• Aucun résultat trouvé

Claude Malterre : témoignage

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Claude Malterre : témoignage"

Copied!
35
0
0

Texte intégral

(1)

HAL Id: hal-02817993

https://hal.inrae.fr/hal-02817993

Submitted on 6 Jun 2020

HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.

Distributed under a Creative Commons Attribution - NonCommercial - NoDerivatives| 4.0 International License

To cite this version:

Claude Malterre. Claude Malterre : témoignage. Archorales : les métiers de la recherche, témoignages,

14, Editions INRA, 2010, Archorales, 978-2-7380-1286-9. �hal-02817993�

(2)

Quels souvenirs gardez-vous de cette période ?

Je dois d’être en vie à mon grand-père maternel et le goût pour l’agriculture à mon grand-père paternel. Ce dernier m’a fait découvrir le milieu de l’élevage, les vêlages, les foins, la batteuse, la vie à la ferme.

Si je vous raconte cela, c’est qu’il est vrai que cela a déclenché chez moi une forme de passion que je peux résumer, à ma façon, par cette question que je posais dès l’âge de 6-7 ans à ma grand-mère et à sa cousine : Pensez-vous que, plus tard, je pourrais faire un bon ouvrier agricole ?, en fait je voulais dire éleveur, c’est-à-dire assister les vaches dans leurs vêlages, les mener aux prés, les alimenter, les traire (bien sûr la traite était manuelle à l’époque), et c’est vrai que cela m’est toujours resté, à tel point que cela a guidé mes choix scolaires, avec une ambition d’être avant tout un bon ouvrier agricole -tel que je me l’imaginais- puis au fur et à mesure de mes études secon- daires, de devenir un bon technicien agricole. C’était donc le projet que je nourrissais, en fait un BAC + 2 pouvait tout à fait me convenir, d’autant que j’avais un peu de peine dans mes études. À 17 ans, j’ai obtenu le BAC à l’arraché et il m’a fallu prendre une décision : soit m’orienter vers un BTS -à l’époque il n’y avait pas encore de DUT- soit envisager une formation plus longue.

C’est en fait sous l’influence de mon père qui exerçait une pro- fession libérale que j’ai envisagé d’aller un peu plus loin. Mon père qui était notaire, spécialisé dans le droit rural (à ce titre, il a contribué à la loi d’orientation foncière de 1967 sous Edgard Pisani) nourrissait plus d’ambition pour ses enfants et mon frère était déjà engagé dans des études médicales ; mon père m’a donc dit : Tu devrais tenter une formation d’ingénieur.

Nous sommes alors parvenus à un compromis et à ce moment-là, mon père m’aurait bien vu intégrer l’Agro, mais je lui ai répondu que ce n’était pas dans mes capacités et je me suis alors replié sur les “Agris”.

J’ai donc préparé l’Agri au lycée Jean-Baptiste Say, après des études secondaires au lycée Jean-Baptiste Corot à Savigny-sur- Orge. Durant cette prépa Agri, j’ai même eu la possibilité de suivre des cours supplémentaires en mathématiques afin de présenter le concours de l’Agro.

Il se trouve que l’année où j’ai passé les épreuves, les deux concours Agri et Agro se sont retrouvé fusionnés au niveau du classement général et les premiers reçus ont pu bénéficier d’une intégration à l’Agro de Paris, bien sûr demandé en pre- mier et ensuite Grignon, Rennes et Montpellier. Je me suis retrouvé à Montpellier, sans le choisir, de justesse mais en carré. Cela me convenait, d’autant qu’à l’issue des deux pre- mières années, on obtenait un diplôme d’agronomie générale puis le diplôme d’ingénieur agronome à la fin de la troisième année. J’étais de la promotion 1963.

Il faut se rappeler que c’est au cours de l‘année 1963 que notre promotion a bénéficié du titre commun d’ingénieur agronome ; on était donc ingénieur Agro, quelle que soit notre école d’origine, et les Agris sont devenues ENSA (École natio- nale supérieure agronomique). C’est d’ailleurs depuis ma pro- motion que des échanges entre les différentes écoles ont été désormais possibles.

Comme j’étais resté sur l’idée de travailler sur les vaches, c’est tout naturellement que j’ai pu opter pour la spécialité “recher- ches zootechniques” à l’Agro de Paris avec Jacques Delage, Pierre Charlet, Julien Coléou... J’ai donc quitté Montpellier pour aller faire ma troisième année rue Claude Bernard.

Vos deux premières années à Montpellier vous ont-elles intéressé ?

Oui, sans hésitation, ce fut une période formidable, surtout après deux ans de prépa où l’on bosse comme des fous, on

“sous colle”, on se présente au concours sans avoir vu la tota- lité des programmes... Oui, j’en garde un excellent souvenir.

À Montpellier, certains professeurs vous ont-ils beaucoup marqué ?

Bien sûr, mon professeur de zootechnie m’a beaucoup mar-

qué, il s’agissait de Louis Dauzier. Je suis resté assez longtemps

45

Claude Malterre

Je suis né en 1943 à Paris, ce qui montre mes origines citadines. En fait, je suis né pendant la guerre, cela s’est passé chez mon grand-père qui était médecin et je lui dois la vie car il m’a réveillé plus d’une minute après ma naissance, il était temps !!!

J’ai fait toutes mes études, primaires et secondaires à Longjumeau, à 20 km au sud de Paris, c’était encore la banlieue, mais avec tout de même des connotations rurales. Juste après la guerre, il y avait encore deux fermes à chaque extrémité du village de Longjumeau qui est maintenant complètement intégré dans la grande banlieue parisienne. J’accorde beaucoup d’importance à ce contact avec les fermes de Longjumeau parce qu’il fait le lien avec mes origines familiales qui se situent dans l’Allier, plus précisément dans le Bourbonnais, à la frontière du Puy-de-Dôme et de l’Allier. Je passais toujours mes vacances en famille dans cette région, où mon autre grand-père déjà à la retraite et ma grand-mère m’accueillaient tou- jours en prolongation des congés annuels de mes parents, donc j’y passais régulièrement les mois d’été. J’ai toujours gardé des liens avec une partie de ma famille encore présente dans cette région.

Lancement du projet de développement du centre le 20 juillet 1992. Claude Malterre

avec Hubert Curien (à droite), ministre chargé de la Recherche

et de la Technologie.

Photo :©INRA

(3)

en contact avec lui et également avec son équipe : André Vézinhet et René Cordesse en particulier. Mais, c’est surtout Louis Dauzier, qui a marqué très fortement par sa person- nalité la Chaire de productions animales de Montpellier où j’aurais d’ailleurs très bien pu faire ma troisième année. Mais c’était très orienté physiologie animale et physiologie de la reproduction (la grande spécialité de Dauzier), c’est pourquoi, j’ai opté pour les productions animales et la recherche en zoo- technie à Paris. Par la suite, j’ai gardé pas mal de contacts avec eux et en tant qu’ancien de Montpellier, je suis venu faire des cours de méthodologie et d’interprétation des résultats sans oublier d’évoquer ce principe de base du chercheur : la remise en cause permanente ; je leur ai raconté mes premières années de recherche, en refusant les certitudes et au contraire, en cul- tivant l’incertitude... et l’enthousiasme.

Lors de ma troisième année faite à Paris, j’ai regretté Mont- pellier pour l’ambiance et son environnement d’autant que je n’avais pas beaucoup d’attirance pour la capitale. À cela s’a- joutait la difficulté de me mettre à niveau, je découvrais la zoo- technie telle que l’enseignaient Jacques Delage et Pierre Charlet survolant à toute allure le programme des deux pre- mières années pour aller plus loin dans leur enseignement. La remise à flot fut assez difficile.

Au moment où vous étiez à l’Agro,

la zootechnie était-elle encore la section noble ?

Oui, je le crois. De mémoire, on devait être 27 ou 28 en spé- cialité zootechnie, nous étions des étudiants très motivés et convaincus, ce n’était pas du tout une section fourre-tout. De plus, à l’issue de cette troisième année de zootechnie, il y avait une quasi-obligation de passer un DEA en même temps : il s’a- gissait des premiers DEA dont le tout récent DEA de physiolo- gie de la nutrition (option nutrition et alimentation des ani- maux domestiques).

Même si l’on faisait, par exemple, de la génétique, il était de bon ton de passer ce DEA de nutrition.

Oui, nous étions au moins une quinzaine à passer ce DEA sur les 27 ou 28 inscrits en troisième année parmi nous de futurs généticiens comme Jean-Jacques Colleau et François Vallerand ont suivi ce DEA de nutrition qui accompagnait vraiment cette troisième année. C’était le DEA de Pasqua, Jacob et Trémolières.

