à l’initiative de producteurs (parfois modestes), ce modèle se développe malgré tout dans deux secteurs alimentaires : (1) la vente de produits de luxe (comme le vin, le chocolat…) ; (2) la vente locale de paniers de fruits et légumes ou même de viande (sur la base d’une fréquence hebdomadaire). Il s’agit alors véritablement de vente directe, et la valeur ajoutée y est plus élevée que dans le cadre de l’épicerie traditionnelle (distribution de masse). Par ailleurs, on peut penser que, dans le contexte actuel de la distribution française où l’objectif de développement des MDD est clairement affiché, les producteurs de marques nationales (en particulier les IAA) soient tentés par ce mode de distribution. Synonyme de reconquête de pouvoir au sein du canal de distribution, ce modèle dispenserait du passage obligé par les centrales d’achat, passage, faut-il le rappeler, « négocié » au prix fort…

Le modèle du stockage chez le distributeur

Il va de soi qu’il s’agit là du modèle le plus courant dans l’épicerie électronique française, dominée aujourd’hui par les quatre cybermarchés précédemment évoqués.

Lors de la présentation du modèle au cours de la première partie, nous avons fait état de deux variantes [9] : l’une où la livraison finale à partir d’un entrepôt est déléguée à un transporteur, et l’autre où elle est assurée en propre par le distributeur ou le commerçant à partir d’un dépôt ou d’un magasin. Reprenons ces deux variantes.

La délégation de la livraison à partir d'un site dédié

Le distributeur se dote dans ce cas d'un entrepôt dédié à son activité d’épicerie en ligne, y prépare les commandes qu’il confie ensuite à un prestataire logistique pour livraison aux internautes. Les deux leaders français de la cyberépicerie, Houra et Ooshop, ont retenu pour leur part cette configuration logistique : Houra dispose d’un entrepôt unique pour desservir 26 départements, et Ooshop possède trois sites pour livrer Paris et Lyon par le biais d’un prestataire logistique. Souhaitant clairement différencier leur activité traditionnelle de leur activité en ligne, Cora et Carrefour n’ont donc pas hésité à

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accorder à la vente sur Internet des investissements logistiques importants. A ce propos, il faut préciser que l’on reproche généralement à ce modèle, dit du « in-warehouse picking », un coût d’investissement élevé, et donc un ROI important. D'autre part, les délais de livraison s’y veulent également longs [11] : Houra livre plutôt à « J+2 »…

La livraison en propre à partir d’un dépôt de proximité ou d’un magasin

Les deux autres cybermarchés, Auchandirect et Télémarket, ont plutôt opté pour cette seconde variante du stockage chez le distributeur. Ayant en effet choisi, à la différence de leurs deux principaux concurrents, de desservir uniquement Paris (zone de chalandise nettement moins étendue qu’Houra), ils ont stratégiquement décidé de ne pas déléguer à un transporteur la livraison finale. A ce titre, il faut même souligner que, pour Télémarket, la livraison à domicile constitue le cœur de métier dans la mesure où elle est pratiquée depuis vingt ans ! Du côté de la préparation des commandes, Auchandirect et Télémarket ont en revanche retenu le même type de solution, c’est à dire la préparation sur un ou deux sites dédiés, de taille plus modeste mais de proximité.

Nous notons ainsi qu’aucun des quatre cybermarchés français n’a adopté, du moins de manière significative, la solution du « in-store picking » à laquelle Tesco4 semble devoir la très belle réussite de son cybermarché. Dans le cadre de ce dispositif, la commande passée auprès du supermarché en ligne est transmise au magasin (et non plus au dépôt) de l’enseigne le plus proche du domicile de l’internaute. Des préparateurs prélèvent ensuite les articles directement dans les rayons du magasin. Une fois la préparation terminée, les livraisons s’effectuent avec les véhicules utilitaires du commerçant.

L’intérêt de ce mode de préparation réside dans le fait qu’il permet d'utiliser les infrastructures existantes (d’où un investissement réduit et un ROI rapide), au risque cependant de perturber quelque peu l’espace de vente : les clients traditionnels pouvant être « dérangés » lors de leur fréquentation du magasin par les préparateurs en pleine activité. Face à ce problème qui pourrait entraîner des pertes de clientèle, Tesco a préféré, comme le préconisent certains auteurs sur des zones à fort potentiel [12], changer et adopter la préparation en entrepôt dédié.

