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LES EXPLOITS DES ENVOYÉS Traduction annotée, justifiée, présentée, critique, des Actes des Apôtres, afin de présenter ce texte comme un document historique

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HAL Id: hal-01802090

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01802090

Preprint submitted on 8 Jun 2018

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LES EXPLOITS DES ENVOYÉS Traduction annotée, justifiée, présentée, critique, des Actes des Apôtres, afin

de présenter ce texte comme un document historique

Gilles Courtieu

To cite this version:

Gilles Courtieu. LES EXPLOITS DES ENVOYÉS Traduction annotée, justifiée, présentée, critique, des Actes des Apôtres, afin de présenter ce texte comme un document historique . 2018. �hal-01802090�

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LES

EXPLOITS

DES ENVOYÉS

Gilles Courtieu

Traduction annotée, justifiée, littérale

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« C’est merveille, de combien vains commencements et frivoles causes naissent ordinairement si fameuses impressions. »

M. de Montaigne1

Présentation générale de l’entreprise

Il y a quelques années, dans le cadre de cours sur l’Anatolie d’époque impériale, avec une naïveté relative, je proposais aux étudiants des extraits des Actes des Apôtres, concernant l’activité de Paul, soit à Ephèse, soit dans le Taurus. Chaque fois, il fallait insister lourdement sur la nature très particulière de ces textes, qui imposaient des analyses très strictes et un sens critique de chaque instant, de chaque mot2.

Peu à peu, au contact des questions et des curiosités de mes groupes de Travaux Dirigés, je me suis mis à douter de plus en plus de la véracité non plus que du récit, mais du texte, ce qui m’a contraint à rejeter les traductions classiques (la TOB, pour ne pas la nommer), et à modifier de plus en plus les textes proposés, au fil des années. Je me suis aperçu que le texte original n’était pas en soi si difficile et qu’il était très gratifiant de le modifier dans le sens d’une exactitude plus honnête. Même un sceptique endurci tel que moi avait longtemps respecté un texte par fascination ignorante, sans justification, et n’avait même pas osé contester l’état du texte reçu, comme je l’aurai fait d’un autre document littéraire.

1 Essais III 11, « Des boiteux ».

2 Le travail des étudiants sur la question, en troisième année, était le plus souvent entaché d’exégèse bon enfant, mais ce péché ne m’empêche pas de dédier ce travail à mes anciens étudiants qui ont dû subir l’Anatolie antique et ses merveilles pendant des semestres entiers.

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Car le présent projet ne concerne en rien l'exégèse, ses pièges et ses subtilités de vieux renards, la théologie ou l'apologétique, puisque je3 veux considérer ces textes comme des documents historiques4, comme des vestiges d'une littérature populaire5 en langue grecque6 du Haut Empire romain, issu de ses provinces orientales7 et sujette à une forte influence sémitique (du point de vue de sa production et non de sa diffusion, et là est une des clés du sujet8). Ils doivent servir, pour les historiens de l'Antiquité9, de documents tels que d'autres, qui permettent autant que possible de fournir des informations précises, fiables et représentatives, à réintégrer dans un discours, un logos historique. Celles-ci ne portent pas forcément sur les origines de telle religion, sujet obsédant et désespéré s'il en est, et à y froidement regarder peu utile en terme de proportions10. A la rigueur, et je le dis par provocation ici, ces textes (et les autres) auraient plus de légitimité à être intégrés dans l’étude de l’évolution du judaïsme, c’est-à-dire la transformation d’une doctrine et pratique déjà constituée et assez bien connue, qui se scinde à ce moment en plusieurs tendances, dont est le messianisme spécial qui sera dit « chrétien » par des Gréco-Romains11.

Le mieux est de porter son attention sur tout le reste, sur tout ce que le texte nous dit sans le vouloir, c'est-à-dire le monde antique, à travers un point de vue, très minoritaire12, peu représentatif, exceptionnel, mais précieux car rare. Le tableau proposé est ample et précis à la fois, et possède une valeur documentaire, même si les événements qui s’y déroulent sont de nature merveilleuse et idéologique.

3 Je ne prétends pas être un spécialiste de la question, dans le sens où je m’intéresse à bien d’autres sujets, et que je ne maîtrise pas la totalité du savoir (utile) sur ces sujets, qui contiennent une immense quantité de savoir inutile, des monceaux de pieuses scories.

4 En dépit même de leur absence fondamentale d'historicité, pour les besoins de la méthode : il faut procéder par hypothèse.

5 Le point explique pourquoi les papyri égyptiens sont souvent pris, à raison, comme de bons correspondants à cette littétature, cf. le dictionnaire Moulton/Milligan.

6 Elle appartient à une époque qui est justement , pour la littérature grecque, relativement pauvre, entre Strabon, par exemple, et Plutarque. Les deux auteurs les plus prolifiques, par ironie, sont des juifs, Philon d'Alexandrie et Flavius Josèphe, qui écrivent justement en parallèle avec le sujet ici traité. Il serait dommage de s’en passer.

7 La Syrie, au sens large, qui ce qui conduit Lucien de Samosate à désigner Jésus comme ‘Le Syrien’ (De la mort de Pérégrinus).

8 Un but caché ou discret est simplement de favoriser l’émergence et le besoin de questions, du genre qui ne trouve pas de réponse permanente, mais qui indique une direction.

9 Les historiens des autres périodes ne peuvent utiliser le résultat du projet autrement que pour leur propre curiosité, puisqu’ensuite, c’est le texte canonique, intangible, ensuite la Vulgate latine qui seront pris en compte. Dès lors, la préhistoire racontée ici n’aura plus aucune utilité.

10 L'influence du christianisme sur l'ensemble de l'empire, et même sur les régions du Proche-Orient, est totalement négligeable pour ce qui est du premier siècle. Leur discrétion est remarquable dans le corpus documentaire. Il faut attendre la lettre de Pline à Trajan pour commencer à sentir son influence locale et non accidentelle. Avant, le christianisme a presque autant d’impact sur le puissant empire que le bébé Jésus lui-même.

11 A Antioche, dans un extrait assurément anachronique et éducatif.

12 Sectaire, au sens strict, qualifiant un groupe réduit tout entier concerné par sa propre existence et négligeant le reste s’il n’est pas en relation spéciale avec lui.

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Or nombreux sont les historiens13 qui d'emblée rejettent, ignorent, admirent ou méprisent ces textes, comme s'ils étaient hors du temps et hors du monde, enfermés dans un genre particulier qui les rendaient inaccessibles au profane, comme s'il fallait être un initié pour en atteindre les mystères14. Pire encore, il en existe partout qui succombent à l'apologétique, glorieux ou bien sournois, et trahissent leur discipline parce qu'ils lisent, étudient et commentent con amore15.

Pourtant, sur le sujet qu'ils prétendent traiter16, soit la phase primitive du nouveau système17, les Actes sont défaillants et défectueux à la fois et il faut l'affirmer non par provocation gratuite, mais par respect minimal envers la science positive18. Ils ne sont en aucun cas des textes directement fiables et de nature historique. Ils n'appartiennent en aucun cas au genre historique selon les critères actuels, et non plus selon les méthodes des historiens antiques19: Le logos présent n’est que celui de la divinité et dans ce cas, le logos joue sur le mot logos.

Voici quelques affirmation un peu péremptoires mais qui valent d’être prononcées assez fort.

Autant que pour le temps, l'espace n'impose aucune contrainte et la géographie est une suite de noms, sans mesures, sans description, comme si les auteurs avaient eu accès à des cartes routières ou des itinéraires.