Ces cours de DEA vous prenaient-ils beaucoup de temps ?

Ce DEA demandait beaucoup de boulot, il fallait suivre les cours en plus de ceux de l’Agro mais il fallait surtout les travailler et je me souviens que sur quinze inscrits, un seul a été reçu à la ses- sion du mois de juin. La seule solution fut donc de travailler dur pendant les deux mois d’été pour essayer de l’avoir au mois de septembre et cette fois, je crois qu’il n’y en a eu qu’un seul qui ne l’a pas obtenu. Mais je me souviens particulièrement de cet été-là où je pensais en avoir terminé avec les études, être enfin diplômé mais non il restait encore ce fameux défi du DEA.

Le DEA consistait-il en une série de contrôles et un mémoire ?

Je ne me souviens que des examens mais pas du mémoire car je crois que les agros en étaient dispensés. Ce dont je suis sûr,

c’est qu’il n’y avait pas comme aujourd’hui de stage de six à huit mois. Une fois arrivés en troisième année, on avait de toute façon un stage obligatoire dans le cadre de l’Agro.

J’ai fait ce stage à l’INRA de Jouy-en-Josas chez Robert Jarrige et sous le tutorat de Claude Béranger.

À la fin de ma première et de ma deuxième années, j’avais également fait des stages d’un mois à un mois et demi en exploitation (en Beauce et dans le Limousin).

Je rappelle que c’est une époque où à travers un stage d’un mois seulement on pouvait déjà se faire connaître, reconnaître et se faire apprécier. Il suffisait alors de dire : Tiens, je suis inté- ressé par la recherche en lien avec le terrain pour se faire repé- rer. C’est ainsi qu’au cours de l’été de 1966, Claude Béranger et Robert Jarrige m’ont recontacté en me disant : Michel Négrin, ingénieur dans notre station, part pour la FAO, après avoir occupé depuis trois ans un poste financé par la DGRST (délégation générale de la recherche scientifique et technique) qui dépendait directement du Premier ministre. Nous souhai- tons te confier la conduite d’un travail de recherche sur la fini- tion des vaches de réforme.

Donc, vous êtes embauché en octobre 66 par Robert Jarrige. Il cherchait un ingénieur... ?

Oui, il recherchait un agronome pour occuper cet emploi d’in- génieur contractuel, INRA, financé par la DGRST.

Michel Négrin étant parti au mois d’août, j’ai de suite été sol- licité. J’ai d’abord été séduit par l’offre de ce poste qui concer- nait les recherches en production de viande bovine, une façon de retrouver les vaches Charolaises de ma petite enfance.

De plus, c’était un poste d’ingénieur, et ça correspondait à ce que je voulais faire car je faisais très clairement le distinguo entre le corps des scientifiques et le corps des ingénieurs contractuels : pour moi l’ingénieur était quelqu’un de plus concret, plus opérationnel et beaucoup plus pragmatique...

que les scientifiques.

J’avais été séduit par une réflexion assez intéressante de Claude Béranger, idée que je retrouvais également dans la pensée de Robert Jarrige à propos des missions confiées plus particulièrement à certains ingénieurs, mission de développe- ment, du reste, c’était le terme que l’on utilisait : ingénieur de développement, ingénieur de transfert, ingénieur de synthèse.

Donc, l’objectif n’était pas d’approfondir obligatoirement un sujet de recherche et de se faire évaluer selon les créneaux classiques de la science mais de proposer une vision globale, de pouvoir jouer les interfaces avec la profession agricole, les instituts techniques, les centres techniques...

Cette dimension m’a séduit et attiré. Mon sujet de recherche, celui pour lequel je prenais la suite de Michel Négrin, portait sur la production de viande bovine à partir des vaches de réfor- me. C’était un sujet bien précis que j’ai fait évoluer par la suite.

Ce collègue que je n’ai pas connu figure en co-auteur sur ma première publication “Évolution du grain de poids vif et de l’é- tat d’engraissement des vaches taries au pâturage” Avec ce thème, j’avais un sujet de recherche compatible avec ma conception de l’ingénieur de développement.

En fait, il est indispensable d’avoir son sujet de recherche, afin

de faire pleinement partie d’une équipe de recherche, d’une

unité de recherche et être reconnu à ce titre-là, en conduisant

sa recherche, sa propre réflexion, en confrontant ses propres

(4)

résultats à ceux de la biblio, en soumettant ses protocoles à la sagacité des collègues, en intervenant sur leur programme et plus généralement en participant à la vie et à l’animation scientifique de l’équipe... mais aussi avoir du temps pour relayer un peu l’ensemble des connaissances issues du labora- toire, et ainsi pouvoir jouer un rôle de synthèse et de transfert et aussi assurer l’interface vis-à-vis des instances représentati- ves de la profession.

Nous sommes en 1966

quel était le nom du laboratoire de recherche de Jarrige ?

Ce laboratoire, créé à Jouy-en-Josas puis transféré à Theix, s’appelait station de recherches sur l’élevage des ruminants et était animé par Robert Jarrige et c’est en 1973 que celle-ci a éclaté en différents laboratoires ou stations : productions de viandes bovines et chevalines avec Claude Béranger, produc- tions laitières avec Michel Journet, productions ovines avec Michel Thériez, valeur alimentaire des aliments avec Camille Demarquilly et enfin digestion avec Pierre Thivend.

Et Claude Mathieu ?

Claude Mathieu était le spécialiste des veaux pré-ruminants à la station dirigée par Robert Jarrige mais il était attiré par le grand ouest et l’enseignement supérieur, il a été le premier à partir à Rennes. Par la suite, il a tout fait pour attirer son camarade Michel Journet ; c’est ainsi qu’en 1980 il a réussi avec la com- plicité de Jacques Poly et certaines pressions à la fois politiques et professionnelles à le faire venir avec une partie de son équi- pe et à créer une unité “vaches laitières” entre Bretagne et Pays de Loire, région qui produisait à l’époque et plus encore aujour- d’hui 50% de la production laitière nationale.

En fait, quand nous nous sommes installés à Clermont- Ferrand-Theix, dans les années 1964-1965, la production lai- tière française était relativement concentrée dans cette région du centre de la France, sur le pourtour du Massif central, et elle représentait près de la moitié de la production nationale.

Ensuite, en l’espace de 15 ans, cette production s’est concen-

trée sur la Bretagne, les pays de Loire et un peu en Poitou- Charentes.

Vous vous retrouvez donc en 1966

à la station de recherche sur l’élevage des ruminants

Oui, avec Robert Jarrige et Claude Béranger mais également avec Michel Petit et Yves Geay ainsi que Jean-Henri Teissier malheureusement décédé trop tôt.

Jean-Henri Teissier n’a-t-il pas été enseignant à l’ENSSAA de Dijon ?

Effectivement, d’ailleurs il n’est pas venu à Theix mais si j’évoque son nom c’est d’abord parce qu’il a été vraiment un très bon ami, avant qu’il ne parte pour Dijon, à l’ENSSAA. Cette amitié est liée au fait que nous sommes restés tous les deux à Jouy un certain temps en arrière-garde, en quelque sorte, tout d’abord dans un bureau du Grand Labo au 1

er

étage, bureau que nous avons partagé avec Robert Jarrige, Béranger, Michel Journet avant leur départ pour Theix, puis au dernier étage du

“château” avec un ou deux stagiaires. Nous avions alors la responsabilité d’une quinzaine d’ouvriers à l’étable expéri- mentale de La Minière, ainsi qu’à l’abattoir de Jouy.

À Theix, les bâtiments composés des vieilles étables issues des deux fermes associées pour composer le site de Theix n’étaient pas très opérationnels et beaucoup d’expérimentations étaient encore conduites à La Minière.

Je recevais les protocoles, et faisais le lien avec l’équipe : pour cela, je passais deux jours par mois à Theix et venais également à toutes les réunions auxquelles je me devais de participer.

J’assurais la relation avec les chercheurs et je repartais avec leurs protocoles pour les mettre en œuvre.

J’ai été le dernier à rester à Jouy, sans doute à cause de la sou- plesse de mon statut d’ingénieur. Il a fallu attendre 1968 pour disposer d’un abattoir à Theix. Donc, avant cette date, tous nos animaux expérimentaux, dont ceux d’Auvergne, étaient abat-

tus à Jouy.

47

Claude Malterre à l’abattoir expérimental de Theix : mensuration et notation d’une carcasse de bovin.