Peu développée pour l’instant en France, la préparation en magasin se rencontre cependant sous deux formes : (1) pour des sites marchands de magasins de l’une des

4 Tesco, qui a « exporté » son modèle aux USA avec Safeway et dont le slogan est : « From mouse to house ! », serait aujourd’hui le cyberépicier le plus rentable au monde (certains observateurs vont même jusqu’à dire le seul !).

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trois chaînes de la distribution associée (initiatives isolées impliquant un niveau d’investissement faible) ; (2) pour des cybermarchés dans le cadre de « stratégies d’extension géographique » [1], en complément d'une autre solution logistique : depuis fin 2004, Ooshop a démarré son développement sur l’Ouest en s’appuyant sur son réseau de magasins évitant ainsi tout investissement spécifique.

Le modèle de la livraison « hors domicile »

A la question de la préparation de la commande s'ajoute celle très épineuse de la livraison de l'internaute. Afin de disposer d’une alternative moins coûteuse que la livraison à domicile (d’autant plus que le consommateur n’est pas toujours présent chez lui), les cybermarchands peuvent mettre en place des points relais. Au cours de la première partie, nous avons ainsi évoqué deux solutions : (1) celle des CDL pour les producteurs ; (2) celle des magasins de détail pour des distributeurs. Concernant la première, certains producteurs, intervenant plutôt dans le domaine des produits alimentaires de luxe non périssables, utilisent régulièrement ce mode de distribution (par exemple le secteur des vins). Ils font alors appel aux réseaux des points de retrait, comme Kiala, développés à l’origine par les VADistes sur le modèle des « 24 heures Chrono » de la Redoute.

Quant à la deuxième solution, mis à part Télémarket, qui ne dispose d’aucun magasin, et Houra, qui a opéré un recentrage géographique afin de continuer à fonctionner avec son entrepôt, elle a été retenue par les deux autres cybermarchés. Ainsi, Ooshop a mis en service 6 points relais en région parisienne, un seul étant cependant adossé à un hypermarché, et depuis février 2004 une expérience de retrait des marchandises est également menée par Auchan. Parallèlement à son cybermarché, le groupe de distribution a ainsi lancé pour la région lilloise un nouveau service d'achat en ligne de produits alimentaires, Chronodrive : l'internaute commande, puis vient retirer ses produits. L'avantage mis en avant est avant tout économique : cette formule supprime en effet la livraison, qui peut représenter jusqu’à 70% du coût total du service en ligne [3, 13].

[Insérer ici l'encadré 4]

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Il est clair que, si le maillage du territoire en points de retrait est trop diffus, l’internaute aura peut-être intérêt à investir (seul ou avec des voisins) dans une boîte de réception5, concept assez peu envisagé en France mais couramment évoquéau Royaume-Uni ou en Europe du Nord. Un certain nombre de recherches ont été entreprises sur ce sujet, menées notamment par l’écoles finlandaise [14], et certaines tendent à montrer que la solution, même si elle est partagée par plusieurs internautes, ne semble pas économiquement envisageable dans le cadre de l’épicerie en ligne [15].Toujours est-il que ces différentes stratégies déployées par les cyberépiciers se veulent encore

« tâtonnantes », et que des questions demeurent en particulier à propos de la détermination du modèle logistique optimal.

« Chemin faisant », une différenciation des circuits logistiques ?

Force est de constater [12, 16], que deux approches majeures dominent aujourd’hui dans l’organisation du flux physique des cybermarchés : (1) la préparation de commandes en entrepôt dédié avec livraison à domicile ; (2) la préparation en magasin avec livraison à domicile ou bien enlèvement directement sur le point de vente. Les quatre cybermarchés de la distribution intégrée française sont pour leur part tributaires du modèle de préparation en entrepôt. Or, les entrepôts utilisés aujourd’hui sont peu nombreux (souvent uniques), ce qui rend difficile toute couverture nationale tant les délais de livraison sont longs. Quant au modèle de la préparation en magasin, il reste peu développé en France : il est plutôt adopté par les distributeurs indépendants à travers des initiatives isolées. Pourtant, le succès incontestable de cette deuxième formule, initiée par Tesco, est riche d’enseignements et mérite une analyse plus poussée.