Il n'y a pas de création unitaire, par un seul auteur, et non pas de réflexion générale sur la méthode et le but, pas de responsabilité d'auteur donc20.

Le surnaturel intervient en permanence pour compenser les incohérences, assurer les transitions, et faire perdurer l'action jusqu'à son terme (qui d'ailleurs n'en est pas un). Il n'existe pas non plus de critique des sources, des témoignages, des documents, et l'origine des informations n'est pas citée21.

13 En particulier en France, ce qui est un des rares désavantages de la conception française de la laïcité (pourtant vantée par les historiens spécialistes des religions, à l’étranger), qui tend à écarter ces sujets, à les dénigrer, ou à les isoler. J’ai pu le constater à maintes reprises, au niveau du public étudiant et aussi parfois auprès de collègues (il suffit de faire un test simple : demander dans quelle langue a été composée le Nouveau Testament…).

14 Le Nouveau Testament devrait intégrer la Collection Universitaire de France, dite « Budé ». Il n’est pas non plus prévu de l’intégrer dans la collection équivalente des Sources Chrétiennes.

15 Cf. la charmante expression issue des The Beginnings of Christianity de Cadbury et Lake.

16 Le but que les auteurs ont assigné, ou plus sûrement, celui, très démesuré, qui leur a été attribué par la suite, et jusqu'à maintenant.

17 Ou bien la deuxième partie de la phase primitive, après la césure catastrophique de l'exécution du personnage de Jésus.

18 Celle qui s'appuie sur l'expérience, le raisonnement et sur les résultats de ces deux moyens pour atteindre les indices d'une réalité, qui en Histoire a disparu, sans objectif préétabli, sans but extérieur.

19 Selon par exemple des règles simples et solides qui peuvent être tirées de la consultation de Thucydide ou Polybe, les références principales.

20 L'absence de signature ferme est essentielle dès le départ, tout comme l'absence de présentation du projet, comme faisaient les historiens, et bien entendu, le premier d'entre eux, Hérodote.

21 Sauf dans le cas du recours aux extraits de l'Ancien Testament, comme il était d'usage dans l'exégèse juive contemporaine.

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Le récit, soit la présentation de faits, n'est pas assorti de commentaire et d'analyse, sinon qu'ensuite, "la parole du dieu augmentait"22, c'est-à-dire que la providence s'activait à cet instant.

Le propos n'est jamais de prendre en considération des phénomènes collectifs, et immédiatement, le récit s'attache à des individus précis et tutélaires, ce qui entraine le genre vers la biographie23 et non l'Histoire, et ces individus ne sont que des personnages reconstitués, caractéristiques des récits de fiction, qu'ils soient des Pétros ou des Paulos.

Le titre, qui paraît ancien, d’Actes des Apôtres, est mensonger dès le départ : le récit ne concerne que deux figures, donc une seule est qualifié d’apôtre, c’est-à-dire d’envoyé pourvu d’une autorité ou d’un message.

Le texte est en profondeur scindé en deux parties à peu près égales, et faites pour se répondre, pour créer un équilibre, et en général, la première partie a suscité la seconde, pour satisfaire tant les partisans de l’un que ceux de l’autre.

Aucun autre sujet n'intéresse les auteurs que l'évolution et le progrès irrésistible de la petite secte messianique intégrée au judaïsme puis seulement apparentée: ils ne vivent que dans leur bulle, et n'en sorte que contraints par la providence ou les autorités administratives.

Le reste des informations n'est là qu'en guise de scène, pour augmenter l'impression d'authenticité, et comme faire-valoir.

Le projet n’est pas présenté en introduction : absence de problématique globale, qu’il faut déduire malgré le texte24.

Les discours intégrés sont reconstitués, comme dans les oeuvres historiques, mais ceux-ci sont très rarement et peu connectés avec le contexte25.

Enfin, la rédaction est très éloignée dans le temps des événements qu'elle entend enregistrer, et les anachronismes sont alors inévitables. Alors , non, il n'y a pas de Luc, témoin direct, visuel, honnête, critique, clairvoyant, omniscient, et objectif, qui se met à rédiger aussitôt après, comme beaucoup le croient ou le font croire. Même les travaux de l'exégèse admettent des phases de rédaction longues et complexes, à plusieurs strates26.

22 Le refrain dit de croissance, placé pour donner à chaque événement l’allure d’une providence, comme rythme au récit, surtout à son début.

23 A la manière de Plutarque, avec la séduction de la biographie, mais sans la volonté qu’avait le Biographe de constituer un portrait moral, et l’intégralité d’une vie.

24 En fait, la transition entre la figure messianique et d’autres, et la question de la légitimité qui est là en permanence, parce que contestée, forcément, donc défendue et illustrée, à coup de miracles et de discours.

25 Ils sont des textes à part entière, ce qui explique que pour les plus importants d’entre eux (comme celui de Stéphanos), ils sont placés hors du texte général.

26 Cf. les travaux de Boismard et Lamouille, qui ne sont pas des anticléricaux primaires.

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Le résultat final est en fait le fruit d'une succession de transformations, étapes de collection des informations, et de mise en forme, de corrections et d'unification, selon les exigences d'un public déconnecté de l'époque initiale, mais avide de lire ou d'entendre n'importe quel récit sur un sujet méconnu de lui, dans l'unique but, de la part des producteurs comme des consommateurs, de fortifier la foi et l'obéissance à l'égard du système qui se mettait en place.

Ainsi, le dénommé Luc n’est pas l’équivalent ou le confrère de Polybe ou Thucydide ou, plus proche culturellement et par la chronologie, de Flavius Josèphe. De la catégorie historique, ces textes doivent choir dans celle des documents, qui n’est pas si indigne pour le chercheur.

Cela s’appelle donc un roman historique, qui ne perd jamais l’occasion de divertir, d’amuser en même temps que d’encourager, d’enseigner. Il n’y a pas d’autre mot possible, et ce que je dis là ne lui enlève pas de valeur documentaire, tout autant que l’Âne d’Or d’Apulée.

La datation de l'oeuvre reste par ailleurs très discutée. Les tenants de l'apologétique font leur possible pour la rapprocher toujours davantage des années du récit, soit autour de 35-6527 environ, le but étant de présenter le récit comme quasi instantané. Le fait que l'oeuvre nous parvienne comme inachevée donne justement cette impression d'immédiateté, puisque les auteurs ne sauraient pas la suite du destin de Paulos. Beaucoup de raisonnements échouent sur un écueil inévitable et passionnant, qui est de savoir si la rédaction a eu lieu avant ou après la destruction du Temple en 69-70, étape capitale, tant pour le judaïsme que pour le proto- christianisme28, le premier parce qu'il doit se reconstituer par une mue révolutionnaire, le second parce qu'il peut enfin s'extirper de l'autorité du premier. A y regarder de plus près, on ne voit guère d'argument pouvant évoquer cet événement capital (et en soi, l'absence d'allusion est une occultation, et donc un indice). Enfin, si l'on prend le point de vue du public et du contexte, le récit tient très bien sa place au moment où le phénomène chrétien devient visible et massif, quand il commence à être confronté à l'Empire, quand il doit convaincre de son innocuité, quand il doit fournir des modèles unitaires et même administratifs, dans des phases de bifurcation doctrinale, quand il doit enfin et surtout fournir des preuves d'espoir et de réconfort, dans des moments difficiles. L'ensemble de ces critères tend à désigner la fin du siècle. Le règne de Domitien, de malaise général, d'oppression générale, de sursaut de l'autoritarisme, convient bien. Un rapprochement serait assez séduisant avec une oeuvre radicalement différente et même opposée en tout, qui pourrait jaillir de la même époque, je

27 Ce ne sont que des estimations incertaines, en l’absence de données fiables aux bornes. L’activité de Stéphanos semble archaïque et très christique, donc proche des années 30, tandis que le séjour de Paul est traité en vitesse, et par l’inachevé : il faut le recours alors à des traditions tardives.