Centre de recherches zootechniques et vétérinaires de Theix.

Photo :©INRA

Photo :©INRA

(5)

Et vous alliez aussi de temps en temps au domaine du Pin ?

Bien qu’affecté principalement à Jouy-en-Josas, je me rendais régulièrement au domaine du Pin, avec Claude Béranger, au moins deux jours par mois. C’est sur ce domaine que l’on engraissait au pâturage pendant deux ou trois mois les vaches de réforme de type laitier avant leur départ pour la boucherie.

C’était l’époque où Béranger jouait les commis voyageurs, vous aussi vous avez fait beaucoup de déplacements...

Oui c’est bien durant les années 70 que j’ai commencé à jouer un peu les interfaces avec l’Institut technique de l’élevage bovin (ITEB) devenu Institut de l’élevage et l’Institut technique des céréales et des fourrages devenu Arvalis (ITCF), organis- mes qui étaient nos correspondants privilégiés. Cela s’est fait avec l’aide, l’encadrement, la réflexion, et avec tout le concours particulier de Claude Béranger mais aussi de Michel Journet et de Camille Demarquilly car il n’y avait pas de cloisonnement entre nous. Cela m’a valu de vivre une période tout à fait inté- ressante de travail et de rapprochement avec les ingénieurs du service d’utilisation des céréales et des fourrages (SDUCF) de l’ITCF, avec Joseph Marchadier puis avec Christian Lelong, qui avaient une réflexion forte dans l’Institut et aussi de gros moyens... Il y avait même un peu de compétition entre nous mais disons plutôt une saine émulation.

De son côté, le développement de l’ITEB était beaucoup plus récent et ses ingénieurs n’étaient pas toujours préparés à l’ex- périmentation : c’est pourquoi nous avons tenu de nombreu- ses réunions de travail pour un meilleur transfert de connais- sances mais aussi de méthodes, entre nos instituts. Alors, le problème de la compétition qui pouvait exister entre nous, nous a obligés à définir les champs et les rôles respectifs de chacun ainsi que nos complémentarités. Cela a sans doute assez bien fonctionné car nous avons produit pas mal de docu- ments de synthèse en commun, et nous nous sommes attaché à résoudre des problèmes liés à l’alimentation et à la nutrition des bovins à viande à partir du maïs sous toutes ses formes, des produits déshydratés, des protéagineux...

Votre thème de recherche

“les vaches de réforme” a-t-il évolué ?

Mon sujet propre s’est étendu des vaches de réforme à l’en- semble des bovins femelles. Ainsi, j’ai abordé le problème de l’utilisation des génisses pour la production de viande en vue de produire des carcasses lourdes et pas trop grasses. Par la suite, j’ai également travaillé sur le modèle taurillon engraissé après sevrage à huit/neuf mois ; ce modèle animal était très intéressant et aussi très pratique pour l’expérimentation ayant pour objet de comparer différents régimes alimentaires ou de nouvelles formes d’utilisation de certains aliments. Concernant l’alimentation avec du maïs par exemple, il faut se rappeler qu’à l’époque, personne ne s’y intéressait. C’était tout nou- veau dans l’alimentation animale sauf aux États-Unis. C’est pourquoi je me suis lancé dans une étude bibliographique où les données américaines étaient extrêmement nombreuses.

Parmi les synthèses bibliographiques que j’ai pu faire dans ma carrière, je pense que celle-ci a été l’une des plus importantes avec plus de 500 références. Dans le cadre des “Journées du

grenier de Theix”, dont le thème était “La production de viande de jeunes bovins”, et bien que n’ayant pas de résultats prop- res, j’ai pu faire une communication importante sur l’utilisation de l’ensilage de maïs pour la production de jeunes bovins. La bibliographie était d’une richesse extraordinaire et cela a suffi pour induire de nombreuses expérimentations de façon concertée entre l’ITCF, l’ITEB et certaines sociétés d’aménage- ment sans oublier différents domaines expérimentaux INRA.

Nous l’avons fait à Theix mais aussi au domaine de Bressonvilliers avec des animaux mâles issus du troupeau lai- tier ou à Lusignan avec des taurillons de races à viande. Nous avions également des partenaires comme la Somival (société de mise en valeur de l’Auvergne et du Limousin) dans la région, à côté de Vichy. En effet, la division agricole de la Somival s’est très tôt intéressée à l’utilisation du maïs plante entière pour nourrir les taurillons, mais aussi à celle du maïs grain sous toutes ses formes : grains humides, secs, entiers, concassés ou aplatis ou encore micronisés. Pour l’ensemble de ces aliments, nous avons pu conduire des observations au niveau du comportement alimentaire, des performances des taurillons, de la digestion, de la proportion de grains entiers que l’on retrouve dans les bouses... Même chose pour les épis, les épis ensilés, la plante entière ou les plantes à double épi.

Là, on a tout expérimenté jusqu’aux cannes de maïs seules qui ont pu être étudiées et enrichies avec des aliments concentrés.

Pourquoi le maïs n’avait-il pas retenu l’attention des zootechniciens jusque-là ?

Le maïs était avant tout cultivé dans le sud-ouest de la France pour son grain et il n’y avait pratiquement pas de maïs récolté plante entière. Seul le maïs grain était considéré. Ce fut alors la grande époque pour l’Institut, avec les nouvelles variétés hybrides INRA 258 et INRA 260. Il s’agissait de variétés préco- ces dont la culture a été étendue géographiquement jusqu’au Bassin parisien. Les réflexions concernant l‘utilisation de la plante entière démarraient à peine pour l’alimentation à la fois des vaches laitières et des taurillons à l’engrais. Après, on a encore amélioré la précocité des variétés. Le relais a aussi été pris par Limagain mais c’est une autre histoire, en effet devant le succès des variétés INRA, les chercheurs de l’amélioration des plantes ne peuvent plus démultiplier ces nouveaux hybri- des et les semences correspondantes. Il a donc fallu trouver le relais. André Cauderon qui dirigeait alors la station d’amélio- ration des plantes de Clermont-Ferrand s’est donc rapproché du président de la coopérative Limagrain, dont le siège est en Limagne. Cela a permis, avec le concours d’un technicien de l‘INRA (Noël Chapel) de mettre en place toute la démultiplica- tion des hybrides avec le matériel génétique INRA.

Cela a fait les beaux jours de Limagrain d’autant qu’à l’épo- que, on ne parlait guère de protection, de valorisation indus- trielle ou de royalties... Par la suite, grâce à la mise au point de variétés de plus en plus précoces, le maïs s’est développé en Bretagne et dans le nord de la France. C’est ainsi que d’un million d’hectares de maïs grain cultivé essentiellement dans les Landes, le Pays basque et le Béarn, on est passé en 1978- 1980, à près de 3,5 millions d’hectares de maïs dont 2 millions cultivés plante entière pour l’ensilage.

C’était l’explosion du maïs et il fallait répondre à cela. J’ai

d’abord répondu en partie par la biblio et puis après par la

(6)

réalité du terrain en conjuguant nos résultats avec ceux des instituts professionnels. On a travaillé aussi avec la compagnie d’aménagement des Landes de Gascogne, avec les Coteaux de Gascogne, avec la société du Bas-Rhône-Languedoc. Dans les Landes par exemple, nous avions près de 400 taurillons à l’en- grais avec différents régimes de maïs.

Pouvez-vous nous parler de la CARA ?

Au début, elle s’intitulait la Compagnie d’aménagement des Landes de Gascogne (CALG) et est devenue par la suite la Compagnie d’aménagement rural d’Aquitaine (CARA). Notre collaboration a duré sept ou huit ans. On a pu travailler avec un GAEC qui disposait de plus de 1 000 animaux à l’engrais, dont 400 en expérimentation. Ce qui nous permettait de faire des observations assez précises sur les quantités consommées de différents aliments, la croissance des animaux et les diffé- rents types de régimes utilisés. Pour ces suivis, j’ai aussi eu la chance de bénéficier du concours de Gilbert Liénard (laborato- ire d’économie de l’élevage) ainsi que de l’aide de Norbert Grenet (ingénieur ITEB).

Votre façon de travailler était-elle proche de celle de Gilbert Liénard ?

Oui et non. Nous allions ensemble sur le terrain, mon objectif était de valoriser les outils expérimentaux afin d’apporter des références suffisamment précises, en réponse à certaines demandes de nos interlocuteurs, dont celles des compagnies d’aménagement entre autres. Ils disposaient de leur propre dispositif expérimental avec des exploitations, des bâtiments, des bascules, des balances pour peser les aliments consommés par les animaux et c’est ainsi que nous avons pu collaborer.