L’analyse du succès de tesco.com

Disposant d’un réseau dense de 720 points de vente, qui lui permet de desservir 96% de la population britannique, Tesco a effectivement bâti le succès de son service d’épicerie électronique sur la préparation en magasin. Un certain nombre de travaux académiques montrent que cette réussite doit être avant tout attribuée à la cohérence stratégique du

5 Une boîte de réception désigne une boîte à lettres tri-température (sec, frais, surgelé) munie de deux portes : une côté « habitation » pour l’internaute et une côté « rue » pour le livreur. Un foyer équipé ainsi se trouve alors dispensé de présence au moment de la livraison.

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distributeur britannique [5], ce qui n’a pas été le cas pour la plupart de ses concurrents.

Ainsi, il est probable que les choix stratégiques effectués par de nombreux pure-players, en termes de marketing et de logistique, sont à l’origine de leurs rapides échecs. Par exemple, Webvan, dont la distribution reposait sur deux infrastructures logistiques (un site central de préparation des commandes et des sites relais assurant les livraisons à domicile), proposait des prix bas en dépit de charges élevées provenant de ses équipements dédiés [5]…

Or, Tesco s’est toujours gardé de promettre la « lune », en veillant justement à la cohérence de sa stratégie marketing avec sa stratégie logistique. Ses investissements furent, il est vrai, initialement moins importants que ceux des cyberépiciers ayant recours au modèle de l’entrepôt, puisque ses magasins existaient déjà, même s’il a fallu les doter de chariots équipés en informatique embarquée [17]. Cependant, Tesco a d’emblée refusé de mener une politique de prix trop bas et a opté pour une imputation d’une partie des coûts logistiques aux internautes. Ces derniers s’acquittent ainsi d’un forfait de 5 livres, sachant que le coût logistique global représente en moyenne 14% du montant des ventes [4]. Il est clair que, pour Tesco, cette rétribution constitue une participation normale des consommateurs au service d’épicerie en ligne [5], et qu’elle représente une contrepartie de sa réelle valeur ajoutée (la livraison en étant l’élément central). Pourtant, comme le soulignent de nombreux chercheurs [10, 12], le modèle de la préparation en magasin ne peut convenir que pour des volumes relativement faibles, c’est à dire pour une activité en ligne marginale (moins de 100 commandes par jour [3]). Au delà, la solution n’est plus optimale et un autre modèle doit être retenu. Tesco l’a d’ailleurs éprouvé. Devant son succès grandissant, le leader mondial de la cyberépicerie s’est vu dans l’obligation d’investir de manière significative : (1) au niveau du front-office tout d’abord (12 millions de livres dans son site Web [17]) ; (2) au niveau du back-office ensuite, par l’acquisition d’entrepôts dédiés à la vente en ligne.

Aujourd’hui, si Tesco continue à pratiquer la préparation traditionnelle en magasins pour les zones à faible densité de cybernautes, il a également recours à la préparation de en entrepôt pour les villes importantes (comme Londres), où la concentration d’acheteurs en ligne est élevée. Afin d’éviter de perturber certains de ses magasins par une activité en ligne soutenue, tesco.com, qui propose 20.000 références et traite en moyenne 110.000 commandes par semaine, a revu sa stratégie logistique et a choisi de

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différencier ses circuits de distribution, adoptant ainsi un modèle hybride [4, 16]. Le passage sur une zone de la préparation en magasin à la préparation en entrepôt serait d’ailleurs souhaitable quand 20% des ventes totales d’épicerie sont réalisées en ligne [11]. La figure 1 en propose une représentation stylisée. Cependant, cette première estimation par rapport au chiffre d’affaires ne paraît pas complètement suffisante. Elle en appelle d’autres, qui prendraient en compte l’encombrement et le poids des produits.