28 Il reste très délicat de trouver un nom pour le mouvement, celui-ci étant bien entendu très anachronique.

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veux dire l'Apocalypse. Autant les Actes misent sur l'installation dans le temps et l'espace, l'organisation ecclésiastique, la compromission avec les autorités, le compromis à l'intérieur du mouvement, autant l'Apocalypse décide d'opter pour l'autre point de vue, le rejet du réel, la promesse d'une autre dimension, le retour au messianisme originel, pur et très dur, le recours à une rhétorique violente, un appel au rejet des autorités. Il est assez normal que, confronté aux mêmes épreuves, un groupe se scinde selon ces deux tendances. Il existerait un autre contexte, qui expliquerait mieux encore les anachronismes, et l’impression d’un système largement installé : le début du IIème siècle, avec autour des années 110-120 une série de révoltes juives qui agacent l’opinion et l’État. Ainsi, le texte pourrait avoir été rédigé pour marquer une délimitation entre des juifs considérés comme dangereux et des chrétiens pacifiques. Un « pas d’amalgame » avant la lettre.

A cet égard, la fonction d'exemplarité est essentielle, et à elle seule, elle dénie à l'oeuvre un caractère historique.

Si l'écart est grand entre les événements et leur enregistrement/diffusion, alors les auteurs ont pu (et n'ont eu d'autre solution d’ailleurs) que de rédiger ce qu'ils voulaient, sans contrainte, sans relation obligée avec le réel ou la vérité, et ceci afin d’obéir à des motivations parfois claires, parfois obscures, quelquefois incohérentes. Le résultat est à proprement parler une fiction, ou un roman29, un récit d'imagination, à partir parfois de données éparses et incertaines, dont on doit faire un ensemble solide, afin de plaire à un public donné, populaire et large aussi, selon des règles de rédaction romanesque déjà employées par les auteurs contemporains. Tel quel, alors, les Actes renseignent en premier lieu sur l'état d'esprit interne des communautés chrétiennes ou messianiques de la fin du premier siècle, de ce qu'elle voulait exprimer aussi vers l'extérieur. Cela suppose alors, en premier lieu, d'effectuer une étude de la forme, de l'expression, de la langue, de la rhétorique, avant même que de se lancer dans les faits relatés, comme si l'on était en quête fiévreuse d'atteindre un mystère sacré.

L'enquête devrait permettre, au cas par cas, de distinguer des faits authentiques (mais sans doute déformés et comme estompés) et des indices de points de vue, de préjugés, d'obsessions qui occupaient les esprits tant de ceux qui rédigeaient que de ceux qui écoutaient/lisaient30. Les sujets pouvaient être alors, sinon, comme on pourrait s'y attendre, la figure christique, mais plutôt les administrateurs romains, les voisins païens, et les juifs de la ville.

29 Le genre romanesque était en vogue à ce moment, mais encore limité aux sphères supérieures de la société; celui-ci est destiné à un cercle plus large et moins exigeant.

30 La lecture antique est encore une lecture à voix haute, le plus souvent.

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Certes, le constat final a quelque chose de désespérant pour qui veut connaître les origines du christianisme par les Actes. Ce texte est un des très rares matériaux disponibles, mais l'examen critique et honnête entraine à n'y voir qu'un roman des origines, un roman même pas vrai, construit par un système alors qu'il était déjà sorti de sa genèse, alors qu'il voulait se mettre au clair avec les circonstances de sa naissance. C'était comme s'il voulait savoir qui était ses parents, pour fixer pour toujours une image lisse, mesurée, unitaire, laquelle devait répondre à la curiosité des uns et des autres, à des fins, strictement dit, de propagande, de propagation de cette foi. Le schéma est commun à beaucoup de religions construites sur des épisodes fondateurs et fictifs en même temps, qui s'inscrivent dans le temps et lui donnent un sens. Ce roman est historique31 en cela qu’il intègre une intrigue invérifiable dans un cadre qui se veut authentique, ce qui produit comme une sympathique synergie.

Pour sortir du désespoir, il existe une solution assez facile d'accès, autre même que la foi, qui consiste à modifier son centre d'intérêt primordial: se dire que non, ce n'est pas par là que viendra la connaissance sur les aventures de Pétros ou les voyages de Paulos, et encore moins sur le Christ en personne. Imaginons qu'en fait une persécution plus efficace que les autres ait éradiqué le mouvement, qu'il n'ait pas dépassé le cas des années 100, et que ces textes nous soient connus par la découverte d'un tas épars de papyri comme les vestiges d'un vulgaire gnosticisme. Les savants se livreraient à une étude critique globale, examinant la fiabilité des sources et des informations, observant la cohérence interne, confrontant les données des textes avec ce qui est su de l'extérieur, dans des textes comparables, et du contexte général de la rédaction. Cette méthode somme toute classique serait alors poursuivie avec rigueur jusqu'à son terme, sans qu'il y ait lieu d'être impressionné par le prestige du document, et la force dogmatique qu'il obtiendra plus tard. Cela aura pour conséquence, entre autres, de pointer les critiques sur la forme, les imperfections, incohérences et inégalités. La langue choisie étant le grec, ce parti-pris, et les écarts que l'on pourra constater par rapport à cette forme donnée de langue (même si elle n'est "que" la koinè) seront des éléments utiles pour juger aussi du niveau culturel de l'expression et de la réception, sans compter bien sûr les rapports et les apports entretenus avec d'autres langues.

Ce sera aussi faire preuve d'une audace salutaire mais qui sera perçu comme excessive (profanatrice et iconoclaste), d’agir quand sera venu le temps de découper le recueil

31 Une comparaison simple suffira : Les Trois Mousquetaires de Dumas s’inspire de la figure de D’Artagnan, comme un nom et un statut, le repère d’un époque, et le reste n’est qu’invention. Mais D’Artagnan a bien existé, cependant que ce qui est su de lui par le public est une fiction totale. Ses apôtres aussi sont des fictions, alors que Richelieu, dans un sphère plus lointaine, est attesté, bien sûr, et là, en plus, le personnage approche de plus en plus l’individu réel, puisqu’il devient difficile de mentir ouvertement à son sujet.