Leurs préoccupations venaient de leurs adhérents en région.

On apportait certains éléments de réponse et parfois ils nous devançaient par leur questionnement du type : Ce serait inté- ressant de faire une deuxième culture en dérobée. On fait une orge précoce qu’on ensile avant maturité et derrière on fait un

maïs récolté tardivement. Qu’est-ce que cela donne ? Et sous quelle forme faut-il le distribuer aux animaux ?

Pour répondre de façon plus approfondie à votre question pré- cédente, en référence aux réseaux d’exploitations suivis par Gilbert Liénard, je dirais que notre objectif partagé était de répondre à des questions posées par les professionnels, avec des démarches différentes, mais complémentaires. Gilbert Liénard, dont je rappelle qu’il était partie prenante de la mise en place et du suivi de certaines de nos expérimentations visant à produire des références techniques, avait la responsa- bilité du laboratoire d’économie de l’élevage de Theix. Dans le cadre de cette unité de recherches, il avait développé dans dif- férentes régions françaises des réseaux constitués d’exploita- tions caractérisées par une même production dominante (bovins lait, bovins viande, ovins allaitants). Les exploitations agricoles de ces réseaux qui existent encore aujourd’hui ont bénéficié dès le début d’un suivi de gestion approfondi (comp- tes d’exploitations, bilans, élaboration de critères technico-éco- nomiques...) ; ce qui permet notamment de comparer, sur de longues périodes, les revenus et les performances techniques de groupes d’exploitations appartenant à différentes strates de dimension économique ou relatives à divers systèmes de pro- duction (par exemple “bœufs”, “taurillons”, broutards” pour les bovins viande).

L’élaboration de toutes ces données va au-delà de la produc- tion de références nécessaires à la conduite de processus tech- niques (quels fourrages et quels modes de conservation choisir ? Quelles rations distribuer aux différentes catégories d’ani- maux ? À quel âge faire vêler les génisses ?...). Elle fournit aux agriculteurs des éléments pour la gestion optimale de leurs projets économiques et financiers ainsi que des références pré- cieuses pour les décideurs.

De quels moyens disposiez-vous

pour mettre en place les différentes expérimentations dans lesquelles vous étiez impliqués ?

D’énormes moyens. Nous répondions à toutes leurs sollicita-

tions sans avoir pratiquement recours aux moyens dont nous

49

Photo :©INRA - Jean Weber

(7)

disposions à l’INRA. J’allais presque partout où l’on m’appe- lait. J’étais en situation très avantageuse, d’une part parce que j’étais considéré comme le porte-parole d’une équipe assez nombreuse avec sept ou huit chercheurs et, d’autre part parce que j’avais la capacité de valoriser tous nos acquis internes, d’en faire profiter nos partenaires tout en pouvant prolonger l’acquisition de connaissances supplémentaires, dans le cadre de ces expérimentations-démonstrations.

Quels protocoles expérimentaux avez-vous pu ainsi tester ?

Finalement, le champ était assez vaste. J’ai parlé du maïs mais les mêmes questions se sont posées par la suite avec les four- rages déshydratés (comprimés, compactés ou condensés) puis avec l’arrivée de nouvelles techniques d’ensilage d’herbe (direct, préfané, enrubanné, avec ou sans conservateur).

Ces sujets ont constitué l’essentiel de mes recherches en ali- mentation animale pour la production de viande bovine. Les aliments ont été testés à travers des productions bien standard, comme le taurillon, et dans une moindre mesure la génisse qui faisait partie de mes préoccupations. Je ne perdais pas de vue la production de viande à partir des vaches de réforme et des génisses conduites selon différents modes de production (abat- tage à 30 mois voire même à 18, 20 mois). Pour les vaches de réforme, on a pu tester l’influence de l’âge, de la race, de l’état physiologique et de la durée de l’engraissement à l’auge ou au pâturage sur la qualité des carcasses et des viandes.

Concernant le rôle joué par l’alimentation, nous devions répon- dre à une forte demande extérieure. Pour cela nous disposions d’un certain nombre de références acquises en interne à Theix comme à la station d’amélioration des plantes fourragères de Lusignan.Ainsi, on a testé la valeur alimentaire du maïs, du sor- gho, de différents fourrages déshydratés (selon les espèces et variétés disponibles sur le marché) sur taurillon et vache laitiè- re. La profession était toujours en attente de nos résultats. On apportait un maximum d’éléments de réponse à des questions parfois très précises, par exemple : Quelle incidence le traite- ment du maïs grain, avec 1,5% ou 3% d’acide propionique, a- t-il sur les performances des animaux ? Il fallait donc faire la

comparaison quelque part. Par rapport à leurs questions et à nos connaissances, on se mettait d’accord pour mettre en place des protocoles. Je leur apportais la méthodologie expérimen- tale, le contrôle et le suivi, mais cela se traduisait aussi par des contacts obligatoires sur le terrain parfois tous les quinze jours.

Sinon, les données obtenues n’étaient pas fiables. Quand on évoquait la CALG ou la CARA, il s’est avéré qu’au bout de deux ans, nous avons eu des interlocuteurs tout à fait formés à l’ex- périmentation et rigoureux, qui avaient très bien compris la conduite expérimentale et par la suite je n’y allais que tous les trois mois, je récupérais les données, nous les interprétions ensemble et nous publiions leurs résultats.

Face aux attentes de la profession, je pense toutefois que ce qui fut le plus efficace a été la mise en place de réunions pla- nifiées de groupes de travail associant les instituts techniques : ITEB et ITCF, d’abord de façon indépendante puis nous avons pu monter des opérations tripartites. On a pu produire des documents de synthèse entre nos trois organismes. L’INRA ser- vant souvent de tampon entre les deux instituts techniques.

Nous animions des réunions de travail, des réflexions et nous nous répartissions en partie les rôles. Nous programmions les études à engager pour apporter des réponses à la profession.

Cela était réfléchi et programmé tout en essayant de saisir les opportunités pour pouvoir répondre au mieux à cette deman- de, bénéficier de moyens expérimentaux et mettre en place des partenariats très pragmatiques...

Robert Jarrige a-t-il joué un rôle important dans ce choix ?

Sans doute, mais ce fut surtout Claude Béranger qui a joué un rôle très moteur. À mon avis, ce sont les groupes de travail mis en place dans le cadre de collaborations avec les instituts tech- niques qui ont joué le rôle le plus démultiplicateur. On faisait périodiquement le point de l’ensemble des données dont on disposait et de ce qu’il y avait à faire. Cela a beaucoup joué.

En fonction des interlocuteurs, des opportunités, on se disait : À tel endroit, je pourrais répondre à telle question ou apporter un élément de plus au dossier, ou encore m’engager sur une thématique nouvelle. Tout cela nourrissait notre réflexion de groupe. Robert Jarrige pesait tout de même de tout son poids scientifique, il avait ses idées sur tout et assurait une animation hebdomadaire ou bimensuelle. C’était un temps très fort pour toute l’ancienne station de l’élevage des ruminants. Quand il est devenu chef du département avec cinq équipes, nous étions vingt-cinq ou trente autour de Robert Jarrige pour pas- ser en revue tous les protocoles. Je me rappelle la mise en place de la commission bovine avec lui et les séminaires éleva- ge des ruminants. Pendant deux jours, on phosphorait, on pré- sentait les programmes, on faisait de la prospective... Robert Jarrige avait une conception de l’animation très rapprochée et toujours très riche, très orientée aussi. Certains l’ont très bien vécu et d’autres un peu moins mais tout le monde est unani- me pour dire qu’il a énormément apporté à la zootechnie fran- çaise avec une rigueur, une remise en cause permanente, un approfondissement et une capacité de synthèse hors pair.

C’était un grand scientifique nous poussant sans cesse à approfondir nos connaissances sur des sujets tout en ayant le souci permanent d’apporter, avec beaucoup de pragmatisme, des réponses aux questions de la profession.

Silo tour de l’étable d’engraissement des bovins à Theix.

Photo :©INRA - Christian Slagmulder

(8)

Cet équilibre-là, il l’a joué tout le temps d’une façon remarqua- ble. Cet approfondissement permanent sans perdre de vue les applications possibles, c’est ce qu’illustre remarquablement le bouquin rouge avec ses nouveaux concepts et les modes d’emplois correspondants.

Dans ce domaine, il n’y avait rien eu depuis André-Max Leroy, dans les années 40 ?