[Insérer ici la figure 1]

Nous devons alors nous interroger sur le fait que cette mutation si naturelle du modèle de la préparation totale en magasin vers un système de préparation différenciée (en magasin ou en entrepôt selon la densité de clientèle) puisse également s’imaginer à partir du modèle de la préparation totale en entrepôt. Cette interrogation signifie que certains cyberépiciers français, ayant adopté le modèle de l’entrepôt, pourraient connaître un développement sensible de leur activité de vente en ligne grâce à leurs réseaux de magasins… Développons plus précisément cette idée après avoir tout d’abord rappelé les limites de la préparation en entrepôt.

Les limites de la préparation en entrepôt dédié

Pour de nombreux auteurs, l'entrepôt dédié se justifie lorsque la demande devient importante [10, 13]. Le seuil minimum à partir duquel il paraît rentable de préparer en entrepôt serait ainsi de 1.000 commandes par jour [3]. Or, un raisonnement s’arrêtant au seul ratio du nombre de commandes à traiter paraît insuffisant. Il semble en effet préférable, comme le préconise l’école finlandaise [13], de faire référence à la dispersion géographique des commandes. Deux cas de figures peuvent alors se présenter : (1) soit le nombre d’internautes au km2 est élevé ; (2) soit au contraire cette densité est faible. Dans le premier cas, la zone à livrer est compacte (par exemple une grande ville), et les livraisons peuvent alors être assurées dans un délai relativement court. Dans le second cas, la zone à livrer est par conséquent plus étendue (une région, ou peut-être même un pays), ce qui affecte d’autant le niveau de performance de la livraison (en délais et bien sûr en coûts). Il suffit pour cela de se reporter à l’exemple d’Houra, qui a été contraint d’opérer un recentrage géographique. Il semble donc légitime de s’interroger sur les limites de la préparation totale en entrepôt. Pas plus que la préparation totale en magasin, cette alternative ne semble constituer le modèle logistique optimal. La fermeture en avril 2002 du site du groupe Casino, qui l’avait

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adopté, en est la preuve… Or les quatre cybermarchés, auxquels nous nous sommes précédemment attachés, l’ont adoptée, contraints de ce fait de se limiter quasi exclusivement aux grands centres urbains (comme Paris et Lyon). Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls à expérimenter les limites de cette stratégie : les concurrents directs de Tesco sur le marché britannique, Sainsbury et Asda, l’ont aussi appris à leurs dépens…

Ainsi pour distribuer ses 15.000 produits en ligne, Sainsbury a recours à deux sites dédiés : l’un à Londres et l’autre à Manchester [17]. Sa performance, en termes de couverture territoriale, se veut de ce fait nettement plus modeste que celle de Tesco (tout en étant supérieure à celle des cybermarchés français, leur zone de distribution étant essentiellement francilienne) : 50% des ménages d’outre-Manche peuvent en effet bénéficier des services de SainsburyToYou. Cette stratégie logistique fut également celle du troisième distributeur britannique [16], Asda, dont Wal-Mart est désormais propriétaire. A l’origine, Asda développa un service d’épicerie en ligne (6.000 produits référencés) à partir d’un entrepôt dédié basé au sud de Londres, qui desservait dans un rayon de 25 kilomètres 450.000 foyers. D’autres ouvertures d’entrepôts étaient prévues dans la perspective d’une extension de la couverture géographique, mais le montant des investissements (4 millions de livres en moyenne par site) et la non-rentabilité de la première expérience ont poussé Asda à revoir totalement sa stratégie, abandonnant en 2002 la préparation en entrepôt au profit de la préparation en magasin. Depuis août 2004, son nouveau service d’épicerie en ligne (11.000 références), qui s’appuie désormais sur 53 magasins, est accessible par 40% de la population britannique (le forfait de livraison étant de 3,5 livres, avec la gratuité pour un panier supérieur à 99 livres). Une comparaison synthétique de la préparation de commandes en entrepôt et de la préparation de commandes en magasin est proposée dans le tableau 2.

[Insérer ici le tableau 2]

Les cyberépiciers français doivent-ils à leur tour suivre cette stratégie afin d’améliorer leur rentabilité et d’augmenter leur couverture territoriale de manière significative ? Ne devraient-ils pas plutôt s’inspirer de la démarche de Tesco, en adoptant des modèles logistiques hybrides ou différenciés pour utiliser un terme plus approprié ? Mais, en ont-ils vraiment les moyens ? De quels atouts disposent-ils ?