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d'histoires édifiantes, de démonter le roman, pour faire éclater, sans grand difficulté d'ailleurs, son unité très artificielle. Les multiples et toujours inabouties tentatives de reconstitutions pseudo-historiques en sont les preuves, quand elles s'appuyent sur ce texte pour accréditer la certitude que les faits se sont déroulés ainsi, « en vérité ». La tentative même est absurde quoique séduisante, gratifiante, rassurante, et l'échec est assuré puisque les actions relatés ne se déroulent pas dans le monde réel, et dans un temps qui serait le nôtre, et aucune n'est accomplie par des humains véritables. En guise de réalité, ce sont des moments qui sont composés dans une perspective extra-ordinaire, dans laquelle tout événement n'advient et ne s'explique que par l'intervention inopinée mais salutaire du surnaturel. Les acteurs sont quant à eux des figures recomposées au fil des années, selon les besoins des communautés locales qui se cherchaient des ancêtres et des histoires à conter et ces traditions avaient été récupérées par des inconnus au service d'intérêts théologiques et politiques, intérêts nouveaux et supérieurs. Les mêmes rédacteurs (que parfois je nomme Acteurs par familiarité) n'avaient pour leur part aucune connaissance directe des événements, même s'ils voulaient en composer l'illusion. Le plus probable est qu'ils ont récupérer ces traditions orales, connaissances anachroniques pour leur temps, et d'autant plus précieuses, des bribes de culture classique (toujours dévaluées de nos jours, alors qu'elles concernant autant Euripide que Homère32), des lettres plus ou moins authentique, issues ou non de personnages comme Paulos, et sans oublier, à mon avis, (et le sujet est urticant à souhait pour certains), des extraits d'oeuvres contemporaines mieux informées, comme celles de Flavius Josèphe33, le tout bien camouflé, et recomposé à la manière d'un saint roman, pieux, dont la consultation en soi est un acte de dévotion, et qui n'a plus besoin d'affirmer des exigences particulières envers la cohérence, la clarté, la chronologie. Bien évidemment, les extraits bibliques servent aussi de fondement, en tant qu'archétypes d'inspiration, modèles paraphrasés, imités, déformés, commentés, selon le niveau d'intégration ou d'opposition par rapport au judaïsme.

En revanche, les connaissances fondées sur les traditions évangéliques, qui devraient en toute logique tenir lieu de socle, sont rarissimes et vagues. Ainsi, les manières de présenter Jésus, pourtant l'initiateur (sans être forcément fondateur) du mouvement, sont diverses, selon les tendances qui s'exprimaient alors dans tel ou tel passage. La fonction des derniers rédacteurs, ou correcteurs a été de tenter une harmonisation générale, une adaptation destinée au plus

32 L’Euripide des Bacchantes, Homère pour le voyage final de Paulos, surtout, et la littérature romanesque qui offre des situations similaires. Le séjour de Paulos à Athènes est un cas particulier qui s’apparente à un pastiche, un exercice de style classique.

33 Le débat est très vif à ce sujet, et démontre à quel point les enjeux sont importants, quelque soit l’aspect du texte à étudier.

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grand nombre34. En conséquence, et suite à ce qui été dit, peut-être abruptement, la manière d'aborder ce document historique si peu historique et d'une telle fragilité doit obéir aux exigences sèches du doute hyperbolique, du moins à propos de ce qui préoccupe l'essentiel des savants: le développement d'une nouvelle religion, dont à mon avis il serait plus sage d'étudier l'évolution qu'à partir justement des années 100. A priori donc, il faut en faire son deuil, mettre une croix dessus, oserai-je dire, quitte à y revenir par la suite, une fois que cette étape a été bien traitée; à la rigueur, le corpus épistolaire à disposition est un document plus fiable, alors qu'il est lui aussi une recomposition manifeste d'originaux absolument inaccessibles35. Cependant, quitte à le répéter, deux buts peuvent encore être atteints ou seulement approchés quant au texte des Actes et ainsi ils méritent d'être qualifiés de sources historiques.

D'une part, l'enquête sur les mentalités, modalités, motivations de ceux qui ont à des degrés divers ont été à l'origine des textes, cette enquête se justifie pleinement, et peut être accomplie en dédaignant l'étude du récit lui-même, à l'aide des connaissances tirées des milieux ultérieurs du christianisme, des textes doctrinaux en formation, de la psychologie, de la rhétorique, de la comparaison avec la genèse d'autres religions. Ces gens anonymes qui ont créé ce texte peuvent être en partie sinon atteints dans leur identité36, au moins largement compris. Mais ce travail manque de séduction car il tourne le dos à la mythologie.

D'autre part, bien entendu, il y a le tableau de la vie dans les provinces orientales de l'empire romain, entre peuplement sémitique ou plus bigarré, culture grecque ou indigène administration théocratique ou romaine. Ce n'est certes pas un tableau objectif que celui-là mais plutôt celui qui plaisait à un certain public, lui donnait l'occasion de se divertir et de s'édifier, à l'aide de déformations, de préjugés, de caricatures, de précisions pseudo-éducatives ou érudites.

Les Actes ne sont donc en aucun cas l'Histoire des débuts du christianisme. Ni l'Histoire, ni des débuts, ni du christianisme. La seule manière de rompre le charme qui condamne le lecteur, surtout après deux millénaires ou presque, à se soumettre sans question ou critique est l'analyse de l'ensemble, c'est-à-dire au sens étymologique à détruire sa structure et à le recomposer selon une autre logique, pour en tirer de sa moelle substantifique. De cette

34 Cf. la séparation en deux grandes traditions indique justement cet effort.

35 Probablement mis en forme sous l’impulsion de Marcion, personnage essentiel, aussi important que Paulos, mais totalement négligé par le plus grand nombre. Les lettres seront décomposées telles que de véritables lettres/circulaires, en suivant les indications de l’exégèse allemande.

36 Le public qui leur fait face, puisque le public est un autré clé de la question.

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manière, l'oeuvre est certes défigurée, et méconnaissable, mais elle ne se moque plus de nous, et ne nous toise plus; elle nous fournit, car nous l'avons tourmenté et ruiné, le peu de vérité qu'elle contient ou du moins qu'elle permet d'apercevoir.

Pour le dire autrement, les Actes ne sont pas l'Histoire du Christianisme primitif, encore moins, selon le titre extasié de D. Marguerat, "Un christianisme admirable".

Ils ne sont en aucun cas des textes directement fiables et de nature historique; ils n'appartiennent pas au genre historique selon les critères actuels, et non plus selon les méthodes des historiens antiques: traitement orienté, incomplet, déformant, objet du traitement occulté, imaginé, ignoré. Le projet de faire de l'Histoire n'a même jamais existé, et il était de toute manière, dans l'Antiquité, réservé à une élite culturelle et intellectuelle dont ne faisaient certainement pas partie les rédacteurs du texte. Il suffira de faire une liste rapide et incomplète des preuves de la véracité de l'affirmation précédente. Elle n’est pas exhaustif, elle ne reprend que des évidences à rappeler sans cesse pour ne pas se laisser séduire par la fascination.

1) Il n'existe pas de cadre chronologique à la fois stable, global et cohérent. Autant que pour le temps, l'espace n'impose aucune contrainte et la géographie est une suite de noms, sans mesures, sans description, comme si les auteurs avaient eu accès à des cartes routières ou des itinéraires.

2) Il n'y a pas de création unitaire, par un seul auteur, et non pas de réflexion générale sur la méthode et le but, pas de responsabilité d'auteur donc37.

3) Le surnaturel intervient en permanence pour compenser les incohérences, assurer les transitions, et faire perdurer l'action jusqu'à son terme (qui d'ailleurs n'en est pas un). Il n'existe pas non plus de critique des sources, des témoignages, des documents, et l'origine des informations n'est pas citée38.

4) Le récit, soit la présentation de faits, n'est pas assorti de commentaire et d'analyse, sinon qu'ensuite, "la parole du dieu augmentait", c'est-à-dire que la providence s'activait.

5) Le propos n'est jamais de prendre en considération des phénomènes collectifs, et immédiatement, le récit s'attache à des individus précis et tutélaires, ce qui entraine le genre vers la biographie et non l'Histoire, et ces individus ne sont que des personnages reconstitués, caractéristiques des récits de fiction, qu'ils soient des Pétros ou des Paulos.