En effet, il s’agissait de tous nouveaux concepts tant au niveau des principes de l’alimentation des ruminants qu’au niveau des apports recommandés aux animaux et de la valeur nutriti- ve des aliments : ainsi les protéines digestives de l’intestin (PDI) d’origine microbienne ou alimentaire remplaçaient les matières azotées digestives (MAD), les unités fourragères (UF) lait, les UF viande ou les UF nécessaires à l’entretien des ani- maux succédaient aux UF Leroy, les coefficients d’encombre- ment disparaissaient au profit des unités d’encombrement.

On connaissait beaucoup mieux le rôle de l’énergie et des chaî- nes carbonées mais aussi celui des matières azotées, de l’azo- te soluble, de la synthèse microbienne et donc des protéines microbiennes digestibles dans l’intestin apportant des acides aminés directement utilisables par l’animal.

Il était nécessaire de tenir compte du progrès des connaissan- ces sur les besoins des ruminants et l’utilisation des aliments, mais il fallait aussi intégrer l’évolution des techniques d’ali- mentation et d’exploitation des animaux.

Mettre tous ces progrès en musique et pouvoir développer un système d’application a constitué une période tout à fait pas- sionnante. Robert Jarrige était très volontaire et a su mobiliser les énergies pour aboutir.

D’autres partenaires, comme l’ITEB et l’ITCF, sont-ils intervenus aussi ?

Ils n’ont pas été impliqués au départ parce que les nouveaux concepts étaient issus de l’accroissement des connaissances de la recherche grâce à la mobilisation de nombreuses équipes qui ont travaillé en synergie sous la direction de Robert Jarrige. En revanche, dans le secteur de l’application, ils sont intervenus parce que nos nouveaux concepts aboutissaient à des systèmes très complexes et on était peu nombreux à pouvoir les faire fonctionner au départ. À la sortie du premier livre rouge, en 1978, peu de personnes savaient l’utiliser, en dehors des scien- tifiques appartenant aux équipes concernées. Les quatre ingé- nieurs de développement du département Élevage des Ruminants ont alors joué un rôle particulier d’interface avec les ingénieurs des instituts : André Hoden pour les vaches laitières, Gilbert Molénat pour les ovins, Jacques Andrieu pour les fourra- ges et moi pour les animaux en croissance et à l’engraissement.

Objectivement, dans ce travail de mise en application, je pense que nous n’aurions pas pu nous en sortir seuls sans l’impor- tant travail conduit pendant un an notamment avec André Hoden en collaboration avec Norbert Grenet de l’ITEB et les EDE dont les ingénieurs ont pu apporter une contribution très intéressante au point de vue de la réflexion générale, pédago- gique et de la simplification des systèmes en vue de leur appli- cation. Cela a débouché sur le manuel “Pratique de l’alimen- tation des bovins”.

Quelle est sa date de parution ?

Ces manuels -conseils pour l’éleveur- sont parus en1981. Le premier livre rouge (620 pages) était sorti en 1978, et il a fallu le reéditer à plusieurs reprises. Nous n’étions pas habitués.

Nous procédions à des tirages de 2 000, 3 000 exemplaires puis nous sommes passés à 5 000 et il a fallu que l’on en reti- re encore 10 000. On a procédé à pas mal d’errata dans les années qui ont suivi. En 1980, on a sorti une deuxième version que l’on a retirée en 20 000 exemplaires. C’était incroyable ! Le service des éditions de l’INRA était complètement dépassé parce que 2 000 bouquins, d’accord, mais 5 000, 10 000, 20 000, là non. Avec ce volume de tirage, ils ont dit : Nous, on ne sait plus faire et c’est donc Technipel (ITEB) qui a assuré l’édition et la vente des 150 000 manuels “Pratique de l’ali- mentation des bovins”. On a perdu un petit peu de la paterni- té de notre affaire mais ce n’est pas grave. Nous avions choisi l’option de “conseils aux éleveurs” et finalement on en a tou- ché un très grand nombre. À l’époque, on a organisé énormé- ment de sessions de formation avec André Hoden, avec les ingénieurs de l’ITEB et Jacques Andrieu... pour faire passer les différents nouveaux concepts, les PDI en particulier.

Par qui étiez-vous sollicité ?

Essentiellement par les établissements départementaux de l’élévage (EDE) mais aussi par les Chambres d’agriculture, les fabricants d’aliments intéressés au premier chef par les per- spectives d’une nouvelle réglementation concernant l’étique- tage des aliments et enfin certains centres d’études techniques

agricoles (CETA).

51

(9)

En tant qu’ingénieur de développement,

vous étiez forcément très concerné par les applications sur le terrain des résultats de la recherche.

Or, il y avait une autre structure à l’INRA qui s’occupait de développement c’était le SEI.

L’approche qu’avait Jean Rebischung de ces questions n’était-elle pas très différente de celle de Robert Jarrige ?

On a pas mal parlé d’opposition entre Jean Rebischung et Robert Jarrige qui n’avaient pas la même approche du déve- loppement. Mais ils avaient l’un et l’autre l’intelligence de respecter leurs différences.

Pouvez-vous essayer de caractériser un peu les points de vue ?

Je vais avoir quelques difficultés. Ceci étant, ce sont deux hom- mes qui se sont certes affrontés mais qui se sont beaucoup estimés sur le plan personnel. Ils se sont affrontés mais je ne veux pas me tromper dans l’analyse que je peux en faire parce que Jean Rebischung est quelqu’un que je n’ai pratiquement pas connu. Il avait pourtant la responsabilité scientifique du domaine de Marcenat (dans le Cantal) mais ce dernier ne rele- vait pas de l’élevage des ruminants, à l’époque. Hubert Tartière, le premier directeur de Marcenat, était alors placé sous la tutelle de Jean Rebischung. Personnellement, je n’intervenais pas sur ce domaine parce que l’on était dans des systèmes de conduite de vaches allaitantes, thématiques portées par Michel Petit dans l’équipe de Claude Béranger, c’est là qu’ont été conduites de nombreuses expérimentations sur l’alimenta- tion et la conduite du troupeau de vaches allaitantes à l’auge ou au pâturage, taries, gestantes ou en lactation mais aussi sur l’allaitement multiple (avec les problèmes spécifiques de l’adoption d’un deuxième veau), sur le comportement mater- nel et les relations mères-jeunes...

La très forte implication de Michel Petit à Marcenat a d’ailleurs très certainement contribué au transfert de ce domaine en 1972-1973 du SEI vers l’élevage des ruminants. Pour revenir à la question, il semble que Jean Rebischung voyait, pour cer- tains domaines expérimentaux, la possibilité d’intégrer un maximum de connaissances ainsi que tous les progrès que pouvaient proposer les équipes des différentes disciplines impliquées : agronomes, spécialistes des prairies ou de la cul- ture des céréales en zone d’altitude, zootechniciens, physiolo- gistes de la reproduction, pathologistes.

Tous ces progrès étaient testés dans des domaines expérimen- taux du SEI, qui se voulaient être des modèles de démonstra- tion pour les agriculteurs.

Robert Jarrige avait une approche plus disciplinaire orientée sur les productions. Il voulait privilégier la dimension “outils d’expérimentations” que constituaient à ses yeux les domai- nes de l’INRA, même s’il avait le souci de la mise en place de collaborations entre disciplines ainsi que du transfert des résultats obtenus.

Cela ne traduisait-il pas des conceptions du développement différentes entre les chercheurs des secteurs

de la production animale et ceux de la production végétale ?

Jean Rebischung avait une approche d’agronome tandis que Robert Jarrige était zootechnicien. Cela n’empêchait pas du tout Jean Rebischung de faire appel à toutes les disciplines animales de la zootechnie. C’était le système intégré, l’idée d’une démonstration en vraie grandeur, le top des progrès, concentré en un lieu qu’il voulait développer dans ses domai- nes expérimentaux. Pour Robert Jarrige, cette démarche consistant à faire la somme de tous les progrès que pouvaient proposer les chercheurs dans les différentes disciplines, était sans doute trop idéaliste, trop loin d’une réalité possible pour un éleveur. L’Auvergnat Jarrige était sans doute plus pragma- tique à Marcenat, il a beaucoup contribué à mettre en relation ceux qui s’occupaient de l’herbe et ceux qui s’occupaient de faire manger l’herbe. Il a d’ailleurs beaucoup encouragé la mise en place d’un programme herbe/animal, c’était la grande époque du rapprochement. En plus, Jean Rebischung était basé à Versailles. Une partie des chercheurs du SEI était égale- ment à Versailles et cela faisait un petit peu parachutage dans le Cantal. Robert Jarrige était sur place quand il a repris le domaine au travers des productions animales qui faisaient l’objet des recherches de son département. Puis il a fait appel aux agronomes : Marcel Robelin, François Xavier de Montard et Michel Lafarge qui connaissaient bien la flore naturelle de montagne, les possibilités de cultiver l’herbe en montagne, de cultiver éventuellement des céréales dans ces régions et d’in- tégrer plus de connaissances territoriales.