Les réseaux de magasins : un atout logistique pour certains cyberépiciers français ?

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Les modèles hybrides paraissent plutôt bien adaptés à des régions hétérogènes, en termes de densité de population et de demande au niveau de l’épicerie en ligne [16].

Tesco le prouve aujourd’hui au Royaume-Uni… Or, la France, qui n’est pas la Grande- Bretagne (il faut rappeler, à ce titre, que la densité de la population britannique est égale à plus du double de celle de la France), présente cependant des territoires assez hétérogènes quant aux deux critères évoqués. Si la stratégie de la préparation en entrepôt adoptée par les quatre cybermarchés français n’est pas à remettre en cause pour les zones à forte densité, on peut en revanche s’interroger sur la faisabilité de l’adoption de la préparation en magasin dans des régions à plus faible densité, dans l’hypothèse bien sûr où le cyberépicier désire augmenter sa couverture territoriale. Ainsi pour Télémarket, la question ne se pose pas vraiment, dans la mesure où ce distributeur ne possède aucun point de vente. A moins que demain le groupe des Galeries Lafayette n’envisage de s’appuyer, après concertation avec Casino, sur les 250 magasins populaires Monoprix… L’adoption de la préparation en magasin paraît tout aussi improbable pour Cora, qui a opéré un recentrage géographique important. Cependant, ce distributeur pourrait malgré tout s’adosser sur une partie de ses 230 supermarchés ou hypermarchés, implantés principalement dans le nord-est du pays afin d’améliorer la desserte de cette région. En revanche, concernant Ooshop et Auchandirect, les atouts respectifs offerts par les réseaux de magasins de Carrefour et d’Auchan semblent réels.

Une analyse plus minutieuse s’impose.

Si on calcule les entropies relatives de ces deux derniers distributeurs (voir l’encadré 5), exercice délicat du fait de la multitude des enseignes et des opérations répétées de croissance externe, on obtient des valeurs supérieures à 0,85, caractéristiques de couvertures territoriales fortes [18]. De fait, Carrefour et Auchan exploitent plusieurs formats de magasins : de la supérette à l’hypermarché, en passant par le supermarché et le hard-discount. Pour sa part, Carrefour dispose d’environ 3.200 points de vente implantés en France: des magasins de proximité et hard-discounts (près de 2.000) aux hypermarchés de grande taille. Cela signifie qu’en moyenne, le leader européen de la distribution dispose de plus de 30 magasins par département, ce qui lui confère une entropie relative très élevée, de l’ordre de 0,94 [18], comparable à celle de Tesco. Quant à Auchan, avec ses 1.100 points de vente, son entropie relative est estimée à 0,86, c’est

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à dire à un niveau sensiblement supérieur à celui d’Asda, qui a justement abandonné la préparation en entrepôt pour la préparation en magasin…

[Insérer ici l'encadré 5]

Alors, la possibilité de s’adosser à des magasins, parce qu’elle « rassure » l’internaute et qu’elle limite les coûts logistiques, ne constitue-t-elle pas un autre levier de développement de la vente en ligne pour Ooshop et Auchandirect ? D’ailleurs, sans avoir renoncé à la préparation en entrepôt, ces deux cybermarchés ne sont-ils pas déjà engagés sur cette voie afin de desservir des régions à plus faible densité ? Ainsi, depuis la fin 2004, « Ooshop s’est résolument tourné vers l’Ouest » [1], et mène à ce titre une expérience intéressante en milieu urbain (densité oblige). Soucieux de limiter les investissements, le leader de la cyberépicerie française n’a pas jugé bon (sous-entendu rentable) de recourir à de nouveaux sites de préparation dédiés, qui auraient alors été implantés dans le grand Ouest. La livraison des internautes de Rennes, de Rouen ou de Nantes se fait donc à partir des magasins traditionnels, où les commandes sont préparées. Dans le cadre d’opérations promotionnelles, Ooshop passe cependant par son entrepôt automatisé de Marly (près de Paris), pour des questions de productivité et en vue de réduire les nuisances en magasin. Les points de vente régionaux jouent alors le rôle d’unités de cross-docking, solution que Tesco a lui-même retenue pour les produits vinicoles [16]. N’oublions pas enfin qu’Ooshop a également ouvert quelques points de