6) Aucun autre sujet n'intéresse les auteurs que l'évolution et le progrès irrésistible de la petite secte messianique intégrée au judaïsme puis seulement apparentée: ils ne vivent que dans leur bulle, et n'en sorte que contraints par la providence ou les autorités

37 L'absence de signature est essentielle dès le départ, tout comme l'absence de présentation du projet, comme faisaient les historiens, et bien entendu, le premier d'entre eux, Hérodote.

38 Sauf dans le cas du recours aux extraits de l'Ancien Testament, comme il était d'usage dans l'exégèse juive contemporaine.

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administratives. Le reste des informations n'est là qu'en guise de scène, pour augmenter l'impression d'authenticité, et comme faire-valoir.

7) Les discours sont reconstitués, comme dans les oeuvres historiques, mais ceux-ci sont très rarement et peu connectés avec le contexte. Enfin, la rédaction est très éloignée dans le temps des événements qu'elle entend enregistrer, et les anachronismes sont alors inévitables.

8) L'objectif évident du texte est de justifier a posteriori l'ouverture et la transformation concomitante d'un judaïsme vers les païens, en dépassant même le statut des craignants- Dieu, en bousculant celui des prosélytes. Le but suivant est de démontrer l'attachement au judaïsme, en dépit des modifications prévues. Ensuite, il s'agissait de favoriser la conception d'un mouvement modéré, ennemi des extrêmes, fruit d'une synthèse raisonnable qui n'humilie aucune tendance, même au prix de malentendus et de contradictions. Puis vient la question du rapport aux autorités à l'Empire: là, le discours est clair, il se veut rassurant, et veut démontrer que ce mouvement n'est en rien un danger, qu'il est compatible avec l'Empire. En même temps, la volonté de subversion, sinon de conquête sans limite affirmée, est évidente, puis le but affiché est d'aller à Rome, centre du pouvoir, avec une ambition inébranlable. Ce sont des programmes préétablis qui ne peuvent être considérés comme une problématique scientifique analysant une situation donnée inscrite dans une réalité. Il fallait plutôt illustrer les voies de la providence, tous les moyens dont pouvait user la divinité pour faire vaincre ses affidés.

Alors, non, il n'y a pas de Luc, témoin direct, visuel, honnête, critique, clairvoyant, omniscient, et objectif, qui se met à rédiger aussitôt après, comme beaucoup le croient ou le font croire. Même les travaux de l'exégèse admettent des phases de rédaction longues et complexes, à plusieurs strates39.

Le résultat final est en fait le fruit d'une succession de transformations, étapes de collection des informations, et de mise en forme, de corrections et d'unification, selon les exigences d'un public déconnecté de l'époque initiale, mais avide de lire ou d'entendre n'importe quel récit sur un sujet méconnu, dans l'unique but, de la part des producteurs comme des consommateurs, de fortifier la foi et l'obéissance à l'égard du système qui se mettait en place.

L’étape primordiale à atteindre et dépasser est celle du contact, puis du traitement du texte.

Pour ce qui est de son établissement, inutile de faire le travail soi-même : de très sérieux éditeurs s’en chargent depuis des décennies40. Ensuite, il faut permettre que le public ait accès

39 Cf. les travaux de Boismard et Lamouille.

40 L’édition prise en compte pour la traduction est celle dite de Nestle-Aland (Nestle-Aland, Novum Testamentum Graece), régulièrement renouvelée par la Deutsche Bibelgesellschaft, qui produit aussi une édition numériqu, http://www.academic-bible.com/en/online-bibles/novum-testamentum-graece-na-28/read-the-bible-

text/bibel/text/lesen/stelle/54/10001/19999/ch/96add48f0c3dd53708bf6c39990609b0/

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à la construction du texte, et surtout aux différentes variantes, et aux traditions divergentes, voire aux passages problématiques, corrompus, incertains, que les éditions vulgaires éludent.

Là aussi, de pieux et érudits travaux pavent le chemin41. Vient l’étape de la traduction.

Puisque le public visé était populaire et nombreux, le niveau de langue est peu élevé, ce qui induit que le texte n’est pas difficile dans son expression directe42. En gros, les difficultés rencontrées sont toutes les mêmes, et concernent tous les traducteurs et traductions. Souvent, elles sont placées non pas dans le récit, mais dans les discours intégrés, issus de la LXX, et cités plus ou moins bien, de mémoire. Alors, par honnêteté, il suffira de signaler les difficultés, et de proposer des solutions, quoique fragiles.

Ensuite, le parti-pris adopté dès le départ a été, comme dit dans la partie « Repères techniques », de proposer la traduction la plus littérale possible, au prix de toutes les tortures envers la langue française : périphrases, conservations phonétiques, néologismes, archaïsmes, placement anormal des mots dans la phrase.

Le projet a débuté par le traitement radical des Actes, opus au statut spécial et qui donc a nécessité plus de travail que prévu, soit deux ans environ. La mise au point de toute façon ne sera jamais définitive. Ce qui est prévu est une suite consacrée à l'Apocalypse, au genre plus connu et traditionnel, au contenu radicalement opposé aux Actes.

Les lettres suivront. Et pour finir les évangiles, toujours selon les mêmes principes. Ainsi, les historiens, je l'espère, auront un accès un peu plus sûr à ce type de textes redoutés, sans avoir recours à des traductions frelatées car dévotes, enjolivées, piégeuses, voire carrément fausses.

Elles sont à la fin impraticables et pourtant utilisées, inaccessibles à la science. Le résultat présenté ici n'est que bien peu lisible, séduisant et agréable, mais il a pour lui, ne serait que par l'établissement d'une multitude de notes, une forme d'honnêteté.

Une étude de cas : les passages en « Nous »

Même si le but de cette organisation est de propagande (« Die Bibel zu den Menschen bringen. »), elle fait un travail de très grande qualité, dont on doit se profiter en leur rendant hommage. Une ancienne édition en pdf est disponible : http://www.wilbourhall.org/pdfs/OTNT/Novum_testamentum_Graece%20(1).pdf

41 Bruce M. Metzger, The Text of the New Testament: Its Transmission, Corruption, and Restoration, de 1964, + réeds ; à compléter avec un commentaire de commentaire, par R. Omanson, A Textual Guide to the Greek New Testament: An Adaptation of Bruce M. Metzger's Textual Commentary for the Needs of Translators… (cf. Bibliographie, séquence 03).

42 Il suffit de consulter pour les formes employées le A Grammatical Analysis of the Greek New Testament, de Zerwick et Grosvenor, qui fait l’essentiel, mais dont il faut aussi savoir se séparer.

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Une réalité que le plus obtus des exégètes ne peut éluder, tant est têtue la grammaire et ses réalités : une partie du récit est rédigé à la première personne du pluriel, par un auteur unique qui écrit au nom de plusieurs autres, qui faisait partie d’un groupe, présent, fait-il croire, au moment où les événements se sont déroulés, aussi merveilleux qu’ils soient. La difficulté est que ce changement majeur de personne, si visible et important, intervient et disparaît à des moments parfaitement anodins, sans aucune rupture de sujet, et sans que l’auteur de la version finale ne le signale ou ne l’explique. Une telle situation a pour conséquence notable, par exemple, que la lecture à haute voix devant une assemblée du texte devait paraître à ces moments tout à fait impossible, sans qu’il y ait au préalable une information complémentaire à ce propos.