Il me semble qu’à Lusignan il y avait aussi des animaux.

Oui. Il y avait un troupeau de vaches laitières ainsi qu’une cen- taine de taurillons à l’engrais placés sous la responsabilité de Lionel Huguet et de Georges Bertin. André Hoden s’occupait des vaches laitières et moi je m’occupais des taurillons. On a beaucoup travaillé ensemble, notre objectif étant toujours l’étude de la valeur alimentaire des aliments pour la produc- tion de viande ou de lait. Ce fut une époque exceptionnelle de très étroites collaborations.

Il y avait donc une conception du développement qui était proposée par Robert Jarrige davantage axée sur des interactions entre le monde des éleveurs et le monde de la recherche.

Le secteur de Robert Jarrige, et par conséquent le nôtre, était orienté sur les questions à résoudre pour le monde de l’éleva- ge, les éleveurs, les instituts techniques, les centres techniques,

Robert Jarrige, Pierre Mauléon, Jacques Poly et Claude Béranger lors des 17èmesjournées du Grenier de Theix en 1988.

Photo :©INRA

(10)

les établissements départementaux de l’élevage des rumi- nants, les services d’élevage des chambres, les CETA qui se consacraient à l’élevage. D’ailleurs, à mon arrivée à l’INRA, nous avons beaucoup travaillé avec les CETA, ils organisaient des journées annuelles que nous considérions comme de gran- des tribunes et qui étaient très novatrices.

Ces journées annuelles des CETA se tenaient à Versailles ?

Cette manifestation, sorte de grande vitrine, rassemblait un monde fou, 700 ou 800 personnes. La FNCETA était organisa- trice. Elle était une interlocutrice très privilégiée de la station de recherche sur l’élevage des ruminants. Par la suite et sous la très forte impulsion de Robert Jarrige, nous avons organisé nos propres journées d’information (et de formation) au cours de rencontres organisées pour les enseignants spécialisés et les ingénieurs du développement autour d’une thématique spéci- fique (jeunes bovins, pathologie du veau, vaches laitières, pâturages d’altitude, cheval, production de viande bovine...), il s’agissait des fameuses “journées du Grenier de Theix” qui se sont tenues pendant près de vingt années consécutives. Des exposés de base permettaient de faire le point des connaissan- ces acquises par les différentes équipes de recherche sur une thématique donnée et des tables rondes enrichissaient ces connaissances par les expériences acquises par nos partenai- res tout en mettant en exergue les problèmes en suspens.

Le grenier (au-dessus d’une ancienne étable) n’offrait que 120 à 140 places et l’on a dû se résoudre vers les années 80 à mig- rer vers des lieux plus vastes et mieux adaptés... mais l’am- biance et la convivialité n’étaient plus les mêmes.

Aujourd’hui le relais a été pris, sous l’impulsion conjointe de l’INRA et de l’Institut de l’élevage (ex ITEB) avec les journées des 3R : Rencontres Recherches Ruminants qui se tiennent chaque année à la Cité des Sciences. Jacques Agabriel en a été l’un des premiers organisateurs.

Robert Jarrige n’avait-il pas pris aussi l’initiative de lancer un bulletin technique pour améliorer votre communication avec le monde de l’élevage ?

Tout à fait et c’est à Gilbert Molénat puis à André Hoden et à moi-même qu’il en avait confié l’édition. C’est ainsi que de 1970 à 1987 le Bulletin technique du CRZV de Theix (plus de 70 numéros parus) a permis de faire connaître à un large public, essentiellement sous la forme de résultats expérimen- taux, les travaux conduits sur les ruminants par les chercheurs du centre. Dès le début des années 80, nous avons ressenti la nécessité de faire évoluer sa formule car, d’une part nous fai- sions appel de plus en plus à des contributions de chercheurs extérieurs à notre centre, et d’autre part les lecteurs du bulle- tin souhaitaient trouver des synthèses sur les travaux de l’en- semble du secteur des productions animales sous une forme plus accessible. C’est en 1984 qu’un comité placé sous ma responsabilité a été chargé d’étudier la création d’une revue de productions animales par élargissement du bulletin de Theix... avec l’aide des représentants (et non des moindres) des divers secteurs et centres concernés : Bernard Sauveur (aviculture - Tours), Jean-Marc Perez (porc - Rennes) Bernard Chevassus-au-Louis (hydrobiologie - Jouy-en-Josas) et René Fensterbank (pathologie -Tours).

Il nous a alors fallu un peu de temps et de persévérance pour concrétiser cette idée : dégager un poste et les crédits néces- saires à sa création. C’est en début 1987 que Marie-Hélène Farce a été recrutée pour assurer la responsabilité de la rédac- tion (ce qu’elle a fait jusqu’en 2004, d’une façon remarquable avec beaucoup d’intelligence). En début 1988, sortait enfin le premier numéro de la revue INRA Productions Animales.

Au fil des années, les responsables ont changé : après Claude Malterre et Bernard Sauveur, ce fut Camille Demarquilly, Didier Micol et Bernard Sauveur et aujourd’hui Jean-Marc Perez, un ouvrier de la première heure, toujours aussi plein

d’enthousiasme.

53

(11)

L’objectif de la revue est resté toujours le même : publier des articles de synthèse en productions animales, dans un style plus abordable que celui des articles scientifiques, à l’intention d’un public francophone (avec des chapeaux introductifs, des encadrés, des illustrations plus nombreuses). Ce fut et c’est encore une très belle aventure, qui s’est enrichie de numéros spéciaux et de dossiers thématiques. Mon seul regret peut-être est de ne pas avoir fait d’émule en production végétale.

Vous parliez de l’alimentation à partir du maïs et je vois très bien effectivement l’arrivée du maïs et toutes les recherches faites par André Cauderon.

Pour les fourrages déshydratés, je pense que cela est venu un peu après. Pouvez-vous nous dire dans quel contexte vous avez été amené à travailler sur les fourrages déshydratés et quelles étaient les perspectives offertes à la recherche par cette technologie nouvelle ?

Oui, j’ai pu suivre les études réalisées sur l’utilisation de la luzerne déshydratée. La demande s’est très fortement expri- mée de la part des agriculteurs de la Marne avec la création des déshydrateuses industrielles en Champagne. Il y avait là un produit à valoriser sur le marché, d’autant que la luzerne cons- titue un précédent cultural de qualité. Nous avions alors des contacts avec deux coopératives : Beef Grill Champagne et les Jeunes Bovins du Cantal.

Étiez-vous impliqué dans ces contacts ?

La technique de la déshydratation des fourrages remonte aux années 60 et j’étais le petit nouveau. On faisait une sortie annuelle régulièrement dans la Marne. Edmond Boucton, pre- mier directeur de Beef Grill Champagne et à l’origine de nos rencontres, a très rapidement laissé sa place pour prendre la direction de la SICA de Vitry-le-François. Il s’est investi dans la maîtrise de l’abattage, la recherche de carcasses lourdes et bien conformées, la conquête des marchés, notamment vers l’Italie... Nous avons suivi une expérience intéressante. Claude Béranger était leur interlocuteur privilégié avec Gilbert Liénard, recruté la même année que moi, en 1966. J’y étais associé comme l’était Yves Geay, spécialiste de l’engraissement des taurillons. Cela nous a permis d’appréhender les problèmes liés à une conduite moderne et “en grand” de l’engraissement des taurillons : sur caillebotis, sur pente de trois à cinq pour cent, avec tous les types de bâtiment. Nous avons pu étudier aussi les problèmes de ration alimentaire avec tous les types de produits déshydratés, la luzerne mais aussi les pulpes dés- hydratées dont on s’est aperçu que ce n’était peut-être pas la peine de les déshydrater mais plutôt de les sur-presser avant de les ensiler, avec un coût énergétique plus faible. On a suivi de très près tout le cheminement de Beef Grill Champagne et nous y faisions une tournée traditionnelle entre Noël et jour de l’an. Nous en revenions toujours avec des questions précises autour des problèmes de digestion des produits déshydratés et de leur forme de présentation et nous en discutions au sein de l’équipe ainsi qu’avec Camille Demarquilly.

Combien de temps cela a-t-il duré ?