« prêt-à-emporter » en région parisienne. Leur généralisation paraît assez facile pour peu que l’adossement au réseau de magasins soit adopté…

Si Ooshop semble désormais bien engagé dans la différenciation de ses circuits de distribution, le recours à un modèle logistique hybride reste en revanche encore au stade de la réflexion pour Auchan. En effet, mise à part la solution du chronodrive expérimentée pour des raisons historiques dans la région lilloise (berceau de la société), Auchandirect ne différencie pas ses circuits. Or, le groupe nordiste, qui a l’intention d’investir les grands centres urbains, pourrait lui aussi avoir intérêt, en dehors des zones à très forte densité de Paris et de Lille, à s’appuyer dans un premier temps sur son réseau de magasins, limitant ainsi ses investissements.

Terminons par Casino, qui en dépit de la fermeture de son site, détient toujours des atouts de première importance pour la vente en ligne. Le succursaliste stéphanois dispose en effet en France de 6.000 magasins, parmi lesquels environ 5.000 commerces

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de proximité. Fort d’une entropie relative proche de 1, Casino est donc le distributeur français, qui possède le meilleur maillage territorial. Mais, sans doute « refroidi » par l’échec de son cybermarché, il ne semble pas prêt à tenter un nouvel essai en s’adossant cette fois sur ses magasins. Casino semble aujourd’hui davantage miser sur une autre formule de vente : la distribution automatique, via des magasins-robots (50 d’ici fin 2005) qui offrent au consommateur une sélection de 200 articles…

Conclusion

Notre article s'est intéressé aux choix logistiques effectués par les cybermarchés. Il a mis en évidence le fait que les solutions logistiques retenues en France sont assez éloignées de celles choisies par le géant britannique Tesco. Un constat s’impose : les entreprises de la distribution intégrée française ne semblent pas aujourd'hui tirer profit de leur expertise logistique dans le domaine du « Brick and Mortar ». Peut-être ont- elles trop misé sur des organisations dédiées et adaptées à la préparation de volumes importants, auxquels elles sont très justement habituées dans le cadre du commerce en magasin ?

En montrant les faiblesses de la solution reposant sur un entrepôt dédié et en analysant la stratégie logistique de tesco.com, nous pouvons raisonnablement penser que, demain, le développement de l’épicerie électronique chez les distributeurs intégrés français passera également par le recours à un système logistique mixte, différencié, sorte de continuum logistique.

A ce propos, il semble que des voies aient été complètement négligées. Certaines, au premier rang desquelles nous trouvons les commerces de proximité et leurs puissants réseaux de supérettes de quartier ou de centre-ville, présentent pourtant de sérieux atouts logistiques. En tirant parti des solutions développées par les VADistes, le modèle de la préparation en magasin semble en effet en mesure de garantir aux cyberépiciers français un maillage national, rapide dans sa mise en place, fiable et peu onéreux.

L’adossement à un réseau finement maillé de magasins constituerait alors le préalable à un recours ultérieur à des unités logistiques spécialisées.

Cela mérite donc de poursuivre la réflexion, dans la mesure où certains groupes de distribution du commerce intégré (en particulier Carrefour et Casino) disposent a priori

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d’atouts indéniables. A cette fin, le recours à la prospective stratégique et notamment à la méthode des scénarios paraît alors souhaitable, l’objectif étant cette fois de déterminer des scénarios d’évolution et d’évaluer leurs probabilités respectives d’émergence…

Références

1. Marouseau G. (2005), Hypermarchés sur Internet : cinq ans après, un modèle qui se cherche encore, Actes du 8ème colloque Etienne Thil, La Rochelle, CD-Rom.

2. Chétochine G. (2005), Le blues du consommateur, Editions d’Organisation, Paris.

3. Manzella L. (2001), La logistique des supermarchés en ligne, Eurostaf, Paris.

4. Hays T., Keskinocak P. et Malcome de Lopez V. (2004), Strategies and challenges of Internet grocery retailing logistics, in Geunes J. et alii (éd.), Applications of supply chain management and e-commerce research in industry, Kluwer Academic Publishers, Dordrecht.