Une multitude d’études se sont penchées sur la question. Deux pistes majeures se dégagent. La première consiste à concevoir ces passages comme des citations véritables d’un Journal de bord authentique, écrit par Luc comme témoin direct. Mais alors pourquoi ces fragments ne sont-ils pas présentés, ou introduits, comme tels ? Deuxième question, entre autres : pourquoi sont-ils si courts, et si peu importants quant à leur contenu, notamment doctrinal ? Comme lecture pieuse, ce sont des récits décevants, et d’aspect plus romanesque qu’édifiant .

La seconde piste fait douter de l’authenticité de la méthode : ce serait une initiative assez récente des rédacteurs, qui en pleine conscience ont écrit de manière différente certains passages , sans intégrer des fragments d’un document extérieur. Là, la question est simple et unique : pourquoi, quel intérêt ? Créer une illusion documentaire, qui fait croire à une plus évidente authenticité. La méthode était celle suivie par Démosthène, ou Flavius Josèphe, à la manière de pièces d’un dossier citées dans un procès.

Il est relativement facile de distinguer ces passages du reste, hormis ce changement de personne : le narrateur s’intéresse au voyage en tant que tel, autant qu’aux étapes. Il note des faits, et les allusions au surnaturel sont bien plus rares. Enfin, les références scripturaires s’effacent. Il ne veut pas montrer sa science religieuse et ne construit pas de longs discours.

Piste : que le voyage soit le fait de disciples de Paul, et qu’ils l’aient intégré malgré son absence, comme s’il était mystiquement présent, comme leur inspirateur.

Les auteurs n’avaient pas les épaules assez solides pour construire des discours et une argumentation poussée ; ils n’ont pas pu ou su raconter le séjour d’Athènes. Leur était réservé le séjour chez ces rustauds de Macédoniens.

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est-ce une illusion romanesque et une fausse source ? manipulation du public par l’usage volontaire de cette personne.

Pas de moment particulièrement important du récit quand advient le «nous». Donc, une arrivée due au hasard, ou alors encore une astuce visant à inspirer la confiance et à promouvoir l’authenticité.

Les questions restent nombreuses et évidentes :

1- Pourquoi les passages ne sont-ils pas présentés d’une manière ou d’une autre, pour aider le public, qui a subi sans broncher une modification de forme destabilisante, sans même qu’il soit fait référence à une citation ?

2- 2-Pourquoi apparaissent-ils en plein milieu d’une action, et non pas au moment d’un changement de péripétie, de lieu, de figure, à un tournant etc…

3- Pourquoi ces passages présentés avec un sceau de véracité accrue ne comportent-ils pas de moments importants ou capitaux pour la doctrine ? Les auteurs ont laissé passer leur chance.

4- Pourquoi ne pas avoir utilisé ce biais plus souvent, voire pour toute l’œuvre, si elle est efficace et séduisante ?

Parmi les passages Nous, il existe une césure manifeste dans l’inspiration entre les périples terrestres et ceux maritimes, comme on le verra ensuite. L’origine n’est pas la même, la documentation est différente.

Présentation de la méthode

J’ai bien conscience d’avoir construit un monstre en matière de méthode, alors il est indispensable de le présenter afin de ne pas créer de rejet immédiat à son encontre.

Pour commencer, on doit songer que l’entreprise possède une dimension de provocation, à la mode romaine, c’est à dire d’appel, par l’ambition de susciter une réaction face à des centaines d’études qui ont choisi depuis des siècles une voie totalement opposée. Dès lors, on pardonnera ce qui pourrait sembler des excès mais qui n’en sont pas. En second, il y a ici une volonté aussi d’expérimentation, qui n’est donc pas soumise exactement à l’objectif de résultat, de progrès et de perfection. Enfin, le travail est conçu comme étant à chaque fois un processus et non un aboutissement, un acquis pour toujours.

Le premier parti pris concerne l’organisation générale, et le rapport au document. Comme il est manifeste que le recueil des Actes possède une structure très artificielle, et très travaillée, longtemps travaillée, et pour des raisons n’ayant rien à voir avec la réalité des événéments, il

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a été décidé de modifier entièrement l’économie de l’œuvre, de ne respecter jamais l’ordre établi, et par conséquent de choisir un autre ordre, qui pourrait laisser entrevoir une autre forme d’origine. La forme reçue a sa légitimité bien sûr, puisqu’elle montre l’état final, les derniers efforts et des ultimes idées qui devaient être exprimées. Mais ici, l’accent sera mis sur l’état antérieur possible, et celui ci ne peut être atteint que par la dislocation. Le principe suivi est de privilégier d’abord la répartition géographique des épisodes. Actes est une suite de périples, d’errances, d’aventures, qui veut montrer l’état du monde au milieu du premier siècle, afin de démontrer l’identité universelle du mouvement en train de se constituer. La géopgraphie donc sert d’abord de critère : elle fournit une cohésion rarement prise en compte et inévitable, toujours mentionnée, parfois avec détails et justesse, et on pourrait y voir par delà la récupération de données locales conservées dans les mémoires collectives, couplées à des revendications et reconstitutions pseudo historiques. Le second critère est inclus obligatoirement dans le premier : il reprend le concept de la figure directrice, soit un personnage largement fantasmé qui construit toute l’action par sa présence seule, sur le modèle christique bien sûr, agent de la providence, modèle éternel de pensée et d’action, et toujours porte parole d’une certaine parole. Ces figures ont été enracinées par des communautés, sans doute par le phénomène de la fondation légendaire de celles ci telles qu’elles se sont imaginées.

Il serait donc inutile de réaffirmer que le présent travail ne prend en aucun cas pour des réalités les actions présentées dans cette littérature. C’est le préjugé de départ et à partir de lui, avec précaution, on pourra tout de même récupérer ce qui est possiblement de caractère historique fiable.

Le texte : comme tout texte littéraire, il a des auteurs, des phases de composition, d’édition, de correction, d’adaptation et à la fin, il a un public, puis des publics. Alors il ne faut pas s’étonner qu’il ait subsisté plusieurs versions de ce récit, donc plusieurs textes, qui devraient dans l’absolu et dans l’honnêteté aboutir à plusieurs éditions et traductions. On n’ira hélas pas jusque là. Mon idée a été de présenter le plus possible dans une seule forme les différentes versions (majeures) possibles, et les prendre en compte dans la traduction. Bien sûr, le résultat sera confus et difficile à suivre. Mais ce n’est qu’à ce prix que l’on sortira de l’illusion consistant à croire à l’unicité du texte. En général, les variantes n’empêchent pas une consultation de texte, même si la lecture linéaire sera difficile. Elles sont présentées entre crochets, avec soit le signe + pour indiquer un ajout, ou / pour une alternative. Souvent, cela apporte peu, mais parfois, les apports sont appréciables.

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De toute manière, ce n’est pas le but ici, car la lecture simple ne sert à rien. Je préfère que ce soit une base (contestable) à une étude. J’ai laissé apparaître plusieurs versions, et qui est intéressé par la question devra consulter les études de Br. Metzger sur le sujet (cf.

bibliographie finale). Celle majeure est assurément centrée autour de la ville d’Alexandrie, et elle est la tradition principale suivie. Les deux autres versions qui sont associés viennent du même stock d’informations, globalement plus oriental, sémitique et… originel probablement.