Nous avons collaboré de 1968 à 1978 en répondant à pas mal de leurs questions. Nous avions même défini la taille optimale

de leur filière. Nos recherches ont notamment permis de dé- terminer le niveau de broyage et donc la finesse des particules de la luzerne permettant de maintenir une rumination quasi- normale chez l’animal (en associant toutefois de la paille dans la ration).

En même temps, cela représentait un observatoire en vraie grandeur très intéressant avec une production annuelle de 15 000 à 35 000 animaux à l’engrais. Gilbert Liénard vous l’a sûrement raconté bien mieux que moi. À son initiative et à leur demande, des contrats “naisseurs-engraisseurs” ont été mis au point entre la CEMAC, les jeunes bovins du Cantal et les engraisseurs de la Marne. Avec Claude Béranger, j’assistais Gilbert Liénard et chaque année nous redéfinissions les condi- tions contractuelles permettant de fixer le prix d’achat des ani- maux maigres, “les broutards”, en fonction des prévisions des cours à la vente, le tout basé sur le calcul des coûts de l’alimen- tation et des différentes charges. À chaque fois, les discussions étaient très tendues mais toujours cordiales et dans certaines situations apparemment “bloquées” les éleveurs auraient même souhaité que l’on puisse jouer les arbitres.

Gilbert Liénard voulait à tout prix faire aboutir la contractuali- sation et éviter la rupture et il m’est arrivé de lui dire en toute amitié : Attention, il faut que l’on reste bien dans notre rôle qui est d’apporter les éléments techniques, les éléments de cal- cul... mais la décision finale leur revient. S’ils ne s’entendent pas, ce n’est pas à nous de leur forcer la main. C’est vrai que notre rôle était très délicat. Ils avaient une grande confiance en Gilbert Liénard, ô combien justifiée et ils avaient besoin de nous pour jeter les premières bases plausibles d’un contrat dont les enjeux financiers étaient très importants et la négo- ciation s’avérait toujours assez tendue.

Notre collègue Gilbert Liénard avait un vécu dans les organisations professionnelles agricoles et il se voulait médiateur.

Oui mais, dans la médiation, il y a des moments où il faut savoir ne pas se substituer à la décision des autres. Nous avons fait un travail passionnant parce que nos interlocuteurs se révélaient en profondeur et jouaient cartes sur table. On dispo- sait de toutes leurs informations techniques et de leurs résul- tats de gestion au sein de chaque groupement.

Nous avions leur confiance ainsi que toutes les confidences - c’était très instructif... Nous étions très bien acceptés et recon- nus (Gilbert Liénard surtout).

Face à une demande professionnelle très vaste

et très diverse, qui demandait la mise en place de protocoles expérimentaux nombreux, comment étaient financées toutes ces opérations ? Vos commanditaires s’impliquaient-ils dans le financement ?

Ils s’impliquaient le plus souvent dans le financement, même

si à l’époque on n’avait pas trop de problèmes budgétaires

pour mettre en place une expérimentation dans nos installa-

tions. Il est vrai que leurs concours financiers n’étaient certai-

nement pas à la hauteur du coût réel de notre recherche. Nous

étions des béotiens dans ce domaine. Il y a même eu beaucoup

d’expériences que l’on a réalisées sans soutien financier ou

(12)

avec pour seule prise en charge l’indemnité d’un stagiaire. Une sorte d’accompagnement. C’était beaucoup plus psycholo- gique et il n’était pas du tout dans notre culture de faire payer les services pour traiter les questions posées par des acteurs privés.

Cela n’était-il pas lié au fait aussi que la profession était moins structurée qu’elle ne l’est maintenant ? Il y avait aussi une pluralité d’organismes.

Le poids des groupements de producteurs était effectivement très important. La profession se structurait.Aujourd’hui, cela se passe différemment. C’est beaucoup plus organisé, à travers les instituts techniques, les centres techniques, les industriels de l’alimentation du bétail, les groupements de producteurs...

On peut penser que vous n’aviez pas des partenaires aussi puissants que maintenant et vous ne saviez peut-être pas toujours à quelle porte frapper.

Dans notre contexte des productions bovines, notre activité de transfert se situait principalement dans le cadre d’un partena- riat technique. Il est beaucoup plus difficile d’obtenir un contrat avec des éleveurs ou leurs représentants qu’avec un industriel de l’agro-industrie qui de plus va financer des recherches à un coût beaucoup plus proche de la réalité (y compris la main- d’œuvre, les salaires des chercheurs...). Les grands groupes comme Nestlé, Danone, Besnier et même certaines PME-PMI, étaient beaucoup plus conscients du coût des études qu’ils nous demandaient à travers, soit des prestations de services, soit des contrats de recherche. De tels contrats pouvaient être assez conséquents. Actuellement pour le centre, les contrats avec Nestlé s’élèvent à plusieurs millions de francs par an et ce sont quatre personnes aujourd’hui qui sont mises à disposition d’une équipe de nutritionnistes et à terme, ce sont même six ou sept personnes dont trois ingénieurs qui seront détachées en plus d’une forte participation à l’investissement. Dans les disciplines zootechniques, on n’a jamais eu de tels interlocu- teurs. Lorsque l’on est sollicité par une Chambre d’agriculture, un groupement de producteurs... on développe plus un parte- nariat qu’un service ou une prestation et donc on n’est pas dans les mêmes échelles de financement. C’est clair.

Les agronomes sont également un peu dans ce cas-là au niveau de la maîtrise de la pousse de l’herbe. En revanche, dans le secteur de la nutrition humaine, en particulier dans cer- tains domaines relatifs aux technologies de transformation des produits (lait, viande...) c’est très différent. Les possibilités d’avoir des contrats et des ressources extérieures sont loin d’être négligeables.

L’arrivée de nouveaux chercheurs

dans votre équipe a-t-elle changé votre façon de travailler ?

Je suis arrivé en même temps que Bernard Rémond et Raymond Vérité qui ont été recrutés chez Michel Journet pour travailler sur les vaches laitières Au sein de l’équipe de Claude Béranger, nous nous sommes retrouvés à six très rapidement en trois ans à peu près, avec Yves Geay et Michel Petit puis Pierre Le Neindre et Jacques Robelin. Par ailleurs, en 1977 et

en 1982, deux nouveaux ingénieurs de synthèse et de déve- loppement Didier Micol puis Jacques Agabriel, sont venus ren- forcer notre équipe.

Les effectifs se sont accrus dans votre unité mais aussi dans l’ensemble de la station. Votre rôle d’ingénieur a-t-il alors été redéfini en fonction justement des nouveaux thèmes de recherche qui ont émergé au cours de cette période ?

De la production de viande à partir des vaches de réforme et des génisses, de leur composition corporelle in vivo et de la qualité de leurs carcasses en relation avec les qualités organo- leptiques, je suis passé aux aliments tout en conservant les thé- matiques sur la production de viande à partir des femelles. La production de viande m’a également amené à m’intéresser aux troupeaux de vaches allaitantes. C’est le moment où je me suis rapproché de Michel Petit et que j’ai intégré de plus en plus ses connaissances, ce qui m’a beaucoup apporté. Cette évolution s’est passée entre 1966 et 1982, date d’arrivée au ministère de l’Agriculture d’Edith Cresson. Claude Béranger a été appelé comme conseiller à son cabinet et nous n’avions plus de responsable au niveau de la station. Claude Béranger m’a demandé à ce moment-là d’assurer le relais. Je n’étais pas en fonction mais j’ai dû assurer l’intérim (notamment sur le plan administratif et financier). Pourquoi ai-je assuré ce relais alors que Michel Petit ou Yves Geay étaient aussi bien placés que moi ?

Sans doute à cause de mon attachement à la communication interne et à mon ouverture à d’autres thématiques. Pour moi, être ingénieur de synthèse et de développement cela signifiait ne pas me cantonner exclusivement à la production de viande bovine parce que j’estimais que pour représenter l’INRA à l’ex- térieur, je me devais de pouvoir répondre aux sollicitations sur les aliments, sur les vaches laitières, sur la digestion. C’est la raison pour laquelle, j’ai voulu avec André Hoden faire vivre le groupe des ingénieurs de développement du département de Robert Jarrige en prenant en charge la présentation de nos résultats à nos partenaires professionnels notamment lors de visites de nos installations expérimentales. Avec les cinq ingé- nieurs de développement concernés, nous nous retrouvions tous les quinze jours, nous échangions et discutions sur tous nos protocoles, nous étions au courant de tout ce qui se faisait au centre pour le secteur élevage et c’est ainsi que nous avons créé un réel groupe avec sa dynamique propre.Autre activité à laquelle je me suis beaucoup attaché, ce sont les réunions que nous avions baptisées “réunions du groupe bœufs”. Réunions restreintes ou élargies qui avaient lieu tous les quinze jours.