5. Delaney-Klinger K., Boyer K.K. et Frohlich M. (2003), The return of online grocery shopping : a comparative analysis of Webvan and Tesco’s operational methods, The TQM Magazine, Vol. 15, n°3, 187-196.

6. Dornier Ph-P. et Fender M. (2001), La logistique globale : enjeux, principes, exemples, Editions d'Organisation, Paris.

7. Durand B. (2003), La logistique de l’épicerie électronique : analyse prospective des scénarios envisageables dans la distribution alimentaire française, Thèse de doctorat en Sciences de Gestion, Université de la Méditerranée (Aix-Marseille II), Aix-en-Provence, Décembre.

8. Smäros J. et Holmström J. (2000), Reaching the consumer through e-grocery VMI, International Journal of Retail & Distribution Management, Vol. 28, n°2, 55-61.

9. Chopra S. et Meindl P. (2004), Supply chain management : strategy, planning and operations, Pearson Prentice Hall, New Jersey.

10. De Koster M.B.M. (2002), Distribution structures for food home shopping, International Journal of Physical Distribution & Logistics Management, Vol. 32, n°5, 362-380.

11. Hafsa S., Hovelaque V. et Soler L.G. (2002), Comparaison de différentes stratégies d'approvisionnement pour le e-commerce, Actes des 4èmes rencontres internationale de la recherche en logistique, Lisbonne, 331-341.

12. Ogawara S., Chen, et J.C.H., Zhang, Q. (2003), Internet grocery business in Japan : current business models and future trends, Industrial Management & Data Systems, Vol. 103, n°9, 727-735.

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13. Yrjölä H. (2003), Supply chain considerations for electronic grocery shopping, Dissertation for the degree of Doctor of Science in Technology, University of Technology, Helsinki, January.

14. Punakivi M. et Tanskanen K. (2002), Increasing the cost efficiency of e-fulfilment using shared reception boxes, International Journal of Retail & Distribution Management, Vol. 30, n°10, 498-507.

15. Kämäräinen V. (2003), The impact of investments on e-grocery logistics operations, Dissertation for the degree of Doctor of Science in Technology, University of Technology, Helsinki, June.

16. Yousept I. et Li F. (2005), Building an online grocery business : the case of asda.com, International Journal of Cases Electronic Commerce, Vol. 1, n 2, 57- 78.

17. Roberts M., Xu X.-M. et Mettos N. (2003), Internet shopping: the supermarket model and customer perceptions, Journal of Electronic Commerce in Organizations, Vol. 1, n 2, 32-43.

18. Rulence D. (2000), Les stratégies spatiales des firmes de distribution : mesure et comparaisons, in Pierre Volle (coord.), Etudes et recherches sur la distribution, Economica, Paris, 13-27.

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Encadré 1 : Le modèle logistique du stockage chez les producteurs

Variante 1 : « Livraison du client directement à partir des producteurs »

Variante 2 : « Consolidation des commandes des internautes par un prestataire logistique »

Source : adapté de Chopra et Meindl (2004)

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Encadré 2 : Le modèle logistique du stockage chez le distributeur ou le commerçant

Variante 1 : « Préparation en entrepôt et délégation de la livraison à un prestataire logistique »

Variante 2 : « Préparation en dépôt ou en magasin et internalisation de la livraison à domicile »

Source : adapté de Chopra et Meindl (2004)

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Encadré 3 : Le modèle logistique de l’enlèvement sur un point de retrait

Variante 1 : « Enlèvement des commandes sur un CDL livré directement par les producteurs »

Variante 2 : « Enlèvement des commandes sur un magasin approvisionné par un entrepôt traditionnel »

Source : adapté de Chopra et Meindl (2004)

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Tableau 1 : Les cybermarchés français

Cybermarchés Auchandirect Houra Ooshop Telemarket

Année de création 2000 2000 1999 1998

Groupe d’appartenance Auchan Cora Carrefour Galeries Lafayette

CA 2002 (millions €) 14,90 37,95 53,00 42,80

CA 2003 (millions €) 17,10 41,30 44,30 40,20

Perte 2003 (millions €) 1,8 (soit 11%) 8,5 (soit 21%) 17,6 (soit 40%) 2,6 (soit 7%)