Dans ce processus, la version alexandrine semble en gros plus tardive et sujette à censure et adaptations. Ces deux versions donc : la première est intitulée d’une manière qui induit en erreur, elle est dite « Occidentale » , alors qu’elle est témoin d’une inspiration orientale, alors que les documents ont été retrouvés de l’autre côté... Ce sont des témoins très éparpillés, indiqués par un w en exposant. L’autre version est celle dite du Codex Bezae (CB en exposant) qui sont de la même tendance, mais sous une forme manuscrite presque continue, ce qui permet d’avoir un point de vue cohérent.

La traduction ensuite : elle va paraître déroutante. Le but est de respecter le plus possible le texte originel, qui est d’ailleurs présenté toujours en premier. Des astuces parfois inédites ou contestables ont été mises en œuvre pour y arriver. J’en fais une petite série :

1) dans la mesure du possible, seuls les mots présents en grec sont intégrés dans la traduction, ce qui veut dire que ceux qui ont été forcément ajoutés pour s’adapter ont été placés entre parenthèses. Donc, cela allie les objectifs de compréhension et de fidélité à l’original.

2) Pour tenter de retrouver le sens le plus précis d’un mot, il est fait recours à des périphrases, notamment dans le cas des verbes, quand le verbe grec, souvent composés de plusieurs éléments identifiables, doit être compris dans un sens complexe ou subtil qu’un seul verbe français. Ces cas sont mis en valeur par les lettres en italique, et joints par des tirets.

3) Il sera aussi proposé, quand la situation est difficile, soit de ne pas choisir de traduction, pour des tournures incompréhensibles (avec soulignage), soit de présenter des hypothèses avec point d’interrogation, soit un choix entre plusieurs solutions.

4) Les différentes origines culturelles et linguistiques des éléments du texte sont signalés par des lettres et des couleurs. L’essentiel est du grec, bien sûr, populaire de niveau, une forme de koinè. Mais l’intérêt du texte vient de l’apport d’autres systèmes, ce qui n’a rien de surprenant. Le bleu associé à LAT correspond aux rares emprunts au latin ; le vert, suivi de ARAM, SEM, HEB, LXX correspond aux nombreux cas d’influence sémitique présents.

5) Le texte, on l’a dit, n’est pas écrit dans une langue parfaite ou admirable ; ce jugement littéraire défavorable aboutit à une appréciation historique supérieure, car on a devant soi un témoin rare de ce que pouvait être une littérature populaire de cette époque. Je chercherai à montrer les différents niveaux de langue, soit recherché soit fautif. Ainsi,

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avec une certaine délectation aussi, les erreurs, maladresses, vulgarités seront rappelées, comme autant d’indices.

6) Les anthroponymes seront présentés dans leur forme originelle phonétique, et parfois, jusqu’au scandale, jusqu’à leur traduction quand ils possèdent un sens en grec, même phonétique d’origine.

7) L’ordre des mots sera respecté, non pas en règle absolu, mais quand il aurait un sens particulier, et significatif, comme d’emphase par exemple.

8) L’accent sera mis aussi sur le respect des temps et modes verbaux, même si ensuite, en français, l’aspect sera rebutant. Il y a là des nuances difficiles à rendre.

9) Enfin, on s’en rendra compte, les notes explicatives ont tendance à se multiplier, pour tenter d’expliquer ou commenter le moindre élément utile du texte.

10) Le récit est la forme principale ; les discours sont mis en forme par des encadrés fins, et plus épaix quand il s’agit de citation littéraire.

Pour indiquer quelques pistes spectaculaires, voici comment ont été traduit quelques mots, noms, pour le moins capitaux :

1) Nous allons traduire le mot « χριστός - Khristos », qui avait un sens direct pour les contemporains, avant de devenir un nom propre, sans signification précise autre que doctrinale. Il fallait éviter l’Oint, phonétiquement déplorable en français. D’autres ont parlé de « pommadé » ou « gominé », qui est à la limite du ridicule (volontaire ?) ; le recours à

« embaumé » se justifie parce qu’il met l’accent sur la dimension essentiel du procédé, qui constitue à verser de l’huile sur une personne. Pour des Grecs, cela s’explique dans le contexte du gymnase, et rien de plus, sinon, comme les Juifs, le contexte funéraire : et nous y voilà. L’huile n’est pas là pour adoucir la peau, « parce que je le vaux bien ». L’huile est le support par excellence de matières odoriférantes, autrement de parfums et d’odeurs. Dans des temps où personne ne le lavait, il suffisait, pour offrir à un individu (mort ou vivant) une apparence différente, de l’enduire de parfum. ‘Embaumer’ a certes une connotation funéraire en français, mais elle est en fait bien venue : elle rappelle les soins funéraires, les attentions apportés au cadavre pour le faire « survivre » par l’apparence. N’oublions pas donc le titre du personnage, Khristos, et sa signification, en lien avec son caractère fondamental dans la doctrine, sa résurrection ou renaissance ; Le baume est à l’origine une résine, mais dans la réalité et à ces époques, le parfum ne peut être déposé sur la peau que par l’application d’un corps gras liquide, une huile, d’olive essentiellement. Dès lors, l’huile parfumée devient surtout pour le public et pour la personne honorée (vivante ou morte) l’apport d’une odeur agréable, originale et artificielle, ce qui rehausse bien entendu l’aspect et le statut de la personne. Pour un roi, l’avantage est évident, puisque cela met le personnage au dessus du lot commun, par un biais olfactif, et donc impalpable. Pour un cadavre, l’onction d’huile embaumée s’explique du point de vue de l’hygiène, afin de rendre supportable quelques heures encore sa présence. Le français justement reproduit l’adjectif « embaumé » comme soin donné au cadavre, dont la putréfaction est un sujet très sensible dans ce texte. Et la même langue reprend le verbe « embaumer » dans un sens voisin (mais premier sans doute) de « sentir bon ». Ainsi, le parfum, l’odeur agréable, rare et chère sont-ils les principes élémentaires de cette notion d’onction. Il se trouve enfin que la région est particulièrement bien douée sur ce point puisqu’elle est le point d’arrivée des encens et senteurs de l’Arabie Heureuse ou de la Corne de l’Afrique ; sur l’onction

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parfumée, cf. E. Nodet, J. Taylor, Essai sur les Origines du Christianisme, Paris, 2002, p.

405-8. cf. sur le procédé traditionnel, sur le rituel strictement royal, Josèphe, AJ 6/4/2 : « Alors Saül renvoie son compagnon, et le prophète, avant pris l’huile sainte, la verse sur la tête du jeune homme et l’embrasse : « Sache, dit-il, que tu es élu roi par Dieu pour combattre les Philistins et pour défendre les Hébreux. Et en voici le signe que je vais t’annoncer » et id. 6/8/1 : « Ensuite, ayant pris l’huile sous les yeux de David, il la répand sur lui et lui parle bas à l’oreille, lui faisant signe que Dieu l’a choisi pour régner. » Les traductions habituels tentent d’ôter le caractère politique du titre, pour des raisons apologétiques : pourrait-on fonder une religion universelle sur la revendication d’une royauté à l’échelle de la Judée ?

2) Parti-pris de traduire le nom de Jésus par un synthèse entre le sens hébraïque et le son grec.