C’était lié au fait qu’à cette époque-là nous avions été rejoints par Pierre Le Neindre et Jacques Robelin dont les thèmes de recherche étaient souvent nouveaux et aussi plus analytiques.

Je voyais la nécessité, au-delà de l’animation que pouvait faire Robert Jarrige au niveau de l’ensemble de la station de recher- che sur les ruminants, de mieux connaître ce que faisait son voisin. Il fallait que les collègues plus récemment arrivés aient la possibilité de présenter leurs travaux, de les resituer dans le contexte du laboratoire avec une vision plus globale des pro- blèmes. Par ailleurs, il y avait une équipe ITEB ici à Theix. Elle était animée par Jean Lauras puis par Norbert Grenet. Elle était composée de cinq ingénieurs travaillant sur la production de

viande, ils étaient installés dans nos murs, pour bénéficier

55

(13)

d’une plus grande proximité avec la recherche et pour faciliter les liens entre nos deux instituts.

En fait, nous n’étions guère au courant de leur activité et eux connaissaient assez mal les résultats de nos recherches. C’est pourquoi il était apparu indispensable de les associer aux réunions du “groupe bœufs” élargies à leurs équipes. J’y tenais beaucoup, en phase totalement avec Claude Béranger.

Là, Claude m’avait confié un rôle un peu privilégié de prépara- tion et d’animation de ces réunions. Ces séances étaient aussi élargies au personnel technique et animalier qui, eux, appli- quaient les protocoles en ayant peu de retour sur les résultats obtenus, sur la philosophie que l’on pouvait en tirer, sur la réflexion pour l’avenir, sur les futurs protocoles. Je crois pouvoir dire que cela a assez bien fonctionné et je me suis retrouvé un peu, de fait, à jouer par délégation ce rôle d’animation quand Claude Béranger est parti au ministère de l’Agriculture. Après, la question s’est à nouveau posée en 1985 lorsque Claude Béranger est devenu chef de département à la suite de Robert Jarrige qui voulait passer la main. À ce moment-là, il a fallu réellement que la succession de Claude Béranger soit assurée.

Quelques années auparavant il y avait eu le départ de Michel Journet à Rennes. L’équipe vaches laitières s’était alors coupée en deux. La moitié de l’équipe était partie à Rennes avec Michel Journet, Raymond Vérité, André Hoden et Bernard Marquis et l’autre partie était restée à Theix, avec Bernard Rémond, Yves Chilliard, Michel Doreau et Alain Ollier.

L’équipe restant à Theix avait-elle des thématiques plus particulières ?

Leur thème principal restait celui de la vache laitière mais avec une orientation plus particulière vers les problèmes de la pro- duction laitière en zone montagne par rapport au grand ouest, pour faire simple. Le laboratoire de production de viande bovi- ne est alors devenu station et regroupait la production de vian- de bovine, la production laitière et le cheval. C’est en 1985, que j’ai été nommé officiellement directeur de la station des productions bovines et chevalines. Cela recouvrait les bovins, les vaches allaitantes, les vaches laitières et les chevaux avec quatre responsables.William Martin-Rosset avait en charge les chevaux, Michel Petit les vaches allaitantes, Yves Geay les aspects croissance et engraissement des bovins et Bernard Rémond les vaches laitières. Je me suis retrouvé, pas le plus jeune mais presque, des cinq à devoir animer la station jus- qu’en 1989, date à laquelle j’ai été nommé officiellement pré- sident du centre de Clermont-Ferrand, le 1

er

janvier 1989, quin-

ze jours avant le départ de Jacques Poly. Le 15 janvier 1989, Jacques Poly a laissé en effet sa place à Pierre Douzou mais, entre-temps, il a réussi à me “forcer” la main pour que j’accep- te cette nouvelle fonction. Au départ, j’étais complètement déterminé dans mon refus. Entre Noël et le Jour de l’an, il a réussi à me faire plier en mettant tout son poids. C’était diffi- cile de résister à Jacques Poly. J’ai pu le faire pendant six mois.

Je n’ai pas pu résister davantage même si j’avais bien cons- cience de toutes mes limites et de mon inexpérience en ac- ceptant cette fonction. J’ai alors développé la pratique de la gestion des dossiers et des hommes basée sur l’écoute, la concertation et le travail collectif que j’avais essayé de mettre en œuvre précédemment dans mes autres fonctions. Cela a contribué à me rassurer sur ma capacité à affronter les aspects les plus difficiles de la nouvelle mission qui m’était confiée.

Pourquoi avez-vous résisté à Jacques Poly ?

Pour moi, c’était une évidence, je n’étais pas du tout préparé à ce métier de président notamment pour les contacts avec l’ex- térieur et encore moins à celui de délégué régional pour l’Auvergne. En interne, je me sentais plus à l’aise avec l’expé- rience de la station des productions bovines et chevalines qui était une très grosse station, on était 56 ou 57 dont une quin- zaine de chercheurs, ainsi que 60 personnes environ dans les domaines expérimentaux qui étaient rattachés à cette station.

Cela représentait déjà un gros travail administratif.

Un énorme travail budgétaire, administratif, de commissions paritaires, d’entretiens avec les personnels... De fait, cela m’a bien facilité les choses pour l’exercice de ma fonction de pré- sident par la suite au niveau du centre. En revanche, même si j’avais été souvent en contact avec les représentants de la pro- fession, avec les ingénieurs, les techniciens du monde agricole, je ne me sentais pas du tout prêt à être président. C’est Pierre Thivend qui a été le premier président lorsque la fonction a été créée en 1985. Il l’a exercée pendant trois ans en mettant la barre très haut, jubilant dans les contacts avec les services de l’État et les collectivités territoriales, lors de l’élaboration des contrats de plan État-Régions. J’étais incapable de dire, à l’époque, quelles étaient les prérogatives de la région, du département, de la ville, de la communauté de communes et je votais en mon âme et conscience sur ce que je croyais être bon. Aujourd’hui, je baigne dedans, on me pose la question et j’ai plaisir à y répondre. J’ai même découvert le milieu univer- sitaire. Je n’avais jamais participé à une école doctorale. Tout l’enseignement que j’ai pu faire, je l’ai fait dans le cadre de l’IUT de Clermont qui avait été créé en agronomie et en zoo- technie. J’ai aussi donné des cours dans les écoles supérieures d’agronomie de Toulouse, de Montpellier, de Dijon ou dans dif- férents lycées agricoles... mais pas du tout dans le cadre des DEA, ni des écoles doctorales. Donc, je ne m’y voyais vraiment pas et j’ai “galéré” pendant un an très fortement et peut-être même deux ans avant de bien comprendre tous les rouages et de trouver mon positionnement. Après coup, c’est vrai qu’au- jourd’hui, cela ne me pose plus de problème. Dans ma fonc- tion de délégué régional, je garde d’ailleurs des relations avec les services de l’État, et des collectivités, avec des partenaires

Jacques Poly et Pierre Thivend lors des 17èmesjournées du Grenier

de Theix en 1988.

Photo :©INRA

Références

Documents relatifs

En fait, la plupart des pages sont ce que l’on appelle « dynamiques » : elles s’adaptent en fonction de paramètres (nom ou pays de l’utilisateur, mots clés introduits dans

On peut définir des styles différents selon l’identité (id) ou la classe (class) d’un élément (voir l’exemple de corps de page html donné plus haut). Sur une page il ne peut

Je complète les lignes nécessaires en écrivant la matière à travailler (Français, mathématiques, ou plus précis : grammaire, lecture, calcul...)2. Lorsque j'ai terminé

L’interopérabilité des données est possible si des formats de fichiers ouverts sont utilisés pour stocker ces données. Les plus utilisés

Existe-t-il des stéthoscopes qui amplifient les sons pour les personnes qui souffrent d’une légère perte de l’audition mais n’ont pas encore besoin de pro- thèses

Plusieurs éducatrices et éducateurs de même que plusieurs chercheurs croient que l’habileté à pouvoir effectuer une réflexion sur son enseignement constitue la marque d’un

On remarque dans un premier temps que M f, B n’est pas inversible car sa 2` eme ligne est l’oppos´ e de la

Pour les citadins, les porte-bagages (arrière mais aussi avant) s'alour- di ss aient so uvent de Quelqu es provi s ions rares: be urr e.. mais les réalités étaient