CA 2004 (millions €) 25,00 44,00 50,00 40,50

Offre

- 5.000 références - sec / frais / surgelés produits de la mer - liste pré-établie

- 50.000 références - sec / frais (pas de produits de la mer) - bricolage / jardinage / sport / électroménager

- 6.700 références - sec / frais / surgelés produits de la mer - bricolage / vin / bio / parapharmacie

- 6.300 références - sec / frais / surgelés produits de la mer / bio - liste pré-établie

Montant minimal 50 € 75 € pour la province 10 € 75 €, sinon 5 € de plus

Zone de livraison Paris

26 départements dont Monaco (grandes villes sauf à l’ouest et au centre)

Paris, Lyon et leurs

banlieues respectives Paris et sa banlieue

Frais de livraison

- 12€ de base

- 10€ si commande >

120€

- 8€ si commande toutes les 3 semaines ou montant supérieur à 180€

- 6€ si commande toutes les 3 semaines et montant supérieur à 120€

- 4€ si commande toutes les 3 semaines et montant supérieur à 180€

- 14€ de base en province - 12€ sur Paris et grandes villes

- 5€ à Paris, si commande toutes les 3 semaines et montant > 150€

- 1€ à Paris, si commande toutes les 3 semaines et montant > 225€

- 10€ de base

- 5€ sur Rouen

- 5€ sur Paris et Lyon, si commande > 180€

- 3,5€ si enlèvement en l’un des 6 points de retrait

- 10€ de base

- Forfait « Market Pass » (livraisons illimitées) de 20€ / mois

Délais de livraison J+1 avant 22 h si commande

J+1 ou J+2 J+1 si commande avant 14 h

J+1 au plus tard

Horaires de livraison

- en semaine : de 16h30 à 22h30 - le samedi : de 12h30 à 18h30

- en semaine : de 7h à 22h (variables selon les zones)

- le samedi : de 7h à 14h

- en semaine : de 16h à 21h

- le samedi : de 9h à 14h

- en semaine : de 7h à 22h

- le samedi : de 7h30 à 14h30

Plage horaire 2 heures 2 heures 2 heures de 1 à 2 heures

Localisation des entrepôts

Chilly-Mazarin (pour le sud de Paris)

et Gennevilliers (ouest et nord de Paris)

Bussy - St Georges

Marly-la-Ville et Vélizy pour Paris

Vaise pour Lyon

Pantin

Taille des sites

Chilly-M. : 2.500 m2

Gennevilliers : 7.700 m2

16.000 m2

Marly-la-V. : 15.000 m2 (dont 6.000 aménagés)

lizy : 3.500 m2

24.000 m2 (dont 15.000 utilisés)

Livraison Internalisée Externalisée Externalisée

(Star’s service) Internalisée

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Encadré 4 : L'expérience Chronodrive

Le site permet de passer commande parmi 4.000 produits en épicerie, boisson, fruits et légumes, surgelés et certains produits d'hygiène courants. La commande peut se faire plusieurs jours à l'avance mais il est également possible de retirer des produits sans passer commande au préalable. Dans ce cas, on retrouve le principe des bornes interactives déjà existantes sur le projet Auchan Drive. La possibilité de passer commande immédiatement réduit le choix dans les produits : seuls 450 références sont alors disponibles.

La zone de préparation et de retrait des commandes s'étend sur 4.000 m² et comprend un entrepôt de stockage et de préparation de 1.500 m². Au moment du retrait, le client valide sur une borne interactive sa référence client correspondante au compte créé sur le site et à la commande qui s'y rapporte. Un ticket de caisse est alors imprimé. Il indique au client à quelle place de parking se garer. Un livreur charge le coffre du véhicule quelques minutes plus tard. A l'heure actuelle, il est prévu de dupliquer cette expérience dans la métropole lilloise. Pour le porte-parole du Groupe Auchan, c'est le concept de proximité qui porte le service. La clientèle-type est familiale et motorisée. Elle se situe dans une zone proche du site, à environ dix minutes.

Source : www.journaldunet.com

Références

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