Ièsous doit venir en gros de la même prononciation en hébreu et en araméen à la base. Le son en grec correspond à la contraction dans le langage parlé de Yéhôshoua, sans le –a final qui disparaît. Plus difficile est l’explication de l’ajoût/remplacement d’un –s final en grec : une variante locale en Galilée, en –sh ? En hébreu, le sens est celui de « Sauveur » : Yéhôshoua signifiant « Yahvé aide, assiste ». En grec, les mots les plus proches sont dérivés de deux verbes très proches par le sens et par la forme, et qui se confondent: 1) pour le début du nom, ἰάομαι guérir, avec un premier ā long. (ἰάσομαι au futur, je soignerai, ἰάσει), les noms qui en sont dérivés en grec sont le fameux Jasôn « Guérisseur », tiré de la mythologie (mais il existe aussi une abstraction divinisée Iasô) ; il se trouve d’ailleurs que l’hellénisation habituelle de Yéhôshoua en grec est Ἰάσων, d’où pléthore de Jasôn dans l’Histoire juive ; 2) pour la seconde partie du nom, σῴζω, sauver, dont les formes présentent des sons équivalents, avec un o long (fut. σώσω, aor. ἔσωσα) ; cf. J.A. Zietler, « The name of Jesus in the Acts of the Apostles », JSNT 4/1979. On classe d’ordinaire ce type de religion parmi celles du « Salut », mais le mot est quasi absent, et dans Actes, on ne le trouve qu’une seule fois en compagnie de « Jésus ». Les questions de phonétique, et d’apparence sonore des mots sont souvent négligés par les historiens, qui ne jouent pas assez aux philologues ; sur la relation entre l’anthroponyme et la guérison, vue depuis Clément d’Alexandrie, cf. Kittel 3/289 et sur la fonction du personnage en guérisseur, cf.

Kittel 3/204 : « Hardly another image impressed itself so deeply in early christian tradition as that of Jesus as the Great Physician » (Oepke) ; cf. Mimouni-Maraval 98. Au début, il est désigné par son simple nom, et par la suite, une série d’adjectifs sont lui être associés, et aussi des substantifs vont le remplacer, des termes variés et sans cohérence, dans une doctrine en construction, autant sur le moment de l’action que dans celui de la rédaction.

Dans l’introduction, conciliante, le nom évoqué est Jésus, qui fait l’objet d’un consensus, sans le rapprochement avec Kyrios ou Khristos. Ex. d’anthroponyme construit sur l’idée de Salut : Sosas, Josèphe, GJ 4/4/2. Je sais la dimension provocatrice de la tentative, mais je reste persuadé qu’elle engage à la réflexion, et j’admets qu’elle ne soit pas tenue comme utilisable dans d’autres études !

(21)

I

LES INDICES ÉDITORIAUX

Ici sont regroupés les extraits du texte qui devraient être la trace d’une construction éditoriale, à un stade ultime : présentation globale, fabrication de chevilles narratifs pour construire une continuité. Il faudrait ajouter les documents extérieurs ajoutés : ils sont été placés à la fin du corpus.

Ces extraits sont hors d’une base géographique, des traditions locales

I 1

<Adresse>

Ce court texte est écrit avec un soin notable, supérieur au reste même en de minuscules proportions, pour donner bien sûr une bonne impression du niveau de l’expression dans ce qui va suivre. Il marque la transition entre le cycle précédent, l’autre recueil du même auteur, qui était avant présenté comme

« Luc »43, et celui-ci, le point commun étant la mention du personnage de Théophilos (surnom des plus artificiels, et correspond à la catégorie des ‘Craignant-Dieu’). Ceci est la fonction formelle et sociale de l’adresse : renouveler, en le nommant, la dédicace, ou la protection d’un homme important, avec élégance et politesse. Il y a là une manière, aussi, de valoriser le texte lui-même : le public a l’impression de partager le contenu d’une œuvre offerte à un puissant. Ce privilège rare et artificiel donne l’occasion de rehausser la valeur du texte.

43 Mieux vaudrait le présenter comme inconnu, ou bien un inconnu présenté comme Lucius, ce qui n’apporte rien de plus, ou encore comme l’auteur du texte précédent, ce qui se vérifie facilement par l’étude du style.

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On y trouve un condensé extrême du récit précédent, centré sur la figure christique, jusqu’à la fin et même un peu après44.

La forme ne correspond pas aux canons des introductions de la littérature antique : l’auteur ne se présente pas en personne, et son introduction se mêle avec le début du récit. Mais surtout il ne présente pas le thème traité: il se préoccupe davantage de la transition avec ce qui précède.

L’absence de présentation du sujet laisse perplexe ; soit il ne maîtrise pas assez la masse documentaire de savoir exactement de qu’elle représente (il ne sait pas ce qu’il écrit, et quel est le genre pratiqué), soit il se rend compte qu’il n’y a pas de sujet unitaire et délimité, du fait d’une documentation diverse, soit tout simplement, il n’a pas conscience de faire partie de la littérature, et il n’a pas besoin d’en respecter les règles.

Mais le parti-pris consistant à rappeler les grands traits de l’évolution précédente obéit à une autre motivation, de nature très rhétorique, qui est partagée par les hommes politiques de l’Antiquité classique. Le rappel donne au narrateur une autorité particulière parce qu’il donne l’impression de suivre les évolutions depuis longtemps, de connaître la matière et de maîtriser la situation.

Il convient de le présenter à part, parce qu’il n’appartient pas aux différentes blocs, assez visibles qui constituent l’ensemble. Le rédacteur a dû s’en charger au dernier moment de la composition, quand il a rassemblé le corpus et l’a arrangé.

La densité du texte minuscule est remarquable, surtout par le nombre de verbes additionnés, placés avec adresse dans l’expression.

L’astuce dans le fait qu’il n’y ait pas de transition visible entre l’introduction et le développement, comme si surtout il ne fallait pas couper le fil du récit. Pourtant le texte avait pour fonction de couper l’œuvre à Théophilos en deux, mais on perçoit comme un remord, une volonté ultérieure de rétablir une unité qui n’existe pas, au moins un lien.

Le texte est court, mais pour l’architecture et la portée de l’ensemble, il est important. Mais sans doute trompeur, plus que le reste, puisque placé devant, en position de dissimuler, de dire ce qu’il faut entendre à qui n’aurait pas compris ce qu’il faut.

1/1. τὸν μὲν πρῶτον λόγον ἐποιησάμην περὶ πάντων ὦ Θεόφιλε ὧν ἤρξατο Ἰησοῦς ποιεῖν τε καὶ διδάσκειν

2. ἄχρι ἧς ἡμέρας ἐντειλάμενος τοῖς ἀποστόλοις διὰ πνεύματος ἁγίου οὓς ἐξελέξατο ἀνελήφθη [καὶ ἐκέλευσε κηρύσσειν τὸ εὐαγγέλιον]

[I] (1) Mon précédent45 récit 46 , en fait47 ,48 je l'ai conçu49, ô50 L’Ami-du-dieu51, (à propos) de toutes les (actions?) qu’52 a commencéARAM53 le54 GUÉRISSAUV d’agir55, et (aussi) 56 à enseigner57,

44 Ascension dans Luc 24/50-53.

45 πρῶτος: le premier, comme chiffre ordinal. Pour indiquer celui qui précède (= premier au sens de ‘précédent’), on aurait employé autrefois πρότερος, cf. Zerwick § 151,pour signifier qu’il y a un suivant. Philon, Omnis Probus 1/1 commence sa dédicace à Théodotos par le πρότερος pour relier au livre précédent

46 Le terme employé évite βίβλος, «livre»: λόγος est très général, comme une parole exprimée, et pas forcément écrite.

Il y a de quoi s’interroger sur la forme matérielle du support, si le mot usuel « livre » est écarté. Insistait-on sur la nature orale de l’information ?

47 μὲν est isolé, sans le balancement classique avec le δέ. Il peut alors être vu comme une douce insistance.

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